2. Dynamiser les structures
Dans notre pays, on ne fait vraiment confiance ni au marché qui doit être encadré, ni au consommateur qui, estimé incapable de se défendre, doit être protégé par l'État.
a) La réforme des ventes publiques : trop tard et trop peu ?
On ne
manque pas de remarquer, en France, la permanence de la volonté de fixer
dans la loi ce qui se trouve ailleurs, en particulier, dans le monde
anglo-saxon, dans les contrats ou la jurisprudence.
Bref, on préfère la réglementation à
l'autorégulation.
Question de culture.
(1) Un libéralisme bien tempéré
On
permet, enfin, à ce qui avait cessé d'être une
activité libérale, de devenir une activité commerciale
dans ses moyens d'actions - liberté de tarification, accès
à la publicité - comme dans son mode de financement.
Mais, en n'osant pas faire de la vente aux enchères une activité
comme les autres, on continue d'imposer aux commissaires-priseurs
français des contraintes, au nom de la protection des consommateurs,
notamment, qui ne favorisent pas leur compétitivité dans un
marché désormais mondial.
Le processus de libéralisation ainsi entrepris, reste bien
tempéré par la volonté, très française, de
normaliser les pratiques des entreprises afin de prévenir
d'éventuels abus, dont leurs clients pourraient être les victimes.
Cette tentation de vouloir faire mieux que le modèle libéral
anglo-saxon est d'autant plus forte, que les commissaires-priseurs
français se sont longtemps prévalus et se prévalent encore
des garanties supérieures qu'ils apportent tant à l'acheteur
qu'au vendeur.
(2) La nécessité d'une autorité de marché
La
multiplicité des opérateurs rend nécessaire une
réglementation plus stricte que dans un régime d'oligopole.
De ce point de vue, l'intervention de l'État n'est pas simplement une
nouvelle manifestation de l'exception française mais
une
nécessité qui correspond à la structure d'un
marché, qui restera moins concentré
, en dépit de
l'arrivée des grandes maisons des ventes anglo-saxonnes. C'est bien le
cas de l'expertise pour lequel le régime de liberté à
l'anglo-saxonne n'est pas adapté à la structure du marché
français.
Le marché a besoin de règles ; il suppose parfois, lorsqu'il
s'applique à des biens ou des services très spécifiques,
une autorité de régulation. Mais, dès lors que l'on met
précisément en place ce type de structure, il semble inutile,
même si cette instance n'a pas le statut d'autorité
indépendante, de prévoir une réglementation trop
tatillonne.
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères a des
compétences en matière d'accès au marché et de
discipline ; lui confier une mission de surveillance
générale - des conditions et pratiques commerciales - en ferait
une autorité de marché,
comme il en existe dans d'autres
domaines, dont le pouvoir se fonderait moins sur la coercition que sur la
persuasion.
De simples observations, éventuellement rassemblées dans un
rapport annuel, suffiraient à entretenir la vigilance des acteurs, dans
des domaines où ce n'est bien souvent qu'a posteriori, en fonction des
circonstances, qu'il est possible de déceler des pratiques contestables.
S'il convient donc de
ne pas céder à la tentation
réglementaire
et de
faire confiance aux opérateurs
, ce
qui constitue le meilleur moyen de stimuler les initiatives et donc la
compétitivité du marché français, il faut aussi
stimuler leurs réflexes d'autodiscipline
, au moyen d'une instance
de régulation adaptée dans ses moyens comme dans ses missions.
A cet égard, il est important de souligner le rôle que pourrait
jouer le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères
publiques, comme support de concertation avec les professionnels du
marché de l'art, qu'il s'agisse des vendeurs aux enchères, des
experts ou des marchands.
Bien qu'aucun chiffre ne soit disponible, on a toutes les raisons de croire
qu'entre un tiers et la moitié de la clientèle des ventes
publiques, est constitué de professionnels, à l'achat comme
à la vente.
(3) Le besoin d'une instance de concertation
La
fonction de régulation
au sens économique des ventes aux
enchères d'oeuvres d'art
est assurée par les marchands
,
petits ou grands. Ceux-ci doivent donc être associés au
fonctionnement et à la régulation, juridique cette fois, des
ventes aux enchères.
