B. UNE NOUVELLE DONNE POUR L'ORGANISATION TERRITORIALE : LA MONTÉE EN PUISSANCE DE L'INTERCOMMUNALITÉ DE PROJET
Le renforcement de la coopération intercommunale constitue une préoccupation ancienne qui a néanmoins pris une nouvelle dimension avec la montée en puissance récente de l'intercommunalité de projet . Cette " nouvelle donne " aura nécessairement des conséquences sur l'organisation territoriale , sans que l'on puisse encore en évaluer précisément la portée.
1. Une préoccupation ancienne
a) Un remède à l'émiettement communal
Le
développement des structures de coopération intercommunale s'est
réalisé dans un contexte de
très fort
émiettement communal
.
L'échec des tentatives de regroupement communal
L'histoire administrative, depuis 1789, a été marquée par
différentes tentatives de regroupement communal.
Devant
l'Assemblée Constituante
, Thouret, Sièyès et
Condorcet plaidèrent pour la création de quelque 6.500 grandes
municipalités. Mirabeau défendit au contraire la transformation
en communes des 44.000 paroisses de l'Ancien Régime. Il fut, en
définitive décidé de créer une municipalité
dans chaque ville ou paroisse, le nombre total étant cependant
réduit de 44.000 à 38.000. Différents projets
cherchèrent à remettre en cause cette organisation
administrative. Il s'agissait de refondre les circonscriptions afin de
réduire le nombre des communes.
La
Constitution de l'an III (1795),
pour sa part, distingua trois
catégories de communes selon leur taille, et créa des
municipalités de canton regroupant les communes de
moins de 5.000
habitants. L'échec de cette tentative pesa fortement sur les nouveaux
projets de regroupements élaborés au XIXème siècle.
Il fallut attendre la Vème République pour que de nouvelles
solutions globales soient recherchées.
Entre 1958 et 1970
, différents textes ont ainsi cherché
à favoriser des regroupements avec des résultats très
limités : 298 fusions intéressant 635 communes sur un total de
37.708 (en 1968) furent réalisées pendant cette période.
Une nouvelle impulsion au regroupement communal résulta de la
loi du
16 juillet 1971
sur les
fusions
et
regroupements
de
communes.
Cependant, en dépit des incitations prévues par cette loi, le
nombre des fusions entre 1972 et 1978 est resté limité à
897, intéressant 2.217 communes, alors que les plans
départementaux, établis en application de la loi, concernaient
10.143 communes. Depuis 1978, certaines communes fusionnées ont, par
ailleurs, choisi de faire le chemin inverse et de retrouver leur
liberté.
b) Les principales étapes : une " stratification " des structures
L'échec des tentatives de regroupement communal a rendu d'autant plus nécessaire le développement des formules de coopération intercommunale. Avant l'adoption de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, le " paysage " de l'intercommunalité était néanmoins marqué par une " stratification " des structures.
Une " stratification " des structures de coopération intercommunale
La
loi du 22 mars 1890
créa le syndicat de communes,
établissement public qui permet d'adapter la gestion communale, soit aux
nécessités techniques (électrification, adduction d'eau),
soit à certaines activités qui, par leur nature, débordent
les limites territoriales des communes (transport, urbanisme, assainissement).
Un
décret du 20 mai 1955
institua les syndicats mixtes qui
permettent aux communes et départements de s'associer entre eux, ainsi
qu'avec des établissements publics locaux.
L'ordonnance du 5 janvier 1959
a autorisé la création de
syndicats à vocation multiple (SIVOM). Comme leur nom l'indique, ces
syndicats peuvent être chargés de plusieurs missions: adduction
d'eau, lutte contre l'incendie, construction et gestion d'installations
sportives, de locaux scolaires, de crèches, de maisons de retraite ou
encore, transports de personnes.
La
loi du 5 janvier 1988
a institué un " syndicalisme
à la carte " en permettant à une commune de n'adhérer
à un syndicat que pour une partie seulement des compétences
exercées par celui-ci.
Dans le but de répondre au problème posé par les
agglomérations, l'ordonnance du 5 janvier 1959 institua, pour sa part,
les districts urbains. Cette formule, plus intégrée que les
syndicats de communes, fut ensuite étendue aux zones rurales par la
loi du 31 décembre 1970.
