N°
330
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 29 avril 1999
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les aspects fiscaux et budgétaires d'une politique de relance du marché de l'art en France ,
Par M.
Yann GAILLARD,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Arts et spectacles. |
"Cette oeuvre, que j'avais vendue 500 francs",
maugréa
Degas en apprenant que ses "Danseuses à la barre" venaient d'être
adjugées, en cet après-midi de 1912 à l'hôtel
Drouot, pour 430.000 francs. Il ajouta : "Je ne crois pas que celui qui a peint
ce tableau soit un sot, mais ce dont je suis certain, c'est que, celui qui l'a
acquis est un con."
Maurice Rheims - Les collectionneurs
Lettre de Degas à Ludovic Halevy
"Tu vois que malgré cette fétide chaleur et la lune pleine, je ne
puis quitter ce sombre atelier où m'attachent l'amour et la gloire"
Septembre 1895
INTRODUCTION
Quelle
importance attacher au marché de l'art ? Au-delà du
retentissement des grandes ventes, des ressauts de la cote, des
déclarations et polémiques savantes, ce qu'on appelle LE
" marché de l'art ", a-t-il une dimension économique
suffisante pour retenir durablement l'attention des pouvoirs publics
?
Combien d'entreprises, combien d'emplois, combien de milliards
? Ou,
s'il faut dépasser cette vue terre à terre, s'agissant d'une
activité qui touche aux plus hautes productions de l'esprit humain, et
singulièrement du génie français, comment traduire en
décisions pratiques cette valeur reconnue aux symboles ?
Toute réflexion sur le marché de l'art
en France
-" Mère des arts " -
doit éviter deux écueils
symétriques
: une
approche par trop réaliste
,
qui conduit à
l'indifférence
, voire au
laisser-faire ; une
exaltation esthétique qui peut conduire
,
au nom du prestige,
à conférer une importance
exagérée
au marché de l'art, eu égard à
d'autres urgences, plus générales ou plus pressantes, qui
requièrent l'attention du pays, et l'allocation des moyens
budgétaires.
L'attention renouvelée que la France apporte au fonctionnement de son
marché de l'art -dont témoigne modestement le présent
rapport d'information- est due à deux événements :
l'un juridique, l'autre psychologique. Le premier, c'est l'obligation dans
laquelle notre pays s'est trouvé, de par les règles de la
concurrence à l'intérieur de l'Union européenne, de mettre
fin au monopole de commissaires-priseurs. Le second, c'est la
prise de
conscience
-que la longue maturation de ce texte n'a fait
qu'approfondir-
d'un fait hélas ! regrettable
:
notre
marché de l'art
,
jadis glorieux
, voire le premier du monde,
s'est depuis un
demi-siècle affaissé
, et Paris a fortement
reculé par rapport à Londres, sans même parler de New-York.
Faut-il pour autant sonner le tocsin ? Nombre de spécialistes et de
professionnels éminents le pensent. Encore faut-il pouvoir proposer des
mesures politiquement réalistes (en interne et sur le plan
européen). Il ne suffit pas d'affirmer, par exemple, que la
fiscalité ou la parafiscalité européenne doivent s'aligner
sur les pratiques anglo-saxonnes, pour que cette prise de position, gratifiante
sur le plan intellectuel, puisse déboucher sur des décisions
effectives, si lourds sont les facteurs de blocage, politiques,
économiques, diplomatiques.
Il convient donc
,
de se frayer un chemin à égale
distance des deux
tentations
qu'on vient d'évoquer ; de
prendre son parti avec réalisme
des dommages historiques
, sans
doute irréversibles, subis par notre marché de l'art ;
mais de définir
pour celui-ci une
vocation
et un
créneau " tenables ", compte tenu de la
spécificité des différents segments de ce marché,
et de la position plus ou moins favorable qui reste celle de notre pays (forte
pour le mobilier XVIII
ème
, moins forte déjà
pour les grands impressionnistes et les classiques de l'art moderne, faible
pour l'art contemporain) ; défendre becs et ongles la
3
ème
position, qui est celle de la place de Paris, en
veillant à ne pas laisser accroître exagérément la
distance qui la sépare de celle de Londres, sachant que New-York est
désormais hors d'atteinte. Dans la définition d'une telle
politique, le texte qui vient devant le Parlement sur la réforme du
marché de l'art et les ventes volontaires joue un rôle central
mais non exclusif. Non moins importants, sont les problèmes fiscaux et
parafiscaux :
pour les deux questions-clés, TVA à
l'importation et droit de suite, c'est à Bruxelles que la partie se
dispute
, et, compte tenu de la détermination britannique à
conserver son avantage relatif, elle est loin d'être gagnée.
Une telle ligne est difficile à définir, plus encore à
maintenir compte tenu de la multiplicité des catégories
professionnelles, aux intérêts souvent contradictoires, qui
animent ce marché de l'art (commissaires-priseurs, auctioneers,
marchands, experts, galeristes - sans oublier les artistes eux-mêmes et
leurs ayants-droit). Elle ne peut, en outre, se complaire dans la contemplation
du fonctionnement interne du marché de l'art lui-même, car il ne
faut pas oublier ce à quoi, en principe, il sert, ou que, du moins, il
ne doit pas desservir : la protection du patrimoine national, et le
développement de la création artistique sur notre sol.
Il convient enfin de signaler une difficulté :
le marché
de l'art en France
est mal connu
, faute d'enquêtes
statistiques analogues à celles auxquelles les professionnels
britanniques procèdent (que résume cette année " The
british art market ").
Ce n'est qu'un indice de plus de notre trop long
laisser-aller
. Cette lacune est dommageable : si elle n'était
pas comblée rapidement, nous continuerons à agir - ou à ne
pas agir - en aveugle.
*
* *
L'art
est un signe extérieur de richesse culturelle et matérielle.
C'est de cette double nature que résulte toute l'ambiguïté
de la question de l'imposition des oeuvres d'art, que certains sont
tentés de taxer au nom de la nécessaire contribution de tous aux
charges publiques, alors qu'il est non moins légitime de les soustraire
à l'impôt au nom de la sauvegarde du patrimoine national.
