II. LES LOIS DE FINANCEMENT : UN INSTRUMENT PERFECTIBLE
A. UN LIEN DISTENDU AVEC LES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE DE SANTÉ ET DE SÉCURITÉ SOCIALE
Le législateur organique de 1996 a été soucieux de ne pas réduire la loi de financement à une simple juxtaposition de chiffres, en prévoyant l'adoption d'un rapport annexé, amendable par les parlementaires.
1. Le rapport annexé ne remplit pas sa fonction
a) Un texte d'une qualité décevante
Le
premier alinéa du I de l'article LO. 111-3 du code de la
sécurité sociale constitue, en quelque sorte, le " volet
qualitatif " des lois de financement.
" Chaque année, la loi de financement de la
sécurité sociale : 1° Approuve les orientations de
la politique de santé et de sécurité sociale et les
objectifs qui déterminent les conditions générales de
l'équilibre financier de la sécurité sociale "
.
Le I de l'article LO. 111-4 précise que
" le projet de
loi de financement de la sécurité sociale est accompagné
d'un rapport présentant les orientations de la politique de santé
et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent
les conditions générales de l'équilibre financier de la
sécurité sociale "
.
Il résulte implicitement de ces deux articles de la loi organique que le
rapport fait l'objet d'un vote par le Parlement, qui dès lors dispose,
en bonne logique, d'un pouvoir d'amendement.
Il est à noter que, sur ce point, la conception de l'Assemblée
nationale a prévalu, le Sénat ayant souhaité, lors de la
première lecture de la loi organique, que le rapport reste une annexe,
à l'image du rapport annexé au projet de loi de finances (article
32 de l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959).
Le mécanisme d'un rapport annexé, amendable par les
parlementaires, n'est pas une innovation des lois de financement. La loi du
29 juillet 1982 portant réforme de la planification a ainsi
prévu que la première loi de planification comporterait
l'approbation d'un rapport préparé par le Gouvernement et
indiquant les domaines dans lesquels il est recommandé que s'engagent
des négociations entre partenaires sociaux et économiques en
fonction des objectifs définis.
La loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 a
également permis l'approbation d'un rapport figurant en annexe. Le
Conseil d'Etat a jugé, dans sa décision
" Confédération nationale des groupes autonomes de
l'enseignement " du 2 mai 1990, que ce rapport avait une valeur
législative.
Mais, pour la première fois, le mécanisme d'un rapport
annexé, amendé par les parlementaires, devenait annuel.
M. André Fanton, rapporteur de la commission spéciale sur le
projet de loi organique, justifiait ainsi un tel rapport
19(
*
)
:
" En effet, si l'on
supprime le débat sur la politique de santé, on en revient
à ce que nous n'avons pas voulu, à ce que le Parlement n'a pas
voulu, y compris dans la réforme de la Constitution, c'est-à-dire
que le débat sur la sécurité sociale soit uniquement un
débat de comptables. Nous avons beaucoup insisté pour qu'il y ait
un débat sur la politique de santé, lequel débat, pour
avoir une valeur autre que littéraire, devrait avoir des
conséquences juridiques. Nous avons donc proposé un débat
complet, assorti du droit d'amendement sur un rapport concernant la politique
de santé, à l'image de ce qui est fait pour les lois de
planification. "
Dès octobre 1996, à l'occasion de la discussion de la
première loi de financement, M. Bruno Bourg-Broc, rapporteur au nom de
la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de
l'Assemblée nationale, se montrait critique :
" Le document annexé au présent projet par le
Gouvernement est assez décevant. Il se présente davantage comme
un " exposé des motifs ", voire comme une note technique que
comme un rapport devant présenter clairement des
" orientations ". On y trouve actuellement mêlées des
données sanitaires, économiques, démographiques et
sociales, qui trouveraient mieux leur place dans un exposé des motifs,
voire dans une annexe que dans un rapport soumis au débat et susceptible
d'être amendé. Devant faire corps avec le texte de loi, le
présent rapport doit être, en quelque sorte, l'explication des
données chiffrées du projet de loi, qui en constituent la
traduction financière "
20(
*
)
.
