Mme Sylvaine COURCELLE,
Vice-président du Tribunal de grande
instance de Paris
Mme Marie-Christine GEORGE,
Juge aux Affaires familiales
au Tribunal de grande instance de Créteil
Mme Danièle GANANCIA,
Juge aux Affaires
familiales
au Tribunal de grande instance de Nanterre
M. le
PRESIDENT. -
Après ces points de vue théoriques qui ont
été exprimés, nous écouterons vos
expériences et les conséquences vous pourrez en tirer.
Mme COURCELLE
. - J'ai vu que Madame et Messieurs les Professeurs de
droit étaient contradictoires dans leurs termes. Nous, les juges, le
sommes aussi. Je vais défendre une position qui sera combattue
vigoureusement par les deux autres vice-présidents qui sont à mes
côtés.
Concernant l'évolution de la famille, compte tenu du temps qui m'est
imparti, je ne pourrais pas traiter tous les problèmes. J'ai fait une
note écrite que je pourrai donner à
Monsieur le Président, si vous désirez des
renseignements complémentaires.
Je me concentrerai sur deux points : le statut des pères naturels
et la réforme du divorce.
L'exercice commun de l'autorité parentale est de droit pendant le
mariage, de principe après un divorce. Pour les parents naturels le
principe de l'autorité parentale en commun n'est appliqué que
sous les conditions de la reconnaissance de la première année de
la vie de l'enfant et de la cohabitation, au plus tard au moment de la seconde
reconnaissance.
J'ai scrupule à critiquer cette disposition, je sais que le Sénat
l'a voulue expressément pour écarter les liaisons
éphémères. Dans notre vie de praticien, nous constatons
que ces dispositions sont beaucoup trop complexes et mal adaptées aux
situations actuelles.
Il semble nécessaire que le père naturel, qui a pris un
engagement vis-à-vis de l'enfant au moment de sa naissance et qui l'a
reconnu par un acte spécial, puisse automatiquement exercer
l'autorité parentale en commun. La cohabitation en l'espèce
n'ajoute rien, même des couples mariés peuvent ne pas cohabiter.
Les divorcés nécessairement séparés peuvent exercer
l'autorité parentale en commun. Le certificat de communauté de
vie qui permet la preuve de cette cohabitation est demandé très
souvent dans le cas d'étrangers en situation irrégulière.
Samedi et dimanche j'étais de permanence comme juge
délégué pour les étrangers en situation
irrégulière, de nombreux étrangers avaient un certificat
de communauté de vie. Un certain nombre de ces documents ne sont
là que pour tourner des dispositions légales. Comme il est
très peu employé, ce côté marginal et
détourné de la loi devrait cesser.
Les parents naturels doivent avoir un statut reconnu. Il n'est pas normal, en
tant que juge, quand on doit s'occuper d'un enfant naturel, de ne jamais savoir
le statut exact du père, car ce sont des situations qui peuvent
être très différentes.
Je passe au divorce. L'annonce de Mme le Ministre Guigou, disant que, puisqu'on
se mariait sans juge et sans avocat, on pouvait divorcer dans les mêmes
conditions, a stupéfié tous les groupes qui
réfléchissaient sur une réforme du divorce.
Si tout le monde était bien d'accord qu'il fallait toiletter la loi sur
le divorce de 1975, cette possibilité de divorce civil ou administratif
nous a absolument stupéfiés. L'intérêt de cette
déclaration a été de faire prendre conscience que nous
avions raté le débat de fond, philosophique sur la famille, le
mariage et le divorce.
En ce qui me concerne, je soutiendrai la position opposée à ce
divorce administratif ou civil, en me référant aux trois
critiques que l'on fait actuellement sur le divorce.
1) La lenteur de la procédure.
2) Le coût du divorce.
3) La dramatisation que représenterait le passage devant un juge.
Au sujet de la troisième condition, je voudrais dire que, dans mes
attributions, j'ai le consentement pour la procréation
médicalement assistée. Je reçois les couples qui veulent
passer par un tiers donneur. Ces couples ont le choix entre deux formes de
procédure : soit ils passent devant le juge et c'est gratuit, soit
devant le notaire, là, le coût est d'environ 103 F. Que se
passe-t-il ?
Tous les couples viennent devant nous, ou pratiquement tous. C'est donc que la
dramatisation que représenterait le passage devant un juge n'est pas
aussi grave que cela. Ce qui tracasse plutôt les couples, c'est le
coût.
Je reprends les deux autres critiques, mais en préambule, si un mariage
et un divorce sont des actes graves, ce n'est quand même pas la
même chose parce que dans un mariage il y a l'accord des parties et tous
les intérêts sont convergents. Le couple veut bâtir quelque
chose de convergent.
Dans un divorce, la seule chose qui soit convergente est la
nécessité de divorcer, mais tous les autres intérêts
sont divergents. On ne peut pas faire un parallélisme qui serait un
petit peu tentant.
Quant à la lenteur de la procédure, il y a deux sortes de
lenteurs :
La première est inhérente aux procédures parce que qu'il y
a, par exemple, des expertises, des discussions très âpres sur les
mesures financières ou sur les enfants. Ce divorce civil ne peut pas
toucher cette forme de divorce et la lenteur des procédures durera
toujours quand ce type de difficultés se présente.
Le divorce civil ne peut toucher que le divorce par consentement mutuel. Quel
est le rôle du juge dans un consentement mutuel ?
Il est de vérifier l'équité des conventions et
l'intérêt des enfants. Un maire peut-il avoir la fonction
juridictionnelle de vérifier ce consentement ? Non, je ne le pense
pas. On pourrait me rétorquer, j'entends des positions de l'autre
côté, que l'on peut séparer le prononcé du divorce
des conséquences. Le prononcé du divorce serait devant le maire
et les conséquences éventuellement devant un juge. Je suis
très opposée à ces divorces fragmentés.
Un des intervenants antérieurs a fait remarquer à quel point il
était désagréable de devoir faire des liquidations quinze
ans après une séparation. Il vaut mieux, au contraire,
régler tous les problèmes. Si on doit revenir une fois devant le
juge pour les enfants, une fois pour la liquidation, une fois pour la
prestation compensatoire, ce n'est pas un gain de temps.
De plus, le temps est un facteur qu'il faut considérer dans un divorce,
car comme dans un veuvage, celui qui perd son conjoint peut être triste,
alors que dans un divorce on ne veut même pas lui laisser le temps de
faire son deuil.
