B. UN RISQUE DE PERTE D'IDENTITÉ NATIONALE

A la différence du secteur bancaire français qui reste encore sous contrôle national, certaines compagnies d'assurance françaises et la plupart des sociétés de courtage sont déjà passées sous le contrôle de capitaux étrangers.

Or, comme il a été vu dans le chapitre I, l'assurance française contribue très largement au financement de l'économie française par l'ampleur de ses investissements. Il est par conséquent à craindre qu'un changement de la structure capitalistique de l'assurance française fragilise le financement de notre économie.

1. L'opéabilité des sociétés d'assurance

Compte tenu des barrières à l'entrée sur le marché français et de la structure de la distribution, les assureurs étrangers désirant opérer en France ont du procéder à l'acquisition d'entreprises françaises, de façon à bénéficier de leurs réseaux de distribution.

La sous-capitalisation des sociétés d'assurance françaises a facilité leur tâche. Dans un passé récent, les opérations suivantes ont ainsi été réalisées :

- août 1994 : la compagnie britannique Commercial Union rachète le groupe Victoire ; cette opération s'est achevée par la fusion en 1996 des sociétés Sinafer et SEV au sein d'Abeille Vie, filiale de Commercial Union ; Grâce à cette opération, Commercial Union a pu réaliser en 1995 un chiffre d'affaires supérieur à 20 milliards de francs.

- 1997 : le groupe italien Generali lance une OPA sur les AGF (n° 3 français) finalement rachetés par Allianz.

Cette opération, qui s'est accompagnée de la cession de la société Athéna à Generali, aura également pour effet une prise de participation d'Allianz dans la COFACE.

A la fin de l'année 1997, trois des dix premières entreprises françaises étaient contrôlées par des compagnies étrangères ; elles représentaient 16,2 % du total des primes recueillies, toutes assurances confondues, mais seulement 11 % dans le secteur de l'assurance-vie.

Grâce à ces acquisitions, le poids global des assureurs étrangers sur le marché français continue sa progression. Après l'acquisition des AGF, Allianz est devenu le premier intervenant étranger sur le marché français devant Generali. Ce dernier a récemment déclaré vouloir augmenter sa part de marché en assurance dommage en France et disposer de moyens suffisants pour financer une opération de croissance externe.

Le Commissariat Général du Plan relève en outre la forte dégradation des positions de l'assurance française à l'occasion des restructurations qui se sont produites dans l'industrie de l'assurance. On peut mesurer ce recul en observant la part du marché français qui est désormais celle des acteurs de l'assurance détenus par des capitaux non-français.

Parts de marché français détenues par les sociétés d'assurance sous contrôle étranger en % en 1996 :

sans AGF, ATHÉNA et GAN Y compris AGF et ATHENA

mais sans le GAN

Particuliers : 13,4 % 24,8 %

Risques industriels : 25,2 % 39,3 %

Transport : 16,5 % 42,9 %

Construction : 9,9 % 15,9 %

Crédit caution : 7,5 % 84,4 %

Autres : 5 % 8,9 %

A l'inverse, dans les grandes restructurations récentes, il ne paraît pas y avoir eu d'acquisitions françaises équivalentes en Europe (à l'exception du rachat par AXA de la Royale Belge, deuxième assureur belge, en mai 1998). Les acquisitions françaises ont plutôt eu lieu aux Etats-Unis. Par ailleurs, le positionnement international traditionnel de la croissance française s'est très orienté vers le Sud et très peu vers l'Europe du Nord.

2. Des sociétés de courtage sous influence

A l'exemple de leurs clients (les entreprises) dont elles accompagnent la croissance, les sociétés de courtage sont confrontées à une course à la taille.

Or, comme l'observe le Commissariat Général du Plan, à l'occasion de cette concentration internationale par fusions et acquisitions, la plupart des grandes sociétés de courtage françaises sont passées sous contrôle étranger .

Ainsi, en dix-huit mois, la Cecar, Gras Savoye et Le Blanc de Nicola ont suivi le chemin tracé par Faugère et Jutheau, entré dans le giron du numéro un mondial, Marsh McLennan en 1992. Aucun des quatre premiers courtiers français n'a pu conserver son indépendance 37( * ) . Seul Gras Savoye ne l'a pas totalement aliénée, en faisant entrer le Britannique Willis Corroon, quatrième courtier mondial dans son capital, à hauteur de 31,7 % en juillet 1997. Un an après, Willis Corroon était racheté par l'américain Kohlberg Kravis Roberts (KKR).

Il ne faut pas sous-estimer les risques qu'une telle évolution induit en termes d'influence. En effet, étant donné l'ampleur et la qualité des informations qu'ils détiennent, les courtiers peuvent être de très efficaces agents de l'intelligence économique au service de leurs nouveaux actionnaires.

Par ailleurs, une telle évolution risque d'entretenir, voire de pérenniser l'éviction des assureurs français du marché des grands risques industriels comme cela a été évoqué plus haut 38( * ) , si les filiales françaises des courtiers anglo-saxons étaient amenées à favoriser les compagnies d'assurance d'origine anglo-saxonne.

Le même phénomène de concentration s'observe dans le courtage français de réassurance.

Le groupe de travail estime que la spécificité du courtage français mérite d'être défendue. En effet, à la différence des courtiers anglo-saxons qui se contentent de vendre des contrats et qui n'ont que le souci du vendeur, le courtier français est un conseil en achat de contrats d'assurance pour son client. Non seulement il émet les primes d'assurance, gère les encaissements et les relances, mais il assure la gestion des sinistres et s'occupe du client en continu en cas de survenance du risque couvert. Il a, par rapport au " broker ", le souci global de son client.

Certes cette spécificité du courtage français est coûteuse à gérer, ce qui expliquerait la moindre rentabilité du courtage français. Mais, elle représente un service beaucoup plus important pour le client, que les courtiers français sont susceptibles de pouvoir valoriser commercialement dans un contexte d'interpénétration des marchés nationaux européens.

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