II. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL

1. Le développement des compétences régionales au service de la régulation et de la prévention

a) Des réseaux implantés localement au service des institutions internationales

Les banques régionales de développement ont considérablement accru leur action en matière de financement de projets d'infrastructures au cours des dernières années. Des liens institutionnels fréquents unissent ces banques et la Banque mondiale pour la définition des critères de financement de ces projets, afin que les différentes institutions prennent des décisions cohérentes vis-à-vis des pays des régions concernées. Cependant, il conviendrait de développer cette coopération en associant étroitement les banques régionales de développement aux décisions et à la mise en oeuvre de celles-ci par la Banque mondiale, notamment en faisant davantage bénéficier cette dernière de leur expertise. Les banques régionales pourraient se constituer en un réseau permettant, de par leur proximité avec les pays de leur région, de développer l'information des institutions internationales.

Les critiques exprimées envers le FMI soulignent parfois la connaissance imparfaite de l'environnement politique et social des pays auxquels le FMI prête de l'argent, et les habitants de ces pays s'indignent des missions des administrateurs du fonds, qui décident en quelques jours de l'avenir de leur pays lors de discussions avec les représentants du gouvernement.

Afin de prendre en compte ces critiques, le FMI a décidé la création d'un bureau régional pour l'Asie et le Pacifique à Tokyo, chargé d'entretenir le dialogue entre le Fonds et les responsables de la politique économique en Asie dans le cadre des instances régionales et de faciliter les activités de surveillance régionale. Il analyse le comportement des marchés de capitaux dans la région, pour permettre au FMI d'avoir une meilleure compréhension de l'évolution de la situation économique dans la région. Ce bureau assure également le secrétariat du " Manilla Framework Group ", constitué de représentants des ministères des finances et des banques centrales de quatorze économies de la région, afin de renforcer la surveillance, développer la coopération et promouvoir la stabilité financière.

La " décentralisation " des institutions internationales et la constitution de réseaux régionaux doivent permettre une meilleure surveillance des économies, ainsi qu'une plus grande proximité culturelle et institutionnelle de ces institutions avec les pays.

b) La création de fonds monétaires régionaux et le développement de l'intégration monétaire régionale

Le développement des organisations régionales favorise la concertation et les échanges d'expertise entre les pays, ainsi que, à terme, une plus grande solidarité mutuelle.

L'idée d'un Fonds monétaire asiatique avait été émise par le Japon en 1997, mais refusée par les Etats-Unis, notamment en raison de la crainte de créer un outil au service des tentations hégémoniques du Japon et de la volonté de ne pas créer d'institution dont l'action serait concurrente de celle du FMI. La création de fonds monétaires régionaux dans les pays émergents semble néanmoins être une idée intéressante, car elle permettrait une plus grande solidarité entre les pays membres, ainsi qu'une plus grande acceptation des recommandations qui seraient émises par ces fonds par rapport à celles du FMI. Un fonds régional permettrait donc d'assurer une entraide entre pays voisins, mais également une surveillance des économies meilleure que celle exercée au niveau mondial.

Le développement des compétences régionales est une idée importante de réforme de l'architecture du système monétaire international, qui doit progresser. Des systèmes de surveillance et d'alerte régionaux doivent être mis en place et l'idée de créer un prêteur en dernier ressort au niveau régional mérite d'être étudiée.

Les Japonais souhaitent un renforcement de la coopération économique et financière en Asie, qui pourrait aboutir, à terme, à la création d'une monnaie unique sur le modèle de l'euro. Bien entendu, un progrès réel vers cet objectif suppose un accord avec la Chine, dont il est difficile d'imaginer aujourd'hui les termes. L'instauration de blocs monétaires régionaux apparaît difficile à mettre en oeuvre, de même que les " zones cibles ". Ces propositions ont été développées du fait de l'ampleur des fluctuations de la parité yen-dollar au cours des dernières années. Les pays dont la monnaie était liée au dollar, comme la Thaïlande, ont profité de la faiblesse du dollar, qui améliorait leur compétitivité-prix sur les marchés extérieurs, pour développer leurs exportations. Cependant, l'appréciation du dollar vis-à-vis du yen a eu des conséquences désastreuses sur ces économies, en réduisant leur compétitivité-prix et en accroissant le coût de leur dette. Ce retournement a donc constitué un facteur de déclenchement de la crise en Asie.

Un système de " zones cibles " a été mis en oeuvre lors du sommet du G 7 du Louvre en 1987, afin d'encadrer les fluctuations importantes du dollar. Cet accord n'a cependant été respecté que pendant quelques mois, et a reporté une partie de la volatilité du marché des changes vers le marché des capitaux. Ce système implique que les banques centrales soient disposées à défendre les parités définies par les zones cibles. Or, cette défense peut s'avérer particulièrement coûteuse pour les pays, en épuisant leurs réserves de change. L'exemple de la crise du système monétaire européen en 1992 montre par ailleurs que les banques centrales sont incapables de faire face aux marchés financiers lorsque ceux-ci considèrent que les politiques menées par les Etats sont insoutenables à terme. Dans un système de " zones cibles " les banques centrales sont forcées d'ajuster leur taux d'intérêt pour maintenir les parités des monnaies à l'intérieur des zones définies, y compris lorsque cette hausse des taux d'intérêt emporte des effets récessifs non désirés.

La définition des zones cibles constitue donc une idée potentiellement coûteuse, et implique une forme de mutualisation des pertes entre les pays prenant part à ce type d'accord. De plus, la définition d'une parité de référence entre les monnaies constitue une première étape sur laquelle il convient que les pays se mettent d'accord. En tout état de cause, l'établissement de zones cibles exige une réduction des déséquilibres internationaux et une amélioration de la coordination des politiques économiques des différentes entités. Il apparaît que ce type de proposition ne constitue pas une solution réaliste compte tenu du contexte international.

Cependant, la proposition japonaise de fonds monétaires régionaux, évoqué ci-dessus, mérite d'être gardé en mémoire, et votre groupe de travail estime qu'il faudra être particulièrement attentif à toutes les situations qui permettraient de diffuser ainsi un modèle " à l'européenne ".

2. Une clarification des compétences du FMI et de la Banque mondiale

Le spectacle des actions et des discours désordonnés voire contradictoires des institutions de Bretton Woods au cours de la crise asiatique montre la nécessité d'une clarification de la répartition des compétences entre le FMI et la Banque mondiale.

Le rapport du groupe de travail constitué par le Congrès des Etats-Unis et présidé par M. Allan Meltzer propose une réforme de grande ampleur des institutions financières internationales, encadrant de manière rigoureuse les compétences du FMI et de la Banque mondiale.

Votre groupe de travail considère que ces propositions sont intéressantes en ce qu'elles recentrent de manière radicale les missions des deux institutions. Cependant, certaines de ces conclusions apparaissent délicates à mettre en oeuvre. Premièrement, la condition d'aide de la Banque mondiale aux seuls pays n'ayant pas accès aux marchés financiers est particulièrement contraignante pour les pays qui ne disposent d'un accès aux capitaux qu'au prix de primes de risques particulièrement élevées. Ensuite, la limitation du rôle du FMI à celui de prêteur en dernier ressort restreint considérablement son action en matière de prévention des crises. Enfin, la condition d'instauration d'un currency board ou une dollarisation de l'économie apparaît particulièrement favorable aux Etats-Unis, qui disposent des droits de seigneuriage liés à l'émission du dollar, et apparaît difficile à mettre en oeuvre dans certains pays pour lesquels la monnaie constitue une composante essentielle de la souveraineté nationale.

Malgré la radicalité des réformes proposées dans le rapport Meltzer, certaines pistes de réflexion apparaissent intéressantes. Le FMI pourrait réduire la durée de ses prêts et assouplir les conditionnalités qui y sont généralement associées. En effet, les conditions posées par le FMI apparaissent particulièrement contraignantes et renforcent souvent les conséquences sociales des crises sur les groupes de population les plus fragiles. Les prêts du FMI viseraient uniquement à permettre à un pays de surmonter le déséquilibre de sa balance des paiements, en évitant le défaut de paiement. Ces prêts seraient coûteux afin d'inciter les pays à mettre en oeuvre les politiques économiques adaptées au rééquilibrage de la balance des paiements. Le rôle du FMI serait ainsi limité au court terme.