La deuxième critique est le coût de la procédure.
Actuellement ce ne sont pas les juges qui coûtent cher, ce qui est
reproché, c'est naturellement celui des avocats.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - Et des notaires.
Mme COURCELLE
. - Exactement. Dans un divorce par requête
conjointe, on peut ne prendre qu'un seul avocat. Pourquoi ? Parce qu'il y
a un regard objectif sur la procédure. Il y a le regard du juge qui va
refuser d'homologuer tel point qui n'est pas l'intérêt des parties
ou des enfants. Quand on travaille sous le regard de l'autre, on évite
autant que possible les erreurs et les bavures.
En revanche, si des époux devaient divorcer, sans le regard objectif du
juge et avec un maire qui ne peut pas avoir ce rôle décisionnel,
juridictionnel, il faudrait avoir deux avocats. Là, il faut que chacun
soit bien conscient de ses droits.
Souvent le consentement des parties, au moment de la crise du couple, est
terriblement difficile à cerner. Dans notre pratique, nous avons tous vu
le cas d'hommes ou de femmes qui abandonnaient l'autre conjoint tout à
fait victimisants et qui prenaient des engagements, en particulier des
prestations compensatoires, incompatibles avec le futur prévisible des
époux.
Nous avons vu d'un autre côté, des femmes voulant absolument la
garde des enfants et qui abandonnaient tout sur le plan financier. Dans ce cas,
à mon sens, devant un maire, ces dispositions ne pourront pas être
rattrapées, puisque qu'une prestation compensatoire ne peut pas se
rattraper, en tout cas en l'état de notre droit.
Je voudrais dire ce qui me semble important. Cela ne peut pas toucher, comme on
l'a dit, des divorces simples, sans enfant, sans biens, sans années de
mariage. Je ne crois pas qu'on puisse faire une distinction législative
entre deux types de mariage, les personnes qui ont des enfants et celles qui
n'en ont pas. Du point de vue de la natalité, cela ne me paraît
pas être une idée faramineuse.
Je suis plus partisane d'une réforme du divorce. Contrairement à
certains intervenants, en matière de requête conjointe, le juge
pourrait avoir la possibilité de prononcer le divorce lors de la
première audience. S'il considère, de même que le couple,
que le divorce est parfait et qu'il n'y a rien à rattraper, compte tenu
des délais qui existent en pratique, je ne vois pas très bien ce
qui justifierait le deuxième passage.
La deuxième réforme que j'envisagerais est le divorce pour
rupture de vie commune où, à mon sens, maintenant, le temps
s'étant accéléré, six ans paraissent un
délai un peu trop long. Cela résoudrait une partie des
problèmes des divorces pour faute.
Je vais passer tout de suite au divorce pour faute. Doit-on supprimer la
faute ? Beaucoup de juges partent du constat qui est réel, que la
majorité des divorces sont aux torts partagés et que
l'agressivité déployée dans ce type de divorce est
mauvaise pour le couple et les enfants et donne un climat malsain et pervers.
Certains préconisent la suppression du divorce pour faute. Si les
époux souhaitent éviter le combat, ils ont à tout moment
la possibilité de le faire en recourant à la passerelle ou en
demandant la non motivation du jugement. Il y a lieu de constater que le
divorce est très majoritairement prononcé aux torts
partagés, quand les deux époux sont présents à la
procédure, quand l'un n'est pas là, évidemment c'est un
divorce aux torts exclusifs. Il ne faut pas faire oublier la frange des
divorces se prononçant aux torts exclusifs et surtout le
débouté des demandes.
La vraie question qui se pose, et je vais la poser en termes un peu
provocants : le véritable progrès de notre loi, de notre
droit est-il de revenir à la répudiation
unilatérale ? Actuellement le divorce est le constat d'une faute
ou d'un échec. Mais cet échec doit être constaté
objectivement de deux façons : ou les deux époux sont
d'accord pour constater qu'il y a échec de leur couple, ou bien le juge
estime qu'il y a séparation de fait de plus de six ans, qu'on pourrait
réduire à trois ans, qui est la preuve même de
l'échec du couple.
Si on doit permettre, unilatéralement en dehors de ces cas, à un
seul époux de divorcer, c'est revenir au système de la
répudiation. Dans les divorces pour rupture de vie commune, la
proportion des femmes demanderesses est inversée par rapport aux autres
divorces.
Dans les cas de tous les divorces autres que sur requête conjointe,
puisque qu'il y a deux demandeurs, 70 % de femmes demandent le divorce,
dans les ruptures ce sont 70 % d'hommes.
Pour éviter ce reproche de répudiation, on a
considéré qu'on pouvait envoyer le couple devant un
médiateur ou un conseiller conjugal ou mettre un délai de
plusieurs mois entre le dépôt de la requête et le passage
devant le juge.
La première solution, le passage devant un médiateur me
paraît artificielle. Si je suis très favorable à la
médiation, dans ce cas particulier la volonté de divorcer et la
certitude d'y arriver rendent vains le passage obligé par un
médiateur. Pour qu'une médiation ait quelques chances d'aboutir,
il faut que les deux soient d'accord et dans ce cas particulier, on peut se
demander si les deux le seraient.
Le deuxième point qui me fait déclarer artificielle cette
solution, est qu'il n'y a pas lieu de transférer à un travailleur
social le soin de juger du caractère irrémédiable d'une
situation matrimoniale.
La deuxième solution qui serait le facteur temps, la certitude d'obtenir
un divorce contre la volonté de l'autre, n'est pas un facteur de
conciliation.
Je voudrais m'étendre sur l'agressivité qui existe. Il est vain
de nier qu'elle existe au moment de la crise conjugale. Cependant, la nier me
semble contraire à une bonne évolution du couple. Il faut que
l'agressivité sorte. Si elle ne sort pas sur les griefs, ne
sortira-t-elle pas sur les enfants ce qui sera encore plus nocif pour
eux ? La preuve de cette affirmation est que tout le monde sait qu'une
partie des instances modificatives touche celles qui ont suivi un divorce par
consentement mutuel. Il est à craindre que si l'on empêche cette
agressivité, elle ne ressorte sur les enfants ou après. Cette
agressivité qui dure pendant des années est encore plus
néfaste qu'au moment du divorce, de la crise. S'il existe un droit
à divorcer, il doit se faire dans le respect des droits de l'autre.
