II. HARMONISER LES CONDITIONS D'EXERCICE DU MÉTIER DE L'ASSURANCE
Comme
l'a précisé le Conseil de la concurrence dans son avis du
17 septembre 1996 relatif aux conditions de concurrence dans le
système bancaire et de crédit français
40(
*
)
, "
le bon fonctionnement de la
concurrence sur un marché n'implique pas nécessairement que tous
les opérateurs aient des conditions d'exploitation identiques, mais
suppose toutefois qu'aucun d'entre eux ne bénéficie pour son
développement de facilités que les autres ne pourraient obtenir
et d'une ampleur telle qu'elles lui permettent de fausser le jeu de la
concurrence, en empêchant des concurrents aussi efficaces de progresser
sur ce marché, sauf à ce que ces facilités soient
justifiées par des considérations d'intérêt
général
".
Le groupe de travail respecte la diversité des statuts juridiques des
acteurs qui interviennent sur le marché de l'assurance mais
considère qu'ils doivent pouvoir évoluer dans un contexte fiscal,
prudentiel et réglementaire le plus neutre possible pour ne pas fausser
le jeu de la concurrence. C'est notamment vrai sur le segment de la protection
sociale complémentaire qui est le plus ouvert.
Il convient donc d'harmoniser ce qui doit l'être.
A. TRANSPOSER LES 3ÈMES DIRECTIVES AUX MUTUELLES DE LA MUTUALITÉ
1. Rappel historique
Les
troisièmes directives européennes 92/49/CEE du 18 juin 1992 sur
l'assurance non-vie et 92/96/CEE du 10 novembre 1992 sur l'assurance vie visent
à mettre en place un véritable marché unique de
l'assurance reposant pour l'essentiel sur l'existence d'une licence unique
permettant à toute entreprise agréée dans un État
de s'établir ou de prêter ses services dans l'ensemble du
territoire communautaire, sous le seul contrôle de l'autorité
compétente de son pays d'origine. Ce mécanisme entraîne la
suppression de l'approbation préalable et de la communication
systématique des conditions et des tarifs d'assurance aux
autorités chargées du contrôle, sauf pour les assurances
obligatoires.
Compte tenu de l'inclusion des mutuelles " 45 " dans le champ
d'application de ces directives, celles-ci auraient du être
transposées dans le code de la mutualité avant le 31
décembre 1993
41(
*
)
.
Leur non transposition dans le code de la mutualité a, jusqu'à
présent, appelé une lettre de mise en demeure (31 janvier 1996)
puis un avis motivé (5 mars 1997) de la part de la Commission
européenne. En dépit des propositions françaises tendant
à transposer les directives tout en respectant la
spécificité mutualiste, la Commission a finalement saisi la Cour
de justice des communautés européenne le 8 mai 1998 pour
transposition incomplète.
Il paraît donc désormais difficile aux mutuelles du code de la
mutualité de se soustraire à l'application de dispositions
qu'elles avaient, au demeurant, elles-mêmes appelées en 1991 afin
de bénéficier de la liberté d'établissement et de
la liberté de prestations de services.
Elles sont revenues en 1996 sur cette position
42(
*
)
pour trois raisons.
En premier lieu, les directives imposent le principe de spécialisation
selon lequel "
chaque État membre exige que les entreprises
d'assurance qui sollicitent l'agrément (...) limitent leur objet social
à l'activité d'assurance et aux opérations qui en
découlent directement, à l'exclusion de toute autre
activité commerciale
. "
Non seulement ce principe obligerait les groupements mutualistes à
" filialiser " les oeuvres sociales (voir encadré ci-dessous)
que beaucoup d'entre elles ont créées, mais surtout, il rendrait
difficile, voire impossible les transferts de fonds entre activités
bénéficiaires et déficitaires, permis jusqu'à
présent par l'absence de séparation entre activités
d'assurance et activités sociales. Les mutuelles craignent en
conséquence la disparition d'un certain nombre d'établissements
non profitables.
