II. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
A. RÉORGANISER LES COMPÉTENCES AU SEIN DU SYSTÈME INTERNATIONAL
1. Le développement des compétences régionales au service de la régulation et de la prévention
a) Des réseaux implantés localement au service des institutions internationales
Les
banques régionales de développement ont considérablement
accru leur action en matière de financement de projets d'infrastructures
au cours des dernières années. Des liens institutionnels
fréquents unissent ces banques et la Banque mondiale pour la
définition des critères de financement de ces projets, afin que
les différentes institutions prennent des décisions
cohérentes vis-à-vis des pays des régions
concernées. Cependant, il conviendrait de développer cette
coopération en associant étroitement les banques
régionales de développement aux décisions et à la
mise en oeuvre de celles-ci par la Banque mondiale, notamment en faisant
davantage bénéficier cette dernière de leur expertise. Les
banques régionales pourraient se constituer en un réseau
permettant, de par leur proximité avec les pays de leur région,
de développer l'information des institutions internationales.
Les critiques exprimées envers le FMI soulignent parfois la connaissance
imparfaite de l'environnement politique et social des pays auxquels le FMI
prête de l'argent, et les habitants de ces pays s'indignent des missions
des administrateurs du fonds, qui décident en quelques jours de l'avenir
de leur pays lors de discussions avec les représentants du gouvernement.
Afin de prendre en compte ces critiques, le FMI a décidé la
création d'un bureau régional pour l'Asie et le Pacifique
à Tokyo, chargé d'entretenir le dialogue entre le Fonds et les
responsables de la politique économique en Asie dans le cadre des
instances régionales et de faciliter les activités de
surveillance régionale. Il analyse le comportement des marchés de
capitaux dans la région, pour permettre au FMI d'avoir une meilleure
compréhension de l'évolution de la situation économique
dans la région. Ce bureau assure également le secrétariat
du
" Manilla Framework Group ",
constitué de
représentants des ministères des finances et des banques
centrales de quatorze économies de la région, afin de
renforcer la surveillance, développer la coopération et
promouvoir la stabilité financière.
La " décentralisation " des institutions internationales et
la constitution de réseaux régionaux doivent permettre une
meilleure surveillance des économies, ainsi qu'une plus grande
proximité culturelle et institutionnelle de ces institutions avec les
pays.
b) La création de fonds monétaires régionaux et le développement de l'intégration monétaire régionale
Le
développement des organisations régionales favorise la
concertation et les échanges d'expertise entre les pays, ainsi que,
à terme, une plus grande solidarité mutuelle.
L'idée d'un Fonds monétaire asiatique avait été
émise par le Japon en 1997, mais refusée par les Etats-Unis,
notamment en raison de la crainte de créer un outil au service des
tentations hégémoniques du Japon et de la volonté de ne
pas créer d'institution dont l'action serait concurrente de celle du
FMI.
La création de fonds monétaires régionaux dans les
pays émergents semble néanmoins être une idée
intéressante, car elle permettrait une plus grande solidarité
entre les pays membres, ainsi qu'une plus grande acceptation des
recommandations qui seraient émises par ces fonds par rapport à
celles du FMI.
Un fonds régional permettrait donc d'assurer une
entraide entre pays voisins, mais également une surveillance des
économies meilleure que celle exercée au niveau mondial.
Le développement des compétences régionales est une
idée importante de réforme de l'architecture du système
monétaire international, qui doit progresser. Des systèmes de
surveillance et d'alerte régionaux doivent être mis en place et
l'idée de créer un prêteur en dernier ressort au niveau
régional mérite d'être étudiée.
Les Japonais souhaitent un renforcement de la coopération
économique et financière en Asie, qui pourrait aboutir, à
terme, à la création d'une monnaie unique sur le modèle de
l'euro. Bien entendu, un progrès réel vers cet objectif suppose
un accord avec la Chine, dont il est difficile d'imaginer aujourd'hui les
termes. L'instauration de blocs monétaires régionaux
apparaît difficile à mettre en oeuvre, de même que les
" zones cibles ". Ces propositions ont été
développées du fait de l'ampleur des fluctuations de la
parité yen-dollar au cours des dernières années. Les pays
dont la monnaie était liée au dollar, comme la Thaïlande,
ont profité de la faiblesse du dollar, qui améliorait leur
compétitivité-prix sur les marchés extérieurs, pour
développer leurs exportations. Cependant, l'appréciation du
dollar vis-à-vis du yen a eu des conséquences désastreuses
sur ces économies, en réduisant leur
compétitivité-prix et en accroissant le coût de leur dette.
Ce retournement a donc constitué un facteur de déclenchement de
la crise en Asie.
Un système de " zones cibles " a été mis en
oeuvre lors du sommet du G 7 du Louvre en 1987, afin d'encadrer les
fluctuations importantes du dollar. Cet accord n'a cependant été
respecté que pendant quelques mois, et a reporté une partie de la
volatilité du marché des changes vers le marché des
capitaux. Ce système implique que les banques centrales soient
disposées à défendre les parités définies
par les zones cibles. Or, cette défense peut s'avérer
particulièrement coûteuse pour les pays, en épuisant leurs
réserves de change. L'exemple de la crise du système
monétaire européen en 1992 montre par ailleurs que les banques
centrales sont incapables de faire face aux marchés financiers lorsque
ceux-ci considèrent que les politiques menées par les Etats sont
insoutenables à terme. Dans un système de " zones
cibles " les banques centrales sont forcées d'ajuster leur taux
d'intérêt pour maintenir les parités des monnaies à
l'intérieur des zones définies, y compris lorsque cette hausse
des taux d'intérêt emporte des effets récessifs non
désirés.
La définition des zones cibles constitue donc une idée
potentiellement coûteuse, et implique une forme de mutualisation des
pertes entre les pays prenant part à ce type d'accord. De plus, la
définition d'une parité de référence entre les
monnaies constitue une première étape sur laquelle il convient
que les pays se mettent d'accord. En tout état de cause,
l'établissement de zones cibles exige une réduction des
déséquilibres internationaux et une amélioration de la
coordination des politiques économiques des différentes
entités. Il apparaît que ce type de proposition ne constitue pas
une solution réaliste compte tenu du contexte international.
Cependant, la proposition japonaise de fonds monétaires
régionaux, évoqué ci-dessus, mérite d'être
gardé en mémoire, et votre groupe de travail estime qu'il faudra
être particulièrement attentif à toutes les situations qui
permettraient de diffuser ainsi un modèle " à
l'européenne ".
2. Une clarification des compétences du FMI et de la Banque mondiale
Le
spectacle des actions et des discours désordonnés voire
contradictoires des institutions de Bretton Woods au cours de la crise
asiatique montre la nécessité d'une clarification de la
répartition des compétences entre le FMI et la Banque mondiale.
Le rapport du groupe de travail constitué par le Congrès des
Etats-Unis et présidé par M. Allan Meltzer propose une
réforme de grande ampleur des institutions financières
internationales, encadrant de manière rigoureuse les compétences
du FMI et de la Banque mondiale.
Votre groupe de travail considère que ces propositions sont
intéressantes en ce qu'elles recentrent de manière radicale les
missions des deux institutions. Cependant, certaines de ces conclusions
apparaissent délicates à mettre en oeuvre. Premièrement,
la condition d'aide de la Banque mondiale aux seuls pays n'ayant pas
accès aux marchés financiers est particulièrement
contraignante pour les pays qui ne disposent d'un accès aux capitaux
qu'au prix de primes de risques particulièrement élevées.
Ensuite, la limitation du rôle du FMI à celui de prêteur en
dernier ressort restreint considérablement son action en matière
de prévention des crises. Enfin, la condition d'instauration d'un
currency board
ou une dollarisation de l'économie apparaît
particulièrement favorable aux Etats-Unis, qui disposent des droits de
seigneuriage liés à l'émission du dollar, et
apparaît difficile à mettre en oeuvre dans certains pays pour
lesquels la monnaie constitue une composante essentielle de la
souveraineté nationale.
Malgré la radicalité des réformes proposées dans le
rapport Meltzer, certaines pistes de réflexion apparaissent
intéressantes. Le FMI pourrait réduire la durée de ses
prêts et assouplir les conditionnalités qui y sont
généralement associées. En effet, les conditions
posées par le FMI apparaissent particulièrement contraignantes et
renforcent souvent les conséquences sociales des crises sur les groupes
de population les plus fragiles. Les prêts du FMI viseraient uniquement
à permettre à un pays de surmonter le déséquilibre
de sa balance des paiements, en évitant le défaut de paiement.
Ces prêts seraient coûteux afin d'inciter les pays à mettre
en oeuvre les politiques économiques adaptées au
rééquilibrage de la balance des paiements.
Le rôle du
FMI serait ainsi limité au court terme.
La Banque mondiale continuerait en revanche d'être en charge des
réformes structurelles à mettre en oeuvre afin d'améliorer
les conditions de fonctionnement des systèmes financiers, et prendrait
également en charge la mise en place de filets de sécurité
sociale et les mesures visant au maintien des dépenses en faveur de la
santé et de l'éducation, afin que les contraintes de l'ajustement
et des réformes structurelles ne conduisent pas à sacrifier le
développement à long terme de l'économie.