M. Georges Sarre, député de Paris, expliquait, le 25 juin 1997,
que ce rapport était
" imprécis "
et
" imprécatoire "
21(
*
)
.
Cette première impression est confirmée par la lecture
a
posteriori
des trois premiers rapports annexés.
Le rapport annexé est à la fois :
- un exposé des motifs des dispositions du projet de loi ;
- un rappel des priorités de santé publique ;
- une succession de déclarations d'intention ;
- une expression d'engagements de la part du Gouvernement.
L'Assemblée nationale consacre pourtant une longue discussion aux
amendements sur le rapport annexé ; un nombre non
négligeable de ces amendements est d'ailleurs adopté
22(
*
)
.
Ainsi, le rapport annexé finit par regrouper les dispositions qui ne
peuvent ou que le Gouvernement ne souhaite pas voir figurer dans le corps
même du projet de loi : annonce de projets de loi ultérieurs
assortis d'engagement de délais quant à leur dépôt
(
cf. encadré ci-dessous
), annonce d'abrogation de loi
votée (
idem
) ou encore, engagement d'étudier telle ou
telle mesure souvent d'ordre réglementaire.
Il joue ainsi le rôle d'un exutoire pour des dispositions qui,
dépourvues de portée normative, permettent au Gouvernement,
souvent à bon compte, de donner des apaisements au Parlement.
Le rapport annexé à la loi de financement pour 1997,
adopté par l'ancienne majorité parlementaire, constitue un cas
particulier. Les engagements qu'il comportait ne pouvaient lier en effet le
nouveau Gouvernement.
Mais les rapports 1998 et 1999 montrent que ces engagements ne sont pas
toujours tenus :
Les " engagements " des rapports annexés : morceaux choisis
Rapport
annexé à la loi de financement pour 1998
" Le Gouvernement s'engage à accélérer la
révision de la nomenclature "
" Le Gouvernement définira un cadre qui permette au dispositif de
la formation médicale continue de fonctionner correctement en
répondant aux impératifs de qualité, d'adéquation,
de transparence qui, seuls, peuvent garantir son efficacité et son
adéquation aux objectifs généraux de la politique de
santé "
Rapport annexé à la loi de financement pour 1999
La réforme des cotisations patronales :
" Le Gouvernement
souhaite engager une telle réforme. (...) La concertation avec les
organisations d'employeurs et de salariés sera poursuivie en vue de
fixer les orientations et les modalités précises avec l'objectif
d'aboutir à un projet de loi
au
premier semestre
1999
"
La couverture maladie universelle :
" Le Gouvernement
déposera un projet de loi
au cours de l'automne 1998
"
" Le Gouvernement s'engage en 1999 à définir une
véritable politique de gériatrie et de gérontologie
s'appuyant sur la formation de l'ensemble des personnels de santé et sur
la coordination des acteurs intervenant dans le soin des personnes
âgées ".
Les infections nosocomiales
:
" Le Gouvernement s'engage
à présenter au Parlement un programme de lutte contre les
infections nosocomiales dès le début de l'année
1999 "
L'épargne retraite :
" La loi n° 97-277 du 25
mars 1997 créant les plans d'épargne retraite ne constitue pas
une bonne solution pour l'avenir de notre système de retraite. (...) En
conséquence, le Gouvernement proposera au Parlement en 1999,
dès qu'un support législatif le permettra
, l'abrogation de
cette loi. "
Les engagements figurant dans le rapport annexé ne valent ni plus ni
moins qu'une déclaration consignée au Journal officiel des
débats parlementaires.
Certains engagements sont rapidement périmés. Ainsi, l'engagement
de déposer le projet de loi portant création d'une couverture
maladie universelle "
au cours de l'automne
" pouvait
être rangé au nombre des engagements non tenus dès avant la
promulgation de la loi (23 décembre 1998) ; le projet n'a, du
reste, été déposé que le 3 mars 1999.
