B. UN ACQUIS DÉSORMAIS UNANIMEMENT RECONNU
1. Chaque année, un rendez-vous majeur
a) Un impact réel
Lors de
l'institution des lois de financement, la question de leur
" normativité "
s'est posée, qualifiée
par les parlementaires, puis par la doctrine, de
" différée "
,
" suspendue "
,
" indirecte "
, ou encore
" sui generis "
.
"
La loi de financement n'est pas véritablement une loi
budgétaire
", comme le note M. Loïc Philip
14(
*
)
, puisque le budget est "
un
acte de prévision et d'autorisation portant sur un ensemble de
dépenses et de recettes et qui a pour effet de limiter les pouvoirs des
autorités chargées de son exécution
".
En loi de finances, comme en loi de financement, les recettes restent des
prévisions. Elles dépendent étroitement de la
réalisation des mêmes hypothèses macro-économiques :
croissance du PIB et de la masse salariale, évolution de l'inflation,
etc.
Il reste toutefois une différence substantielle. Il appartient à
la loi de finances d'autoriser chaque année la perception des
impôts et taxes et cette autorisation vaut également pour les
prélèvements affectés à la sécurité
sociale.
D'une certaine façon, les prévisions de recettes des lois de
financement n'ont d'intérêt que si un préalable juridique
est acquis, le vote de l'article premier de la loi de finances.
Les dépenses sociales apparaissent, au premier abord,
éloignées des dépenses du budget de l'Etat.
Les dépenses de santé résultent d'un état de la
réglementation (taux de remboursement, tarif de responsabilité)
et du comportement des assurés et des prescripteurs.
Les dépenses famille et vieillesse sont la conséquence d'une
articulation entre, d'une part, la législation et la
réglementation en vigueur et, d'autre part, l'évolution
démographique.
Les régimes de sécurité sociale ne peuvent cesser leurs
paiements ou leurs remboursements faute de crédits disponibles. De fait,
les montants de dépenses par branche inscrits dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale restent des objectifs et ne
sont pas limitatifs, à la différence des crédits
budgétaires dont la loi de finances fixe le plafond.
Les autorisations budgétaires sont-elles pourtant dans la pratique d'une
nature essentiellement différente des objectifs de dépenses
figurant en loi de financement ? De nombreuses dépenses
budgétaires sont davantage constatées qu'autorisées :
charges obligatoires de la dette, remboursement des allégements de
charges sociales, traitements des fonctionnaires, etc. Certaines de ces
dépenses ont explicitement un caractère évaluatif.
La gestion des autorisations budgétaires laisse en outre une large place
à l'initiative réglementaire sous la forme de décrets
d'avance, d'annulation ou de report de crédits.
L'ONDAM et les plafonds d'avances de trésorerie ont un effet juridique
incontestable.
L'ONDAM est opposable -une fois décliné- aux prescripteurs et
s'impose à l'exécutif (dépenses hospitalières).
Les plafonds d'avances de trésorerie sont extrêmement
contraignants. La preuve -peut-être paradoxale- en est qu'un dispositif
d'urgence a dû être prévu par la loi organique. Il autorise
en cas d'urgence une majoration de ces plafonds par décret pris en
Conseil des ministres, après avis en Conseil d'Etat (article
LO. 111-5 du code de la sécurité sociale). Le Gouvernement
doit ensuite obligatoirement prévoir la ratification de ce décret
dans le plus prochain projet de loi de financement.
Au-delà de ce débat théorique, il reste que l'apport
essentiel des lois de financement est de constituer un rendez-vous annuel
consacré aux enjeux financiers de la protection sociale.
b) Un rendez-vous majeur
Avant la réforme de 1996, il n'existait aucune contrainte de redressement des comptes de la sécurité sociale. Le Parlement adoptait, de manière parcellaire, certaines dispositions des plans de redressement qui s'étaient succédé depuis le second choc pétrolier.