Cette
répartition des rôles limiterait donc le FMI au rôle de
surveillance des modalités de financement des économies et
d'intervention en cas de crise, tandis que la Banque mondiale regrouperait
l'ensemble des compétences en matière d'aide au
développement et de réformes structurelles, permettant
d'accompagner les mesures nécessaires à l'ajustement des
économies touchées par la crise.
3. Vers une plus grande légitimité des institutions de Bretton Woods
La
légitimité politique du FMI et de la Banque mondiale doit
être renforcée par une plus grande transparence des processus de
décision
, et notamment, une plus grande visibilité de
l'implication des Etats-membres dans ce processus et de la
responsabilité des institutions vis-à-vis de ceux-ci. Au niveau
local, la communication de ces organisations doit être
développée, de même que leurs rapports avec la
société civile. Ces réformes permettront d'atténuer
l'image bureaucratique du FMI notamment.
Il est indispensable que les pays émergents soient davantage
représentés et entendus au sein du FMI et de la Banque mondiale.
En effet,
s'il apparaît normal que les principaux actionnaires des
institutions exercent le plus d'influence sur la définition de leurs
politiques, les pays émergents et les pays en voie de
développement, qui constituent les principaux
bénéficiaires des aides de ces institutions, doivent pouvoir
faire entendre leur voix sur leurs modalités d'intervention.
La
légitimité du FMI a pu être mise en cause par certains pays
du fait de la protection que ses interventions pouvaient accorder aux banques
occidentales au cours de la crise asiatique, notamment en défendant trop
longtemps les taux de change fixes. Ces critiques considèrent que le FMI
et la Banque mondiale ont été pris en otage par leurs principaux
actionnaires et sont devenus l'instrument de la politique
étrangère en général et américaine en
particulier
49(
*
)
. Ces accusations
apparaissent outrancières mais montrent les doutes qui planent sur
l'action du FMI.
Une réforme du mode de calcul des quotes-parts et des droits de vote
qui y sont associés en faveur des pays hors OCDE devrait permettre une
meilleure prise en compte de leurs points de vue.
Cette réforme se
ferait sans doute au détriment des droits de vote détenus par les
pays européens, qui sont importants en comparaison avec ceux
détenus par les Etats-Unis, compte tenu du poids économique et
financier relatif des deux ensembles.
Par ailleurs, l'Europe doit s'efforcer d'agir davantage de concert au sein du
FMI. Elle ne possède déjà pas une influence en proportion
de ses droits de vote, en raison de la dispersion des interventions de ses
membres. La montée en puissance de l'euro sur la scène
internationale doit donc encourager l'Union européenne à
mobiliser davantage ses ressources au sein des institutions internationales.
4. Pour une conception globale de l'annulation de la dette
La
question de l'annulation de la dette des pays les plus pauvres apparaît
délicate aux yeux de votre groupe de travail. En effet, elle revêt
d'abord des aspects moraux. L'annulation représente ainsi un bel exemple
d'aléa moral où la communauté internationale paie pour des
Etats qui ont mal utilisé l'argent prêté, voire qui l'ont
détourné aux fins personnelles de leurs dirigeants. Cependant,
les responsabilités sont aussi partagées dans la mesure où
les prêteurs n'ont pas toujours contrôlé efficacement
l'utilisation des concours attribués, ou n'ont pas toujours su les
assortir d'une aide précise aux réformes structurelles sans
lesquelles tout argent supplémentaire ne sert qu'à prolonger les
erreurs passées. L'annulation, par ailleurs, fait intervenir des acteurs
très différents : institutions financières
internationales, banques régionales de développement, Etats
(prêts bilatéraux), acteurs privés (créances
privées). Même si des instances de concertation existent, aucun
organisme n'est en mesure de décider d'une annulation
générale, de ses conditions et du partage de son financement.
Enfin, la dette des pays les plus pauvres ne peut être
séparée de la question plus globale du
développement : l'annulation doit servir au développement.
Mais l'apport financier qu'elle représente (sous forme
d'intérêts en moins à verser et de capital à ne pas
rembourser) ne servira à rien s'il ne s'accompagne de plans
précis de réformes dont le respect sera effectivement
contrôlé.
Les initiatives du G 7 s'inscrivent toutes dans cette optique : respect
par les bailleurs bilatéraux des conditions posées par les
institutions de Bretton Woods, recherche d'un meilleur suivi et d'un meilleur
contrôle des programmes d'accompagnement, etc.
Votre groupe de travail approuve ces orientations. Ainsi, il ne conteste pas la
définition par les institutions de Bretton Woods du champ de
l'annulation, des critères et des bénéficiaires de
celle-ci, même si ces conditions mériteraient parfois d'être
assouplies. Il souhaiterait néanmoins voir plus affirmés certains
principes :
• il ne doit jamais y avoir d'annulation totale de la dette d'un
pays ; en raison de l'aléa moral, une part doit être
maintenue, dût-elle rester très faible (5 à
10 %) ;
• les programmes mis en place doivent se faire avec l'accord du pays sur
des contrôles extrêmement précis de leur respect ;
• ils ne peuvent laisser de côté la composante sociale,
notamment en matière d'éducation, de santé et de pouvoir
d'achat ;
• ils doivent tendre vers une meilleure insertion des Etats dans les
transactions internationales ;
• ils doivent prendre en compte la question des taux de change et de la
sécurité juridique et financière des investissements.
L'annulation ne peut cependant être séparée de la
réforme des institutions de Bretton Woods. La souveraineté sera
d'autant mieux respectée qu'elles auront gagné en
légitimité politique et en représentativité des
pays les plus pauvres. L'appropriation mais aussi le contrôle seront
facilités par la présence permanente d'équipes
remplaçant la déplorable impression fournie par le
débarquement des membres des missions de
reviews
. La composante
sociale sera d'autant mieux prise en compte que le FMI, la Banque mondiale et
les banques régionales de développement se seront entendues sur
le partage de leurs rôles et la coordination de leurs interventions.
Bref, l'annulation de la dette des pays les plus pauvres représente
certainement un enjeu moral pour les créanciers. Votre groupe de travail
estime que ce serait une erreur de vouloir annuler pour annuler et de
séparer ce geste de la réforme d'ensemble du système
financier et monétaire international. Tant que cette dernière ne
se mettra pas en place, il y aura tout lieu de penser que les sommes
consacrées à l'annulation et l'aléa moral qui en
résultera ne se traduiront que bien peu en termes de
développement, de réduction de la pauvreté et
d'amélioration du bien-être des populations.
B. PERFECTIONNER L'ENVIRONNEMENT PRUDENTIEL
Un
préalable s'impose.
Un monde financier plus stable réclame de
la part des agents nationaux - acteurs ou contrôleurs - une meilleure
appréciation, un meilleur contrôle et une meilleure gestion des
risques.
La décentralisation des responsabilités est conforme
à la réalité du monde financier. Il serait impossible
à une entité mondiale centralisée de jouer seule ce
rôle. Toutefois, cette décentralisation appelle des règles
et des contrôles. Les enceintes internationales retrouvent alors toute
leur importance.
La communauté financière internationale a entrepris des efforts
importants pour définir des normes prudentielles plus cohérentes
et déterminer les conditions nécessaires à un
contrôle des risques plus satisfaisant. Ces efforts doivent être
prolongés.
1. Améliorer les règles prudentielles
En
matière de règles prudentielles, la régulation
financière nécessite d'abord un processus continu d'adaptation.
Cela suppose d'abord que des moyens suffisants soient confiés aux
organismes internationaux chargés d'élaborer la
réglementation. Cela suppose aussi de reconnaître les
interdépendances entre les différents métiers financiers
- crédit, titre, assurances - et d'assurer les liaisons
nécessaires entre les superviseurs pour que leur approche devienne
véritablement pluridisciplinaire.
L'approfondissement des règles apparaît également
nécessaire. Le
corpus
théorique élaboré par
la communauté internationale a sans doute, par sa
généralité, le mérite d'une certaine
exhaustivité. Sa substance peut en outre s'enrichir des manuels de
méthodologie qui l'éclairent. Il n'en reste pas moins que ces
dispositifs mériteraient d'être plus normatifs et plus
concrètement précis. Il ne suffit pas de se référer
à des concepts comme la " suffisance des dispositifs
d'évaluation " ou " l'adéquation des principes
d'organisation ". Il est souhaitable de donner du corps à ces
référents en énonçant clairement ce qui est
suffisant ou adéquat.
En bref, une meilleure explicitation des critères et des normes
s'impose.
A ces recommandations de méthode, il faut en ajouter d'autres qui
concernent le fond des problèmes.
Il faut d'abord recommander aux organismes intervenant dans
l'élaboration des règles prudentielles au niveau international
(BRI, Union européenne, etc.) de s'interroger sur le sens de leur
démarche.