La
loi du 31 décembre 1966
a créé la
communauté urbaine, forme très intégrée de
coopération destinée à répondre aux
problèmes posés par les grandes agglomérations.
La loi du 31 décembre 1966 a créé d'office quatre
communautés urbaines dans des grandes agglomérations (Bordeaux,
Lille, Lyon et Strasbourg). Huit autres agglomérations se sont
dotées de cette structure de coopération (Cherbourg, le
Creusot-Montceau-les-Mines, Dunkerque, Le Mans, Brest, le grand Nancy, Arras et
Alençon).
Les syndicats d'agglomération nouvelle - qui ont résulté
de la
loi du 13 juillet 1983
-, ont été instaurés
pour répondre aux besoins des villes nouvelles créées dans
les années soixante-dix. Neuf villes nouvelles existent dont cinq en
région parisienne.
En créant deux nouvelles structures -les communautés de communes
et les communautés de villes-, la
loi du 6 février 1992
d'orientation relative à l'administration territoriale de la
République, a entendu axer la coopération intercommunale sur le
développement économique et l'aménagement de l'espace.
A la veille de la loi du 12 juillet 1999, la coopération intercommunale
connaissait un dynamisme réel. En outre, l'intercommunalité
à fiscalité propre avait connu un véritable essor.
Au 1er janvier 1999, on dénombrait
1 680
établissements
publics de coopération intercommunale à fiscalité propre,
regroupant 19 065 communes, soit une population totale de 34,4 millions
d'habitants, dont 12 communautés urbaines, 1 654 communautés de
communes et districts et 9 syndicats d'agglomération nouvelle.
Cependant, la répartition sur le territoire des groupements à
fiscalité propre était assez inégale. En outre, comme
l'avait parfaitement mis en évidence le rapport établi par notre
collègue Daniel Hoeffel, au nom du groupe de travail de votre commission
des Lois sur la décentralisation, présidé par M. Jean-Paul
Delevoye,
116(
*
)
la
multiplication des structures
s'est accompagnée d'une
très grande
complexité du régime juridique et
financier
, chaque catégorie étant dotée de
règles spécifiques.
La coopération intercommunale -avec environ 18 000 structures pour
36 771 communes existantes- a donc largement reproduit le
phénomène de dispersion auquel elle doit pourtant essayer de
remédier.
En outre, les formules spécifiques à l'intercommunalité en
milieu urbain
n'ont pas connu le succès escompté
(seulement cinq communautés de villes ont été
créées : Aubagne, la Rochelle, Sicoval, Flers, Cambrai).
Sur le plan des compétences, les fonctions d'aménagement et de
développement n'ont été que récemment mises au
premier plan, notamment avec la création des communautés de
communes.
Les incitations financières -notamment le bénéfice de la
DGF dès la première année de fonctionnement du groupement-
ont, en outre, suscité de très fortes tensions dans la
répartition de la DGF.
La réforme opérée par la loi du 31 décembre
1993 a cherché à remédier à cette situation en
favorisant une réelle intercommunalité de projet sur la base d'un
coefficient d'intégration fiscale. Le poids du financement de
l'intercommunalité continue néanmoins à peser fortement
sur la DGF.
Sur le plan fiscal, l'unification des taux de taxe professionnelle doit
permettre de réduire les concurrences entre communes pour attirer les
entreprises.
Or le nombre d'établissements dotés de la taxe professionnelle
unique restait encore faible avant l'entrée en vigueur de la loi de 12
juillet 1999 qui a entendu promouvoir la taxe professionnelle
d'agglomération : au 1er janvier 1999, seulement
98
établissements publics de coopération intercommunale
étaient soumis à ce régime fiscal sur
1680
établissements publics de coopération intercommunale à
fiscalité propre.
c) Les lignes directrices d'une réforme de l'intercommunalité : le rôle actif du Sénat
Les lignes directrices d'une réforme du régime de la coopération intercommuanle avaient été clairement énoncées dans le rapport du groupe de travail sur la décentralisation, constitué au sein de votre commission des Lois.