Les
plans de redressement de la sécurité
sociale
1975-1993
1975 |
Plan Durafour |
1976 |
Plan Barre-Beullac |
1977-1978 |
Plan Veil |
1979 |
Plan Barrot |
1981 |
Plan Questiaux |
1982-1983 |
Plan Bérégovoy |
1985 |
Plan Dufoix |
1986 |
Plan Séguin |
1988 |
Plan Evin |
1991 |
Plan Bianco |
1993 |
Plan Veil |
Les lois
de financement obligent le Gouvernement, dans le contexte difficile que
connaissent les finances sociales, à présenter chaque
année devant le Parlement un plan de financement, c'est-à-dire
les mesures ayant un effet sur les comptes sociaux dans un texte unique, devant
la représentation nationale.
Les commissions des comptes de la sécurité sociale doivent se
tenir dans les délais impartis (entre le 15 avril et le 15 juin pour
celle de printemps, au cours du mois de septembre pour celle d'automne).
Ces lois de financement, reposant sur des données votées, peuvent
ensuite faire l'objet d'un contrôle. La Cour des comptes consacre son
rapport sur la sécurité sociale à l'application de la loi,
ce qui permet au Parlement de disposer de sources incontestables. L'application
de la loi de financement pour 1997 a montré que des objectifs de
dépenses -sans être limitatifs- pouvaient être tenus.
Comme le soulignait M. Alain Juppé devant le Congrès du
Parlement, le 19 février 1996 :
"
Permettre au Parlement de se prononcer chaque année sur le
financement de la sécurité sociale est à la fois une
nécessité démocratique et la condition de l'instauration
d'un équilibre durable de notre système de protection sociale...
Pour construire ce nouvel équilibre, il est essentiel que le Parlement
puisse voter chaque année une loi de financement de la
sécurité sociale
".
Les trois premières lois de financement de la sécurité
sociale restent ainsi marquées par leur caractère de " plan
de redressement ", ajusté chaque année.
L'effet des lois de financement contribuera peut-être un jour à
assurer cet "
équilibre durable "
qu'appelait de ses
voeux M. Alain Juppé.
La " vitesse de croisière " sera alors atteinte, ce qui aura
pour effet l'apparition de nouvelles problématiques.
2. Un large consensus
Les
débats parlementaires sur la révision constitutionnelle et la loi
organique montrent que l'opposition d'alors fondait son vote négatif sur
l'ensemble du plan Juppé. Toutes les forces politiques se sont
déclarées en accord avec le principe général
d'étendre les pouvoirs du Parlement en matière sociale.
La contestation des lois de financement de la sécurité sociale
s'articulait en 1996 autour de trois arguments :
- les lois de financement ne peuvent pas être des lois de finances
ou des budgets sociaux ;
- le Parlement risque de " servir d'alibi " à la
politique gouvernementale en matière de sécurité
sociale ;
- le risque d'étatisation de la sécurité sociale est
consacré par les lois de financement.
Le balancement circonspect du texte de la motion présentée par
Charles Metzinger et les membres du groupe socialiste du Sénat, tendant
à opposer la question préalable sur le projet de loi organique
(2
ème
lecture, 19 juin 1996) est tout à fait
intéressant :
" Les auteurs de cette motion, bien que favorables à l'extension
des pouvoirs du Parlement en matière de sécurité sociale,
estiment qu'il n'y a pas lieu de délibérer de ce texte notamment
parce qu'il s'inscrit dans le cadre d'une réforme générale
de la sécurité sociale qu'ils combattent et parce qu'il est la
traduction de la révision constitutionnelle du 22 février 1996
à laquelle ils se sont opposés. "
15(
*
)
Les débats sur le dernier projet de loi de financement de la
sécurité sociale montrent toutefois, à l'évidence,
qu'un consensus s'est désormais formé sur l'utilité des
lois de financement.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité,
déclarait ainsi, le 27 octobre 1998, devant l'Assemblée
nationale
16(
*
)
:
" Nous avons besoin d'un vrai débat. Il est donc légitime
que l'avenir de la protection sociale fasse l'objet d'un débat
démocratique, il le mérite "
.
