B. LE DIAGNOSTIC S'AVÈRE TRÈS LARGEMENT CONTESTÉ PAR LES PARTENAIRES SOCIAUX
L'échec était sans doute prévisible.
Ardue, la
tâche s'est d'ailleurs avérée très vite compromise.
Dès le début, et par écrit, la CGT-FO précisait
qu'elle ne pouvait pas s'engager sur un objectif de diagnostic partagé,
rappelant notamment qu'un consensus peut se constater
a posteriori
mais
non se décréter
a priori
.
Dans un courrier adressé à M. Jean-Michel Charpin, le 22
octobre 1998, M. Marc Blondel, Secrétaire général,
écrivait en effet :
" Qu'il s'agisse du rôle et des
modalités de la protection sociale collective, de la prise en compte des
effets importants des orientations en matière de politique
économique mais aussi des questions telles que la démographie
où les experts eux-mêmes débattent contradictoirement, il
est par définition difficile de préjuger d'un diagnostic commun.
Autant la démocratie qui sied au Plan est importante, autant il
apparaît pour le moins audacieux de postuler a priori un objectif
consensuel. "
A l'issue du processus de concertation, il est apparu que le contenu du
rapport, "
L'avenir de nos retraites
", faisait l'objet de
critiques sévères de la part des partenaires sociaux, à
l'exception de la CFDT dont les réactions apparaissent les plus
mesurées.
Ces critiques et remarques, qui figurent en annexe du rapport sous la rubrique
"
Avis des organisations
" et qui ont été
abondamment relayées par les médias, portent autant sur les
hypothèses et les résultats des projections que sur les pistes de
réformes envisagées par le rapport.
1. La contestation des hypothèses et des résultats des projections
Dans
leurs contributions écrites, plusieurs organisations se rejoignent pour
formuler un certain nombre de critiques méthodologiques.
Certaines organisations syndicales regrettent le choix d'hypothèses
qu'elles qualifient souvent de
" pessimistes ",
voire, pour la
CGT, de
" catastrophistes ".
La CFE-CGC souligne ainsi
" qu'elle a apprécié la
qualité des travaux de l'équipe du Plan et du dialogue qui a
été mené, même si elle ne partage pas le pessimisme
des hypothèses imposées et si elle regrette un certain nombre de
lacunes dans les pistes ouvertes. "
Pour la FSU,
" l'utilisation des prévisions
démographiques est biaisée : pour les besoins de la cause,
l'évolution du rapport actifs/retraités est
privilégiée par rapport à celle du rapport actifs/ensemble
des inactifs, qui s'accroît beaucoup moins vite que le premier.
" - Le rapport table sur la poursuite de ce que certains
économistes ont appelé la " crise de la
productivité " : c'est ce que traduisent les hypothèses
d'une augmentation tendancielle de 1,7 % de la productivité du
travail, et de 1,5 % de la productivité globale. Ces
hypothèses ne sont pas argumentées, et le rapport rejette d'un
revers de main l'idée que l'avènement des nouvelles technologies
pourrait à terme engendrer d'importants progrès de
productivité ;
" - Il prend comme hypothèse centrale celle d'un taux de
chômage de 6 %, en avançant l'idée scandaleuse que ce
taux de " chômage structurel " correspond au pourcentage que
représenterait la main d'oeuvre inemployable, que -compte tenu de
l'" inadaptation " de ses qualifications- la collectivité
serait incapable d'insérer.
" Ces hypothèses traduisent une attitude inacceptable de
démission dans la lutte nécessaire pour le développement
de la croissance et de l'emploi. Elles reflètent en même temps la
soumission à une " pensée unique ", qui ne prend
même pas en compte les avancées récentes de la
théorie économique " standard ", alors que ces
dernières mettent en évidence la capacité des
dépenses collectives utiles (formation, recherche...) à provoquer
une croissance " endogène ".
