C. LE RAPPORT S'INQUIÈTE DE L'ACCROISSEMENT DES ÉCARTS ENTRE LES DIFFÉRENTS RÉGIMES ET FORMULE DES PROPOSITIONS DE RÉFORME

1. Les écarts entre les régimes du secteur privé et les régimes spéciaux de retraite s'accentuent

Le rapport est plus novateur dans sa comparaison du régime des salariés du privé et des salariés du public, qui fait l'objet du chapitre VI. Il met en évidence les principales règles qui différencient le régime général et les régimes spéciaux et qui sont susceptibles de procurer un avantage relatif à ces derniers :

- les régimes spéciaux permettent des départs anticipés ; la répartition des départs au régime général se concentre autour de deux âges : à 60 ans, âge minimum légal de la retraite et à 65 ans, où le taux plein est acquis quelle que soit la durée d'assurance ; pour la fonction publique et la CNRACL, la distribution des départs présentent deux pics à 55 ans et 60 ans ; dans les régimes d'entreprises, l'âge moyen de départ en retraite est de 53,5 ans à la RATP, de 54,1 ans à la SNCF et de 55,6 ans à EDF-GDF ;

- l'importance des bonifications d'annuité ; le taux de liquidation dans les régimes d'entreprises est proche de 70 %, malgré une durée de cotisation limitée : 120 trimestres à la RATP, 130 trimestres à la SNCF et au régime des industries électriques et gazières (IEG) ; ceci est dû à l'attribution de bonifications de durée d'assurance, qui atteignent en moyenne, pour les personnels masculins, 3,3 ans à la SNCF, 4 ans aux IEG et 5,4 ans à la RATP ; il en résulte que, dans ces régimes, les retraités de moins de 60 ans représentent entre 15 et 25 % du total des pensions de droit direct :

- le rendement de la retraite des salariés du secteur privé se réduit du fait de la réforme de 1993 ; celle-ci incite en effet les salariés à reporter leur départ en retraite à la date d'obtention du taux plein correspondant à terme à 40 annuités de cotisations (à ce jour l'âge moyen d'entrée dans la vie active est de 21,6 ans) ;

- si les régimes garantissent aujourd'hui des taux de remplacement nets comparables, l'écart devrait se creuser entre les salariés qui ont fait l'objet de réformes et les autres : mesuré par le SESI, le taux de remplacement net des salariés nés en 1926 et ayant effectué une carrière complète s'élève, en moyenne, à 80 % au régime général et 76 % pour la fonction publique civile ; les simulations réalisées pour le futur sur des carrières types complètes représentatives montrent que le taux de remplacement des salariés du privé se réduit du fait de la réforme de 1993 et surtout de la forte baisse de rendement des régimes complémentaires du privé ; à l'inverse, les taux de remplacement restent stables pour les salariés du public.

Le rapport note que, dans la plupart des régimes, les avantages familiaux non contributifs sont importants : majorations de 10 % pour enfants élevés, bonifications de durée d'assurance accordées aux mères de famille, validation sous condition de ressources des années d'inactivité consacrées à élever les enfants de moins de six ans (assurance vieillesse des parents au foyer), possibilité dans les régimes spéciaux de départ à la retraite sans condition d'âge pour les mères de famille de trois enfants ou plus ; le coût de ces avantages est estimé à 73,7 milliards de francs partiellement financés par la CNAF et le FSV.

Dans ce contexte, le rapport examine, dans le chapitre VII , plusieurs pistes de réformes susceptibles d'assurer la viabilité du système de retraite par répartition : l'allongement à 170 trimestres de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein, la constitution de réserves permettant d'amortir le choc démographique, l'élargissement de l'assiette des cotisations et l'aménagement de différents dispositifs susceptible d'avoir un impact sur le besoin de financement des régimes.

2. Des réformes permettent de limiter le besoin de financement futur des régimes de retraites

L'allongement à 170 trimestres de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein

Cette mesure, mise en oeuvre progressivement au rythme d'un trimestre par génération, permettrait de contrecarrer la forte augmentation de la population des retraités. Le rapport relève qu'elle n'a de sens que si deux conditions sont satisfaites :

- il ne faut pas qu'elle conduise à retarder l'entrée des jeunes dans la vie active ;

- il ne faut pas que l'âge effectif de cessation d'activité reste notablement inférieur à l'âge de départ en retraite ; il faut donc limiter le recours aux dispositifs de préretraite.