Il est important, à cet égard, que la composition et le mode
dedésignation des membres du conseil des ventes volontaires de meubles
aux enchères publiques soient adaptés à cette
fonction
de concertation
et fasse en conséquence toute leur place aux
professionnels. Il ne semble d'ailleurs pas nécessaire que l'on se sente
lié par un principe de paritarisme, dès lors que la
présence d'un commissaire du gouvernement et la mise en place d'une
procédure d'appel assure la prise en compte de l'intérêt
public.
Bien qu'elle soit actuellement assurée
de facto
par
l'Observatoire des mouvements internationaux d'oeuvres d'art, par delà
les compétences d'analyse statistique, dont il est officiellement
investi, la concertation gagnerait sans doute à être
organisée dans un cadre plus institutionnel.
Garder nos atouts, tout en prenant ce qu'il y a de meilleur à
l'étranger, tel est manifestement le principe de la réforme.
La question est de savoir si cette ambition est réaliste et si les
nouvelles règles du jeu sont de nature à restaurer la
compétitivité des opérateurs et du marché de l'art
français en général.
b) L'accompagnement de la modernisation et la préservation de l'Hôtel Drouot
Les commissaires-priseurs doivent, en effet, non seulement être dédommagés de la perte d'un monopole, mais encore encouragés à faire face au choc d'une concurrence annoncée.
(1) Les mesures fiscales de neutralisation des effets fiscaux du passage au statut commercial
Or, de
ce point de vue, le projet de loi soumis au Parlement, par son silence sur le
statut fiscal des nouvelles sociétés, laisse le code des
impôts s'appliquer dans toute sa rigueur, alors même que
le
changement de statut est contraint et non choisi
.
La restructuration à laquelle vont être contraints les
commissaires-priseurs, devrait pouvoir être mise en oeuvre dans un
cadre fiscal neutre
, quelles que soient les structures d'exercice.
Il n'est pas normal
, alors même que l'on entend par ailleurs -
à en juger par certains propos tenus par le ministre de la culture -
favoriser le développement du marché de l'art,
que l'on puisse
faire supporter à des agents économiques le coût fiscal des
transformations juridiques qu'on leur impose.
Que l'on envisage un apport de l'activité de vente volontaire de ces
sociétés à des sociétés commerciales
nouvelles ou une scission des sociétés existantes, le coût,
tant en matière d'imposition des plus-values qu'en matière de
droits d'enregistrement, pourrait s'avérer particulièrement
lourd, et ceci alors qu'il ne sera dégagé aucune liquidité
pour s'acquitter des impositions exigibles.
Il est donc indispensable que des régimes équivalents soient mis
en place à ceux dont bénéficient les entreprises
individuelles pour permettre la restructuration des SCP et des
sociétés d'exercice libéral qui ne seraient pas soumises
à l'impôt sur les sociétés, au sein desquelles sont
exercées conjointement une activité volontaire et judiciaire.
Tel est l'objet d'une série d'amendements que l'auteur du présent
rapport a présenté et défendu au nom de la commission des
finances pour le passage en première lecture au Sénat.
(2) Le cas de l'Hôtel Drouot
L'unicité de lieu de vente à Paris est une
pratique
coutumière très ancienne consacrée par un arrêt de
la Cour de cassation du 3 novembre 1982. Elle entraîne pour les
commissaires-priseurs l'obligation d'exercer leur ministère à
l'Hôtel Drouot ou dans un certain nombre de lieux
déterminés, sauf à en faire agréer d'autres par la
chambre de discipline
72(
*
)
.
Les ventes à Paris sont organisées au coeur d'un dispositif
comprenant une société civile immobilière (SCI), une
société anonyme et les offices de commissaires-priseurs.
- La SCI, propriété des seuls commissaires-priseurs en exercice
possède les lieux de vente suivants : Hôtel des ventes
(Drouot-Richelieu), Drouot-Nord, Drouot-Véhicules (deux sites)
loués à Drouot SA. Pour les ventes de prestige, la SCI loue
à Drouot SA, les locaux correspondant à l'appellation
"Drouot-Montaigne", dont la Caisse des dépôts et consignations est
propriétaire.
Chaque office parisien est titulaire d'une part de la SCI.