Pour sa part, le Comité national des retraités et des personnes
âgées (CNRPA) s'élève
" contre la
procédure d'intégration des revenus du patrimoine, ô
combien disparates, dans les ressources des retraités ce qui a permis un
constat de parité entre ces dernières et celles des actifs. Il
faut comparer ce qui est comparable, c'est-à-dire les salaires des
actifs et les pensions des retraités. "
La CFTC met l'accent sur
" l'insuffisante prise en compte de la
variable démographie du pays (nombre d'habitants) bien qu'elle n'offre
pas une grande sensibilité quant au résultat jusqu'à
2040. "
La plupart des organisations syndicales relativisent en outre la
fiabilité de projections réalisées à un horizon
aussi lointain.
La CFTC souligne ainsi :
" Reste que décrire la situation
économique de la France dans 30 ou 40 ans, le niveau du PIB et sa
ventilation, le taux d'activité et donc le niveau du chômage,
l'incidence des flux financiers... semble aventureux. Une grande prudence dans
les prévisions s'impose donc. "
Pour la CGT,
" Personne ne peut déterminer aujourd'hui à
quel âge on devra partir en retraite dans trente ou quarante ans car
personne ne sait aujourd'hui ce qu'il adviendra d'ici là de la
société dans laquelle nous vivons. Quelle démographie,
quelle immigration, quel allongement de la durée de vie sans
incapacité physique ou intellectuelle, quels gains de
productivité ? Quelle durée de travail hebdomadaire,
annuelle, quelle organisation du travail et notamment quel partage tout au long
de la vie active entre temps de formation, temps d'activité
professionnelle, temps d'activité sociale, temps de repos, de loisirs,
de vacances, etc. ? "
La FEN-UNSA remarque que
" l'apparence de vérité absolue
que présentent les nombres pourvus de décimales conduit à
rejeter dans l'ombre les remarques méthodologiques qui devraient en
atténuer singulièrement la portée. "
La CFE-CGC déclare pour sa part :
" il nous semble
nécessaire de ne pas nous appuyer sur des projections théoriques
qui sont le reflet de modèles d'ores et déjà
dépassés, afin qu'un véritable débat puisse
s'instaurer. "
S'agissant des résultats des projections et du diagnostic proprement
dit, certaines organisations syndicales et patronales contestent les analyses
du rapport, regrettant parfois que l'accent n'ait pas été mis sur
tel ou tel aspect.
A l'inverse de ce qu'avance le rapport, la CFTC fait valoir :
" Des analyses qui ont été faites et qui ont
été exposées devant la commission de concertation du Plan,
il ressort que la variable la plus sensible sur la question des retraites est
celle de l'emploi. Il apparaît donc indispensable de lier les
études sur évolution de l'emploi et évolution des
retraites. "
Pour sa part, la CGT-FO s'interroge :
" Nous ne pourrions plus
payer les retraites en 2040 ? Qui aurait envisagé en 1960 qu'en
l'an 2000, nous assumerions les taux de remplacement actuels avec plus de 3
millions de chômeurs et 1 million de RMIstes ? Nous refusons donc de
nous laisser enfermer dans un carcan monétariste et comptable. "
Le MEDEF juge que le contenu du rapport
" ne reflète (...) pas
la réalité d'aujourd'hui qui est le mode de calcul très
avantageux des retraites des régimes spéciaux, nonobstant
l'absence de prise en compte des primes pour le calcul des pensions, primes qui
ne sont d'ailleurs pas assujetties à cotisations. Il est
néanmoins souligné que l'écart devrait se creuser entre
les assurés des régimes qui ont fait l'objet de réformes
et les autres, ce qui est en réalité déjà le cas.
" De plus, cette présentation masque l'élément
essentiel, c'est-à-dire que calculé par rapport à la
cotisation payée par le salarié, le retour sur contributions est
beaucoup plus favorable pour les retraités du secteur public. "
Pour le MEDEF,
" l'équilibre des régimes spéciaux
est en effet garanti par une contribution massive de l'employeur,
baptisée " subvention d'équilibre " ou
" cotisation fictive ". Or, ce sont, pour la plus grande part, les
employeurs et les salariés du secteur privé qui
bénéficient des retraites les moins importantes, et les usagers
du secteur privé qui assument, par l'impôt et à travers le
coût des services publics, le surcoût des retraites du secteur
public.
