CHAPITRE III :
LES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LA
RÉGULATION MONÉTAIRE ET FINANCIÈRE
INTERNATIONALE
Le
nombre impressionnant d'organismes, de groupes de travail, d'instances de
réflexion, permanentes ou
ad hoc
, qui se sont penchés sur
l'avenir du système monétaire et financier international, permet
de disposer aujourd'hui d'une abondante documentation et de propositions
très riches et très diverses.
Finalement, l'obstacle le plus grand dans cette réforme du régime
né après la seconde guerre mondiale réside moins dans la
connaissance des phénomènes ou dans la recherche de solutions que
dans la détermination des instances appropriées pour prendre les
décisions requises. En 1945, la puissance économique et
financière était centralisée en Amérique du Nord.
La négociation collective sur le système de Bretton Woods fut
grandement facilitée par la présence d'une économie et
d'une monnaie dominantes et l'absence quasi-totale (la BRI faisant exception)
d'institutions internationales compétentes dans le domaine
économique et financier. Près de soixante ans plus tard, la
planète économique et financière a éclaté,
les instances de décision se sont multipliées et les
intérêts ne convergent plus nécessairement. Il paraît
ainsi inenvisageable de reproduire une conférence mondiale du type de
celle de Bretton Woods. Le nouveau système monétaire et financier
international sera le fruit de concertations diverses et non pas d'un
traité unique.
Dans cet horizon morcelé, de nombreuses propositions se font cependant
jour, sur lesquelles votre groupe de travail tenté d'émettre un
avis éclairé par les missions et entretiens qu'il a
réalisés dans le monde entier, avant d'ouvrir ses propres pistes
de réflexion.
I. LES PROPOSITIONS EXTÉRIEURES
" Nous savons quelles réformes doivent être accomplies. Bien sûr, il faut d'abord mettre en oeuvre de bonnes politiques économiques dans chacun de nos Etats. C'est un préalable. Mais il faut aussi renforcer les obligations des Etats et des institutions financières internationales en matière de transparence. Il faut accroître nos capacités de prévention des crises. Il faut adopter un vrai `code de la route' pour la circulation des capitaux, un code qui s'applique à tous, y compris aux fonds d'investissement spéculatifs et aux centres " offshore ". Il faut mieux associer le secteur privé à la solution des crises. Il faut identifier et définir le rôle du `prêteur en dernier ressort' du système financier international. " Par ces quelques phrases, le président de la République, M. Jacques Chirac, résumait l'ensemble des propositions de réforme du système monétaire et financier international, le 18 février 1999 à l'occasion de sa visite aux institutions de Bretton Woods. Elles prennent trois directions : une refonte des organismes multilatéraux, une amélioration de la supervision et une accentuation de la lutte contre les circuits financiers parallèles. On peut y ajouter la question de la dette des pays les plus pauvres.
A. RÉFORMER LES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
1. L'initiative française : leur conférer davantage de légitimité politique
La
principale proposition française vis-à-vis des institutions de
Bretton Woods, formulée au sommet du G 7 de Birmingham en juin 1998,
réside dans le voeu de voir leur légitimité politique
renforcée (l'
accountability
). Ce procès en
légitimité recouvre deux volets : le niveau de
représentation des Etats aux instances de direction et le mode de
représentation des pays les plus pauvres.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international devraient agir en
fonction des décisions de leurs actionnaires, c'est-à-dire des
Etats. Or force est de constater qu'aujourd'hui les instances de direction ne
se réunissent jamais à un niveau politique et toujours à
un niveau technique. Alors que les statuts du Fonds en prévoient la
possibilité, il n'y a jamais eu de réunion du comité
intérimaire du FMI au niveau ministériel. La France a donc
proposé de réformer cette instance et de prévoir des
réunions régulières des ministres compétents avec
pouvoir de décision
42(
*
)
.
Elle a également suggéré d'étendre cette
réforme au comité de développement de la Banque mondiale.
A côté des conseils d'administration, les ministres donneraient
ainsi les impulsions nécessaires et assureraient le contrôle
démocratique des décisions.