Je suis pour favoriser les formules qui tendraient à simplifier ce que
l'on appelle la passerelle, c'est-à-dire la possibilité de passer
au divorce sur requête conjointe. Actuellement on est obligé de
revenir à l'ordonnance initiale, sans pouvoir passer directement au
jugement.
Je serais d'accord aussi pour séparer les conséquences
financières du divorce pour faute. Souvent, cette bataille infinie des
griefs ne cache qu'une chose : on ne veut pas que l'autre ait une
prestation compensatoire, ce qui pousse les juges à mettre le divorce
aux torts partagés, alors qu'ils seraient parfois plus enclins à
les attribuer à un membre du couple. S'ils le font, ils savent qu'ils
vont priver l'un des conjoints de tout droit à prestation compensatoire.
Je ne parlerai pas du PIC ou du CUC, car les projets sont très nombreux.
J'ai été stupéfiée et le projet de M. Hauser
a été un soulagement.
Je voulais, pour terminer, vous dire par comparaison un mot des familles
recomposées. Je fais partie d'un groupe de réflexion qui
travaille sur ce sujet. Je tiens à dire, en un mot, qu'il me
paraît tout à fait mauvais d'élaborer un statut des
familles recomposées. Seul le toilettage des textes me paraît
intéressant parce que la raison invoquée est la
nécessité de protéger les parents biologiques, en
particulier le père qui a beaucoup de mal à faire sa place au
moment des séparations, et de le protéger de cette
rivalité avec le nouveau beau-père par rapport à son
bel-enfant.
Le deuxième point que je voudrais souligner dans les familles
recomposées est la multiplicité des situations de fait des
familles recomposées, qui peuvent aller des liaisons
éphémères à des concubinages stables ou au
remariage. Je vous renverrai au document que j'ai remis.
En conclusion, il est vrai que lorsqu'on touche au divorce, on touche au
fondement même du mariage. Beaucoup de principes philosophiques et moraux
resurgissent.
En tout état de cause, et comme juge, une fois votée
régulièrement, la loi sera appliquée.
M. LARCHÉ, président. -
Merci infiniment. Une question de
détail : y a-t-il une proportion que vous pourriez nous indiquer
quant aux refus que l'on oppose à des conventions de requête
conjointe.
Mme COURCELLE
. - Le refus pur et simple est très rare car, en
général, les personnes changent leur convention. L'incitation
à changer des points de convention est fréquente. Je ne peux pas
donner de chiffre sans risque d'erreur.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - Cela dépend des juges.
Mme COURCELLE
. - Peut-être, et des avocats qui ont l'habitude de
leur juge aussi.
Mme GEORGE
. - C'est au nom de mon expérience de praticienne que
vous m'avez invitée à exposer mon point de vue. Je suis magistrat
à Créteil, depuis quatre ans et j'exerce les fonctions de juge
aux affaires familiales. Je préside la Chambre du conseil qui statue en
matière de filiation.
A Créteil nous sommes, en théorie, neuf juges aux affaires
familiales et le plus souvent huit. Nous rendons entre 7 500 et 8 000
décisions par an. En 1997, 72 % des jugements civils rendus par le
Tribunal de grande instance de Créteil, ont été rendus en
matière familiale.
Créteil est la huitième juridiction de France pour le contentieux
de la famille et la sixième pour la population de son ressort. Le
tribunal de Créteil traite 2 % des contentieux familiaux
nationaux. Voilà pour le cadre de mon expérience.
Je voulais vous parler de l'évolution du droit de l'autorité
parentale, pour dire à quel point la loi de 1993 a permis une
évolution positive des conséquences de la séparation
à l'égard des enfants. Cette loi est un outil précieux
pour les juges, notamment pour renvoyer les parents à leurs
responsabilités, puisque la loi renvoie à la
responsabilité première désormais des parents, de
régler les conséquences de leur séparation pour leurs
enfants.
L'intervention du juge n'est plus que subsidiaire à l'accord des
parents. Si le juge peut s'opposer à un accord des parents au nom de
l'intérêt de l'enfant, je peux témoigner qu'il le fait
rarement car il est convaincu de la nécessaire modestie dont il doit
faire preuve à l'égard des choix des parents. On rappelait
à quel point le discrédit porté sur les parents posait
problème aujourd'hui. Les juges ont tout à fait conscience de
cette nécessité.
Le principe de l'égalité de droits et de devoirs des parents,
posé par la loi de 1993, permet au juge, dans la mesure du possible ,de
garantir la place de chacun des parents près de l'enfant après la
séparation. On a noté une évolution positive sur ce plan.
Il y a quatre ou cinq ans les études de l'INED témoignaient que
la moitié des enfants de parents séparés ne voyait plus ou
très irrégulièrement leur père. La
dernières études tendent à montrer que ce ne sont plus que
30 % des enfants qui ne voient plus ou très
irrégulièrement leur père après la
séparation.
Si le choix de la mère pour fixer la résidence habituelle n'a pas
changé -dans la majeure partie des cas c'est un accord des parents qui
fixe la résidence des enfants chez la mère- en revanche la place
du père a beaucoup évolué notamment par un meilleur
équilibre du temps passé par l'enfant auprès de chaque
parent. Un père qui revendique plus que le sacro-saint week end sur deux
et la moitié des petites et grandes vacances scolaires obtient
satisfaction auprès de nombreux juges aux affaires familiales.
Bien que positive, cette évolution est inachevée. Les principes
de la loi de 1993 sont parfois méconnus, même par les praticiens
du droit. En effet, le principe du maintien de l'exercice de l'autorité
parentale par les deux parents fait qu'il n'y a plus
démantèlement de l'autorité parentale, ce qui
n'empêche pas de nombreux praticiens et de nombreuses décisions
judiciaires de faire référence au droit de visite
d'hébergement, qui juridiquement n'a pas de sens dans le cadre de
l'exercice en commun de l'autorité parentale.
Les principes de la loi de 1993 sont également méconnus par un
certain nombre d'administrations : les services sociaux, fiscaux ;
l'institution scolaire a fait de sérieux progrès sur ce point.
Parfois les services fiscaux exigent des décisions judiciaires alors
qu'elles ne sont pas nécessaires. Ces procédures entraînent
des coûts, du fait que le principe de la loi de 1993 n'est pas
rentré dans les moeurs. Une simple accord des parents sur un changement
de résidence est suffisant pour permettre le changement, notamment du
quotient familial.
