II. UNE PRESSION CONCURRENTIELLE INTENSE
La
distribution des produits d'assurance est en pleine mutation, prise entre le
feu de la bancassurance et le développement de la vente directe. Cette
concurrence fragilise les réseaux de distribution traditionnels, agents
généraux et courtiers, qui n'ont pour l'instant tiré leur
épingle du jeu que grâce à la croissance forte du
marché (et à leur savoir-faire).
Au terme de cette évolution, la France se démarque de ses
principaux voisins par sa non-spécialisation en termes de distribution.
Dans les autres pays, on constate en effet une orientation plus marquée
vers un ou deux types de distributeurs dominants : agents
généraux en Italie, en Allemagne et en Espagne, courtiers au
Royaume-Uni et aux Pays-Bas, agents généraux et courtiers en
Belgique.
Par ailleurs, la concurrence est vive sur le marché de la protection
sociale complémentaire compte tenu du décloisonnement des
segments de ce marché.
Le ralentissement récent de la croissance de l'assurance vie comme de
l'assurance non vie traduit la saturation des marchés.
A. L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS
1. La montée en puissance de la bancassurance
Sur le
marché français, la concurrence extérieure est jusqu'ici
venue davantage des banques ou des groupes financiers français que des
assureurs européens, la liberté d'établissement
autorisée depuis juillet 1994 au sein de l'Union européenne ayant
eu un effet limité.
Au début des années 70, les groupes bancaires ont commencé
à constituer des filiales d'assurance vie et de capitalisation, dont les
produits étaient distribués par les réseaux de guichets
bancaires. Le premier banquier à s'être lancé dans la
bancassurance est ainsi le Crédit mutuel de l'Est qui a
créé une filiale, les Assurances du Crédit mutuel en 1972.
Les banques sont devenues très actives sur le marché de
l'assurance vie depuis que l'article 5 de la loi bancaire n° 84-46 du
24 janvier 1984 a étendu le champ des opérations qu'elles sont
autorisées à pratiquer. En effet, si elles ne peuvent exercer
directement une activité de production de produits d'assurance, à
l'exception des activités de caution, elles peuvent cependant
créer des filiales d'assurance ou distribuer des produits d'assurance.
Les banques filialisent rarement leur activité de distribution de
produits d'assurance et préfèrent étendre leur objet
social à l'activité de courtage. Elles concluent avec les
compagnies d'assurance ou avec leurs filiales d'assurance des accords
commerciaux aux termes desquels elles distribuent leurs produits par
l'intermédiaire de leurs guichets, moyennant le versement de commissions.
Elles sont ainsi devenues le premier réseau des produits d'assurance vie
avec une
part de marché de 61 % en 1997
13(
*
)
comme le retrace le graphique
ci-après. Cette évolution s'est faite au détriment des
réseaux d'agents généraux et des forces de ventes
salariées.
La Caisse Nationale de Prévoyance (filiale commune de la Caisse des
dépôts et consignations, de La Poste et des caisses
d'épargne) et Predica (filiale du Crédit Agricole) occupent sur
ce marché des positions dominantes, mais on y trouve aussi Cardif
(groupe Compagnie bancaire), Natio-Vie (BNP), SOGECAP (Société
Générale) et les Assurances Fédérales
(Crédit Lyonnais).
Sur le marché de l'assurance dommages, le Crédit agricole a
créé sa filiale d'assurance de dommages, Pacifica, en 1989. Ont
suivi le Crédit Lyonnais (accord avec Allianz), les Banques populaires
(accord avec la MAAF), la BNP (accord avec l'UAP), la Société
générale (avec les AGF et Commercial Union) et le CCF. Les deux
derniers venus, les Caisses d'épargne (avec les Mutuelles du Mans
Assurances) et le CIC (avec le GAN) disposent d'un réseau important.
Par rapport aux réseaux traditionnels, les établissements
bancaires bénéficient d'une implantation géographique
remarquable. La distribution d'un produit nouveau par un réseau bancaire
se fait à coûts fixes pratiquement constants et à
coût marginal très faible. En outre, s'agissant de produits
d'assurance simples et banalisés, la compétence technique requise
de la part des vendeurs est relativement faible.
Enfin, la gestion des produits d'assurance vie est très similaire
à la gestion de produits d'épargne bancaire. En effet, les
activités de banque et d'assurance présentent une grande
complémentarité : complémentarité des
horizons, complémentarité dans la sensibilité aux cycles
économiques, complémentarité des risques subis.
Les filiales vie des banques et les compagnies d'assurance partenaires des
banques jouissent ainsi de taux de chargement de 5 %, très
inférieurs à leur principal canal concurrent sur ce type de
produits que sont les réseaux salariés.
Le Conseil de la concurrence précise
14(
*
)
toutefois que "
les avantages
comparatifs dont jouissent les " bancassureurs " par rapport aux
réseaux traditionnels de distribution de l'assurance ne constituent pas
en eux-mêmes des distorsions de concurrence, en l'absence de
discriminations en leur faveur et en l'absence de prix prédateurs
avérés
. "
En matière d'assurance de dommages en revanche, les synergies sont plus
difficiles à mettre en évidence puisqu'il s'agit cette fois de
métiers très différents. La principale exigence du client
concerne la qualité du service, essentielle en cas de sinistre. Les
banques ont toutefois réussi à s'implanter dans la couverture des
risques de masse grâce :
- à la séparation des processus opérationnels de gestion
des ventes et de gestion des sinistres, avec centralisation au niveau
régional du traitement des sinistres et gains de productivité
associés ;
- à une gestion rapide et humanisée des sinistres,
c'est-à-dire grâce à la qualité du
" back-office " géré dans une perspective d'honorer les
engagements et non pas de les discuter ;
- à la prestation de services et à la fidélisation de la
clientèle.
