7. Incidences des nouvelles technologies de communication et d'information sur la démocratie - Rapport de M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc) (Mardi 22 avril)
Présentant son rapport (7772) au nom de la commission
des
relations parlementaires et publiques,
M. Jean-Pierre MASSERET,
sénateur (Soc),
formule les observations suivantes :
" Monsieur le Président, mes chers collègues, en quelques
mots je vais lancer le débat sur les nouvelles technologies de
communication et d'information et sur leurs incidences sur le fonctionnement de
la démocratie.
Ce sujet nous intéresse tous puisque nous avons pu observer, au fil des
années, les difficultés que les élus rencontraient dans
leurs discussions avec les citoyens. Nous avons constaté que le
fossé se creusait entre l'action des élus politiques et la
compréhension qu'en avaient les citoyens.
Il est apparu à la commission qu'un sujet de préoccupation se
faisait jour, à savoir la mise en oeuvre des nouvelles technologies de
la communication et de l'information et leurs incidences sur l'ensemble de
notre vie quotidienne. En effet, ces nouvelles technologies de communication et
d'information - NTCI - rassemblent, dans des instruments complexes,
transfrontaliers, des technologies anciennes, existantes, mais
organisées maintenant en réseaux, très compacts, qu'il
s'agisse du son, de l'image, de la communication ou de l'informatique.
Nous sommes probablement au début de ce que l'on pourrait appeler une
"nouvelle civilisation" puisque toutes les révolutions importantes de
l'histoire de l'Humanité sont d'abord des révolutions
fondées sur les moyens de communication. Aucun aspect de notre vie
quotidienne ne va échapper au développement de ces technologies
qu'il s'agisse du travail, des relations entre les producteurs et les
consommateurs, qu'il s'agisse des liaisons entre les citoyens et les
élus, entre les citoyens eux-mêmes, entre les administrations, les
services publics et les usagers. Bref, qu'il s'agisse également de la
formation, de la culture, il n'y a pas d'aspect de notre vie en
société qui échappera à l'influence, à
l'incidence et au comportement issu de ces nouvelles technologies de la
communication et de l'information.
La démocratie n'est pas quelque chose qui se découpe : il y
a des aspects juridiques, culturels, sociaux, des aspects touchant directement
à la démocratie et des aspects technologiques. L'important, pour
notre Assemblée, c'est de percevoir ces enjeux et d'approcher
modestement une série de réflexions parce que, nous le savons
tous, il y a une évolution permanente, quotidienne de ces instruments.
Il faut donc se garder d'un certain nombre d'erreurs à ne pas commettre.
Il ne s'agit pas de fixer des normes que nous ne pourrions pas ensuite assumer
et faire respecter, de poser des contraintes qui ne permettraient pas le
développement, la valorisation de tous ces instruments de la
communication et de l'information.
Nous devons avoir une approche extrêmement pratique, réaliste et
qui manifeste beaucoup d'humilité par rapport à l'ensemble des
événements auxquels nous sommes confrontés.
Néanmoins il est de notre responsabilité de positionner ces
problèmes. Dans leur ensemble, les commissions de notre Assemblée
sont concernées. Il y a des aspects juridiques et notre commission des
affaires juridiques doit s'en saisir, suivant ses réflexions et proposer
à notre Assemblée un certain nombre d'avancées, de cadres
juridiques chaque fois que notre commission l'estimera nécessaire.
La commission des affaires technologiques ne doit pas ignorer les
évolutions permanentes du sujet. Nous avons intérêt
à les suivre pour être à un niveau d'information suffisant
qui nous permettra d'exercer notre jugement.
La commission culturelle est concernée par les conséquences et
les approches de ces technologies sur l'information, sur l'enseignement, sur la
vie culturelle, sur la formation du citoyen.
La commission des affaires parlementaires et publiques, naturellement a le
souci des conséquences de ces technologies sur le fonctionnement de la
vie démocratique.
C'est donc l'ensemble de nos activités qui doit être dirigé
en termes de réflexion et probablement en termes de propositions dans
les mois et années à venir. Quel est l'essentiel ?
