D. DEUX ORIENTATIONS POUR RENDRE LE DÉBAT PLUS TRANSPARENT ET PLUS EFFICACE
Les lois
de financement de la sécurité sociale, pour être davantage
compréhensibles, devraient être des textes législatifs
simples, recentrés sur les enjeux du financement de la protection
sociale.
D'où l'urgence de redistribuer les débats et de clarifier les
enjeux des finances sociales.
1. Redistribuer les débats pour recentrer les lois de financement
a) Instituer des lois pluriannuelles d'orientation
Les lois
de financement de la sécurité sociale ne seraient pas conformes
à l'ambition qui était celle des auteurs de la réforme, si
elles se limitaient à une vision purement comptable de notre
système de protection sociale.
A l'évidence, ces lois financières doivent traduire -comme le
veut la loi organique- "
les orientations de la politique de
santé et de sécurité sociale "
59(
*
)
.
Il reste que ces orientations ne relèvent guère de
l'annualité et fort heureusement ne sauraient être remises en
cause chaque année. Elles doivent, au contraire, s'inscrire dans la
durée.
Le professeur Joël Ménard a décidé de quitter en mai
1999 ses fonctions à la tête de la Direction
Générale de la Santé (DGS) "
pour des raisons
strictement personnelles
". Dans un entretien au
Monde
60(
*
)
, il a
estimé que l'une des fonctions de la DGS devait résider
" dans la coordination des différentes structures et agences en
charge de la veille et de la sécurité sanitaires "
mais
également de définir et de mettre en oeuvre "
des plans
de santé
", organisant dans différents secteurs de la
pathologie humaine, des programmes quinquennaux. Il a ajouté :
"
Au-delà de ce qui a été, fort heureusement,
réalisé avec la création des agences de
sécurité sanitaire, seule une telle programmation nous permettra
de progresser dans la définition d'une véritable politique de
santé
".
Aussi, le groupe de travail est-il favorable à l'institution de lois
d'orientation qui pourraient être quinquennales, dont les lois de
financement seraient, d'un point de vue financier, la traduction annuelle.
Ces lois permettraient, par exemple, de prévoir, dans un texte unique,
l'examen des moyens affectés à la prévention et à
l'éducation à la santé dans le budget du
secrétariat d'Etat, actuellement étudiés en lois de
finances, et dans le budget des caisses d'assurance maladie,
évoqués à la marge en loi de financement.
De telles lois d'orientation seraient davantage en phase avec les travaux des
instances existantes. Elles s'appuieraient sur les études des experts
réunis au sein du Haut comité de la santé publique, ainsi
que sur les travaux des professionnels qui siègent à la
Conférence nationale de santé.
La mise en place de ces lois d'orientation permettrait dès lors de faire
l'économie du rapport annexé à chaque projet de loi de
financement dont on a vu qu'il ne pouvait pas remplir sa fonction.
b) Prévoir régulièrement des lois portant diverses mesures d'ordre social
" Diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire " (DMOSSS), " diverses dispositions d'ordre social " (DDOS), " diverses mesures d'ordre social " (DMOS) : les appellations varient pour identifier des projets de loi qui ont fait régulièrement partie, de 1990 à 1996, du calendrier législatif.
Les DMOS depuis 1990
Titre |
Dépôt initial |
Numéro JO |
Loi portant diverses mesures d'ordre social |
22 mai 1991 |
Loi n° 91-738 du 31 juillet 1991 |
Loi portant diverses dispositions d'ordre social |
6 novembre 1991 |
Loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 |
Loi portant diverses mesures d'ordre social |
21 octobre 1992 |
Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 |
Loi portant diverses dispositions d'ordre social |
26 octobre 1994 |
Loi n° 95-116 du 4 février 1995 |
Loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire et statutaire |
4 janvier 1996 |
Loi n° 96-452 du 28 mai 1996 |
Le
dernier DMOS date de 1996. Coïncidence, les lois de financement,
créées en 1996, connaissent une certaine dérive vers le
DMOS. De plus en plus de dispositions ont certes
un rapport avec la
sécurité sociale
, sans avoir une relation directe avec
le
financement de la sécurité sociale
.