Nous ne sommes pas en désaccord sur tous les points. Concernant la
limite apportée à l'exercice en commun de l'autorité
parentale par les parents naturels, je suis entièrement d'accord avec
les propos de Mme Courcelle. L'exigence de la communauté de vie nuit
gravement à la sécurité juridique des enfants naturels. Il
serait nécessaire de savoir, à la lecture de l'acte de naissance,
quel parent exerce l'autorité parentale. De nombreuses directrices de
crèche inquiètes nous téléphonent. Il faut une plus
grande sécurité juridique. Par ailleurs, c'est conforme à
l'évolution sociologique des familles naturelles. Le fait d'exiger cette
communauté de vie visait à protéger la mère et
l'enfant du père que l'on pensait fugitif, ce qui n'est plus le cas
aujourd'hui. Cette condition de communauté de vie pourrait être
supprimée.
Sur l'acte de reconnaissance des enfants naturels, on note une évolution
très rapide. Selon les derniers chiffres, en 1996, 39 % d'enfant
sont nés de parents non mariés. En 1994, 85 % des enfants
nés de parents non mariés ont été reconnus par leur
père avant leur premier anniversaire.
A noter une très forte progression des reconnaissances concomitantes
avant la naissance de l'enfant. Les deux parents vont à la mairie le
reconnaître. En 1992, ils étaient 30 % à le faire et
39 % en 1995. On peut se demander si cette démarche commune des
parents avant la naissance ne constitue pas un nouvel acte fondateur de la
famille.
Il faudrait mener une réflexion sur les conditions dans lesquelles cet
acte de reconnaissance est passé. Il se fait au guichet des services
d'état civil de la mairie, alors qu'il est solennel, irrévocable
d'une gravité extrême puisque qu'il est le signe de filiation
entre un parent et un enfant. Il va créer des obligations
réciproques qui vont durer leur vie durant.
Le décret de 1962 qui a permis aux officiers d'état civil de
déléguer leur fonction aux employés des services
d'état civil, devrait être revu, surtout pour ce qui concerne les
actes de reconnaissance.
Concernant le droit de la filiation, à la Chambre du conseil nous
constatons un certain nombre de procédures, peu nombreuses mais d'une
grande violence pour des enfants qui se voient contester, quelquefois à
plusieurs reprises, leur filiation paternelle. Des enfants font l'objet d'une
reconnaissance, d'une légitimation subséquente par le mari de
leur mère qui n'est pas leur père biologique. Le couple se
sépare, le mari de la mère conteste la reconnaissance et la
légitimation subséquente. Parfois la mère se remarie. Dans
une procédure, j'ai déjà vu un enfant de huit ans qui
avait changé quatre fois d'identité. Il me semble
nécessaire de stabiliser l'état de l'enfant et de restreindre les
possibilités de contestation du lien de filiation.
Nous pourrions aussi faire une distinction dans les contestations qui visent
à remplacer une filiation par une autre et dans les procédures
engagées par des mères qui visent simplement à
détruire les liens de filiation.
La possession d'état de dix ans exigée actuellement me
paraît également beaucoup trop longue. Je m'interroge sur le fait
de savoir s'il ne serait pas possible de fixer la durée de la possession
d'état en fonction de l'époque à laquelle elle se situe
dans la vie d'un enfant. Il est clair que la possession d'état
originelle des premières années d'un enfant pèse plus que
celle qu'il peut avoir, à douze ou treize ans, quand sa mère se
marie.
Nous relevons de nombreuses procédures de mères qui demandent le
changement de nom de leur enfant naturel, elles demandent qu'il porte leur
nom, alors qu'il portait celui de son père. Ces procédures sont
utilisées comme une sorte de déchéance, le père ne
payant pas la pension ou ne manifestant pas suffisamment d'intérêt
pour son enfant.
Dans la mesure où les reconnaissances concomitantes ou paternelles sont
importantes dans la première année de la vie de l'enfant, ne
pourrait-on pas considérer comme attribué définitivement
le nom du père à l'enfant quand il a été reconnu
par une reconnaissance concomitante ou lors de la première année
de sa vie ?
Les administrateurs ad hoc : la loi de 1993 a
généralisé cette institution. Au tribunal de
Créteil, lors de ces conflits de filiation, nous estimons qu'il y a
souvent lieu d'en désigner un. La seule difficulté est que le
financement de cette institution n'a pas été prévu. Nous
sommes en pourparlers avec l'ASE du Val de Marne qui considère que cette
fonction n'entre pas dans ses missions dans le cadre des procédures
civiles. Elle se trouve débordée .
Je dois aborder la question du divorce civil. La tâche n'est pas facile
après les avis unanimement hostiles et les plus autorisés que
nous venons d'entendre. On m'a demandé de venir vous dire pourquoi je ne
suis pas hostile à cette innovation.
120 000 divorces sont prononcés chaque année en France. A
Créteil, nous en prononçons 2 600 environ. C'est un
contentieux de masse, le plus souvent un divorce est toujours un drame
personnel. En 1975, l'idée d'une déjudiciarisation du divorce a
été évoquée. En 1989, le Doyen Carbonnier rappelait
que l'opinion publique aussi bien que la classe juridique répugnait
à un divorce non essentiellement judiciaire. Les magistrats
étaient, selon ses termes, peu disposés à abandonner ce
contentieux qui les accable et leur confère le prestige d'une
médiation et d'une police des familles.
L'opinion publique semble avoir changé si nous nous en tenons aux
sondages effectués récemment. Certes, l'engouement du public ne
suffit pas à garantir la valeur d'une réforme. En 1975, le
législateur a créé plusieurs cas de divorce afin de
respecter le pluralisme des convictions religieuses, philosophiques, ainsi que
la diversité des situations familiales.
Depuis cette date, des changements sont intervenus dans les familles. Les
rituels de l'institution familiale ne sont plus utilisés de la
même façon.. De même que le mariage ne marque plus
l'entrée dans la vie conjugale, mais intervient le plus souvent
après une période de vie commune plus ou moins longue, de plus en
plus de couples divorcent après un temps de séparation.
A travers les diverses procédures, le temps que prennent les
époux pour décider, négocier et organiser leur
séparation et ses conséquences, constitue une principale ligne de
partage des attitudes face à la séparation et ils peuvent
parvenir à régler eux-mêmes les conséquences de leur
divorce. Dans la logique de 1975, il me semblerait souhaitable de
prévoir un cas de divorce adapté à ces attitudes qui
semblent plus fréquentes que par le passé, même si une
minorité est concernée. Il était rappelé tout
à l'heure que le divorce pour rupture de la vie commune ne concernait
que 1 % des divorcés.