" Les systèmes de retraite fonctionnent selon une logique de
solidarité à l'envers, ce sont ceux qui ont le moins d'avantages
qui contribuent pour garantir les avantages plus élevés des
autres. "
La CFTC juge au contraire que "
La méthode de travail choisie
par le Commissariat général du Plan conduit à la
" dramatisation " du problème de la retraite. De plus,
l'orientation du débat conduit systématiquement à la
remise en cause des régimes spéciaux et plus
particulièrement de celui des fonctionnaires ".
Elle
considère que cette dramatisation est
" inutile ".
Il apparaît au total, et ceci a été confirmé lors
des nombreuses auditions auxquelles votre rapporteur a procédé,
que
la partie proprement diagnostic du rapport, c'est-à-dire
l'état des lieux et les projections à long terme, ne fait l'objet
d'aucun consensus parmi les partenaires sociaux.
Les critiques sont naturellement plus vives encore à l'égard des
propositions que contient le rapport.
2. Le rejet des propositions
Parmi
les organisations syndicales, seule la CFDT
" se retrouve dans les 12
constats dégagés par la commission et partage le diagnostic
établi. "
; elle juge la réforme des retraites
" indispensable "
et
" urgente "
:
" indispensable car le système de retraite par
répartition a fait ses preuves et doit absolument pouvoir continuer
à assurer des pensions d'un bon niveau aux salariés, c'est
l'objectif premier pour la CFDT "
;
" urgente : cinq
ans est un délai très court pour se préparer à
faire face au choc démographique ; il n'y a donc plus de temps
à perdre. ".
L'allongement de la durée de cotisation fait ainsi l'objet d'un rejet
quasi unanime de la part des organisations syndicales, à l'exception de
la FNSEA.
Ainsi, pour la FNSEA,
" la proposition d'allonger progressivement la
durée d'assurance nécessaire pour bénéficier de la
retraite au taux plein doit être approuvée. Cette mesure doit
évidemment être appliquée à tous les régimes
de retraite mais elle doit être complétée par divers
aménagements de la réglementation actuelle. ".
En revanche, la CFTC note que
" l'allongement de la durée
d'assurance requise pour bénéficier d'une retraite à taux
plein, qui est envisagé par le Commissariat général du
Plan, s'inscrit à contresens de la situation actuelle de l'emploi,
marquée par le chômage massif des jeunes, la
précarité et les cessations précoces
d'activité. ".
Les
retraites au péril du libéralisme
5(
*
)
ou la critique radicale
du rapport Charpin
Dans cet
ouvrage collectif rédigé par un groupe de travail réuni
sous l'égide de la Fondation Copernic, les auteurs s'efforcent de
montrer que
" l'organisation actuelle des retraites ne doit pas
fondamentalement être remise en cause, qu'elle avait en elle-même
les capacités, la souplesse, la vitalité pour résoudre les
problèmes qui pourraient éventuellement se poser dans les
prochaines décennies. "
Une conclusion découle de ces
travaux :
" il n'est pas acceptable, sur la base d'hypothèses
discutables, de prendre aujourd'hui des mesures régressives socialement
pour résoudre d'hypothétiques problèmes en 2040. "
Pour les auteurs,
" Deux mesures sont ainsi envisagées :
outre l'augmentation du nombre d'annuités nécessaire pour avoir
droit à une retraite à taux plein, il s'agit d'instaurer des
fonds de pension comme appoint à la répartition. Il faut
comprendre à quel point ces deux mesures sont complémentaires.
L'augmentation du nombre d'annuités reviendra de fait pour beaucoup de
salariés à une baisse importante des niveaux des pensions issues
de la répartition. Cette baisse programmée sera un
" encouragement " pour ceux qui en ont les moyens (les mieux
payés dans les grandes entreprises, quant aux autres...),
bénéficiant pour cela d'aides financées par la
collectivité, d'adhérer à des fonds d'épargne
censés leur verser une rente complémentaire.