La Banque mondiale continuerait en revanche d'être en charge des réformes structurelles à mettre en oeuvre afin d'améliorer les conditions de fonctionnement des systèmes financiers, et prendrait également en charge la mise en place de filets de sécurité sociale et les mesures visant au maintien des dépenses en faveur de la santé et de l'éducation, afin que les contraintes de l'ajustement et des réformes structurelles ne conduisent pas à sacrifier le développement à long terme de l'économie. Cette répartition des rôles limiterait donc le FMI au rôle de surveillance des modalités de financement des économies et d'intervention en cas de crise, tandis que la Banque mondiale regrouperait l'ensemble des compétences en matière d'aide au développement et de réformes structurelles, permettant d'accompagner les mesures nécessaires à l'ajustement des économies touchées par la crise.

3. Vers une plus grande légitimité des institutions de Bretton Woods

La légitimité politique du FMI et de la Banque mondiale doit être renforcée par une plus grande transparence des processus de décision , et notamment, une plus grande visibilité de l'implication des Etats-membres dans ce processus et de la responsabilité des institutions vis-à-vis de ceux-ci. Au niveau local, la communication de ces organisations doit être développée, de même que leurs rapports avec la société civile. Ces réformes permettront d'atténuer l'image bureaucratique du FMI notamment.

Il est indispensable que les pays émergents soient davantage représentés et entendus au sein du FMI et de la Banque mondiale. En effet, s'il apparaît normal que les principaux actionnaires des institutions exercent le plus d'influence sur la définition de leurs politiques, les pays émergents et les pays en voie de développement, qui constituent les principaux bénéficiaires des aides de ces institutions, doivent pouvoir faire entendre leur voix sur leurs modalités d'intervention. La légitimité du FMI a pu être mise en cause par certains pays du fait de la protection que ses interventions pouvaient accorder aux banques occidentales au cours de la crise asiatique, notamment en défendant trop longtemps les taux de change fixes. Ces critiques considèrent que le FMI et la Banque mondiale ont été pris en otage par leurs principaux actionnaires et sont devenus l'instrument de la politique étrangère en général et américaine en particulier 49( * ) . Ces accusations apparaissent outrancières mais montrent les doutes qui planent sur l'action du FMI.

Une réforme du mode de calcul des quotes-parts et des droits de vote qui y sont associés en faveur des pays hors OCDE devrait permettre une meilleure prise en compte de leurs points de vue. Cette réforme se ferait sans doute au détriment des droits de vote détenus par les pays européens, qui sont importants en comparaison avec ceux détenus par les Etats-Unis, compte tenu du poids économique et financier relatif des deux ensembles.

Par ailleurs, l'Europe doit s'efforcer d'agir davantage de concert au sein du FMI. Elle ne possède déjà pas une influence en proportion de ses droits de vote, en raison de la dispersion des interventions de ses membres. La montée en puissance de l'euro sur la scène internationale doit donc encourager l'Union européenne à mobiliser davantage ses ressources au sein des institutions internationales.

4. Pour une conception globale de l'annulation de la dette

La question de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres apparaît délicate aux yeux de votre groupe de travail. En effet, elle revêt d'abord des aspects moraux. L'annulation représente ainsi un bel exemple d'aléa moral où la communauté internationale paie pour des Etats qui ont mal utilisé l'argent prêté, voire qui l'ont détourné aux fins personnelles de leurs dirigeants. Cependant, les responsabilités sont aussi partagées dans la mesure où les prêteurs n'ont pas toujours contrôlé efficacement l'utilisation des concours attribués, ou n'ont pas toujours su les assortir d'une aide précise aux réformes structurelles sans lesquelles tout argent supplémentaire ne sert qu'à prolonger les erreurs passées. L'annulation, par ailleurs, fait intervenir des acteurs très différents : institutions financières internationales, banques régionales de développement, Etats (prêts bilatéraux), acteurs privés (créances privées). Même si des instances de concertation existent, aucun organisme n'est en mesure de décider d'une annulation générale, de ses conditions et du partage de son financement. Enfin, la dette des pays les plus pauvres ne peut être séparée de la question plus globale du développement : l'annulation doit servir au développement. Mais l'apport financier qu'elle représente (sous forme d'intérêts en moins à verser et de capital à ne pas rembourser) ne servira à rien s'il ne s'accompagne de plans précis de réformes dont le respect sera effectivement contrôlé.

Les initiatives du G 7 s'inscrivent toutes dans cette optique : respect par les bailleurs bilatéraux des conditions posées par les institutions de Bretton Woods, recherche d'un meilleur suivi et d'un meilleur contrôle des programmes d'accompagnement, etc.

Votre groupe de travail approuve ces orientations. Ainsi, il ne conteste pas la définition par les institutions de Bretton Woods du champ de l'annulation, des critères et des bénéficiaires de celle-ci, même si ces conditions mériteraient parfois d'être assouplies. Il souhaiterait néanmoins voir plus affirmés certains principes :

• il ne doit jamais y avoir d'annulation totale de la dette d'un pays ; en raison de l'aléa moral, une part doit être maintenue, dût-elle rester très faible (5 à 10 %) ;

• les programmes mis en place doivent se faire avec l'accord du pays sur des contrôles extrêmement précis de leur respect ;

• ils ne peuvent laisser de côté la composante sociale, notamment en matière d'éducation, de santé et de pouvoir d'achat ;

• ils doivent tendre vers une meilleure insertion des Etats dans les transactions internationales ;

• ils doivent prendre en compte la question des taux de change et de la sécurité juridique et financière des investissements.

L'annulation ne peut cependant être séparée de la réforme des institutions de Bretton Woods. La souveraineté sera d'autant mieux respectée qu'elles auront gagné en légitimité politique et en représentativité des pays les plus pauvres. L'appropriation mais aussi le contrôle seront facilités par la présence permanente d'équipes remplaçant la déplorable impression fournie par le débarquement des membres des missions de reviews . La composante sociale sera d'autant mieux prise en compte que le FMI, la Banque mondiale et les banques régionales de développement se seront entendues sur le partage de leurs rôles et la coordination de leurs interventions.

Bref, l'annulation de la dette des pays les plus pauvres représente certainement un enjeu moral pour les créanciers. Votre groupe de travail estime que ce serait une erreur de vouloir annuler pour annuler et de séparer ce geste de la réforme d'ensemble du système financier et monétaire international. Tant que cette dernière ne se mettra pas en place, il y aura tout lieu de penser que les sommes consacrées à l'annulation et l'aléa moral qui en résultera ne se traduiront que bien peu en termes de développement, de réduction de la pauvreté et d'amélioration du bien-être des populations.

B. PERFECTIONNER L'ENVIRONNEMENT PRUDENTIEL

Un préalable s'impose. Un monde financier plus stable réclame de la part des agents nationaux - acteurs ou contrôleurs - une meilleure appréciation, un meilleur contrôle et une meilleure gestion des risques. La décentralisation des responsabilités est conforme à la réalité du monde financier. Il serait impossible à une entité mondiale centralisée de jouer seule ce rôle. Toutefois, cette décentralisation appelle des règles et des contrôles. Les enceintes internationales retrouvent alors toute leur importance.

La communauté financière internationale a entrepris des efforts importants pour définir des normes prudentielles plus cohérentes et déterminer les conditions nécessaires à un contrôle des risques plus satisfaisant. Ces efforts doivent être prolongés.

1. Améliorer les règles prudentielles

En matière de règles prudentielles, la régulation financière nécessite d'abord un processus continu d'adaptation. Cela suppose d'abord que des moyens suffisants soient confiés aux organismes internationaux chargés d'élaborer la réglementation. Cela suppose aussi de reconnaître les interdépendances entre les différents métiers financiers - crédit, titre, assurances - et d'assurer les liaisons nécessaires entre les superviseurs pour que leur approche devienne véritablement pluridisciplinaire.

L'approfondissement des règles apparaît également nécessaire. Le corpus théorique élaboré par la communauté internationale a sans doute, par sa généralité, le mérite d'une certaine exhaustivité. Sa substance peut en outre s'enrichir des manuels de méthodologie qui l'éclairent. Il n'en reste pas moins que ces dispositifs mériteraient d'être plus normatifs et plus concrètement précis. Il ne suffit pas de se référer à des concepts comme la " suffisance des dispositifs d'évaluation " ou " l'adéquation des principes d'organisation ". Il est souhaitable de donner du corps à ces référents en énonçant clairement ce qui est suffisant ou adéquat.

En bref, une meilleure explicitation des critères et des normes s'impose.

A ces recommandations de méthode, il faut en ajouter d'autres qui concernent le fond des problèmes.

Il faut d'abord recommander aux organismes intervenant dans l'élaboration des règles prudentielles au niveau international (BRI, Union européenne, etc.) de s'interroger sur le sens de leur démarche.
Jusqu'à présent, elle a consisté à édicter des règles minimales de protection laissant libres les autorités nationales d'appliquer des méthodes plus strictes. Il apparaît d'abord que cette démarche n'aboutit pas à l'édiction de règles prudentielles toujours adaptées aux situations de crise. C'est peut-être souhaitable pour ne pas brider l'activité bancaire. Mais cette approche devrait probablement être complétée par des dispositifs prévoyant un durcissement graduel des normes prudentielles à partir du suivi d'indicateurs de risques. Il apparaît également nécessaire que les régulateurs internationaux précisent les situations de risques appelant concrètement un resserrement des pratiques prudentielles.

