B. LE COÛT DE LA NON RÉFORME
1. Des inégalités qui se perpétuent et amènent l'Etat à supprimer tout ou partie des impôts directs locaux
a) Les inégalités " inévitables "
Les
impôts directs locaux sont sources d'inégalités, entre
collectivités, en raison de l'inégale répartition des
bases sur le territoire
228(
*
)
,
et entre contribuables, parce que les taux sont généralement plus
élevés là où les bases sont peu importantes.
Ces inégalités, si elles traduisent la nécessité
d'un renforcement de la péréquation, sont le reflet de la
diversité des territoires
et la
contrepartie du principe
d'autonomie fiscale
des collectivités locales.
Les
taux et les bases des communes et de leurs groupements en
1999
|
Taux |
Bases
|
Taxe
d'habitation
|
13,52
|
|
Foncier bâti
|
17,17
|
5.588
|
Foncier non bâti
|
40,77
|
210
|
Taxe
professionelle
|
14,36
|
11.472
|
Source : guide statistique de la fiscalité
directe
locale, DGCL, 1999.
L'inégale répartition de la richesse fiscale sur le territoire
n'est pas un défaut propre aux impôts directs locaux. Les
écarts constatés entre les taux ou les bases des impôts
directs locaux, de l'ordre de un à deux ou de un à trois, se
retrouvent en matière d'impôt sur le revenu.
Produit par habitant de l'impôt sur le revenu
(en millions de francs)
Alsace |
4.923 |
Ile de France |
9.670 |
Aquitaine |
4.217 |
Languedoc-Roussillon |
3.588 |
Auvergne |
3.572 |
Limousin |
3.740 |
Basse-Normandie |
3.431 |
Lorraine |
3.446 |
Bourgogne |
4.030 |
Midi-Pyrénées |
3.946 |
Bretagne |
3.677 |
Nord - Pas de Calais |
3.219 |
Centre |
4.232 |
PACA |
4.903 |
Champagne-Ardennes |
4.226 |
Pays de Loire |
3.461 |
Corse |
3.274 |
Picardie |
4.007 |
Franche Comté |
3.509 |
Poitou-Charentes |
3.613 |
Haute-Normandie |
3.971 |
Rhône-Alpes |
4.600 |
Population de 1999, impôt sur le revenu perçu en
1998.
Données chiffrées : INSEE, Ministère de
l'économie, des finances et de l'industrie
b) Les inégalités injustifiables
L'assiette de la taxe d'habitation
L'assiette de la taxe d'habitation, qui repose sur les valeurs locatives, est
la plus fréquemment mise en cause en raison de son obsolescence. Selon
les dispositions des
articles 1516
et
1518
du code
général des impôts, les valeurs locatives doivent
être révisées tous les six ans, actualisées tous les
trois ans et revalorisées chaque année au moyen de coefficients
forfaitaires. Ces dispositions ne sont pas appliquées. Si elles sont
revalorisées chaque année en loi de finances, les valeurs
locatives n'ont été actualisées qu'une fois, en 1980, et
n'ont pas été révisées depuis 1970.
L'évolution des bases de la taxe d'habitation ne prend donc pas en
compte l'évolution des loyers, qu'elle est pourtant censée
refléter.
Pour remédier aux inconvénients de l'assiette de la taxe
d'habitation, la loi du 30 juillet 1990 a posé le principe d'une
révision générale des bases
de cet impôt. Les
travaux de révision ont été lancés, et les frais
d'assiette et de recouvrement perçus par l'Etat sur le produit des
impôts locaux ont été majorés pour les financer.
L'article 68 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire du 4 février 1995 prévoit que
"
les résultats de la révision générale des
évaluations cadastrales seront incorporés dans les rôles
d'imposition au plus tard le 1
er
janvier 1997
". Le
comité des finances locales a délibéré pour fixer
les conditions dans lesquelles cette réforme pourrait être
réalisée sans transferts de charges excessifs entre
collectivités. Le Gouvernement avait annoncé son intention de
procéder à la réforme dans le cadre de la loi de finances
rectificative pour 1998, mais a renoncé au dernier moment.
