2. Des impôts locaux adaptés

L'éventualité d'une protection constitutionnelle de la fiscalité locale rend plus que jamais nécessaire une réforme de celle-ci, en faisant bénéficier les collectivités du produit d'impôts modernes, ou modernisés, qui ne soient pas principalement caractérisés par les injustices qu'ils engendrent entre collectivités ou entre contribuables et qui procurent aux budgets locaux une ressource assise sur la croissance.

Aucune réforme de grande envergure de la fiscalité locale n'a été menée à son terme. La création de la taxe professionnelle a été caractérisée par l'obsession de ne pas bouleverser excessivement les équilibres atteints par l'ancienne patente. L'application à la taxe professionnelle d'une assiette fondée sur la valeur ajoutée prévue par la loi 10 janvier 1980 n'a été mise en oeuvre. La révision des valeurs locatives cadastrales décidée en 1990 a été réalisée mais jamais appliquée. Le projet de remplacer la part départementale de la taxe d'habitation par une taxe départementale sur le revenu a été enterré.

Le Gouvernement issu des élections législatives de 1997 a pour lui le mérite de la constance. Il met en oeuvre avec détermination une politique de réforme de la fiscalité locale en supprimant peu à peu les impôts existants et en les remplaçant par des dotations budgétaires . L'inadaptation des impôts locaux lui permet de rencontrer peu de résistance dans cette entreprise.

Il appartient aujourd'hui aux élus locaux d'élaborer des projets alternatifs. Toutefois, pour être crédibles, ces propositions devront s'appuyer sur des simulations fines de leurs conséquences sur les contribuables et sur les ressources des collectivités locales. Seul le Gouvernement est en mesure de procéder à un tel exercice. La première condition d'une réforme d'envergure de la fiscalité locale réside donc dans la volonté du Gouvernement de " tester ", sans a priori, les différentes réformes possibles .

Plusieurs pistes sont envisageables. La plupart d'entre elles sont connues depuis longtemps, mais la viabilité de leur mise en oeuvre n'a jamais été évaluée sérieusement.

Rénover les impôts existants

La modernisation des impôts actuels pourrait marquer la volonté des collectivités locales de lier fiscalité locale et justice fiscale :

- la taxe d'habitation : le Gouvernement issu des élections législatives de 1997, dans son rapport sur la taxe d'habitation remis au Parlement en application de l'article 28 de la loi de finances pour 2000 a enterré définitivement la révision des bases décidée en 1990 en considérant que les travaux de simulation réalisés à partir des résultats de la révision des bases de 1990 " ont mis en évidence que cette réforme conduit à des transferts entre contribuables, insatisfaisants, tant sur le plan de l'efficacité économique que sur le plan de la justice sociale ".

Pour sauver la taxe d'habitation, il convient donc d'envisager d'autres pistes de réforme de son assiette. Une première piste consisterait à conserver une assiette fondée sur la valeur locative, mais à la rendre plus dynamique en substituant aux valeurs indiciaires actuelles une valeur locative déclarée par le contribuable, à charge pour le législateur de définir un système d'équivalence pour logements habités par leurs propriétaires.

Une deuxième piste consisterait à remplacer l'assiette actuelle de la taxe d'habitation par une assiette fondée sur le revenu, afin de prendre en compte la capacité contributive des contribuables.

Cette idée est ancienne. Elle avait été soutenue par la commission spéciale constituée à l'Assemblée nationale pour examiner le projet de loi devenu la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale. Animée par le souci " d'aller plus loin dans la voie de la personnalisation de l'impôt ", la commission s'était prononcée en faveur d'une réforme tendant à " substituer à la part départementale de la taxe d'habitation un impôt proportionnel sur le revenu. Se trouverait ainsi satisfait le voeu généralement exprimé de lier les impositions locales sur les ménages aux revenus de ces derniers. L'impôt proportionnel serait assis sur des bases très voisines de l'impôt sur le revenu et ne nécessiterait donc aucune déclaration supplémentaire. Il ne s'appliquerait donc qu'aux personnes imposables à l'impôt sur le revenu et serait assorti d'abattements familiaux analogues à ceux qui sont pratiqués en matière de taxe d'habitation. Il serait dû non seulement au titre des résidences principales mais aussi, moyennant une réduction des bases, au titre de chacune des résidences dont le redevable a la jouissance " 369( * ) .

