B. L'EFFICACITÉ DE LA GESTION DECENTRALISÉE

1. L'assainissement financier

La situation financière des collectivités locales 14( * ) n'est pas uniforme. De fortes disparités sont constatées au sein de chaque catégorie de collectivités, entre les différentes strates de population et même au sein de chaque strate. Par conséquent, de même que les excès constatés ça et là dans les années 80 n'ont jamais été représentatifs de la situation financière des collectivités locales, il convient en préambule de rappeler que le redressement spectaculaire constaté depuis le milieu des années 90 ne concerne malheureusement pas tous les exécutifs locaux.

Malgré cette réserve, il est aujourd'hui avéré que, dix-huit ans après les lois de décentralisation, les gestionnaires locaux, élus et fonctionnaires territoriaux, ont acquis une expertise en matière financière qui produit des résultats auxquels l'Etat serait bien en peine d'aboutir.

Cette expertise se manifeste par le caractère de plus en plus sophistiqué de la gestion financière des collectivités, notamment en matière de gestion de trésorerie. A ce sujet, il est frappant de constater que la revendication de la possibilité pour les collectivités d'émettre des billets de trésorerie à court terme rencontre un écho grandissant. Dans le même ordre d'idée, on constate que les collectivités hésitent de moins en moins à affronter l'épreuve de la notation par des agences telles que Moody's ou Standard and Poor's, étape obligatoire pour les collectivités qui veulent pouvoir accéder aux financements obligataires et aux marchés financiers.

Mais avant tout, l'expertise des collectivités locales se manifeste par leurs performances en matière budgétaire. Les collectivités ont mené depuis le milieu des années 90 une véritable stratégie d'assainissement financier, orientée autour de deux axes :

la maîtrise des dépenses de fonctionnement

Les dépenses totales des collectivités locales ont progressé beaucoup moins vite entre 1993 et 1999 (+ 20,5 %) qu'au cours de la période 1988-1993 (+ 34,8 %) 15( * ) . Cette réduction est due en partie à la forte diminution des dépenses d'investissement, mais également à une modération des dépenses de fonctionnement (+ 23,2 % contre + 36,9 %).

Evolution des dépenses des collectivités locales

(en %)

 

1993/1988

1999/1993

1. Dépenses totales

+ 34,8

+ 20,5

2. Dépenses de fonctionnement

+ 36,9

+ 23,2

Intérêts

+ 34,4

- 31,3

Dépenses de fonctionnement hors intérêt, dont :

+ 37,1

+ 29,5

Frais de personnel

+ 37,8

+ 34,3

Transferts

+ 31,9

+ 32,2

Autres (dont achats de biens et services)

+ 41

+ 22,6

3. Dépenses d'investissement, dont :

+ 31,6

+ 16,1

Remboursement de dette

+ 24,8

+ 81,7

Equipement brut

+ 23,7

+ 5,9

Données chiffrées : Guide statistique de la fiscalité locale 1999, DGCL. Les données relatives aux exercices 1998 et 1999 sont des estimations.

Le ralentissement de la progression des dépenses de fonctionnement des collectivités locales coïncide avec l'amélioration du contexte macroéconomique et la baisse des taux d'intérêt, qui ont permis de réduire spectaculairement les frais financiers des collectivités locales . Ainsi, alors que les intérêts de la dette avaient augmentés de 34 % entre 1988 et 1993, ils ont enregistré une diminution de 31 % entre 1993 et 1999.

L'évolution de la conjoncture économique ne suffit cependant pas à expliquer le ralentissement de l'évolution des dépenses de fonctionnement, ni même la baisse de la charge d'intérêt. A ce sujet, il convient de souligner que les collectivités locales ont su s'adapter au mieux au retournement de conjoncture en pratiquant une politique de gestion active de leur dette . Anticipant le mouvement durable de baisse des taux, " l'ensemble des collectivités locales s'est alors engagé, avec les grands établissements prêteurs, dans un processus de renégociation de dette, afin de bénéficier, même au prix de pénalités, de la baisse générale des taux d'intérêt. " 16( * ) La réduction des charges d'intérêt aurait donc vraisemblablement été d'une ampleur moindre si les collectivités étaient restées passives.

Les autres dépenses de fonctionnement n'ont pas enregistré de baisse depuis le milieu des années 90. Néanmoins, leur rythme de progression a ralenti ( + 29,5 % au cours de la période 1993-1999 contre 37,1 % entre 1988 et 1993), à tel point que l'épargne de gestion des collectivités locales (la différence entre les recettes et les dépenses de fonctionnement) augmente à un rythme très élevé depuis 1996 (12 % en 1996, 9,6 % en 1997, 8,3 % en 1998).

L'évolution de la structure des dépenses de fonctionnement montre que les collectivités auraient pu aller plus loin dans la maîtrise des dépenses de fonctionnement si elles avaient été entièrement maîtresses de l'évolution de leurs dépenses. Le rythme de progression des dépenses que l'on peut qualifier de " contraintes ", les frais de personnel et les transferts (qui regroupent les transferts sociaux, mais également les contingents d'aide sociale ou d'incendie et de secours ou encore les versements à des structures intercommunales), ne s'est significativement pas ralenti entre 1993 et 1999. En revanche, les autres dépenses de fonctionnement, et notamment les achats de biens et services, ont évolué entre 1993 et 1999 près de deux fois moins vite qu'au cours de la période précédente (+ 22,6 % contre + 41 %).