Des règles de fond méritent en outre d'être modifiées.

Sur ce sujet, le groupe de travail veut d'abord affirmer qu'en dépit de la très grande technicité des questions ici abordées et malgré leur appartenance, d'ailleurs parfois discutable, au domaine réglementaire, au sens du droit constitutionnel français, il convient de cesser de confisquer les débats qu'elles soulèvent au profit de quelques experts gouvernementaux et des banques centrales. Ces sujets sont en effet essentiels au regard de la construction de l'économie internationale de demain, construction qui recèle des enjeux politiques évidents. Ils doivent donc être débattus et le Parlement national est par nature l'enceinte de ces débats. Le gouvernement français qui, dans le cadre de la constitution d'un droit européen bancaire et financier, est conduit à s'ouvrir auprès de nos partenaires européens de ses positions sur les thèmes prudentiels ici évoqués, devrait à tout le moins rendre compte régulièrement au Parlement des positions adoptées par lui dans ces matières.

Parmi les sujets de réforme il faut d'abord évoquer les règles de l'Accord ce Bâle de 1988, en matière de couverture des engagements par les fonds propres, qui doivent être amendées
.

La démarche générale suivie par le Comité de Bâle à l'occasion de la réforme de cet accord qui est en cours doit être approuvée. Les trois piliers identifiés comme de nature à améliorer la sécurité des opérations bancaires, une exigence minimale de couverture en fonds propres, l'importance d'un examen systématique de la pertinence de cette couverture et une meilleure mise en oeuvre de la discipline de marché correspondent à une logique d'action satisfaisante.

Il faut en particulier promouvoir :

une diversification plus grande des exigences de couverture en fonction des risques ;

une approche consolidée de la couverture ;

un contrôle effectif des règles par les superviseurs extérieurs et la possibilité pour eux d'imposer des couvertures supplémentaires ;

une information complète et régulière sur la consistance de leur capital et de leurs risques par les banques.

Toutefois, plusieurs des approches retenues par le Comité appellent des observations et des réflexions supplémentaires.

Il s'agit d'abord du parti pris de repousser l'élargissement de la couverture en fonds propres aux conglomérats financiers
en réaffirmant que le ratio n'a vocation à s'appliquer qu'aux risques bancaires. Cette approche apparaît trop restrictive et doit être rapidement complétée par la prise en compte des risques propres aux conglomérats financiers.

Il s'agit ensuite de la timidité de l'approche retenue à l'égard des risques de grande ampleur , c'est-à-dire des opérations dont l'histoire financière montre la très grande volatilité ou qui concernent des opérateurs, tels certains hedge funds , usant de pratiques financières techniquement risquées (l'effet de levier) ou insuffisamment contrôlables. Le même raisonnement doit à notre sens s'appliquer aux financements destinés aux territoires offshore , selon la classification de ces derniers en termes de régulation financière et d'ouverture aux contrôles internationaux.

Il faut affecter aux engagements des banques à l'égard de tels risques des exigences de couverture proportionnées sans toutefois s'imaginer qu'une telle mesure puisse prévenir l'ensemble des prises excessives de risques.

Cependant, couplée avec la proposition (v. infra ) d'un traitement rigoureux des sinistres déclarés, une telle mesure contribuerait activement à un fonctionnement plus sûr des marchés.

Sur ce point, il est évidemment souhaitable qu'un arbitre international soit explicitement chargé d'identifier les entités présentant des risques exceptionnels.

La Banque des règlements internationaux devrait se voir charger de cette mission et énumérer précisément les organismes à hauts risques.

Il convient par ailleurs d'approfondir les réflexions sur l'autorisation donnée aux banques de recourir à des méthodes dérogatoires à la norme commune pour calculer leurs provisions en fonds propres.

De quoi s'agit-il ?

Le Comité de Bâle envisage dans le cadre de la réforme du ratio Cooke de donner aux banques la possibilité de recourir davantage à leurs notations internes et à leurs propres modèles d'évaluation des risques.

Ainsi, le Comité propose que les banques " les plus sophistiquées " puissent substituer leurs propres estimations du risque-crédit à celles réalisées par lui. Il envisage en outre de permettre à ces mêmes banques de déterminer leurs besoins de couverture en capital du risque-crédit sur la base de leurs propres modèles d'évaluation des risques.

Il est possible de justifier de telles dérogations, sur le plan théorique. Mais, en pratique, elles paraissent dangereuses.

Etant observé qu'elles s'appliqueraient aux acteurs de marché les plus importants et par là-même les plus susceptibles d'influencer le cours des événements, il convient de rappeler la responsabilité des défaillances des contrôles internes dans les crises et l'insuffisante robustesse des modèles de risques en usage dans les banques. Ceux-ci sont en effet construits sur des données historiques moyennes dont la capacité à retracer des situations inédites est clairement en cause de même que celle d'anticiper les situations de crise.

Une autre considération concrète doit être évoquée. Les dérogations envisagées seraient accordées avec pour contrepartie un contrôle des performances des évaluations internes aux banques. Il est à craindre que de tels contrôles n'absorbent des moyens excessifs et divertissent les superviseurs externes de la nécessaire attention qu'appellent les contrôles effectifs des risques.

C'est donc avec une grande circonspection qu'il faut accueillir une proposition qui, en théorie, va dans le bon sens mais qui apparaît prématurée en pratique.

Il convient enfin de s'interroger sur l'opportunité de recourir aux évaluations des agences de notation pour fixer le niveau du provisionnement en capital de certains risques de crédit.


Le Comité de Bâle, dans sa volonté justifiée de moduler les exigences de couverture en fonds propres des risques de crédits souverains, interbancaires et de ceux destinés aux entreprises propose d'établir cette modulation sur les notes des agences de notation.

Le tableau ci-après rappelle les notes usuellement décernées par les grandes agences internationales.

Standards usuels de notation par agence

Agences

Très bonnes notes

Très basses notes

Fitch IBCA

AA - et au-delà

En dessous de B

Moody's

AA3 et au-delà

En dessous de B 3

Standard & Poor's

AA - et au-delà

En dessous de B -

Agences d'assurance-export

1

7

Le tableau suivant indique les modulations de l'exigence d'une couverture en fonds propres de 8 % envisagées dans les travaux du Comité à partir de l'exemple des notes données par " Standard and Poor's ".

Propositions de diversification des pondérations

en fonction des notes des agences de notation

Engagements

De AAA à AA-

A + à A -

BBB + à BBB -

BB + à B -

Sous B -

Sans notation

Souverains

0 %

20 %

50 %

100 %

150 %

100 %


Banques Option 1 (1)

Option 2 (2)


20 %

20 %


50 %

50 % (3)


100 %

50 % (3)


100 %

100 % (3)


150 %

150 %


100 %

50 % (3)

Entreprises

20 %

100 %

100 %

100 %

150 %

100 %

(1) Pondération fondée sur la pondération des risques souverains du pays d'origine de la banque.

(2) Pondération fondée sur la notation de la banque.

(3) Les engagements de court terme (moins de 6 mois) seraient pondérés plus favorablement.


La lecture du tableau est la suivante : les risques des crédits souverains des pays les mieux notés (de AAA à AA-) n'auraient pas à être provisionnés tandis que ceux des pays les moins bien notés (sous B -) devraient être provisionnés à hauteur de 12 % (150 % de 8 %).

La mise en oeuvre rapide de cette perspective n'apparaît pas envisageable. Elle suppose en effet résolu un grand nombre de préalables qui ne l'est pas.

Il faut d'abord mettre en exergue l'éventualité de contradictions entre les évaluations internes des établissements bancaires et les notations extérieures. La coexistence harmonieuse entre les deux procédures dérogatoires aux standards communs envisagées par le Comité n'est donc pas acquise.

Il est d'ailleurs possible que les notations externes soient elles aussi contradictoires entre elles ce qui poserait le problème délicat d'un arbitrage entre les agences de notation.