Par ailleurs, le président Chirac a indiqué le souhait de la
France de voir mieux associés les pays les plus pauvres à la
prise de décision. Ainsi qu'il l'écrivait au président
Clinton le 24 septembre 1998 :
" Nous devons associer plus
étroitement les pays en transition, les pays émergents et les
pays en développement à nos travaux. La crise financière
actuelle montre que nous avons besoin aujourd'hui d'un dialogue approfondi
entre tous, ainsi que d`un mécanisme de prise de décision qui
donne aux marchés des signaux politiques forts et manifestes
d'adhésion universelle à un système ouvert et sans
exclusive. "
Il n'est qu'à citer le mécanisme
extrêmement complexe de représentation des Etats auprès de
la Banque mondiale. Si les grands Etats possèdent chacun un
administrateur (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Chine,
Fédération de Russie), les autres sont regroupés en
circonscriptions élisant chacune un administrateur. Le continent
africain élargi aux îles de l'océan indien ne dispose ainsi
que de deux sièges ! L'administrateur élu par les Pays-Bas
représente aussi la Géorgie (et inversement puisqu'il y a
rotation), celui de la Belgique, la Turquie, celui de l'Algérie vote en
même temps au nom du Pakistan, ou encore celui de la Suisse pour la
République kirghize. Il y a là un véritable défaut
de représentation du Tiers monde qui altère l'appropriation,
chère aux dirigeants de la Banque mondiale, par les Etats
" bénéficiaires " des mesures proposées.
2. Les propositions du Congrès américain : recentrer les institutions sur de strictes missions
Le
Congrès des Etats-Unis a demandé en novembre 1998 à un
groupe de onze experts présidé par Allan Meltzer
(l'
international financial institutions advisory commission
)
d'étudier une éventuelle réforme des institutions
financières internationales
43(
*
)
. Ce rapport a été rendu
public en mars 2000
44(
*
)
et
appelle chacune d'entre elles à recentrer ses missions
" sur un
nombre limité d'objectifs ".
Le FMI devrait ainsi agir seulement sous la forme de prêts de
liquidités à court terme et ne plus intervenir en matière
de soutien à long terme aux pays en voie de développement. Il
jouerait vis-à-vis d'eux le rôle de prêteur en dernier
ressort. Ces prêts d'urgence se feraient à taux de marché
et ne bénéficieraient qu'à ceux ayant déjà
des institutions saines et efficaces, condition assouplie en cas de risque
systémique. Les pays éligibles offriraient une totale
liberté aux institutions financières étrangères
pour intervenir sur leurs marchés, et publieraient
régulièrement des données sur leur dette publique et leur
balance des paiements. Le FMI doit promouvoir une réforme fiscale pour
s'assurer que les ressources ainsi attribuées ne soutiennent pas des
" politiques budgétaires irresponsables ".
Il
abandonnerait ses autres fonctions, apparues depuis les années
soixante-dix, comme la gestion des crises financières internationales,
les concours aux pays en développement, le conseil économique aux
nations et la collecte des données économiques. Quant aux Etats
bénéficiaires des concours du FMI, ils devront abandonner tout
système de
peg
ou de taux de change flottant pour retenir un
currency board
ou la dollarisation de leur économie.
La Banque mondiale subit une sévère critique sur
l'efficacité de ses interventions
45(
*
)
: le taux d'échec
s'élève à 73 % pour l'Afrique par exemple. Le rapport
propose de la dénommer Agence de développement du monde et de ne
plus la laisser faire que des prêts aux pays n'ayant pas accès aux
marchés financiers, en tout cas ayant un revenu annuel en dessous de
4.000 dollars par habitant. Elle devra se concentrer sur l'Afrique et laisser
l'Asie et les Amériques à leurs structures régionales.
Tout prêt sera conditionné à la mise en place de
réformes institutionnelles et politiques, avec un contrôle
régulier d'auditeurs internationaux indépendants des
prêteurs comme des emprunteurs. En matière de santé et
d'éducation, l'agence pourra préférer l'attribution
directe de dons (
" grants and not loans "
).