Jusqu'à présent, elle a consisté
à édicter des règles minimales de protection laissant
libres les autorités nationales d'appliquer des méthodes plus
strictes. Il apparaît d'abord que cette démarche n'aboutit pas
à l'édiction de règles prudentielles toujours
adaptées aux situations de crise. C'est peut-être souhaitable pour
ne pas brider l'activité bancaire. Mais cette approche devrait
probablement être complétée par des dispositifs
prévoyant un durcissement graduel des normes prudentielles à
partir du suivi d'indicateurs de risques. Il apparaît également
nécessaire que les régulateurs internationaux précisent
les situations de risques appelant concrètement un resserrement des
pratiques prudentielles.
Des règles de fond méritent en outre d'être
modifiées.
Sur ce sujet, le groupe de travail veut d'abord affirmer qu'en dépit
de la très grande technicité des questions ici abordées et
malgré leur appartenance, d'ailleurs parfois discutable, au domaine
réglementaire, au sens du droit constitutionnel français, il
convient de cesser de confisquer les débats qu'elles soulèvent au
profit de quelques experts gouvernementaux et des banques centrales. Ces sujets
sont en effet essentiels au regard de la construction de l'économie
internationale de demain, construction qui recèle des enjeux politiques
évidents. Ils doivent donc être débattus et le Parlement
national est par nature l'enceinte de ces débats. Le gouvernement
français qui, dans le cadre de la constitution d'un droit
européen bancaire et financier, est conduit à s'ouvrir
auprès de nos partenaires européens de ses positions sur les
thèmes prudentiels ici évoqués, devrait à tout le
moins rendre compte régulièrement au Parlement des positions
adoptées par lui dans ces matières.
Parmi les sujets de réforme il faut d'abord évoquer les
règles de l'Accord ce Bâle de 1988, en matière de
couverture des engagements par les fonds propres, qui doivent être
amendées
.
La démarche générale suivie par le Comité de
Bâle à l'occasion de la réforme de cet accord qui est en
cours doit être approuvée. Les trois piliers identifiés
comme de nature à améliorer la sécurité des
opérations bancaires, une exigence minimale de couverture en fonds
propres, l'importance d'un examen systématique de la pertinence de cette
couverture et une meilleure mise en oeuvre de la discipline de marché
correspondent à une logique d'action satisfaisante.
Il faut en particulier promouvoir :
une diversification plus grande des exigences de couverture en fonction
des risques ;
une approche consolidée de la couverture ;
un contrôle effectif des règles par les superviseurs
extérieurs et la possibilité pour eux d'imposer des couvertures
supplémentaires ;
une information complète et régulière sur la
consistance de leur capital et de leurs risques par les banques.
Toutefois, plusieurs des approches retenues par le Comité appellent
des observations et des réflexions supplémentaires.
Il s'agit d'abord du parti pris de repousser l'élargissement de la
couverture en fonds propres aux conglomérats financiers
en
réaffirmant que le ratio n'a vocation à s'appliquer qu'aux
risques bancaires. Cette approche apparaît trop restrictive et doit
être rapidement complétée par la prise en compte des
risques propres aux conglomérats financiers.
Il s'agit ensuite de la timidité de l'approche retenue à
l'égard des risques de grande ampleur
, c'est-à-dire des
opérations dont l'histoire financière montre la très
grande volatilité ou qui concernent des opérateurs, tels certains
hedge funds
, usant de pratiques financières techniquement
risquées (l'effet de levier) ou insuffisamment contrôlables. Le
même raisonnement doit à notre sens s'appliquer aux financements
destinés aux territoires
offshore
, selon la classification de ces
derniers en termes de régulation financière et d'ouverture aux
contrôles internationaux.
Il faut affecter aux engagements des banques à l'égard de tels
risques des exigences de couverture proportionnées sans toutefois
s'imaginer qu'une telle mesure puisse prévenir l'ensemble des prises
excessives de risques.
Cependant, couplée avec la proposition (v.
infra
) d'un traitement
rigoureux des sinistres déclarés, une telle mesure contribuerait
activement à un fonctionnement plus sûr des marchés.
Sur ce point, il est évidemment souhaitable qu'un arbitre international
soit explicitement chargé d'identifier les entités
présentant des risques exceptionnels.
La
Banque des règlements internationaux
devrait se voir charger
de cette mission et énumérer précisément les
organismes à hauts risques.
Il convient par ailleurs d'approfondir les réflexions sur
l'autorisation donnée aux banques de recourir à des
méthodes dérogatoires à la norme commune pour calculer
leurs provisions en fonds propres.
De quoi s'agit-il ?
Le Comité de Bâle envisage dans le cadre de la réforme du
ratio Cooke de donner aux banques la possibilité de recourir davantage
à leurs notations internes et à leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Ainsi, le Comité propose que les banques "
les plus
sophistiquées
" puissent substituer leurs propres estimations
du risque-crédit à celles réalisées par lui. Il
envisage en outre de permettre à ces mêmes banques de
déterminer leurs besoins de couverture en capital du
risque-crédit sur la base de leurs propres modèles
d'évaluation des risques.
Il est possible de justifier de telles dérogations, sur le plan
théorique. Mais, en pratique, elles paraissent dangereuses.
Etant observé qu'elles s'appliqueraient aux acteurs de marché les
plus importants et par là-même les plus susceptibles d'influencer
le cours des événements, il convient de rappeler la
responsabilité des défaillances des contrôles internes dans
les crises et l'insuffisante robustesse des modèles de risques en usage
dans les banques. Ceux-ci sont en effet construits sur des données
historiques moyennes dont la capacité à retracer des situations
inédites est clairement en cause de même que celle d'anticiper les
situations de crise.
Une autre considération concrète doit être
évoquée. Les dérogations envisagées seraient
accordées avec pour contrepartie un contrôle des performances des
évaluations internes aux banques. Il est à craindre que de tels
contrôles n'absorbent des moyens excessifs et divertissent les
superviseurs externes de la nécessaire attention qu'appellent les
contrôles effectifs des risques.
C'est donc avec une grande circonspection qu'il faut accueillir une
proposition qui, en théorie, va dans le bon sens mais qui apparaît
prématurée en pratique.
Il convient enfin de s'interroger sur l'opportunité de recourir aux
évaluations des agences de notation pour fixer le niveau du
provisionnement en capital de certains risques de crédit.
Le Comité de Bâle, dans sa volonté justifiée de
moduler les exigences de couverture en fonds propres des risques de
crédits souverains, interbancaires et de ceux destinés aux
entreprises propose d'établir cette modulation sur les notes des agences
de notation.
Le tableau ci-après rappelle les notes usuellement
décernées par les grandes agences internationales.
Standards usuels de notation par agence
Agences |
Très bonnes notes |
Très basses notes |
Fitch IBCA |
AA - et au-delà |
En dessous de B |
Moody's |
AA3 et au-delà |
En dessous de B 3 |
Standard & Poor's |
AA - et au-delà |
En dessous de B - |
Agences d'assurance-export |
1 |
7 |
Le tableau suivant indique les modulations de l'exigence d'une couverture en fonds propres de 8 % envisagées dans les travaux du Comité à partir de l'exemple des notes données par " Standard and Poor's ".
Propositions de diversification des pondérations
en fonction des notes des agences de notation
Engagements |
De AAA à AA- |
A + à A - |
BBB + à BBB - |
BB + à B - |
Sous B - |
Sans notation |
Souverains |
0 % |
20 % |
50 % |
100 % |
150 % |
100 % |
|
|
|
|
|
|
|
Entreprises |
20 % |
100 % |
100 % |
100 % |
150 % |
100 % |
(1)
Pondération fondée sur la pondération des risques
souverains du pays d'origine de la banque.
(2) Pondération fondée sur la notation de la banque.
(3) Les engagements de court terme (moins de 6 mois) seraient
pondérés plus favorablement.
La lecture du tableau est la suivante : les risques des crédits
souverains des pays les mieux notés (de AAA à AA-) n'auraient pas
à être provisionnés tandis que ceux des pays les moins bien
notés (sous B -) devraient être provisionnés à
hauteur de 12 % (150 % de 8 %).
La mise en oeuvre rapide de cette perspective n'apparaît pas
envisageable. Elle suppose en effet résolu un grand nombre de
préalables qui ne l'est pas.
Il faut d'abord mettre en exergue l'éventualité de contradictions
entre les évaluations internes des établissements bancaires et
les notations extérieures. La coexistence harmonieuse entre les deux
procédures dérogatoires aux standards communs envisagées
par le Comité n'est donc pas acquise.
Il est d'ailleurs possible que les notations externes soient elles aussi
contradictoires entre elles ce qui poserait le problème délicat
d'un arbitrage entre les agences de notation.
Cette éventualité a d'autant plus de chances de se rencontrer que
l'accréditation des évaluateurs concernera un plus grand nombre
d'entre eux. Or, la perspective d'une multiplication des sources externes
d'évaluation n'est pas une vue de l'esprit d'autant que le
mécanisme imaginé à Bâle délègue aux
superviseurs nationaux la prérogative d'accréditer les agences de
notation. En l'état, les agences reconnues au plan international sont en
nombre très restreint et bien souvent anglo-saxonnes. Il n'est
évidemment pas admissible pour les autres pays d'être contraints
à se référer à des évaluations qui,
même effectuées par des organismes indépendants, peuvent
être influencées par des habitudes de pensée directement
issues de la culture américaine, et même dépendantes des
intérêts dominants.
