2. Des transferts de blocs de compétences en fonction des vocations dominantes de chaque niveau de collectivité locale
a) L'identification des vocations dominantes des différents niveaux
Comme
l'avait parfaitement observé notre collègue Paul Girod,
rapporteur de la loi du 7 janvier 1983, au nom de votre commission des Lois,
les textes de 1983 n'ont pas été des textes de
" répartition " des compétences.
L'article premier de la loi du 2 mars 1982 avait certes précisé
que "
des lois détermineront la
répartition
des
compétences entre les communes, les départements, les
régions et l'Etat ".
Mais en réalité la loi du 7 janvier 1983, comme la loi du 22
juillet 1983 qui l'a complétée, n'a pas eu pour objet de
redéfinir les compétences de chacun des niveaux de
collectivités locales. Elle ont plus modestement cherché à
définir quelle collectivité serait la mieux à même
de se substituer à l'Etat pour mettre en oeuvre une compétence
déterminée.
Il s'est donc agi de
transférer
aux collectivités locales
des attributions jusque là exercées par l'Etat, donc de
réduire le champ d'intervention de ce dernier, mais pas de
procéder à une redistribution des compétences entre
régions, départements et communes.
Ces textes ouvraient également un changement de perspective, très
peu de dispositions postérieures aux lois de 1871 et 1884 ayant
énuméré de manière précise les attributions
des collectivités territoriales.
La question de la décentralisation avait, en effet, été
davantage posée en termes de
libertés locales
que de
compétences locales. Cette caractéristique peut expliquer que
l'allégement progressif des tutelles, source d'une plus grande
liberté, ait été recherché en priorité avant
des questions plus pratiques comme les moyens de mettre en oeuvre les
attributions locales.
Les compétences locales s'étaient donc organisées autour
de la
compétence générale
reconnue aux
collectivités locales mais aussi - comme votre rapporteur l'a
déjà indiqué - d'une intervention croissante de
l'Etat, par le biais de la tutelle , dans la définition des affaires
locales.
Sortir de ce flou de la détermination des compétences impliquait
la recherche de
critères opérationnels
permettant de
désigner la collectivité la mieux à même d'exercer
une compétence jusque là exercée par l'Etat.
Cette recherche conduisait à s'interroger sur l'existence
d'affaires
locales.
Or l'absence de critères objectifs ne pouvait que conduire
à considérer que ce critère était en
réalité " introuvable ".
En outre,
l'intérêt local
avait lui-même
été remis en cause sous l'impact de différents facteurs
qui continuent à produire des effets dans le contexte actuel : le
souci
d'égalité
qui incitait l'Etat à adopter des
réglementations uniformes ; la
solidarité
et les
impératifs de l'aménagement du territoire qui motivaient
l'interventionnisme économique et social de l'Etat.
L'intérêt local était ainsi largement
soumis à la
volonté de l'Etat
et pouvait évoluer
au gré des
circonstances
comme l'illustre l'exemple des routes. Alors que la loi du 16
avril 1930 avait décidé le classement dans la voirie nationale de
40 000 kms de routes et chemins appartenant à la voirie
départementale et communale, la loi de finances pour 1972
rétrocéda la totalité du réseau national secondaire
au département.
Les notions
d'affaires locales
ou
d'intérêt local
ne
constituant pas des critères suffisants pour déterminer les
compétences, c'est une
approche pragmatique
qui fut
privilégiée à partir des
vocations dominantes
de
chaque niveau.
Ces vocations dominantes peuvent schématiquement être
présentée comme suit
158(
*
)
:
• la
commune
doit avoir la maîtrise du sol, c'est
à dire l'essentiel des compétences dans le domaine de
l'urbanisme, et exercer la responsabilité des équipements de
proximité ;
• le
département
assume une mission de solidarité
et de péréquation, par la gestion des services d'aide sociale et
par une redistribution entre les communes ;
• la
région
voit son rôle de réflexion et
d'impulsion renforcé en matière de planification,
d'aménagement du territoire et plus généralement d'action
économique et de développement. A ce titre, elle reçoit la
compétence de droit commun en matière de formation
professionnelle.
L'Etat devait pour sa part conserver les grandes fonctions de
souveraineté : affaires étrangères, défense et
la responsabilité des grands équilibres économiques
b) La détermination de blocs de compétences
Cette
idée de confier à chaque niveau des blocs de compétences
n'était pas entièrement nouvelle. Comme votre rapporteur l'a
indiqué précédemment, le rapport " Vivre
ensemble " avait pour sa part préconisé de confier à
l'Etat ou aux collectivités des "
fonctions
complètes
" ou, à défaut, si un partage des
rôles était maintenu à l'intérieur d'une même
fonction, l'attribution de "
chaînes de décision
cohérentes
".
Telle qu'elle ressort de l'article 7 de la loi du 7 janvier 1983
-désormais codifié à
l'article L. 1111-4
du code
général des collectivités territoriales-, cette
méthode des blocs de compétence a pour conséquence que
"
la répartition des compétences entre les
collectivités territoriales et l'Etat s'effectue, dans la mesure du
possible, en distinguant celles qui sont mises à la charge de l'Etat et
celles qui sont dévolues aux communes, aux départements ou aux
régions de telle sorte que chaque domaine de compétences ainsi
que les ressources correspondantes soient affectées
en
totalité
soit à l'Etat, soit aux communes, soit aux
départements, soit aux régions.
"
Cependant ces transferts de compétences ainsi conçus ne sauraient
se traduire par une
tutelle
d'une collectivité sur l'autre.
L'article L. 1111-3
du code général des
collectivités territoriales précise expressément que
"
la répartition des compétences entre les communes, les
départements et les régions ne peut autoriser l'une de ces
collectivités à établir ou exercer une tutelle, sous
quelque forme que ce soit, sur une autre d'entre elles
".
L'article L. 1111-4
dispose expressément que
" les
décisions prises par les collectivités locales d'accorder ou de
refuser une aide financière à une autre collectivité
locale ne peut avoir pour effet l'établissement ou l'exercice d'une
tutelle, sous quelque forme que ce soit sur celle-ci
. "
Le principe retenu a par ailleurs été celui d'un transfert
à droit constant
, les collectivités locales devant en
conséquence appliquer les réglementations correspondant à
l'exercice des compétences par l'Etat. En outre les compensations
financières des transferts de compétences ont été
calculées à partir des engagements de l'Etat au moment du
transfert, sans que - votre rapporteur y reviendra -soient pris en compte
l'état des biens transférés et les besoins réels
dans le domaine considéré.