Au-delà des échéances politiques, ce rapport veut replacer
le problème de la relance du marché de l'art en France dans son
contexte historique et économique, quitte à remettre en cause un
certain nombre d'idées reçues, qu'il s'agisse de faits ou de
principes ; car
il ne faudrait pas que le Parlement ne
légifère sur fond de mythes ou de croyances, entretenues pour des
raisons diverses et parfois contradictoires
.
Sur le plan des faits, on peut souligner que :
• le marché de l'art français a toujours eu une place
éminente mais moins dominante qu'on le dit souvent, dans la mesure
où un certain nombre de facteurs politiques et économiques ont
toujours amené la France à partager son leadership avec
l'Angleterre : c'est dans cette perspective structurelle, qu'il faut se
demander dans quelle mesure il est possible d'en revenir à l'âge
d'or du début des années cinquante - si tant est qu'il ait jamais
existé ;
•
la hausse des prix
sur le marché de l'art
est, sur le
long terme
, et dès lors que l'on prend en compte l'ensemble des
oeuvres,
loin d'être évidente
: la
conviction du
rapporteur est bien que l'art est un jeu de loterie ou les gains parfois
très élevés des uns, sont compensés par les
pertes plus ou moins importantes des autres
; d'où l'importance
dans ce rapport, des développements empiriques sur l'évolution
des prix de l'art ;
En ce qui concerne les principes, il convient aussi de s'interroger sur la
validité d'idées ou d'attitudes, aussi largement répandues
chez nous qu'ignorées à l'étranger, le plus souvent
imprégné du pragmatisme anglo-saxon :
• il faut se poser la question
: peut-on garantir
l'authenticité des oeuvres par des moyens juridiques
, alors que les
professionnels affirment qu'il est, dans la plupart des cas, difficile
d'apporter pour les oeuvres anciennes une certitude d'authenticité
absolue, en dépit des progrès de la science ?
• enfin, le marché de l'art a une importance
économique mais surtout une
fonction culturelle essentielle
, qui
en fait autre chose que le terrain de jeu d'une petite minorité de
privilégiés : il y a des synergies et des
complémentarités entre marché et collections
privées, entre collections privées et collections publiques,
entre le marché et l'histoire de l'art, dont les progrès ne
tiennent pas qu'à l'action désincarnée des seuls
professeurs et conservateurs.
Le problème est donc
de définir une fiscalité du
marché de l'art
qui
, sans méconnaître sa valeur
économique,
tienne compte de sa valeur culturelle
. Il ne faudrait
pas que, par une sorte de politique de gribouille, une fiscalité
excessive ou maladroite aboutisse à encourager l'exode massif hors de
nos frontières d'oeuvres pour lesquelles nous mobilisons par ailleurs
des moyens budgétaires croissants mais toujours insuffisants.
Le présent rapport doit beaucoup à l'abondante littérature
universitaire existant sur le sujet, ainsi qu'aux personnalités, qui ont
accepté de rencontrer le rapporteur, marchands experts ou
commissaires-priseurs, fonctionnaires de toutes les administrations,
journalistes ou artistes, parmi lesquelles il convient de rendre un hommage
tout particulier aux auteurs des rapports qui ont contribué à
faire évoluer les esprits, MM. Aicardi et Chandernagor, qui retrouveront
ici l'écho de leurs réflexions.
I. LE DÉCLIN DU MARCHÉ DE L'ART EN FRANCE
Au
début des années cinquante, la France était au coeur du
marché de l'art mondial. Deux facteurs expliquaient cette position
exceptionnelle, généralement présentée comme
dominante : la tradition de compétence de ses professionnels,
marchands ou commissaires-priseurs ; une hégémonie
culturelle, tant pour les valeurs du passé que pour celles du
présent.
Aujourd'hui, la place de la France, sans être négligeable,
apparaît sinon marginale, du moins modeste sur un marché
désormais mondial. Quantitativement notre pays est désormais loin
derrière les États-Unis et l'Angleterre.
D'un point de vue qualitatif, la situation de notre pays est cependant plus
contrastée.
D'une part, la distance apparaît encore plus importante si l'on examine
les rapports de force économiques entre les agents opérant sur le
marché mondial de l'art. D'un côté, il y a les
commissaires-priseurs français en ordre dispersé,
cantonnés de facto en leurs lieux de résidence ; de l'autre,
de grandes sociétés commerciales intégrées,
présentes dans tous les pays et sur tous les compartiments du
marché.
D'autre part, surtout pour l'art ancien, on ne peut manquer de relever le
dynamisme des opérateurs de nationalité française, qu'il
s'agisse des marchands ou des experts travaillant dans les deux grandes maisons
de vente anglo-saxonnes. En outre, sur le marché de l'art comme dans
d'autres secteurs, on est amené, lorsque l'on tient compte des
participations au capital, à relativiser la notion de nationalité
des opérateurs.
A. UN MARCHÉ NATIONAL EN VOIE DE MARGINALISATION ?
On a de
plus en plus tendance à réduire le marché de l'art aux
ventes aux enchères. Or, celles-ci ne sont que la partie
émergée de l'iceberg, par rapport à l'ensemble du commerce
de l'art et des antiquités.
Un certain nombre de membres de la commission ont insisté sur la part
non visible, comme immergée du marché de l'art, dite " en
chambre ". Ainsi l'importance de l'économie informelle liée
au marché de l'art vient se surajouter à la mauvaise
qualité des informations dont on dispose sur l'activité
elle-même, souvent mal isolée dans les statistiques officielles.
Compte tenu de ces incertitudes, il est nécessaire de raisonner plus en
termes de tendance que de niveau absolu. L'évolution récente,
marquée par la crise profonde des années 90, conduit à
distinguer l'art ancien qui se maintient et même se développe, de
l'art contemporain, dont le recul est particulièrement sensible
après l'engouement spéculatif de le fin des années
80.