L'idée de pluralisme de la loi de 1975 doit être conservée.
Le divorce pourrait être réservé aux époux
séparés de fait depuis un certain temps, puisque c'est bien la
question du temps qui sépare les différents couples. On pourrait
envisager une séparation de fait d'un ou deux ans et un délai de
réflexion entre le dépôt de la demande et le
prononcé du divorce par l'officier d'état civil.
Le terme de divorce civil ne me choque pas puisqu'on parle de mariage civil, ce
serait un divorce prononcé par l'officier d'état civil. Le
divorce civil serait vraiment un cas supplémentaire. Il est
indispensable de conserver toutes les autres procédures y compris le
divorce sur requête conjointe. En effet, un certain nombre de couples
négociant des accords plus ou moins difficiles ont besoin de voir
homologuée cette convention par un juge.
Par ailleurs, il faut également que le rôle du maire soit
simplement limité, comme en matière de mariage, au seul recueil
des consentements et peut-être au rappel de certaines obligations des
parents, par lecture de certains articles du Code civil. Son rôle
pourrait être le même que lorsqu'il prononce un mariage. Je
rappellerai pour rassurer un certain nombre d'officiers d'état civil,
que les amendes, les pénalités actuellement encourues par les
maires lorsqu'ils prononcent des mariages ne respectant pas les prescriptions
légales varient de 20 à 200 F. Ce divorce ne pourrait
concerner que des époux qui n'ont absolument pas besoin de formaliser
des accords officiels.
Concernant les enfants, le recours devant le juge sera toujours possible. En
matière d'enfants, aucune décision n'est jamais
définitive, de même pour les pensions alimentaires.
Cette innovation heurte nos habitudes de pensée et peut poser des
problèmes, notamment pour la répartition des biens, des dettes,
le droit à la prestation compensatoire. Pour ce qui est du rapport de
force entre les époux, je rappelle que depuis 1975 la loi
reconnaît que la décision de se séparer de son conjoint
peut n'appeler aucun contrôle, à partir du moment ou celui-ci
l'accepte. C'est pourtant là que réside l'inégalité
la plus forte entre celui qui veut la séparation et celui qui la subit.
Il nous arrive souvent, à nous juges des affaires familiales, de nous
entendre répondre, quand nous interrogeons un époux qui divorce
sur la réalité de son consentement, qu'il n'a pas le choix. A ce
stade de la procédure le juge n'a rien à apporter à ce
constat résigné. Les rapports de force s'équilibrent dans
un certain nombre de cas. Les femmes demandent plus souvent le divorce alors
que généralement les hommes sont en position de force sur le plan
économique.
Concernant les procédures actuelles, il faut considérer qu'un
certain nombre d'entre elles sont en trompe-l'oeil quant à la garantie
des droits de chacun. Je rappelle que 27 % des divorces contentieux, hors
requêtes conjointes, sont prononcés non contradictoirement.
30 % des procédures de divorce pour faute demandés par des
femmes en présence d'enfants mineurs sont prononcés de
façon non contradictoire. Parmi ces femmes 60 %
bénéficient de l'aide juridictionnelle, ces situations se
présentent très souvent, c'est-à-dire l'hypothèse
où le mari est parti, laissant les enfants, les dettes et ne donnant
plus aucune nouvelle. La femme ne sait même plus l'adresse de son mari.
Bien sûr il est nécessaire de garantir l'accès au droit le
plus tôt possible. Il sera nécessaire de développer l'aide
juridique, éventuellement l'aide juridictionnelle car en cette
matière le rôle des avocats est essentiel, mais pas
forcément dans l'hypothèse d'une procédure judiciaire. Ce
sont des conseillers, ils doivent développer cette fonction de
conseiller et de négociateur d'accords. Je cite l'exemple des avocats de
Créteil qui se forment à la médiation familiale. C'est une
excellente chose.
N'étant pas obligés de recourir à une procédure
judiciaire, peut-être les époux iront-ils consulter plus vite un
avocat. Peut-être même pourront-ils se tourner vers d'autres
professionnels car tous les couples n'ont pas les mêmes problèmes.
On ne peut pas parler du divorce en général.
L'intérêt de notre métier est la diversité des
situations. Certains époux pourront consulter un notaire, un
thérapeute conjugal ou un médiateur familial, selon leurs
besoins. Ces consultations, plus précoces, seront plus efficaces pour la
réconciliation des couples que l'intervention du juge. Le juge arrive
beaucoup trop tard. On peut constater l'échec total du juge, puisque le
taux de réconciliation devant eux varie entre 0 et 0,3 %. Le temps
de la séparation permettra de cibler les époux qui pourront
divorcer.
Pour les dettes, il est souhaitable de prévoir une meilleure
articulation entre les procédures de surendettement et les
séparations de fait des époux. Quant aux biens, il est impossible
d'exiger des époux de liquider leur régime matrimonial avant de
passer devant le maire, puisqu'on ne demandera aucun contrôle au maire.
Donc, nécessairement certaines situations difficiles viendront devant
les tribunaux. Il faut toutefois relativiser ce contentieux, sur 120 000
divorces par an, 70 000 procédures post divorces, parmi ces
dernières, 3 500 concernent la liquidation du régime
matrimonial. C'est dire que le problème des biens est pour les juristes
très important si on lit les arrêts de la Cour de cassation, mais
quantitativement il est marginal.
La question de la prestation compensatoire en l'état actuel du droit
pose problème. Peut-être faut-il prévoir un délai
pendant lequel cette demande pourrait être faite devant le juge. Elle
concerne 13 % des divorces parmi lesquels bon nombre sont de fausses
prestations compensatoires puisque ce sont des partages et des
négociations dans le cadre de la liquidation par compensation entre la
soulte et la prestation compensatoire.
Une crainte est souvent avancée, celle du contentieux post divorce. Une
bonne part pourrait être largement réduite : il est
constitué, pour plus de 50 %, par le contentieux des pensions
alimentaires qui correspond à la crise économique actuelle. Pour
les procédures successives, il faut absolument arriver à
déterminer des lignes directrices qui permettraient aux ex-époux
de négocier des accords. C'est un travail auquel nous nous attelons au
tribunal de Créteil avec les avocats également.