Les oppositions les plus déterminées aux lois de financement se
sont tues. Ainsi, la confédération syndicale Force
Ouvrière non seulement ne demande pas la suppression de cet instrument,
mais propose un renforcement de l'intervention du Parlement, par la tenue d'un
débat d'orientation au printemps.
17(
*
)
Les auditions menées par le groupe de travail rendent compte de
l'assentiment des acteurs de la loi de financement. Responsables des caisses,
techniciens, membres de la Cour des comptes, tous s'accordent à
reconnaître que les lois de financement constituent un
" progrès indubitable "
(M. Bernard Caron) ou
" considérable "
(M. Raoul Briet) et à
souligner les
" effets positifs de ces lois sur la conduite de l'action
publique "
(M. Jean-Paul Probst). Les lois de financement
permettent un débat politique, national et annuel dont
" la
qualité s'améliore "
(M. Jean-Marie Spaeth).
3. Trois écueils évités
Les lois
de financement ont su éviter trois écueils qui les
menaçaient pourtant directement.
Le premier d'entre eux concernait
" le risque d'étatisation
de la sécurité sociale "
et un recul
démocratique.
En fait, les partenaires sociaux,
" la démocratie
sociale ",
se trouvent renforcés par les conventions
d'objectifs de gestion, qui consacrent le passage d'une gestion sous tutelle
à une gestion partenariale,
" grâce à laquelle les
partenaires sociaux disposent de responsabilités et d'une marge de
manoeuvre accrues "
18(
*
)
.
Le renforcement de la démocratie politique permet ainsi de mieux
refonder la démocratie sociale.
Le second de ces écueils aurait pu être celui d'un conflit des
lois de financement et des lois de finances.
Fondées sur les mêmes hypothèses macro-économiques,
préparées très en amont selon une coordination très
satisfaisante entre direction de la sécurité sociale et direction
du budget et de la prévision, ces lois ne présentent pas de
contradiction majeure. Il est ainsi particulièrement essentiel que ces
deux lois de finances publiques soient examinées par le Parlement
à l'automne.
Le troisième de ces écueils, concernant directement les
parlementaires, aurait pu tenir à un calendrier impossible, tenant
à la discussion simultanée des deux projets de loi.
Les échéances fixées par la loi organique
Articles
LO. 111-6 et LO. 111-7 du code de la sécurité sociale.
LO. 111-6
- Le projet de loi de financement de la sécurité
sociale de l'année, y compris le rapport et les annexes
mentionnés aux I et II de l'article LO. 111-4, est déposé
sur le bureau de l'Assemblée nationale au plus tard le 15 octobre ou, si
cette date est un jour férié, le premier jour ouvrable qui suit.
LO. 111-7 -
L'Assemblée nationale doit se prononcer, en
première lecture, dans le délai de vingt jours après le
dépôt d'un projet de loi de financement de la
sécurité sociale.
Le Sénat doit se prononcer, en première lecture, dans un
délai de quinze jours après avoir été saisi.
Si l'Assemblée nationale n'a pas émis un vote en première
lecture sur l'ensemble du projet de loi de financement de la
sécurité sociale dans le délai prévu à
l'article 47-1 de la Constitution, le Gouvernement saisit le Sénat du
texte qu'il a initialement présenté, modifié, le cas
échéant, par les amendements votés par l'Assemblée
nationale et acceptés par lui. Le Sénat doit alors se prononcer
dans un délai de quinze jours après avoir été saisi.
Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur
l'ensemble du projet dans le délai imparti, le Gouvernement saisit
à nouveau l'Assemblée nationale du texte soumis au Sénat,
modifié, le cas échéant, par les amendements votés
par le Sénat et acceptés par lui.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est
ensuite examiné selon la procédure d'urgence dans les conditions
prévues à l'article 45 de la Constitution.
En donnant aux commissions des Affaires sociales des deux assemblées la
compétence de fond, tout en laissant aux commissions des Finances le
soin de rapporter pour avis, la discussion des lois de financement a pu
toujours se dérouler dans les délais prescrits par la
Constitution et par la loi organique, sans que les débats sur les lois
de finances en aient pâti.