L'article 56 de la loi du 30 juillet 1990 sur la révision des évaluations cadastrales avait posé le principe de la substitution à la part départementale de la taxe d'habitation, d'une taxe proportionnelle sur le revenu mais son application a été reportée par la loi du 15 juillet 1992 portant diverses dispositions fiscales.

Dans son rapport sur la modernisation de la fiscalité locale 370( * ) , notre collègue député Edmond Hervé va plus loin et estime que " l'assiette de la taxe d'habitation doit être constituée par les revenus des habitants (...) Pour des raisons de simplicité et d'équité, nous proposons de retenir les revenus pris en compte pour le calcul de la CSG ". Dans son esprit, ce n'est pas seulement la part départementale mais l'ensemble de l'assiette de la taxe d'habitation qui doit être revue.

Votre rapporteur considère pour sa part que, dans un premier temps, il serait judicieux d'asseoir sur le revenu un impôt perçu par les départements et destiné à financer des dépenses sociales. La CSG, dont l'assiette large touche tous les contribuables mais aussi tous les revenus, permettant ainsi de pratiquer des taux peu élevé, présente les caractéristiques d'un impôt moderne adapté aux besoins des collectivités locales.

- la taxe professionnelle : avec la suppression progressive de la part salariale de son assiette, la taxe professionnelle va devenir un impôt assis uniquement sur les immobilisations, donc sur le capital. Dans son quinzième rapport au président de la République, le Conseil des impôts a établi que c'était précisément cette fraction de l'assiette de la taxe professionnelle qui pénalisait la compétitivité des entreprises. La revendication des organisations représentatives des entreprises d'une suppression de la taxe professionnelle va donc se trouver renforcer.

Il est encore temps de donner sa chance à l'assiette de la taxe professionnelle prévue par la loi du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale, c'est-à-dire la valeur ajoutée . Comme l'a remarqué M. Alain Guengant, professeur à l'université de Rennes, lors de son audition par la mission le 8 mars 2000, la mise en place de la cotation minimale de taxe professionnelle et le plafonnement du montant des cotisations en fonction de la valeur ajoutée tendent à transformer progressivement la taxe professionnelle " au sein d'un tunnel de taux, [en] un impôt calculé au niveau national en fonction de la valeur ajoutée ". La nationalisation de cet impôt, préconisée par le Conseil des impôts, devient progressivement une réalité.

La mise en place de l'assiette " valeur ajoutée " au plan local a souvent été déclarée impossible en raison des difficultés de sa localisation sur le territoire. Votre rapporteur suggère que soit expertisée une éventuelle transposition à la taxe professionnelle de l'assiette du nouvel impôt régional sur les entreprises perçu par les régions italiennes depuis 1998 et dont l'assiette repose sur la valeur ajoutée nette (hors immobilisations).

Une autre solution, avancée par M. Michel Klopfer, mériterait d'être examinée : " si l'on souhaite transformer un impôt archaïque en impôt moderne, une solution existe qui passe à la fois par une assiette nationale (la valeur ajoutée ou, mieux encore, l'excédent brut d'exploitation pour que la masse salariale soit totalement hors-jeu) et par une base locale (les immobilisations limitées aux seules valeurs foncières). La valeur ajoutée n'étant pas localisable sur le territoire, elle serait calculée nationalement pour chaque entreprise et pondérée localement par les implantations utilisées. Chaque collectivité disposerait ainsi comme assiette d'un pourcentage de l'excédent brut d'exploitation de l'entreprise correspondant à la part des immobilisations foncières qu'elle abrite sur son territoire " 371( * ) ;

- les taxes foncières : les taxes foncières, et notamment la taxe foncière sur les propriétés bâties, sont rarement évoquées lors des discussions sur la réforme de la fiscalité locale. Pourtant, cet impôt rapporte plus aux collectivités locales que la taxe d'habitation. Les exonérations et les dégrèvements y sont moins nombreux qu'en matière de taxe professionnelle ou de taxe d'habitation, ce qui permet aux collectivités locales de bénéficier pleinement des augmentations de produit qui résultent des augmentations des taux. De fait, les taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties augmentent plus vite que les taux de la taxe d'habitation. Pourtant, l'assiette des taxes foncières n'est pas plus juste que celle de la taxe d'habitation puisqu'elle repose sur des valeurs locatives qui n'ont pas été révisées depuis 1970 pour les propriétés bâties et 1961 pour les propriétés non bâties.