Cette éventualité a d'autant plus de chances de se rencontrer que l'accréditation des évaluateurs concernera un plus grand nombre d'entre eux. Or, la perspective d'une multiplication des sources externes d'évaluation n'est pas une vue de l'esprit d'autant que le mécanisme imaginé à Bâle délègue aux superviseurs nationaux la prérogative d'accréditer les agences de notation. En l'état, les agences reconnues au plan international sont en nombre très restreint et bien souvent anglo-saxonnes. Il n'est évidemment pas admissible pour les autres pays d'être contraints à se référer à des évaluations qui, même effectuées par des organismes indépendants, peuvent être influencées par des habitudes de pensée directement issues de la culture américaine, et même dépendantes des intérêts dominants. Il est compréhensible - cela est d'ailleurs très souhaitable pour l'Europe - que ces pays s'attachent à promouvoir des institutions de notation indépendantes. Leur avènement offrira autant d'occasions de contradictions qu'il faudra résoudre. Mais il s'impose comme un préalable à la mise en oeuvre de la proposition du Comité de Bâle. Ce n'est en effet qu'à cette condition que celle-ci présentera une réelle acceptabilité.

En effet, en l'état du développement des métiers de la notation, la référence proposée par le Comité de Bâle risque de se traduire par certaines distorsions. Le nombre des agents économiques accédant à la notation est en effet très limité, le coût des notations externes n'apparaissant souvent pas contrebalancé par ses avantages dans un monde financier où l'usage des notations externes ne s'est réellement imposé que pour les très grands émetteurs.

Si la quasi-totalité des Etats fait l'objet de telles évaluations, il n'en va pas de même des agents privés. L'exemple des entreprises est parlant : seules 600 d'entre elles sont notées en Europe. L'application du système dérogatoire évoqué par le Comité pourrait ainsi engendrer au sein même de l'Europe des restrictions ou des renchérissements de crédit peu justifiés au détriment des entreprises sans notation externe. Il y a plus grave pour l'Europe. Comme le taux de pénétration des agences de notation est beaucoup plus élevé aux Etats-Unis qu'en Europe, les distorsions de concurrence entre entreprises de part et d'autre de l'Atlantique résultant de l'application rapide de la référence à la notation externe dans le calcul des couvertures en fonds propres pénaliseraient les entreprises européennes.

Cela ne signifie pas que la proposition articulée par le Comité de Bâle de recourir davantage aux évaluations externes doive être rejetée purement et simplement. Il s'agit certainement d'un progrès. Cependant, il convient d'en réunir les préalables. Il s'agit de promouvoir le développement de la notation en Europe et la mise en place d'une procédure systématique de contrôle international des performances des agences de notation. La clef de voûte de ce système serait située au sein du FMI.

De nombreuses autres règles prudentielles devraient être améliorées que le cadre du présent rapport ne permet pas d'aborder dans le détail.


Une attention toute particulière doit être portée aux règles comptables dont l'hétérogénéité et l'insuffisante rigueur sont responsables de dysfonctionnements potentiellement très déstabilisateurs.

Les bonnes pratiques de gouvernance doivent être rigoureusement définies.

Il convient en outre de mettre en place des normes adaptées dans l'hypothèse de faillites d'agents économiques, règles qui doivent en particulier reposer sur un traitement égalitaire des créanciers en situation analogue connaissant une situation analogue.

Le chantier de la réglementation prudentielle est vaste . L'ensemble des corps de métier nécessaires à son bon achèvement doit y travailler. Ce peut être la BRI en matière de réglementation bancaire, ce peut être le FMI pour certains aspects structurels de la réglementation prudentielle, etc.

L'important en la matière est, qu'une fois identifiée la bonne enceinte de réglementation, les travaux qui s'y déroulent soient, selon les modalités pratiques souples, largement ouverts à l'ensemble de la communauté internationale.

Il faut en outre inventer une instance internationale d'arbitrage capable d'évaluer les réglementations prudentielles nationales à partir des normes élaborées par la communauté internationale. Ici également, l'arbitre ultime devrait être situé au sein du FMI.

2. Améliorer la transparence des acteurs privés et l'information des marchés

La transparence de l'information constitue un facteur essentiel d'une meilleure régulation financière internationale. La crise asiatique souligne que les objectifs et les résultats des politiques économiques menées par les pays doivent être connus et diffusés, afin d'identifier et de traiter les facteurs potentiels de crise avant qu'il ne soit trop tard. En particulier, la crise a mis en évidence les déficiences de l'accès à l'information liée aux activités des banques centrales et des autres acteurs sur le marché des changes.

a) Une meilleure information pourrait prévenir l'amplification des déséquilibres engendrée par les marchés financiers

Michel Camdessus considère que " c'est en veillant à l'élaboration rapide d'informations précises, à leur diffusion et à la meilleure information possible des gouvernements, des marchés et de l'ensemble des acteurs sur les objectifs et les résultats des politiques économiques que l'on aura les meilleures chances de résorber avant qu'ils ne s'aggravent les facteurs potentiels de crises et de réduire les phénomènes grégaires d'engouement ou de retraits frileux dont l'on connaît mieux aujourd'hui le coût " 50( * ) .

Une diffusion de manière continue des informations sur les prises de position des acteurs et la liquidité des marchés réduirait le risque de " mauvaises surprises " qui conduit à des réactions excessives de la part des marchés financiers. L'amélioration de la transparence et la réduction des coûts d'accès à l'information a un effet positif sur la rationalité des décisions des acteurs et la bonne gestion des crises . En effet, les anticipations des spéculateurs peuvent être modifiées par toute information jugée pertinente par eux. Par conséquent, le nombre et la qualité des signaux perçus par les agents a une influence certaine sur le lissage de leurs anticipations. Cependant, il convient de rappeler que le risque d'un mauvais usage de l'information demeurerait présent, ainsi que le montre la phase qui a précédé l'éclatement de la crise en Asie, alors que les déficits des transactions courantes des pays étaient connus des acteurs du marché.

Les progrès effectués vers une meilleure collecte et une plus large diffusion des informations doivent être soulignés. Le bulletin du FMI du 15 février 1999 indiquait que " le FMI doit apprendre à mieux connaître les marchés ". Le fonds a mis en place une norme spéciale de diffusion des données (NSDD) pour les pays qui satisfont déjà à une norme élevée de qualité des données, et un système général de diffusion des données (SGDD) afin d'améliorer la qualité des données dans tous les pays membres, et a accru la transparence des conseils qu'il donne aux gouvernements. Ce système devrait permettre la constitution de données statistiques complètes et accessibles, et inciter à améliorer la qualité des données. On rappellera à cet égard que les données communiquées au FMI sur les réserves de change se sont révélées fausses pour certains pays asiatiques. L'amélioration de la transparence des emprunteurs doit être complétée par une meilleure connaissance de la part des acteurs sur les marchés financiers des positions prises par les autres participants, appréciées sur une base agrégée.

Les gouverneurs du G 10 ont demandé à un groupe de travail d'identifier les informations statistiques qui pourraient permettre aux marchés de mieux évaluer les positions prises par les autorités sur le marché des changes, ainsi que les modalités de diffusion de ces informations. Le rapport " Brockmeijer ", issu des travaux de ce groupe, souligne qu'il conviendrait de prendre en compte l'ensemble des acteurs nationaux susceptibles de prendre part à une action de défense de la monnaie en cas de crise. Cependant, les comptes publics ne permettent pas de mesurer l'ensemble des risques de marché, comme l'a montré la crise asiatique. Le rapport propose donc la mise en oeuvre de méthodes permettant aux banques centrales de collecter de manière régulière et coordonnée des statistiques sur les marchés dérivés afin d'en améliorer la transparence. L'harmonisation des principes comptables constitue un préalable indispensable à une meilleure transparence des produits dérivés. Le Groupe des Trente (G 30) et le Comité de Bâle ont publié des rapports concluant à la nécessité de présenter de manière plus transparente les opérations dérivées et, en particulier, la compensation de ces opérations et ses effets sur le calcul des ratios de solvabilité. En effet, la diffusion des informations relatives aux positions prises par les fonds d'investissement à fort effet de levier pourrait permettre de prévenir les risques systémiques que ces fonds sont susceptibles de susciter.

L'amélioration de l'information des marchés devrait permettre une correction rapide et moins violente des politiques insoutenables et limiter les effets de contagion de ces ajustements. Pour atteindre cet objectif, il convient cependant d'établir des modalités de diffusion des données à la fois fréquentes et suffisamment proches des phénomènes de marchés afin d'éviter les ajustements violents provoqués par une information imparfaite qui déclencherait le retournement soudain des anticipations sur les marchés. Une périodicité mensuelle, voire hebdomadaire pourrait être adoptée, dès lors que les pays disposent des outils statistiques appropriés.

