CHAPITRE III

L'ADAPTATION DE L'ASSURANCE FRANÇAISE À LA MUTATION DES MARCHÉS PASSE PAR DES RÉFORMES INDISPENSABLES

I. SUPPRIMER LES HANDICAPS FISCAUX PESANT SUR L'ASSURANCE FRANÇAISE

A. METTRE EN CONFORMITÉ LES RÈGLES FISCALES AVEC LES RÈGLES PRUDENTIELLES

Pour prévenir les requalifications par l'administration fiscale de provisions constituées par les compagnies d'assurance en conformité avec les règles prudentielles et leur assujettissement à l'impôt sur les sociétés, le groupe de travail propose une harmonisation des règles prudentielles et fiscales. Les provisions à constituer conformément au code des assurances seraient, de ce fait, systématiquement déductibles.

Toutefois, afin que cette harmonisation ne conduise pas à rigidifier les règles d'évaluation de certaines provisions, chacune des provisions réglementaires serait étudiée au cas par cas.

B. MODERNISER LA FISCALITÉ DE L'ASSURANCE

Deux contributions particulières pèsent lourdement sur la rentabilité du secteur des assurances (comme d'ailleurs sur celle du secteur bancaire) : la taxe sur les salaires et la contribution sur les institutions financières.

Ces contributions ont trois défauts : elles pèsent sur l'emploi et non sur la richesse produite, elles pénalisent les assurances par rapport aux autres secteurs de l'économie, et elles les affaiblissent par rapport aux compagnies étrangères qui n'acquittent pas ce type d'impôt.

1. Supprimer la taxe sur les salaires

Assise sur la masse salariale dont elle peut représenter jusqu'à 13,60 % du montant total, cette taxe entraîne un prélèvement d'en moyenne 6 % du chiffre d'affaires des compagnies d'assurance.

Les sociétés d'assurance ont acquitté 2,5 milliards de francs à ce titre en 1995 soit environ 10 % des rémunérations versées.

S'appliquant également aux courtiers, dont la part des salaires avoisine 70 % du chiffre d'affaires, elle constitue un handicap sérieux dans la concurrence qui les oppose aux opérateurs étrangers non établis en France sur le marché de la couverture des grands risques.

Il convient donc de supprimer cette taxe progressivement, dans le respect de l'équilibre des finances publiques.

A cet égard, comme pour le secteur des banques, le groupe de travail propose deux solutions :

- prévoir une suppression progressive sur cinq ou dix ans ;

- remplacer la taxe sur les salaires par une fiscalité substitutive, de type TVA, qui ne pénalise pas l'emploi.

2. Supprimer la contribution des institutions financières

Comme les établissements de crédit, les entreprises d'assurance sont assujetties à une taxe spécifique dénommée contribution annuelle des institutions financières et égale à 1 % de leurs dépenses de fonctionnement.

En 1996, les entreprises d'assurance ont acquitté à ce titre environ 800 millions de francs.

Lorsqu'elle avait été créée en 1982, la contribution des institutions financières devait être exceptionnelle, la caractéristique principale des prélèvements exceptionnels en France étant d'être finalement pérennisés... ce qui nuit à la crédibilité des décisions fiscales.

Comme pour les banques, le groupe de travail estime que la contribution annuelle des institutions financières doit être supprimée.

Il se considère d'autant plus fondé à préconiser une telle suppression pour les entreprises du secteur de l'assurance qu'elles seront les premières victimes du triplement du taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle prévu par le projet de loi de finances pour 1999 pour financer la suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle. En effet, la cotisation minimale de taxe professionnelle 39( * ) touche essentiellement les entreprises dont les bases d'imposition à la taxe professionnelle (investissements et masse salariale) sont faibles, au premier rang desquelles figurent les compagnies d'assurance.

Il paraît donc équitable d'exonérer ces mêmes entreprises d'une taxe qui, encore une fois, n'était pas destinée à devenir pérenne et qui handicape nos entreprises dans la compétition internationale.

Afin d'éviter de nuire à l'équilibre des finances publiques, cette suppression peut se réaliser en trois étapes :

- autoriser sa déduction du bénéfice imposable ;

- supprimer la partie de l'assiette constituée par les salaires ;

- enfin, la supprimer totalement.

3. Réduire la fiscalité pesant sur les contrats d'assurance

En matière d'assurance vie, les directives posent le principe de l'application de la législation fiscale (impôts indirects et taxes parafiscales) en vigueur dans l'Etat membre où le risque est situé et au profit de cet État membre.