Par ailleurs, une bonne part du contentieux post divorce est un faux
contentieux. Les parents sont parfaitement d'accord, mais ils répondent,
en engageant une procédure, aux exigences des tiers, des administrations
qui n'acceptent pas un accord privé. Il subsiste de vrais litiges et il
est légitime qu'ils viennent devant le juge. Quand les époux
divorcent peu de temps après leur séparation, la période
de deuil va avoir lieu après le divorce, à l'occasion d'un
remariage, d'une naissance. Des litiges vont surgir et le juge est dans son
rôle en les traitant. Il est illusoire de penser qu'on peut au moment du
divorce régler définitivement toutes les questions.
Les avantages de ce nouveau divorce sont les suivants :
§ Tirer toutes les conséquences de la loi de 1993 qui deviendrait
parfaitement lisible.
§ Marquer la responsabilité des époux et des parents.
§ Redonner au juge sa juste place qui est de résoudre un conflit
quand il existe, alors que les termes et les enjeux en sont connus.
§ Eviter le discrédit de l'institution judiciaire.
Je ressens dans ces audiences rapides sans enjeu, sans débat, une perte
de la valeur de l'intervention du juge. Les gens sortent souvent très
frustrés. Il est vrai que si nous devons traiter treize dossiers dans
une audience, nous ne garderons pas plus de cinq minutes les personnes qui sont
d'accord car nous aurons peut-être une tentative de conciliation qui nous
demandera une heure ou plus. Nous devons faire des choix.
Dernier argument, ce divorce civil mettra un terme à ce que certains
commencent à ressentir comme une pénalisation des couples
mariés. Les concubins que l'on dit si proches des couples mariés
sociologiquement, seraient-ils plus mûrs, plus responsables pour pouvoir
se séparer sans avoir besoin de venir nécessairement devant le
juge ?
M. LARCHÉ, président. -
Merci, madame.
Mme GANANCIA
. - L'intervention de M. Benabent a vidé la
mienne d'une partie de sa substance car il partage, bonheur et surprise, les
vues que j'avais exposées dans mon article de la Gazette du Palais
l'année dernière qu'il m'a fait l'honneur de citer.
Quelques réflexions inspirées par ma pratique depuis de longues
années comme avocat d'abord et comme magistrat de ce contentieux
sensible du divorce. Ces conflits familiaux ont une spécificité,
ils impliquent des couples qui, malgré leurs déchirures, sont
appelés à conserver des relations de parents pour garantir le
devenir de leurs enfants. Nous savons combien les enfants sont
écartelés et mis parfois en danger psychique parfois davantage
par le conflit des parents que par leur séparation.
Une saine loi sur le divorce doit avant tout être pacificatrice et aider
à reconstruire le futur de chacun des conjoints et des enfants. Notre
loi actuelle remplit-elle se rôle ? Nous pouvons en douter quand on
voit qu'un divorce sur deux revient devant les tribunaux en contentieux
d'après divorce, que dans près de la moitié des cas on
recourt encore à ce divorce pour faute qui est très destructeur
et que la moitié des enfants n'ont pratiquement plus de contact avec
l'un de leurs parents quelques années après la séparation.
Des coûts humains, judiciaires et sociaux effarants, des conflits
familiaux mal réglés incitent à tout mettre en oeuvre pour
déconflictualiser le climat du divorce. C'est l'esprit même de
l'ensemble du système qu'il faudrait repenser car il ne correspond plus
aux besoins actuels de notre société.
Dans le mariage moderne, la vérité du sentiment est devenue le
seul fondement du lien, cela va de pair avec une nécessaire
précarité. La société ne peut que la constater,
aucune loi sur le divorce ne pourra l'enrayer. En corollaire la loi doit
assurer une protection accrue de l'enfant par le maintien des liens à
ses deux parents et la préservation d'une coparentalité par
delà la rupture.
Le divorce qui pourrait répondre à ces besoins nouveaux serait,
à mon sens, proche du consentement mutuel, fondé sur le constat
objectif de l'échec du mariage, axé sur des processus de
négociation et avec un règlement global des effets du divorce par
la liquidation du régime matrimonial.
Déjà en 1975, le vent dominant était au divorce -constat
à la suite des propositions de lois socialistes et communistes, mais les
tenants de la faute l'ont emporté. Le divorce-constat est
pratiqué depuis bien longtemps par tous nos voisins allemands, anglais,
pays nordiques, américains, canadiens et bien d'autres. Notre
système actuel du divorce l'ignore, c'est là sa faille.
Globalement, les divorces se répartissent par moitié entre
consentement mutuel et faute. Le consentement mutuel est l'idéal du bon
divorce, mais il est très contraignant puisque qu'il suppose un accord
sur tout. Il s'agira souvent de pseudo-consentement mutuel avec des accords
forcés pour éviter l'horreur du divorce pour faute.
Quant à ce divorce pour faute, il est choisi le plus souvent à
défaut d'une vraie alternative, ou bien parce qu'on n'a pas pu trouver
un accord sur tout, ou bien pour contraindre l'autre, qui n'est pas encore tout
à fait mûr à divorcer. Or, dans la quasi totalité
des cas il y a demande reconventionnelle. Cela veut bien dire que tous les deux
finalement, veulent sortir du mariage dont ils finissent par constater soit
l'échec, soit l'impossibilité de maintenir un lien dont l'autre
ne veut plus. Ce divorce pour faute a un caractère éminemment
destructeur. Il oblige à accuser l'autre, à le salir, à
mentir, à renier tout ce qui a pu être heureux dans l'histoire du
couple, pour ne fournir que le plus négatif dans un grand
déballage de l'intimité et de la vie privée. Il envenime
le conflit, surajoute des blessures et humiliations réciproques, parfois
irréparables, il barre la route à tout dialogue et à toute
négociation.
Ainsi, la loi oblige-t-elle à superposer aux souffrances de la
séparation un combat meurtrier dont les premières victimes sont
les enfants impliqués par les parents dans leur conflit, amenés
à les juger. Littéralement déchirés d'aimer en
même temps deux ennemis, ils deviennent otage du conflit parfois au prix
de la perte des liens avec le parent non hébergeant.