Les nouvelles technologies de communication et d'information sont des produits
du génie humain, et comme de tous les produits du génie humain,
on peut en faire un bon et un mauvais usage. L'objectif de notre
assemblée doit être d'obtenir un bon usage, c'est-à-dire le
service de nos concitoyens dont nous nous préoccupons dans l'ensemble de
leur vie quotidienne. Les instruments doivent servir si possible le
développement de la démocratie, du progrès
économique, du progrès social, la justice et la paix. Notre
réflexion doit porter sur les initiatives que notre Assemblée
peut prendre aujourd'hui.
Naturellement l'approche proposée dans le projet de résolution
est extrêmement modeste. Parce que nous devons être modestes !
Il ne faut pas vouloir combattre des moulins à vent contre lesquels nous
n'aurions pas de sortie possible. Il faut donc, après avoir posé
les principes - le service de la démocratie, du progrès
économique et social, savoir comment nous pouvons avancer.
Nous devons poser quelques principes mais pour aboutir à quoi ? A
ne pas créer des inégalités entre les citoyens d'un
même pays, entre celui qui pourrait accéder à ces
technologies de la communication et de l'information et celui qui serait
laissé au bord du chemin. Il faut veiller à établir aussi
un équilibre entre les pays qui pourraient financer l'ensemble de ces
activités technologiques et ceux qui ne le pourraient pas.
Une fois ces principes posés, il faut aborder la question de la
sphère publique et de l'initiative privée. Nous savons tous
très bien que l'initiative privée sera à l'origine de
beaucoup d'avancées. Il faut que nous protégions un espace public
parce que l'intérêt général n'est pas toujours
compatible avec la somme des intérêts particuliers. Nous devons
rappeler ces principes.
A partir de là, des problèmes juridiques se posent. Des
législations existent déjà dans différents
domaines. Il ne s'agit pas de superposer des législations à
celles qui peuvent déjà exister. Pas plus qu'il ne s'agit de
poser des principes inacceptables ou des normes juridiques invérifiables.
Dès lors que les nouvelles technologies de la communication et de
l'information s'affranchissent volontiers de normes juridiques parfois, des
frontières en toute occasion, il faut donc vouloir "laisser
l'église au milieu du village", selon la forte expression
française.
Nous avons à travailler dans la réalité et à nous
poser quelques questions tranquilles. Comment favoriser l'accès de
l'ensemble de nos concitoyens à ces technologies ? Par le travail
à l'école, par exemple, ou en offrant à toutes les
collectivités publiques et territoriales des moyens d'accès aux
différents instruments de communication et d'information.
C'est quelque chose de très pragmatique, de très simple qui
figure dans le projet de résolution. Il faut naturellement mettre
l'accent sur l'usage que l'on doit faire de ces instruments pour favoriser la
participation des citoyens à la vie politique, pour améliorer la
relation entre les élus et les citoyens.
Telle a été la préoccupation dominante de la commission
des relations parlementaires et publiques, commission qui a
apprécié les différents amendements. Sept amendements ont
été soumis à l'appréciation de notre commission.
Deux ont été acceptés sans difficulté, les autres
ont été refusés. Un par principe, les autres parce que
nous estimions qu'ils étaient déjà satisfaits par le
texte. Inutile d'ajouter quelque chose qui se trouve déjà dans la
résolution ! Nous avons été très heureux de la
participation des autres commissions et certains amendements sont venus
compléter la résolution présentée.
Les nouvelles technologies de la communication et de l'information
créent probablement le début d'une nouvelle civilisation. Notre
responsabilité consiste à examiner les différentes
possibilités, toutes les utilisations positives et les utilisations
négatives. C'est tout le problème de la responsabilité
politique qui est posé. Je suis persuadé que notre commission
sera entendue par l'Assemblée plénière. "
M. Claude BIRRAUX, député (UDF),
au nom de la commission
de la science et de la technologie, a rédigé un Avis qui expose
que la société de l'information est le fruit d'un long processus
fondé sur des découvertes qui se sont succédées
depuis longtemps.
" De l'imprimerie de Gutenberg au XVe siècle à Internet
au XXe siècle, ces inventions ont révolutionné la
diffusion de l'information, de la culture et des progrès scientifiques.
Mais aujourd'hui, la mutation s'est beaucoup accélérée par
suite des percées de l'informatique, de la numérisation,
conjuguées à une baisse du coût des équipements.