Le rapport critique le manque de cohérence entre Banque mondiale et
banques régionales de développement, ces dernières
étant accusées de concurrencer la première en
matière d'appels de fonds, de choix des pays aidés et de
détermination des projets. Il dénonce aussi les coûteux
doublons en matière de fonctionnement. Il propose de les transformer en
centre d'assistance technique et de conseils et en promoteur des
investissements privés dans le pays les plus pauvres.
La BRI conserve son rôle traditionnel de formulation des standards
financiers, tels que les ratios de solvabilité, mis en oeuvre ensuite au
plan national. Parallèlement, l'OMC doit se garder d'édicter des
règles internationales contraires aux réglementations nationales.
Pour ne pas apparaître trop rudes, les auteurs de ce rapport proposent un
double effort en faveur des pays les plus pauvres : l'annulation totale de
leur dette auprès du FMI et de la Banque mondiale et l'augmentation de
l'aide au développement délivrée par les Etats-Unis.
3. Les réformes engagées par les institutions elles-mêmes : une meilleure coordination des actions
La crise
financière internationale a eu pour conséquence d'inciter le FMI
et la Banque mondiale à réfléchir sur leur propre
évolution.
Les deux structures se sont d'abord attachées à améliorer
la coordination de leurs interventions. Elles se sont entendues sur une
délimitation de leur champ d'action commun en matière
financière. Elles ont développé leurs missions conjointes
d'expertise. Elles ont ouvert les portes de leur organe de décision
à la direction de l'autre institution. La Banque mondiale a repris
à son compte le concept de bonne gouvernance en cherchant à
améliorer le suivi de ses opérations, et à n'accorder de
nouveaux soutiens qu'en fonction du respect de programmes de réformes
durables correspondant aux critères, par ailleurs encore très
imprécis, de la bonne gouvernance.
Mais au-delà des actions communes, chacune des deux institutions a
amorcé des réformes qui lui sont propres. La direction du FMI a,
au début de l'année 1998, fait part de ses propositions qui
correspondent aux souhaits du département américain du
Trésor. Il s'agit d'abord d'améliorer, sous l'égide du
FMI, la qualité, la disponibilité et l'exhaustivité des
données statistiques. Il propose aussi d'accroître
l'efficacité de la surveillance exercée par le Fonds qui
publierait ses documents de travail. Enfin, il suggère que le Fonds
définisse (et surveille le respect), conjointement avec la Banque
mondiale, des standards internationaux dans les domaines nécessaires au
bon fonctionnement des marchés financiers, comme les règles
encadrant les faillites, les activités sur titres et le gouvernement des
entreprises. En matière de gestion des crises, le Fonds propose de mieux
associer le secteur privé, permettant ainsi de réduire les
risques d'aléa moral.
Parallèlement, le FMI s'est doté de nouveaux moyens financiers et
techniques
46(
*
)
. Le 17
décembre 1997, les Etats ont décidé de créer un
nouvel instrument de prêt, la facilité de réserve
supplémentaire (FRS), pour aider les pays subissant, suite à des
crises de confiance, un choc soudain ; la FRS a notamment servi à
la Corée du Sud. Le FMI a été autorisé à
lever 6,3 milliards de DTS pour la Russie le 20 juillet 1998 par les accords
généraux d'emprunt. Les ressources du Fonds ont été
portées de 18,5 à 34 milliards de DTS le 20 novembre 1998
conformément aux nouveaux accords d'emprunt. Cet argent a
été utilisé pour le Brésil en décembre 1998.
Le 19 décembre 1998, le FMI a créé le système
général de diffusion des données pour mettre à
disposition de tous un cadre statistique unique. Le 22 janvier 1999, le capital
du FMI a été porté de 146 à 212 milliards de DTS.
