4. Les structures
Le principal handicap de la France, c'est d'avoir sur un marché prospecté de fait par les maisons de vente anglo-saxonnes, des structures éclatées, tant pour les commissaires que pour les experts.
a) Ventes publiques : un secteur atomisé
Le
secteur des ventes publiques en France est resté longtemps figé
dans l'attente d'une réforme, qui n'en finissait pas d'être sans
cesse annoncée et toujours reportée.
Une évolution des structures n'est perceptible que pour trois
régions : Paris, l'Île-de-France et la région
Rhône-Alpes.
Sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée de la loi du 31 décembre 1990
Bien
que, très tôt, le statut d'officier ministériel ait
été perçu, par nombre d'observateurs, comme un carcan, on
a longtemps cru que l'on pouvait se contenter d'aménagements
limités des règles d'exercice de la profession, et, notamment,
qu'il suffisait de trouver des statuts permettant de lever des capitaux.
La profession apparaît victime, en définitive, de la confortable
protection que lui assurait un monopole légal, que, dans l'ensemble,
elle a plus cherché à prolonger qu'à faire évoluer.
Une fois de plus, un privilège s'est progressivement transformé
en handicap.
b) Les difficultés inhérentes à l'expertise indépendante
Le
système français d'expertise est à l'image de celui des
ventes aux enchères particulièrement éclaté.
L'expertise en ventes publiques est, avant tout, conçue comme une
activité libérale que les nécessités
matérielles conduisent à conjuguer avec des opérations de
commerce ou de courtage
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*
)
.
L'expertise a longtemps été un des handicaps des ventes publiques
françaises, même si aujourd'hui on trouve à Paris, nombre
d'experts de classe internationale.
En revanche, c'est le point fort des grandes maisons de vente aux
enchères qui font appel à des experts salariés.
On a vu lorsque l'on a évoqué les raisons de l'ascension des
grandes maisons de vente anglo-saxonnes, qu'une des innovations introduites par
les britanniques, avant même la seconde guerre mondiale, est d'avoir eu
recours à des experts, historiens d'art.
Les compétences de ces experts salariés ne reposent pas seulement
sur une vaste documentation - qui aujourd'hui s'est
généralisée -, mais surtout peuvent s'appuyer sur tout un
réseau de correspondants, universitaires ou conservateurs de
musées - à l'étranger du moins.
Dans un régime de marché atomisé comme celui du
marché français des ventes aux enchères, il est logique,
compte tenu de la faible taille des études, que se soit mis en place un
système d'expertise indépendante.
On peut même considérer qu'un tel système pourrait
s'inscrire dans la logique d'externalisation des activités que l'on
constate dans beaucoup de domaines.
Il est, de surcroît, tout à fait défendable de
considérer avec M. Claude Blaizot, président du syndicat
national des antiquaires et de la compagnie nationale des experts, qu'un expert
indépendant est naturellement plus libre qu'un expert salarié qui
peut être soumis aux pressions de son employeur.
Mais, force est de constater qu'on se trouve confronté à deux
contradictions :
• la dispersion du marché de l'expertise entre de nombreux
opérateurs et, partant, l'insuffisante rémunération des
experts, qui n'ont d'autre choix pour que leur entreprise soit viable, que
d'avoir des activités de compléments : la plupart sont aussi
marchands, ce qui peut créer des conflits d'intérêts, sinon
dans les faits, du moins dans l'esprit de leurs clients ; mais les autres
peuvent se livrer à des opérations de courtage ou être
rémunérés en tant qu'apporteurs d'affaires ;
• la nécessité de garantir une certaine fiabilité
pour le consommateur, a conduit la profession à se regrouper dans des
conditions qui ne sont pas exemptes de reproches du point de vue du respect des
règles de concurrence.
Les experts sont regroupés autour de quatre chambres principales :
• la Compagnie nationale des experts spécialisés en livres,
antiquités, tableaux et curiosités ; fondée en 1972,
elle regroupait 147 adhérents en 1992 et 141 en 1996, pour la
plupart implantés à Paris, exerçant les métiers de
libraires et d'antiquaires.
• la chambre nationale des experts spécialisés en objets
d'art et de collection ; fondée en 1967, elle regroupait en 1992
111 experts et 80 stagiaires, contre 115 et 85 en 1996, principalement des
antiquaires, répartis dans toute la France ;
• le Syndicat français des experts professionnels en oeuvres
d'art et objets de collection ; fondé en 1945, il regroupait en
1992, environ 120 membres actifs et, en 1996, 125 implantés
essentiellement en région parisienne, qui exerceraient leur
activité, " notamment dans les ventes publiques et dans les
expertises judiciaires " mais qui pourraient également
" être commerçants "
• l'Union française des experts spécialisés en
antiquités et objets d'art ; fondée à la fin des
années 1970, cette instance comptait en 1992 150 membres
implantés dans toute la France et en 1996, 95, qui seraient de
profession très variées : commerçants,
commissaires-priseurs et même des collectionneurs et amateurs d'art ;
Les deux premiers groupements cités sont habilités à
proposer des candidatures aux fonctions d'assesseurs à la commission de
conciliation et d'expertise douanière. Par ailleurs, les trois
premières organisations se sont regroupées dans une organisation
ouverte à des organisations étrangères
dénommée Confédération européenne des
experts d'art.