Les oeuvres sociales des mutuelles " 45 "
Les
mutuelles ne limitent pas leurs activités à la seule couverture
des risques. Un certain nombre d'entre elles gèrent en effet divers
types de services associés : établissements de soins,
centres dentaires et d'optique, pharmacies, maisons de retraite, etc. Ces
établissements n'ont pas de personnalité juridique propre
(article L. 411-2 du code de la mutualité).
Dans certains cas, les services proposés n'ont qu'un rapport lointain
avec la "
prévention des risques sociaux liés à la
personne et à la réparation de leurs
conséquences
", objet principal de l'activité
mutualiste, mais se rattachent plutôt à l'objectif très
large de "
développement culturel, moral, intellectuel et
physique de leurs membres et l'amélioration de leurs conditions de
vie
" également poursuivi par les mutuelles en vertu de
l'article L. 111-1 du code de la mutualité : centres de
vacances et de loisirs, cautionnement de prêts, tarifs réduits sur
des produits culturels, etc.
La Fédération nationale de la mutualité française
(FNMF) évalue à 10 milliards de francs le chiffre d'affaires
réalisé par les 1 500 établissements
gérés par les mutuelles affiliées et parmi lesquels on
compte :
- 322 centres d'optique,
- 257 centres de santé dentaire,
- 43 centres médicaux,
- 311 établissements et services pour les personnes âgées,
- 174 services et centres de loisirs vacances,
- 59 établissements court moyen séjour et de santé mentale.
En second lieu, la transposition des directives accentuerait les règles
de sécurité prudentielles applicables aux mutuelles et mettrait
fin à l'obligation de réassurance dans le réseau
mutualiste.
Enfin, les directives prévoient la possibilité de
transférer le portefeuille de mutuelles au profit des
sociétés d'assurance et des institutions de prévoyance.
Comme le rappelle M. Bacquet
43(
*
)
, président de la section
sociale du Conseil d'Etat, dans un rapport remis au ministre des affaires
sociales en mai 1994 :
"
Les instances mutualistes ne sont pas hostiles, par principe,
aux transferts de portefeuille, mais elles voudraient que ces transferts ne
soient possibles qu'entre organismes mutualistes, donc n'interviennent
qu'à l'intérieur de la famille mutualiste. Ceci en vue de
préserver les caractère spécifiques de la mutualité
et d'éviter la banalisation des mutuelles au sein du secteur des
assurances, mais aussi pour écarter le risque d'absorption d'entreprises
de l'économie sociale par le secteur de l'économie à but
lucratif. "
2. Une transposition réaliste
Précisons d'emblée que si le groupe de travail
s'est
prononcé pour la transposition des directives européennes dans le
code de la mutualité, c'est en ayant pleinement conscience et en
respectant les spécificités de la mutualité
française. Il considère cependant qu'une transposition ne serait
pas nécessairement contraire aux intérêts des groupements
mutualistes si elle s'accompagne d'un certain nombre d'aménagements.
Au demeurant, comme le rappelle M. Bacquet, les directives ont
elles-mêmes prévu d'exclure du champ de la transposition un
certain nombre de mutuelles :
en non vie
(directive 92/49) :
- les mutuelles dont le statut prévoit la possibilité de
procéder à des rappels de cotisations (ou réduction des
prestations), ne couvrant pas les risques responsabilité civile,
crédit et caution, percevant moins d'un million d'Ecus
(6,5 MF de cotisations annuelles) et dont la moitié au moins des
cotisations provient des membres affiliés ;
- les mutuelles ne versant que des prestations d'assistance en nature et
percevant moins de 200 000 Ecus par an (1,3 MF) ;
- les mutuelles intégralement réassurées auprès
d'une entreprise d'assurance de même nature ou pour lesquelles le
cessionnaire se substitue à la cédante pour l'exécution
des engagements ;
en vie
(directive 92/96) :
- les mutuelles dont le statut prévoit la possibilité de
procéder à des rappels de cotisations (ou réduction des
prestations ou de faire appel au concours d'autres personnes ayant souscrit un
engagement à cette fin) et ayant perçu moins de 0,5 million
d'Ecus (3,2 MF) de cotisations annuelles pendant au moins
3 années consécutives ;
- les mutuelles ne versant que des allocations pour frais d'obsèques.
