2. Au-delà du Chiapas : les autres foyers de violence au Mexique
a) Les autres mouvements insurrectionnels mexicains
L'importance des questions révélées par le
conflit du Chiapas se trouve, si besoin était, illustrée par
l'existence d'autres mouvements ou, à tout le moins, de tentations
insurrectionnelles dans
d'autres Etats du sud mexicain
, notamment
le
Guerrero
, où les affrontements -contrairement d'ailleurs au Chiapas-
font quasi quotidiennement des victimes.
C'est ainsi que l'EPR (armée populaire révolutionnaire) s'est
manifestée, depuis 1996, dans cet Etat par des actions sporadiques
dirigées contre les autorités publiques, et notamment les forces
de maintien de l'ordre. Là encore, la militarisation de la
répression
s'est accompagnée de critiques contre les
violations des droits de l'homme commises notamment à l'encontre des
populations indigènes soupçonnées de soutenir la
guérilla.
Mais, dans ce cas aussi, il faut souhaiter que les revendications puissent
trouver leur expression dans le cadre d'un jeu politique mexicain
rénové, où l'option électorale existe
désormais. C'est en tout cas l'un des enjeux des transformations en
cours du système politique mexicain.
b) Le fléau des trafics de drogues et de la corruption
Le
principal facteur de violence, de corruption et de tensions qu'aient à
affronter aujourd'hui les dirigeants mexicains réside sans doute dans
l'importance croissante du narcotrafic.
Le Mexique constitue à la fois un
important producteur
-notamment
le premier producteur de marijuana sur le continent américain- et
le
premier pays de transit de stupéfiants vers les Etats-Unis
, qu'ils
proviennent d'Asie (héroïne) ou, surtout, d'Amérique du sud
(cocaïne). On estime de plus que, depuis quelques années,
les
organisations criminelles mexicaines ont pris le relais des cartels colombiens
aux Etats-Unis
, mettant en place leurs propres structures verticales,
depuis les lieux de production en Amérique du Sud jusqu'aux
filières de distribution aux Etats-Unis. La mise en oeuvre de l'ALENA a
de surcroît permis aux trafiquants mexicains de consolider leurs
positions aux Etats-Unis, tandis que le Mexique devenait une des places
mondiales du
blanchiment
d'argent sale et de
narco-investissements.
Les trafics de drogues pourraient ainsi -selon certaines estimations-
générer au Mexique des revenus équivalents au montant
total des exportations normales. Le narcotrafic est estimé à
environ
9 % du PIB national.
Face à une situation aussi grave, les autorités mexicaines ont
à l'évidence beaucoup de mal à se doter de moyens de lutte
efficaces, ne serait-ce qu'en raison de la
corruption
qu'entraîne
naturellement le développement du narcotrafic :
- un
ministère public spécialisé
a
été institué et la lutte anti-drogue est passée
largement
sous contrôle militaire
;
- une
loi spécifique
est entrée en vigueur en mai 1997 en
matière de lutte
contre le blanchiment
;
- sur le plan international, le Mexique a pris des initiatives pour s'attaquer
au fléau de la drogue et le président Zedillo a été
l'un des artisans de la
session spéciale des Nations Unies
sur
les drogues qui s'est déroulée en juin 1998.
Mais c'est surtout
avec l'appui actif des Etats-Unis
que Mexico a
effectué -à la suite notamment du voyage du président
Clinton au Mexique en mai 1997- une
refonte de son système de lutte
anti-drogue
sur le modèle américain.
L'objectif est cependant d'autant plus difficile à atteindre que
la
corruption
qui résulte du narcotrafic touche l'appareil d'Etat
lui-même et que, de l'aveu même du ministre de la justice, les
cartels déversent " des rivières d'or " pour corrompre
juges et policiers. Le narcotrafic gangrène enfin le
système
financier
mexicain : trois banques mexicaines ont ainsi
été accusées par les services américains, en mai
1998, de blanchiment d'argent au cours d'une opération montée
à l'insu des autorités mexicaines.
Les entretiens de la délégation avec le Procureur général de la République et le Ministre de l'Intérieur
- Au
cours de son entretien avec la délégation sénatoriale,
M. Jorge Madrazo Cuellar, procureur général de la
République
(ministre de la justice), après avoir
précisé ses missions, a souligné l'importance majeure de
la lutte contre le narcotrafic pour le Mexique. Il s'est félicité
de la coopération franco-mexicaine, la plus importante parmi les pays
européens, et a souligné son souhait de la voir s'intensifier,
malgré les restrictions budgétaires, dans le domaine des
technologies nouvelles et des équipements. Il a enfin
précisé que le Mexique n'envisageait aucunement de
dépénaliser les drogues douces mais souhaitait au contraire
intensifier la lutte contre la consommation et, bien sûr, contre le
blanchiment.
- L'entretien de la délégation avec
M. Labastida Ochoa,
ministre de l'Intérieur
, lui a d'abord permis d'obtenir des
précisions sur la mise en place d'une " police
fédérale préventive ", forte de quelque 10 000
hommes, sorte de FBI mexicain qui sera chargé de centraliser les
renseignements sur le crime organisé ainsi que des tâches
dévolues jusqu'ici aux douanes, à la police migratoire et
à la police des routes.
M. Labastida Ochoa a par ailleurs fait le point de la coopération
franco-mexicaine en matière de sécurité, à la suite
des accords conclus entre les présidents français et mexicain.
Le Ministre de l'Intérieur a enfin longuement évoqué, en
présence du coordinateur du gouvernement pour le Chiapas, la situation
dans cet Etat. Il a fourni d'importants éléments d'information
à la délégation. Il a notamment expliqué la
pauvreté du Chiapas par son éloignement, son relief difficile,
son économie très dépendante de l'agriculture et la
très grande dispersion géographique de sa population dans quelque
20 000 villages. Pour répondre à ce faible niveau de
développement et à cette marginalisation des populations, le
gouvernement fédéral mexicain apportait une aide
financière importante (600 millions de dollars) mais il était
conscient qu'il faudrait du temps pour réintégrer
véritablement le Chiapas dans le processus de développement
national. Il a enfin réitéré le souhait du gouvernement
mexicain de parvenir à négocier dans le dialogue une solution
pacifique durable.
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