Les commissions parlementaires et les lois de financement
La
commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de
l'Assemblée nationale a divisé, depuis la discussion du projet de
loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, son rapport
en quatre tomes :
- Recettes et équilibre général (M. Alfred Recours) ;
- Assurance maladie et accidents du travail (M. Claude Evin) ;
- Assurance vieillesse (M. Denis Jacquat) ;
- Famille (Mme Dominique Gillot).
La commission des Affaires sociales du Sénat a retenu une organisation
qui n'a pas été modifiée depuis le premier projet de
loi :
- Equilibres financiers généraux et assurance maladie (M. Charles
Descours) ;
- Famille (M. Jacques Machet) ;
- Assurance vieillesse (M. Alain Vasselle) ;
- Examen des articles (M. Charles Descours).
Sans aller jusqu'à l'organisation retenue par les commissions des
finances pour l'examen du budget, force est de noter une similitude entre le
rapporteur " équilibre général " de la loi de
financement et le rapporteur général des lois de finances.
Calendrier parlementaire des lois de financement de la sécurité sociale
Dispositions constitutionnelles ou organiques |
Projet de loi de financement pour 1997 |
Projet de loi de financement pour 1998 |
Projet de loi de financement pour 1999 |
•
Dépôt du projet de loi, y compris le rapport et les annexes, au
plus tard le 15 octobre ou, si cette date est un jour férié,
le premier jour ouvrable qui suit
|
Dépôt du projet de loi le mercredi 9 octobre 1996
(projet mis en distribution le jeudi 10 octobre 1996)
|
Dépôt le mercredi 8 octobre 1997 (projet mis en
distribution le mercredi 15 octobre 1997)
|
Dépôt le mercredi 7 octobre 1998
|
• L'Assemblée nationale doit se prononcer en 1 ère lecture dans le délai de 20 jours après le dépôt |
Discussion à l'Assemblée nationale les 29, 30 et
31 octobre 1996
|
Discussion à l'Assemblée nationale les 27, 28,
29, 30
et 31 octobre 1997
|
Discussion à l'Assemblée nationale les 27, 28,
29 et
30 octobre 1998
|
• Le Sénat doit se prononcer en 1 ère lecture dans un délai de 15 jours après avoir été saisi |
Dépôt Sénat rattaché à la
séance du 5 novembre 1996 (projet mis en distribution le vendredi 8
novembre 1996)
|
Dépôt Sénat rattaché à la
séance du mercredi 5 novembre 1997
|
Dépôt Sénat rattaché à la
séance du mercredi 4 novembre 1998
|
• Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de 50 jours, les dispositions du projet peuvent être mises en oeuvre par ordonnance |
Lecture
des conclusions de la CMP le 28 novembre 1996 dans les deux assemblées
|
Nouvelle
lecture à l'Assemblée nationale le mardi 25 novembre 1997
|
Nouvelle
lecture à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1998 et le
1
er
décembre 1998
|
Au Sénat, cette discussion a lieu avant l'examen en séance publique du projet de loi de finances ; à l'Assemblée nationale, la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances est interrompue pour faire place à la discussion de la loi de financement. De fait, les délais dont dispose l'Assemblée nationale par rapport au Sénat pour débattre du budget (quarante jours contre quinze jours) permettent une telle interruption.
*
*
*
En trois
ans, la discussion des lois de financement de la sécurité sociale
est devenue un rendez-vous important des acteurs de la protection sociale et un
moment fort de la vie parlementaire. La nécessité de ce
débat et son cadre sont désormais acceptés par tous.
A ce titre, la réforme constitutionnelle et organique de 1996 se
révèle être un plein succès. Mais elle est
également un bouleversement dont on ne mesure probablement pas encore
toutes les implications.
Des habitudes anciennes demeurent ; les procédures et les
institutions ne se sont pas encore pleinement adaptées à ce
nouveau contexte.
L'instrument lui-même, tel qu'il a été
élaboré par la loi organique, et " testé "
pendant trois ans, est perfectible.