Il est compréhensible - cela est
d'ailleurs très souhaitable pour l'Europe - que ces pays s'attachent
à promouvoir des institutions de notation indépendantes.
Leur
avènement offrira autant d'occasions de contradictions qu'il faudra
résoudre. Mais
il s'impose comme un préalable à la mise
en oeuvre de la proposition du Comité de Bâle.
Ce n'est en
effet qu'à cette condition que celle-ci présentera une
réelle acceptabilité.
En effet, en l'état du développement des métiers de la
notation, la référence proposée par le Comité de
Bâle risque de se traduire par certaines distorsions. Le nombre des
agents économiques accédant à la notation est en effet
très limité, le coût des notations externes n'apparaissant
souvent pas contrebalancé par ses avantages dans un monde financier
où l'usage des notations externes ne s'est réellement
imposé que pour les très grands émetteurs.
Si la quasi-totalité des Etats fait l'objet de telles
évaluations, il n'en va pas de même des agents privés.
L'exemple des entreprises est parlant : seules 600 d'entre elles sont
notées en Europe. L'application du système dérogatoire
évoqué par le Comité pourrait ainsi engendrer au sein
même de l'Europe des restrictions ou des renchérissements de
crédit peu justifiés au détriment des entreprises sans
notation externe. Il y a plus grave pour l'Europe. Comme le taux de
pénétration des agences de notation est beaucoup plus
élevé aux Etats-Unis qu'en Europe, les distorsions de concurrence
entre entreprises de part et d'autre de l'Atlantique résultant de
l'application rapide de la référence à la notation externe
dans le calcul des couvertures en fonds propres pénaliseraient les
entreprises européennes.
Cela ne signifie pas que la proposition articulée par le Comité
de Bâle de recourir davantage aux évaluations externes doive
être rejetée purement et simplement. Il s'agit certainement d'un
progrès. Cependant, il convient d'en réunir les
préalables.
Il s'agit de promouvoir le développement de la
notation en Europe et la mise en place d'une procédure
systématique de contrôle international des performances des
agences de notation. La clef de voûte de ce système serait
située au sein du FMI.
De nombreuses autres règles prudentielles devraient être
améliorées que le cadre du présent rapport ne permet pas
d'aborder dans le détail.
Une attention toute particulière doit être portée
aux
règles comptables
dont
l'hétérogénéité et l'insuffisante rigueur
sont responsables de dysfonctionnements potentiellement très
déstabilisateurs.
Les bonnes pratiques de
gouvernance
doivent être rigoureusement
définies.
Il convient en outre de mettre en place des normes adaptées dans
l'hypothèse
de faillites
d'agents économiques,
règles qui doivent en particulier reposer sur un traitement
égalitaire des créanciers en situation analogue connaissant une
situation analogue.
Le chantier de la réglementation prudentielle est vaste
.
L'ensemble des corps de métier nécessaires à son bon
achèvement doit y travailler. Ce peut être la BRI en
matière de réglementation bancaire, ce peut être le FMI
pour certains aspects structurels de la réglementation prudentielle, etc.
L'important en la matière est, qu'une fois identifiée la bonne
enceinte de réglementation, les travaux qui s'y déroulent soient,
selon les modalités pratiques souples, largement ouverts à
l'ensemble de la communauté internationale.
Il faut en outre inventer une instance internationale d'arbitrage capable
d'évaluer les réglementations prudentielles nationales à
partir des normes élaborées par la communauté
internationale. Ici également, l'arbitre ultime devrait être
situé au sein du FMI.
2. Améliorer la transparence des acteurs privés et l'information des marchés
La transparence de l'information constitue un facteur essentiel d'une meilleure régulation financière internationale. La crise asiatique souligne que les objectifs et les résultats des politiques économiques menées par les pays doivent être connus et diffusés, afin d'identifier et de traiter les facteurs potentiels de crise avant qu'il ne soit trop tard. En particulier, la crise a mis en évidence les déficiences de l'accès à l'information liée aux activités des banques centrales et des autres acteurs sur le marché des changes.
a) Une meilleure information pourrait prévenir l'amplification des déséquilibres engendrée par les marchés financiers
Michel
Camdessus considère que "
c'est en veillant à
l'élaboration rapide d'informations précises, à leur
diffusion et à la meilleure information possible des gouvernements, des
marchés et de l'ensemble des acteurs sur les objectifs et les
résultats des politiques économiques que l'on aura les meilleures
chances de résorber avant qu'ils ne s'aggravent les facteurs potentiels
de crises et de réduire les phénomènes grégaires
d'engouement ou de retraits frileux dont l'on connaît mieux aujourd'hui
le coût
"
50(
*
)
.
Une diffusion de manière continue des informations sur les prises de
position des acteurs et la liquidité des marchés réduirait
le risque de " mauvaises surprises " qui conduit à des
réactions excessives de la part des marchés financiers.
L'amélioration de la transparence et la réduction des
coûts d'accès à l'information a un effet positif sur la
rationalité des décisions des acteurs et la bonne gestion des
crises
. En effet, les anticipations des spéculateurs peuvent
être modifiées par toute information jugée pertinente par
eux. Par conséquent, le nombre et la qualité des signaux
perçus par les agents a une influence certaine sur le lissage de leurs
anticipations. Cependant, il convient de rappeler que le risque d'un mauvais
usage de l'information demeurerait présent, ainsi que le montre la phase
qui a précédé l'éclatement de la crise en Asie,
alors que les déficits des transactions courantes des pays
étaient connus des acteurs du marché.
Les progrès effectués vers une meilleure collecte et une plus
large diffusion des informations doivent être soulignés. Le
bulletin du FMI du 15 février 1999 indiquait que "
le FMI
doit apprendre à mieux connaître les marchés
". Le
fonds a mis en place une norme spéciale de diffusion des données
(NSDD) pour les pays qui satisfont déjà à une norme
élevée de qualité des données, et un système
général de diffusion des données (SGDD) afin
d'améliorer la qualité des données dans tous les pays
membres, et a accru la transparence des conseils qu'il donne aux gouvernements.
Ce système devrait permettre la constitution de données
statistiques complètes et accessibles, et inciter à
améliorer la qualité des données. On rappellera à
cet égard que les données communiquées au FMI sur les
réserves de change se sont révélées fausses pour
certains pays asiatiques.
L'amélioration de la transparence des
emprunteurs doit être complétée par une meilleure
connaissance de la part des acteurs sur les marchés financiers des
positions prises par les autres participants, appréciées sur une
base agrégée.
Les gouverneurs du G 10 ont demandé à un groupe de travail
d'identifier les informations statistiques qui pourraient permettre aux
marchés de mieux évaluer les positions prises par les
autorités sur le marché des changes, ainsi que les
modalités de diffusion de ces informations. Le rapport
" Brockmeijer ", issu des travaux de ce groupe, souligne qu'il
conviendrait de prendre en compte l'ensemble des acteurs nationaux susceptibles
de prendre part à une action de défense de la monnaie en cas de
crise. Cependant, les comptes publics ne permettent pas de mesurer l'ensemble
des risques de marché, comme l'a montré la crise asiatique. Le
rapport propose donc la mise en oeuvre de méthodes permettant aux
banques centrales de collecter de manière régulière et
coordonnée des statistiques sur les marchés dérivés
afin d'en améliorer la transparence. L'harmonisation des principes
comptables constitue un préalable indispensable à une meilleure
transparence des produits dérivés. Le Groupe des Trente
(G 30) et le Comité de Bâle ont publié des rapports
concluant à la nécessité de présenter de
manière plus transparente les opérations dérivées
et, en particulier, la compensation de ces opérations et ses effets sur
le calcul des ratios de solvabilité. En effet, la diffusion des
informations relatives aux positions prises par les fonds d'investissement
à fort effet de levier pourrait permettre de prévenir les risques
systémiques que ces fonds sont susceptibles de susciter.
L'amélioration de l'information des marchés devrait permettre une
correction rapide et moins violente des politiques insoutenables et limiter les
effets de contagion de ces ajustements. Pour atteindre cet objectif, il
convient cependant d'établir des modalités de diffusion des
données à la fois fréquentes et suffisamment proches des
phénomènes de marchés afin d'éviter les ajustements
violents provoqués par une information imparfaite qui
déclencherait le retournement soudain des anticipations sur les
marchés.
Une périodicité mensuelle, voire hebdomadaire
pourrait être adoptée, dès lors que les pays disposent des
outils statistiques appropriés.
Une plus grande information des marchés limite la latitude d'action des
autorités nationales pour " contrer " les marchés
financiers. Le risque existe donc qu'une publication intégrale des
informations transmises par les pays conduise ceux-ci à ne pas
dévoiler totalement leur situation, afin de conserver la
confidentialité de certaines données sensibles dans les domaines
financier et économique.
