3. Un droit à l'expérimentation sur la base du volontariat
Dans une
société complexe, l'action publique doit pouvoir
s'adapter
en permanence aux nouveaux défis qui se présentent à
elle.
Cette exigence d'adaptation qui s'impose notamment à l'action publique
locale, implique une
certaine souplesse
dans le cadre juridique
d'exercice des compétences. Elle peut également justifier
qu'avant que de nouvelles compétences ne leur soient
transférées, les collectivités locales puissent les avoir
expérimentées.
Cette méthode n'est pas inconnue de notre législation. Outre
qu'il a pu prévoir dans certains domaines des dispositifs limités
dans le temps afin de pouvoir en dresser un bilan et apprécier
l'opportunité de les reconduire, le législateur a
également mis en place de
véritables
expérimentations
.
Le transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional ou
le domaine social donnent une illustration de cette méthode.
Un
exemple d'expérimentation en matière de compétences :
le transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt
régional
338(
*
)
La
décentralisation du transport ferroviaire régional s'est
effectuée en plusieurs étapes.
Envisagée, dès 1974, par M. Olivier Guichard, elle a fait l'objet
d'une expérience intéressante dans la région
Nord-Pas-de-Calais à la fin de la décennie. La loi d'orientation
des transports intérieurs du 30 décembre 1982 a par la suite
ouvert à la SNCF et aux régions la faculté de signer des
conventions.
A la suite du rapport de nos collègues Hubert Haenel et Claude Belot, au
nom de la commission sénatoriale d'enquête sur la SNCF, la loi
d'orientation du 4 février 1995 (article 67) a organisé une
expérimentation de la régionalisation. En application de ces
dispositions et de celles de l'article 15 de la loi n° 97-533 du 25 juin
1997 portant création de l'établissement public
" Réseau ferré de France ", une expérimentation
a été engagée dans six puis dans sept régions
volontaires (Alsace, Centre, Nord-Pas-de-Calais, Pays de la Loire,
Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes et Limousin).
L'expérimentation, qui devait en principe s'achever le 31
décembre 1999, a été prolongée de deux ans par
l'article 21 de la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire. Cette
expérimentation a posé les principes d'un transfert de
compétences de l'Etat vers les régions pour les transports
collectifs d'intérêt régional.
Le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains prévoit de transférer à l'ensemble des
régions les compétences que détient l'Etat en
qualité d'autorité organisatrice du transport ferroviaire de
voyageurs d'intérêt régional. Ce transfert de charges doit
être compensé sous la forme d'un versement par l'Etat, d'une
compensation annuelle indexée. Les régions conclurait une
convention avec la SNCF, fixant les conditions d'exploitation et de financement
des services relevant de la compétence régionale. Un bilan de ce
transfert devrait être établi cinq ans après
l'entrée en vigueur de la réforme.
En 1998, l'Etat a versé
2,813 milliards de francs
aux
régions expérimentatrices, lesquelles ont prévu
d'investir
6 milliards de francs
dans la nouvelle
génération des trains TER et dans les rénovations de
matériels.
Deux cent
rénovations de gares
ont
été réalisées en partenariat avec les
régions, les départements et les communes. On estime que
l'expérimentation a permis une augmentation de
6%
du nombre de
trains en 1998 contre 2,3% dans les régions non expérimentales.
La SNCF s'est pour sa part montrée satisfaite de
l'expérimentation en termes de niveau d'activité.
Le Sénat a souscrit au choix de la date du
1
er
janvier
2002
pour la généralisation de la régionalisation du
transport ferroviaire régional. En revanche, il a souligné que la
ressource prévue par le projet de loi au titre de la compensation
financière des régions
était très insuffisante.
Il a relevé qu'en ne prenant en compte que les déficits
courants d'exploitation qui seront constatés en 2000 et la dotation
nécessaire au renouvellement du matériel roulant, la compensation
envisagée faisait l'impasse sur un certain nombre de
charges
,
notamment l'indispensable modernisation des gares régionales et le
manque à gagner généré par les tarifs sociaux
décidés et mis en oeuvre par l'Etat. En outre, les
modalités d'évolution
prévues pour la compensation lui
sont apparues comme sans rapport avec une
vision dynamique
du
développement du service public ferroviaire régional. Le
Sénat a donc adopté une série de modifications
inspirées de la volonté de compensation équitable des
charges nouvelles qui seront supportées par les régions, afin de
donner à celles-ci les moyens véritables d'exercer les missions
qui leur sont ainsi confiées.
