CHAPITRE IV
UN SYSTÈME DE FINANCEMENT LOCAL
RENOVÉ
La
mission considère que la rénovation du système de
financement local devait comprendre trois axes.
Tout d'abord, elle juge indispensable de garantir l'autonomie fiscale des
collectivités locales en modernisant les impôts locaux (I).
Ensuite, elle souhaite renforcer la dimension péréquatrice des
concours de l'Etat aux collectivités locales et s'orienter vers une
simplification et une amélioration de l'efficacité des
dispositifs existants (II).
Enfin, elle plaide en faveur d'une modification des relations
financières entre l'Etat et les collectivités locales, afin de
lier l'évolution des concours de l'Etat à l'évolution des
contraintes qui pèsent sur les budgets locaux et d'assurer un meilleur
partage de la croissance entre l'Etat et les collectivités locales
(III).
I. LA FISCALITE LOCALE, CONDITION NÉCESSAIRE DE LA LIBRE ADMINISTRATION
La
Constitution du 4 octobre 1958 pose, sans le définir, le principe de
libre administration des collectivités locales. L'article 72 dispose que
les collectivités territoriales de la République
"
s'administrent librement par des conseils élus et dans les
conditions prévues par la loi
". L'article 34 précise
que la loi détermine les principes fondamentaux "
de la libre
administration des collectivités locales, de leurs compétences et
de leurs ressources
", et fixe les règles concernant
"
l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des
impositions de toute nature
", impôts locaux compris.
La tradition française de financement des collectivités locales
par l'impôt a rendu le principe de libre administration indissociable de
la notion d'autonomie financière et fiscale.
Les résultats des enquêtes menées auprès des
élus locaux dans plusieurs régions de France à l'occasion
de la tenue, à l'initiative du Président du Sénat, des
Etats généraux des élus locaux témoignent du lien
étroit entre libre administration et autonomie fiscale dans l'esprit des
élus. Par exemple, 71 % des élus d'Auvergne ayant
répondu à l'enquête ont estimé que la
réduction de l'autonomie fiscale des collectivités n'est pas
compatible avec le principe de libre administration.
A. LA LIBRE ADMINISTRATION NE SE RESUME PAS A LA LIBERTÉ DE DÉPENSER
1. Un modèle possible
La
rédaction actuelle de la Constitution de 1958 ne prévoit pas
explicitement que les collectivités locales bénéficient de
ressources d'origine fiscale. Elle n'établit
a fortiori
pas de
lien entre l'existence d'une fiscalité directe locale et le principe de
libre administration.
Dans la plupart des pays de l'Union européenne, les collectivités
locales s'administrent librement sans pour autant maîtriser
l'évolution de toutes leurs ressources fiscales. En Allemagne, la
Constitution prévoit un partage du produit des impôts d'Etat entre
l'Etat fédéral et les collectivités locales. Les
ressources de celles-ci s'apparentent donc plus à des
prélèvements sur les recettes fiscales de l'Etat, dont le taux
d'indexation serait fixé par la Constitution, qu'à une
fiscalité directe.
En 1995, dans tous les pays de l'Union européenne à l'exception
de la Suède, la part des ressources locales provenant d'impôts
dont les taux sont votés par les collectivités locales
était inférieure à la part de ces ressources dans les
budgets locaux français. Cette plus grande dépendance envers
l'Etat ne semble pourtant pas constituer un obstacle à l'exercice normal
de compétences étendues
358(
*
)
.
Par ailleurs, la capacité réelle des collectivités locales
française à agir sur le montant de leurs recettes fiscales est
parfois mise en doute. Lors de son audition par la mission le 8 mars 2000, M.
Philippe Valletoux, membre du directoire du Crédit local de
France-Dexia, a considéré que "
l'autonomie fiscale des
collectivités locales était réelle en apparence, mais
théorique dans les faits. Il a mis l'accent sur le rôle de l'Etat
en matière de recensement et de calcul de la matière imposable,
de fixation des règles de plafonnement et de liaison des taux des taxes
directes locales, enfin d'exécution des tâches administratives de
recouvrement et d'encaissement de l'impôt local
".
Ces éléments peuvent conduire à considérer que le
coeur de la libre administration des collectivités ne réside pas
dans leur mode financement mais dans leur latitude à décider
librement de leurs dépenses. Cette conception a été
relayée par la secrétaire d'Etat chargée du budget
à l'occasion du débat au Sénat sur la suppression de la
part régionale de la taxe d'habitation : "
On peut soutenir
que la libre administration s'entend essentiellement de la liberté
d'emploi des ressources, le législateur devant veiller à ce
qu'elles soient suffisantes en quantité pour permettre aux
collectivités locales d'exercer les compétences qui leur sont
dévolues
"
359(
*
)
.
Un tel raisonnement avait déjà été tenu par le
Gouvernement dans les observations qu'il a présentées au Conseil
constitutionnel lorsque celui-ci a été amené à se
prononcer sur la conformité à la Constitution de certaines
dispositions de la loi de finances pour 1999 : "
la libre
administration repose
essentiellement, pour être effective, sur la
libre disposition des sommes nécessaires à l'exercice de leurs
compétences par les collectivités locales. Aucune règle
constitutionnelle n'implique de privilégier une catégorie de
ressources par rapport à une autre
".
Au cours de l'assemblée plénière du Conseil
économique et social du 20 juin 2000, la rapporteuse au nom de la
section des économies régionales et de l'aménagement du
territoire d'un projet d'avis relatif à la décentralisation et au
citoyen a estimé que le débat sur la nature des ressources des
collectivités locales ne constituait pas un véritable
enjeu : "
Peut-être,
a-t-elle déclaré
,
conviendrait-il de mettre un terme au débat sur le choix qu'il serait
indispensable d'opérer entre les dotations de l'Etat et la
fiscalité locale. L'essentiel est plutôt de permettre à ces
collectivités d'assurer leurs compétences et de répondre
aux besoins, quelle que soit l'origine de leurs moyens financiers
".