"
Selon les auteurs,
" Sans surprise, le rapport Charpin donne son aval
à la mise en oeuvre du fonds de réserve qui vient d'être
créé par le gouvernement. Ce fonds de réserve, dont le
rapport préconise qu'il soit essentiellement placé en actions,
n'est évidemment rien d'autre qu'un fonds de capitalisation. Nous avons
montré au cours de ce livre que la capitalisation ne pouvait en aucun
cas répondre au problème démographique. C'est pourtant
cette illusion que le rapport colporte à propos du fonds de
réserve. "
Les auteurs considèrent que
" l'introduction de fonds de
pension, loin d'être le complément harmonieux d'une
répartition consolidée, en serait le fossoyeur. Les
régimes de retraites échappaient pour l'essentiel à
l'emprise du capital. L'extension du champ de la finance entraînerait un
nouvel affaiblissement des possibilités de décision
démocratique. La cohésion du salariat, déjà mise
à mal par le développement du chômage et de toutes les
formes de précarité, serait encore plus entamée. Bref,
l'offensive néolibérale aurait remporté un nouveau
succès. "
Celui-ci n'est pourtant pas inévitable
" Certes, toute la
communication mise en oeuvre vise justement à essayer de
délégitimer les mobilisations possibles. C'est l'objectif du
rapport Charpin et de sa présentation médiatique. Nos
gouvernants, échaudés par le mouvement de décembre 1995 -
Lionel Jospin a eu une phrase révélatrice de sa pensée
profonde en disant que la méthode Juppé avait fait perdre 4 ans-,
ont utilisé les séances de la commission Charpin comme une
préparation d'artillerie pour essayer de paralyser la volonté de
riposte des salariés. Les accusations habituelles d'archaïsme et de
corporatisme à l'endroit de ceux qui refusent la logique libérale
ayant montré leurs limites, la " science économique " a
été convoquée pour démontrer le caractère
inévitable des mesures à prendre. " (...)
" Car, au-delà du débat intellectuel absolument
indispensable, c'est bien maintenant de mobilisation sociale qu'il devrait
s'agir. Celle-ci doit certes d'abord bloquer des projets qui signifieraient,
s'ils étaient appliqués, une régression sociale majeure.
Mais il serait insuffisant d'en rester là. Nous ne pouvons par exemple
nous satisfaire des inégalités programmées par la
réforme de 1993 entre salariés du privé et du public.
Revenir sur celles-ci doit permettre de rétablir une
équité mise à mal par le gouvernement Balladur. Plus
largement, il faut imposer un véritable débat démocratique
sur l'avenir des retraites. Il doit permettre de poser les alternatives
réelles en matière des grands choix sociaux qui doivent
être l'objet d'une maîtrise consciente de la part des
citoyens. "
La CFE-CGC s'interroge :
" Comment peut-on proposer, sans
réflexions préalables, un allongement de la durée de
carrière en pronostiquant un taux de chômage à 9 % et
en ignorant les pratiques actuelles de gestion des fins de carrières par
des entreprises qui qualifient " d'âgés " les
salariés dès 50 ans ? A tout le moins un engagement
financier de l'Etat est indispensable pour garantir le maintien dans un
régime indemnitaire de tous les salariés privés d'emploi
avant 60 ans, jusqu'à ce qu'ils puissent bénéficier de
leurs droits à une retraite sans abattement. ".
Pour la CGT,
" l'allongement de la durée de cotisation n'est pas
la solution au problème du financement des retraites dans un contexte de
sous-emploi. Reculer aujourd'hui l'âge de la retraite reviendrait :
" - soit à transférer des charges assumées
aujourd'hui par les régimes de retraite sur le régime d'assurance
chômage ; on ferait alors le très mauvais choix de financer
du chômage, y compris pour les jeunes, plutôt que de la
retraite ;
" - soit à contraindre les salariés âgés
de soixante ans à faire liquider leur retraite avec un montant de
pension amputé d'un tiers, ce qui serait socialement inacceptable et
économiquement dommageable. "
Pour la CGT-FO,
" accepter a priori et comme évidence que seul
l'allongement de la durée de cotisation sauvera la retraite par
répartition relève du pathétisme et/ou de la
provocation. "
La CGT-FO estime ainsi que
" le rapport du Plan se livre à un
exercice dialectique préconisant des conditions similaires pour les
salariés des services publics et privés, mais avec un alignement
par le bas. C'est l'objet de la proposition de porter la durée de
carrière à 42,5 ans pour tous. L'équité
positive, progressiste eut consisté à ramener la durée de
cotisation à 37,5 ans dans le privé ; à cet
égard, nous tenons à rappeler que les 40 ans de cotisation est la
mesure qui rapporte le moins dans la réforme de 1993.