Une plus grande information des marchés limite la latitude d'action des autorités nationales pour " contrer " les marchés financiers. Le risque existe donc qu'une publication intégrale des informations transmises par les pays conduise ceux-ci à ne pas dévoiler totalement leur situation, afin de conserver la confidentialité de certaines données sensibles dans les domaines financier et économique. Le choix de la transparence implique une acceptation égale de la contrainte décidée pour l'ensemble des pays, c'est-à-dire l'expression d'une préférence pour une volatilité maîtrisée par rapport à l'incertitude qui peut permettre d'afficher une solidité artificielle, mais est également à l'origine d'ajustements violents lorsque le masque tombe.

b) La question de l'autorité collectrice des informations et de ses destinataires finaux demeure posée

La question des destinataires et de l'ampleur de la diffusion des informations demeure à ce jour contestée : celle-ci doit-elle être essentiellement destinées aux institutions internationales ou à l'ensemble des acteurs du marché ? Lors de son audition par le groupe de travail, M. Gérard Pfauwadel a estimé que la transparence devait s'adresser surtout aux autorités, afin d'éviter qu'un excès de transparence n'entraîne des surréactions de la part des marchés. Il a par ailleurs indiqué que, même avec davantage de transparence, il n'était pas certain que les positions agrégées de chaque acteur et de chaque marché soient connues.

Joseph Stiglitz, chef des économistes à la Banque mondiale, considère que " la plupart des informations qui aideront au contrôle de la situation financière de divers pays peuvent être efficacement recueillies s'il y a une coopération internationale, de sorte que les informations venant des pays prêteurs, des pays emprunteurs et des institutions internationales, peuvent être rapprochées. Reste que l'on peut se demander si ces informations ne devraient pas être recueillies par une agence indépendante internationale de statistiques, plutôt que par une agence opérationnelle, pour éviter de réels et visibles conflits d'intérêts... " 51( * ) .

Le groupe de travail considère que la BRI devrait logiquement, de par ses compétences, être l'organe collecteur des informations en provenance des banques centrales. Cependant, de très nombreux pays ne sont pas membres de cette institution, ce qui limite considérablement ses capacités d'action.

La création d'une " centrale des risques internationaux " pourrait également être envisagée, mais risquerait de compliquer inutilement, dans un premier temps, l'architecture des institutions internationales.

Par conséquent, il conviendrait que le FMI assure la diffusion des informations, dans le cadre de son rôle de surveillance et de prévention des crises . Le FMI pourrait ainsi " mettre sous surveillance " les pays qui connaissent des afflux importants de capitaux, et une détérioration de leur endettement à court terme, notamment en monnaie étrangère, et accroître les signaux d'alerte dans le cadre de la prévention des crises. De telles informations auraient été précieuses, en particulier dans la phase qui a précédé le déclenchement des difficultés en Thaïlande en 1997.

C. AMÉLIORER L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU CONTRÔLE EXTERNE

Le développement de règles prudentielles internationales appelle, malgré l'essor souhaitable des procédures de contrôle interne, des vérifications extérieures de leur bonne application.

En principe, il appartient à chaque Etat de mettre en oeuvre les contrôles de cette sorte les plus efficaces possibles. Cette attribution de compétence de principe ne signifie pas pour autant que le renforcement du contrôle externe puisse être entrepris sans considération pour des initiatives internationales qui apparaissent aujourd'hui nécessaires à sa pleine efficacité.


Une première considération pratique s'impose. Le développement des institutions de contrôle externe est, à l'image du développement économique, fort inégal selon les nations. Cette inégalité contraste avec l'homogéneité plus grande du processus d'intégration à l'économie mondiale. Les pays les plus en avance en matière d'infrastructures économiques doivent assumer la responsabilité d'apporter efficacement leur assistance aux pays moins développés. L'Union européenne l'a bien compris, mais pas très bien fait, dans le cadre des programmes PHARE et TACIS. Le Comité de Bâle a, lui aussi, saisi l'importance de l'enjeu et sa mission même consiste à établir les bases de bonnes pratiques. Mais il y a plus qu'un pas entre la définition de principes et l'appropriation concrète de ces principes par tous.

Il convient donc d'abord de reconnaître toute l'importance qu'il y a à promouvoir les efforts d'assistance en direction des organes de contrôle externe qui en éprouvent le besoin.

Le deuxième aspect fondamental du sujet consiste à recommander de remédier aux cloisonnements nés des superpositions actuellement à l'oeuvre entre organes nationaux de contrôle.


L'internationalisation des acteurs de marchés et le caractère transnational de leurs engagements offrent sous cet angle un contraste avec le " localisme " des instances de contrôle. Il est indispensable d'y remédier en instaurant des processus organisés de coopération entre contrôleurs. Des accords existent en la matière mais ils ne sont ni systématisés ni véritablement contrôlés. Il importe donc d'étendre le réseau de ces accords. Il convient aussi d'envisager l'opportunité de leur conférer une certaine solennité. Il existe des précédents, en matière fiscale notamment avec les conventions fiscales internationales dont certaines clauses concernent les questions d'assistance administrative. Ces conventions passées entre Etats obéissent à un modèle-type dit " modèle de l'OCDE ". Elles impliquent des Etats dont les administrations fiscales connaissent des statuts très variées, certaines étatiques, d'autres fédérales, d'autres encore relevant du système de l'Agence, c'est à dire indépendantes de l'Etat.

Il serait souhaitable d'appliquer cette formule liant les Etats en matière d'assistance et de coopération internationale entre superviseurs financiers.

Dans cette perspective, il peut sembler utile de se doter d'un arbitre international en mesure de régler les litiges que pourrait faire naître l'application pratique de ces conventions.


Cette recommandation paraît s'imposer face aux dysfonctionnements observés dans le déroulement des procédures de coopération, y compris en Europe, qui ont souvent été rapportés à votre groupe de travail.

L'internationalisation du contrôle demande des initiatives complémentaires. Il faut à ce sujet aborder la question fréquemment débattue de l'instauration d'un organe de contrôle international.

Selon certains, la mondialisation monétaire et financière devrait donner naissance un organe international de contrôle. Le FMI ne joue-t-il d'ailleurs pas ce rôle à l'égard des Etats ?

Cette idée, sous des dehors séduisants, manque singulièrement de réalisme. Sans même insister sur les abandons de souveraineté que sa mise en oeuvre supposerait, il convient de mettre en évidence deux objections fortes. La première consiste à faire valoir qu'à défaut d'un droit prudentiel universel, l'on voit mal à quelles normes un tel organe pourrait se référer.

S'il devait s'appuyer sur les règles édictées par la communauté internationale qui jusqu'à présent n'ont pas de valeur normative et revêtent un caractère minimal, le régulateur international userait d'un " droit mou ", souvent en retrait par rapport aux règles en vigueur dans les Etats. S'il devait se référer à ces dernières, il lui faudrait appliquer un droit très hétérogène sanctionnant ici ce qui serait ailleurs autorisé. En toute hypothèse, il faudrait à ce superviseur des moyens considérables représentant au minimum le regroupement des moyens existants aux niveaux nationaux.

Sachant que rien ne permet d'imaginer une telle architecture applicable, et outre que les avantages d'un tel système sont introuvables, il faut faire le constat de ses inconvénients. Le contrôle prudentiel de droit commun doit en effet demeurer proche des réalités économiques et financières sur lesquelles il s'exerce. C'est une des leçons des crises que l'éloignement des centres de décisions par rapport à ces réalités constitue un handicap majeur dans l'appréciation des risques. Il ne faut pas transposer ce handicap au niveau des contrôleurs.

C'est un tel argument qui milite pour le maintien, dans un ensemble régional aussi cohérent que l'Union européenne, des responsabilités et compétences des contrôleurs nationaux.

Est-ce à dire qu'il n'y ait pas de place pour un échelon international de contrôle ? La réponse à cette interrogation est bien sûr négative.

Au cours de ses entretiens, le groupe de travail a acquis la conviction que l'instauration d'une coopération même améliorée entre les superviseurs nationaux ne pouvait pas constituer l'unique réponse aux incohérences issues de l'éclatement et de la superposition des compétences nationales.

Il faut en premier lieu résoudre les problèmes posés par le contrôle des groupes multinationaux.

Pour ces groupes, il serait d'abord souhaitable de généraliser le recours à la formule d'un partage formalisé des responsabilités entre autorités nationales de contrôle à l'image de celle mise en place par le " memorandum of understanding " entre la Commission bancaire française et la Commission bancaire et financière belge à propos du groupe Dexia. Il s'agit en l'espèce de désigner un responsable principal de la supervision (" lead supervisor ") et d'organiser les coopérations nécessaires. Un tel aménagement constitue l'une des formes que peut revêtir une coopération internationale satisfaisante entre contrôleurs nationaux. Bien adapté à des groupes peu disséminés, il l'est sans doute moins pour des entités à dimension internationale plus développée. Toutefois, il pourrait être fructueux d'envisager sa généralisation à toutes les très grandes institutions bancaires internationales.