Le 26 avril 1999, le Fonds a créé un nouvel instrument de
prêt, la ligne de crédit conditionnelle (LCC) lui permettant de
mettre à disposition d'un pays susceptible de connaître une crise
des liquidités de court terme. Par ailleurs, le FMI a diffusé un
code des bonnes pratiques en matière de transparence des finances
publiques, a commencé à publier les résultats et
recommandations de ses missions de surveillance, a créé une
procédure d'évaluation externe, a organisé la collecte et
le traitement des données, et a intégré des aspects
sociaux dans ses programmes de gestion de crise.
Actuellement, le FMI réfléchit à la possibilité de
recourir à des contrôles de capitaux, de mieux associer le secteur
privé, et de mettre en place une sorte de règle
d'insolvabilité des Etats.
De son côté, la Banque mondiale a engagé une
réflexion approfondie sur son rôle et sur l'efficacité de
ses interventions, eu égard notamment au taux trop important
d'échec des projets qu'elle a menés depuis cinquante ans.
B. ACCROÎTRE LA SUPERVISION BANCAIRE
1. Améliorer les règles prudentielles : le Forum de stabilité
Le 3
octobre 1998, les ministres des finances du G 7 ont chargé le
président de la Bundesbank, M. Hans Tietmeyer, de mener des
consultations avec les instances de régulation et de supervision
financières et les institutions intéressées en vue de la
création d'une structure réfléchissant autour de deux
axes : le renforcement de la surveillance du secteur financier et
l'amélioration de la coordination des actions des différents
organismes. A la suite de ses propositions, le G 7 a décidé, le
20 février 1999, la création du Forum de stabilité
financière.
Il a pour mission de prendre la suite des nombreux comités
ad hoc
créés ici et là, d'analyser les faiblesses du
fonctionnement du système financier international et de proposer des
mesures opérationnelles pour l'améliorer. Le Forum est
composé de représentants des ministres des finances, des banques
centrales et des instances nationales de supervision du G 7, de
représentants du FMI, de la Banque mondiale, de la BRI, de l'OCDE et des
instances internationales de régulation (Comité de Bâle,
Organisation internationale des commissions de valeurs, Association
internationale des contrôleurs d'assurances, Comité sur les
systèmes de paiements et de règlement). Le Forum de
stabilité financière est présidé pour trois ans par
M. Andrew Crockett, directeur général de la BRI.
Cette instance devrait rendre ses recommandations au début du printemps
2000. Elles porteront sur trois volets : le dépassement de la
séparation entre les aspects micro et macro prudentiels, le renforcement
de la coopération internationale et l'amélioration de
l'intégration des marchés émergents à ces
recommandations. Les pistes d'amélioration sont nombreuses :
identification des facteurs de vulnérabilité, prévention
des risques systémiques, développement de standards
internationaux, élaboration de codes de bonne conduite,
amélioration de la supervision financière au delà des
cadres nationaux, élaboration d'indicateurs d'alerte et de
procédures de coordination entre régulateurs, renforcement et
encouragement du recours aux bonnes pratiques comptables et d'analyse du
risque.
Sans attendre ces résultats, le Comité de Bâle, plus
particulièrement compétent en matière de définition
de règles de solvabilité bancaire, a, entre avril 1999 et janvier
2000, émis un certain nombre de propositions. Elles reposent sur trois
piliers : la réaffirmation d'une exigence minimale de fonds
propres, une surveillance prudentielle et la soumission des banques à
une discipline de marché. Ces propositions reprennent l'accord de 1988
qui prévoit l'obligation pour les banques de disposer d'un ratio de
solvabilité (engagements sur fonds propres) d'au moins 8 %. Pour
favoriser la transparence et la discipline effective des marchés, le
comité de Bâle suggère la publication
régulière par les banques d'informations sur la composition
qualitative et quantitative de leurs fonds propres et de leurs risques. Il
évoque aussi la création d'un système commun de notation
interne des banques en raison des grandes différences existant
aujourd'hui dans les méthodes d'évaluation. Ces axes de
réformes devraient également déboucher sur des mesures
concrètes avant l'été 2000.