Ainsi, Mme Martine Aubry justifiait les diverses dispositions figurant dans le
projet de loi de couverture maladie universelle par l'absence
" pénalisante "
61(
*
)
d'inscription à l'ordre du jour
d'un DMOS depuis deux ans.
Le régime agricole a pu " bénéficier " du
support de la loi d'orientation agricole, discutée entre octobre 1998 et
mai 1999. Pas moins de vingt articles ont été adoptés dans
ce cadre.
Il n'est pas exagéré de penser que plusieurs dizaines d'articles
seraient aujourd'hui nécessaires au bon fonctionnement des
régimes autres que le régime agricole.
Avec l'inscription régulière à l'ordre du jour d'un
DMOS, les lois de financement pourraient être
" recentrées " sur un texte relativement court, ce qui
permettrait davantage de temps pour aborder non seulement les comptes et les
mesures financières de redressement, mais également le contenu
des objectifs.
c) Réaffirmer le rôle du Parlement dans le débat public
Les
règles constitutionnelles enserrent le débat sur les lois de
financement dans des délais stricts alors que dans le domaine de la
protection sociale, un certain nombre de " chantiers " ouverts ou qui
pourraient l'être, appellerait des débats approfondis.
Partant du même constat, le Gouvernement a choisi de conduire les
différents
" diagnostics "
et
" dialogues "
en dehors du Parlement
62(
*
)
: mission du commissariat
général du Plan sur les retraites, conférence de la
famille, Etats généraux de la santé.
Il est regrettable que la représentation nationale soit exclue des
grands débats sur l'avenir de notre protection sociale.
Ainsi, au printemps 1998, un débat sur les prestations familiales,
à la suite de la conférence nationale de la famille, aurait
été certainement très utile.
De même, au printemps 1999, un débat sur la réforme des
retraites, à la suite de la remise du rapport de M. Jean-Michel Charpin,
s'imposait.
Certes, le Gouvernement n'est toujours pas en état de présenter
devant le Parlement de véritables orientations. Ainsi, muni des
conclusions du rapport Charpin, a-t-il annoncé l'ouverture d'une
nouvelle concertation sur la base de quelques principes très
généraux. Il reste qu'à tout le moins, les travaux du
commissariat général du Plan auraient pu être l'occasion
pour le Gouvernement de recueillir le point de vue de la représentation
nationale.
De tels débats sur de grands " chantiers " pourraient, en
fonction de l'actualité, prendre place au printemps et contribueraient
ainsi, en amont, à l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
d) Recentrer les lois de financement sur les enjeux des finances sociales
La
" redistribution " des débats autour de notre protection
sociale, loin d'affaiblir la portée des lois de financement, devrait
permettre d'approfondir le débat sur les enjeux des finances sociales.
Actuellement, le débat sur les objectifs de dépenses
apparaît ainsi très insuffisant.
Si le taux de progression de l'ONDAM fait l'objet d'un examen attentif
dès lors que cet objectif se veut opposable aux prescripteurs, les
objectifs de dépenses par branche, purement indicatifs, apparaissent
davantage comme des constatations que des choix.
Or, pas plus que les lois de finances, les lois de financement
n'échapperont, dès lors qu'elles auront acquis un peu de
maturité, à la problématique des " services
votés ".
Le vote des objectifs de dépenses devrait donner lieu à un
véritable examen du contenu et de la cohérence de ces objectifs
et non pas seulement de leur taux de progression. Il devrait être
l'occasion d'une réflexion sur la simplification des règles
régissant les prestations
63(
*
)
, d'une interrogation sur les
coûts de gestion qui, à hauteur de 50 milliards de francs, sont
agrégés aux prestations versées.
