CHAPITRE II
DES COMPÉTENCES CLARIFIÉES ET
RENFORCÉES
Entre
une logique de répartition des compétences qui aboutirait
à une spécialisation illusoire des différents niveaux et
une situation de cogestion généralisée source de confusion
de l'action publique, votre mission d'information a estimé qu'il
était possible de privilégier une
démarche
intermédiaire
qui, tout à la fois, cherche à clarifier
les compétences par grands secteurs de la vie sociale et préserve
la mise en oeuvre de formules partenariales entre l'Etat et les
collectivités, entre collectivités elles-mêmes.
Cette démarche pragmatique est confortée par l'expérience
de près de vingt ans de mise en oeuvre de la décentralisation.
D'un côté, peu nombreux sont les domaines de l'action publique qui
ne justifient pas
l'intervention de plusieurs niveaux
. La pratique des
cofinancements
est souvent indispensable pour faire aboutir des projets
utiles au développement des territoires. Cependant l'efficacité
de l'action publique et le droit des citoyens de connaître la destination
des deniers publics commandent que les
partenariats
soient
développés dans un
cadre rénové qui garantisse
l'équilibre des relations entre les différents partenaires.
D'un autre côté, le maintien de formes de partenariats ne doit pas
dispenser de rechercher une
répartition plus homogène des
compétences
entre les différents niveaux. Cette
démarche est source d'efficacité mais aussi de clarté pour
les citoyens qui doivent pouvoir identifier clairement les vocations
principales des administrations publiques. Elle peut justifier certains
ajustements de compétences
qui doivent reposer, dans chaque cas,
sur la recherche du
niveau le plus adéquat.
Mais ces
ajustements
ne peuvent être acceptables que si, au
préalable, le cadre juridique et financier d'exercice des
compétences est
clarifié.
C'est pourquoi, votre mission d'information considère que toute
clarification des compétences est subordonnée à une
amélioration du cadre juridique
dans lequel elles sont
exercées (I).
C'est sous cette réserve que peut être recherchée une
rationalisation de la répartition des compétences
au service
d'une meilleure efficacité de l'action publique (II).
I. UN PRÉALABLE : UNE AMÉLIORATION DU CADRE JURIDIQUE ET FINANCIER D'EXERCICE DES COMPÉTENCES
A. DES PRINCIPES MIEUX AFFIRMÉS POUR L'EXERCICE DES COMPÉTENCES TRANSFÉRÉES
1. Une compensation intégrale et évolutive des charges transférées
La loi
du 2 mars 1982 a posé, à juste titre, le principe d'une
compensation des charges transférées par des ressources fiscales
et, pour le solde, par des attributions budgétaires.
Ce système
souple
et
dynamique
ne permet pas, par
construction, une compensation intégrale des charges
transférées puisque les recettes transférées
évoluent selon un rythme qui leur est propre, différent du
coût des compétences. La compensation pourrait donc aussi bien
être favorable que défavorable. En pratique, elle est
défavorable
, même si les résultats sont
différents selon les compétences et selon les
collectivités. Globalement, le système de compensation a toujours
été défavorable aux régions et est
défavorable aux départements depuis 1994
336(
*
)
.
Les transferts de compétences se sont donc traduits pour les
collectivités locales soit par une
augmentation de leur
fiscalité,
soit par
l'éviction d'autres dépenses
obligatoires.
Le caractère défavorable des compensations s'accentue depuis que
l'Etat a renoncé, au milieu des années 80, à les financer
par des transferts d'impôts et a privilégié la voie de la
compensation budgétaire, notamment par le biais de la dotation
générale de décentralisation (DGD). La DGD est
indexée sur le taux d'évolution de la DGF alors que les
impôts transférés, la vignette, les droits de mutation et
les cartes grises, progressent à un rythme dynamique quoique sujet
à des fluctuations fortes d'un exercice à l'autre.
Le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains discutée au Parlement au printemps 2000, et en particulier ses
dispositions relatives à la régionalisation de la
compétence ferroviaire, introduit une nouveauté de nature
à rendre encore plus défavorable le taux de couverture des
charges transférées par les recettes transférées.
En effet, il remet en cause le principe selon lequel la compensation est
intégrale
au moins à la date du transfert (les ressources
transférées sont égales au coût pour l'Etat de la
compétence lorsqu'il la transfère) puisque l'assiette de la
compensation a été déterminée à partir d'un
audit ancien, réalisé en 1994 par un cabinet privé
d'audit, et qui ne prend pas en compte des dépenses certaines à
venir, telles que la rénovation des gares, la compensation des tarifs
sociaux décidés par l'Etat ou les régionalisation de
lignes à venir.
A la lumière de ces éléments, il conviendrait de :
Tirer les conséquences du rôle croissant joué par la
DGD en revalorisant son mode d'indexation
.