2. Contrôler les instruments financiers les plus volatils : les propositions américaines
La mise
en cause des nouveaux instruments financiers (produits dérivés en
particulier), de leur très forte volatilité et des risques
systémiques qu'ils suscitent a nourri des réflexions aux
Etats-Unis et se sont mises en place des structures de propositions en 1999.
Suite à l'affaire LTCM, le président Clinton a
décidé de constituer un groupe de travail sur les marchés
financiers qui a rendu ses conclusions en avril 1999. Ce dernier n'a pas
envisagé de soumettre les
hedge funds
à un contrôle
direct mais à des obligations de transparence, à une supervision
bancaire et à une surveillance des effets de levier pratiqués. Le
groupe a constaté la grande liberté donnée par les acteurs
traditionnels à ces fonds d'investissement. Il propose donc d'imposer
une obligation de publication des prises de risque et résultats des
portefeuilles trimestriels, et d'information sur leurs pratiques d'emprunt et
de
trading
. Il a suggéré de les inciter à une
meilleure gestion interne des risques et de soumettre les banques commerciales
et d'investissement à la publication d'informations sur leurs risques de
crédit et de contrepartie. Par ailleurs, le groupe souhaite le
renforcement des pouvoirs des régulateurs, la SEC étant
compétente également pou les filiales des banques
d'investissement et obtenant de nouvelles informations sur les positions
individuelles de
trading
des
hedge funds
. Il se prononce en
faveur d'une incitation des centres
off-shore
et des pays
étrangers à prendre les mêmes mesures que les Etats-Unis.
S'agissant des produits dérivés, en janvier 1999, douze banques
ont constitué à New York, à l'initiative de la SEC, un
groupe, présidé par M. Gerald Corrigan, chargé de
proposer un code d'autorégulation applicable aux activités sur
produits dérivés. Il devait définir un corpus de pratiques
professionnelles et de règles touchant la gestion et le
reporting
des risques : modalités du
trading
, exigences documentaires,
obligations de transparence sur les risques. Ce groupe s'est divisé en
trois entités, l'une chargée de la gestion des risques de
crédit et de marché (liquidité, appels de marges,
documentation, valorisation des positions), une autre compétente pour le
reporting
des risques de crédit et de marché, et une
dernière travaillant sur les procédures de compensation.
C. S'ATTAQUER AUX ZONES D'OMBRE
Les flux
d'argent sale, les zones de non droit bancaire et financier, les paradis
fiscaux, les centres
off-shore
constituent autant de facteurs
d'instabilité et de risque. Les études réalisées au
niveau international estiment que le blanchiment d'argent représente
chaque année entre 2 % et 5 % du PIB mondial. Les récentes
affaires mises au jour confirment l'urgente nécessité de
renforcer les moyens de lutte existants et la coopération internationale
pour une plus grande efficacité.
L'émergence d'une volonté politique internationale de lutter
contre le blanchiment est apparue à la fin des années 1980 avec
la déclaration de principes du Comité de Bâle, la
création du Groupe d'Action Financière Internationale (GAFI) et
les 40 recommandations de ce dernier. Aujourd'hui, la communauté
financière internationale prend conscience de l'ampleur de ce
fléau. Un nouveau pas a été franchi au printemps, avec
l'adoption par la commission des Nations-Unies pour la prévention du
crime et la justice pénale (Vienne, mai 1999) des " recommandations
de Bercy " mises au point par les experts de 42 pays et 12 organisations
internationales en avril 1999. Cette démarche est relayée par les
travaux engagés au sein du GAFI et au sein du Forum de stabilité
financière.
La France a voulu apparaître en pointe sur cette question et a
formulé devant le G 7 et le FMI, en septembre 1999, des propositions
précises, animées par la volonté de construire une
régulation internationale à la mesure de la globalisation, ce qui
implique une lutte implacable contre la criminalité financière,
notamment contre le blanchiment des capitaux. Pour cela, une coordination forte
des États est nécessaire pour que l'économie fonctionne de
manière efficace et juste. Ces neuf propositions visent ainsi à
lutter contre les paradis bancaires et fiscaux, notamment contre le blanchiment
des capitaux.