Le choix de la transparence implique une
acceptation égale de la contrainte décidée pour l'ensemble
des pays, c'est-à-dire l'expression d'une préférence pour
une volatilité maîtrisée par rapport à l'incertitude
qui peut permettre d'afficher une solidité artificielle, mais est
également à l'origine d'ajustements violents lorsque le masque
tombe.
b) La question de l'autorité collectrice des informations et de ses destinataires finaux demeure posée
La
question des destinataires et de l'ampleur de la diffusion des informations
demeure à ce jour contestée : celle-ci doit-elle être
essentiellement destinées aux institutions internationales ou à
l'ensemble des acteurs du marché ? Lors de son audition par le
groupe de travail, M. Gérard Pfauwadel a estimé que la
transparence devait s'adresser surtout aux autorités, afin
d'éviter qu'un excès de transparence n'entraîne des
surréactions de la part des marchés. Il a par ailleurs
indiqué que, même avec davantage de transparence, il
n'était pas certain que les positions agrégées de chaque
acteur et de chaque marché soient connues.
Joseph Stiglitz, chef des économistes à la Banque mondiale,
considère que "
la plupart des informations qui aideront au
contrôle de la situation financière de divers pays peuvent
être efficacement recueillies s'il y a une coopération
internationale, de sorte que les informations venant des pays prêteurs,
des pays emprunteurs et des institutions internationales, peuvent être
rapprochées. Reste que l'on peut se demander si ces informations ne
devraient pas être recueillies par une agence indépendante
internationale de statistiques, plutôt que par une agence
opérationnelle, pour éviter de réels et visibles conflits
d'intérêts...
"
51(
*
)
.
Le groupe de travail considère que la BRI devrait logiquement, de par
ses compétences, être l'organe collecteur des informations en
provenance des banques centrales. Cependant, de très nombreux pays ne
sont pas membres de cette institution, ce qui limite considérablement
ses capacités d'action.
La création d'une " centrale des risques internationaux "
pourrait également être envisagée, mais risquerait de
compliquer inutilement, dans un premier temps, l'architecture des institutions
internationales.
Par conséquent,
il conviendrait que le FMI assure la diffusion des
informations, dans le cadre de son rôle de surveillance et de
prévention des crises
. Le FMI pourrait ainsi " mettre sous
surveillance " les pays qui connaissent des afflux importants de capitaux,
et une détérioration de leur endettement à court terme,
notamment en monnaie étrangère, et accroître les signaux
d'alerte dans le cadre de la prévention des crises. De telles
informations auraient été précieuses, en particulier dans
la phase qui a précédé le déclenchement des
difficultés en Thaïlande en 1997.
C. AMÉLIORER L'ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU CONTRÔLE EXTERNE
Le
développement de règles prudentielles internationales appelle,
malgré l'essor souhaitable des procédures de contrôle
interne, des vérifications extérieures de leur bonne application.
En principe, il appartient à chaque Etat de mettre en oeuvre les
contrôles de cette sorte les plus efficaces possibles. Cette attribution
de compétence de principe ne signifie pas pour autant que le
renforcement du contrôle externe puisse être entrepris sans
considération pour des initiatives internationales qui apparaissent
aujourd'hui nécessaires à sa pleine efficacité.
Une première considération pratique s'impose. Le
développement des institutions de contrôle externe est, à
l'image du développement économique, fort inégal selon les
nations. Cette inégalité contraste avec
l'homogéneité plus grande du processus d'intégration
à l'économie mondiale. Les pays les plus en avance en
matière d'infrastructures économiques doivent assumer la
responsabilité d'apporter efficacement leur assistance aux pays moins
développés. L'Union européenne l'a bien compris, mais pas
très bien fait, dans le cadre des programmes PHARE et TACIS. Le
Comité de Bâle a, lui aussi, saisi l'importance de l'enjeu et sa
mission même consiste à établir les bases de bonnes
pratiques. Mais il y a plus qu'un pas entre la définition de principes
et l'appropriation concrète de ces principes par tous.
Il convient donc d'abord de reconnaître toute l'importance qu'il y a
à promouvoir les efforts d'assistance en direction des organes de
contrôle externe qui en éprouvent le besoin.
Le deuxième aspect fondamental du sujet consiste à recommander de
remédier aux cloisonnements nés des superpositions actuellement
à l'oeuvre entre organes nationaux de contrôle.
L'internationalisation des acteurs de marchés et le caractère
transnational de leurs engagements offrent sous cet angle un contraste avec le
" localisme " des instances de contrôle. Il est indispensable
d'y remédier en instaurant des processus organisés de
coopération entre contrôleurs. Des accords existent en la
matière mais ils ne sont ni systématisés ni
véritablement contrôlés. Il importe donc d'étendre
le réseau de ces accords. Il convient aussi d'envisager
l'opportunité de leur conférer une certaine solennité. Il
existe des précédents, en matière fiscale notamment avec
les conventions fiscales internationales dont certaines clauses concernent les
questions d'assistance administrative. Ces conventions passées entre
Etats obéissent à un modèle-type dit " modèle
de l'OCDE ". Elles impliquent des Etats dont les administrations fiscales
connaissent des statuts très variées, certaines étatiques,
d'autres fédérales, d'autres encore relevant du système de
l'Agence, c'est à dire indépendantes de l'Etat.
Il serait souhaitable d'appliquer cette formule liant les Etats en
matière d'assistance et de coopération internationale entre
superviseurs financiers.
Dans cette perspective, il peut sembler utile de se doter d'un arbitre
international en mesure de régler les litiges que pourrait faire
naître l'application pratique de ces conventions.
Cette recommandation paraît s'imposer face aux dysfonctionnements
observés dans le déroulement des procédures de
coopération, y compris en Europe, qui ont souvent été
rapportés à votre groupe de travail.
L'internationalisation du contrôle demande des initiatives
complémentaires.
Il faut à ce sujet aborder la question
fréquemment débattue de l'instauration d'un organe de
contrôle international.
Selon certains, la mondialisation monétaire et financière devrait
donner naissance un organe international de contrôle. Le FMI ne joue-t-il
d'ailleurs pas ce rôle à l'égard des Etats ?
Cette idée, sous des dehors séduisants, manque
singulièrement de réalisme. Sans même insister sur les
abandons de souveraineté que sa mise en oeuvre supposerait, il convient
de mettre en évidence deux objections fortes. La première
consiste à faire valoir qu'à défaut d'un droit prudentiel
universel, l'on voit mal à quelles normes un tel organe pourrait se
référer.
S'il devait s'appuyer sur les règles édictées par la
communauté internationale qui jusqu'à présent n'ont pas de
valeur normative et revêtent un caractère minimal, le
régulateur international userait d'un " droit mou ", souvent
en retrait par rapport aux règles en vigueur dans les Etats. S'il devait
se référer à ces dernières, il lui faudrait
appliquer un droit très hétérogène sanctionnant ici
ce qui serait ailleurs autorisé. En toute hypothèse, il faudrait
à ce superviseur des moyens considérables représentant au
minimum le regroupement des moyens existants aux niveaux nationaux.
Sachant que rien ne permet d'imaginer une telle architecture applicable, et
outre que les avantages d'un tel système sont introuvables, il faut
faire le constat de ses inconvénients. Le contrôle prudentiel de
droit commun doit en effet demeurer proche des réalités
économiques et financières sur lesquelles il s'exerce. C'est une
des leçons des crises que l'éloignement des centres de
décisions par rapport à ces réalités constitue un
handicap majeur dans l'appréciation des risques. Il ne faut pas
transposer ce handicap au niveau des contrôleurs.
C'est un tel argument qui milite pour le maintien, dans un ensemble
régional aussi cohérent que l'Union européenne, des
responsabilités et compétences des contrôleurs nationaux.
Est-ce à dire qu'il n'y ait pas de place pour un échelon
international de contrôle ? La réponse à cette
interrogation est bien sûr négative.
Au cours de ses entretiens, le groupe de travail a acquis la conviction que
l'instauration d'une coopération même améliorée
entre les superviseurs nationaux ne pouvait pas constituer l'unique
réponse aux incohérences issues de l'éclatement et de la
superposition des compétences nationales.
Il faut en premier lieu résoudre les problèmes posés
par le contrôle des groupes multinationaux.
Pour ces groupes, il serait d'abord souhaitable de généraliser le
recours à la formule d'un partage formalisé des
responsabilités entre autorités nationales de contrôle
à l'image de celle mise en place par le "
memorandum of
understanding
" entre la Commission bancaire française et la
Commission bancaire et financière belge à propos du groupe Dexia.
Il s'agit en l'espèce de désigner un responsable principal de la
supervision ("
lead supervisor
") et d'organiser les
coopérations nécessaires. Un tel aménagement constitue
l'une des formes que peut revêtir une coopération internationale
satisfaisante entre contrôleurs nationaux. Bien adapté à
des groupes peu disséminés, il l'est sans doute moins pour des
entités à dimension internationale plus développée.
Toutefois, il pourrait être fructueux d'envisager sa
généralisation à toutes les très grandes
institutions bancaires internationales.