L'amélioration de l'organisation et du fonctionnement du contrôle externe devra être complétée par la mise en oeuvre d'un contrôle des contrôleurs externes.

L'on sait que le développement souhaité des contrôles internes s'accompagne d'une exigence d'un contrôle externe effectif de ce type d'évaluation. " Mutatis mutandis ", un monde financier globalisé où le contrôle externe reste exercé dans le cadre de compétences nationales appelle une évaluation et un contrôle internationaux de la façon dont elles sont concrètement exercées.

L'Union européenne offre une illustration grandeur nature de la justesse d'une telle recommandation.

Les conditions dans lesquelles y sont exercés les contrôles externes varient considérablement, à tel point que plusieurs des interlocuteurs du groupe de travail ont pu évoquer l'existence de problèmes de distorsion de concurrence entre systèmes bancaires nés de cette hétérogénéité des pratiques.

Ce dernier constat s'il devait être vérifié poserait en soi un grave problème. Mais, en dehors même de cette hypothèse, il n'est pas douteux que la solidarité monétaire entre les pays de l'Union européenne ne saurait se satisfaire d'une divergence des pratiques de contrôle bancaire tant la solidité d'une monnaie dépend de celle du système bancaire.

L'on a exposé les motifs pour lesquels la substitution d'un organe central de supervision bancaire au réseau décentralisé actuellement en place n'était pas souhaitable. Mais les défauts d'organisation observés ne doivent pas perdurer pour autant.

La Banque des règlements internationaux a entrepris une évaluation des contrôleurs nationaux dont la Commission bancaire. Il serait souhaitable que, compte tenu de ses missions, la Banque centrale européenne (BCE) se voie doter des moyens nécessaires à une telle évaluation qu'elle devrait conduire de manière systématique et régulière.

Un système analogue de supervision des superviseurs devrait être mis en place au niveau international, c'est-à-dire à celui du FMI.

Il convient d'ajouter qu'il serait souhaitable que de telles supervisions s'appliquent également à l'égard des autres métiers financiers et qu'une réelle coopération se noue entre les différents organes en charge de ces différentes missions.

D. LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE

La lutte contre la criminalité financière internationale est devenue un sujet central des réunions inter-gouvernementales traitant de la stabilité du système financier international. Les propositions se multiplient à ce sujet, particulièrement provenant de la France. La pression sur les Etats délinquants ou accommodants à l'égard de la délinquance financière augmente, notamment de la part des Etats-Unis.

Le groupe de travail n'a pas la prétention d'émettre des propositions définitives sur ce sujet préoccupant. Il tient toutefois à donner quelques conseils au gouvernement français et aux négociateurs internationaux à ce sujet.

1. Deux préalables indispensables

Deux conseils initiaux paraissent pouvoir être formulés :

il faut, en premier lieu, choisir le bon niveau de décision pour une lutte concertée des Etats contre la criminalité financière. L'ONU d'une part et l'OMC d'autre part semblent constituer ce bon niveau.

La France a fait neuf propositions pour lutter contre les paradis bancaires et fiscaux. Mais elle les a exprimées au FMI et au G 7. L'OCDE est également un lieu traditionnel de débats à ce sujet.

Or, de deux choses l'une : ou bien les pays industriels sont décidés à mener des opérations militaires de police internationale contre les Etats ou gouvernements délinquants, et ils peuvent décider entre eux ce qu'il convient de faire. Ou bien, et c'est le plus probable, ils n'y sont pas disposés, et alors il est indispensable d'associer étroitement ces territoires à la lutte contre les flux financiers criminels . Délivrer des "oukazes" serait inefficace. Il conviendrait de réunir un groupe ad hoc , où seraient convenablement représentés les centres offshore ainsi que les Etats souffrant de criminalité à grande échelle, dans une négociation où leurs intérêts seraient préservés . L'Organisation des Nations-Unies serait probablement le niveau adapté de décision. Par ailleurs, l'OMC est directement concernée puisque l'opacité de certains territoires crée de réelles distorsions préjudiciables à la liberté des échanges et à la bonne organisation du commerce mondial. L'organisation de Genève pourrait utilement participer à l'émergence de nouvelles normes en la matière. Votre groupe de travail estime donc qu'une première négociation au sein de l'ONU devrait ouvrir la voie à la définition de règles et de procédures, notamment juridictionnelles, au sein de l'OMC.

Il paraît également important de distinguer le traitement des fonds d'origine criminelle de celui des fonds qui proviennent d'une activité licite . Autrement dit, il ne faut pas considérer le blanchiment et la corruption d'un côté, et l'évasion fiscale de l'autre, comme étant des fléaux de même gravité. L'OCDE serait sur le point de considérer la fraude fiscale comme un crime grave en lui-même. Cela paraît aller un peu vite en besogne, d'autant que le degré de sévérité des règles fiscales varie beaucoup dans le monde : de la concurrence fiscale à la fraude fiscale, il existe une large marge d'appréciation. Les pays industriels doivent laisser aux paradis fiscaux le bénéfice d'une fiscalité légère : ils ont le droit d'avoir fait ce choix. En échange d'une relation tolérante dans ce domaine, au moins dans un premier temps, il pourra être exigé de la part de ces Etats une vigilance accrue contre les fonds d'origine criminelle, ainsi que davantage de coopération dans les échanges d'information.

2. L'instauration d'une coopération " gagnant/gagnant "

La lutte contre les fléaux financiers nécessite de convaincre les Etats où ils sévissent qu'ils ont plus à gagner qu'à perdre à lutter contre eux. Trois attitudes peuvent être préconisées :

Mettre les Etats délinquants sous pression . Les listes établies par Transparency international pour la corruption, ou le département d'Etat américain pour le blanchiment contribuent à faire prendre conscience à certains Etats de la réprobation qu'ils suscitent, et à les obliger à adopter une attitude plus coopérative. L'Allemagne vient de livrer le Liechtenstein à la vindicte. Le gouvernement britannique a demandé à la firme KPMG un audit sur les paradis fiscaux de la Couronne 52( * ) . La Banque centrale de Russie a placé sous surveillance certaines îles du Pacifique 53( * ) . Les Etats-Unis menacent de sanctions Antigua, la Dominique, la Russie, le Nigeria et la Colombie.

Le Forum de stabilité financière se propose de publier une " liste noire " des paradis fiscaux. Le GAFI devrait faire de même en juillet. Cette technique peut être efficace : en condamnant certains et en épargnant les autres, la communauté internationale peut amener les plus délinquants à se rapprocher des plus présentables. De proche en proche, une amélioration générale de la situation devrait être observée.

S'agissant de la corruption , il serait nécessaire comme pour les centres offshore d'établir une liste officielle des Etats où elle sévit, sous l'égide de la Banque des règlements internationaux et de l'Organisation mondiale du commerce , à partir d'une enquête de fond. En effet, quel que soit l'intérêt des sondages de Transparency international, ils ne révèlent qu'une perception subjective de la corruption et ne revêtent aucun caractère officiel.

Subordonner les aides aux Etats à des mesures de lutte contre la délinquance financière . Certains pays émergents ou en développement ont aujourd'hui besoin d'aides publiques internationales, certains paradis fiscaux aussi. Plutôt que de soumettre l'octroi des aides à des objectifs macro ou micro-économiques, il peut être suggéré d'établir des objectifs de lutte contre la corruption, les trafics, le blanchiment. Selon votre groupe de travail, cette lutte, si elle est bien menée, peut de surcroît faciliter les performances économiques, la délinquance financière étant nuisible à la santé financière des Etats.

Dans le débat sur l'annulation totale de l'ensemble de la dette des pays en développement, une des conditions les plus importantes à poser pourrait être celle-là.

Coopérer à l'établissement de règles de conduite et à la mise en place d'organes de contrôle locaux.

Le Sénat français coopère institutionnellement avec les jeunes démocraties dans la mise en place de leurs institutions, et, bien souvent, d'une seconde chambre.

Les pays industriels pourraient faire de même avec les pays émergents et les centres offshore . Les Bahamas viennent de mettre en place un organisme de surveillance bancaire et boursier. Il appartient aux pays de l'OCDE, au Comité de Bâle, à l'OICV, de proposer leur aide bénévole, voire accompagnée d'un soutien financier, à tous les Etats souhaitant se doter de structures de surveillance bancaire et financière, ainsi que d'une législation en ce sens.