Lorsque l'indexation de la DGD sur la DGF a été
décidée, en 1983, la DGF était elle-même
indexée sur l'évolution du produit le la TVA, qui est un
impôt à fort rendement
. Il serait donc opportun de revenir
à l'esprit d'origine. Plusieurs modes d'indexation sont
envisageables :
- une solution a minima consisterait à considérer que
l'indice
de la DGF
prévu à
l'article L. 1613-1
du code
général des collectivités territoriales, qui prend en
compte l'évolution des prix et 50 % du taux de croissance du
produit intérieur brut, constitue un taux plancher. Si, une
année, la DGF augmente plus vite que l'indice prévu par le code
général des collectivités territoriales, son taux
d'évolution est retenu. Si elle augmente moins vite, l'indice de la DGF
est appliqué ;
- une solution plus équitable consisterait à indexer la DGD sur
l'évolution des recettes fiscales nettes de l'Etat
, en francs
constants et à périmètre du budget de l'Etat constant. De
cette façon, les ressources servant à financer les
compétences transférées évolueraient au même
rythme que les ressources de l'Etat. En cas de mauvaise conjoncture, les
collectivités participeraient à l'effort national en voyant leurs
recettes diminuer dans les mêmes proportions que celles de l'Etat.
Une indexation de la DGD sur l'évolution du coût des
compétences transférées doit en revanche être exclue
car elle serait profondément inflationniste, les collectivités
étant assurées de voir leur DGD augmenter si elles augmentent
leurs dépenses.
Mieux tenir compte des modifications législatives et
réglementaires qui affectent l'exercice des compétences
transférées.
Le droit actuel prévoit que "
toute charge nouvelle incombant
aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'Etat,
par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice
des compétences transférées est
compensée
". Le montant des compensations est donc
révisé seulement lorsque le coût des compétences
augmente du fait de modifications réglementaires. En cas de modification
législative, la révision du montant des compensations n'est pas
obligatoire.
Par exemple, la DGD des départements n'a pas été
modifiée par la création du revenu minimum d'insertion (RMI), qui
a pourtant renchéri le coût de la compétence en
matière d'aide sociale car, juridiquement, la mise à la charge
des départements du volet " insertion " du RMI ne constituait
pas un transfert plein et entier de compétence, seul susceptible de
donner lieu à compensation.
Un dispositif de
révision périodique
du montant de la base
des compensations, sous l'égide de la commission consultative sur
l'évaluation des charges, devrait être mis en place. De plus, le
caractère automatique de la compensation devrait être
étendu aux modifications par voie législative des règles
relatives à l'exercice des compétences transférées.
S'assurer que la compensation est intégrale à la date du
transfert
.
Une telle préconisation ne devrait pas avoir lieu d'être puisque
la loi le prévoit déjà. Toutefois, le
précédent de la régionalisation du transport ferroviaire
incite à la prudence.
Une procédure d'avis de la commission consultative sur
l'évaluation des charges devrait être envisagée.
Revoir la procédure de consultation de la commission consultative
sur l'évaluation des charges
L'article L. 1614-3
du code général des
collectivités territoriales prévoit que la commission
consultative sur l'évaluation des charges (CCEC) émet un avis sur
les modalités de compensation des transferts de charges, ou les
modalités de diminution des ressources locales en cas de
recentralisation de compétence.
En pratique, la portée de cet avis est faible. Par exemple, dans le cas
de la recentralisation de la compétence d'aide médicale par la
loi du 25 juillet 2000 relative à la couverture maladie universelle
(CMU), la CCEC n'a pas été consultée à l'occasion
de l'élaboration du projet de loi " CMU ". Elle n'a pas non
plus été consultée sur le montant de la réduction
de la DGD des départements inscrit dans le projet de loi de finances
pour 2000. Elle s'est réunie après coup, en décembre 1999,
pour donner son avis sur l'arrêté de répartition de la
baisse de la DGD entre les différents départements.
De même, la CCEC ne se prononcera pas sur le montant de la compensation
aux régions du transfert de la compétence ferroviaire avant son
inscription dans la loi de finances pour 2001. Elle se prononcera après,
pour apprécier la répartition de ces crédits entre les
régions.
Cette procédure curieuse vient sans doute d'une interprétation
stricte de la rédaction du code général des
collectivités territoriales qui prévoit que "
le montant
des dépenses résultant des accroissements et diminutions de
charges est constaté
pour chaque collectivité
par
arrêté
conjoint du ministre chargé de
l'intérieur et du ministre chargé du budget
,
après
avis
" de la CCEC. Cette rédaction peut laisser entendre que la
CCEC doit apprécier la répartition d'une enveloppe donnée
entre les collectivités prévue par un arrêté, mais
n'est pas compétente pour se prononcer sur le montant total de
l'enveloppe.
Il conviendrait de la modifier pour préciser que la CCEC doit se
prononcer sur le montant des compensations inscrit dans les projets de loi de
finances, quitte à se réunir à nouveau pour donner son
avis sur l'arrêté de répartition des crédits entre
les collectivités.