1. L'intégration dans les normes anti-blanchiment recommandées au
niveau international, notamment par les institutions financières
internationales et par le GAFI, de l'interdiction de formes juridiques mal ou
non réglementées (
trusts, international business
corporations
, sociétés écrans)
47(
*
)
.
2. Le renforcement des législations anti-blanchiment en
élargissant le champ de l'incrimination pénale et de la
déclaration de soupçons à tous les crimes et délits
graves, y compris la corruption, et en associant toutes les professions
d'intermédiaires à la lutte contre le blanchiment (y compris les
intermédiaires non financiers : conseils juridiques, agents immobiliers,
casinos, etc.).
3. L'établissement rapide par le GAFI et les autorités
prudentielles d'une liste des États et territoires non
coopératifs (sur la base de critères objectifs : absence de
qualification pénale du blanchiment ; droit commercial opaque, ne
permettant pas l'identification des ayants-droit ; normes de supervision
financière déficientes, voire inexistantes ; moyens
administratifs et judiciaires insuffisants ; défaut ou insuffisance de
coopération judiciaire, etc.).
4. Une pression constante (notamment par une coopération technique) pour
que ces États et territoires se mettent aux normes internationales dans
un calendrier strict et la levée automatique du secret bancaire dans les
investigations et procédures judiciaires.
5. Une coopération renforcée entre les services chargés de
la lutte contre le blanchiment, avec étude de pistes nouvelles telles
que, par exemple, la création d'un mécanisme de signalement
international permettant aux services concernés de demander aux
autorités judiciaires de leur pays le blocage simultané des
comptes détenus par la personne soupçonnée.
6. Une mobilisation accrue des institutions financières internationales
dans la lutte contre le blanchiment : en les dotant d'une " charte de
gouvernance " appliquée dans l'examen de la situation des pays et
conditionnant des concours financiers (règles minimales de lutte contre
le blanchiment, interdiction de l'utilisation de centres
off-shore
par
les entités publiques de pays bénéficiant d'une aide,
audits indépendants des secteurs sensibles, mise en place de
systèmes efficaces et de règles de transparence dans le domaine
budgétaire et du change) ; et en améliorant la coordination de
l'action de ces institutions (création au FMI d'un département
chargé de la gouvernance, échange d'informations
systématique entre les institutions de Bretton Woods et l'Union
européenne).
7. Des encouragements et injonctions dans le cadre des organismes
multilatéraux (institutions de Bretton Woods, GAFI, Union
européenne) et des relations bilatérales (sujet inscrit à
l'ordre du jour de toutes les visites bilatérales).
8. Une interruption des flux financiers publics en direction des États
ou territoires figurant sur la liste établie par le GAFI et les
autorités prudentielles, s'ils refusent de renforcer leur
législation ou d'améliorer leur niveau de coopération
internationale.
9. Sous l'égide des autorités prudentielles pouvant agir à
l'égard des intermédiaires financiers, des mesures de restriction
des mouvements de capitaux avec les centres
off-shore
, partielles ou
totales, temporaires ou définitives.
Pour aboutir sur tous ces sujets, la France a proposé la tenue de
réunions conjointes des ministres des finances, de la justice et de
l'intérieur, dans le cadre du G 7/G 8, de l'Union européenne et
du FMI.
D. DETTE PUBLIQUE ET DÉVELOPPEMENT : FAUT-IL ANNULER LA DETTE ?
" Là [à la bourse de Londres], le quaker
traite avec l'anabaptiste,
le mahométan avec le papiste, et le
nom d'infidèle
est réservé à celui qui ne
paie pas ses dettes "
Voltaire
, Sixième lettre anglaise
Ancienne (que l'on pense aux dettes interalliées de la première guerre mondiale, ou aux prêts anglais à l'Egypte à la fin du XIXème siècle), la question des dettes internationales a connu une actualité particulière en raison de la crise financière internationale. En effet, au nom de la solidarité internationale, les pays les plus pauvres ont demandé un effort supplémentaire en leur faveur sous forme d'allégement de leur dette. Le G 7 y a répondu en mettant en place plusieurs instruments (qui font suite aux précédents plans comme le plan Brady, l'initiative de Toronto et les décisions françaises comme celles de Libreville et de Dakar). Il convient cependant de s'interroger sur la pertinence des modalités retenues et sur la justification même de tels efforts.