Les conclusions du groupe de travail sur la décentralisation
Le
groupe de travail sur la décentralisation de votre commission des Lois
avait fait de la simplification de la coopération intercommunale une
priorité en vue de l'adaptation des structures territoriales. Il avait
ainsi retenu trois
principes essentiels
de nature à satisfaire
cet objectif :
•
une réduction significative du nombre des catégories
d'établissements publics de coopération intercommunale
Le groupe de travail avait recommandé la
réduction
du
nombre de catégories d'établissements publics de
coopération intercommunale de même que la
simplification
du
régime juridique de ces établissements publics à partir
des deux logiques auxquelles répond la coopération
intercommunale, à savoir une logique de gestion et une logique de
projet. A cette fin, il avait jugé possible la
fusion des districts
et des communautés de communes
. Compte tenu de l'échec des
communautés de villes
, le groupe de travail avait
préconisé leur fusion avec les communautés de communes. Il
avait, enfin, envisagé l'évolution des
agglomérations
nouvelles
vers des formules de droit commun.
•
l'unification des règles applicables à partir d'un
" tronc commun
"
Le groupe de travail avait considéré que l'unification juridique
pourrait être
systématisée
par la définition
d'un corpus de règles qui formeraient le "
tronc
commun
" du régime applicable à tous les
établissements publics de coopération intercommunale. Ce tronc
commun serait complété par des règles spécifiques
à chaque catégorie et par différentes options que les
élus pourraient, le cas échéant, utiliser.
Cette solution devait approfondir la démarche déjà
engagée lors de l'élaboration du
code général
des collectivités territoriales
. Le groupe de travail avait, en
outre, entendu privilégier, dans le cadre de ce régime juridique
unifié, l'idée d'une
évolution progressive des
compétences
selon les besoins constatés par les élus
eux-mêmes.
•
Une évolution du régime financier et fiscal qui
favorise une véritable intercommunalité de projet en sanctionnant
la coopération purement circonstancielle et qui réduise les
concurrences abusives entre les communes en matière de taxe
professionnelle.
Afin d'encourager une
véritable intercommunalité de projet, le
groupe de travail avait considéré que
la mesure de
l'intégration fiscale à travers le coefficient
l'intégration fiscale devait aboutir à prendre en compte les
seuls transferts effectifs de compétences entre les communes et leurs
groupements.
Ecartant toute idée d'uniformisation des taux de la taxe professionnelle
au niveau national, le groupe de travail avait, par ailleurs, souhaité
le développement de la
taxe professionnelle
d'agglomération
, outil essentiel pour assurer une solidarité
locale et réduire les concurrences abusives entre les communes.
Les orientations retenues par le groupe de travail de la commission des Lois
avaient en grande partie été reprises dans l
e projet de loi relatif au développement de la
coopération intercommunale déposé au Sénat le
22 avril 1997.
Le
projet de loi relatif au développement
de la coopération
intercommunale
Ce
projet de loi qui a fait suite à des réflexions approfondies,
menées notamment dans le cadre du " pré-rapport relatif
à l'intercommunalité " établi par la Direction
générale des collectivités locales, poursuivait
trois
objectifs principaux
•
La simplification du paysage institutionnel
Ce premier objectif se traduisait par la fusion au sein d'une même
catégorie des districts, des communautés de communes et des
communautés de villes. Une option fiscale au profit de la taxe
professionnelle d'agglomération était ouverte à ces
établissements publics. Des dispositions transitoires étaient
prévues pour la création de cette catégorie unique.
•
La promotion de la taxe professionnelle d'agglomération
La taxe professionnelle unique faisait l'objet de mesures spécifiques,
sans que l'adoption de ce régime fiscal soit systématisé.
Ainsi, les communautés urbaines, créées après 1992,
se voyaient reconnaître la faculté d'opter pour une taxe
professionnelle
unique. La règle de lien entre les taux d'imposition était
assouplie. Les groupements dotés d'une taxe professionnelle
d'agglomération étaient autorisés à instituer une
fiscalité additionnelle sur les impôts-ménages.
•
La correction des critères de répartition de la
dotation globale de fonctionnement
Cette correction était destinée à mieux apprécier
l'intégration effective des groupements et à mieux
répartir la dotation globale des groupements à taxe
professionnelle unique en leur étendant le coefficient
d'intégration fiscale.