D. LES SPÉCIFICITÉS DES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER
La
décentralisation dans les départements d'outre-mer soulève
des questions spécifiques, distinctes de la problématique
métropolitaine.
Ces quatre départements
148(
*
)
, Guadeloupe, Guyane, Martinique et
Réunion, s'inscrivent aujourd'hui dans le même cadre
institutionnel, défini par l'article 73 de la Constitution
lequel prévoit que : "
Le régime
législatif et l'organisation administrative des départements
d'outre mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation
nécessitées par leur situation particulière
".
Ils sont intégrés à l'Union européenne en tant que
" régions ultrapériphériques
149(
*
)
".
Le principe de l'assimilation législative interdisant de conférer
aux départements d'outre-mer une "
organisation
particulière
" au sens de l'article 74 de la Constitution
qui concerne les territoires d'outre mer, des
régions
monodépartementales
ont été instituées (loi du
31 décembre 1982) et les aménagements à la
répartition des compétences entre les différentes
collectivités prévalant en métropole ont été
limités.
La coexistence d'un département et d'une région sur un
même territoire a aujourd'hui montré ses limites.
Le rapport
150(
*
)
établi
à la demande du Premier ministre par MM. Claude Lise,
sénateur de la Martinique, et Michel Tamaya, député
de la Réunion, fait état d'un "
enchevêtrement
dommageable des compétences "
et de situations
d'
interventions concurrentes des deux collectivités
dans les
mêmes domaines.
En effet, la création des régions d'outre-mer en 1982, sur la
base du modèle métropolitain, a engendré un transfert
important de compétences du départements vers la
région
151(
*
)
. Or,
compte tenu de leur engagement antérieur, les départements ont
parfois été tentés ou contraints de maintenir leur action
dans un domaine normalement transféré.
C'est pourquoi le " rapport Lise-Tamaya " souligne que le
redécoupage des blocs de compétence, en particulier entre le
département et la région, est une étape nécessaire,
mais devra être suivi d'un contrôle plus strict du respect, par les
collectivités, de leur champ de compétences.
Le " rapport Lise-Tamaya " dénonce
l'inachèvement de
la décentralisation
dans les départements d'outre-mer
.
Alors que les collectivités locales d'outre-mer, fortement
sollicitées et appelées à faire face à une
situation économique et sociale profondément
dégradée, ont été contraintes de développer
leurs interventions, les textes n'ont que très faiblement adapté
l'organisation et les compétences de ces collectivités.
Le régime juridique applicable aux départements d'outre-mer est
actuellement en cours de débat au Parlement : le
projet de loi
d'orientation pour l'outre-mer
répond en partie aux
préoccupations des élus d'outre-mer, notamment en tendant
à favoriser la coopération régionale
décentralisée et en proposant un approfondissement de la
décentralisation.
• Il existe
une volonté unanime de développer la
coopération régionale décentralisée
, par
exemple en matière de contrôle de l'immigration, de justice,
d'enseignement ou de culture. Les conseils généraux ou
régionaux aspirent à négocier directement, avec les
États voisins, sans devoir passer nécessairement par la
métropole et par l'intermédiaire des diplomates du Quai d'Orsay.
Or, la coopération décentralisée est actuellement
limitée par la compétence exclusive de l'État en
matière de relations avec les États étrangers, qui
interdit en principe aux collectivités territoriales de signer un accord
avec un État voisin, même dans des domaines relevant de leurs
compétences.
Selon le projet de loi d'orientation,
l'action internationale
de la
Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion
dans leur
environnement régional
se traduira en particulier par la
possibilité, pour un conseil général ou régional,
de demander aux autorités de la République d'autoriser son
président à négocier des accords internationaux avec les
États (ou organismes régionaux) voisins.
•
L'approfondissement de la décentralisation
passe
par la
généralisation de la consultation
des conseils
généraux et régionaux d'outre-mer sur les projets de
textes les concernant (lois, ordonnances, décrets comportant des
dispositions d'adaptation de leur régime législatif et de leur
organisation administrative, actes communautaires), le
transfert de
compétences
actuellement exercées par l'État et
l'aménagement des
finances locales
.
De plus, un des enjeux majeurs du développement économique des
départements d'outre mer réside dans la
décentralisation de la gestion des crédits
européens
152(
*
)
.
Comme l'indique votre commission des Lois
153(
*
)
, ces aménagements sont
bienvenus mais limités dans la mesure où
ils n'ouvrent pas
réellement la voie à une évolution
différenciée
. Celle-ci, à la suite d'une mission
d'information
154(
*
)
dans les
départements d'outre mer, a souligné les limites de la
départementalisation conçue comme un modèle unique. La
prise en compte de l'identité de chaque population et l'adaptation des
lois et réglementations métropolitaines aux
réalités locales sont plus que jamais nécessaires, mais
doivent être conciliées avec le besoin d'une certaine
stabilité institutionnelle favorable au développement
économique. Afin de respecter l'identité culturelle de chaque
département, il convient de faire du "
cousu main
",
selon l'expression de notre collègue M. José Balarello,
rapporteur du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer.
Or, force est de constater que les perspectives d'évolution
institutionnelle prévues par le projet de loi d'orientation sont
très controversées :
• la
bi-départementalisation de la Réunion
,
qui pourrait se justifier au regard des impératifs démographiques
et d'aménagement du territoire, ne suscite pas l'adhésion de
l'ensemble des élus réunionnais et de la population ;
• la
création d'un Congrès dans les
régions d'outre-mer monodépartementales
fait partie des
propositions du " rapport Lise-Tamaya ". Composé des
conseillers généraux et des conseillers régionaux, le
Congrès aurait vocation à délibérer de toute
proposition relative à l'évolution institutionnelle et à
la répartition des compétences. Le Gouvernement pourrait ensuite
déposer un projet de loi prévoyant la consultation des
populations intéressées sur les propositions d'évolution
institutionnelle formulées par le Congrès.
Constatant que le projet de Congrès a suscité l'avis
défavorable de six des huit assemblées locales concernées
et que la procédure envisagée est particulièrement lourde,
le Sénat, suivant sa commission des Lois, n'a pas approuvé la
création d'un congrès en Guadeloupe, Martinique et Guyane. Il
s'est en outre opposé au projet de bidépartementalisation de la
Réunion.