Chaque audience est une illustration du caractère dévastateur de
ce divorce pour les liens familiaux. Au lieu de donner des armes de guerre, la
loi devrait inciter les couples à fermer la porte d'un passé
mort, pour enfin s'investir dans une dynamique de reconstruction dans
l'intérêt des enfants. C'est pourquoi il ne faut plus associer
divorce et faute dans ce duo infernal, ne plus subordonner l'obtention du
divorce à la preuve de la faute, ne plus en faire la condition du
divorce. La réalité est ailleurs. Elle est tout simplement dans
la désintégration du couple. L'impossibilité de vivre
ensemble est la seule vraie cause de tous les divorces. On sait bien que
certains couples se brisent sur un adultère et d'autres pas, ce qui
montre bien que la cause du divorce n'est pas la faute mais un état de
la dégradation. Celui qui est déterminé à
dénouer le lien y parviendra de toutes les manières, inutile de
l'obliger pour cela à un combat judiciaire. Dans l'immense
majorité des cas, le divorce sera prononcé aux torts
partagés, sans aucun profit financier, rendant dérisoire tous ces
coûts psychologiques et judiciaires.
Personne ne nie qu'il existe parfois des comportements gravement fautifs
entraînant des préjudices particuliers. Je pense aux violences
physiques, aux départs brusques laissant l'autre dans le
dénuement. Oui, mais il devront toujours être sanctionnés
par dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du
Code civil, c'est évident. La rupture définitive du lien doit
être reconnue de façon indépendante, comme cause objective
de divorce car elle correspond à la réalité de toutes les
situations et aux mariages d'aujourd'hui qui n'existent que par la
volonté de chacun de maintenir le lien.
Tous les professionnels de la famille sur le terrain, psychologues et
travailleurs sociaux, s'accordent sur la nocivité du divorce pour faute.
La Cour d'appel de Paris, Chambre de la famille, vient de se prononcer
publiquement mercredi dernier devant le Garde des Sceaux pour la suppression de
ce divorce qualifié de barbare. Seuls certains juristes s'arc-boutent
encore sur cet anachronisme, car cela en est un, avec deux arguments
principaux.
Le premier est qu'il faut que l'agressivité sorte, le combat judiciaire
aurait la vertu d'expurger le conflit, ceux qui se vivent comme victimes
auraient besoin de cette reconnaissance par la société. Mais
enfin, le rôle de la justice est-il d'encourager ces réflexes de
pure vengeance, car c'est bien de cela qu'il s'agit ? Cette logique de
vengeance pétrifie son auteur lui-même dans une attitude
stérile et destructrice. Elle mobilise toutes les énergies vers
la négativité et empêche tout travail de deuil et de
reconstruction personnelle. Il existe des lieux pour parler de ces
souffrances : les thérapies, la médiation et d'autres. Mais
les arènes judiciaires sont le dernier lieu pour les guérir. Tout
y est déformé, la parole et l'expression des émotions sont
raptées par les écrits des avocats. Il y a trop de
théâtre et si peu de vérité.
D'ailleurs la société, et à travers elle le juge, a-t-elle
vraiment compétence, vocation et légitimité pour juger ce
qui s'est noué et dénoué dans l'alcôve des couples,
espace intime s'il en est.
Le lien affectif ne relève que des individus. La justice n'a pas
à dire la morale conjugale. Elle ne peut connaître que des
conséquences du lien social créé par le mariage et veiller
à l'organisation la plus juste de la séparation.
Le deuxième argument des tenants de la faute est que divorcer contre le
gré de l'autre équivaudrait à une répudiation. Si
on récuse le divorce pas la volonté d'un seul, peut-on concevoir
aujourd'hui, en 1998, un mariage par la volonté d'un seul ? C'est
nier l'évolution de la société et la force des faits,
aucune loi ne peut maintenir un individu dans un mariage prison. Il lui suffira
de partir et le mariage sera vidé de tout sens.
Plus dérisoire encore, pour se libérer il devra engager une
procédure pour faute, avec de fausses accusations, qui aggravera encore
la souffrance de celui qui est abandonné. La procédure pour faute
est celle qui organise de la façon la plus sûre la
répudiation, c'est la seule qui ne ménage à l'autre aucun
temps de réflexion ni aucun dialogue préalable. Une requête
soudaine en divorce, truffée d'accusations meurtrières, un quart
d'heure de pseudo conciliation, sans s'être parlé ni avant ni
pendant et s'en est fait de son couple. Cette audience de non conciliation est
d'une extrême violence psychologique.
Il faut donc imaginer un divorce plus pacifique, plus respectueux de l'autre,
plus constructif qui ménage des temps de dialogue et de
réflexion. Par quelle procédure ? Il faudrait instituer
à côté du consentement mutuel une seule autre cause du
divorce, fondée sur la rupture irréversible du lien. Ainsi, il
n'y aurait plus de consentement mutuel forcé puisque qu'il y aurait une
alternative possible.
Cette nouvelle procédure de divorce-constat pourra être à
l'initiative de l'un ou de l'autre. La rupture du lien sera objectivement
constatée dans trois cas :
1/ Séparation de fait de plus de trois ans, là, il y a un
consensus. Le juge se borne à la constater et prononce le divorce.
2/ Accord des deux conjoints sur le constat de la rupture. Cet accord pourra
toujours intervenir au cours de la procédure, à la
différence de l'actuelle demande acceptée qui suppose l'accord
initial des deux conjoints d'où l'échec de cette procédure.
3/ Un seul invoque la rupture du lien et l'autre s'y oppose. Le juge devra
imposer un délai de réflexion, d'une durée maximum de 18
mois. Il appréciera ce délai en fonction de chaque situation lors
de l'audience initiale où il prendra les mesures provisoires
nécessaires. A l'issue de la période de réflexion, s'il
n'y a pas eu réconciliation, le juge ne pourra que constater la rupture
irréversible du lien et prononcer le divorce.
Ce délai obligatoire de réflexion a un double
intérêt psychologique et pratique. Psychologique : ne pas
banaliser le divorce en différant les demandes hâtives ou
intempestives ; inciter à réfléchir sur les
possibilités de réconciliation et donc donner une chance
supplémentaire au mariage qui n'existe pas dans le divorce pour faute
qui rend les gens ennemis ; ménager un temps de maturation pour
panser les souffrances et entamer un deuil nécessaire. A cet effet, le
juge pourra imposer au minimum un entretien de médiation.
A l'opposé de la violence actuelle de l'audience de non conciliation qui
brise la communication, l'entretien de médiation correspondrait à
un devoir de dialogue entre conjoints sur leur histoire commune, dans le
respect dû autant à l'autre qu'à leur engagement initial.
L'intérêt pratique de ce délai est que s'il n'y a pas de
réconciliation possible, il sera utilisé pour
l'élaboration d'accords sur l'après divorce. La certitude du
prononcé du divorce au terme du délai ne peut qu'inciter le
défendeur à une négociation équilibrée.