" L'allongement de carrière trouverait sa justification dans
l'allongement de l'espérance de vie : un trimestre de vie
supplémentaire égale un trimestre de travail
supplémentaire ? Où est le progrès social ? En
fait la motivation n'est que financière et nous renvoie à l'un de
nos précédents propos ; toutes choses égales par
ailleurs, maintenir 1.400.000 salariés âgés de plus de 60
ans dans l'emploi en 2040, c'est une chose mais que fait-on d'autant de jeunes
qui piétinent à la porte des entreprises et se
désespèrent de la société ? "
La contribution de la CGT-FO s'achève d'ailleurs par cette phrase
menaçante :
" Ce que nous avons combattu avec succès
en novembre-décembre 1995, nous ne saurions l'accepter en
1999. "
L'UNSA note pour sa part :
" Alors qu'aucune tendance lourde de
retour au plein emploi ne se dessine, une des préconisations du
Commissaire général du Plan conduit à repousser de fait
l'âge de départ à 65 ans ou plus pour
bénéficier d'une retraite convenable, par le biais d'un
allongement à 42,5 ans de la durée d'affiliation requise
associée à un système d'abattement fortement
pénalisant. Si la version finale du rapport envisage des prises en
compte de périodes d'études ou d'apprentissage, les effets d'un
tel allongement risquent d'être particulièrement pernicieux pour
ceux des salariés, généralement les moins
qualifiés, qui auront pendant des années de galère
enchaîné " petits boulots précaires ",
périodes de chômage (indemnisé ou non, validé ou
non), RMI et autres CES.
" S'agissant des agents de la fonction publique et des services publics,
l'aggravation des règles de calcul envisagées (abattements et
42,5 ans) prend un tour d'autant plus inadmissible qu'il n'est pas tenu
compte du fait qu'il s'agit de régimes statutaires, avec dans certains
secteurs, une majorité de départs en retraite avec une pension
proportionnelle liée à une carrière incomplète. Il
n'est pas tenu compte enfin des spécificités d'emploi se
traduisant par l'exigence de limites d'âge. "
L'UNSA ajoute :
" Nous sommes d'autant plus opposés
à la proposition de passage aux 42,5 ans, que cette mesure aurait pour
effet d'aggraver sensiblement, de notre point de vue, les
inégalités en matière de retraites dont sont victimes,
aujourd'hui déjà, les femmes. "
La FSU refuse l'allongement de la durée d'assurance requise pour avoir
le taux plein :
" Le rapport ne craint pas la contradiction avec
le constat fait dans le chapitre II selon lequel " l'âge de
cessation d'activité est devenu, dans un contexte de fort chômage,
un instrument de la politique de l'emploi ". Il prétend
résoudre cette contradiction en affirmant que " cette
réforme suppose un contexte économique modifié ",
mais -comme on l'a vu- il fait totalement l'impasse sur les conditions par
lesquelles ce contexte pourrait être transformé, et il se
résigne même dans les faits à ce qu'il reste
inchangé.
" Dans la mesure où cette mesure s'inscrit dans le cadre de la
renonciation à la lutte contre le chômage, ou bien on joue les
générations les unes contre les autres -les jeunes voyant leur
entrée dans la vie active contrariée par le maintien au travail
de salariés plus âgés-, ou bien on programme une amputation
drastique des retraites. "
Enfin, le Comité national des retraités et des personnes
âgées (CNRPA) insiste
" pour qu'en aucun cas un
allongement de la durée d'assurance requise pour avoir le taux plein ne
se traduise pas une baisse contrainte du taux de remplacement et souligne
l'incompatibilité de cette mesure avec le sous emploi des jeunes et la
sortie anticipée de la vie active. ".