3. Mettre la délinquance financière au coeur du contrôle

Etendre les compétences de tous les régulateurs financiers à la surveillance de la délinquance financière . Les organes de contrôle des banques, des assurances, des marchés financiers, les institutions multilatérales, les banques régionales de développement : tous les organes de l'architecture financière internationale doivent avoir compétence, mais aussi acquérir la culture et les qualifications techniques, éventuellement à l'aide de magistrats ou de policiers, pour lutter contre la criminalité financière. Leur point de vue est encore trop économique et financier, et insuffisamment policier à cet égard.

Dans les ratios prudentiels, les crédits accordés à des organismes situés offshore devront également être pondérés en fonction des risques particuliers que ces flux font courir à l'ensemble du système financier. La BRI pourrait définir ces pondérations.

Coordonner l'action de tous les organes de régulation . L'exemple FIMACO a fait apparaître qu'un dialogue plus approfondi entre le FMI, la Commission bancaire et la Commission des opérations de bourse françaises, la commission des valeurs mobilières de Jersey, ainsi que la Banque centrale de Russie, aurait sans doute permis d'éviter tout ou partie des dévoiements observés.

Il est nécessaire que les multiples institutions financières nationales et internationales forment un véritable réseau de contrôleurs. Les flux financiers internationaux passent souvent par un grand nombre de pays et de transactions : un maillage serré de contrôleurs rendrait les recoupements inévitables. Pour cela, il serait utile d'approfondir, en la pérennisant, une structure du type du Forum de stabilité financière.

4. France : balayer devant notre porte

Le groupe de travail tient enfin à formuler quelques recommandations à l'égard de notre pays. Au sujet de la régulation financière internationale, le Gouvernement est en effet prompt à de grandes déclarations et à multiplier les propositions soumises à nos partenaires, que ce soit sur la dette, l'architecture financière internationale, ou les paradis fiscaux. Mais qu'en est-il de son action ?

Au sujet de la corruption, la France est classée dixième dans l'Europe des Quinze par Transparency international , et sa note s'est détériorée de 1998 à 1999. La lutte contre la corruption doit d'abord commencer chez nous. Des mesures de rapprochement avec les normes les plus élevées doivent être prises.

La France abrite elle-même des paradis fiscaux , dans ses collectivités outre-mer. Le moins admissible est Saint-Martin, qui peut être considérée comme une véritable zone offshore . Il faut, à tout le moins, rétablir à Saint-Martin le droit commun fiscal appliqué dans les DOM.

S'agissant du blanchiment , la France est classée par le Narcotic bureau parmi les pays où se déroule une intense délinquance financière. Les Etats-Unis reconnaissent la ferme volonté de lutte du Gouvernement. Mais ils déplorent la relative clémence des peines encourues, notamment du fait de la confusion des incriminations et des peines. Contre la délinquance financière internationale, il conviendrait peut-être d'appliquer un droit largement partagé par la communauté internationale.

A cet égard, et sous réserve des positions que votre commission prendra à ce sujet, le groupe de travail considère que les mesures proposées dans le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques vont dans le bon sens. Certaines de ces mesures, relativement aux restrictions ou interdictions des relations avec les centres offshore , sont toutefois subordonnées à l'établissement des listes des centres les moins coopératifs. La France se référera probablement à la typologie établie par le GAFI.

Le projet prévoit en outre une généralisation de la déclaration de soupçon aux transactions dont les opérateurs ne peuvent être identifiés, et une généralisation des relations des autorités publiques avec Tracfin, service de renseignement contre le blanchiment.

Enfin, tout en donnant des leçons de transparence , la France n'en fait guère preuve elle-même . Sur l'affaire FIMACO, notre pays ne s'est guère vanté de sa faible efficacité au sujet des transactions douteuses de la Banque centrale de Russie. Le président de la commission des finances et votre rapporteur ont posé à ce sujet une question écrite au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en septembre 1999. La réponse se fait toujours attendre...

E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS

1. L'interdiction des prêts en dernier ressort est une vue de l'esprit

Le risque d'irresponsabilité des acteurs de marché et la probabilité de crises financières qui en découle est, on l'a mentionné, entretenu par la perspective d'interventions publiques qui, jouant comme une assurance sans primes, introduit un fort risque moral.

Cette situation irritante suscite la tentation de prohiber le recours de telles interventions. La suppression des prêts en dernier ressort ou d'autres formes gratuites d'assurance imposerait davantage de prudence aux acteurs de marché et supprimerait l'impression désagréable d'une socialisation des pertes subies par des intervenants qui savent, au contraire, bénéficier à titre exclusivement privé des bénéfices de leurs imprudences.

Mais, outre qu'une telle mesure ne saurait se décréter universellement 54( * ) , elle apparaît comporter un bilan coûts-avantages défavorable.

Il semble d'abord qu'une prohibition générale de ces interventions, à supposer même qu'elle permette de prévenir les comportements financiers imprudents - concept qui appelle une définition générale introuvable - ne supprimerait pas l'ensemble des occasions de crises qu'appellent par nature l'activité bancaire et le développement économique.

Dès lors, les autorités publiques confrontées à une crise, se trouveraient privées d'un instrument essentiel à leur résolution. Ainsi désarmées, elles ne pourraient que laisser se développer des crises systémiques qui, par contagion, affectent les acteurs dont la responsabilité directe dans des crises est nulle. Il ne s'agirait pas d'autre chose que de " jeter le bébé avec l'eau du bain ".

L'élimination a priori de tout prêteur en dernier ressort doit être écartée comme constituant une mesure inappropriée.

L'existence d'un prêteur en dernier ressort est donc nécessaire pour faire face aux crises systémiques. Mais le problème systémique que le prêteur en dernier ressort engendre doit, quant à lui, être traité.


C'est à partir de ces deux considérations fondamentales qu'il faut aborder les questions essentielles que sont l'identité du prêteur en dernier ressort et les conditions que doit satisfaire son intervention.

2. Qui doit être appelé à jouer le rôle de  prêteur en dernier ressort ?

En l'état, l'identité du prêteur en dernier ressort est fixée sur des bases quelque peu existentialistes. Il s'agit principalement d'instances nationales (banques centrales, budgets, assurances...) mais il peut s'agir aussi des institutions financières internationales, et en particulier du FMI, qui, même s'il manque de moyens en ce sens, joue de fait ce rôle.

Cette architecture est-elle satisfaisante ? Ne faut-il pas mieux préciser les rôles ?

Cette question souvent abordée sur un plan académique doit pourtant être traité avec pragmatisme.

Il convient d'abord de rappeler en quoi consiste l'activité de prêteur en dernier ressort entendue au sens strict. Il s'agit de consentir des prêts d'urgence à des établissements qui, bien que solvables en régime normal, se trouvent confrontés à une pénurie de liquidités.

Une telle situation est généralement susceptible d'être gérée par n'importe quelle banque centrale puisqu'aussi bien ces institutions disposent d'une capacité illimitée de créer de la monnaie. Il en va d'ailleurs ainsi en pratique.

Il n'apparaît donc pas systématiquement nécessaire de mobiliser un quelconque prêteur en dernier ressort supra-national pour régler les problèmes de liquidité des banques.

Toutefois, en de rares circonstances , soit que la banque centrale d'un pays se refuse à intervenir, soit que le problème de liquidité rencontré consiste en une pénurie en devises impossible à combler via des interventions de banques centrales en crise de liquidités elles-mêmes, l'intervention d'un prêteur en dernier ressort non-national s'impose.

Qui peut et qui doit jouer ce rôle ?


La première question amène naturellement à s'interroger sur la capacité du FMI à jouer efficacement le rôle d'un prêteur en dernier ressort. Le déroulement des crises asiatiques a montré que cette capacité était limitée. Le Fonds n'a pas la possibilité de créer de la monnaie. Face à des besoins massifs, il doit au préalable recourir aux Etats en espérant que ceux-ci consentent à une augmentation de ses moyens. Ses interventions sont destinées aux Etats alors que les problèmes de liquidité concernent désormais souvent des acteurs privés. Ceux-ci ne bénéficient des interventions du Fonds qu'après intermédiation des banques centrales nationales et donc moyennant des délais supplémentaires.

Les interventions du Fonds sont donc, par construction, tardives. Elles ne parviennent pas à prévenir les crises.

En fait, dans la plupart des crises de liquidité à impact international potentiellement élevé, les prêteurs en dernier ressort efficaces ont été les banques centrales nationales en mesure d'intervenir massivement c'est à dire pour l'essentiel la banque centrale américaine, la Banque du Japon et, à un moindre degré, les banques centrales des pays européens.

Faut-il modifier cette situation ? Cette question revêt deux aspects distincts.