Il est fâcheux que l'acte législatif soit ainsi
dévalorisé. Car, si les engagements non tenus sont légion
et les lois privées d'application nombreuses, il est rare que la cause
soit entendue avant même la publication de la loi au Journal officiel.
Dès lors, il n'est guère étonnant que la discussion du
rapport annexé ait montré, dès le troisième
exercice, des signes d'essoufflement.
La
discussion du rapport annexé : un exercice fastidieux
(le cas de
l'Assemblée nationale)
|
PLFSS 1997 |
PLFSS 1998 |
PLFSS 1999 |
Débat général sur le rapport annexé en première lecture (en pages de J.O.) |
6 |
2,5 |
0,5 |
Nombre d'amendements au rapport annexé déposés en première lecture |
|
|
|
Discussion des amendements au rapport annexé (en pages de J.O.) |
|
|
|
La
discussion du rapport annexé au Sénat est beaucoup plus rapide,
en raison notamment, en 1997 et en 1998, de l'adoption d'un amendement unique
de la commission des Affaires sociales, procédant à la
réécriture du texte proposé.
La nature du rapport annexé a conduit l'Assemblée nationale
à adapter sa procédure d'examen.
Dès lors que son contenu s'apparente à une forme d'exposé
des motifs du projet de loi, le débat général dont le
rapport faisait l'objet est apparu redondant par rapport à la discussion
générale du projet de loi lui-même. Seuls deux orateurs se
sont exprimés avant l'examen des amendements au rapport annexé
lors de la discussion du projet de loi de financement pour 1999.
De même, il est apparu nécessaire de réserver la discussion
et le vote du rapport (annexé traditionnellement à l'article
premier des projets de loi de financement) jusqu'à la fin de l'examen
des articles.
Cette démarche n'est pas contestable dès lors qu'il serait
absurde de voter en bloc les exposés des motifs avant d'aborder dans le
détail les articles correspondants.
Il en résulte toutefois -et cette évolution se poursuivra
probablement- un désintérêt progressif pour une discussion
renvoyée à la fin des débats, à une heure souvent
tardive où chacun a hâte d'en finir
23(
*
)
.
En outre, cet ordre de discussion souligne, s'il en était besoin, que
le rapport annexé ne comporte pas les grandes orientations susceptibles
d'éclairer la discussion des articles mais résume et commente ces
derniers.
On observera enfin que ce rapport annexé, intitulé initialement
" rapport du Gouvernement ", est désormais un rapport sans
auteur depuis la discussion par le Sénat en première lecture du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
1998.
b) Une absence de portée normative
Une
décision récente du Conseil d'Etat, l'arrêt
" Rouquette " du 5 mars 1999, est venue jeter à bas ce
qu'il restait de l'édifice ou du moins devrait conduire les
parlementaires à douter du bien-fondé des amendements qu'ils
souhaitent apporter au rapport annexé.
Le Conseil a en effet considéré que "
les orientations et
les objectifs présentés par le rapport accompagnant la loi de
financement de la sécurité sociale ne sont pas revêtus de
la portée normative qui s'attache aux dispositions de
celle-ci "
.
Les requérants soutenaient que le décret du
26 février 1998 relatif aux allocations familiales
méconnaissait le rapport annexé de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998. En effet, le rapport mentionnait
implicitement un revenu net supérieur à 25.000 francs, alors
que le décret fixe comme plafond un revenu net mensuel de 18.000 francs.
La décision de la Haute juridiction administrative n'allait pas de soi.
On en voudra pour preuve la lecture des conclusions du commissaire du
Gouvernement.
En effet, ce dernier avait affirmé la " valeur
législative " incontestable du rapport annexé, publié
au Journal officiel à la suite de la loi de financement. Il proposait
que
" l'appréciation de la partie normative des rapports
annexés aux lois de financement "
soit
" avant tout une
affaire d'espèce "
. Il indiquait qu'aucune disposition de la
Constitution ne conduisait à considérer que le caractère
normatif est défini par le vote de dispositions par article.