Il semble donc que les collectivités locales aient compensé l'augmentation mécanique de certaines de leurs dépenses de fonctionnement par des économies sur les autres postes de dépense, notamment l'équipement des services. Cette tendance est accentuée depuis les accords salariaux de 1998, qui entraînent à la fois une augmentation en volume des dépenses de personnel et un accroissement de la part de ces dépenses dans les dépenses de fonctionnement. Il y a donc éviction de certaines dépenses par les dépenses de personnel.

Données chiffrées : Les collectivités locales en chiffres, DGCL, 1999. Les données relatives aux années 1998 et 1999 proviennent des budgets primitifs.

S'agissant des dépenses de personnel, leur forte progression ne s'explique pas par l'évolution des effectifs mais par l'évolution des rémunérations des agents, qui est déterminée par l'Etat et s'impose aux collectivités locales. Malgré l'absence de chiffrage précis en ce domaine, le Crédit local de France a indiqué à la mission qu'il estimait que les recrutements expliquaient environ un cinquième de l'augmentation des dépenses de personnel, les quatre autres cinquièmes étant attribués à l'évolution des rémunérations.

En tout état de cause, votre rapporteur constate que les frais de personnel représentaient 22 % des dépenses inscrites dans les budgets primitifs des collectivités locales pour 1999, mais 40 % des crédits du budget général de l'Etat en 1999.

Le désendettement au détriment des dépenses d'investissement

Les dépenses d'investissement ont augmenté deux fois moins vite entre 1993 et 1999 (+ 16 %) qu'au cours de la période 1988-1993 (+ 31,6%). Elles ont même enregistré une diminution de 6 % en 1995. Les dépenses d'équipement brut, c'est-à-dire les dépenses d'investissement hors remboursement de la dette, ont pour leur part diminué en 1994, 1995 et 1996. Elles n'ont retrouvé leur niveau de 1993, soit plus de 140 millions de francs, qu'en 1999.

Données chiffrées : Les collectivités locales en chiffres, DGCL, 1999. Les données relatives aux années 1998 et 1999 proviennent des budgets primitifs

La réduction de l'effort d'équipement des collectivités locales à partir de 1994 a partiellement été compensée par le développement des investissements des structures intercommunales. Toutefois, il apparaît nettement que, à une époque où la conjoncture économique était particulièrement détériorée, donc peu propice à l'investissement, les collectivités locales ont fait le choix de suspendre leur effort et de se consacrer à l'assainissement de leur situation financière .

Le graphique ci-dessous confirme cette impression. A partir de 1991, la part de l'équipement brut dans les dépenses d'investissement des collectivités locales diminue, au profit des remboursements de dette.

Données chiffrées : Les collectivités locales en chiffres 1999, DGCL. Les données relatives aux exercices 1998 et 1999 proviennent des budgets primitifs.

L'accélération des remboursements de dette a porté ses fruits et, depuis 1997, les remboursements sont supérieurs aux emprunts nouveaux. La dette des collectivités locales est ainsi passée de 556 milliards de francs en 1997 à 549 milliards de francs en 1998. Les estimations pour 1999 prévoyaient une poursuite du désendettement en 1999, à 539 milliards de francs.

La dette de l'ensemble des administrations publiques locales (APUL) s'est, quant à elle, stabilisée dès 1996, pour s'établir à 827 milliards de francs. En points de PIB, la dette des APUL diminue depuis 1995, contrairement à la dette de l'Etat.

La dette des administrations publiques en points de PIB

(en % du PIB)

 

1995

1996

1997

1998

Administrations publiques

55,6

57,9

60

60,3

Etat

40,7

42,9

44,6

46,4

Organismes divers d'administration centrale

2,8

4,2

4,5

4,3

Administrations publiques locales

9,5

9,3

8,9

8,6

Organismes de sécurité sociale

2,8

1,5

2

1

Source : Projet de loi de finances pour 2000, rapport économique, social et financier.

Au total, force est de constater que, malgré quelques exemples médiatisés de " faillites " de collectivités locales, le processus de décentralisation n'a pas conduit à un " surdendettement " des collectivités locales, au contraire. Le rapport sur les comptes de la nation de l'année 1998, annexé au projet de loi de finances pour 2000, indique en effet que, " entre 1980 et 1998, l'Etat a contribué pour plus de 80 % à la progression du ratio d'endettement public en termes de points de PIB ". Il constate en revanche que " les administrations locales gardent un endettement relativement stable en part de PIB, ce qui réduit leur poids dans l'endettement public de 26 % à 12 % ".

Part relative des différents sous-secteurs dans l'endettement des administrations publiques

(en  %)

 

1980

1998

Etat

59,3

73,9

Collectivités locales

26

12,1

Administrations de sécurité sociale et organismes divers d'administration centrale

14,7

14

Administrations publiques

100

100

Source : Projet de loi de finances pour 2000, rapport sur les comptes de la Nation de l'année 1998

La légère reprise de l'investissement local enregistrée depuis 1997 dans les communes et les départements ne devrait pas remettre en cause le processus de désendettement des collectivités locales. En effet, l'épargne de gestion dégagée par les collectivités locales atteint des niveaux tels qu'une grande partie des nouveaux investissements sont autofinancés.

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