L'amélioration de l'organisation et du fonctionnement du
contrôle externe devra être complétée par la mise en
oeuvre d'un contrôle des contrôleurs externes.
L'on sait que le développement souhaité des contrôles
internes s'accompagne d'une exigence d'un contrôle externe effectif de ce
type d'évaluation. "
Mutatis mutandis
", un monde
financier globalisé où le contrôle externe reste
exercé dans le cadre de compétences nationales appelle une
évaluation et un contrôle internationaux de la façon dont
elles sont concrètement exercées.
L'Union européenne offre une illustration grandeur nature de la justesse
d'une telle recommandation.
Les conditions dans lesquelles y sont exercés les contrôles
externes varient considérablement, à tel point que plusieurs des
interlocuteurs du groupe de travail ont pu évoquer l'existence de
problèmes de distorsion de concurrence entre systèmes bancaires
nés de cette hétérogénéité des
pratiques.
Ce dernier constat s'il devait être vérifié poserait en soi
un grave problème. Mais, en dehors même de cette hypothèse,
il n'est pas douteux que la solidarité monétaire entre les pays
de l'Union européenne ne saurait se satisfaire d'une divergence des
pratiques de contrôle bancaire tant la solidité d'une monnaie
dépend de celle du système bancaire.
L'on a exposé les motifs pour lesquels la substitution d'un organe
central de supervision bancaire au réseau décentralisé
actuellement en place n'était pas souhaitable. Mais les défauts
d'organisation observés ne doivent pas perdurer pour autant.
La Banque des règlements internationaux a entrepris une
évaluation des contrôleurs nationaux dont la Commission bancaire.
Il serait souhaitable que, compte tenu de ses missions, la Banque centrale
européenne (BCE) se voie doter des moyens nécessaires à
une telle évaluation qu'elle devrait conduire de manière
systématique et régulière.
Un système analogue de supervision des superviseurs devrait être
mis en place au niveau international, c'est-à-dire à celui du FMI.
Il convient d'ajouter qu'il serait souhaitable que de telles supervisions
s'appliquent également à l'égard des autres métiers
financiers et qu'une réelle coopération se noue entre les
différents organes en charge de ces différentes missions.
D. LUTTER CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
La lutte
contre la criminalité financière internationale est devenue un
sujet central des réunions inter-gouvernementales traitant de la
stabilité du système financier international. Les propositions se
multiplient à ce sujet, particulièrement provenant de la France.
La pression sur les Etats délinquants ou accommodants à
l'égard de la délinquance financière augmente, notamment
de la part des Etats-Unis.
Le groupe de travail n'a pas la prétention d'émettre des
propositions définitives sur ce sujet préoccupant. Il tient
toutefois à donner quelques conseils au gouvernement français et
aux négociateurs internationaux à ce sujet.
1. Deux préalables indispensables
Deux
conseils initiaux paraissent pouvoir être formulés :
il faut, en premier lieu, choisir le
bon niveau de décision
pour une lutte concertée des Etats contre la criminalité
financière. L'ONU d'une part et l'OMC d'autre part semblent constituer
ce bon niveau.
La France a fait neuf propositions pour lutter contre les paradis bancaires et
fiscaux. Mais elle les a exprimées au FMI et au G 7. L'OCDE est
également un lieu traditionnel de débats à ce sujet.
Or, de deux choses l'une : ou bien les pays industriels sont
décidés à mener des
opérations militaires de
police internationale
contre les Etats ou gouvernements délinquants,
et ils peuvent décider entre eux ce qu'il convient de faire. Ou bien, et
c'est le plus probable, ils n'y sont pas disposés, et alors il est
indispensable
d'associer étroitement ces territoires à la
lutte contre les flux financiers criminels
. Délivrer des
"oukazes"
serait inefficace. Il conviendrait de réunir
un
groupe
ad hoc
, où seraient convenablement
représentés les centres
offshore
ainsi que les Etats
souffrant de criminalité à grande échelle,
dans une
négociation où leurs intérêts seraient
préservés
.
L'Organisation des Nations-Unies
serait
probablement le niveau adapté de décision. Par ailleurs,
l'OMC
est directement concernée puisque l'opacité de
certains territoires crée de réelles distorsions
préjudiciables à la liberté des échanges et
à la bonne organisation du commerce mondial. L'organisation de
Genève pourrait utilement participer à l'émergence de
nouvelles normes en la matière. Votre groupe de travail estime donc
qu'une première négociation au sein de l'ONU devrait ouvrir la
voie à la définition de règles et de procédures,
notamment juridictionnelles, au sein de l'OMC.
Il paraît également important de distinguer le traitement
des fonds d'origine criminelle de celui des fonds qui proviennent d'une
activité licite
. Autrement dit, il ne faut pas considérer le
blanchiment
et la
corruption
d'un côté, et
l'évasion fiscale
de l'autre, comme étant des
fléaux de même gravité. L'OCDE serait sur le point de
considérer la fraude fiscale comme un crime grave en lui-même.
Cela paraît aller un peu vite en besogne, d'autant que le degré de
sévérité des règles fiscales varie beaucoup dans le
monde : de la concurrence fiscale à la fraude fiscale, il existe
une large marge d'appréciation. Les pays industriels doivent laisser aux
paradis fiscaux le bénéfice d'une fiscalité
légère : ils ont le droit d'avoir fait ce choix. En
échange d'une relation tolérante dans ce domaine, au moins dans
un premier temps, il pourra être exigé de la part de ces Etats une
vigilance accrue contre les fonds d'origine criminelle, ainsi que davantage de
coopération dans les échanges d'information.
2. L'instauration d'une coopération " gagnant/gagnant "
La lutte
contre les fléaux financiers nécessite de convaincre les Etats
où ils sévissent qu'ils ont plus à gagner qu'à
perdre à lutter contre eux. Trois attitudes peuvent être
préconisées :
Mettre les Etats délinquants sous pression
. Les listes
établies par Transparency international pour la corruption, ou le
département d'Etat américain pour le blanchiment contribuent
à faire prendre conscience à certains Etats de la
réprobation qu'ils suscitent, et à les obliger à adopter
une attitude plus coopérative. L'Allemagne vient de livrer le
Liechtenstein à la vindicte. Le gouvernement britannique a
demandé à la firme KPMG un audit sur les paradis fiscaux de la
Couronne
52(
*
)
. La Banque centrale
de Russie a placé sous surveillance certaines îles du
Pacifique
53(
*
)
. Les Etats-Unis
menacent de sanctions Antigua, la Dominique, la Russie, le Nigeria et la
Colombie.
Le Forum de stabilité financière se propose de publier une
" liste noire "
des paradis fiscaux. Le GAFI devrait
faire de même en juillet. Cette technique peut être efficace :
en condamnant certains et en épargnant les autres, la communauté
internationale peut amener les plus délinquants à se rapprocher
des plus présentables. De proche en proche, une amélioration
générale de la situation devrait être observée.
S'agissant de la
corruption
, il serait nécessaire comme pour les
centres
offshore
d'établir une liste officielle des Etats
où elle sévit, sous l'égide de la Banque des
règlements internationaux et de l'Organisation mondiale du commerce
,
à partir d'une enquête de fond. En effet, quel que soit
l'intérêt des sondages de Transparency international, ils ne
révèlent qu'une perception subjective de la corruption et ne
revêtent aucun caractère officiel.
Subordonner les aides aux Etats à des mesures de lutte contre
la délinquance financière
. Certains pays émergents ou
en développement ont aujourd'hui besoin d'aides publiques
internationales, certains paradis fiscaux aussi. Plutôt que de soumettre
l'octroi des aides à des objectifs macro ou micro-économiques, il
peut être suggéré d'établir des objectifs de lutte
contre la corruption, les trafics, le blanchiment. Selon votre groupe de
travail, cette lutte, si elle est bien menée, peut de surcroît
faciliter les performances économiques, la délinquance
financière étant nuisible à la santé
financière des Etats.
Dans le débat sur l'annulation totale de l'ensemble de la dette des pays
en développement, une des conditions les plus importantes à poser
pourrait être celle-là.
Coopérer à l'établissement de règles de
conduite et à la mise en place d'organes de contrôle locaux.
Le Sénat français coopère institutionnellement avec les
jeunes démocraties dans la mise en place de leurs institutions, et, bien
souvent, d'une seconde chambre.
Les pays industriels pourraient faire de même avec les pays
émergents et les centres
offshore
. Les Bahamas viennent de mettre
en place un organisme de surveillance bancaire et boursier. Il appartient aux
pays de l'OCDE, au Comité de Bâle, à l'OICV, de proposer
leur aide bénévole, voire accompagnée d'un soutien
financier, à tous les Etats souhaitant se doter de structures de
surveillance bancaire et financière, ainsi que d'une législation
en ce sens.
3. Mettre la délinquance financière au coeur du contrôle
Etendre les compétences de tous les
régulateurs financiers à la surveillance de la délinquance
financière
. Les organes de contrôle des banques, des
assurances, des marchés financiers, les institutions
multilatérales, les banques régionales de
développement : tous les organes de l'architecture
financière internationale doivent avoir compétence, mais aussi
acquérir la culture et les qualifications techniques,
éventuellement à l'aide de magistrats ou de policiers, pour
lutter contre la criminalité financière. Leur point de vue est
encore trop économique et financier, et insuffisamment policier à
cet égard.
