B. ORGANISER : LE STATUT DES ENTREPRISES AUDIOVISUELLES
La
liberté de la concurrence ainsi que le pluralisme et la transparence des
entreprises sont les objectifs majeurs du régime juridique des
entreprises de communication audiovisuelle mis en place par la loi du
30 septembre 1986. Les problèmes que celui-ci doit résoudre
changent progressivement de dimension sous l'influence de deux
phénomènes.
Le premier est la tendance à la concentration et à
l'intégration verticale qui accompagne l'avènement de
l'économie numérique. Ce phénomène met en relief
deux nécessités contradictoires, celle de la constitution d'une
industrie audiovisuelle concurrentielle au plan international, et celle de la
diversité des opérateurs nationaux, cette diversité
étant une garantie essentielle de la liberté de la concurrence et
du pluralisme des courants d'expression socioculturels.
Le second phénomène à prendre en compte est
spécifiquement français. Un nombre restreint d'entreprises, dont
l'activité est souvent largement dépendante des commandes de
l'Etat et des collectivités locales, parait en mesure de mobiliser les
ressources nécessaires au financement des investissements très
lourds qu'implique la conquête de positions clés sur les
marchés émergeants de la télévision
numérique et du multimédia. Cette situation n'est pas sans poser
problème.
On a vu dans la première partie de ce rapport que l'absence
d'informations objectives ne permettait pas plus d'identifier un grave risque
de conjonction entre la détention d'un pouvoir sur l'information et la
poursuite de stratégies économiques, que de conclure à
l'innocuité de la présence massive dans la communication
audiovisuelle d'intérêts économiques extérieurs au
secteur. Ce qui importe est que le risque ne pouvant être
écarté, il doit être prévenu dans
l'intérêt de la déontologie de la communication. Mais le
dispositif existant est-il insuffisant, comme le gouvernement semblait le
croire il n'y a guère, faut-il créer de nouvelles contraintes
pour les opérateurs, lesquelles, avec quelles conséquences pour
le dynamisme de l'audiovisuel français ? Ces questions seront au
coeur des débats qui s'annoncent.
Le régime juridique des entreprises de communication audiovisuelle
suscite ainsi un fort regain d'intérêt. On tentera ci-dessous
d'esquisser une problématique en dissociant autant que faire se peut ce
qui est lié à la préservation du pluralisme et ce qui est
lié à l'objectif de la libre concurrence.
1. Le pluralisme
a) Les garanties
Comme on
l'a vu, la notion de pluralisme est au coeur de la loi du 30 septembre 1986.
Elle a inspiré l'élaboration du dispositif anti-concentration,
composante essentielle du régime juridique des entreprises de
l'audiovisuel.
Celui-ci a été en effet institué par la loi du 27 novembre
1986 complétant la loi du 30 septembre 1986, sur l'injonction du
Conseil constitutionnel. La décision n° 86-127 du
18 novembre 1986 avait en effet qualifié le pluralisme des courants
d'expression socioculturels d'objectif de valeur constitutionnelle, et
considéré le système de contrôle des concentrations
adopté initialement par le législateur comme insuffisant au
regard de l'enjeu. La décision du conseil énumérait six
reproches, dessinant ainsi un panorama précis des mesures à
prendre.
Le système anti-concentration qui figure actuellement dans la loi du
30 septembre 1986 résulte de ces injonctions (la loi du
1er février 1994 a effectué de légères
adaptations). Particulièrement complexe, il comporte trois séries
de dispositions : des limitations à la détention du capital
des sociétés autorisées à exploiter un service de
communication audiovisuelle, une limitation des cumuls d'autorisations
relatives à un même support de communication audiovisuelle, une
limitation des concentrations multimédias à l'échelon
national.
Les tableaux suivants, extraits de l'ouvrage de Francis Balle,
" Médias et Sociétés "
48(
*
)
, présentent un
résumé synoptique de ce dispositif (à l'exception des
seuils de détention du capital -cf. à cet égard l'article
39 de la loi de 1986).
LIMITATION DES POSITIONS DOMINANTES MONOMÉDIAS D'UNE MÊME PERSONNE OU D'UN GROUPE DE PERSONNES
Services |
Autorisations |
Seuils de cumul d'autorisations |
Seuil relatif au contrôle d'entreprise de presse |
•
T.V. hertzienne nationale
|
1
|
|
|
• T.V. hertzienne diffusée dans une zone géographique déterminée (200.000 à 6 M d'habitants). |
•
Une seule autorisation dans une même zone.
|
|
|
•
Radiodiffusion sonore
|
|
• Seuil de 150 M d'habitants pouvant être desservis par un même opérateur |
|
• Câble |
|
• Couverture de 8 M d'habitants au maximum |
|
• Presse quotidienne d'information politique générale. |
|
• |
• Pas de contrôle direct, indirect ou en location gérance de plus de 30 % de la diffusion totale de cette catégorie de presse. |
LIMITATION DU CUMUL DES POSITIONS MULTIMÉDIAS
Services à diffusion nationale |
Services diffusés dans une même zone géographique |
||
1) T.V. hertzienne terrestre > 4 M. hab + radio > 30 M hab. |
•
Pas d'autorisation de réseaux câblés > 6 M. hab.
