B. DES OBJECTIFS DIFFICILEMENT RÉALISABLES
La
véritable raison de la non-maîtrise des dépenses publiques
résulte de l'absence de réformes structurelles à
même de réduire les missions et le format de l'Etat.
La politique budgétaire du gouvernement consiste, en fait, à s'en
remettre à la bonne conjoncture économique, celle-ci facilitant
la réalisation de quelques économies mais ne permettant pas de
préparer la survenue d'un éventuel retournement conjoncturel, qui
serait lourd de conséquences pour les finances publiques.
1. Les bienfaits de la conjoncture
a) La bonne conjoncture, fondement de la politique budgétaire du gouvernement
Le
rapport qu'a déposé le gouvernement en vue du débat
d'orientation budgétaire, sur ce point, ne dissimule pas la
réalité :
la conjoncture tient lieu de politique
budgétaire et présente l'avantage, pour le gouvernement, de
n'engager aucune réflexion sur le niveau et l'efficience de la
dépense publique.
Or, cette dernière, il convient de le rappeler, atteint des niveaux
extrêmement élevés : la France est, derrière la
Suède, le pays développé dont le taux de dépenses
publiques est le plus élevé, comme le montre le tableau
ci-après :
Les économies mises en avant par le gouvernement, qui, du reste, ne s'en
cache pas, appartiennent ainsi à la catégorie des
" dividendes de la croissance " et ne sont donc le plus souvent que
des économies de constatation.
Deux exemples sont particulièrement significatifs :
- les charges d'intérêt de la dette :
le gouvernement
insiste particulièrement sur le fait que, en 1999, pour la
première fois depuis 20 ans, le poids de la dette publique dans le PIB a
diminué en France, de telle sorte que les charges d'intérêt
ont diminué de 3,4 % en 1999, soit environ 10 milliards de
francs ;
Il convient toutefois de rappeler que cette situation résulte de la
décrue des taux d'intérêt. Par ailleurs, il ne faut pas
surestimer l'impact de ces résultats, certes appréciables, au
regard du niveau d'endettement total de l'Etat, soit environ 4.300 milliards de
francs. Du reste, le service de la dette représente encore 230 milliards
de francs par an, le gouvernement notant lui-même que
" revenir
au niveau d'il y a vingt ans permettrait de diviser par trois la charge de la
dette " .
Or, que se passera-t-il en cas de remontée des taux
d'intérêt, laquelle est d'ailleurs déjà perceptible
depuis un an ? En réponse à la question posée sur ce
point par votre commission des finances, le gouvernement indique
que,
" les paiements d'intérêt sur la dette, qui
avaient été stabilisés depuis la loi de finances pour
1998, progresseraient de 5 à 7 milliards de francs dans le projet de loi
de finances pour 2001 ".
- les crédits de la politique de l'emploi :
la situation
favorable du marché du travail se traduit par de fortes créations
d'emploi et, de manière corrélative, par un recul du
chômage ;
Toutefois, les économies qui en résultent sont purement
conjoncturelles. Le " recentrage " des dispositifs de la politique de
l'emploi a permis de procéder, dans la loi de finances initiale pour
2000, à des redéploiements à hauteur d'environ 10
milliards de francs. Mais, comme le note le gouvernement,
" cette
évolution positive [la conjoncture favorable] a une incidence directe
sur la politique de l'emploi ou sur certains minima sociaux. Certains
dispositif de traitement " palliatif " du chômage ont
déjà commencé à se replier ".
b) Les limites de la facilité
Votre
commission estime difficile, voire dangereux, de donner pour seul fondement
à la politique budgétaire la bonne tenue de la conjoncture
économique.
En effet, rappelant les conséquences désastreuses de la
récession de 1993 sur les finances publiques, elle considère que
la politique budgétaire doit aussi être conduite de manière
à rendre le plus indolore possible les retournements conjoncturels qui,
parfois, peuvent se produire de façon très soudaine.
Le Pacte de stabilité et de croissance fixe notamment aux Etats membres
de l'Union économique et monétaire l'objectif à moyen
terme d'une situation budgétaire
" proche de l'équilibre
ou excédentaire "
, afin de permettre aux Etats membres
" de faire face aux fluctuations cycliques normales de
l'activité tout en maintenant le déficit public dans les limites
de la valeur de référence de 3 % du PIB "
.