Ces conditions peuvent être satisfaites si, conformément aux scénarios macro-économiques retenus, la forte augmentation des départs en retraite conduit à réduire fortement le chômage à l'horizon 2010.

Il s'agit donc de prolonger la réforme de 1993 pour les salariés du privé et au rythme d'un trimestre par génération. Cette mesure ne prendrait réellement effet qu'à compter de 2004.

Mais il s'agit aussi, pour les régimes qui n'ont pas été réformés, c'est-à-dire essentiellement les régimes spéciaux , de rattraper le retard pour atteindre, pour l'ensemble des régimes, 170 trimestres à l'horizon 2020.

L'évolution de l'ensemble des règles

 

Durée d'assurance tous régimes requise pour avoir le taux plein sans abattement pour départ anticipé

 

Durée d'assurance prise en compte pour la proratisation (RG)

Valeur de l'annuité dans le secteur public (1)

Réduction du taux de pension par trimestre manquant tous régimes (2)

 
 

RG (3)

FP (4)

RG

FP

RG

FP

Génération 1939

156

150

150

2,00 %

2,5 %

0,00 %

Génération 1940

157

151

151

1,99 %

2,4 %

0,06 %

Génération 1941

158

152

152

1,97 %

2,3 %

0,12 %

Génération 1942

159

153

153

1,96 %

2,2 %

0,18 %

Génération 1943

160

154

154

1,95 %

2,1 %

0,24 %

Génération 1944

161

155

155

1,94 %

2,0 %

0,30 %

Génération 1945

162

156

156

1,92 %

1,9 %

0,36 %

Génération 1946

163

157

157

1,91 %

1,8 %

0,42 %

Génération 1947

164

158

158

1,90 %

1,7 %

0,48 %

Génération 1948

=

159

159

1,89 %

1,6 %

0,54 %

Génération 1949

165

160

160

1,88 %

1,5 %

0,60 %

Génération 1950

=

161

161

1,86 %

1,3 %

0,66 %

Génération 1951

166

162

162

1,85 %

1,2 %

0,72 %

Génération 1952

=

163

163

1,84 %

1,2 %

0,78 %

Génération 1953

167

164

164

1,83 %

1,2 %

0,84 %

Génération 1954

=

165

165

1,82 %

1,2 %

0,90 %

Génération 1955

168

166

166

1,81 %

1,2 %

0,96 %

Génération 1956

=

167

167

1,80 %

1,2 %

1,02 %

Génération 1957

169

168

168

1,79 %

1,2 %

1,08 %

Génération 1958

=

169

169

1,78 %

1,2 %

1,14 %

Génération 1959
et suivantes


170


170


170


1,76 %


1,2 %


1,2 %

Source : Commissariat général du Plan.

(1) La valeur de l'annuité est égale au taux de pension, avant abattement pour éventuel départ anticipé, par année validée au régime.

(2) Le 1,2 % correspond à un abattement de 0,6 % du taux de liquidation de 50 % au régime général et à un abattement de 0,9 % du taux de liquidation de 75 % dans les régimes particuliers de salariés.

(3) Régime général.

(4) Fonction publique.


Le relèvement de la durée d'assurance nécessaire à l'obtention du taux plein s'accompagnerait de deux mesures complémentaires :

- la réduction de moitié de l'abattement par trimestre manquant d'assurance tous régimes, qui passerait de 2,5 % au régime général à 1,2 % en 2020 ; cet abattement serait généralisé à l'ensemble des régimes, en particulier les régimes spéciaux ;

- la proratisation de la pension en fonction de la durée d'assurance à chaque régime serait de 1/170 ème .

La réforme envisagée vise à inciter au décalage de l'âge de départ à la retraite entre 60 et 65 ans et non à contraindre au travail au-delà de 65 ans. A partir de cet âge, aucun abattement ne serait retenu sur le niveau de la pension tandis qu'un dispositif supprimerait, sous certaines conditions, l'effet du passage à une proratisation à 1/170ème.

Les effets du relèvement de la durée d'assurance dépendent des modifications de comportement induites par cette mesure. Dans l'hypothèse où les actifs choisissent de reporter leur départ en retraite afin d'obtenir le taux plein, la population active est majorée de 420.000 personnes en 2010, 920.000 personnes en 2020 et environ 1,4 million en 2040.