1. L'état des lieux statistique
Que
l'art comme les activités artistiques en général
entretiennent des rapports ambigus avec les chiffres, n'est que la
manifestation des ses relations paradoxales avec l'argent.
D'un côté, l'art, célébré comme une des
expressions de l'esprit humain les plus nobles et les plus achevées,
fait partie du patrimoine de l'Humanité et est donc, à proprement
parler, hors de prix ; de l'autre, il fait l'objet d'échanges
marchands, parfaitement mesurables ponctuellement, même si la
détermination des prix ne semble répondre à aucune
règle objective. Comme l'ont noté très tôt les
économistes classiques que le cas d'espèce intéressait
comme l'exception qui confirme la règle, chaque oeuvre est unique et
échappe à ce titre aux lois communes de la valeur.
Plusieurs facteurs expliquent qu'il est difficile d'approcher la
réalité du marché de l'art à partir des chiffres.
1. D'abord, parce que du fait même de l'évolution de l'art
,
il n'y a plus de frontière objective au champ artistique
:
• autrefois, l'Académie était là pour faire la
part de ce qui appartenait au domaine de l'art de ce qui n'en faisait pas
partie, c'est elle qui détenait le monopole du cursus des artistes, dont
elle assurait la formation puis la consécration à travers
l'institution des Salons officiels ;
• à l'heure actuelle, il suffit de visiter une foire ou des
galeries pour constater qu'il n'est plus possible de définir
objectivement de façon simple ce qu'est l'art, si ce n'est par
l'intention des auteurs ou de ceux qui les montrent : aujourd'hui,
être artiste est la combinaison d'une vocation intérieure, d'une
reconnaissance par les pairs et/ou par les institutions muséales
publiques et de l'existence de revenus tirés de cette
activité ;
• cette frontière entre l'art et le non-art ne peut que
rester floue, mouvante et en tout cas peu propice à des statistiques
fiables et significatives : on l'a laissé entendre pour l'art
contemporain où nombre d'artistes ne vivent pas de leur art mais
d'activités annexes dans l'enseignement ou dans
l'éducation ; mais cela est vrai aussi dans l'art ancien où,
comme le montre l'exemple des marchés aux puces, il n'y a pas de
séparation nette entre la brocante en provenance des greniers et le
marché des antiquités au sens le plus noble.
2. Ensuite, parce que sur le marché de l'art les échanges se
font à des prix dont on ne peut jamais, compte tenu de l'unicité
de chaque oeuvre, être vraiment sûr qu'il soient significatifs,
même si la notion même de cote et surtout d'estimation s'agissant
d'objet mis en vente publique, montre qu'il existe une certaine
rationalité, que des arbitrages se font. Il en résulte plusieurs
conséquences :
• Il est difficile, indépendamment même des
problèmes de dispersion autour de la moyenne, de donner une
portée générale à une cote ou à un indice,
qui recouvrent des choses diverses, bien qu'en statistique on agrège
rarement des produits ou des activités homogènes :
• l'absence de lien objectif entre prix et caractéristiques
de l'oeuvre rend opaque le processus de détermination du prix de l'art.
Comme l'écrivait Raymonde Moulin, le marché de l'art est
"
le lieu de cette secrète alchimie qui opère la
transmutation d'un bien de culture en marchandise. Un mystère savamment
entretenu entoure les combinaisons mercantiles, économiquement
valorisantes mais culturellement dévalorisantes : les prix ne sont
pas transparents ; une partie des transactions s'effectue dans la
clandestinité ; les phénomènes inquantifiables ou
invisibles l'emportent sur les données apparentes et
mesurables.
1(
*
)
"
• Parallèlement, ce manque de transparence dans la formation
des prix se double d'un certain flou des circuits des transactions laissant
supposer que l'économie de l'art est en partie souterraine, soit du fait
de l'origine des oeuvres, soit du fait de celle de l'argent.
3. A ces facteurs d'incertitude, s'ajoutent les conséquences d'une
logique administrative qui n'appréhende pas bien l'activité
artistique sa diversité ; nul doute que l'une des premières
conclusions de ce rapport sera d'inviter le Gouvernement à rechercher
les moyens d'affiner l'appareil de mesures statistique et d'établir les
liens qui relient le marché de l'art aux autres activités
économiques.
a) Le commerce de l'art
Les données relatives au commerce sont rares anciennes et d'interprétation difficile. On a d'abord fait état de chiffres communiqués par l`INSEE ; on les a complété par des éléments d'origine sociale grâce aux informations fournies par la sécurité sociale des artistes.
(1) Les antiquaires et brocanteurs (données INSEE)
Les
antiquaires et les marchands de tableaux n'ont pas de véritable statut.
Ils procèdent à des ventes "de gré à gré" et
ont pour ce faire, la qualité de commerçant. Dès l'instant
où ils ont pour activité "la vente ou l'échange d'objets
mobiliers usagés ou acquis de personnes autres que celles qui les
fabriquent ou en font le commerce", ils sont soumis aux dispositions de la loi
du 30 novembre 1987 qui prévoit l'obligation d'une inscription à
la préfecture
2(
*
)
et la
tenue d'un registre spécial dit "livre de Police".
On distingue traditionnellement les antiquaires, les brocanteurs et les
marchands de tableaux modernes ou contemporains. La loi ne différencie
pas les antiquaires, des brocanteurs. Mais le Syndicat National des Antiquaires
a publié les "Us et coutumes" de la profession. Il y est
précisé que ses membres doivent se considérer d'abord
comme des spécialistes de la recherche, de l'identification des objets
de façon à être en mesure de formuler un diagnostic sur son
authenticité.
On doit admettre, par opposition, que les brocanteurs peuvent se contenter de
proposer des objets dont ils ignorent l'auteur et l'époque de
création et pour lesquels ils ne donnent aucune garantie.
Combien existe-t-il en France d'antiquaires et de brocanteurs ? On avance le
chiffre de quinze mille. Mais, à côté de ces quinze mille
professionnels régulièrement inscrits au registre du commerce, il
existerait vingt-cinq mille professionnels non déclarés.