Expérimentations et initiatives locales en matière sociale
Le
revenu minimum d'insertion
a fait l'objet de diverses
expérimentations à l'initiative des collectivités locales
avant l'entrée en vigueur de la loi du 1
er
décembre
1988.
Deux catégories d'expérimentations peuvent être
distinguées : certaines expériences résultent d'une
démarche propre des collectivités locales, parfois en relation
avec l'association ATD-Quart Monde : dès février 1985, le
département de l'Ille-et-vilaine met en place un revenu minimum familial
garanti (RMFG) qui sera transformé, en juin 1986, en un dispositif de
complément local de ressources (CLR) dans le cadre d'une convention
associant l'Etat, le conseil général d'Ille-et-Vilaine et les
communes ; le conseil général du Territoire de Belfort
crée en mars 1986, avec l'aide de l'Etat, un dispositif
dénommé " contrat-ressources personnalisé
d'autonomie ".
Le succès des expériences précitées a conduit
l'Etat à solliciter les collectivités locales pour élargir
le champ des expériences. Par circulaire n° 86-23 du 29 octobre
1986, parfois appelée " circulaire Zeller ", l'Etat propose de
s'associer au financement des compléments locaux de ressources (CLR) qui
lui seront proposés par les collectivités locales. Ce dispositif
qui laisse une liberté de choix à l'échelon territorial
aboutira à la mise en place de CLR par voies de convention dans
plusieurs départements. Notre ancien collègue, M. Pierre Louvot,
dans son rapport sur le projet de loi relatif au RMI, avait ainsi
analysé les CLR mis en place dans le Doubs, en Indre-et-Loire, dans la
ville de Grenoble avec le concours du département de l'Isère,
dans la Marne, en Haute-Loire, dans le Rhône et dans la Sarthe.
Près de 25 dispositifs locaux seront ainsi recensés par le CERC
dans une étude de 1988
339(
*
)
.
Les solutions innovantes retenues par les collectivités locales en
matière de droits dérivés (aide à l'accès au
logement, dispositifs de réinsertion) et les enseignements concrets des
expériences conduites sur le terrain ont été utiles lors
de la préparation de la loi de 1988 dont on peut regretter qu'elle n'ait
pas toujours appliqué les principes décentralisateurs à
l'oeuvre dans les expériences initiales.
La
prestation dépendance
a également fait l'objet
d'expérimentations. A l'initiative de la commission des Affaires
sociales du Sénat, la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994
relative à la sécurité sociale comportait une disposition
(article 38) autorisant des
" dispositifs expérimentaux d'aide
aux personnes âgées dépendantes "
.
Quelques principes simples ont été alors retenus : tout
d'abord, les expérimentations devaient être conduites dans le
cadre de conventions conclues entre les départements, des organismes de
sécurité sociale et, éventuellement, d'autres
collectivités territoriales, dans le cadre d'un cahier des charges
établi sur le plan national.
Par ailleurs, un Comité national était chargé
d'évaluer les résultats des expérimentations, montrant
ainsi la volonté du législateur de ne pas préjuger des
résultats définitifs.
Douze départements sur plus de quarante postulants ont été
retenus pour l'expérimentation qui a été lancée
à compter de la publication du cahier des charges en octobre 1995.
Il est à noter que cette expérimentation a été
interrompue de manière anticipée du fait du dépôt
d'un projet de loi sur la prestation spécifique dépendance par le
gouvernement de M. Alain Juppé en octobre 1995.
Ces expérimentations permettent de rechercher de manière
pragmatique dans quelles conditions l'action publique pourra être
conduite de la manière
la plus efficace
.
Dès lors qu'elles ne mettent pas en cause
l'égalité
devant la loi des citoyens et des entreprises situées sur le territoire
concerné, elles apparaissent parfaitement compatibles avec le cadre
fixé par la Constitution.
C'est pourquoi, votre mission d'information souhaite qu'un véritable
droit à l'expérimentation soit reconnu aux collectivités
locales dans le domaine des compétences.