B. DES ATOUTS DIFFUS MAIS RÉELS

Les analyses les plus récentes des ressorts de l'investissement international soulignent le rôle des facteurs diffus dans ce qu'il est convenu d'appeler " l'attractivité " du territoire national. Le commerce de l'art ne fait pas exception à la règle.

1. Une tradition de curiosité, un pays "grenier de l'Europe"

Si la France est la patrie des chineurs, et des " petits " collectionneurs, c'est pour des raisons historiques bien précises qui trouvent leur origine dans les brassages résultant de la tourmente révolutionnaire et une division des patrimoines, qui, avec le temps, ont fait perdre leur " identité " à un grand nombre d'oeuvres. La France est plus que les autres pays une terre de découvertes qui en font le marché le plus excitant pour les amateurs.

a) Le trop petit monde des amateurs

L'importance de la France dans le microcosme des collectionneurs internationaux n'est pas proportionnelle au pouvoir d'achat de ses collectionneurs.

(1) Plus d'amateurs que de gros collectionneurs

Les grands collectionneurs qui font l'activité des deux grandes maisons anglo-saxonnes sont couramment évalués à moins de mille personnes, tous secteurs confondus ; selon d'autres sources et avec toutes les approximations que comporte ce genre d'évaluation, il n'y en aurait en France qu'une cinquantaine, qui soient en mesure d'acheter plusieurs oeuvres par an de niveau international.

En revanche, les amateurs y sont, semble-t-il, nombreux, bien que les avis divergent sur ce point : tandis que les uns déplorent comme l'a fait devant le rapporteur, M. Pierre Rosenberg, président directeur du Musée du Louvre, que le " vice " de la collection soit peu répandu en France, d'autres sont plus optimistes.

L'exposition " Passions privées " organisée en 1995 au Musée d'art moderne de la ville de Paris témoigne de la vitalité du collectionnisme. Les organisateurs de l'exposition ont visité 300 " vraies collections à Paris surtout mais aussi en province pour n'en retenir presqu'une centaine. Il est vrai que la France ne " possède pas de ces collectionneurs leaders d'art contemporain du type Panza (Italie) ou encore Ludwig (Allemagne)....Elle possède par contre - et cette exposition en témoigne - beaucoup de collectionneurs avisés, exigeants et intrépides, y compris dans les expressions contemporaines les plus chaudes, symptôme d'une attitude neuve de dynamisme et d'ouverture qui va dans le sens d'une internationalisation affirmée . "

Plus que dans tout autre pays, plus encore que l'Angleterre même, la France est un pays de collectionneurs, comme le signalaient, non sans une certaine raillerie, les frères Goncourt dans leur journal, à la date du 7 décembre 1958 : " la collection est entrée complètement dans les habitudes et les distractions du peuple français. C'est une vulgarisation de la propriété de l'oeuvre d'art ou d'industrie réservée dans les siècles précédents aux Musées aux grands seigneurs, aux artistes ". Les deux frères, qui se disaient eux-mêmes atteints de " collectionnite " aiguë et de " bricabracomanie ", représentent l'archétype des ces collectionneurs pas toujours fortunés qui font la richesse et l'intérêt de beaucoup de collections publiques françaises.

La collection n'est pas dans notre pays toujours le fait de l'argent. L'histoire de l'art regorge d'exemple de ces collectionneurs balzaciens à la manière du cousin Pons, écumant les brocanteurs pour y dénicher le chef d'oeuvre : Magnin - conseiller à la cour des comptes à la pingrerie légendaire - ou plus lointainement le docteur Lacaze qui pouvait aussi bien dépenser 16 000 francs or pour le Gilles de Watteau que quelques louis pour la bohémienne de Franz Hals.

La tradition est conservée, notamment en matière de dessins anciens ; elle montre que la notoriété de certains collectionneurs français dépasse largement la valeur monétaire de leur collection ; de même, le goût des amateurs français est bien souvent à l'avant-garde comme le montre l'exemple de certaines écoles du début du XIX e siècle, dont on vient de voir brutalement la cote exploser à New-York, alors qu'elles sont depuis longtemps recherchées en France.

(2) Les sociétés d'amis entre la loi des grands et des petits nombres

Il n'en reste pas moins que par rapport à d'autres pays, la France ne bénéficie pas pour ses musées d'un soutien de riches " trustees ", analogue à celui dont bénéficient les musées étrangers. Il suffit pour s'en rendre compte de regarder la composition des conseils d'administration des associations d'amis des musées pour constater que les hommes d'affaires n'y sont pas légions par rapport aux " capacités ".

Beaucoup d'efforts ont été déployés par les associations pour attirer du mécénat d'entreprises et des hommes d'affaires. Mais leurs résultats limités traduisent, à quelques exceptions tout à fait remarquables, un intérêt plus faible qu'ailleurs des milieux d'affaires pour les Beaux-arts.

A côté des associations à caractère presque confidentiel comme l'association des Amis du Musée national d'art moderne - 1 millions de francs de budget et moins de 400 membres - ou celle des amis d'Orsay, il faut faire une place à art au succès exceptionnel de la société des amis du Louvre qui a su bénéficier à plein de l'effet " Grand Louvre " et qui compte aujourd'hui plus de 30 000 membres .