L'INSEE fournit cependant quelques indications plus précises sur
l'activité " Antiquaires, brocante, dépôts
vente " (code : 52.5 Z).
Cette classe comprend :
- le commerce de détail de livres d'occasion, y compris les
" bouquinistes "
- le commerce de détail d'autres biens d'occasion (brocante, fripes,
meubles, matériaux de démolition etc.)
- le commerce de détail d'antiquités et objets anciens
- le commerce de détail en magasin de dépôt vente
- cette classe ne comprend pas le commerce de détail de
véhicules automobiles d'occasions, le commerce de détail de
timbres et pièces de collection, les services offerts par les ventes
publiques, la restauration d'objets d'art et de meubles.
Les tableaux ci-joints montrent que selon l'enquête commerce de 1996 de
l'INSEE, le secteur ainsi défini comptait 12 532 entreprises pour un
chiffre d'affaires de 10.686 milliards de francs et un effectif salarié
à la fin de 1996 de 10 768 personnes pour un nombre de personnes
occupées, en équivalent temps plein, de 20 931.
On note que 80 % des entreprises du secteur font moins de 1 million de
francs de chiffre d'affaires et seulement 0,3 % plus de 10 millions de francs.
Les dix plus grandes entreprises dans cette activité classées
dans l'ordre des numéro SIREN étaient en 1996 :
- Galerie Hopkins-Thomas
- Galerie Ratton Ladrière
- Habib SA
- Gismondi galeries
- Art conseil international
- Bouquin Institut librairie Mazo Lebouc
- Société Didier Aaron et Cie
- Société Kraemer Cie
- Galerie Daniel Malingue
Ce " top 10 " des entreprises du secteur de l'antiquité et de
la brocante ne donne sans doute pas une image actuelle de l'importance
réelle des différents agents. D'abord, parce que le chiffre
d'affaires est dans ce secteur particulièrement fluctuant et il n'est
pas certain que l'on retrouve dans ce classement les mêmes
sociétés tous les ans ; ensuite, parce qu'il est bien connu
qu'un certain nombre de professionnels travaillent à partir de
sociétés implantées à l'étranger au nom
desquelles elles font rentrer la marchandise en importation temporaire.
Les antiquités, objet d'art et meubles anciens représenteraient
60 % du chiffre d'affaires total hors taxes du secteur.
(2) Les données sociales en provenance la maison des artistes
Il
existe
deux catégories de diffuseurs
qui contribuent au
régime de protection sociale des artistes.
Il s'agit, tout d'abord, du diffuseur qui revend l'oeuvre originale au public
et qui doit verser une
contribution de 3,30 % sur 30 % de son
chiffre d'affaires TTC
ou, s'il a perçu une commission sur vente,
sur la totalité TTC de la commission.
Il s'agit du
galeriste
, de
l'éditeur d'art
, de
l'agent
artistique
, du courtier en oeuvres d'art, également de
l'antiquaire
ou du
brocanteur,
car l'oeuvre vendue, même
tombée dans le domaine public, est assujettie à la contribution,
des commerces divers et associations qui exposent les artistes et
perçoivent une commission sur les ventes, quel que soit leur statut
juridique.
Il s'agit ensuite du diffuseur qui exploite commercialement l'oeuvre originale
ou l'expose au public (État, Collectivités publiques,
Éditeurs, Publicistes, Sociétés, PME, Association...) sans
que celle-ci soit revendue au public. Il se doit de déclarer à la
Maison des Artistes les rémunérations ou les droits d'auteur
versés à l'artiste ou à ses ayants-droit.
Il est redevable d'une contribution d'un
taux de 1 % calculée
sur la rémunération hors TVA de l'artiste
ou de ses
ayants-droit.
Nous dénommerons, pour la lisibilité des tableaux, les premiers
" diffuseurs commerciaux " et les seconds " diffuseurs non
commerciaux ".
Le premier tableau ci-après fait apparaître
l'évolution
de l'effectif global des diffuseurs commerciaux et de celui des galeries
de 1989 à 1997
, et de leur chiffre d'affaires respectif.
Il apparaît clairement que la fracture liée à la crise du
marché de l'art a eu lieu en 1991, du moins à travers les
chiffres d'affaires. En effet, le chiffre d'affaires global comme celui des
galeries chute d'environ 1,5 milliard de francs en un an. Cette crise
économique du secteur ne se traduit pas par une fermeture
proportionnelle des galeries pour la simple raison que seules quelques grandes
galeries à très fort chiffre d'affaires ont fermé leurs
portes.
La crise n'a pas eu réellement d'effet sur le flux moyen annuel de
création et de fermeture de galeries.
Comme l'indique le tableau ci-dessous, le chiffre d'affaires des galeries d'art
n'a fait que chuter depuis 1991, une légère amorce de reprise
semble s'ébaucher en 1997.
Les différentes données chiffrées de la maison des
artistes nous ont permis de faire apparaître la part des deux types de
contributeurs au régime de protection sociale des artistes. Il est
intéressant de noter que la part des diffuseurs
" commerciaux " ne fait que décroître jusqu'en 1996 et
amorce une légère progression au cours des deux dernières
années, traduisant sans doute le début d'un nouveau cycle de
croissance pour le marché de l'art.
Les contributeurs " non commerciaux " voient leur participation
croître régulièrement, mais leur contribution est
inversement proportionnelle à leur nombre, 5.142, sur un
effectif
total de 6.775 diffuseurs en 1998
.
Enfin, un dernier tableau fait apparaître la part des contributions des
diffuseurs et des artistes au régime de protection sociale de ces
derniers.
Les chiffres montrent que la participation des diffuseurs ne correspond
qu'à une contribution de solidarité. D'ailleurs, il faut
souligner qu'une loi du 27 janvier 1993 a modifié la nature de
la contribution des diffuseurs qui, depuis lors, n'ont plus à contribuer
à l'équilibre du régime de protection sociale des artistes.
b) Les artistes
Les
données chiffrées concernant les artistes sont à
interpréter avec la plus grande précaution, tant les
frontières de la population artistique sont devenues floues, qu'il
s'agisse de la frontière entre l'art et les métiers d'art ou de
l'artiste professionnel et de l'amateur.
