H. LES INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES DES COLLECTIVITÉS LOCALES : ADAPTER LE DROIT AUX RÉALITÉS LOCALES
Les
interventions économiques des collectivités locales peuvent
être utiles et efficaces, à la condition d'être
engagées et conduites dans un contexte juridique encadrant
convenablement leur liberté de manoeuvre.
Comme le soulignait notre collègue Daniel Hoeffel, rapporteur du groupe
de travail de la commission des lois sur la décentralisation
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*
)
, les collectivités locales
ont
un rôle essentiel à jouer pour maintenir un certain niveau
d'équité sociale et territoriale
. Elles peuvent contribuer
à créer un cadre cohérent pour les entreprises et
promouvoir des projets collectifs. A travers des démarches
partenariales, les élus locaux, qui connaissent le tissu
économique, sont bien placés pour identifier les besoins et
imaginer des solutions pour l'emploi local.
Or, comme on l'a vu, l'efficacité des interventions économiques
des collectivités locales est mise en question par la
complexité du cadre juridique national,
en décalage avec
la réalité, à laquelle s'ajoutent les incertitudes
résultant de son
défaut d'harmonisation avec le droit
communautaire
d'inspiration plus libérale. Ainsi, la distinction
entre les aides directes et les aides indirectes -que la loi n'a pas
définie précisément- s'avère d'autant moins
pertinente que le Traité de Rome ne la prend pas en compte. Les
dispositions communautaires applicables résultent d'actes de la
Commission européenne dont la valeur juridique demeure incertaine. Les
collectivités locales ne sont pas suffisamment averties des obligations
de notification à la Commission européenne auxquelles elles
doivent se soumettre.
M. Emile Zuccarelli, précédent ministre de la fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation,
avait élaboré un projet de loi, destiné à
simplifier la législation nationale et à l'adapter au cadre
communautaire, qui n'a pas été présenté au
Parlement.
LE " PROJET ZUCCARELLI "
Le
" projet Zuccarelli " se proposait de supprimer la distinction
entre aides directes et aides indirectes et de lui substituer un régime
unique de subventions dont les collectivités locales
détermineraient elles-mêmes les critères d'attribution dans
la limite de taux plafonds fixés par référence aux
plafonds admis par la Commission européenne. Le projet supprimait donc
la prime régionale à l'emploi, la prime régionale à
la création d'entreprise, les bonifications d'intérêts, les
prêts et avances à des conditions plus favorables que le taux du
marché, de même que toutes les aides à l'immobilier
d'entreprise ainsi que la possibilité de financer ou d'accorder sans
limitation de montant des aides en nature aux entreprises.
En outre, le projet plafonnait le montant total annuel des dépenses des
collectivités locales et des groupements en faveur des entreprises
à un pourcentage de leurs recettes de fonctionnement.
Les nouveaux moyens d'intervention prévus par le projet de loi
A la place des aides qu'il supprimait, le projet dotait les
collectivités locales de moyens d'interventions nouveaux qui devaient
leur permettre de soutenir la création et le développement
d'entreprises par des subventions aux investissements et en facilitant leur
accès au crédit et au renforcement de leurs fonds propres.
•
Les subventions
Les subventions auraient pu être distribuées par les communes, les
départements, les régions et les groupements intercommunaux au
profit d'investissements matériels ou immatériels ; mais
elles n'auraient concerné que les entreprises de moins de 250
salariés.
Le montant des subventions aurait été plafonné à
600 000 francs, dans la limite de 50 % de l'investissement
réalisé.
•
L'accès au crédit
Le projet prévoyait de permettre aux collectivités locales et
à leurs groupements de doter des fonds de garantie auprès de
société de garantie sans forcément être actionnaires
de ces établissements.
•
Le renforcement des fonds propres
Deux modalités d'intervention nouvelles auraient été
offertes aux collectivités locales :
1° - Possibilité de doter des fonds d'investissement auprès
de sociétés de capital-investissement ;
2° - Possibilité de prendre en charge les commissions dues par les
bénéficiaires de garanties d'apport en fonds propres.
Dans l'attente d'une réforme, une circulaire récente du Premier
ministre, en date du 8 février 1999, relative à
l'application au plan local des règles relatives aux aides publiques, a
tenté de mettre au clair ce qui est autorisé et ce qui est
interdit par combinaison du droit national et du droit européen. Ce
texte, certainement utile pour guider les élus locaux dans leurs
initiatives, ne suffit pas cependant à clarifier une situation confuse.
Votre mission considère qu'une
meilleure coordination avec le droit
communautaire
est un objectif prioritaire, afin de faire
bénéficier les territoires des fonds structurels européens
dans les meilleures conditions. Il faut en particulier abandonner la
distinction entre
aides directes et indirectes
et redéfinir les
interventions en fonction des plafonds communautaires, en prenant en compte des
éléments objectifs tels que le coût des opérations
subventionnées ou la taille de l'entreprise.
Il paraît souhaitable de rechercher une plus grande
complémentarité entre les différentes
collectivités, en organisant des partenariats, à partir de
l'approche globale d'un projet économique.
Afin de
garantir les collectivités locales
contre les risques
financiers encourus, les ratios prudentiels existants devraient être
préservés, ce qui n'exclut pas de recourir à de nouveaux
critères. Ainsi, la participation d'une collectivité au
financement d'un projet pourrait être plafonnée en fonction de la
charge relative qui en résulterait pour son budget.
Le réalisme et la prudence qui devraient guider toute réforme des
interventions économiques des collectivités locales n'interdisent
pas l'innovation et l'audace.
