M Philippe MALAURIE,
Professeur émérite à
l'Université du Panthéon-Assas
M. Alain BENABENT,
Professeur à
l'Université de Paris X
Mme Jacqueline RUBELLIN-DEVICHI,
Professeur à
l'Université de Lyon
M.
MALAURIE
. - Merci Monsieur le Président. Je vais d'abord remercier
le Sénat de m'avoir invité et d'avoir prévu cette audition
avec un ordre du jour très étendu. La réforme du droit de
la famille est une des questions les plus graves, les plus étendues et
les plus difficiles que nous puissions concevoir.
Quand on m'a dit que j'avais un quart d'heure pour présenter mon point
de vue sur les réformes du droit de la famille, je me suis senti un peu
frustré. Je laisse une note d'une quinzaine de pages à la
disposition de la Commission des lois et de tous ceux qui voudront bien la
regarder. Ce seront donc des observations très fragmentées,
qu'aussi rapidement qu'il m'est possible je présenterai, pour laisser
une place au débat qui me paraît un des moments les plus fructueux
de ce type de réunion.
Je regrette que Mme Irène Théry soit partie, j'aurais voulu lui
dire tout le plaisir que j'ai eu à l'entendre.
M. LARCHÉ, président. -
Elle l'a deviné.
M. MALAURIE
. - Oui, mais elle n'entend pas mes compliments ni mes
réserves. Il m'est souvent arrivé en la lisant d'être
très frappé par la coïncidence de nos points de vue et
d'être surpris de la différence de nos conclusions. Je ne partage
pas un certain nombre de ses conclusions.
Je souhaite que la réforme du droit de la famille ne soit pas
parcellaire. Mme Guigou a eu l'idée de constituer une Conférence
de la famille et c'est peut-être une bonne idée de voir un
ensemble. Tout ce qui est réforme parcellaire, au coup par coup, sous
l'impulsion du sentiment de l'intérêt ou de l'émotion du
moment, me paraît être une mauvaise méthode.
Je souhaite aussi que les réformes aient des objectifs simples, et pour
moi, l'objectif simple qui doit dominer la politique de la famille, comme
probablement toute notre politique, est le respect de notre humanisme, des
engagements ; donner à chacun le sens du devoir, le sens de la
responsabilité et du caractère presque sacré de la
famille.
Je parlerai de trois points, mais d'une façon très
inégale.
Un mot sur la grande réforme du droit de la famille, en panne depuis
1988 : la réforme du droit des successions. Il faudra qu'elle aboutisse.
Une des raisons pour lesquelles elle a échoué est que le projet
de loi n'a pas pris en considération une des données actuelles
-que Mme Théry a heureusement souligné- à savoir
l'éclatement de la famille.
Le grand problème du droit des successions, surtout problème
politique, est le droit du conjoint ; il doit être envisagé de
manière tout à fait différente du cas habituel : je
lègue la totalité de mes biens à ma femme, qu'elle ait une
réserve ou pas, peu importe, de toute façon un jour ou l'autre
mes enfants retrouveront le peu de bien que je peux avoir. Mais, si jamais mon
mariage étant dissout, j'épouse une jeune femme de 20 ans le
problème est tout à fait différent. Il y a là une
distinction capitale à apporter que le projet de loi n'avait pas vu.
Le deuxième point que j'entends évoquer est celui appelé,
à tort ou à raison, divorce administratif. L'expression de
divorce civil me paraît mal venue, car il y aurait un divorce commercial,
pénal, etc. J'y suis hostile bien qu'en soi l'idée ne soit pas
absurde. C'est le propre de toute erreur de comporter une part de
vérité.
L'idée profonde que j'ai du divorce est que c'est un mal, toute solution
que l'on apporte au divorce est mauvaise et il nous faut chercher la moins
mauvaise. Quand en 1975, on a affirmé qu'on allait dédramatiser
le divorce, ce n'était pas vrai ; il restera toujours un drame, mais
essayons qu'il soit le moins douloureux possible.
Le divorce administratif n'est envisageable que s'il n'y a pas d'enfants, pas
de biens, si le mariage n'a pas duré longtemps, c'est-à-dire une
quasi nullité du mariage, Mme Théry ajoute
l'hypothèse : si les époux sont d'accord. Tout le
problème est là. La grande difficulté des relations entre
époux en voie de divorce est la réalité de leur accord.
Il faut, je le souhaite vivement, que les projets législatifs
écartent radicalement les divorces mal faits, ceux qui sont les plus
douloureux, les plus contentieux : vite fait, mal fait. Il faut
très soigneusement préparer le divorce. Une solution souvent
envisagée est de faire précéder le divorce d'une
convention liquidative, non pas avec un avocat (là, la loi de 1975 a
commis une erreur), mais avec deux avocats : l'avocat est un
défenseur, il doit défendre l'intérêt de son client.