Faisant observer que le rapport était allé au-delà de ce
que prévoyait la loi organique et contenait des dispositions
extrêmement précises, le commissaire du Gouvernement
ajoutait :
" Il ne nous semble pas sain que le Gouvernement puisse
faire figurer des dispositions extrêmement précises dans un
rapport soumis à l'approbation du Parlement, puis soutenir qu'elles
n'ont pas pour effet de le lier juridiquement "
.
Le Conseil d'Etat, qui n'a pas suivi sur ce point le commissaire du
Gouvernement, a consacré l'absence de portée normative de
dispositions longuement débattues et amendées par le
Parlement.
Il reste qu'il est ainsi paradoxal que la commission mixte paritaire statuant
sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 1999 ait échoué sur le
rapport annexé à l'article premier, c'est-à-dire sur un
dispositif sans valeur normative.
Cette situation n'avait pas échappé au rapporteur de la
commission mixte pour le Sénat qui avait demandé, sans
succès, la réserve du rapport annexé selon la
procédure qui avait été suivie en première lecture
tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.
En quelque sorte, plus un dispositif normatif sera consensuel, plus le rapport
annexé risquera, en contrepartie, d'être " durci " par
quelque engagement ou déclarations emblématiques, à usage
interne de la majorité gouvernementale, rendant impossible un accord en
commission mixte paritaire. Cette situation, jointe à l'urgence qui
s'applique de droit aux projets de loi de financement, est préoccupante
pour le bon fonctionnement du bicamérisme.
2. Les orientations de santé publique n'ont pas trouvé leur place dans les lois de financement
Les ordonnances de 1996 ont créé en matière de santé publique un nouvel organisme, la conférence nationale de santé, qui s'ajoute au Haut comité de la santé publique. Une " chaîne vertueuse ", où chacun trouvait sa place, était ainsi prévue : le Haut comité, " instance d'experts ", élabore un rapport annuel, transmis à la conférence nationale de santé et au Parlement. La conférence nationale de santé, préparée par des conférences régionales, regroupe les " professionnels " et retient des orientations de santé publique. Ces orientations se retrouvent ensuite dans le contenu des lois de financement. Ainsi, la décision politique est préparée très en amont.
Composition du Haut comité de la santé
publique
et de la conférence nationale de santé
Le
Haut comité de la santé publique
, créé par
le décret du 3 décembre 1991, est placé auprès du
ministre chargé de la santé. Il est composé de 6 membres
de droit et de 20 membres nommés par arrêté en raison
de leur compétence dans le domaine de la santé.
Les six membres de droit sont :
- le directeur général de la santé ;
- le directeur des Hôpitaux ;
- le directeur de la Sécurité sociale ;
- le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs
salariés ;
- le directeur général de l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale ;
- le directeur de l'Ecole nationale de santé publique.
La
conférence nationale de santé
est composée de
soixante-dix-huit membres nommés par arrêté du ministre
chargé de la santé. Elle réunit :
- Trente-huit membres représentant les professionnels, institutions
et établissements de santé, dont dix-neuf représentants
des professionnels de santé exerçant à titre
libéral, désignés sur proposition du Centre national des
professions de santé et dix-neuf représentants des institutions
et établissements publics et privés de santé et des
professionnels qui y exercent ;
- Vingt-six membres représentant chacune des conférences
régionales de santé, désignés, après avis du
préfet de région, parmi les participants à la
conférence régionale, à l'exception des personnes qui
produisent, offrent ou délivrent des biens ou des services
médicaux donnant lieu à prise en charge par l'assurance
maladie ;
- Quatorze personnalités qualifiées.
Au vu de trois années de lois de financement, il semble que le
schéma prévu fonctionne difficilement.