Aujourd'hui, le Gouvernement, dans le rapport sur la taxe d'habitation remis au
Parlement en application de l'article 28 de la loi de finances pour 2000,
considère que les travaux de simulation réalisés à
partir des résultats de la révision des bases de 1990
"
ont mis en évidence que cette réforme conduit à
des transferts entre contribuables, insatisfaisants, tant sur le plan de
l'efficacité économique que sur le plan de la justice
sociale
". La mise en oeuvre de la révision de 1990 est donc
" enterrée ". Pour l'avenir, le Gouvernement précise
que "
la garantie de l'autonomie des collectivités locales, le
traitement équitable des contribuables locaux sur le territoire national
et le recours à un dispositif simple d'actualisation dans le temps
devront guider toute nouvelle approche de la modernisation de l'assiette de la
taxe d'habitation
".
La révision des bases entraînerait sans doute des transferts entre
contribuables pas toujours conformes à l'objectif de justice
sociale
229(
*
)
. Il n'en demeure
pas moins que, selon le rapport du Gouvernement, "
du fait du
vieillissement des valeurs locatives, la répartition de l'impôt
entre contribuables est devenue de plus en plus inéquitable.
L'évolution des valeurs locatives diverge en effet de plus en plus des
réalités économiques. Il en résulte des transferts
" cachés " et injustifiés entre les contribuables des
quatre taxes et entre contribuables d'une même taxe
230(
*
)
".
L'assiette de la taxe professionnelle
La taxe professionnelle a été créée par la loi du
29 juillet 1975 pour remplacer la patente, seize ans après
l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 7 janvier 1959 qui en fixait
le principe.
L'assiette du nouvel impôt reposait sur la valeur locative des
immobilisations et 20 % de la valeur des salaires bruts versés par
l'entreprise. Afin d'éviter d'éventuels transferts de charges
entre collectivités et entre redevables à l'occasion du
changement de régime, le nouvel impôt a été
" calibré " dans le but de respecter les équilibres
antérieurs.
Pour stabiliser le montant des cotisations, donc des ressources, des
collectivités locales, la fraction de l'assiette reposant sur les
immobilisations a été établie en fonction de bases
indiciaires et fictives. La valeur locative des terrains et des locaux est
déterminée de la même manière que celle retenue pour
le calcul de la taxe foncière sur les propriétés
bâties tandis que les équipements et les biens mobiliers sont pris
en compte à hauteur de 16 % de leur valeur d'acquisition,
indépendamment de l'éventuelle dégradation du patrimoine
de l'entreprise.
Malgré le choix d'une assiette indiciaire, l'entrée en vigueur
du nouvel impôt s'est traduite par des bouleversements dans le montant
des cotisations acquittées, si bien que, depuis vingt-cinq ans, le
régime de la taxe professionnelle est régulièrement
modifié dans le but soit de garantir les ressources locales, soit
d'alléger le poids de l'impôt pour les redevables.
Dès 1976, les bases ont fait l'objet d'un écrêtement pour
limiter les augmentations de cotisations. En 1982 , la part des salaires
prise en compte dans l'assiette a été réduite de 20
à 18 %, avant d'être supprimée en 1999. Le lissage de
la prise en compte des immobilisations dans l'assiette décidé en
1982, ainsi que la réduction pour embauche et investissement
créée en 1988, ont tenté de limiter les
conséquences de l'évolution du patrimoine ou de la masse
salariale sur le montant des cotisations. Le plafonnement des cotisations
à hauteur d'un certain pourcentage de la valeur ajoutée de
l'entreprise à partir de 1979 et l'abattement général de
16 % décidé en 1986 permettent également de freiner
l'augmentation des cotisations, tandis que, à l'inverse, la cotisation
minimum créée en 1980 avait pour objet de garantir un certain
niveau de recettes aux collectivités locales.
Le bilan du " pilotage à vue " de la taxe professionnelle
pendant plus de deux décennies est contrasté
. S'il a
procuré aux collectivités locales une ressource dynamique et
stable
231(
*
)
tout en limitant
l'augmentation des cotisations, cet équilibre n'a pu être atteint
qu'au prix d'un effort budgétaire important de l'Etat et du maintien de
fortes inégalités entre contribuables. Le mode de calcul de
l'assiette et les divers mécanismes d'exonération et de
dégrèvement conduisent à exonérer, en 1997, 1,5
million d'entreprises. Le nombre de redevables payant effectivement la taxe
professionnelle s'élève à 2,1 millions. Au total,
10 % des entreprises acquittent 80 % du produit de la taxe
professionnelle. La charge de l'impôt reste en outre inégalement
répartie entre les secteurs d'activité.
