B. LA MULTIPLICATION DES RISQUES
Force
est de constater que, si le nombre de cas de gestion de fait reste somme toute
très limité, la diversification très grande des
activités locales et la nécessité pour les
collectivités locales de répondre aux demandes multiples de la
population ont eu tendance à
exposer davantage
les ordonnateurs
au risque de la gestion de fait.
Le nombre de déclarations provisoires de gestion de fait par la Cour des
comptes en ce qui concerne les collectivités et établissements
locaux, avant la décentralisation, se situait entre cinq et dix par an
(5 en 1980 ; 10 en 1981 ; 8 en 1982). Les chambres régionales des
comptes opèrent entre trente-cinq et quarante déclarations
provisoires par an (36 en 1986 ; 40 en 1987 ; 37 en 1988). Dans la
période la plus récente, cette tendance s'est
légèrement accentuée (66 en 1993 ; 53 en 1994 ; 48 en 1995
et 49 en 1996).
Or, le plus souvent, ces gestions de fait concernent des ordonnateurs qui,
sans que leur bonne foi ne soit en cause
, se sont placés en
dehors du cadre prévu par la loi.
L'extension importante des associations para-administratives -utilisées
pour remédier aux rigidités très fortes de la gestion
publique ou pour engager des actions impliquant des partenaires
extérieurs- a en particulier favorisé le développement des
situations de gestion de fait.
En matière de recouvrement de recettes publiques, l'engagement d'une
procédure de gestion de fait résulte fréquemment de
l'encaissement de bonne foi par des personnes dépourvues de toute
habilitation, de recettes destinées à une collectivité ou
à un organisme doté d'un comptable public, lequel est seul
autorisé à les recouvrer.
Tel peut être le cas, par exemple, de l'encaissement par une association
non habilitée ou par le maire du produit de la location d'une salle des
fêtes. Il peut s'agir également de l'encaissement par le
secrétaire de mairie de recettes du camping municipal ou par un
bibliothécaire des recettes de la bibliothèque municipale sans
création d'une régie de recettes.
En matière d'extraction de deniers publics, certaines situations
irrégulières relevées par les chambres régionales
des comptes ont pu concerner des mandats fictifs consistant pour l'ordonnateur
à conserver la maîtrise de l'utilisation de la subvention
versée. Il en est en particulier ainsi s'il en fait usage pour payer des
dépenses relevant de la responsabilité de la collectivité
qu'il dirige et non de l'objet social de la personne morale
bénéficiaire de la subvention.
Il peut en être ainsi notamment lorsqu'une association
subventionnée prend en charge des factures libellées au nom de la
commune. De nombreux cas ont pu, par ailleurs, concerner le versement de
compléments de rémunération au personnel au travers
d'associations subventionnées, situation certes peu satisfaisante mais
qui traduit l'inadéquation des régimes indemnitaires des
fonctionnaires territoriaux.
Très souvent, le degré d'autonomie dont dispose l'association
subventionnée constitue le critère essentiel retenu par la
chambre régionale des comptes pour apprécier l'existence d'une
gestion de fait.
Lorsque l'association ne jouit
d'aucune autonomie
, les fonds
versés conservent le caractère de deniers publics puisque ce sont
les services de la collectivité qui décident dans le
détail de l'utilisation qui en est faite. Pour apprécier
l'autonomie de l'association par rapport à la collectivité, la
chambre régionale des comptes examine si l'association -en raison des
fonctions de ses membres, de la composition de son bureau ou de l'origine de
ses ressources- n'est pas le simple relais des services de la
collectivité. Si tel est le cas, la gestion de fait est établie.
Si, le plus souvent, les irrégularités relevées ne sont
pas très graves et traduisent une méconnaissance de bonne foi des
règles de la comptabilité publique, il n'en demeure pas moins
qu'elles doivent être corrigées
.
Une procédure peut être ouverte d'office par une chambre
régionale des comptes lorsqu'elle découvre des opérations
constitutives de gestion de fait à l'occasion de l'un de ses
contrôles.
Elle peut également faire suite à un réquisitoire du
commissaire du Gouvernement sur communication d'un préfet, d'un
trésorier payeur général, du procureur
général près la Cour des comptes ou -depuis le
décret du 23 août 1995- d'un procureur de la
République. Il semble que la majorité des communications soient
encore le fait des trésoriers payeurs généraux.
Notons, cependant, que le commissaire du Gouvernement (art. 24 du décret
précité) dispose d'un
pouvoir d'appréciation
pour
donner ou non suite aux communications qui lui sont transmises.
Les lettres d'observations peuvent permettre d'obtenir la régularisation
d'une situation, l'ordonnateur étant alerté dans le cadre de la
lettre d'observations provisoires. La lettre d'observations définitives
mentionne la régularisation intervenue et, sauf réquisitoire du
ministère public, le recours à une procédure
juridictionnelle peut être écartée.
Ces régularisations aboutissent, par exemple, à la dissolution
d'associations para-administratives prenant en charge des missions que les
collectivités locales ne peuvent déléguer ou à la
modification des statuts d'associations destinée à leur donner
davantage d'autonomie.
De nombreuses chambres régionales des comptes estiment qu'elles peuvent
-dès lors que les pratiques irrégulières ont cessé,
qu'elles ont été régularisées et que les
gestionnaires de fait sont de bonne foi-
renoncer à déclarer
la gestion de fait pour absence d'intérêt pratique de la
procédure
. Tel est le cas, par exemple, lorsque toutes les
écritures litigieuses ont été notifiées ou que les
recettes encaissées sans titre légal ont été
intégralement reversées au comptable public.
Cependant, force est de constater que l'ordonnateur n'est pas toujours
alerté sur l'existence d'une situation irrégulière
l'exposant à une gestion de fait.
D'une part, l'examen de la gestion peut n'intervenir que plusieurs
années après que la situation de gestion de fait a
commencé. D'autre part, et surtout, au cours même de l'examen de
la gestion d'une collectivité, la chambre régionale des comptes
-faute de temps- peut ne pas relever l'existence d'une gestion de fait.
Dès lors, l'ordonnateur peut se croire en droit de considérer que
les aspects de sa gestion qui n'ont pas fait l'objet d'observations de la part
de la chambre sont réguliers. Or, la sanction de la gestion de fait
pourra intervenir ultérieurement. Elle est lourde et souvent
disproportionnée par rapport à l'objet même de cette
procédure.