Les organisations patronales sont en revanche favorables à l'allongement
de la durée de cotisation, le MEDEF considérant, pour sa part,
que le passage à 170 trimestres de cotisation est, à terme,
insuffisant.
Pour le MEDEF,
" Si la réforme proposée, qui est
indispensable, conduit donc effectivement à atténuer l'ampleur
des déficits prévus initialement, elle est loin de permettre,
dans la meilleure hypothèse d'évolution des taux de
chômage, l'équilibre des régimes. "
Le MEDEF considère par conséquent
" que les orientations
envisagées sont à l'évidence insuffisantes, compte tenu de
l'ampleur attendue des déficits des régimes de retraite et
qu'elles reportent les problèmes sur les générations
futures. ".
De même, la CGPME est favorable à l'allongement à 170
trimestres dans tous les régimes de la durée d'assurance requise
pour l'obtention de la retraite à taux plein. Elle fait cependant
observer :
" - d'une part, que le paramètre de la durée
d'assurance n'est pas le seul (...) et que l'harmonisation doit concerner
l'ensemble des paramètres, y compris ceux qui permettent de calculer le
montant des droits à pension (prise en compte des 25 meilleures
années de carrière dans tous les régimes) ;
" - d'autre part, que l'on peut s'interroger sur la
possibilité, pour la grande majorité des futurs
bénéficiaires des régimes de retraites de base,
d'atteindre une telle durée d'assurance, compte tenu d'un certain nombre
d'évolutions intervenues lors des dernières années,
notamment avec l'entrée beaucoup plus tardive dans la vie active.
" En tout état de cause, l'objectif à terme rapproché
doit au moins être de prévoir, pour les
bénéficiaires des régimes spéciaux et particuliers,
l'application des deux éléments majeurs de la réforme de
1993 appliquée au régime général,
c'est-à-dire 160 trimestres pour la durée d'assurance et calcul
des droits à pension sur la base des 25 meilleures années de
carrière. "
Sur le fonds de réserve, les positions s'avèrent moins
tranchées. Certaines organisations sont favorables à son principe
mais ne se prononcent pas sur ses modalités (FO, CFDT). D'autres
conditionnent au contraire leur approbation à l'examen des
modalités d'alimentation et de gestion de ce fonds (CFE-CGC, FNSEA,
UNSA). Pour leur part, les organisations patronales -qui craignent une
augmentation des prélèvements obligatoires- et la FSU en refusent
le principe.
La CFDT souhaite ainsi
" le renforcement du fonds de réserve
pour les retraites. "
La CFE-CGC estime pour sa part que
" la création et le
développement de fonds de réserve collectifs qui lisseraient les
évolutions démographiques à venir est possible dès
lors que son alimentation ne procède pas d'une hausse de cotisation mais
plutôt d'une alimentation à partir des privatisations et des
transferts de réserves telles que celles de change de la Banque de
France devenues sans objet du fait du passage à l'Euro. ".
La CGT-FO considère qu'il convient
" de préserver et de
consolider le système de retraite par répartition, solidaire et
égalitaire. Cette action passe en partie par le développement et
l'abondement du fonds de réserve créé par la loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999, qui permettra
d'amortir l'arrivée massive des retraités à partir de
2006. ".
L'UNSA estime qu'il faudra trouver des financements complémentaires pour
alimenter les régimes obligatoires par répartition, notamment
pour passer le cap des années 2005-2015 :
" Le fonds de
réserve peut constituer une solution intéressante à ce
problème, sous réserve d'en examiner de manière
approfondie les modalités d'investissement, de financement et de
gestion. ".
La FNSEA pose ses conditions à la création d'un fonds de
réserve :
" la constitution de réserve pour le
financement ultérieur des pensions de retraite peut paraître
paradoxale dans le cadre des régimes par répartition.
L'hypothèse n'est crédible que si on est certain que des
ressources sont plus facilement mobilisables aujourd'hui que demain. Or
aujourd'hui, il faut financer un chômage important et un coût de la
santé excessif. A l'avenir, ces coûts seront limités et la
richesse nationale se sera accrue. Un fonds de réserve conjoncturel
n'est donc à la rigueur acceptable qu'à la condition d'être
commun à l'ensemble des régimes de base et dans le but exclusif
de faire face à la hausse brutale du financement nécessaire au
cours des quelques années qui suivront 2005. ".