1. De nombreuses initiatives déjà mises en oeuvre
A
l'initiative de la France, le G 7 a décidé en juillet 1996
à Lyon d'un vaste plan destiné à permettre un traitement
définitif de la dette des pays les plus pauvres et les plus
endettés. Cette proposition présente une double
originalité : d'une part, constituer un effort massif et sans
précédent ; d'autre part, inclure dans la négociation
les créances détenues par les institutions financières
internationales. Pour cette dernière raison, les pays du G 7 ont
décidé de confier la mise en oeuvre de cette initiative aux
institutions de Bretton Woods, en collaboration avec les autres réunions
de créanciers (club de Paris et club de Londres notamment). Ce plan se
fixait un objectif d'annulation de 80 % de la dette.
Il s'agit, d'après le Programme d'action pour résoudre les
problèmes d'endettement des pays pauvres très endettés, de
parvenir à un niveau d'endettement soutenable, d'assurer une
participation de tous les créanciers sur la base d'un partage
équitable du fardeau, de mettre en place un processus participatif et de
permettre la prise en compte de critères sociaux.
Un pays peut bénéficier de cette initiative PPTE s'il est
éligible aux seuls prêts concessionnels de l'Association
internationale pour le développement, s'il a démontré son
engagement sur la voie de l'ajustement structurel (il faut trois ans de
politique d'ajustement pour lancer l'initiative qui s'achève
après un nouveau délai de trois ans) et s'il connaît un
niveau de dette considéré comme insoutenable (ratio dette /
exportations supérieur à 200 % ou ratio dette / recettes
gouvernementales supérieur à 280 %).
La Banque mondiale participe à cette initiative par le biais d'un fonds
fiduciaire procédant à l'allégement des créances
détenues par l'AID par le rachat et l'annulation ou par la prise en
charge des intérêts. Le FMI a créé un fonds
spécial des échéances dues par les pays débiteurs,
alimenté par le fonds fiduciaire FASR - PPTE lui-même
abondé par des contributions volontaires et par des réserves (ce
fonds fiduciaire sert aussi à la bonification d'intérêts et
peut accorder des dons, ce qui suscite la crainte d'une éviction). Cette
mise en oeuvre se heurte cependant à un manque de ressources. Sept pays
ont déjà commencé à bénéficier du
programme, deux n'ont pas été retenus, et trois ont engagé
les démarches préliminaires.
Devant ces retards, le sommet du G 7 de Cologne de juin 1999 a examiné
une relance de l'initiative, sous l'impulsion une nouvelle fois de la France,
selon le triple principe de la générosité, de la
responsabilité et de l'équité. Il s'agit d'offrir un
allégement accru, renforcé et accéléré de la
dette grâce à la baisse des critères
d'éligibilité (ratio dette / exportations passé à
150 % et ratio dette / recettes gouvernementales à 250 %), à la
hausse des termes de l'allégement de 80 à 90 % et à
l'instauration d'échéances plus rapprochées pour les
étapes intermédiaires. Les pays qui ont engagé les
politiques macro-économiques indispensables pour garantir leur
développement futur en constituent les premiers
bénéficiaires. L'effort représente un coût total de
65 milliards de dollars dont la moitié devrait revenir aux institutions
internationales, déjà en peine de boucler le financement de leurs
actions présentes (à noter que le FMI est autorisé
à vendre une partie de ses réserves en or pour alimenter le fonds
fiduciaire consacré aux pays les plus pauvres). Le G 7 a appelé
à un partage équitable de cette charge. Déjà la
France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont commencé à appliquer
les termes des recommandations du G 7, alors que le Congrès des
Etats-Unis empêche toujours le versement de la part américaine du
financement.