Les seuls chiffres dont nous avons pu disposer sont ceux des artistes
recensés par la maison des artistes et qui sont donc affiliés
à la sécurité sociale. En effet, le ministère de la
culture ne dispose d'aucun autre recensement et n'exploite pas les
données brutes que reçoit la maison des artistes.
En 1998, le nombre des artistes recensés s'élève à
15.001 contre 10.640 en 1988, soit une augmentation d'environ 40 %. Cette
progression apparemment importante, est moins satisfaisante que celle
observée entre 1981 et 1988 où le nombre total des artistes
affiliés à la sécurité sociale avait
augmenté de 50 %.
On peut cependant évaluer le nombre total d'artistes, sous les
réserves évoquées ci-dessus, entre 25 et 30.000, soit le
double du nombre des artistes affiliés.
Parmi ceux-ci, les peintres restent toujours largement en tête,
puisqu'ils représentent la moitié de la population des
créateurs (7521), mais leur progression est largement distancée
par les trois disciplines qui " montent ", et qui sont d'ailleurs les
plus récemment entrées dans la " nomenclature "
artistique. Il s'agit, par ordre décroissant, des dessinateurs
textiles, des plasticiens et des graphistes.
On peut
ensuite constater que la crise du marché de l'art a affecté le
revenu des artistes, d'une part, à travers la moyenne de leur revenu,
qui est passé de 117.000 francs en 1991 à environ 100.000
francs en 1996. On observe cependant une légère
amélioration depuis deux ans à peine.
Concernant la répartition par tranche de revenu, nous ne disposons que
d'une photographie 1997, mais il est intéressant de constater par
rapport aux données partielles dont nous disposons en 1988 (Raymonde
Moulin : l'Artiste, l'Institution et le marché) que toujours
moins de 6 % des créateurs
déclarent un revenu annuel
supérieur à 300.000 francs (dont 2 % plus de 500.000 francs),
soit un total de 891 artistes.
En revanche, les artistes déclarant un revenu annuel inférieur
à 50.000 franc, sont passés de 50 % en 1988 à
44 % en 1997. Ils représentent cependant plus du tiers (5953) des
artistes recensés. La précarité des revenus reste donc une
caractéristique du métier d'artiste.
(1) Les assiettes sont constituées du forfait d'affiliation pour les revenus < 46 4004 F et du bénéfice fiscal + 15% |
* Comprend des artistes exonérés de cotisations (prestataires autres régimes sans bénéfice artistique et artistes sans assiette de cotisations en attente de traitement) |
S'agissant enfin de la répartition par sexe et par
âge.
Sur le premier point, on constate une lente, mais sûre, progression des
femmes, dont le pourcentage était de 23 % en 1981, 27 % en
1988 et 33 % en 1998, ce qui ne préjuge pas toutefois du taux de
réussite à un haut niveau qui reste beaucoup plus faible pour
elles que pour les hommes.
Sur le second point, la population âgée de 60 ans est la plus
importante (2360) et passe de 12,2 % à 15,7 %, soit une
augmentation de 3,5 %, une des plus fortes avec celle de la population des
45-49 ans, qui passe de 11,3 % à 15,5 %, soit une augmentation
de plus de 4 %. Les populations les plus en diminution sont celles des
moins de 29 ans, qui sont passées d'environ 700 en 1988 à 629 en
1998, traduisant probablement le trop haut niveau du seuil d'affiliation
(46.404 francs) au régime pour les artistes débutants. Sur ce
dernier point, une réflexion conjointe était à
l'étude au ministère des affaires sociales et de la culture
visant à diminuer de moitié (23 000 francs) ce seuil
d'affiliation. Cependant l'examen du projet de loi sur la couverture maladie
universelle conduit à suspendre pour le moment toute décision sur
ce sujet.
c) Les ventes publiques
La
croissance du marché français des ventes publiques, qui a connu
un taux d'accroissement de presque 6 % depuis 1987 - mais une relative
stagnation depuis 1991 - a plus profité à la province qu'à
la capitale.
Le tableau ci-dessus témoigne d'un certain tassement de la place de
Paris depuis 1987. La compagnie des commissaires-priseurs de Paris perd plus de
6% en termes de part de marché, passant de 46,76 % en 1987 à
40,47 % en 1997. Le taux de croissance du chiffre d'affaires de Paris est
d'ailleurs inférieur de moitié à celui de la compagnie de
la région Lyon sud-est, et plus nettement encore, à celui de la
compagnie Anjou-Bretagne, dont le taux de croissance dépasse 12,5 % par
an.
L'examen des chiffres globaux confirme cette tendance. Ainsi, les ventes des
commissaires-priseurs parisiens sont passées en dix ans, de 1987
à 1997, de l'indice 100 à l'indice 155, contre l'indice 200 pour
les ventes dans le reste de la France, qui ont atteint plus de 5 milliards de
francs, soit un point haut historique, supérieur de 400 millions au
niveau de 1990.
La province a donc mieux résisté que Paris
à la crise.
Comment expliquer cette différence ? Il faut d'abord souligner que
le marché parisien est sans doute assez différent de celui du
reste de la France. D'un côté, il y a un marché
concentré géographiquement, ouvert sur l'extérieur,
naturellement plus spéculatif ; de l'autre, un ensemble de petits
marchés locaux, qui sont restés relativement à l'abri de
la vague spéculative de la fin des années 80, mais qui se sont
trouvés, également, épargnés par le reflux brutal
qui a suivi.
Il faut souligner - et cette remarque est également importante, lorsque
l'on analyse la place du marché français sur le plan mondial -
que les chiffres d'affaires publiés par les commissaires-priseurs
français sont sans doute plus hétérogènes du point
de vue de la nature des lots vendus.