Il conviendrait dès lors de s'interroger sur les moyens d'organiser de
façon plus méthodique l'examen de l'article arrêtant les
objectifs de dépenses des différentes branches. Serait-il
inconcevable que le Sénat, à l'instar de la procédure
adoptée tout au long de la deuxième partie de la loi de finances
consacrée aux votes des crédits par titre et par
ministère, vote les objectifs de dépenses " ligne par
ligne " à l'issue d'une discussion spécifique
consacrée à chacune d'elles ?
2. Clarifier les enjeux des finances sociales
a) Assurer une plus grande cohérence des lois de financement
Les recettes de la loi de financement méritent une attention toute particulière.
(1) Améliorer la présentation des recettes
La
présentation des sept catégories de recettes n'est pas
satisfaisante.
Les cotisations prises en charge par l'Etat appellent plus
particulièrement l'attention.
La Cour des comptes, dans son rapport 1997
64(
*
)
, proposait au Gouvernement
" d'étudier une présentation (...) faisant
apparaître séparément les cotisations (sociales)
réellement encaissées et les compensations
d'exonérations "
. La ministre de l'emploi et de la
solidarité, répondant
65(
*
)
à une question de notre
collègue M. Emmanuel Hamel, indiquait :
"La présentation actuelle comptabilise en effet en cotisations les
exonérations prises en charge par l'Etat et les régimes de
sécurité sociale, et cela serait, selon la Cour des comptes,
" source de confusion ". Cette proposition est actuellement à
l'étude, car il est vrai que cette présentation introduit souvent
une vision erronée de la structure du financement de la
sécurité sociale. La part importante des cotisations dans les
ressources de la sécurité sociale ne doit pas cacher qu'en
réalité depuis une décennie la part de cotisations
à la charge des employeurs a fortement baissé au profit d'un
financement par le budget de l'Etat sous forme de " prise en charge de
cotisations ". Toutefois la suggestion de la cour appelle deux remarques.
D'une part, la présentation actuelle est conforme aux normes
internationales de comptabilité nationale, et, malgré ses
inconvénients, elle a le mérite de garantir les comparaisons
internationales sur la base de concepts standardisés. Il s'agit bien de
" cotisations " prises en charge, calculées pour chaque
cotisant, et non de transferts globaux comme le sont les flux de compensation
ou les subventions. D'autre part, la présentation actuellement retenue,
tant dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité
sociale que dans l'annexe de la loi de financement de la sécurité
sociale, distingue clairement les cotisations payées effectivement par
les assurés et les employeurs, et les cotisations prises en charge par
l'Etat et les régimes de sécurité sociale. Seule l'annexe
[sic]
66(
*
)
de la loi de
financement de la sécurité sociale agrège l'ensemble de
ces cotisations en une ligne " cotisations effectives " et pourrait
faire l'objet d'une présentation améliorée. "
Votre rapporteur estime que le vote proposé aux parlementaires repose
sur des recettes trop agrégées. La ligne " cotisations
prises en charge " devrait ainsi faire l'objet d'une mention
spécifique.
Les affectations des recettes sont par trop complexes
La liste des
" impositions de toute nature "
affectées
en tout ou partie à la sécurité sociale est
longue
67(
*
)
.
Nombre d'impositions affectées à la sécurité sociale
Nombre d'impositions affectées à la sécurité sociale (y compris BAPSA) |
21 |
dont Impositions affectées en intégralité à un organisme de sécurité sociale |
16 |
dont Impositions partagées |
5 |
Cinq
impositions sont ainsi partagées
68(
*
)
entre plusieurs
bénéficiaires :
- les droits 403 sur les alcools ;
- la contribution sociale de solidarité sur les sociétés
(C3S) ;
- la contribution sur les ventes en gros ;
- le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les
produits de placement ;
- la contribution sociale généralisée.