Premièrement, il apparaît difficilement envisageable que le
rapport du Haut comité soit annuel, de même que celui de la
conférence nationale de santé. Le Haut comité avait rendu
un rapport de très grande qualité en 1994 sur la santé des
Français. Un bilan 1994-1998 a été publié à
la fin de l'année dernière. La coordination entre le Haut
comité et la conférence nationale a été
établie de manière pragmatique, par un partage des travaux
" dans l'air du temps "
, selon l'expression de M. Gilles
Brucker. Il apparaît ainsi que la conférence nationale de
santé a pu aller au-delà de son rôle, en se lançant
dans un travail d'expertise.
Les
missions du Haut comité de la santé publique
et de la
conférence nationale de santé
Le Haut comité de la santé publique
" Le Haut Comité de la santé publique
(HCSP)
apporte au ministre chargé de la santé des éléments
d'aide à la décision sur des problèmes de santé
publique ou d'organisation des soins.
Il développe l'observation et établit, sous forme de rapport, des
bilans réguliers de l'état de santé de la population ; il
contribue à la définition des objectifs de la politique de
santé.
Consulté sur des questions spécifiques, le HCSP constitue des
groupes de travail temporaires dont le mandat est d'établir un
état de la question et de formuler des propositions, sous forme d'avis.
Ces recommandations participent à l'élaboration de mesures
législatives et réglementaires.
Il fait des propositions pour le renforcement des actions de prévention,
en particulier dans le domaine de l'information et de l'éducation du
public en matière de santé.
Dans le cadre des ordonnances du 24 avril 1996 relatives à la
réforme de la protection sociale, le HCSP établit un rapport
annuel destiné à la conférence nationale de santé
et au Parlement. ".
La
conférence nationale de santé
Article L.766 du code de la
santé publique (ordonnances du 24 avril 1996)
"
Le ministre chargé de la santé
réunit
chaque année une conférence nationale de santé. Cette
conférence a notamment pour objet :
a) d'analyser les données relatives à la situation sanitaire
de la population ainsi que l'évolution des besoins de santé de
celle-ci ;
b) de proposer les priorités de la politique de santé
publique et des orientations pour la prise en charge des soins compte tenu de
l'évolution des techniques préventives, diagnostiques et
thérapeutiques.(...)
La conférence nationale de santé est destinataire d'un rapport du
Haut comité de la santé publique ; elle fait appel, en tant que
de besoin, aux services, organismes et personnes compétents en
matière de santé ; elle consulte les organismes qui assurent le
remboursement des dépenses de soins.
Ses analyses et propositions font l'objet d'un rapport au Gouvernement dont il
est tenu compte pour l'élaboration du projet de loi de financement de la
sécurité sociale. Les rapports du Haut comité de la
santé publique et de la conférence nationale de santé sont
transmis au Parlement.
Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions
d'application du présent article.
Deuxièmement, le calendrier suivi ne permet pas de suivre la
chaîne prévue (experts, professionnels, politiques). La
conférence nationale de santé se réunit de manière
trop tardive pour influer significativement sur le contenu du projet de loi de
financement. Les dix orientations de santé publique retenues par la
première conférence nationale de santé ont
été ainsi rajoutées au rapport annexé de la
première loi de financement,
in extremis
, par l'Assemblée
nationale en première lecture. Les trois premières lois de
financement montrent, toutefois, une évolution significative.
Les réunions de la conférence nationale de santé
Préparation du projet de loi de financement 1997 :
1
er
, 2 et 3 septembre 1996
Préparation du projet de loi de financement 1998 : 30 juin,
1
er
et 2 juillet 1997
Préparation du projet de loi de financement 1999 : 22, 23 et 24
juin 1998
M. François de Paillerets, président de la Conférence
nationale de santé, a indiqué au groupe de travail son souhait de
réunir à l'avenir la conférence dans le courant du mois de
mars, ce qui laisserait à la Direction Générale de la
Santé la possibilité de tenir réellement compte des
travaux de la conférence nationale afin de proposer des dispositifs
normatifs dans le corps même du texte de loi.