Si l'on intègre l'effet des cotisations supplémentaires consécutives à l'augmentation de la population active, les besoins de financement apparaissent notablement réduits - mais pas complètement supprimés - par la réforme.

Besoin de financement

Avant relèvement à 42,5 ans

Après relèvement à 42,5 ans

(scénario 2, en points de cotisation)


2020


2040


2020


2040

Régime général

4,3

9,8

1,4

4

Fonctionnaires civils

21,5

32,0

10,0

19

CNRACL

17,0

29,0

5,3

17

La constitution de réserves

Cette voie a été retenue par de nombreux pays pour consolider les systèmes de retraite publics.

L'ampleur des réserves à constituer varie suivant que l'on se limite à lisser temporairement les besoins de financement de moyen terme des régimes de retraite ou que l'on souhaite assurer de manière permanente, par les produits de placement du fonds, un complément de ressources aux cotisations.

Dans le premier cas (lissage des besoins de financement), le montant des réserves à constituer représente 3 à 4 points de PIB ( 350 milliards de francs aux conditions économiques actuelles). Dans le second cas, il faut accumuler, dans l'hypothèse d'un rendement moyen des actifs supérieur de 1 point au taux obligataire 4( * ) , 28 points de PIB ( 2.500 milliards de francs aux conditions économiques actuelles) pour diminuer le besoin de financement d'1,5 point de cotisations.

Dans le cas d'un fonds permanent, l'apport de ressources est d'autant plus important que le rendement des placements est élevé, ce qui conduit à orienter partiellement les investissements vers le marché actions.

L'élargissement de l'assiette des cotisations

Cette piste n'est pas très approfondie par le rapport, qui prend néanmoins acte de ce que l'intégration dans l'assiette des cotisations d'éléments de rémunération actuellement non soumis à prélèvement - telles les primes des fonctionnaires de l'Etat - conduirait, à terme, à majorer les charges de retraite.

Le rapport examine la possibilité de déplafonner les cotisations sociales patronales, ce qui rendrait le prélèvement global sur les salaires du privé très progressif. Il évoque les conséquences d'un éventuel basculement des cotisations de retraite sur la CSG, qui accroîtrait la pression fiscale sur les retraités et les revenus de capitaux.

L'aménagement de certains dispositifs

Le rapport évalue les conséquences d'une modification de l'indexation des salaires dans les régimes du privé.

Depuis la réforme de 1993, l'indexation des salaires portés au compte des assurés du régime général est effectuée conformément à l'évolution des prix. Les conséquences d'un changement de cette indexation - et non de l'indexation des pensions - au profit d'une indexation sur l'évolution des salaires conduiraient à majorer en 2040 les dépenses du régime général de 20 % environ, soit 6 points de cotisation.

Le rapport étudie également la possibilité de faire financer par la branche famille l'ensemble des avantages familiaux liés aux retraites, tandis que pourrait être envisagée une meilleure prise en compte dans la durée d'assurance de certaines périodes d'activité ou d'inactivité. Le rapport évoque enfin l'éventualité de prendre en compte dans la durée d'assurance la pénibilité du travail, sous réserve de mettre en place un système de modulation de la cotisation des entreprises concernées.

En conclusion, le rapport du Commissariat général du Plan recommande d'engager dès à présent la réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir ses effets, c'est-à-dire avant 2006 :

- si l'on veut décaler l'âge de la retraite, il faut pouvoir le faire progressivement pour éviter de désavantager certaines générations et soumettre le marché de l'emploi à un choc soudain ;

- si l'on veut recourir à des mécanismes de capitalisation, en complément de la gestion en répartition, il faut accumuler un capital suffisant avant que soit atteinte la période de plus fort déséquilibre des régimes de retraite. Ceci contraint à démarrer l'accumulation avant le début de la phase de dégradation.

Le rapport recommande enfin de relayer le débat national par des négociations décentralisées au sein des régimes et de mettre en place un dispositif de pilotage .

Le rapport de M. Charpin, qui constitue, il faut le souligner, un travail remarquable réalisé dans des délais très brefs, confirme donc une nouvelle fois la nécessité et l'urgence de réformer notre système de retraite.

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