Les affectations croisées nuisent d'une part, à
l'intelligibilité des flux financiers non seulement lors de leur examen
par le Parlement mais également à l'égard des
contribuables. Ils autorisent d'autre part, toutes les
" tuyauteries " entre régimes ou branches de la
sécurité sociale, permettant -au passage- de diminuer des
excédents de certaines branches pour remédier aux déficits
d'une autre.
Le montage financier présenté par le Gouvernement, dans le cadre
du projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle,
pour tirer la conséquence de la suppression de la prise en charge des
cotisations d'assurance personnelle en est l'illustration frappante : le
prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits
de placement actuellement partagé entre la CNAF et la CNAVTS
bénéficiera à l'avenir également à la CNAMTS.
Le projet de loi accroît en outre la complexité de la
répartition des droits sur les alcools.
En dehors du cas particulier de la CSG qui, historiquement, s'est pour
partie substituée aux cotisations sociales, le principe devrait
être de prévoir -pour une recette- une affectation
intégrale et unique.
(2) Progresser dans la notion d'équilibre
L'absence d'un équilibre des lois de financement de la
sécurité sociale voulue par la loi organique a conduit
progressivement le Parlement à se prononcer implicitement sur les
comptes prévisionnels du régime général.
Cette situation, on l'a vu
69(
*
)
,
n'est guère satisfaisante.
Aussi votre rapporteur s'interroge-t-il sur les moyens de progresser dans la
notion d'équilibre, qui reste fondamentale dans la réforme
constitutionnelle de 1996, sans porter pour autant atteinte aux
responsabilités des partenaires sociaux en matière de gestion des
caisses de sécurité sociale.
Il lui semble qu'un rapprochement du champ des dépenses et des
recettes
70(
*
)
devrait permettre
de définir un " indicateur d'équilibre " qui n'a pas de
signification intrinsèque, mais qui permettrait un suivi année
après année.
" L'indicateur d'équilibre " des lois de financement de la sécurité sociale
en milliards de francs |
1997 |
1998 |
1999 |
Prévisions de recettes |
1.658,3 |
1.723,0 |
1.799,5 |
Objectifs de dépenses |
1.697,6 |
1.731,2 |
1.789,1 |
Solde |
- 39,3 |
- 11,8 |
+ 10,4 |
N.B.
Les montants sont ceux prévus par les lois de financement.
Cet " indicateur d'équilibre " pourrait être retenu par
les commissions des comptes de la sécurité sociale, afin de
disposer d'un suivi infra annuel de l'exécution des lois de financement.
Certes, le Parlement dispose d'un autre indicateur d'équilibre portant
sur le solde des administrations de sécurité sociale,
défini dans le cadre de nos engagements européens. Ce solde
concerne toutefois un champ différent de celui des lois de financement,
puisqu'il inclut les régimes complémentaires vieillesse (ARRCO,
AGIRC) et le régime d'assurance chômage (UNEDIC). La
multiplication des " champs " différents des finances sociales
est d'ailleurs un problème
71(
*
)
.
Une étape supplémentaire conduirait à s'interroger sur la
notion d'équilibre par branche, dès lors que la loi organique a
fait le choix d'une telle présentation des objectifs de dépenses.
Le contexte des lois de financement est à cet égard très
différent des règles applicables en matière de loi de
finances -privilégiant l'unité du budget de l'Etat- alors que la
loi du 25 juillet 1994 pose le principe, pour ce qui est du régime
général, de l'autonomie des différentes branches.
Or, cet équilibre par branche au sein des lois de financement de la
sécurité sociale est impossible à déterminer.
Pour la branche famille, il n'existe pas de différence entre
l'équilibre régime général et l'équilibre
tous régimes, les comptes de la CNAF centralisant ceux de l'ensemble de
la branche. Pour la branche maladie, le régime général
représente une part très importante des dépenses (plus de
82 %).