La FSU refuse
" la proposition complémentaire de la constitution
d'un fonds de réserve (qui) constitue, de l'aveu même du rapport,
un pas vers la capitalisation, et le " rendement " de ce fonds serait
soumis aux aléas du marché financier. Elle vise à faire
accepter -de manière insidieuse- une augmentation des
cotisations. ".
Pour le MEDEF,
" les autres marges d'action proposées par le
rapport impliquent toutes un appel à des contributions
supplémentaires et donc un alourdissement des prélèvements
obligatoires, dont le niveau est déjà très excessif dans
notre pays.
" La création d'un fonds de réserve n'a aucun sens en
situation de déficit budgétaire. Le projet de rapport
n'évoque même pas la question de son financement qui ne pourrait a
priori être assuré au niveau nécessaire que par une
nouvelle augmentation des prélèvements obligatoires. ".
La CGPME est également
" hostile aux suggestions relatives au
" fonds de réserve " destiné à atténuer
le choc financier que vont engendrer inévitablement les nouvelles
conditions démographiques.
" (...) elles impliquent de nouveaux prélèvements
obligatoires importants -plusieurs points de cotisation certainement-, ce qui
renforcerait le niveau global de ces prélèvements, alors
même qu'ils atteignent un degré (46,1 % en 1998, comme en
1997) jugé unanimement intolérable. Au surplus, ces
prélèvements auraient " vocation " bien entendu
à augmenter à partir du moment où ils seraient
pérennisés et si la situation économique
générale s'aggravait, notamment si le taux de chômage
était supérieur à celui prévu dans le schéma
concernant ce fonds de réserve. ".
L'UPA considère que le fonds de réserve
" ne peut
à lui seul régler la question du financement des
retraites ".
Les contre-propositions parfois formulées sont diverses et souvent
contradictoires. Les organisations patronales se rejoignent toutefois dans leur
demande d'une mise en place rapide d'un étage supplémentaire de
retraite par capitalisation sous la forme de fonds de pension.
Pour limiter le vieillissement démographique, la CFTC considère
" qu'une politique familiale moderne mettant en jeu des moyens tant
légaux que financiers, se fixant des objectifs ambitieux pour assurer
une vraie conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, serait, dans
l'immédiat, facteur de dynamisme et de croissance économique, et
à terme, en mesure de stimuler la natalité permettant ainsi le
retour à un taux de fécondité susceptible d'assurer le
renouvellement des générations. ".
La CFE-CGC propose de revoir le système actuel de financement devenu
" caduc "
:
" Nous proposons d'étudier la
substitution d'une partie des cotisations vieillesse, actuellement
intégralement basées sur la masse salariale, en cotisations
assises sur la consommation. Pour les salariés, cette réforme
serait indolore et pour les entreprises, elle permettrait d'envisager une
nouvelle réflexion sur l'emploi devenu moins taxé. ".
La CGT propose un certain nombre de pistes de réforme permettant
" de dégager dès à présent des moyens
supplémentaires de financement pour les retraites. "
:
" La première réforme à entreprendre pour cela est
la réforme de l'assiette des cotisations sociales patronales. La
contribution des entreprises doit tenir compte de la totalité de la
richesse produite dans l'entreprise et non de la seule masse salariale
proprement dite qui n'en constitue qu'une partie aujourd'hui. (...).
" Une deuxième mesure peut et doit être prise
immédiatement : l'extension de l'assiette des cotisations
salariales et patronales pour la retraite à tous les
éléments de rémunération qui n'en font pas partie
aujourd'hui.
" S'y ajoute une troisième mesure : faire participer les
revenus financiers des entreprises au financement des retraites. ".
Pour l'UNSA,
" le financement doit être élargi
au-delà de la seule référence à la masse salariale,
à la fois, par la participation de l'ensemble des revenus à
l'effort de solidarité intergénérationnelle et par une
profonde réforme des contributions d'employeurs qui pénalisent
actuellement l'emploi. ".