L'ère du multimédia et les facilités de communication qui
en découlent ont pénétré tous les secteurs
d'activité : culturel, éducatif, économique,
privé, public. Au début réservé aux grandes
entreprises, l'ordinateur est devenu un outil de travail diffusé dans
les petites et moyennes entreprises, les professions libérales et parmi
les étudiants. L'Etat et les collectivités locales voient dans
les nouvelles technologies un moyen au service de la cohésion sociale et
de l'aménagement du territoire par les multiples applications que sont
le télétravail, les téléservices culturels,
éducatifs, ou liées à la santé.
Dès lors, l'accès au savoir semble plus facile et donc plus
démocratique. Le demos peut être plus étroitement
associé à la vie de la cité par des réseaux locaux
interactifs.
Je souligne l'énorme importance de ces nouvelles technologies, qui
peuvent être très positives et qui constituent un secteur porteur
en terme de croissance économique et d'emploi. Mais le continent nord
américain, soutenu par ses pouvoirs publics, domine le marché.
L'Europe s'est, à un moindre degré, lancée dans les
années 80 dans un certain nombre de projets bien connus : le
programme RACE de recherche sur les réseaux numériques à
haut débit, le programme ESPRIT sur les technologies de l'information.
Il est clair que nous sommes devant un premier danger ou, si vous
préférez, un énorme défi. L'avance notable d'un
autre continent dans ce domaine ne risque-t-elle pas d'avoir pour
conséquence la diffusion à l'échelle mondiale d'une seule
culture, d'un seul mode de vie ? Nous sommes en droit de nous poser la
question. L'industrie cinématographique, la télévision
sont largement dominées par les Etats-Unis.
Un autre danger, peut-être encore plus important, dont certains
collègues ont d'ailleurs déjà parlé, est l'absence
de contrôle démocratique du contenu des informations. La diffusion
sur Internet de réseaux de pédophilies, ou de propagande nazi,
entre autres, pose très clairement le problème.
Certains objecteront la liberté d'expression, mais je tiens à
rappeler que toutes les valeurs ont une hiérarchie et que celle-ci doit
se concilier avec la primauté de la dignité de la personne
humaine, des droits de l'homme en général et avec la protection
de l'ordre public. J'ajouterai la primauté du respect du droit des
enfants.
C'est pourquoi je tiens à redire devant cette assemblée combien
il me semble indispensable de mettre en place en Europe des cadres
institutionnels et juridiques pour présenter des garanties contre un
certains nombres de dérives. Il y va de l'avenir de la
démocratie, auquel le Conseil de l'Europe est très attaché
depuis sa fondation, il y a presque cinquante ans. La propagation
d'informations tous azimuts, sans restriction, sans garantie, ne peut pas
être la démocratie du XXe siècle.
Naturellement, il est impossible d'empêcher l'usage des nouvelles
technologies, qui, je le répète ont des aspects très
positifs, mais il nous faut construire le cadre juridique qui permette aux
idéaux démocratiques que notre assemblée entend promouvoir
de se développer et s'épanouir aux travers des nouveaux moyens,
aux travers de la démocratie électronique. "
M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur (Soc),
répond aux
orateurs au nom de la commission des relations parlementaires et
publiques :
" J'exprime des remerciements aux collègues qui ont bien voulu
intervenir dans ce bref débat sur un sujet important, un sujet de
civilisation. Il est d'ailleurs dommage que nous ayons si peu de temps pour le
traiter.
Des désaccords ont été soulignés, et c'est bien
parce qu'il s'agit d'un sujet de société qui appelle des
réflexions à caractère idéologique pour certains
d'entre nous. Il est donc tout à fait naturel que s'expriment ici des
oppositions nettes et tranchées.
Personnellement je n'éprouverais aucun regret et aucun malaise à
être battu sur un texte : c'est chose normale en démocratie
qu'une majorité et une minorité puissent s'exprimer. Simplement
il conviendrait de distinguer le projet de résolution et l'exposé
des motifs. Celui-ci engage directement le rapporteur. Il comporte des analyses
qui reflètent mes positions personnelles et mes vues sur tel ou tel
sujet. Quant au projet de résolution, il est pour l'essentiel à
l'eau de rose. Il recherche un consensus minimum dans cette assemblée
sur des sujets qui n'appellent pas entre nous de grandes divergences sur les
problèmes d'éducation, par exemple, eu égard à
l'intérêt de ces nouvelles technologies et aux difficultés
qu'elles posent.