Comme les réunions du Haut comité sont liées directement
à la réunion de la conférence nationale, puisque les
professionnels doivent "
s'approprier
", selon le mot de M.
Gilles Brucker, les travaux d'experts, il serait nécessaire que ces
réunions aient lieu dès les mois de janvier-février.
Même si le rapport annexé tient compte des travaux du Haut
comité et de la conférence nationale de santé, son absence
de portée normative limite fortement l'intérêt de telles
dispositions. Dans le même temps, l'intégration de dispositions
dans le corps même du projet de loi se heurte au dispositif
d'irrecevabilité retenu par le législateur organique. En effet,
" les orientations de santé publique "
ont rarement une
incidence financière directe, immédiate et conséquente sur
les comptes des régimes d'assurance maladie.
En sens inverse, ces orientations peuvent mobiliser des crédits
budgétaires en lois de finances.
Les membres de la conférence nationale de santé et du Haut
comité de la santé publique, auditionnés par le groupe de
travail, ont reconnu la difficulté d'une articulation entre leurs
travaux et les lois de financement.
L'adjonction d'un nouvel
" acteur "
avec
les Etats
généraux de la santé, a tendance, de surcroît,
à
" brouiller le schéma "
.
3. La multiplication de grands débats extérieurs aux lois de financement brouille leur contenu
Alors même que se mettait en place le cadre d'un débat annuel au Parlement et qu'il était demandé à ce dernier d'examiner les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, le Gouvernement n'a eu de cesse de multiplier les forums réunissant les experts et/ou le grand public.
a) Les Etats généraux de la santé
La
juxtaposition des travaux du Haut comité de la santé publique, de
la conférence nationale de santé et du Parlement n'est pas
apparue suffisante, d'où la création des Etats
généraux de la santé. Annoncés par la
déclaration de politique générale de M. Lionel Jospin, le
19 mai 1997, ces Etats généraux ont vu leur
" démarche " présentée par une communication en
conseil des ministres le 13 mai 1998. Il s'agit d'une
" multitude de
réunions auxquelles chacun peut participer, plutôt qu'une grande
messe "
, selon l'expression utilisée par le communiqué
de presse du secrétariat d'Etat à la santé du
28 janvier 1999.
L'articulation des travaux du Haut comité de santé publique, de
la conférence nationale de santé avec les Etats
généraux de la santé apparaît difficile à
définir
24(
*
)
. Les
conférences régionales de santé ont été
annulées en 1999, tandis que la réunion de la conférence
nationale de santé pour 1999 est suspendue à la conclusion des
Etats généraux de la santé.
b) La conférence nationale de la famille
La
conférence nationale de la famille a été instituée
par l'article 41 de la loi n° 94-624 du 25 juillet 1994 relative
à la famille qui prévoit que
" le Gouvernement organise
chaque année une conférence nationale de la famille à
laquelle il convie le mouvement familial et les organismes
qualifiés "
.
La première conférence s'est réunie le 6 mai 1996,
à Matignon, sous l'égide du Premier ministre, M. Alain
Juppé.
Elle a été suivie par la mise en place de cinq groupes de travail
chargés d'examiner l'ensemble des problèmes des familles et
d'entreprendre une réflexion approfondie sur la politique familiale. La
coordination de ces travaux a été confiée à un
comité de pilotage présidé par Mme Hélène
Gisserot, procureur général près la Cour des comptes. Ces
cinq ateliers ont travaillé de juin à novembre 1996 et ont
réuni quelque 500 experts et responsables associatifs à de
nombreuses auditions. Le résultat a été la remise en
février 1997 d'un rapport, dénommé rapport Gisserot.
La seconde conférence s'est réunie le 17 mars 1997. Ses
orientations n'ont pas été retenues par le nouveau Gouvernement,
qui a annoncé la mise sous condition de ressources des allocations
familiales.