Il n'y a pas que des oeuvres d'art dans le chiffre d'affaires ; cette
proportion serait de 80% pour Paris et 60% pour la province, pourcentages
sensiblement inférieurs à ceux du début de la
décennie, qui était de l'ordre de 90% pour Paris et 75% pour la
Province.
Eu égard au caractère arbitraire de la frontière entre
meuble meublant et oeuvre d'art ainsi qu'à la conjoncture exceptionnelle
de ces années, il faut accueillir ces données avec une certaine
prudence, mais elles témoignent de la part plus importante des oeuvres
et objets d'art dans le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs
parisiens
3(
*
)
.
Ces précautions étant prises, on peut néanmoins avancer
des éléments pour expliquer cette meilleure résistance des
commissaires-priseurs de province à la crise.
D'abord, il y a, au delà des différences de marchés, un
phénomène de rattrapage : la profession s'est
rajeunie ; ensuite, elle a manifestement importé les
méthodes " commerciales " plus agressives des
commissaires-priseurs parisiens, au point que les commissaires-priseurs de
province tirent, à l'échelle de leurs affaires, un meilleur parti
de la globalisation du marché : il n'est plus nécessaire de
faire
monter à Paris les oeuvres " saines ". Une bonne photographie dans la Gazette de l'Hôtel Drouot, assortie parfois de l'envoi de l'oeuvre aux fins d'exposition dans les cabinets d'experts parisiens, suffit à assurer un prix au moins aussi élevé qu'à Paris. Les clients des commissaires-priseurs le savent et ont vu qu'il était bien souvent de leur intérêt de confier leur bien à une étude décidée à concentrer ses efforts sur lui, plutôt que de s'en remettre à une vente parisienne où l'objet, certes placé dans une vente spécialisée et donc visible, pourrait faire l'objet d'un traitement moins attentif.
d) Les échanges extérieurs
L'évolution de la balance des échanges
extérieurs d'oeuvres d'art est marquée par un
déséquilibre croissant entre exportations et importations.
En la matière,
on raisonne à front renversé
par
rapport aux autres
secteurs économiques
: un taux de
couverture trop largement positif est non synonyme de performance mais, au
contraire, un phénomène inquiétant, qui témoigne de
l'appauvrissement de notre pays
.
Non seulement, le taux de couverture a tendance sur une quinzaine
d'années à s'accroître passant de 2 à 3 entre 1983
et 1998, mais encore, en dépit de la crise, les montants absolus
recommencent à augmenter au moins pour les exportations.
Il en résulte que,
pour la balance globale, l'excèdent passe
d'à peine plus de 600 millions de francs en 1983 à près de
2 milliards de francs en 1998
; c'est un montant proche de ceux des
années 1987 à 1990, mais acquis à des niveaux
d'importations et d'exportations bien supérieurs.
En termes géographiques, cette évolution correspond à
l'explosion des exportations à destination des États-Unis.
Pour des raisons conjoncturelles et structurelles, sur lesquelles l'on
reviendra, mais aussi pour des raisons fiscales qui seront
développées en seconde partie de ce rapport, le marché
américain exerce un effet d'aspiration apparemment irrésistible,
comme le montrent les tableaux ci-dessous.
Le tableau de la page suivante montre clairement que le solde positif
vis-à-vis des États-Unis - pour l'interprétation duquel il
n'y a pas de rupture de séries statistiques - passe d'un ordre de
grandeur de l'ordre de 300 à 600 millions de francs de 1983 à
1995 à des montant approchant puis dépassant le milliard de
francs pour culminer en 1998 à 1, 38 milliard de francs.
Un autre tableau relatif aux échanges bilatéraux entre la France
et le Royaume uni, s'il doit être interprété avec plus de
circonspection compte tenu de l'effet de rupture de séries statistiques,
montre que, désormais, les oeuvres d'art vont directement aux
États-Unis, alors qu'une bonne partie d'entre elles transitaient
auparavant par la Grande-Bretagne
En 1990, juste avant le krach du marché de l'art, les exportations
à destination des États-Unis atteignaient presque 1200 millions
de francs, soit une augmentation de près de 52 % en trois ans ; les
exportations à destination de l'Angleterre atteignaient près de
800 millions de francs en croissance de seulement 36 % sur les trois
années précédentes
Pour les années suivantes, on constate qu'en deux ans de 1990 à
1992, les exportations vers l'Angleterre diminuent de moitié en passant
de près de 800 millions à près de 400 millions de
francs ; on note que la régression est sensiblement moins forte
pour les exportations à destination des États-Unis, qui passent
au cours de la même période de près de 1200 millions
à 776 millions de francs. Les effets de la crise sont manifestement
moins sensibles de l'autre côté de l'Atlantique.
La rupture des séries statistiques rend certes difficile
l'interprétation des années suivantes mais il semble bien que la
régression des exportations outre-Manche qui passent d'un niveau de
l'ordre de 400 à celui d'à peine 100 millions, ne doit pas
constituer une régression significative. En revanche le passage entre
1994 et 1995 de 95 à 64 millions de francs des exportations
françaises d'oeuvres d'art à destination de la Grande-Bretagne
constitue une chute significative d'environ un tiers, à
l'évidence consécutive à l'introduction de la TVA dans ce
dernier pays, même si l'on note que pour la même année les
exportations à destination des États-Unis régressaient
elles aussi. Il faudrait également examiner l'évolution des flux
temporaires.
Ces statistiques éclairent
le débat sur les effets pour la
Grande-Bretagne de l'introduction de la TVA à compter de 1995
. La
baisse de 40 % de leur importation dont font état les Anglais et que
l'on trouve reprise et développée dans le rapport de la
fédération britannique du marché de l'art - qui figure
parmi les documents joints en annexe - doit s'interpréter avec
circonspection compte tenu des éléments suivants :
• la baisse des flux d'oeuvres en provenance de France, dont on sait
qu'elle a alimenté longtemps le marché de l'art londonien, au
moins pour l'art ancien, a commencé avant 1995, date d'introduction de
la TVA, tandis que les exportations vers les États-Unis ont toujours
mieux résisté. Il y a dans la baisse relative des exportations
vers l'Angleterre par rapport à celles à destination des
États-Unis, un phénomène lié à l'excellente
conjoncture américaine qui font des États-Unis un marché
porteur ;
Ensuite et surtout, on ne peut pas incriminer la TVA, à l'importation,
dans les échanges entre la France et la Grande
-
Bretagne. Or les
exportations vers ce dernier pays baissent de 1997 à 1998 de 27 % tandis
que celles à destination des États-Unis augmentaient de 32 %.