2. De la diversité des formes d'annulation à la question de son utilité réelle
a) Comment annuler ? Qui doit payer ?
D'un
point de vue pratique, cette dernière initiative fait suite à un
nombre impressionnant de précédentes remises, chacune empruntant
des voies techniques différentes. De l'annulation pure et simple au
rachat de dettes décotées, en passant par des
rééchelonnements, des conversions, des prises en charge
d'intérêts, les voies d'annulation de manquent pas qui toutes ont
deux objectifs : ne pas afficher trop ouvertement une amnistie des dettes
passées (argument moral) et réaliser un montage pas trop
désavantageux pour le créancier généreux (argument
financier et comptable).
Les mêmes variations se retrouvent quant aux voies explorées pour
faire supporter le coût. La logique libérale le renvoie sur les
créanciers qui étaient conscients des risques pris en consentant
la dette. Une logique mutualiste plaide, comme le suggère l'Allemagne,
pour une répartition de la charge selon la part de créances
détenues par chaque pays créancier. La France offre une
troisième voie avec l'idée de socialisation des risques où
l'intérêt bien compris de tous les pays riches réside dans
l'annulation des dettes des pays les plus pauvres.
b) " Les mythes de la dette "
Cependant, sans perdre de vue les handicaps très
importants
que représente le poids de la dette dans les économies des pays
les plus pauvres, il convient de relativiser certains des propos couramment
tenus sur ce sujet
48(
*
)
. La dette
en elle même n'est pas mauvaise si son produit est bien utilisé
dans des activités productives. Avant d'être une cause de
pauvreté, le surendettement est la marque d'un vaste gâchis de
ressources des pays et il est possible de se demander en quoi l'annulation aura
un quelconque effet sur ce mode de gestion malencontreux. De plus, il ne
paraît pas forcément moral ni juste d'annuler la dette de pays
pauvres mal gérés et, ainsi, de ne pas récompenser les
pays pauvres bien gérés (aléa moral) en raison du
caractère restreint des ressources affectées à l'aide
publique au développement (effet d'éviction).
En réalité, au-delà des débats sur la justification
même de l'annulation et sur les moyens à employer, il convient de
revenir sur certains aspects négligés dans cette question. Il ne
paraît guère possible de l'aborder en séparant strictement
les intérêts des débiteurs et des créanciers. La
réussite de l'annulation réside probablement dans la
crédibilité des pays qui en bénéficient.
L'annulation ne doit être ni charité, ni compassion, ni
solidarité, mais recherche de crédibilité. Pour la
conforter, on pourrait lier l'annulation à certains principes nouveaux,
à concilier certes avec la souveraineté des Etats, comme la
surveillance de l'utilisation des ressources (la confiance doublée du
contrôle), l'attachement plus grand à l'effectivité
plutôt que le formalisme (passer autant de temps à s'assurer de la
réalité du respect des conditions qu'à leur
élaboration et négociation), ou bien le traitement des autres
maux du système financier international comme l'instabilité
monétaire.
L'annulation de la dette ne peut ainsi être considérée de
manière isolée. Elle doit s'inscrire dans un processus global de
réflexion sur l'ensemble du système financier international et
compléter les autres leviers de l'aide au développement
plutôt que d'en constituer l'unique élément. L'annulation
de la dette des pays les plus pauvres ne doit donc en aucun cas servir de
politique d'aide au développement mais doit être mise au service
de cette dernière.
Au total, qu'il s'agisse de l'organisation et du rôle des institutions
internationales, de réglementation prudentielle du crédit, de
lutte contre les circuits financiers parallèles, d'amélioration
de la concertation et d'annulation de la dette, la communauté
internationale se mobilise et formule un certain nombre de propositions dont
cependant la définition précise et la mise en oeuvre devraient
prendre davantage de temps et d'énergie.
C'est dans ce cadre extrêmement riche que votre groupe de travail
souhaite émettre un certain nombre d'appréciations.