En pratique, ces dispositions pourraient permettre d'exclure de très
nombreuses petites mutuelles
44(
*
)
maladie dans la mesure où :
- soit le code de la mutualité serait modifié pour leur permettre
de procéder à des rappels de cotisations
45(
*
)
;
- soit elles se réassureraient intégralement auprès d'une
union de mutuelles, qui elle-même pourrait se réassurer
auprès de toute société de réassurance.
Bien qu'elles n'affichent pas un front uni
, les mutuelles se montrent
d'ailleurs disposées à évoluer
. Elles se disent ainsi
prêtes à séparer dans une comptabilité analytique
leurs activités d'assurance complémentaire santé et celles
de gestionnaire d'oeuvres sociales auxquelles pourrait être étendu
le champ de la surveillance de leurs commissaires contrôleurs. Elles
proposent de filialiser toutes les activités commerciales qui n'ont pas
de lien avec l'assurance santé à l'image notamment des centres de
vacances et de loisirs. Elles considèrent enfin comme légitime
leur assujettissement aux mêmes règles prudentielles que les
sociétés du code des assurances
46(
*
)
.
Il convient néanmoins d'aller plus loin
et, comme le
préconisait M. Bacquet,
" de
modifier les
dispositions du code de la mutualité afin de séparer
juridiquement la gestion des oeuvres sociales de celle des activités
d'assurance et de prévoyance des mutuelles. "
En effet, bien que la filialisation juridique ne soit pas une condition de la
transparence comme le rappelle très justement le Commissariat
Général du Plan, la prohibition du cumul d'activité doit
néanmoins empêcher que les résultats éventuellement
négatifs d'une activité non soumise aux disciplines rigoureuses
des règles prudentielles viennent " polluer " les
résultats de la gestion de l'activité d'assurance, et le cas
échéant, réduire l'efficacité du système
spécifique de sécurité financière que constitue
l'ensemble des règles prudentielles.
Mais pour permettre que les établissements gérés par les
groupements mutualistes continuent à jouer leur rôle de
régulateur sur le marché de la santé en incitant au
respect des tarifs conventionnels et à la modération des prix en
général,
il convient de préserver un mécanisme
de transfert de fonds, pourvu qu'il s'opère en toute transparence et en
conformité avec les règles prudentielles
. Le code de la
mutualité doit donc permettre à une mutuelle de subventionner sa
filiale chargée de gérer ses oeuvres sociales, étant
observé que la mutuelle exerçant l'activité de protection
sociale complémentaire aura dû préalablement satisfaire
à toutes les règles de sécurité financière
qui s'imposent à elle.
S'agissant des transferts de portefeuille, outre que rien n'obligera un
organisme mutualiste à transférer tout ou partie de son
portefeuille à une société du secteur lucratif, il sera
toujours loisible à l'autorité de tutelle des mutuelles de
s'opposer au transfert de portefeuille de mutuelles à des organismes non
mutualistes si elle estime qu'il en va de l'intérêt des
assurés et des créanciers. En tout état de cause, il
paraît souhaitable que toute cession soit subordonnée à une
décision prise par l'assemblée générale de la
mutuelle dans des conditions particulières de quorum et de vote, et que
le prix du transfert vienne abonder les réserves de la mutuelle.
Enfin, l'application des directives au secteur mutualiste ne devrait pas porter
atteinte au principe de la réassurance interne obligatoire pour les
mutuelles auprès des fédérations mutualistes, pourvu que
les fédérations nationales aient la liberté de se
réassurer à l'extérieur de la mutualité,
auprès de tout organisme pratiquant la réassurance.
Au total, comme la FNIM
47(
*
)
, le
groupe de travail estime que la spécificité mutualiste n'est pas
incompatible avec les règles européennes de l'assurance. La
transposition aux mutuelles " 45 " des directives européennes
n'empêcherait nullement la préservation d'une certaine
spécificité réglementaire et fiscale liée, soit aux
modalités de fonctionnement propres à une société
de personnes, soit aux contraintes sociales spécifiques qu'elles peuvent
choisir d'assumer en liaison avec leur caractère non lucratif.