De même, en matière d'assurance non vie, les directives prévoient que les contrats sont exclusivement soumis aux impôts indirects et taxes parafiscales dans l'Etat membre où le risque est situé. Les contrats d'assurance de dommages vendus en France par des assureurs étrangers qui n'ont ni établissement, ni succursale, ni agence, et opérant en libre prestation de services supportent donc les taxes françaises : les entreprises étrangères sont tenues d'effectuer une déclaration d'existence et d'y désigner un représentant fiscal responsable du paiement de la taxe.

De telles dispositions pourraient a priori laisser penser qu'une harmonisation fiscale européenne n'est pas nécessaire dans la mesure où tous les assureurs souhaitant exercer en France, soit directement, soit en libre prestation de services, sont assujettis aux mêmes règles fiscales.

Mais une telle appréciation ne prend pas en compte les dangers réels de délocalisation des risques, notamment industriels, induits par la forte pression fiscale pesant sur les contrats d'assurance français. En effet, comment empêcher les entreprises de s'assurer dans le pays dont la fiscalité directe est la plus favorable s'agissant de risques difficilement localisables ?

C'est pourquoi, à défaut d'une harmonisation européenne, le groupe de travail recommande l'alignement progressif des taux de la taxe sur les conventions d'assurance sur la moyenne européenne des taux de cette taxe.

4. Stabiliser la fiscalité de l'assurance vie

Grisé par ses pouvoirs prométhéens, le gouvernement est traditionnellement pris en étau entre deux positions :

- orienter l'épargne dans des placements qu'il estime utiles à l'économie par des mesures fiscales incitatives ;

- limiter le poids de la dépense fiscale.

Ce dilemme l'a conduit à modifier 19 fois le régime fiscal de l'assurance vie depuis 1980, 12 fois depuis le 1 er janvier 1990 et 5 fois depuis 1996.

Aujourd'hui, la préoccupation du gouvernement est clairement de limiter la dépense fiscale au détriment des contribuables qui ont placé leur épargne dans des produits d'assurance vie en réponse aux incitations fiscales.

Outre la nécessaire sécurité fiscale des épargnants, deux arguments incitent le groupe de travail à préconiser une stabilisation de la fiscalité de l'assurance vie.

En premier lieu, comme on l'a vu dans le chapitre I, l'assurance vie explique l'essentiel de la croissance de l'assurance ces dix dernières années. L'épargne investie dans des contrats d'assurance vie contribue ainsi très largement au financement de l'économie nationale. Or, le choc fiscal qu'a constitué la fin de l'exonération des produits d'assurance vie a engendré une forte contraction de la collecte au début de l'année 1998, qui, même si elle n'est que conjoncturelle, illustre bien la très grande sensibilité de ce type de produits à la fiscalité.

En second lieu, loin de se reporter sur d'autres produits d'épargne nationaux, l'épargne française ainsi libérée risque fort de se reporter sur des contrats d'assurance vie souscrits à l'étranger lorsque l'euro aura rendu les prix et la fiscalité plus transparents. Les récentes mesures de sévérisation de la fiscalité de l'assurance-vie en France ne sont probablement pas sans rapport avec la croissance exceptionnelle des flux de placements de l'assurance-vie au Luxembourg : ils ont en effet augmenté de 56 % en un an.

En effet, deux facteurs rendent la France moins attractive que ses voisins :

- Tout d'abord, pour des raisons prudentielles, le rendement garanti des contrats d'assurance vie est plafonné selon plusieurs options. Cette règle, transférée dans le livre premier du code des assurance, s'applique à tous les opérateurs ayant une activité sur le territoire français car elle est considérée comme étant d'intérêt général.

Un souscripteur pourra donc avoir avantage à souscrire une assurance vie auprès d'une compagnie garantissant un rendement qui soit en rapport avec celui des actifs réels placés par l'entreprise (Grande-Bretagne ou Luxembourg), plutôt qu'auprès d'un de ses concurrents qui ne peut garantir qu'un rendement limité, par exemple à un pourcentage du taux d'émission des emprunts d'Etat.

- Par ailleurs, la fin de l'exonération des revenus des contrats d'assurance vie et l'augmentation récente des prélèvements pesant sur ces produits distingue désormais la France de certains États voisins qui ne pratiquent aucun impôt sur les revenus versés.

Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur un niveau d'imposition qui soit conforme à l'équité fiscale, tout en ne risquant pas de fragiliser les assureurs nationaux et l'économie nationale en constituant un facteur de délocalisation de l'épargne. Une étude comparative de la fiscalité pratiquée dans les pays européens sur l'assurance vie pourrait servir de base de réflexion.

En tout état de cause, il convient de prohiber toute mesure rétroactive qui romprait le pacte implicite passé entre les citoyens et l'Etat et qui contribuerait à creuser davantage le fossé entre gouvernants et gouvernés.

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