Au total, le Conseil des impôts a considéré dans son
rapport de 1997 que "
si la nature d'un bon impôt est
d'être large dans son assiette, modéré dans son taux,
proportionné aux capacités contributives des contribuables,
compréhensible par ces derniers et aisément recouvrable par
l'administration, force est de reconnaître que la taxe professionnelle ne
répond aujourd'hui à aucune de ces conditions
".
c) La stratégie des gouvernements successifs : payer plutôt que réformer
La
modification de l'assiette des impôts locaux est un exercice
périlleux politiquement. Même lorsque les conséquences
d'une réforme peuvent être positives dans leur globalité,
son entrée en vigueur reste conditionnée par ses
conséquences sur les situations individuelles, qui doivent être
examinées attentivement afin d'éviter l'apparition de nouvelles
injustices. Ainsi, dans son commentaire de l'article 6 du projet de loi de
finances rectificative pour 2000 relatif à la réforme de la taxe
d'habitation
232(
*
)
, le
rapporteur général de la commission des finances de
l'Assemblée nationale justifie le report de l'entrée en vigueur
de la révision des bases cadastrales de 1990, en évoquant par
exemple les conséquences néfastes que présenterait le
nouveau dispositif sur les communes de Nantes et de Tulle.
Les déclarations d'intention en matière de réforme des
impôts locaux sont rarement suivies d'effet. Par exemple :
- la loi du 30 juillet 1990 sur la révision des évaluations
cadastrales avait posé le principe, confirmé par l'article 33 de
la loi du 26 juillet 1991 portant diverses mesures d'ordre économique et
financier, du remplacement de la taxe d'habitation perçue par les
départements par la création d'une taxe départementale sur
le revenu. Un an après, le statu quo prévalait et la mise en
oeuvre de cette innovation était " reportée " par la
loi du 15 juillet 1992 portant diverses dispositions fiscales ;
- l'article 14 de la loi du 10 janvier 1980, dans sa rédaction en
vigueur, prévoit que "
la taxe professionnelle aura pour base la
valeur ajoutée
". L'article 13 de cette loi prévoit que
l'assiette de la taxe professionnelle s'applique "
jusqu'à
l'année au titre de laquelle elle sera assise sur la valeur
ajoutée
".
Confrontés à des intérêts contradictoires, les
gouvernements successifs ont préféré financer par le
budget de l'Etat des allégements d'impôts locaux plutôt que
de mettre en oeuvre des réformes plus globales :
- pour limiter les injustices de l'assiette de la taxe d'habitation, le
législateur, au fil des ans, a mis en place des dispositifs
d'exonérations et de dégrèvements en faveur des
contribuables défavorisés. En 1999, les collectivités
locales ont perçu 71,4 milliards de francs au titre de la taxe
d'habitation mais seulement 60,2 milliards de francs ont été
acquittés par les contribuables de cette taxe, la différence,
soit 11,2 milliard de francs selon les estimations de la loi de finances pour
1999, étant à la charge de l'Etat par le biais des
dégrèvements. Par ailleurs, l'Etat a versé
7,2 milliards de francs au titre de la compensation des
exonérations de taxe d'habitation.
- en matière de taxe professionnelle, l'Etat se substitue en 2000 aux
contribuables de cet impôt à hauteur de 45,8 milliards de
francs s'agissant des dégrèvements. Le coût du seul
plafonnement en fonction de la valeur ajoutée s'élève
à près de 40 milliards de francs. En outre, l'Etat verse aux
collectivités locales 22,8 milliards de francs au titre de la
compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe
professionnelle et 11,8 milliards de francs au titre de la dotation de
compensation de la taxe professionnelle, qui compense notamment l'abattement
général de 16 % sur les bases décidé en 1986.
Il convient d'ajouter à ces sommes la prise en charge par l'Etat de
certaines des exonérations décidées par les divers
dispositifs d'aménagement du territoire, par exemple les
exonérations en zone de revitalisation rurale, dont le coût
estimé pour 2000 s'élève à 172 millions de
francs.
La prise en charge par l'Etat d'une part croissante de la fiscalité
locale est préoccupante non seulement au regard du principe de
l'autonomie fiscale des collectivités locales, mais également du
point de vue de l'équilibre des finances publiques.