Dans les ratios prudentiels, les crédits accordés à des
organismes situés
offshore
devront également être
pondérés en fonction des risques particuliers que ces flux font
courir à l'ensemble du système financier.
La BRI pourrait
définir ces pondérations.
Coordonner l'action de tous les organes de régulation
.
L'exemple FIMACO a fait apparaître qu'un dialogue plus approfondi entre
le FMI, la Commission bancaire et la Commission des opérations de bourse
françaises, la commission des valeurs mobilières de Jersey, ainsi
que la Banque centrale de Russie, aurait sans doute permis d'éviter tout
ou partie des dévoiements observés.
Il est nécessaire que les multiples institutions financières
nationales et internationales forment un véritable réseau de
contrôleurs.
Les flux financiers internationaux passent souvent par
un grand nombre de pays et de transactions : un maillage serré de
contrôleurs rendrait les recoupements inévitables.
Pour cela,
il serait utile d'approfondir, en la pérennisant, une structure du type
du Forum de stabilité financière.
4. France : balayer devant notre porte
Le
groupe de travail tient enfin à formuler quelques recommandations
à l'égard de notre pays. Au sujet de la régulation
financière internationale, le Gouvernement est en effet prompt à
de grandes déclarations et à multiplier les propositions soumises
à nos partenaires, que ce soit sur la dette, l'architecture
financière internationale, ou les paradis fiscaux.
Mais qu'en est-il
de son action ?
Au sujet de la corruption,
la France est classée dixième
dans l'Europe des Quinze par Transparency international
, et sa note s'est
détériorée de 1998 à 1999. La lutte contre la
corruption doit d'abord commencer chez nous. Des mesures de rapprochement avec
les normes les plus élevées doivent être prises.
La France abrite elle-même des paradis fiscaux
, dans ses
collectivités outre-mer. Le moins admissible est Saint-Martin, qui peut
être considérée comme une véritable zone
offshore
.
Il faut, à tout le moins, rétablir à
Saint-Martin le droit commun fiscal appliqué dans les DOM.
S'agissant du
blanchiment
, la France est classée par le
Narcotic bureau
parmi les pays où se déroule une intense
délinquance financière. Les Etats-Unis reconnaissent la ferme
volonté de lutte du Gouvernement. Mais ils déplorent la relative
clémence des peines encourues, notamment du fait de la confusion des
incriminations et des peines.
Contre la délinquance financière
internationale, il conviendrait peut-être d'appliquer un droit largement
partagé par la communauté internationale.
A cet égard, et sous réserve des positions que votre commission
prendra à ce sujet, le groupe de travail considère que les
mesures proposées dans le projet de loi sur les nouvelles
régulations économiques vont dans le bon sens. Certaines de ces
mesures, relativement aux restrictions ou interdictions des relations avec les
centres
offshore
, sont toutefois subordonnées à
l'établissement des listes des centres les moins coopératifs. La
France se référera probablement à la typologie
établie par le GAFI.
Le projet prévoit en outre une généralisation de la
déclaration de soupçon aux transactions dont les
opérateurs ne peuvent être identifiés, et une
généralisation des relations des autorités publiques avec
Tracfin, service de renseignement contre le blanchiment.
Enfin,
tout en donnant des leçons de
transparence
,
la France
n'en fait guère preuve
elle-même
. Sur l'affaire FIMACO, notre pays ne s'est guère
vanté de sa faible efficacité au sujet des transactions douteuses
de la Banque centrale de Russie. Le président de la commission des
finances et votre rapporteur ont posé à ce sujet une question
écrite au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
en septembre 1999. La réponse se fait toujours attendre...
E. RÉDUIRE L'IRRESPONSABILITÉ DES ACTEURS
1. L'interdiction des prêts en dernier ressort est une vue de l'esprit
Le
risque d'irresponsabilité des acteurs de marché et la
probabilité de crises financières qui en découle est, on
l'a mentionné, entretenu par la perspective d'interventions publiques
qui, jouant comme une assurance sans primes, introduit un fort risque moral.
Cette situation irritante suscite la tentation de prohiber le recours de telles
interventions. La suppression des prêts en dernier ressort ou d'autres
formes gratuites d'assurance imposerait davantage de prudence aux acteurs de
marché et supprimerait l'impression désagréable d'une
socialisation des pertes subies par des intervenants qui savent, au contraire,
bénéficier à titre exclusivement privé des
bénéfices de leurs imprudences.
Mais, outre qu'une telle mesure ne saurait se décréter
universellement
54(
*
)
, elle
apparaît comporter un bilan coûts-avantages défavorable.
Il semble d'abord qu'une prohibition générale de ces
interventions, à supposer même qu'elle permette de prévenir
les comportements financiers imprudents - concept qui appelle une
définition générale introuvable - ne supprimerait pas
l'ensemble des occasions de crises qu'appellent par nature l'activité
bancaire et le développement économique.
Dès lors, les autorités publiques confrontées à une
crise, se trouveraient privées d'un instrument essentiel à leur
résolution. Ainsi désarmées, elles ne pourraient que
laisser se développer des crises systémiques qui, par contagion,
affectent les acteurs dont la responsabilité directe dans des crises est
nulle. Il ne s'agirait pas d'autre chose que de " jeter le
bébé avec l'eau du bain ".
L'élimination
a priori
de tout prêteur en dernier
ressort doit être écartée comme constituant une mesure
inappropriée.
L'existence d'un prêteur en dernier ressort est donc nécessaire
pour faire face aux crises systémiques. Mais le problème
systémique que le prêteur en dernier ressort engendre doit, quant
à lui, être traité.
C'est à partir de ces deux considérations fondamentales qu'il
faut aborder les questions essentielles que sont l'identité du
prêteur en dernier ressort et les conditions que doit satisfaire son
intervention.
2. Qui doit être appelé à jouer le rôle de prêteur en dernier ressort ?
En
l'état, l'identité du prêteur en dernier ressort est
fixée sur des bases quelque peu existentialistes. Il s'agit
principalement d'instances nationales (banques centrales, budgets,
assurances...) mais il peut s'agir aussi des institutions financières
internationales, et en particulier du FMI, qui, même s'il manque de
moyens en ce sens, joue de fait ce rôle.
Cette architecture est-elle satisfaisante ? Ne faut-il pas mieux
préciser les rôles ?
Cette question souvent abordée sur un plan académique doit
pourtant être traité avec pragmatisme.
Il convient d'abord de rappeler en quoi consiste l'activité de
prêteur en dernier ressort entendue au sens strict. Il s'agit de
consentir des prêts d'urgence à des établissements qui,
bien que solvables en régime normal, se trouvent confrontés
à une pénurie de liquidités.
Une telle situation est généralement susceptible d'être
gérée par n'importe quelle banque centrale puisqu'aussi bien ces
institutions disposent d'une capacité illimitée de créer
de la monnaie. Il en va d'ailleurs ainsi en pratique.
Il n'apparaît donc pas systématiquement nécessaire de
mobiliser un quelconque prêteur en dernier ressort supra-national pour
régler les problèmes de liquidité des banques.
Toutefois, en de rares circonstances
, soit que la banque centrale d'un
pays se refuse à intervenir, soit que le problème de
liquidité rencontré consiste en une pénurie en devises
impossible à combler via des interventions de banques centrales en crise
de liquidités elles-mêmes,
l'intervention d'un prêteur en
dernier ressort non-national s'impose.
Qui peut et qui doit jouer ce rôle ?
La première question amène naturellement à s'interroger
sur la capacité du FMI à jouer efficacement le rôle d'un
prêteur en dernier ressort. Le déroulement des crises asiatiques a
montré que cette capacité était limitée. Le Fonds
n'a pas la possibilité de créer de la monnaie. Face à des
besoins massifs, il doit au préalable recourir aux Etats en
espérant que ceux-ci consentent à une augmentation de ses moyens.
Ses interventions sont destinées aux Etats alors que les
problèmes de liquidité concernent désormais souvent des
acteurs privés. Ceux-ci ne bénéficient des interventions
du Fonds qu'après intermédiation des banques centrales nationales
et donc moyennant des délais supplémentaires.
Les interventions du Fonds sont donc, par construction, tardives. Elles ne
parviennent pas à prévenir les crises.
En fait, dans la plupart des crises de liquidité à impact
international potentiellement élevé, les prêteurs en
dernier ressort efficaces ont été les banques centrales
nationales en mesure d'intervenir massivement c'est à dire pour
l'essentiel la banque centrale américaine, la Banque du Japon et,
à un moindre degré, les banques centrales des pays
européens.
Faut-il modifier cette situation ?
Cette question revêt deux
aspects distincts.
Le premier d'entre eux consiste à s'interroger sur le choix de
l'organisme qu'il conviendrait de charger de la mission de prêteur en
dernier ressort.
Ce rôle est mal joué par le FMI dans
l'hypothèse de crises d'illiquidité des agents privés.