La troisième conférence de la famille a été tenue
le 25 juin 1998. La loi de financement de la sécurité sociale
pour 1999 a ainsi entériné les décisions annoncées
lors de la conférence nationale de la famille, à savoir le retour
à l'universalité des allocations familiales, mais
également le décalage de la majoration d'âge des
allocations, mesure défavorable de 870 millions de francs pour les
familles.
Le Gouvernement considère volontiers que ces décisions, qui ont
été
présentées
lors de la conférence
nationale de la famille, ont été
décidées
par la conférence, ce qui n'est pas exact, la conférence n'ayant
en elle-même aucun pouvoir de décision. Mme Martine Aubry
indiquait ainsi devant l'Assemblée nationale, le 27 octobre 1998 :
" Notre politique familiale présentée à la
conférence de la famille a reçu un large accord parce qu'elle a
été préalablement débattue et discutée avec
les syndicats et les associations familiales "
. Toute discussion ou
contestation parlementaire apparaît ainsi contradictoire avec les travaux
de la réunion de la conférence nationale de la famille.
c) La mission sur les retraites
La
mission confiée au commissariat général du Plan, dite
mission Charpin, a permis un diagnostic complet, sans être
" partagé "
, s'appuyant sur les
précédentes analyses dégagées par les nombreux
rapports qui se sont succédé depuis le Livre blanc de 1991.
Force est de constater que la méthode suivie sur la réforme des
retraites a pour effet de ne pas associer le Parlement dans le processus de
réflexion.
Pour votre rapporteur, il ne s'agit pas de méconnaître la
très grande qualité des travaux d'experts et de concertation
réalisés tant au sein de la conférence nationale de la
famille que du Haut comité de la santé publique ou encore du
commissariat général du Plan.
Mais il apparaît que cette expertise sert ensuite le Gouvernement
à justifier des décisions politiques, qui sont, en fait, peu ou
mal débattues. Pourtant,
il existe un cadre juridique annuel qui
devrait permettre l'expression de ce débat : les lois de
financement de la sécurité sociale.
4. La crainte d'une dérive vers le DMOS n'est pas tout à fait écartée
Contrairement aux deux premières lois de financement, la
troisième loi de financement suscite un certain nombre de craintes
relatives à une
" dérive "
de cet
instrument le rapprochant d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre
social (DMOS).
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a évolué sur
" le domaine protégé " des loi de financement.
La décision n° 96-379 DC du 16 juillet 1996 sur la loi
organique indiquait que "
les dispositions
[des lois de
financement]
devaient concerner les conditions générales de
l'équilibre financier "
.
Ce considérant du Conseil constitutionnel semblait écarter qu'une
disposition ponctuelle, ayant une incidence financière mineure sur un
des régimes sociaux, puisse être présente en loi de
financement.
La décision n° 96-384 DC du 15 décembre 1996 sur la loi
de financement pour 1997 a marqué
" une première
inflexion "
25(
*
)
.
Des dispositions relatives à la contribution sociale
généralisée (assiette, taux et modalités du
recouvrement de la CSG) pouvaient être introduites dans la loi de
financement malgré leur caractère très technique, car
chacune d'elles avait un effet
" direct "
et
" significatif "
sur l'équilibre financier de la
sécurité sociale (ce qui est incontestable pour l'assiette et le
taux) ou était
" le complément
nécessaire "
de mesures qui ont un tel effet (ce qui
apparaît relever du bon sens pour les modalités de recouvrement).
Troisième étape, la décision n° 97-393 du 18
décembre 1997 sur la loi de financement pour 1998 recourt au seul
critère de l'incidence financière " significative ".
Une disposition fixant rétroactivement la base mensuelle des allocations
familiales (BMAF) et validant ainsi des actes administratifs annulés par
le Conseil d'Etat apparaît ainsi régulière
" eu
égard à l'exigence constitutionnelle qui s'attache à
l'équilibre financier de la sécurité sociale et compte
tenu des sommes en jeu "
.
Néanmoins, le Conseil constitutionnel n'a guère les moyens
d'exercer un contrôle sur les évaluations fournies par le
Gouvernement. De toute manière, fixer une séparation entre le
" significatif " et le " non significatif " apparaît
difficile.