Lors de son audition par la mission le 8 mars 2000, M. Alain Guengant, professeur à l'université de Rennes, a craint que le recours à la taxe foncière sur les propriétés bâties " ne se heurte un jour à l'absence de révision des bases " et a estimé qu'elle telle éventualité " constituerait une menace pour le maintien d'une fiscalité directe locale ".

A la fin des années 70, M. Jacques Thyraud avait rendu au nom du comité d'études de la politique foncière un rapport qui plaidait en faveur de la transformation des taxes foncières en un impôt déclaratif assis sur la valeur vénale des propriétés. Cette proposition avait été reprise à son compte par la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée d'examiner les dispositions de la loi du 10 janvier 1980 : " L'un des avantages de cette solution est de n'exiger aucune définition des terrains à bâtir, le seul critère étant la valeur vénale qui varie selon les vocations nouvelles attribuées à un terrain. De plus, le caractère très évolutif d'une telle assiette favoriserait une relative stabilité des taux (...) Il deviendrait ainsi possible de juguler certains phénomènes spéculatifs, de mettre fin à des sous impositions choquantes " 372( * ) .

Sans se prononcer sur cette proposition, votre rapporteur suggère qu'elle serve de base à une réflexion sur l'évolution de l'assiette des taxes foncières.

Transférer le produit de certains impôts ?

Dans de nombreux pays, au premier rang desquels l'Allemagne, les recettes fiscales des collectivités locales sont principalement constituées du transfert par l'Etat d'une fraction du produit de certains impôts, selon une clef de répartition prévue par la loi, voire la Constitution.

Des dispositifs de ce type existent également en France, puisque l'Etat reverse à la collectivité territoriale de Corse le produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers perçus dans l'île. Une extension de cette pratique donne lieu à des débats récurrents. Ainsi, lors de l'examen par le Sénat du projet de loi appelé à devenir la loi du 10 janvier 1980, le rapporteur du texte au nom de la commission des finances, notre collègue Jean-Pierre Fourcade, déclarait : " Nous serons obligés d'en venir un jour à la suppression de la taxe d'habitation et à son remplacement par une affectation directe aux collectivités locales d'une partie de l'impôt sur le revenu " 373( * ) .

Au cours de l'été 1999, un article du président de la région Limousin, M. Robert Savy, relançait le débat sur le partage des impôts d'Etat. Votre rapporteur ne se prononce pas en sa faveur car elle ne constituerait qu'une forme améliorée de prélèvements sur les recettes de l'Etat, dont l'expérience a montré que l'Etat n'était pas prêt à fixer les modes d'indexation en partenariat avec les collectivités locales. En outre, cette solution ne permet de maintenir la capacité des collectivités locales à voter le taux des impôts qu'elles perçoivent.

Par ailleurs, cette solution provoquerait des transferts de richesse entre collectivités locales puisque les bases des impôts nationaux ne sont pas réparties sur le territoire de la même manière que celles des actuels impôts locaux.

Transférer certains impôts

Les lois de décentralisation ont prévu que les compétences transférées aux collectivités seraient financées au moins pour moitié par des transferts d'impôts d'Etat. Avec les droits de mutation, la vignette et la taxe sur les cartes grises, les départements et les régions ont ainsi pu bénéficier de ressources certes volatiles, mais globalement dynamiques.

Cette pratique a été abandonnée depuis le milieu des années 80 mais le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer discutée au Parlement au printemps 2000 lui a donné une nouvelle actualité en prévoyant le transfert aux départements d'outre-mer le vote des taux des droits sur les tabacs.

Il conviendrait d'explorer la possibilité de nouveaux transferts. Dans un premier temps, ces transferts pourraient se substituer aux compensations d'exonérations versées par l'Etat aux collectivités locales.

Permettre le vote de taux additionnels aux impôts perçus par l'Etat

En Espagne, depuis 1997, les communautés autonomes peuvent voter des taux additionnels à l'impôt sur le revenu, voire en modifier le barème.

Les solutions de ce type permettent de conserver aux collectivités locales un pouvoir en matière de vote des taux tout en les faisant bénéficier d'impôts modernes et dynamiques. En période de basse conjoncture, les collectivités locales subiraient les mêmes contraintes que l'Etat. Elles présentent également l'avantage de ne pas conduire à des transferts de richesse entre collectivités.