La FNSEA considère pour sa part qu'une augmentation du
prélèvement est
" envisageable ".
Elle juge
qu'il
" n'est pas inconvenant d'envisager une augmentation de la part
du PIB redistribuée aux retraités, actuellement égale
à 12,1 %. ".
Pour la FSU,
" la première marge d'action pour assurer l'avenir
des retraites est celle que peut fournir la relance de la croissance, de la
productivité et de l'emploi. Cela suppose d'autres choix
économiques et sociaux : la répartition et l'utilisation des
richesses à chaque période conditionnent le montant des richesses
futures. Dès lors que la priorité est effectivement donnée
à la croissance et à l'emploi, la donne est radicalement
modifiée. "
Les organisations patronales renouvellent le souhait de la mise en place d'un
étage supplémentaire de retraite par capitalisation.
La CGPME considère que les propositions concernant le fonds de
réserve
" font l'impasse, et c'est là sans doute la
critique majeure, sur tout développement d'un véritable
étage de retraites complémentaires par capitalisation, seuls
susceptible, dans un cadre de souplesse, de compléter les revenus issus
des pensions des régimes de base et des régimes
complémentaires obligatoires par répartition.
La CGPME
" réitère donc sa demande auprès des
pouvoirs publics de mise en oeuvre rapide de dispositions législatives,
y compris les incitations fiscales (jouant notamment à l'entrée
dans le système) permettant la mise en place de ces formules de
retraites complémentaires par capitalisation. Celles-ci pourraient
être mises en place dans le cadre des entreprises, des branches
professionnelles ou au niveau national interprofessionnel. ".
Le MEDEF juge "
tout à fait regrettable que, dans le cadre d'une
réflexion ayant pour objet d'explorer toutes les pistes, la question de
la capitalisation n'ait finalement été abordée qu'au
travers du fonds de réserve. L'apport des fonds de pension en tant que
complément de la répartition n'a fait l'objet d'aucune
étude approfondie. ".
Pour sa part, L'UNAPL
" demande, avec détermination, qu'à
coté du système par répartition, il soit établi des
formes de capitalisation pouvant apporter un complément de
prévoyance. Ces formes de capitalisation doivent pouvoir
bénéficier d'une défiscalisation les rendant attractives.
L'épargne des Français est actuellement très importante
mais, aujourd'hui, elle est trop orientée vers des placements
obligataires destinés le plus souvent à financer la dette de
l'Etat et qui devraient, dans l'intérêt même de
l'économie nationale, servir à l'amélioration de la
retraite de nos concitoyens. ".
Au vu de ce bilan, on peut s'interroger sur l'utilité réelle
de cette concertation qui n'a abouti à aucun résultat tangible.
Il n'y a que le Premier ministre pour feindre de croire, dans l'entretien
accordé au
Parisien
le jeudi 29 avril 1999, que
" tout le
monde s'accorde désormais sur la réalité et l'ampleur des
difficultés que va rencontrer, si rien n'est fait, notre système
de retraites "
et que
" le diagnostic que fait le rapport
Charpin est partagé par tous. "
Pour votre rapporteur, cela ne semble pourtant pas l'avis, par exemple, de la
FSU qui
" ne partage pas des éléments essentiels de ce
diagnostic, (...) conteste la sélection qui a été faite
des scénarios fondant les projections qui sont présentées,
(...) rejette a fortiori les pistes de réforme qui sont
avancées. ".
L'objectif pédagogique de cette mission a, à
l'évidence, échoué. Le rapport Charpin s'avère en
fin de compte un nouveau travail d'experts, réalisé, il est vrai,
sous le regard des partenaires sociaux.
Mais, peut-être le véritable objectif de la mission confiée
au Commissaire général du Plan était-il, par-dessus la
tête des partenaires sociaux, de s'adresser directement à
l'opinion publique ?
Il semble toutefois que le premier effet sur l'opinion publique du rapport
Charpin soit davantage une inquiétude diffuse quant à la
pérennité de nos régimes de retraite que la prise de
conscience d'une nécessaire réforme.
A court terme, le rapport Charpin risque donc d'avoir surtout pour effet
d'encourager les efforts d'épargne individuels...