En revanche, pour la branche vieillesse, l'équilibre est très
difficile à déterminer, le régime général
représentant moins de 50 % des dépenses.
La réflexion sur un équilibre par branche apparaît pourtant
essentielle au regard des implications considérables du débat qui
semble s'ouvrir sur l'affectation des excédents de la branche famille au
financement des charges de la branche vieillesse.
(3) Améliorer les annexes du projet de loi
Les
annexes
a)
et
g)
, qui ne sont pas liées directement au
projet de loi, pourraient être utilement allégées.
En revanche, un effort de clarification pourrait être engagé sur
les annexes
b)
,
c)
et
d)
et
e)
:
- en proposant à l'annexe
b)
une évaluation des
prévisions de recettes et des objectifs de dépenses et de l'ONDAM
pour l'année en cours ;
- en évaluant à l'annexe
c)
les effets financiers du
projet de loi sur les autres régimes que le régime
général ;
- en faisant coïncider le champ de l'annexe
d)
avec l'article
fixant les prévisions de recettes ;
- en comportant un relevé des recettes par branche à cette
même annexe
d)
;
- en mentionnant les transferts entre branches du régime
général à l'annexe
e)
.
b) Assurer une plus grande cohérence des finances publiques
(1) Transformer le débat d'orientation budgétaire en débat sur les finances publiques
Lors de
la discussion de la loi organique de 1996, M. Jacques Barrot, alors ministre
des affaires sociales, s'était engagé à organiser au
printemps 1997 un débat d'orientation sur le financement de la
sécurité sociale, à l'image des débats
d'orientation budgétaire. Un tel débat ne s'est tenu ni en 1997,
en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, ni en 1998.
Certes, un débat spécifique consacré au financement de la
sécurité sociale est concevable.
Néanmoins, deux raisons plaident pour que ce débat s'inscrive
dans le cadre de l'actuel débat d'orientation budgétaire.
La première raison est liée au processus de qualification
à l'euro, tout comme les engagements souscrits au titre du Pacte de
stabilité et de croissance de juin 1997 et du programme pluriannuel des
finances publiques, qui imposent la référence au
" besoin
de financement des administrations publiques "
, dépassant le
cadre de la loi de finances, et incluant les finances des collectivités
locales et de la sécurité sociale.
La seconde raison est liée à la nature des lois de financement de
la sécurité sociale, qui forment une seconde catégorie de
lois de finances publiques.
L'évolution logique serait que le débat d'orientation
budgétaire, spécifiquement consacré aux ressources et
dépenses de l'Etat, devienne un
" débat d'orientation sur
l'évolution des finances publiques "
, selon l'expression du
Président Jean-Pierre Fourcade
72(
*
)
.
Le débat d'orientation budgétaire, qui s'est tenu au Sénat
le 25 juin 1998, a montré que le Gouvernement était resté
à la " croisée des chemins ". Certes, trois des quatre
objectifs fixés dans le rapport déposé par le Gouvernement
à l'occasion du débat concernaient, de près ou de loin,
les finances sociales. Mais le Gouvernement, en l'absence du ministre de
l'emploi et de la solidarité, n'a pas indiqué de
véritables orientations sur ce que serait le projet de loi du
financement de la sécurité sociale, les analyses
consacrées aux finances sociales étant restées très
insuffisantes.
A titre anecdotique, on rappellera que les ministres des finances et du budget
expliquaient, à l'occasion de leur audition devant la commission des
Finances de l'Assemblée nationale, le dérapage des
dépenses d'assurance maladie par une simple épidémie de
grippe, alors qu'au même moment, Mme Martine Aubry ne voyait aucune
raison sanitaire à cette dérive.