Dans les trois cas de divorce-constat évoqué, le juge devra
statuer sur les mesures accessoires, une éventuelle demande de dommages
et intérêts pour réparer une faute très
caractérisée, mais également sur la liquidation du
régime matrimonial qui actuellement nourrit le conflit des années
après le divorce ; elle est un obstacle intolérable à la
reconstruction des vies de chacun. Il faut apurer le passé des
époux par un seul et même jugement.
C'est l'esprit du procès qui doit changer. La négociation doit
devenir l'axe prioritaire de son déroulement. Le juge demandera aux
parties et aux avocats de présenter des projets d'accord. Il s'agit
d'amener enfin les couples à se responsabiliser sur les
conséquences de leur séparation. Il n'y aura pas obligation de
résultats, mais de moyens. Parmi les moyens, il faut élargir le
recours à la médiation familiale qui fait passer d'une logique de
guerre à une logique de construction. Grâce à un processus
de restauration du dialogue et de l'écoute, à l'expression des
besoins et des émotions les solutions vont pouvoir émerger qui
seront l'oeuvre des parties elles-mêmes. L'échange recentré
sur les enfants amène à l'apprentissage d'une
coparentalité effective et donc au maintien des liens parents/enfants.
La médiation est un incontestable instrument de paix familiale, elle
amoindrit les coûts économiques et sociaux du divorce pour les
personnes et la société. Selon l'expression des Canadiens, qui
nous devancent largement dans ce domaine, pour un dollar investi en
médiation on économise 700 dollars en coûts sociaux.
Il faudrait donc la favoriser le plus en amont possible des procédures
et en tout cas rendre obligatoire un premier entretien de médiation
dès lors qu'il y a des enfants. Au Québec, un entretien
d'information gratuit à la médiation est devenu obligatoire
avant le dépôt de la requête. Résultat :
90 % des couples choisissent de poursuivre volontairement le processus.
En l'absence d'accord négocié que fera-t-on ? Le juge
tranchera sur tous les points, y compris sur la liquidation du régime
matrimonial, il réglera par un jugement global tout le contentieux des
époux pour assainir l'après divorce et devra disposer d'un projet
de liquidation-partage préparé par un notaire.
Le temps manque pour développer ces aspects techniques, je renvoie
à mon article qui a ébauché quelques solutions, mais
surtout à la nécessité d'une réflexion plus
approfondie à mener avec les notaires et les avocats. Ces derniers
seront la cheville ouvrière du règlement global des effets du
divorce.
Voilà quelques propositions pour une pacification et une
responsabilisation de la séparation. Le divorce constat correspond au
mariage actuel dans sa dimension d'authenticité et vise à
protéger la famille par le maintien des liens de parentalité.
Nous ne pouvons plus nous laisser enfermer, comme en 1975, par des combats
d'arrière-garde, nous irions à contre-courant du vent de
l'histoire.
M. LARCHÉ, président. -
Nous allons essayer d'aller dans
le sens de l'histoire. Après une Cour de cassation qui s'obstine,
voilà que les juristes s'arc-boutent. Nous sommes dans le domaine de la
résistance affirmée. J'ai noté également un propos
initial qui est bien à la base de notre réflexion,
peut-être à l'occasion d'autres débats, n'avons-nous pas su
mener un véritable débat sur la famille ? Tout ce que nous
sommes en train de voir n'est d'ailleurs qu'un aspect du droit de la famille,
bien d'autres considérations doivent être mises en avant.
Vos interventions nous ont enrichis, les trois praticiennes que vous êtes
nous ayant apporté des vues relativement contradictoires. C'est ce que
nous attendions, de telle manière que le débat s'instaurant, nous
puissions utiliser tout ce que vous avez bien voulu nous dire et qui exprime
cette expérience qui nous est très précieuse.
Le propre d'un Parlement est de décider après avoir entendu, mais
il n'est pas obligatoirement de faire ce qu'il aura entendu suggérer.
Nous avons donc des démarches d'appréciation qui, jusqu'au
dernier moment, devront demeurer.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - Si j'ai bien compris Mme George et
Mme Courcelle, elles sont partisanes de supprimer la condition de vie en
commun pour le père naturel. N'est-ce pas oublier qu'une reconnaissance
peut émaner de n'importe qui ? Je suis même sûr que si
en 1993 on a donné la possibilité au juge de donner
l'autorité parentale au père naturel dans tous les cas, on a
réservé précisément le fait que ce soit obligatoire
et automatique quand il y a eu vie commune au moment de la dernière
reconnaissance et ce parce que n'importe qui peut se présenter à
la mairie pour reconnaître un enfant et ennuyer sa mère.
Mme GEORGE.
- C'est une hypothèse assez rare. Avec la condition
du temps, dans la première année de la naissance de l'enfant, on
risque moins d'avoir de fausses reconnaissances. Le risque d'une reconnaissance
fantaisiste est infime. La reconnaissance crée de nombreuses obligations
à celui qui reconnaît un enfant.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - Celui qui n'a pas un sou ne risque rien.
Mme GEORGE.
- Je comprends votre souci de prudence.
L'inconvénient qui en résulte est plus important que l'avantage.
L'inconvénient majeur est qu'il y a une incertitude sur la personne qui
exerce l'autorité parentale sur un enfant.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - C'est pourquoi les juges existent.
Mme GEORGE.
- Si les juges doivent intervenir dans tous ces cas.
Mme COURCELLE
. - Même pour des juristes, il est difficile de dire,
à la seule vue de l'acte de naissance, quel est le statut du père
naturel, c'est une insécurité pour les enfants. De tels cas sont
vraiment marginaux. D'ailleurs il y a un recours contre cette reconnaissance
qui sécurise plus l'enfant naturel. Il faut absolument qu'il y ait un
statut unique du père naturel sur les enfants naturels.
Mme GEORGE.
- Il faut que ce soit lisible au vu de l'acte de naissance.
M. LARCHÉ, président. -
Je ne suis pas sûr que le
terme que vous avez relevé corresponde à la
réalité. Vous avez dit que M. Benabent, dont nous avons
apprécié l'intervention, avait fait justice du mot
répudiation.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. -Oui, c'est exact.
M. LARCHÉ, président. -
Certains membres de la commission
estiment que c'est vrai et d'autres s'interrogent peut-être. C'est le
propre d'une commission d'ailleurs.
Je vous remercie infiniment de vos interventions.