Si ce succès témoigne d'un réel intérêt pour l'art dans une fraction croissante de la population, s'il permet de mobiliser des ressources croissantes en faveur du budget d'acquisition, il ne faut pas se faire trop d'illusion. Il y a là le résultat d'une conjonction d'intérêts :

- de celui des adhérents qui bénéficient à la fois de l'entrée gratuite ainsi que de divers autres avantages selon le niveau de la cotisation, et d'avantages fiscaux ;

- de celui des musées qui trouvent le moyen de commercialiser ce qui peut s'analyser comme des abonnements, tout en gardant le produit des ventes pour des acquisitions qui peuvent être faites dans des conditions avantageuses pour le musée.

Les conservateurs ne peuvent que trouver commode un système qui leur permet de faire choisir les oeuvres dans des conditions de souplesse particulièrement utiles, notamment quand il faut se décider rapidement pour acheter en ventes, et qui les fait échapper pour ces recettes indirectes aux prélèvement de la Réunion des musées nationaux.

Ainsi même si le rapporteur reconnaît le rôle essentiel de ces associations auprès des musées, il doit bien reconnaître que, à bien des égards, elles fonctionnent comme des démembrements de l'État, menant une action d'intérêt public grâce aux privilèges que celui-ci leur confère. On note que la puissance des amis du Louvre par rapport à celle des amis d'Orsay vient en bonne partie de ce que l'administration du musée n'a pas cherché à commercialiser une carte " blanche " donnant l'accès gratuit illimité comme celle du Musée d'Orsay.

Par ailleurs, il faut souligner en ce qui concerne la société des amis du Louvre qu'elle joue également le rôle d'associations d'usager, en relayant auprès des autorités des musées les observations des adhérents sur le fonctionnement de l'institution, même si dans la pratique ces derniers influent peu ou pas sur la composition des instances dirigeantes - par l'effet notamment de l'absence de limitation du nombre de pouvoirs pouvant être détenus par la même personne.

Bref, on est assez loin d'un système anglo-saxon fondé à la fois sur la place éminente des " trustees " et où le rôle des associations d'amis est avant tout de mobiliser des " volonteers " qui viennent suppléer le manque de personnel permanent.

b) Un gisement convoité

La France ne serait pas ce pays de chineurs, si le marché de l'art n'y était pas plus propice que partout ailleurs à ce type d'activité. Le patrimoine privé français est riche, certes ; mais ce qui le distingue de celui de l'Angleterre ou de l'Italie, à certains égards aussi abondant, c'est qu'il n'est pas concentré dans un petit nombre de collections aristocratiques. De cette dilution, de cet éparpillement, il résulte que les objets sont le plus souvent perdus de vue et qu'ils peuvent réapparaître à tout moment. C'est un marché " imprévisible ", comme l'a qualifié le président directeur du Louvre.

Il suffit pour s'en convaincre de lire ou d'entendre des experts marchands raconter leur surprise, quand, dans les endroits les plus improbables, ils découvrent des chefs d'oeuvres, tel un carton de tapisserie de Jules Romain placé au plafond à la manière d'un plafond peint ; quand les fonctionnaires en charge de la commission des "trésors nationaux" voient surgir des Greuze sortis de nulle part, absolument inconnus des conservateurs ; quand les amateurs et les professionnels voient apparaître dans des ventes sans catalogues à l'Hôtel Drouot des Poussin ou des Georges de la Tour. L'Hôtel Drouot, il peut s'y passer tous les jours quelque chose, c'est un peu les puces au coeur de Paris.

Effectivement, l'Hôtel Drouot, au-delà de son désordre légendaire, est une sorte de caverne d'Alibaba, où chacun amateur ou marchand espère trouver l'occasion unique. Ceux-ci échappent parfois à l'oeil fatigué des experts mais extrêmement rarement à ceux des marchands, " brocs " ou amateurs, qui arpentent la salle des ventes : il est fréquent que des lots partis à quelques milliers voire quelques centaines de francs finissent leur course à des montants qui se comptent en centaines de milliers de francs : ainsi, en 1997, a-ton vu un tableau catalogué être mis à prix 20 000 francs - pour une estimation de 40 à 50 000 francs,- et finir à plus d'1,2 million de francs. L'oeuvre, d'un artiste italien absent des collections françaises, est aujourd'hui à Kansas City - . Ainsi, le marché rectifie-t-il presque toujours les erreurs des experts. Ce qui est le signe que, la compétence tendant à devenir de plus en plus répandue, la chasse aux objets est de plus en plus difficile...

Les avis divergent sur l'importance des réserves . Tandis que certains pensent que celles-ci s'épuisent, d'autres estiment qu'elles restent considérables.

Les deux grandes maisons de vente anglo-saxonnes alimentent largement leurs ventes avec des oeuvres en provenance de France : une bonne partie - sans doute autour du tiers , d'après les informations communiquées au rapporteur - des lots de la dernière vente de tableaux anciens de Sotheby's New-York en janvier dernier proviendrait de France .

On comprend que les deux entreprises anglo-saxonnes, qui, non sans raison se présentent parfois comme " les premières études de France ", souhaitent s'installer en France tout autant pour trouver des objets et pour entrer en contact avec de nouveaux clients que d'être présent sur un marché précurseur en matière d'évolution du goût .

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