En revanche, elles peuvent se révéler contre-péréquatrices s'il s'avère que les bases des impôts d'Etat sont plus importantes dans les collectivités riches.

Créer de nouveaux impôts

L'Italie a créé en 1997 un nouvel impôt régional sur les entreprises et deux impôts régionaux et communaux additionnels à l'impôt sur le revenu. Ce trois nouveaux impôt ont remplacé d'anciens impôts archaïques.

En France, l'Etat créé à son profit de nouveaux impôts à fort rendement, tels que la contribution sociale généralisée (CSG) ou la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). La même créativité pourrait être utilisée pour procurer aux collectivités locales des sources de revenus modernes et adaptées à leurs besoins et, à terme, remplacer certains des impôts actuels.

Le partage de l'impôt sur le revenu dans plusieurs pays de l'Union européenne

Les différentes modalités de partage de l'impôt sur le revenu entre l'Etat et les collectivités locales dans les pays de l'Union européenne témoignent de la diversité des moyens de faire bénéficier les collectivités locales du produit d'impôts modernes et dynamiques tout en, dans certains cas, préservant ou accentuant leur marge de manoeuvre fiscale.

Pays-Bas

L'impôt sur le revenu, comme l'ensemble des impôts d'Etat, alimente un fonds qui est ensuite reversé aux collectivités locales. Le montant des sommes affectées au fonds est déterminé par le Gouvernement, en fonction de l'évolution des besoins des collectivités, et fait l'objet d'un vote du Parlement.

Allemagne

Le produit de l'impôt sur le revenu est partagé entre l'Etat fédéral et les collectivités locales en fonction d'une clef de répartition fixe : 42,5 % pour l'Etat fédéral, 42,5 % pour les länder et 15 % pour les communes.

Danemark

Outre le barème national, l'impôt sur le revenu comprend un taux provincial, un taux communal et un " complément ecclésiastique communal ".

Les taux de ces trois compléments locaux sont fixés librement par les autorités provinciales et communales. Toutefois, l'addition des taux nationaux et locaux ne doit pas conduire à un prélèvement global supérieur à 58% du revenu imposable d'un contribuable. L'éventuel excédent est restitué au contribuable par l'Etat et les collectivités locales.

Belgique

Les communautés linguistiques et les régions bénéficient du reversement d'une fraction de l'impôt sur le revenu perçu par l'Etat. Les régions peuvent également voter des impôts additionnels à l'impôt sur le revenu ou, au contraire, accorder des remises.

Les communes peuvent créer librement des centimes additionnels à l'impôt d'Etat sur le revenu.

Italie

Depuis le 1 er janvier 1998, une fraction de l'impôt sur le revenu calculé selon le barème d'Etat est prélevée pour le comptes des budgets régionaux. A compter de 2000, le taux, fixé par les régions, est compris entre 0,5 % et 1%.

Depuis le 1 er janvier 1999, les communes perçoivent un impôt additionnel à l'impôt sur le revenu, dont la base est constituée du revenu imposable à l'impôt sur le revenu. Le taux de cet impôt comprend deux composantes : un taux fixe déterminé par l'Etat et un taux variable déterminé par les communes. Il est plafonné à 0,2 %, l'augmentation ne pouvant dépasser 0,5 % en trois ans.

Espagne

Depuis le 1 er janvier 1997, les communautés autonomes ont le pouvoir de voter un barème d'impôt sur le revenu, en complément du barème d'Etat allégé d'autant, ainsi que de moduler les abattements et les réductions d'impôt. En mars 1999, huit communautés autonomes en avaient utilisé cette faculté. Le montant de l'impôt régional sur le revenu ne peut être inférieur ou supérieur de 20 % au montant de l'impôt d'Etat appliqué au même revenu.

Par ailleurs, une fraction de l'impôt perçu par l'Etat doit être reversée aux communautés autonomes. Cette fraction est progressivement portée de 15 % à 30 %.

Depuis 1980 et 1981, au Pays basque et en Navarre, l'impôt sur le revenu, comme l'ensemble des impôts à l'exception de la TVA et des droits de douane, est géré, collecté et perçu par les deux communautés autonomes. Il est prévu que le poids global des prélèvements obligatoires de nature fiscale ne peut être inférieur au poids des mêmes prélèvements perçus par l'Etat.

Source : Direction de la législation fiscale.

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