Votre rapporteur estime que ce phénomène pourrait bien traduire
un autre aspect moins connu de l'introduction de la TVA : les marchands
français et sans doute aussi d'autres pays d'Europe, n'ont pas
intérêt à exporter vers l'Angleterre, car les exportations
vers ce pays sont désormais soumises au régime de TVA interne sur
les marges. On reviendra en seconde partie sur ce phénomène.
Au delà de ce point somme toute technique mais révélateur
des effets de la fiscalité sur les échanges,
il y a une
situation d'urgence, car, en attendant les réformes, l'hémorragie
continue et même s'accentue, au rythme de désormais près de
2 milliards de francs par an
.
e) Les comparaisons internationales : un poids limité en dépit de succès ponctuels
En terme de chiffres d'affaires, le marché de l'art est relativement important : ses faiblesses n'apparaissent que si l'on cherche à isoler les segments du marché les plus représentatifs des oeuvres d'art de haut niveau susceptibles de faire l'objet de commerce international.
(1) Des chiffres globaux apparemment rassurants
Des
statistiques globales
de chiffres d'affaires apparaissent de prime abord
relativement rassurantes
en ce qui concerne les rapports de force sur le
marché mondial de l'art.
Depuis 1990, c'est-à-dire le sommet de la vague spéculative, le
marché se répartit en trois grandes masses à peu
près équivalentes
4(
*
)
: ainsi en 1990, le chiffre
d'affaires des commissaires-priseurs français frôlait les 10
milliards de francs avec 9,7 milliards de francs, se comparait aux ventes de
Sotheby's, alors supérieures à 13,3 milliards de francs et
à celles de Christie's qui étaient proches de 11 milliards de
francs avec 10,8 milliards de francs.
De 1991 à 1994, le chiffre d'affaires des commissaires-priseurs
français était, avec des montants compris entre 7,3 et 8
milliards de francs, supérieurs à ceux des deux grandes maisons
de vente aux enchères anglo-saxonnes, de l'ordre de 6 à 7
milliards, aussi bien pour Sotheby's que pour Christie's.
Ce n'est qu'en 1995 et en 1996 que la situation se renverse au détriment
des commissaires-priseurs : Sotheby's passe en tête la
première année, puis est rejointe par Christie's la seconde
année, les deux firmes se situant toutefois, avec un chiffre d'affaires
légèrement supérieur à 8 milliards, à peine
au-dessus des commissaires-priseurs français.
En revanche, l'écart recommence à se creuser
en
1997
: avec respectivement 10,8 et 11,7 milliards de francs,
les
deux " majors " anglo-saxonnes distancent à nouveau leurs
concurrents français
, dont le chiffre d'affaires n'est que de 8,5
milliards de francs.
Il y a, à l'évidence, dans ce résultat,
l'effet
déprimant de l'incertitude réglementaire qui pèse sur le
marché français
. Mais, il faut, au delà de cet aspect
conjoncturel, souligner des phénomènes structurels.
Certes, on peut d'abord remarquer que si le marché français
résiste mieux à la crise, il profite moins de la reprise.
Ce constat tient au fait que l'on se trouve dans le cas d'un marché,
sinon administré du moins compartimenté, relativement
protégé de la concurrence internationale.
(2) Des faiblesses sur les marchés des objets de très haut de gamme
Mais il
y a aussi dans ces chiffres l'indice que le maintien des performances
quantitatives masque des
faiblesses qualitatives
. Il faut d'abord
rappeler que les statistiques de ventes des commissaires-priseurs incluent des
objets sans rapport avec le marché de l'art, qu'il s'agisse de mobilier
courant, de voitures ou de surplus divers, vendus dans le cadre de Drouot Nord
ou de Drouot Véhicules, qui représentent près de 25 % du
chiffres d'affaires de la compagnie de Paris .
Les chiffres des maisons anglo-saxonnes, en revanche, sont beaucoup plus
proches de l'idée que l'on se fait d'oeuvres ou d'objet d'art,
même si l'image haut de gamme qu'ont ces maisons sur le continent doit
être nuancée quand on évoque les activités des
branches " milieu de gamme ", qu'il s'agisse de Christie's South
Kensington à Londres ou Sotheby's Arcade Auctions à New-York.
A ne considérer que le haut de gamme, c'est-à-dire la marchandise
dont les prix sont relevés et consignés dans les annuaires
annuels des ventes - qu'on trouve désormais tant sous forme d'ouvrage
" papier " que de bases de données consultables en lignes ou
sur cédéroms -, il est frappant de constater que la France
n'occupe, sur la base de critères quantitatifs, qu'une place minime sur
le marché mondial de l'art.
Ainsi, à ne prendre en compte que
la peinture et le dessin
, le
marché français
ne représenterait en 1997/1998,
selon l'Art sales Index,
que 5,6 % du marché mondial très loin
derrière les États-Unis et la Grande Bretagne, dont les parts de
marché atteindraient respectivement, 49,8 % et 28,75 %.
Selon cette définition le marché mondial de l'art ne se monte
qu'à 15 milliards de francs pour la saison 1997/1998, ce qui
montre, lorsqu'on rapproche ce chiffre de ceux mentionnés plus haut que
la couverture du marché par les annuaires n'est pas exhaustive,
même si l'on peut penser que pour les objets de niveau international -
niveau estimé à 500 000 F, dans le rapport précité
de M. André Chandernagor - les omissions doivent être assez
rares.