Seule une réforme profonde du Fonds et un accroissement très
sensible de ses moyens lui permettrait d'être un prêteur en dernier
ressort efficace, c'est-à-dire capable de prévenir le
déclenchement d'une spirale de crises.
D'un autre côté, la décentralisation actuelle des
initiatives aux grandes banques centrales nationales ne constitue pas une
solution coopérative et laisse perdurer une réelle
dépendance des pays émergents à l'égard des pays
les plus développés.
Ce diagnostic fonde les recommandations suivantes
.
Il importe d'abord que des banques régionales se développent dans
les zones économiques où elles font défaut. Elles doivent
être en mesure sinon d'exercer toujours le rôle de prêteur en
dernier ressort du moins d'en constituer un support éventuel et
d'être des interlocuteurs crédibles des banques centrales des pays
développés.
En outre, la coordination entre les grandes banques centrales doit être
renforcée pour traiter de façon harmonieuse leurs interventions
au titre de prêteur en dernier ressort.
C'est d'ailleurs un modèle de ce type qui est implicitement retenu dans
le cadre du système européen de banques centrales (SEBC). En son
sein, les refinancements restent en pratique à la charge des banques
centrales nationales mais la Banque centrale européenne dispose d'un
droit de regard général sur l'activité des banques
nationales et il existe au sein du SEBC des accords de liquidité
susceptibles d'être mobilisés le cas échéant.
Ainsi, et même si la BCE ne s'est pas vue explicitement confier le
rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro, cette
solution apparaît d'abord conforme au principe de subsidiarité. En
outre, contrairement aux critiques qu'elle a suscitées en particulier de
la part des économistes du FMI, cette solution paraît compatible
avec les exigences de régulation en Europe. La probabilité d'y
voir une banque centrale nationale hors d'état de jouer le rôle de
prêteur en dernier ressort est faible ; le SEBC semble avoir mis en
place les instruments que pourrait réclamer une crise d'une ampleur
particulière. Enfin, l'imprécision qui caractérise cette
organisation est conforme au principe "
d'ambiguïté
constructive
" par les incertitudes qu'elle laisse planer sur le
principe même d'une intervention en permettant de limiter le risque
d'irresponsabilité né du sentiment de l'existence de
l'intervention garantie d'un assureur des risques.
En conclusion, il apparaît souhaitable de mettre en oeuvre au niveau
international un système de coopération souple mais attentif
entre banques centrales plutôt que de se reposer sur la
désignation institutionnelle d'un prêteur en dernier ressort.
Cette recommandation qui procède du constat que le Fonds n'est pas un
mesure d'être un prêteur en dernier ressort préventif ne
signifie pas que le FMI doive renoncer à l'exercice des missions qui
sont les siennes.
La seconde question qui ne peut être éludée consiste
à s'interroger sur la compatibilité d'un système
décentralisé de prêteur en dernier ressort avec l'existence
d'une communauté d'intérêts dans le domaine
monétaire
. Cette question revêt une particulière
importance dans le cadre des zones monétaires unifiées. En leur
sein, l'intervention d'un prêteur en dernier ressort est susceptible
d'exercer des effets contradictoires avec l'objectif de stabilité
monétaire. La situation de la zone euro illustre un éventuel
conflit entre les décisions monétaires prises par l'organe
central (la BCE) et les interventions comme prêteur en dernier ressort
des organes décentralisés (les banques centrales nationales).
La perspective d'un tel conflit et les voies de sa résolution ne sont
pas éludées par le traité d'Union monétaire puisque
les activités des banques centrales nationales ne doivent pas nuire aux
objectifs et aux missions du SEBC où la BCE exerce la
responsabilité de la définition de la politique monétaire.
C'est sur ces bases que les autorités monétaires en Europe
pourraient assurer, de façon pragmatique, la conciliation des
initiatives de secours d'urgence et des objectifs de la politique
monétaire unique.
Cette architecture, il faut l'admettre, ne se retrouve pas en l'état au
niveau international. Cependant il est loisible et souhaitable d'aborder cet
aspect du problème dans les enceintes internationales de concertation.
3. Comment doit être exercé le rôle de prêteur en dernier ressort ?
Une
recommandation préalable ressort de l'expérience des
crises : la nécessité d'interventions rapides doit
être affirmée avec force. Mais une autre considération est
essentielle.
Le constat de l'existence d'un risque d'irresponsabilité associé
aux interventions des prêteurs en dernier ressort appelle à une
réflexion sur les moyens de réduire ce risque. Ce dernier,
soulignons-le n'est pas l'apanage du secteur privé ; il concerne
aussi les Etats pour lesquels la perspective d'un secours extérieur peut
agir comme un dangereux lénifiant.
C'est pourquoi il importe d'accoler aux interventions des prêteurs en
dernier ressort un coût afin qu'elles cessent d'apparaître comme
une assurance sans prime.
Cette préconisation ne signifie pas que ce type de prêts soit
assorti systématiquement d'un taux de pénalité. Cela est
parfois recommandé comme étant de nature à prévenir
un recours abusif à la monnaie de la banque centrale lorsque le
marché serait capable, mais à un taux plus élevé,
de refinancer l'établissement défaillant. Dans les faits, de
nombreux prêts de secours sont attribués sans application d'un
taux de pénalité. Cet usage s'explique par des
considérations pratiques, infliger un taux de pénalité
pouvant accroître les difficultés de l'intermédiaire
secouru. En la matière, tout esprit de système doit être
exclu, tout étant du domaine des cas d'espèces.
Il faut en revanche systématiquement rechercher quelles
conditionnalités s'imposent dans le cadre des interventions de
secours
. Il peut s'agir d'un changement des dirigeants - solution
envisageable dans les prêts au secteur privé mais
évidemment non-mobilisable lorsqu'il s'agit du secteur public - voire
d'un retrait d'agrément. Il peut être nécessaire de
resserrer les exigences de couverture en capital imposées à
l'établissement ou encore d'élever les provisions passées
par lui. Une large gamme de conditions peuvent être envisagées.
Elles doivent l'être au coup par coup. Mais il faut faire plus.
Il est important et souhaitable que les prêteurs en dernier ressort,
et en particulier les banques centrales, définissent explicitement en
commun, le prix de leurs éventuelles interventions. Cette
déclaration commune serait en soi une manière de réduire
le risque moral.
D'autres voies doivent être explorées.
Un sujet mérite de ce point de vue une attention
particulière : celui de l'association des intérêts
privés à la résolution des crises de liquidité
.
Ce thème a été développé depuis les crises
asiatiques pour une raison évidente : ces crises ont principalement
concerné des agents privés. Il a fait l'objet d'une
déclaration lors du sommet du Conseil européen de Cologne en juin
1999.
" Pour le Conseil européen, il est particulièrement
important d'associer davantage le secteur privé à la
prévention et au règlement des crises financières. A cet
égard, il insiste sur la nécessité d'intensifier les
travaux visant à fixer des règles plus efficaces pour la
participation du secteur privé à la prise en charge du coût
des turbulences sur les marchés financiers ".
C'est une même approche qui a été suivie par le G 10
lors de sa réunion de Washington en septembre 1999 où furent
réaffirmés
" les
principes selon lesquels les
débiteurs doivent honorer leurs obligations et contrats et qu'aucune
catégorie de créanciers privés ne doit être
considérée comme privilégiée par rapport à
d'autres ".
Un appel a été lancé à cette
occasion pour l'intensification du dialogue entre créanciers et
débiteurs ainsi que pour l'extension du recours aux clauses d'action
collective dans les émissions obligataires privées ou
émanant d'emprunteurs souverains.
En l'état, ce qui est en discussion est essentiellement relatif à
l'introduction de modalités juridiques et pratiques permettant de
restructurer les dettes obligataires privées. Tout part du constat, plus
ou moins strictement fondé, qu'à l'occasion des crises les
interventions de secours des prêteurs en dernier ressort permettraient
d'acquitter les dettes obligataires privées. L'inclusion de clauses de
restructuration des dettes privées dans toutes les émissions
où elle pourrait sembler nécessaire serait ainsi
censée :
- résoudre les problèmes d'aléa moral que pose
l'intervention massive des institutions financières
internationales ;
- assurer la comparabilité de traitement entre créanciers publics
et privés ainsi qu'entre les créanciers privés
eux-mêmes ;
- inciter les prêteurs et les investisseurs à une meilleure
évaluation des risques associés à leurs opérations
sur les marchés émergents.
La poursuite de tels objectifs apparaît souhaitable. Il convient
cependant d'ajouter une observation
.
Si la participation des porteurs d'obligations au traitement des crises doit
être mieux établie, il faut veiller aussi à ce que les
banques créditrices et les actionnaires y soient également
associés. C'est souvent le cas pour les banques qui se trouvent
" collées " au moment où survient la crise mais il est
souhaitable de réfléchir à la situation de celles dont les
désengagements plus précoces leur permettent sans doute d'y
échapper mais peuvent avoir une responsabilité de premier rang
dans les processus de crise. Il y a là un thème de
réflexion à approfondir.