La proposition d'organiser un véritable débat sur les finances
publiques, au cours du mois de juin, est pertinente. Elle permettrait d'amorcer
un débat au Parlement, qui pourrait se continuer avec les organismes
professionnels
73(
*
)
pendant trois
mois, avant que le Gouvernement ne dépose le projet de loi devant le
Parlement.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au Budget, avait donné
acte de cette proposition : "
Peut-être faudra-t-il qu'en
1999, dans le prochain débat d'orientation budgétaire, nous
trouvions ensemble une façon de traiter plus directement de la question
de la sécurité sociale
"
74(
*
)
.
Pourtant, le débat d'orientation budgétaire de juin 1999 ne
semble pas se présenter d'une manière profondément
différente.
Le rapport de la commission des comptes de mai 1999 indique ainsi qu'il est
"
regrettable que le débat sur les orientations
budgétaires qui se tiendra prochainement au Parlement ne soit nourri que
par les prévisions de la commission des comptes et des budgets
économiques de la Nation, au lieu de l'être, aussi, par celles
émanant de la commission des comptes de la sécurité
sociale
"
75(
*
)
.
Le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des
finances publiques présenté par MM. Strauss-Kahn et Sauter en mai
1999 pour le débat d'orientation budgétaire du printemps ne
modifie pas la prévision d'un excédent des comptes sociaux pour
1999 (0,15 %)
76(
*
)
. Cette
prévision tient compte d'un excédent supposé de l'UNEDIC.
Une harmonisation des documents présentés au Parlement serait
ainsi un minimum souhaitable.
(2) Mieux distinguer les finances de l'Etat des finances sociales
Ce
débat sur les finances publiques ne peut être réellement
lisible que si les finances sociales sont clairement distinguées des
finances de l'Etat.
A cet égard, il apparaît urgent d'établir un bilan des
relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale.
Ce bilan ferait apparaître une neutralité de ces relations
financières
77(
*
)
. Il reste
toutefois à formaliser une telle analyse.
Votre rapporteur estime également que la création d'un
véritable régime de retraite pour les fonctionnaires de l'Etat
est une des conditions
sine qua non
d'une plus grande lisibilité.
En ce qui concerne les charges de trésorerie, il serait souhaitable que
l'Etat veille à une parfaite neutralité de ses relations avec
l'ACOSS. Cet engagement doit être scrupuleusement respecté dans le
cadre de la correction d'objectifs et de gestion Etat/ACOSS.
Certaines recettes de la sécurité sociale restent votées
en loi de finances. Cette situation qui relève d'une forme de
conservatisme nuit à la lisibilité des flux financiers.
L'existence d'une recette commune au budget général de l'Etat
et à la sécurité sociale -les droits de consommation sur
les tabacs (dits " droits 575 ")- pose d'infinis problèmes.
Prévoir en loi de financement le taux d'affectation des droits de
consommation sur les tabacs à la CNAMTS se heurte ainsi à
l'article 18 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959. Seule la
loi de finances peut déterminer la quote-part de cette taxe
affectée à la sécurité sociale.
Toute augmentation du produit des droits de consommation sur les tabacs au
profit de la sécurité sociale suit une procédure
complexe : le produit supplémentaire est évalué dans
l'article du projet de loi de financement relatif aux prévisions de
recettes. Mais cette évaluation est en quelque sorte virtuelle ou
privée de base légale tant que l'affectation n'a pas
été votée en loi de finances.
En matière de droits sur les tabacs, il serait donc plus intelligible de
séparer les financements affectés à l'Etat et les
financements affectés à la sécurité sociale.
Deux solutions sont possibles :
- soit l'on décide de créer une taxe additionnelle de
santé publique affectée intégralement à la
sécurité sociale
78(
*
)
, à l'image de la cotisation sur
les boissons alcooliques supérieures à 25°
créée en 1983, en diminuant à due concurrence les droits
575 ;
- soit l'on affecte intégralement les droits 575 à la
CNAMTS.