Tel n'est cependant pas le cas de la France.
Les jugements portés sur sa politique budgétaire insistent tous
sur l'insuffisance de l'effort entrepris en matière de
dépenses :
-
dans son évaluation du programme de stabilité
actualisé de la France,
la Commission européenne
considère que
" le déficit des administrations publiques
pour 1999 a mieux évolué que ne le prévoyait le programme
de stabilité initial de janvier 1999, mais cela tient exclusivement au
dynamisme des recettes fiscales
[...]
.
Les dépenses publiques
en termes réels ont été supérieures aux chiffres
indiqués dans le programme de l'année dernière
, ce qui
est principalement imputable à une baisse des prix par rapport aux
prévisions, mais aussi à un nouveau dérapage des
dépenses de santé ".
La Commission estime que la
stratégie budgétaire adoptée par le gouvernement
français
" est hautement tributaire d'une correction rapide de
tout écart par rapport aux objectifs fixés "
, et, dans
ce contexte, elle
" regrette qu'il ne soit pas prévu de
compenser en 2000 ou ultérieurement la croissance excessive des
dépenses réelles en 1999 "
;
- la Banque centrale européenne
, dans son rapport
annuel
18(
*
)
, estime que, d'une
manière générale,
" les déficits continuent
de se réduire, principalement sous l'effet de la conjoncture et de la
diminution des charges de la dette "
, cette situation pouvant
parfaitement s'appliquer à la France ; elle ajoute :
" les mesures discrétionnaires d'assainissement ne semblent donc
pas avoir joué un rôle réel dans l'amélioration des
situations budgétaires structurelles en 1999 "
;
- la Cour des comptes
, enfin, dans son rapport préliminaire
précité, observe que
" en cas de retournement
conjoncturel, la position française serait d'autant plus
vulnérable que les dépenses les plus faciles à ajuster ont
déjà été fortement réduites et que la
remontée des taux d'intérêt observée actuellement
pourrait contrecarrer la modération des charges de la dette obtenue ces
dernières années "
.
2. L'absence de réformes structurelles
La
mise en oeuvre de réformes structurelles n'est ni mentionnée, ni
envisagée, par le rapport que le gouvernement a déposé en
vue du débat d'orientation budgétaire.
Il convient toutefois de relever une exception : le rapport évoque
en effet les conséquences sur les dépenses publiques de la
réforme de l'Etat dans les termes suivants :
" la
sphère publique peut dégager des gains de productivité
grâce à la diffusion des nouvelles technologies ou par une
meilleure organisation du travail. L'évolution proposée de la
dépense publique ne reflète donc pas le niveau des services
fournis, mais le coût de leur financement "
.
Ce discours, auquel votre commission ne peut que souscrire, est devenu une
simple déclaration d'intention depuis que le gouvernement, cédant
aux pressions syndicales, a décidé de retirer son projet de
réforme de l'administration fiscale, alors même qu'il est
désormais admis que le coût du système de recouvrement des
impôts est beaucoup plus élevé en France que dans les
principaux pays développés. L'administration des finances ne
dégagera donc pas de gains de productivité, dont l'existence est
pourtant reconnue par le gouvernement lui-même, et son coût pour
les contribuables ne sera pas modifié, la réduction des effectifs
qui devait accompagner la réforme ayant été
abandonnée.
Du reste, les propos du gouvernement sur l'évolution de l'emploi public
manquent de constance. Il semblait, dans un premier temps, souhaiter une
stabilisation du nombre de fonctionnaires, tout en procédant à
des redéploiements entre départements ministériels. Ainsi,
le ministère de la justice aurait vu ses effectifs s'accroître
tandis que ceux du ministère de l'économie et des finances
diminueraient.
Cette position est devenue caduque, puisque le gouvernement a renoncé
à réduire le nombre de ses agents, et décidé
d'accorder des crédits supplémentaires à certains
ministères, notamment à l'éducation nationale et à
la santé, à l'occasion du projet de loi de finances rectificative
pour 2000.