Parfois, j'ai été taxé de pessimisme parce
qu'effectivement j'ai eu tendance à mettre le doigt sur des sujets qui
me paraissaient être des sujets de préoccupation. Quand les choses
vont bien, on n'en parle pas. On parle plus volontiers des choses qui
préoccupent que des choses qui paraissent aller naturellement de soi.
A d'autres moments, on a dit que j'étais plutôt optimiste. On nous
a même assimilés à des prophètes, mais sans la
pertinence des prophètes de la Bible. Cela veut dire tout simplement que
nous sommes dans un sujet extrêmement délicat dont personne n'a en
réalité la maîtrise, que nous évoluons à une
vitesse extraordinaire - probablement plus vite que nos systèmes de
pensée et de réflexion - et que personne ne peut dire
comment les choses seront faites demain. Mais notre responsabilité
d'hommes et de femmes politiques consiste à essayer quand même de
poser des questions.
Je m'accorde à reconnaître avec mon collègue,
M. Probst, que nous nous posons quasiment les mêmes questions. Si je
suis en désaccord avec la commission des questions économiques et
du développement, c'est parce qu'un point me trouble. Mon
collègue rapporteur s'interroge : pourquoi instituer des
contrôleurs sur Internet ? Qui contrôlera les
contrôleurs ? Si l'on poursuit cette logique jusqu'au bout, il n'y a
plus de règles nulle part puisqu'une règle est
nécessairement appelée à être contrôlée
par un certain nombre de personnes à qui l'on confie une mission de
contrôle et que l'on suspecte a priori de devoir réunir cette
mission avec justesse et sous éventuellement le seul contrôle qui
compte, à savoir nous qui assurons ici la représentation
nationale, celle des citoyens de nos pays respectifs.
Mme Bribosia-Picard a bien noté, me semble-t-il, à travers
l'exemple du cryptage, toute la difficulté du sujet parce qu'il faut
concilier à la fois la confidentialité et le contrôle. Le
système du cryptage assure la confidentialité, mais il faut aussi
assurer le contrôle. Je suis convaincu qu'aucun système de
cryptage ne résistera au génie humain parce qu'il est
lui-même le produit du génie humain. Il est toujours
démontré que ce que l'homme entreprend il est capable de le
surpasser, de surmonter, à un moment donné, la difficulté
et de trouver la solution. Nous sommes face à une donne de civilisation
qui heurte notre capacité de jugement. C'est de cela qu'il faut se
méfier.
Les propos tenus par mes collègues rapporteurs ont toujours
été frappés au coin du bon sens, de la pertinence.
J'espère que nous parviendrons à un accord sur les amendements,
et si tel n'est pas le cas, la terre continuera, malgré tout, de
tourner ! Certes, nous serons soumis aux mêmes préoccupations
et nous devrons nous exposer pour trouver les réponses
démocratiques à cette société.
Je suis cependant d'accord pour reconnaître avec vous que les nouvelles
technologies de communication et d'information présentent de
fantastiques potentialités. Certes, je ne les ai peut-être pas
assez soulignées dans ce rapport, mais je viens de m'en expliquer
à l'instant.
S'agissant des amendements déposés sur l'article 1 du projet de
résolution, il est possible, me semble-t-il, de trouver ensemble des
termes d'accord. J'ai déposé à l'instant un texte
synthétisant deux amendements présentés l'un par la
commission des questions juridiques et des droits de l'homme, l'autre par la
commission de la culture et de l'éducation. Je crois que l'on peut
parvenir à un compromis satisfaisant, du moins sur ce
thème-là.
Pour le reste, j'exprimerai tout à l'heure le sentiment de la commission
des relations parlementaires et publiques sur les amendements. "
Après observations de
M. Jean-Pierre MASSERET, sénateur
(Soc)
, sur les amendements, certains étant adoptés,
la
résolution 1120 contenue dans le rapport 7772 a été
adoptée, amendée
, au terme de ce débat
.
La directive 531 a été adoptée sans amendement.