Cette dernière solution, qui devrait être progressive et
compensée compte tenu des masses en jeu, aurait le mérite de
mettre fin à une forme de confusion des genres quant au fondement de
cette imposition : il est clair que pour l'assurance maladie cette recette
compense le coût du tabagisme et qu'au nom des impératifs de
santé publique, il serait souhaitable que disparaissent à la fois
la dépense et la recette ;
a contrario
les droits sur les
tabacs perçus au profit du budget de l'Etat constituent un
" impératif de finances publiques ".
Il convient de rappeler que les droits sur les alcools ont connu une
évolution similaire ; ils ont été
intégralement affectés au FSV en 1993, puis répartis entre
FSV et régimes d'assurance maladie à partir de 1997.
c) Renforcer le contrôle de l'application des lois de financement
Les
rapporteurs des lois de financement disposent de prérogatives
importantes depuis l'adoption de l'article 2 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1997.
En application de cette disposition, les rapporteurs adressent au Gouvernement
un questionnaire tant sur l'exécution de la loi de financement que sur
le projet de loi de financement de l'année suivante.
Cet article fonde également la prérogative de contrôle sur
pièce et sur place des " rapporteurs sociaux " tout au long de
l'année
" auprès des administrations de l'Etat et des
établissements publics compétents "
79(
*
)
.
Les commissions parlementaires ont accès à la source -à
travers les conseils de surveillance de l'ACOSS, de la CNAF, de la CNAVTS et de
la CNAMTS- à des renseignements et des informations dont elles
étaient jusqu'à présent destinataires de manière
indirecte.
Cette information doit pouvoir être disponible, à travers les avis
rendus au Parlement sur l'application des conventions d'objectifs et de
gestion, avant l'examen du projet de loi de financement.
Pour contrôler l'application des lois de financement, le Parlement
dispose constitutionnellement de l'assistance de la Cour des comptes.
Il importe à l'évidence que la coopération entre les
commissions parlementaires compétentes et la Haute juridiction soit
renforcée. Il est vrai que les méthodes et les contraintes de la
Cour et du Parlement ne sont pas identiques. La démarche
collégiale et contradictoire de la Cour est quelquefois difficilement
compatible avec l'urgence qui s'attache à certaines demandes
d'enquête formulées par les commissions parlementaires.
Lorsqu'elle est possible, l'insertion, dans le programme prévisionnel de
la Cour, de ces demandes d'enquête serait une première
réponse, à condition toutefois que les commissions puissent
prendre connaissance suffisamment à l'avance de ce programme, du moins
avant qu'il ne soit totalement " bouclé ".
Il est en outre nécessaire qu'un dialogue se noue entre le Parlement et
la Cour à l'occasion du rapport de la Haute juridiction sur
l'application des lois de financement.
L'amélioration des délais de remise des comptes par les
organismes de sécurité sociale
80(
*
)
devrait permettre, à terme,
à la Cour de développer ses analyses et de communiquer son
rapport au Parlement dans le courant de l'été ou tout
début septembre.
Les commissions des Affaires sociales au Sénat, des Affaires
culturelles, familiales et sociales à l'Assemblée nationale,
pourraient en prendre une connaissance approfondie et élaborer un
questionnaire sur les points qui retiennent particulièrement leur
attention, en vue de l'audition début octobre des magistrats de la Cour.
Cette procédure, mise en oeuvre dans le cadre du rapport sur les lois de
règlement du budget, permettrait à la Cour de préparer des
réponses " collégiales et contradictoires " qui
demandent naturellement davantage de temps mais sont préférables
à un échange impromptu en séance de commission dans des
domaines souvent d'une grande technicité.
d) Définir une pratique de lois de financement rectificatives
L'une
des interrogations majeures de la représentation nationale à
l'égard des lois de financement est probablement celle de
l'évolution en cours d'année des masses financières tant
en dépenses qu'en recettes sur lesquelles elle s'est prononcée en
loi de financement initiale.