Pourtant, les dépenses de la fonction publique s'élèvent
à près de 700 milliards de francs en 2000, soit 40 % du
budget de l'Etat. Surtout, elles sont fortement dynamiques puisqu'elles ont
crû de 57 milliards de francs depuis 1997 (+ 8,9 %), sur les 78 milliards
de francs d'augmentation engendrée par les 10 principaux postes de
dépenses de l'Etat, comme le montre le tableau ci-dessous :
Source : Ministère de l'économie
Comme le note fort opportunément le gouvernement dans son rapport
précité,
" les dépenses de personnel ont
évolué depuis 10 ans à un rythme plus rapide que celui des
dépenses totales ".
Or, la gestion des personnels de l'Etat comporte d'innombrables
dysfonctionnements comme l'a montré le récent, et sur ce point,
accablant,rapport de la Cour des comptes consacré à
La
fonction publique de l'Etat
. Le gouvernement ne semble pas tirer de
conséquences de ces travaux, mais simplement en prendre acte
19(
*
)
.
Cette évolution contribue en tous cas à accroître la
rigidité de la dépense publique. Ainsi, les trois premiers postes
de dépenses représentent aujourd'hui les deux tiers du budget
général, soit 10 points de plus de plus qu'en 1990, comme le
montrent les graphiques ci-après :
Trois
postes
|
Trois
postes
|
Trois
postes
65,8 % en 2000
Cela confirme la détérioration de la structure de la dépense publique que votre commission dénonce régulièrement, en déplorant la priorité accordée par le gouvernement aux dépenses de fonctionnement plutôt qu'à celles d'investissement.
3. Dynamiser les dépenses publiques : l'exemple du RMA
Cette
gestion passive est particulièrement nette dans le domaine de l'emploi.
Le rapport du gouvernement en vue du débat d'orientation
budgétaire mentionne une augmentation, à périmètre
constant, de 8 milliards de francs des crédits de l'emploi depuis 1997,
ainsi que la réalisation d'importants redéploiements de
crédits.
Toutefois, ici encore, ces résultats ne tiennent qu'à la bonne
situation du marché du travail. Si le chômage venait à
croître de nouveau, le budget de l'emploi verrait ses dotations augmenter
fortement, et les dispositifs de la politique de l'emploi monter en charge
très rapidement.
En effet, aucune réforme structurelle n'a été entreprise,
et cela afin d'activer les dépenses d'indemnisation du chômage.
Par delà l'absence de maîtrise quantitative de la dépense,
la gestion pêche par une absence de vision prospective de celle-ci
privilégiant la qualité sur la quantité.
Dans ce cadre, votre rapporteur général a déposé,
avec le président Alain Lambert, une proposition de loi
20(
*
)
visant à créer un revenu
minimum d'activité (RMA) afin de rompre le cercle vicieux de
l'assistance, et de promouvoir l'insertion par l'activité,
c'est-à-dire la reprise d'un véritable emploi dans le secteur
marchand.
Le revenu minimum d'activité (RMA)
Le RMA
comporterait deux parts :
- la première, appelée aide dégressive, correspondrait au
minimum social ou à l'allocation perçus jusqu'alors par le
bénéficiaire ;
Elle serait versée par l'Etat, ou l'UNEDIC pour l'ASS, aux entreprises
qui, à leur tour, l'utiliseraient pour rémunérer le nouvel
embauché, ce dernier tirant ainsi l'ensemble de ses ressources de son
employeur, au lieu de bénéficier d'un revenu d'assistance. Le
versement à l'entreprise serait effectué de manière
dégressive pendant trois ans. Le coût pour l'Etat ou l'UNEDIC n'en
sera donc pas alourdi : au contraire, il ira en diminuant de
manière graduelle. En outre, l'allocataire recevra ainsi la garantie que
son revenu total ne diminuera pas suite à son retour sur le
marché du travail.