La société anonyme, Drouot SA, propriété de la
seule Compagnie des commissaires-priseurs de Paris, assure la logistique des
ventes. Les recettes d'exploitation proviennent de la location des salles,
calculée d'une part, forfaitairement en fonction de la surface
louée et d'autre part, proportionnellement en fonction du montant des
ventes. Outre la gestion de la salle des ventes, Drouot SA regroupe SA Drouot -
Estimation, qui procède à des estimations gratuites, SEPSVEP, qui
assure la distribution des catalogues des ventes ; la gazette de
l'Hôtel Drouot, hebdomadaire des ventes publiques tiré à 65
000 exemplaires, le moniteur des ventes, bi-hebdomadaire d'annonces des ventes
aux enchères tiré à 20 000 exemplaires, dispositif
complété par la création d'un site Internet
73(
*
)
.
C'est donc à ce niveau que se situe une des sources les plus importantes
de plus-values pour les commissaires-priseurs parisiens, qui devraient y
trouver les moyens de financer leur transformation en sociétés
commerciale, si l'État ne prélève pas l'essentiel des
sommes qu'ils pourraient récupérer au titre de l'impôt sur
les plus-values.
Les mécanismes fiscaux proposés par le rapporteur en
qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances du
Sénat, tendent à favoriser le réemploi de leur
indemnité et de mettre en place un mécanisme de report
d'imposition des plus-values en cas comme il en existe d'autres exemples dans
le code général des impôts.
Le dispositif est non seulement juste, car on n'a pas à faire subir
les conséquences fiscales de restructuration imposée par la loi,
mais encore efficaces sur le plan économique dans la mesure où il
s'agit d'une aide au réinvestissement.
L'hôtel Drouot est un outil sans équivalent par le brassage
d'objets et de personnes. Sa richesse tient, pour une bonne part, à ce
mélange des genres, ce joyeux désordre, aux antipodes des
vacations aseptisées à l'anglo-saxonne. Un certain nombre de
professionnels en font une structure dépassée ; d'autres y
voient encore une formidable " machine à vendre ", des
" puces " en plein coeur de Paris, où il se passe toujours
quelque chose ...Le marché tranchera ; mais il ne faudrait pas que
l'outil soit condamné du fait de l'application d'une fiscalité
inadaptée à un cas unique.
(3) La suppression de la taxe
Le
rapporteur a, dans un souci de cohérence, aussi proposé de
supprimer la taxe prévue dans le projet de loi portant
réglementation des ventes volontaires de meubles.
Effectivement, la taxe est apparue juridiquement contestable,
financièrement inutile et économiquement nuisible à la
relance du marché de l'art dans notre pays :
•
Juridiquement contestable
, en ce sens que si on comprend bien
que la modernisation d'un secteur soit financée par les clients dans une
logique qui sous-tend beaucoup de taxes parafiscales, il ne s'agit plus pour
l'État dans le dispositif actuel que de racheter un droit qu'il a vendu
et c'est plutôt au budget général d'assumer une charge de
cette nature ;
•
financièrement inutile
, techniquement, parce que les
crédits ont déjà été inscrits et sont
soustraits à l'annualité budgétaire ;
budgétairement, on peut souligner que la hausse des tarifs qui va suivre
la mise en place du nouveau régime - les commissaires-priseurs allant
probablement s'aligner sur les tarifs des deux majors anglo-saxonnes, 15 %
jusqu'à 300 000 francs et 10 % au-delà, par rapport aux 9 %
du tarif réglementaire actuel -, va dégager des recettes
supplémentaires pour l'État
74(
*
)
•
économiquement inopportune
, si l'on souhaite relancer le
marché de l'art, soit que la taxe vienne en plus des frais "acheteur",
soit que, et c'est le plus probable, la taxe soit prise sur les marges des
commissaires-priseurs et ne compromette leur rentabilité et donc
n'obère les moyens dont ils ont besoin pour mener une politique
concurrentielle notamment du point de vue des frais vendeurs...
Enfin, pour le rapporteur, cette taxe d'un faible rendement - et qui viendrait
grossir les rangs de ces petites taxes récemment dénoncées
par un rapport de l'inspection des finances sur le coût de perception de
l'impôt.