Les " bancassureurs " ne détiennent ainsi que 6 % du
marché mais affichent l'ambition de conquérir 25 % du
marché des assurances de dommages du particulier d'ici 2005.
2. Le rôle croissant joué par les mutuelles sans intermédiaires dans l'assurance de dommages
Une des
caractéristiques du marché français est la part croissante
prise par les mutuelles sans intermédiaires (MSI) sur le marché
de l'assurance dommages. Elles sont ainsi passées de 44 % du
marché de l'automobile en 1987 à 50 % en 1996.
Grâce à un réseau de distribution intégrée
facile d'accès, à un fonds de commerce très solide et
à des coûts maîtrisés ne supportant pas l'exigence du
rendement minimal de fonds propres, les MSI proposent en effet des tarifs
inférieurs de 25 à 30 % à ceux des
sociétés traditionnelles, ce qui gêne les entreprises
classiques, françaises et étrangères.
Le tableau ci-après illustre la progression de leurs parts de
marché depuis dix ans. Cette ascension s'est faite essentiellement au
détriment des agents généraux d'assurance.
Les sociétés d'assurance mutuelle membres du GEMA (Groupement des
entreprises mutuelles d'assurance) viennent ainsi de dépasser le seuil
de 20 % du marché de l'assurance dommages et de
responsabilité. Elles regroupent 15 millions de sociétaires
(400 000 nouveaux sociétaires en 1997) et gèrent 120
milliards de francs d'actifs. Leur part de marché en assurance auto est
de 32 %. Leur taux moyen de frais généraux en 1996
était de 21,8 %, très inférieur à la moyenne
du marché qui était de 26,3 %.
La MACIF
15(
*
)
est le premier
assureur français auto avec une couverture de 4,7 millions de
véhicules, soit 16 % du parc automobile français.
3. L'arrivée timide de la vente directe
L'implantation des assureurs directs en France s'est
réalisée par vagues successives depuis les années 70.
Toutefois, les tentatives de certains assureurs (Création de Direct
Assurances par AXA, d'Eurofil par Commercial Union ou de Socad par le Groupe
Azur) se sont soldées par de lourds déficits. Même si
l'économie liée aux coûts de distribution permet à
la vente directe de pratiquer des tarifs de 10 % inférieurs
à ceux des meilleures mutuelles sans intermédiaires, la masse
critique se situerait entre 100 000 et 150 000 contrats, chiffre dont
la plupart des sociétés restent loin, d'autant que les
investissements sont particulièrement élevés.
La part de vente directe en France reste en conséquence faible et
progresse peu depuis une dizaine d'années. Elle ne représentait
en 1996 que 2,1 % de l'ensemble des assurances de dommages et 6 % des
assurances vie.
Pour le BIPE
16(
*
)
, qui rappelle
que la vente directe représente plus de 30 % du marché de
l'assurance-automobile en Grande-Bretagne, la cible est pourtant prometteuse
à moyen terme. Il s'agit d'une clientèle jeune, urbaine,
habituée au téléphone et sensible au prix. Le Conseil de
la concurrence rappelle quant à lui que c'est une clientèle
volatile dont la sinistralité est élevée
17(
*
)
.
4. La grande distribution : un concurrent à fort potentiel
Les
spécialistes de la grande distribution, hypermarchés ou
entreprises de vente par correspondance, souhaitent profiter du large potentiel
que représente leur clientèle en lui proposant des produits
d'assurance. Le CAPA estime que peuvent prendre pied sur le marché de
l'assurance et s'y enraciner les acteurs qui ont une clientèle stable,
avec une bonne relation de confiance, et qui disposent d'une base de
données bien nourrie. Toutefois, le principe consistant à
proposer des produits ciblés sur des segments de marché pour
mieux fidéliser la clientèle n'est pas facile à appliquer.
Carrefour a ainsi créé Carma, une société
d'assurance IARD (incendie, accidents, risques divers), en partenariat avec les
Mutuelles du Mans en 1991. Il a toutefois fallu attendre 1997 pour que cette
filiale dégage un bénéfice de 3 millions de francs sur un
chiffre d'affaires de 370 millions de francs. En outre, pour la première
fois en 1997, Carrefour a utilisé le fichier des 1,2 million de porteurs
de sa carte de crédit Pass. Son objectif est désormais d'assurer
1 % du parc automobile français en 2005.
Cofinoga applique également une stratégie de montée en
gamme, le principe étant de vendre un petit produit à faible
prime (lié aux accidents domestiques par exemple) au marketing
très étudié, puis, de solliciter le client en marketing
direct.
En revanche, Ikéa n'a vendu que quelques centaines de contrats depuis
que la société a créé ses quatre produits (MRH -
multirisque habitat, scolaire, hospitalisation et individuelle accident) en
1991 en partenariat avec la Société suisse. L'objectif pour Ikea
n'est pas de dégager un bénéfice mais d'équilibrer
les coûts tout en fidélisant les clients. Sont visés en
priorité les 250 000 porteurs de la carte Family.