C'est ainsi que le Sénat a adopté le 10 février 2000
une
proposition de loi
(n° 254, 1998-1999) tendant à
favoriser la
création et le développement des entreprises sur
les territoires
, issue des travaux du groupe de travail " Nouvelles
entreprises et territoires ", constitué au sein de la commission
des affaires économiques, et animé par nos collègues
Jean-Pierre Raffarin et Francis Grignon. Parmi un ensemble de mesures
destinées à promouvoir la création d'entreprises, ce texte
ouvre des
perspectives novatrices à l'action publique locale
.
Votre mission tient à souligner tout l'intérêt de ce
dispositif, qui permettrait aux collectivités locales de contribuer
à la naissance et au développement des entreprises innovantes.
LA
PROPOSITION DU SÉNAT EN FAVEUR DE LA CRÉATION
ET DU
DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES
Le
Sénat, souhaitant améliorer l'environnement de la création
d'entreprises dans une logique de développement local mieux
réparti, plus durable et plus harmonieux, a adopté la proposition
de loi, présentée par MM. Raffarin, Grignon et plusieurs de
leur collègues, tendant à favoriser la création et le
développement des entreprises sur les territoires. Le Sénat
entend ainsi veiller au développement territorial, faciliter les
financements de proximité, simplifier le statut juridique et social de
l'entrepreneur et, d'une manière générale, favoriser
l'essor des petites et moyennes entreprises.
Quatre articles de la proposition de loi sénatoriale concernent plus
spécifiquement les collectivités territoriales. Les modifications
qu'ils contiennent avaient déjà été introduites par
le Sénat lors de la discussion de la loi n° 99-533 du
25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, mais le Gouvernement s'y
était opposé, au motif de la discussion à venir d'un
projet de loi réformant le régime des interventions
économiques des collectivités locales (projet Zuccarelli).
L'article 3 de la proposition de loi a trait à la participation des
collectivités territoriales à la création
"
d'incubateurs territoriaux
". A la différence d'une
pépinière d'entreprises, un incubateur accueille les porteurs de
projets avant même la création de leur entreprise, et les
accompagne tout au long de celle-ci. Si le Gouvernement envisage de faciliter
la création de structures de ce type au sein des universités et
des organismes de recherche, aucune disposition ne le permet à l'heure
actuelle pour les collectivités territoriales.
La proposition de loi vise donc à combler un vide juridique, en donnant
la possibilité aux collectivités territoriales et à leurs
groupements de mettre à la disposition des porteurs de projets
" des locaux, du matériel, des moyens, y compris humains "
- voire des équipements - afin qu'ils puissent notamment
réaliser un plan de financement de leur projet de création
d'entreprise. Une convention est conclue entre le bénéficiaire et
la collectivité : elle fixe d'ailleurs, le cas échéant, le
montant d'une bourse dont le bénéficiaire peut
bénéficier pendant deux ans au plus, sous certaines conditions,
afin " d'atténuer (...) les conséquences financières
sur sa situation individuelle de son projet de création
d'entreprise ".
Cette bourse serait réservée, sous conditions de ressources, aux
jeunes créateurs d'entreprises de moins de 25 ans.
Plusieurs partenaires (collectivités, établissements publics,
SEML, etc.) peuvent décider d'effectuer en commun cette mise à
disposition : ils signent alors une convention entre les différents
partenaires, déterminant notamment le mode de sélection des
porteurs de projets.
L'article 3 permet également aux collectivités locales de
participer la constitution ou à l'abondement de " fonds
d'amorçages territoriaux ". Ces fonds d'investissement,
appelés à intervenir avant même le recours au
capital-risque, pourraient ainsi agir à l'échelon local. La
participation financière des collectivités territoriales pourrait
y être indirecte, en finançant les frais d'instruction des petits
dossiers : sinon, toute participation directe sera soumise à un plafond
(défini ultérieurement par décret en Conseil d'Etat),
étant établi que de toute façon " la part des
concours financiers publics au fonds d'amorçage ne peut excéder
la moitié du total des concours ".
L'article 4 institue un
label de
"
pôle d'incubation
territorial
", décerné dans le cadre du contrat de plan
Etat-région, et qui pourrait permettre à ce pôle
d'accéder à des aides et à des avantages fiscaux
spécifiques.
Il instaure par ailleurs, à l'appréciation des
collectivités locales, une possibilité d'exonération
totale ou partielle de la taxe professionnelle pour les entreprises qui ont
été créées grâce à l'action d'un
pôle d'incubation territorial, pour une durée maximale de trois
ans.
L'article 6 encadre le soutien financier des collectivités territoriales
aux organismes qui distribuent des
avances remboursables
, soutien qui
pour l'heure relève d'une pratique sans fondement légal.
Deux plafonds sont ainsi prévus, aucune collectivité ne pouvant
apporter à elle seule plus de 30 % des fonds distribués par
un tel organisme, et l'ensemble des concours publics reçus par celui-ci
ne pouvant en excéder 60 % (70 % dans certaines zones
définies par la loi " Pasqua " du 4 février 1995).
Enfin, l'article 8 a directement trait aux avances remboursables dont peuvent
bénéficier, sous certaines conditions, les créateurs
d'entreprises : c'est-à-dire des prêts, sans
intérêt, financés par l'Etat, remboursables sous cinq ans.
Il prévoit que les collectivités territoriales peuvent contribuer
à la mise en oeuvre et au financement de ces avances, par le biais d'une
convention passée avec l'Etat.