Cette jurisprudence autorise l'introduction dans les lois de financement de la
sécurité sociale de toute norme ayant une incidence
financière, même mineure, sur l'équilibre des
régimes. Est-ce pour autant le véritable " danger " qui
guette les lois de financement ? Si "
le spectre du DMOS est loin
d'être écarté "
26(
*
)
, c'est bien davantage du fait
d'articles n'ayant aucune incidence financière sur l'équilibre
des régimes de sécurité sociale.
La présence d'articles étrangers au domaine des lois de
financement dans le corps du texte même du projet de loi semble pouvoir
être évitée, à partir du moment où le
Gouvernement suit l'avis du Conseil d'Etat. En revanche, il dispose de la
possibilité d'amender.
Dispositions de la loi de financement pour
1999
apparemment
étrangères au domaine des lois de financement
Disposition |
Objet |
Article 16 III (introduit par amendement en première lecture à l'Assemblée nationale)) |
Pérennisation du congé de fin d'activité au-delà du 31 décembre 2000 |
Article 21 (disposition originelle du texte) |
Création d'un système national d'informations inter-régimes |
Article 28 II (introduit par amendement en première lecture à l'Assemblée nationale) |
Fourniture d'un devis par les dentistes |
article 41 (introduit par amendement en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale) |
Allocation de cessation anticipée d'activité pour les travailleurs de l'amiante |
Le
Conseil constitutionnel estime qu'il ne peut être
" directement
saisi de la conformité d'une disposition de la loi de financement de la
sécurité sociale à l'article L.O. 111-3 lorsque cette
disposition est issue d'un amendement dont la question de la
recevabilité n'a pas été soulevée selon la
procédure prévue par le règlement de celle des
assemblées du Parlement devant laquelle cet amendement a
été déposé, dès lors que les parlementaires
qui soulèvent un tel grief appartiennent à cette
assemblée "
(décision n° 98-404 DC du
18 décembre 1998). Cette jurisprudence s'applique tant aux
amendements d'origine parlementaire qu'aux amendements d'origine
gouvernementale. Or, comme le notent MM. Gilles Arathoon et Simon Corley,
" les contrôles de recevabilité ne s'appliquent en
pratique qu'aux amendements des parlementaires, pas à ceux du
Gouvernement, pour d'évidentes raisons d'équilibre politique,
mais aussi dans la logique institutionnelle de la
V
ème
République "
27(
*
)
.
Dès lors, il existe un " trou " dans le dispositif :
" l'appartenance au champ des lois de financement des amendements du
Gouvernement n'est contrôlée ni par les instances parlementaires,
ni par le Conseil en l'absence d'une contestation préalable (de
l'opposition) en séance publique "
28(
*
)
.
Force est d'ailleurs de constater que cette jurisprudence va au-delà des
décisions sur les deux premières lois de financement. En effet,
la formulation de la décision n° 96-384 DC du 19
décembre 1996 et de la décision n°97-393 DC du 18
décembre 1997 était différente :
" le Conseil
constitutionnel ne peut être directement saisi de la conformité
d'une disposition d'une loi de financement de la sécurité sociale
à l'article L.O. 111-3 précité lorsque cette disposition
est issue d'un amendement dont la question de la recevabilité n'a pas
été préalablement soulevée devant le
Parlement "
. Cette formulation laissait à penser que des
députés pouvaient fort bien contester une disposition, même
si elle n'avait pas été contestée à
l'Assemblée nationale, pourvu qu'elle ait été
évoquée au Sénat. Depuis la décision
n° 98-404 DC, cette possibilité n'existe plus.
L'absence d'inscription à l'ordre du jour parlementaire d'un DMOS depuis
avril 1996 joue incontestablement un rôle ; le Gouvernement est
soumis à une " pression " pour proposer des dispositions par
voie d'amendements aux projets de loi de financement, et
bénéficier ainsi de la procédure d'urgence.