PLACE
DE LA FRANCE SUR LE MARCHÉ MONDIAL DE L'ART
(peintures et dessins)
Christies
Commissaires priseurs
f) Le marché mondial selon la Commission de Bruxelles
La
Commission des communautés estime qu'au niveau mondial le volume des
ventes d'oeuvres d'art est de l'ordre de 8 000 millions d'euros. Ces ventes se
répartissent entre les marchands, qui réalisent annuellement des
ventes d'une valeur d'environ 6 200 millions d'euros, et les maisons de vente
aux enchères, qui réalisent des ventes représentant
environ 1 800 millions d'euros.
Elle considère que les données peuvent être
" faussées " (sic) par un petit nombre de ventes de
très grande valeur. C'est ainsi, par exemple, qu'aux États-Unis,
en 1997, deux ventes ont atteint plus de 263 millions d'euros, l'une d'entre
elles ayant même dépassé les 180 millions d'euros (il
s'agit de la vente Ganz).
Prenant en compte l'ensemble du marché et pas seulement les statistiques
de vente aux enchères, la Commission aboutit à une
géographie du marché mondial de l'art très
différente de celle à laquelle le rapporteur a abouti à
partir des chiffres d'Art sales Index.
PAYS |
Parts de marché |
Parts de marché |
Parts de marché |
|
Estimation
|
Estimation
|
Art
Sales Index
|
USA |
18 % |
38,2 % |
49,9 % |
Grande-Bretagne |
12,7 % |
33,5 % |
28,7 % |
France |
7 % |
6,6 % |
5,6 % |
reste du monde |
62,3 % |
21.7 % |
15,8 % |
TOTAL |
100 % |
100 % |
100 % |
Chiffres 97/98 * à l'exception de deux grandes ventes
exceptionnelles ayant eu lieu aux États-Unis
Les meilleures estimations indiquent que la Communauté compte pour 26%
dans le total des ventes réalisées par les marchands d'art et les
États-Unis pour 18 %. Le Royaume-Uni est le plus grand marché de
la Communauté puisqu'il représente 48 % des ventes qui y sont
réalisées ; il est suivi par la France avec 26 % et par
l'Allemagne avec 7 %.
Le décalage avec les chiffres d'Art Sales Index vient de ce que, a
priori, on ne parle pas en fait du même marché : il ne s'agit
pas de la simple conséquence de différences dans le mode de
commercialisation, les ventes aux enchères s'opposant au négoce,
mais tout simplement du fait qu'on ne considère pas des mêmes
produits. Dans un cas, on parle d'oeuvres d'art et dans l'autre, pour une bonne
part, de biens d'occasion.
Mais, même en ce qui concerne les chiffres donnés par la
Commission pour les seules ventes aux enchères (Tableau 3 du rapport
page 19 du rapport de la Commission), la différence avec les chiffres
tirés d'Art sales Index qui ne concernent que les tableaux et dessins,
reste considérable.
En ce qui concerne les ventes aux enchères, la Commission constate que
la Communauté européenne et les États-Unis se partagent le
marché mondial presque à égalité, avec pour l'une
comme pour les autres, quelque 47 % de toutes les ventes aux
enchères de tableaux réalisées pendant la saison 1996-1997.
Dans la Communauté, le principal marché est le Royaume-Uni, avec
61 % des ventes réalisées dans les États membres; il est
suivi par la France avec 12 % et par l'Allemagne avec 7 %.
Selon les chiffres de la Commission, entre 1993/1994 et 1997/1998, en valeur
les ventes de tableaux aux enchères ont augmenté de 30 % dans la
Communauté mais de 41 % sur les marchés des pays tiers. Pendant
cette même période, sur les principaux marchés
européens, les ventes ont augmenté de 51 % au Royaume-Uni,
tandis qu'elles ont chuté de 28 % en France et augmenté de 13 %
en Allemagne.
On remarque non sans un certain étonnement que la Commission a
estimé qu'elle pouvait ne pas tenir compte de deux ventes
exceptionnelles réalisées aux États-Unis : dans cette
perspective, la part relative de la Communauté européenne passe
à 55 %, tandis que celle des États-Unis tombe à 38 %.
Pour les besoins de la démonstration, la Commission va même
jusqu'à faire abstraction des deux grandes ventes en question, pour
démontrer que la valeur des ventes de tableaux aux enchères
réalisées aux États-Unis a diminué de plus de 1 %
entre 1993/1994 et 1996/1997 !
Il en résulte que les tendances dégagées par
l'étude commandée par la Commission - au même organisme
d'ailleurs que celle de la Fédération britannique du
marché de l'art, déjà mentionnée - doivent
être prises avec précaution.
La Commission note que, bien que le marché communautaire de l'art
connaisse une croissance continue, il est évident qu'il ne progresse pas
au même rythme que celui des pays tiers, du fait de l'augmentation des
ventes des marchands d'art dans les pays tiers, notamment d'Asie du sud-est,
d'Europe orientale et d'Amérique latine. De même, la croissance
dans la Communauté est inégale, le Royaume-Uni dépassant
de loin les autres États membres.
En outre, en ce qui concerne le marché global, il est tout à fait
remarquable que la Commission ait pu obtenir des chiffres pour le monde entier
au vu des difficultés que le rapporteur a rencontrées pour
trouver des données significatives et actuelles pour notre pays.
D'après les estimations, la valeur des ventes d'oeuvres d'art
réalisées dans la Communauté par des marchands d'art entre
1993/1994 et 1997/1998 a augmenté de 17 %, tandis que l'accroissement en
valeur au niveau mondial a été de 37 %.
On observe, toutefois, de très fortes différences entre les
États membres pendant toute cette période, puisque la valeur des
ventes réalisées au Royaume-Uni a augmenté de 50 %, alors
que la valeur des ventes réalisées en France a diminué de
23 %, tandis qu'elle s'est accrue de 11 % en Allemagne. La tendance
constatée pour la France, contraire à celle que le rapporteur
avait cru dégager avec les informations disponibles, mériterait
un examen plus approfondi.