La décision du Conseil de la concurrence n° 98-D-81 du
21 décembre 1998 démontre les contradictions entre le souci
d'assurer le respect des règles de concurrence et celui de
protéger le consommateur
.
Sur une saisine en date du 24 juin 1993, la décision a abouti à
condamner les quatre organisations précitées à une amende
dont le montant est égal pour l'ensemble à 286 000 francs.
Sans rentrer dans le détail de cette décision, on peut faire
remarquer que, si la cooptation n'a pas été jugée en
elle-même anticoncurrentielle, elle peut "
lorsqu'elle est
associée à d'autres dispositions telles que le parrainage et la
dispense de motivation des refus avoir pour effet de limiter le jeu de la
concurrence entre les experts
. ". De même, la diffusion de
barèmes d'honoraires qui pourrait paraître une façon de
protéger le consommateur contre certains abus - dès lors que les
quatre organisations n'appliquent pas les mêmes tarifs -, a
été considérée comme allant à l'encontre
d'un fonctionnement normal du marché dans la mesure où cela
pourrait avoir pour effet de " détourner les entreprises d'une
appréhension directe de leurs coûts ". En définitive,
le conseil de la concurrence n'a pas jugé que les dispositions
incriminées - qui, outre celles déjà citées,
comprenaient notamment l'échange d'informations relatives aux refus de
candidatures ou d'admission - contribuaient suffisamment à la
qualité des prestations offertes au consommateur pour que " les
restrictions à l'exercice et donc à l'offre d'expertise "
soient justifiées.
Mais, fondamentalement, la profession d'experts est libre. Le titre n'est pas
protégé, n'importe qui peut se prétendre expert. Il est en
conséquence extrêmement délicat d'évaluer leur
nombre. Par ailleurs, leurs spécialités sont multiples et
variées.
Même si cette situation n'est pas pleinement satisfaisante, le projet de
loi portant réglementation des ventes volontaires de meubles
n'établit aucun monopole des experts agréés
. Comme
c'est le cas aujourd'hui, les sociétés de vente pourront toujours
recourir à des experts qui ne sont pas agréés par le
conseil des ventes.
Le conseil des ventes se contente d'établir la liste des experts
agréés auxquels peuvent avoir recours les sociétés
de vente, les huissiers de justice, les notaires et les commissaires-priseurs
judiciaires. Il veille à la régularité de
l'activité de ces professionnels et réprime les manquements
constatés.
En fait, et l'approche semble raisonnable dans son principe, le projet de loi
met en place un régime de liberté surveillée, assorti d'un
système de " labellisation " destiné à
protéger le consommateur : l'établissement de cette liste
sera, pour le vendeur comme pour l'adjudicataire, une garantie de
compétence de l'expert dans la spécialité dans laquelle il
est inscrit.
Enfin, on peut se demander si l'obligation d'assurance imposée pour des
raisons a priori légitimes pour garantir la sécurité des
transactions ne risque pas d'être difficile à mettre en
oeuvre ? Cette question est d'autant plus importante que l'on assiste en
France à la
multiplication des affaires mettant en cause la
responsabilité des experts.
Or, le problème est que la rémunération des experts -
3 % pour les ventes publiques/ 1 % pour les estimations privées
- est
bien modeste au regard de la responsabilité encourue.
Les auteurs du projet ne contestent pas que l'obligation d'assurance -
responsabilité civile - pour les experts est une contrainte. En effet,
si l'expert ne peut justifier d'une police d'assurance, sa demande
d'agrément sera rejetée, mais ils ont jugé cette
contrainte nécessaire pour des raisons de protection du consommateur.
Pour eux, le projet de loi ne fait que généraliser une pratique
largement répandue dans ce secteur d'activité.
On doit souligner que la responsabilité de l'expert est encore accrue
dans la mesure où la solidarité avec l'organisateur de la vente,
supprimée en 1985 serait rétablie. Dès lors, quand
l'expert a commis une faute, la responsabilité de l'organisateur de la
vente est engagée, sans qu'il y ait besoin de prouver sa faute.
Tandis que nous imposons une obligation d'assurance - qui va peser sur les
coûts et donc sur la compétitivité -, les anglo-saxons font
confiance au droit commun et au soin apporté par les grandes entreprises
à la préservation de leur image qui les conduira à couvrir
les fautes de leurs experts.
On voit, ici, une nouvelle manifestation de cette volonté de trouver une
solution " à la française ", où l'on cherche
à substituer des garanties institutionnelles à des garanties
offertes par le marché.