- la seconde part, dénommée salaire négocié,
correspondrait au salaire proprement-dit versé au nouvel embauché
par l'entreprise ;
Son montant serait égal à la différence entre le montant
total du RMA et l'aide dégressive mentionnée ci-dessus. Il serait
donc appelé à progresser au fur et à mesure de la
diminution de la première part. Il conviendrait d'exonérer de
charges sociales le salaire négocié afin de s'inscrire dans une
logique de diminution du coût du travail, qui a démontré
son efficacité en termes de créations d'emplois.
L'ensemble, c'est-à-dire le RMA, serait ainsi versé au nouveau
salarié par son employeur. Le montant du RMA ne pourrait être
inférieur au SMIC, mais les négociations de branches pourront
librement décider de l'établir à un niveau
supérieur.
L'élément central du dispositif proposé consiste
à donner aux entreprises un rôle actif dans sa mise en oeuvre, la
proposition de loi étant conçue comme un dispositif-cadre, et non
comme un mécanisme centralisé et uniforme.
Le RMA prendrait la forme d'une convention tripartite
entre l'entreprise,
le bénéficiaire du dispositif, et l'Etat ou l'UNEDIC
lorsqu'il s'agit de l'ASS.
4. La persistance d'incertitudes
Enfin,
les conséquences budgétaires de certains choix du gouvernement
sont particulièrement lourdes pour les finances publiques, d'autant plus
que leur montée en charge est progressive.
Le plus inquiétant, toutefois, est que le coût de certains de
ces choix, potentiellement extrêmement élevé, n'est pas
connu avec précision, et fait peser une menace sur le budget de l'Etat.
Le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M. Didier
Migaud, dans son rapport précité, exprime fort bien cette
situation, considérant que des
" contraintes pourraient
réduire les marges de manoeuvre effectives dont disposera le
gouvernement dans le budget 2001 ".
Il poursuit :
" la
montée en puissance des " grands chantiers " de la
législature
[...]
comme la dynamique intrinsèque de
certaines dépenses ou la prise en compte d'engagements de l'Etat
viennent s'imputer sur l'évolution prévue des dépenses.
Cependant, un grand nombre d'incertitudes prévalent à l'heure
actuelle
et empêchent d'évaluer de façon très
précise l'impact de ces contraintes ".
Il cite notamment, rejoignant en cela l'analyse faite depuis déjà
quelques années par votre commission, le coût des emplois-jeunes,
le financement du dispositif d'allégement des cotisations patronales de
sécurité sociale, lié à la réduction
autoritaire du temps de travail, dont
" les perspectives restent
floues "
, ou encore les dépenses de la fonction publique...
Votre commission ne cache pas son inquiétude quant à l'avenir
des 350.000 emplois-jeunes que le gouvernement a décidé,
directement ou indirectement, d'embaucher d'ici l'année 2001.
Faut-il voir en eux de futurs fonctionnaires ? Cette
éventualité n'est pas à exclure puisque l'ancien ministre
de la fonction publique avait déclaré, au début de cette
année, que certains emplois-jeunes seraient intégrés dans
la fonction publique. Cette décision serait extrêmement lourde sur
le plan budgétaire, 23 milliards de francs étant inscrits au
budget de l'emploi pour assurer le financement des emplois-jeunes.
En outre,
les conditions de prise en charge du passage aux
35 heures
ne sont pas assurées pour les années
à venir. Quand l'ensemble des entreprises seront assujetties à la
loi " dite Aubry II ", son coût s'élèvera
à 105 milliards de francs à partir de 2002. Son financement
ne l'est pas davantage pour 2000, depuis que le Conseil constitutionnel a
annulé
21(
*
)
l'article 5 de
ladite loi, privant ainsi le mécanisme échafaudé par le
gouvernement de 7 milliards de francs qui devaient provenir de la taxation des
heures supplémentaires.
Comment le gouvernement trouvera-t-il le financement
complémentaire ? Le budget de l'Etat sera-t-il mis à
contribution ?
Enfin, le coût du passage aux 35 heures dans l'ensemble de la fonction
publique reste totalement inconnu.
Votre commission estime que, en dépit des déclarations
rassurantes du gouvernement, les nombreuses questions d'ordre budgétaire
qui restent sans réponse font peser de grandes incertitudes sur
l'évolution des dépenses publiques en France.
A ce titre,
elles portent atteinte à la crédibilité de notre pays en
Europe.