|
1) T.V. hertzienne terrestre + radio > 10 % audience cumulée des services de même nature. |
•
Pas de réseau câblé.
|
2) T.V. hertzienne terrestre > 4 M. hab + presse > 20 % diffusion totale de la presse. |
•
Pas d'autorisation radio > 30 M. hab.
|
2) T.V.+ publication de presse |
•
Pas de réseau câblé
|
3) Radio
> 30 M. hab.
|
•
Pas d'autorisation
|
3) Radio > 10 % audience cumulée des services de même nature + presse |
•
Pas de T.V.
|
4)
Réseaux câblés
|
•
Pas d'autorisation
|
4)
câble + radio
|
•
Pas de T.V.
|
5)
Réseaux câblés
|
•
Pas d'autorisation
|
5) Câble + presse |
•
Pas de T.V.
|
Règle générale
: une même
personne ou groupe de personnes peut disposer de positions dominantes dans deux
médias sur quatre, dans les respects des limites fixées aux
positions dominantes monomédias. Au-delà, les règles
ci-dessus s'appliquent.
|
b) Pistes
On
évoquera successivement les critiques adressées au dispositif
anti-concentration de la loi de 1986 et les propositions de réforme
présentées ici et là.
Une des critiques les plus fréquentes porte sur le seuil de
détention par une même personne du capital d'une chaîne
nationale de télévision par voie hertzienne terrestre,
porté à 49 % par la loi du 1er février 1994.
Il a été suggéré de revenir au seuil de 25 %
fixé précédemment ou de fixer un nouveau seul de 30 %,
afin de limiter l'influence d'une personne physique ou morale sur la gestion
des services généralistes de télévision, ceux dont
l'influence politique et sociale est la plus marquée. Il est possible de
remarquer à l'égard de ces propositions qu'une décision du
Conseil constitutionnel des 10 et 11 octobre 1984 ne permet au
législateur de remettre en cause des situations existantes
intéressant une liberté publique, ce qui est le cas ici, que si
ces situations ont été illégalement acquises, ou si cela
est réellement nécessaire pour assurer la réalisation de
l'objectif constitutionnel poursuivi. Il ne peut s'agir dans notre cas que du
pluralisme. Or, comme l'article 28-1 de la loi de 1986 l'y invitait, le CSA a
constaté, lors du récent renouvellement de l'autorisation de TF1,
que cette reconduction ne portait pas atteinte à l'impératif de
pluralisme sur le plan national, ou sur le plan régional et local. La
remise en cause éventuelle de l'actionnariat des chaînes de
télévision semble ainsi se heurter à de sérieux
problèmes de constitutionnalité.
Notons aussi que, du reste, le contrôle de la propriété du
capital des entreprises de communication audiovisuelle institué par la
loi de 1986 ne paraît pas totalement efficace dans la mesure où
certains groupes de sociétés n'ont pas de réalité
juridique. La loi peut être contournée sans difficulté
excessive.
Il a été proposé par ailleurs d'assurer
l'indépendance des entreprises de communication audiovisuelle à
l'égard d'actionnaires dépendant des commandes publiques. On peut
se demander si la structure de l'industrie française permet ce type de
mesure. On peut aussi se demander si la jurisprudence citée plus haut du
Conseil constitutionnel permet une telle réforme législative,
dans la mesure où celle-ci impliquerait la modification de
l'actionnariat des chaînes nationales.
L'absence de disposition législative permettant de limiter l'influence
des actionnaires d'une entreprise de communication audiovisuelle sur
l'information a aussi été critiquée. Diverses formules ont
été préconisées, dont le cantonnement dans des
structures juridiques autonomes, des participations de groupes industriels dans
l'audiovisuel. On notera à cet égard que si la séparation
juridique entre les différentes activités d'une entreprise ou
d'un groupe est une technique utile pour résoudre certains
problèmes intéressant les entreprises publiques
49(
*
)
, la formule ne garantit pas, en
revanche, l'indépendance fonctionnelle des différentes structures
d'un groupe d'entreprises. La séparation juridique des activités
ne paraît pas une véritable garantie pour le pluralisme.
On concluera l'énumération des critiques en notant qu'aucune
disposition de la loi de 1986 n'interdit à un opérateur de
contrôler la totalité du marché sur lequel il opère.
La limitation des parts de marchés monomédias ou
multimédias détenues par un opérateur sur un marché
national ou local a été proposée comme remède
à cette lacune. La loi de 1986 esquisse une solution de ce type en
faisant figurer le contrôle de quotidiens d'informations politique ou
générale représentant plus de 20 % de la diffusion
nationale, parmi les situations susceptibles d'interdire l'octroi à une
personne d'une autorisation relative à un service de radiodiffusion
sonore ou de télévision par voie hertzienne terrestre, ou
relative à l'exploitation d'un réseau câblé (art.
41-1). On peut imaginer de développer de type de mesure.