Le premier d'entre eux consiste à s'interroger sur le choix de l'organisme qu'il conviendrait de charger de la mission de prêteur en dernier ressort. Ce rôle est mal joué par le FMI dans l'hypothèse de crises d'illiquidité des agents privés. Seule une réforme profonde du Fonds et un accroissement très sensible de ses moyens lui permettrait d'être un prêteur en dernier ressort efficace, c'est-à-dire capable de prévenir le déclenchement d'une spirale de crises.

D'un autre côté, la décentralisation actuelle des initiatives aux grandes banques centrales nationales ne constitue pas une solution coopérative et laisse perdurer une réelle dépendance des pays émergents à l'égard des pays les plus développés.

Ce diagnostic fonde les recommandations suivantes .

Il importe d'abord que des banques régionales se développent dans les zones économiques où elles font défaut. Elles doivent être en mesure sinon d'exercer toujours le rôle de prêteur en dernier ressort du moins d'en constituer un support éventuel et d'être des interlocuteurs crédibles des banques centrales des pays développés.

En outre, la coordination entre les grandes banques centrales doit être renforcée pour traiter de façon harmonieuse leurs interventions au titre de prêteur en dernier ressort.

C'est d'ailleurs un modèle de ce type qui est implicitement retenu dans le cadre du système européen de banques centrales (SEBC). En son sein, les refinancements restent en pratique à la charge des banques centrales nationales mais la Banque centrale européenne dispose d'un droit de regard général sur l'activité des banques nationales et il existe au sein du SEBC des accords de liquidité susceptibles d'être mobilisés le cas échéant.

Ainsi, et même si la BCE ne s'est pas vue explicitement confier le rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro, cette solution apparaît d'abord conforme au principe de subsidiarité. En outre, contrairement aux critiques qu'elle a suscitées en particulier de la part des économistes du FMI, cette solution paraît compatible avec les exigences de régulation en Europe. La probabilité d'y voir une banque centrale nationale hors d'état de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort est faible ; le SEBC semble avoir mis en place les instruments que pourrait réclamer une crise d'une ampleur particulière. Enfin, l'imprécision qui caractérise cette organisation est conforme au principe " d'ambiguïté constructive " par les incertitudes qu'elle laisse planer sur le principe même d'une intervention en permettant de limiter le risque d'irresponsabilité né du sentiment de l'existence de l'intervention garantie d'un assureur des risques.

En conclusion, il apparaît souhaitable de mettre en oeuvre au niveau international un système de coopération souple mais attentif entre banques centrales plutôt que de se reposer sur la désignation institutionnelle d'un prêteur en dernier ressort. Cette recommandation qui procède du constat que le Fonds n'est pas un mesure d'être un prêteur en dernier ressort préventif ne signifie pas que le FMI doive renoncer à l'exercice des missions qui sont les siennes.

La seconde question qui ne peut être éludée consiste à s'interroger sur la compatibilité d'un système décentralisé de prêteur en dernier ressort avec l'existence d'une communauté d'intérêts dans le domaine monétaire . Cette question revêt une particulière importance dans le cadre des zones monétaires unifiées. En leur sein, l'intervention d'un prêteur en dernier ressort est susceptible d'exercer des effets contradictoires avec l'objectif de stabilité monétaire. La situation de la zone euro illustre un éventuel conflit entre les décisions monétaires prises par l'organe central (la BCE) et les interventions comme prêteur en dernier ressort des organes décentralisés (les banques centrales nationales).

La perspective d'un tel conflit et les voies de sa résolution ne sont pas éludées par le traité d'Union monétaire puisque les activités des banques centrales nationales ne doivent pas nuire aux objectifs et aux missions du SEBC où la BCE exerce la responsabilité de la définition de la politique monétaire. C'est sur ces bases que les autorités monétaires en Europe pourraient assurer, de façon pragmatique, la conciliation des initiatives de secours d'urgence et des objectifs de la politique monétaire unique.

Cette architecture, il faut l'admettre, ne se retrouve pas en l'état au niveau international. Cependant il est loisible et souhaitable d'aborder cet aspect du problème dans les enceintes internationales de concertation.

3. Comment doit être exercé le rôle de prêteur en dernier ressort ?

Une recommandation préalable ressort de l'expérience des crises : la nécessité d'interventions rapides doit être affirmée avec force. Mais une autre considération est essentielle.

Le constat de l'existence d'un risque d'irresponsabilité associé aux interventions des prêteurs en dernier ressort appelle à une réflexion sur les moyens de réduire ce risque. Ce dernier, soulignons-le n'est pas l'apanage du secteur privé ; il concerne aussi les Etats pour lesquels la perspective d'un secours extérieur peut agir comme un dangereux lénifiant.

C'est pourquoi il importe d'accoler aux interventions des prêteurs en dernier ressort un coût afin qu'elles cessent d'apparaître comme une assurance sans prime.

Cette préconisation ne signifie pas que ce type de prêts soit assorti systématiquement d'un taux de pénalité. Cela est parfois recommandé comme étant de nature à prévenir un recours abusif à la monnaie de la banque centrale lorsque le marché serait capable, mais à un taux plus élevé, de refinancer l'établissement défaillant. Dans les faits, de nombreux prêts de secours sont attribués sans application d'un taux de pénalité. Cet usage s'explique par des considérations pratiques, infliger un taux de pénalité pouvant accroître les difficultés de l'intermédiaire secouru. En la matière, tout esprit de système doit être exclu, tout étant du domaine des cas d'espèces.

Il faut en revanche systématiquement rechercher quelles conditionnalités s'imposent dans le cadre des interventions de secours . Il peut s'agir d'un changement des dirigeants - solution envisageable dans les prêts au secteur privé mais évidemment non-mobilisable lorsqu'il s'agit du secteur public - voire d'un retrait d'agrément. Il peut être nécessaire de resserrer les exigences de couverture en capital imposées à l'établissement ou encore d'élever les provisions passées par lui. Une large gamme de conditions peuvent être envisagées. Elles doivent l'être au coup par coup. Mais il faut faire plus.

Il est important et souhaitable que les prêteurs en dernier ressort, et en particulier les banques centrales, définissent explicitement en commun, le prix de leurs éventuelles interventions. Cette déclaration commune serait en soi une manière de réduire le risque moral.

D'autres voies doivent être explorées.

Un sujet mérite de ce point de vue une attention particulière : celui de l'association des intérêts privés à la résolution des crises de liquidité
. Ce thème a été développé depuis les crises asiatiques pour une raison évidente : ces crises ont principalement concerné des agents privés. Il a fait l'objet d'une déclaration lors du sommet du Conseil européen de Cologne en juin 1999. " Pour le Conseil européen, il est particulièrement important d'associer davantage le secteur privé à la prévention et au règlement des crises financières. A cet égard, il insiste sur la nécessité d'intensifier les travaux visant à fixer des règles plus efficaces pour la participation du secteur privé à la prise en charge du coût des turbulences sur les marchés financiers ".

C'est une même approche qui a été suivie par le G 10 lors de sa réunion de Washington en septembre 1999 où furent réaffirmés " les principes selon lesquels les débiteurs doivent honorer leurs obligations et contrats et qu'aucune catégorie de créanciers privés ne doit être considérée comme privilégiée par rapport à d'autres ". Un appel a été lancé à cette occasion pour l'intensification du dialogue entre créanciers et débiteurs ainsi que pour l'extension du recours aux clauses d'action collective dans les émissions obligataires privées ou émanant d'emprunteurs souverains.

En l'état, ce qui est en discussion est essentiellement relatif à l'introduction de modalités juridiques et pratiques permettant de restructurer les dettes obligataires privées. Tout part du constat, plus ou moins strictement fondé, qu'à l'occasion des crises les interventions de secours des prêteurs en dernier ressort permettraient d'acquitter les dettes obligataires privées. L'inclusion de clauses de restructuration des dettes privées dans toutes les émissions où elle pourrait sembler nécessaire serait ainsi censée :

- résoudre les problèmes d'aléa moral que pose l'intervention massive des institutions financières internationales ;

- assurer la comparabilité de traitement entre créanciers publics et privés ainsi qu'entre les créanciers privés eux-mêmes ;

- inciter les prêteurs et les investisseurs à une meilleure évaluation des risques associés à leurs opérations sur les marchés émergents.

La poursuite de tels objectifs apparaît souhaitable. Il convient cependant d'ajouter une observation .

Si la participation des porteurs d'obligations au traitement des crises doit être mieux établie, il faut veiller aussi à ce que les banques créditrices et les actionnaires y soient également associés. C'est souvent le cas pour les banques qui se trouvent " collées " au moment où survient la crise mais il est souhaitable de réfléchir à la situation de celles dont les désengagements plus précoces leur permettent sans doute d'y échapper mais peuvent avoir une responsabilité de premier rang dans les processus de crise. Il y a là un thème de réflexion à approfondir.

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