Force est de constater que les deux dernières lois de financement ont vu
une lente dégradation des " conditions générales de
l'équilibre " sans que le Parlement en ait été saisi
par la voie d'un projet de loi de financement rectificatif pourtant
explicitement prévu par la loi organique.
Votre rapporteur avait ainsi souligné que le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 devrait probablement
faire l'objet d'une révision en cours d'année, car fondé
sur des hypothèses macro-économiques trop favorables et sur le
pari que la dérive des dépenses d'assurance maladie allait
être contenue par le plan Aubry de juillet 1998.
Le Gouvernement peut être amené à revenir vers le Parlement
en cours d'année pour deux raisons :
- lorsque le plafond d'avances de trésorerie aux régimes de
sécurité sociale devient insuffisant ;
- ou lorsque l'adoption de mesures correctrices est jugée
nécessaire en cours d'année.
Il est vrai que ces mesures correctrices relèvent largement du pouvoir
réglementaire, à l'exception des mesures portant sur le taux et
l'assiette des prélèvements affectés à la
sécurité sociale.
Dès lors, il est indispensable de redonner à l'instrument du
plafond d'avances de trésorerie son rôle originel de
contrôle du déficit.
Votre commission des Affaires sociales a manifesté ce souci à
deux reprises :
- une première fois, en refusant dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998 une
" majoration de confort " du plafond de recours à l'emprunt. A
l'époque, le rapporteur de l'Assemblée nationale avait
souhaité une telle majoration
" afin d'éviter au
Gouvernement de se voir reprocher de tarder à adresser un rapport au
Parlement en cas de décret visant à relever ce
plafond "
81(
*
)
.
Votre
commission n'aurait pas songé à adresser un tel reproche au
Gouvernement car elle estimait que ce relèvement exigeait un projet de
loi de financement rectificatif et qu'en outre, il convenait, en loi de
financement initiale, de calculer au plus juste les plafonds d'avances de
trésorerie ;
- une deuxième fois, en refusant dans le projet de financement de
la sécurité sociale pour 1999 de ratifier le décret du 26
août 1998 qui, en dépit de la majoration finalement
décidée en loi de financement initiale, avait dû
procéder à un relèvement supplémentaire. La
commission avait alors estimé qu'il convenait de porter un coup
d'arrêt au recours systématique à la voie
réglementaire et privilégier le dépôt d'un projet de
loi rectificatif.
Votre rapporteur estime en effet que le plafond d'avances de trésorerie,
qui est la disposition la plus " normative " ou contraignante des
lois de financement, doit être, en cas de relèvement, l'occasion
d'un débat au Parlement sur l'évolution des masses
financières votées en loi de financement initiale.
Pour le reste, un débat d'orientation budgétaire élargi
aux finances publiques permettrait de faire le point à la fin du premier
semestre sur l'évolution des comptes sociaux, à partir du moment
où la commission des comptes de la sécurité sociale du
mois de mai deviendrait une commission " tous régimes ".
Votre rapporteur souhaite vivement que cesse la pratique systématique
d'un relèvement par voie réglementaire des plafonds d'avances de
trésorerie.
Il estime qu'il revient à une loi de financement rectificative de
procéder à cet ajustement conforme à la lettre et l'esprit
de la loi organique.
Cette autorisation parlementaire constitue une contrainte salutaire
conduisant le Gouvernement à devoir s'expliquer devant la
représentation nationale sur une dérive des comptes sociaux.
*
* *
Votre
rapporteur souhaite naturellement que le débat puisse se poursuivre sur
les analyses et les propositions que comporte le présent rapport.
Nombre de ces propositions tendent à réformer des pratiques,
bousculer des habitudes ou appellent des initiatives de la part du
Gouvernement. Celles d'entre elles, qui nécessitent une intervention
législative, feront l'objet d'une proposition de loi et, le cas
échéant, d'amendements au prochain projet de loi de financement
de la sécurité sociale.