3. L'attrait pour des sociétés où règne l'esprit d'entreprise
Les
cadres et entrepreneurs français installés à
l'étranger ont à de nombreuses reprises souligné combien
ils appréciaient, tant aux Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne, le climat
favorable à l'esprit d'entreprise et à la réussite sociale
qui y règne, où l'échec est considéré comme
un accident de parcours et non comme un opprobre.
S'il entre dans cette image une part de préjugé, force est de
constater qu'entrepreneurs et commerçants ne bénéficient
pas en France de la considération dont jouissent leurs homologues
américains ou anglais. Les élites françaises ont
traditionnellement valorisé la réussite intellectuelle et les
professions qui s'y rattachent, celles de haut fonctionnaire, de professeur,
d'avocat, de médecin, de cadre dirigeant ou d'ingénieur. Si les
jeunes Français semblent au regard des sondages être de plus en
plus attirés par la création d'entreprise, leurs parents
continuent d'espérer pour eux un métier plus sûr que celui
de chef d'entreprise.
Cet état d'esprit explique sans doute la très faible proportion
des jeunes diplômés qui s'oriente vers la création
d'entreprise. Un rapport du Secrétariat à l'Industrie
évalue à 6 % pour les ingénieurs et à 3 %
pour les diplômés des écoles de commerce, la proportion de
ceux qui deviennent créateurs d'entreprise. Il est, en outre, frappant
de constater que la probabilité de créer une entreprise diminue
avec le niveau de qualification. La même étude estime que
" la probabilité de créer une entreprise est
divisée par 2 si l'on a acquis un diplôme d'enseignement
supérieur.
65(
*
)
".
Le système éducatif français apparaît encore fort
éloigné du monde de l'entreprise et plus porté à
former des salariés que des entrepreneurs. Les jeunes eux-mêmes
sont de cet avis. Une enquête réalisée en avril 1998 par la
SOFRES à la demande du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie révèle que les jeunes
âgés de 18 à 30 ans jugent le système
éducatif responsable de la faiblesse de l'esprit d'entreprise en France.
Sa performance est jugée, par 62 % des jeunes interrogés,
plutôt mauvaise en matière de développement chez les jeunes
du goût de la recherche et de l'innovation. 73 % des 18-30 ans
expriment le même sentiment s'agissant de la formation aux
réalités du monde de l'entreprise et 79 % en matière
d'incitation à créer sa propre entreprise.
66(
*
)
Les entrepreneurs expatriés aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne
estiment que le culte des entrepreneurs qui réussissent et la
publicité faite aux fortunes qu'ils ont acquises, créent aux
Etats-Unis un environnement entrepreneurial qui valorise la réussite et
attire les jeunes. Il tranche avec l'espèce de soupçon qui
pèse en France sur ceux qu'on appelle encore des " parvenus "
ou des " nouveaux riches ".
Ce rapport à l'argent dont les racines culturelles et religieuses sont
profondes ne façonne pas seulement les mentalités. Il structure
le débat politique. Il explique, à bien des égards, les
difficultés qu'ont les gouvernements successifs à offrir à
ceux qui réussissent un environnement fiscal comparable à celui
qui existe chez nos partenaires.
Le débat lors de la dernière loi de finances sur le régime
fiscal des stock-options a montré combien il est difficile de
débattre en France de la rémunération des chefs
d'entreprise, sans que des considérations émotionnelles et
idéologiques ne prennent le pas sur l'analyse des faits.
A cette occasion, on pouvait entendre un député de la
majorité plurielle déclarer : "
Avec cette question
des stock-options nous n'abordons pas un débat à caractère
budgétaire et fiscal mais un problème de civilisation, qui
concerne le type de société que nous voulons au siècle
prochain
". Et d'évoquer "
le développement
surréaliste des nouveaux conquérants de la fortune
" et
les dividendes que se réservent "
une poignée de
dirigeants décideurs autocrates s'arrogeant des privilèges
exorbitants
" !
Si la réussite est moins célébrée en France que
dans le monde anglo-saxon, l'échec y est, en revanche, plus
sévèrement jugé.
En France, estiment les entrepreneurs français installés à
l'étranger, l'échec disqualifie celui qui en est la victime,
alors que dans les pays qui possèdent une longue tradition
entrepreneuriale, il est perçu comme expérience qui peut
être utile ne serait-ce que parce qu'elle incite à ne pas
renouveler les mêmes erreurs. Loin d'être un handicap qui colle
à la peau, l'échec est considéré comme une
étape dans une carrière.
Ces observations qui décrivent la persistance en France d'un climat
culturel et social éloigné de l'élan entrepreneurial que
connaissent les pays anglo-saxons, sont trop souvent revenues au cours de
l'enquête du Groupe de Travail, pour qu'on puisse les considérer
comme négligeables.
En résumé, l'analyse des motivations nécessairement
très diverses qui poussent une couche de hauts cadres et de
créateurs d'entreprises à faire carrière hors de France,
débouche sur une conclusion commune : dans une économie
mondialisée, où la mobilité des plus qualifiés
devient une règle, leur proposer un environnement administratif, fiscal
et culturel attractif est essentiel. Ne pas s'en préoccuper peut,
à terme, constituer, dans la concurrence internationale, un lourd
handicap. Les pouvoirs publics n'ignorent pas cette situation, même s'ils
en minimisent les conséquences. Dans le secteur des nouvelles
technologies, le souci d'offrir aux cadres et aux entrepreneurs un
environnement financier et fiscal plus dynamique, les ont conduit à
prendre des mesures correctrices, mais qui demeurent encore très
insuffisantes.
CHAPITRE III -
LES MESURES PRISES POUR RETENIR LES
CRÉATEURS D'ENTREPRISES N'ONT PAS SUFFI
À FREINER LES
DÉPARTS
Les secteurs de l'innovation sont devenus depuis plusieurs années l'objet d'une attention soutenue des décideurs économiques et politiques dans l'ensemble des pays industrialisés. En France, comme à l'étranger, la prise de conscience des enjeux liés à la nouvelle économie a débouché sur une série de réformes législatives tendant à faciliter l'accès des entreprises innovantes aux capitaux et aux compétences nécessaires à leur création et à leur développement.