Dès qu'il y a un seul avocat, les relations deviennent équivoques
et sont faussées.
Après la convention liquidative il devra y avoir un délai de six
mois pour éviter le divorce d'explosion et il sera
déféré à un juge. Quel que soit son rôle, il
me paraît indispensable parce que le celui-ci peut empêcher les
débordements que nous avons tous rencontrés. Tout
récemment, j'ai vu par exemple une convention où figurait une
compensation entre la prestation compensatoire et la pension alimentaire. Cela
paraissait devoir se compenser, mais ce ne sont pas les mêmes personnes,
il y a l'enfant d'un côté et les époux de l'autre.
J'ajoute, malgré toute l'autorité que je reconnais à
M. Carbonnier, que je souhaite très profondément que soit
prévue une rescision pour cause de lésion de ces conventions,
dont certaines sont très spoliatrices du conjoint.
Quand je présente ce divorce par requête conjointe, je ne suis pas
hostile, car c'est une réalité qui, aujourd'hui s'impose,
à une sorte de privatisation et contractualisation de la famille,
à condition quelle ait ses limites. Il y a un danger considérable
si nous croyons que la loi, que l'Etat, que le juge doivent s'effacer en
matière de famille, c'est une erreur immense. Nous devons continuer
à assurer la fonction essentielle du droit : la protection du plus
faible. Dans un divorce, il y en a presque toujours un qui est le plus faible,
généralement le plus aimant et c'est lui qui fait les frais des
divorces par consentement forcé.
Mon dernier point concerne le CUC (contrat d'union civile) ou le PIC (pacte
d'intérêt commun). De toutes les réformes
envisagées, c'est de beaucoup la plus grave parce qu'elle touche au
coeur du droit de la famille : le mariage. M . Carbonnier avait
très soigneusement écarté toute espèce de
révision du droit du mariage (si je rapporte ses propos, c'est parce
qu'il les a publiés) et lorsqu'il avait vu le Général De
Gaulle, alors Président de la République, il avait posé
comme condition que l'on ne toucherait pas au mariage. On y a touché
indirectement par le divorce ou la filiation, mais le problème du
mariage est explosif. C'était dans les années 1960. Depuis la
situation a considérablement changé. Le caractère explosif
des réformes du mariage serait encore beaucoup plus sensible.
Ces questions du CUC ou du PIC intéressent deux sortes
d'hypothèses : les homosexuels et les concubins
hétérosexuels. Les vrais demandeurs sont les homosexuels. Je ne
crois pas qu'il faille exclusivement arrêter notre attention sur eux. Il
y a pour le CUC et le PIC des homosexuels une grande diversité de
propositions, avec des différences de modalités, mais je ne crois
pas qu'elles soient profondément différentes.
La seule vraiment différente, est le projet PIC, j'ai beaucoup de mal
à en parler, il change tous les jours. Hier j'ai vu dans la presse que,
alors qu'initialement le PIC était une convention purement
pécuniaire, il devait conférer la possibilité d'adoption,
ce qui change tout à fait l'économie du système.
Il y a, comme dans tout débat politique, intellectuel et juridique, du
pour et du contre. Le pour, c'est le thème que j'ai encore entendu tout
à l'heure avec Mme Théry, un des thèmes vieux comme le
monde, l'adaptation du droit au fait, tout le monde sait qu'il doit s'adapter
au fait mais que le droit ne doit pas s'identifier au fait. Le deuxième
thème est la lutte contre la discrimination.
Le contre me paraît être la réalité profonde de notre
condition humaine, la distinction entre l'homme et la femme. C'est le
repère fondamental, premier de l'individu et de la
société. Dans notre société qui est en crise, plus
qu'elle ne l'a jamais été, avec toutes les conséquences de
délinquance que nous pouvons connaître, ce n'est vraiment pas le
moment de faire disparaître ce qui est l'immunité essentielle de
notre société. Si nous perdons ce repère, nous perdons
beaucoup de signes de valeur de notre société.
Voilà rapidement sur le CUC homosexuel.
Le concubinage hétérosexuel porte, comme d'ailleurs le
concubinage homosexuel, des noms bizarres et ridicules. Dire que celui qui aura
conclu un CUC sera " cucé " et celui qui aura conclu un PIC
sera " piqué " est grotesque. Je ne vais pas en tenir rigueur
aux auteurs de ces propositions. C'était probablement inévitable,
non pas qu'il soit impossible de trouver un nom d'une institution
intermédiaire entre l'union libre et le mariage, l'histoire en a
donné. Par exemple Rome avait connu le concubinat, mais l'ambition des
auteurs du CUC et du PIC explique l'impossibilité qu'ils ont de trouver
un nom quelconque.
En effet, ils ne veulent donner avec leurs institutions qu'une situation
indifférenciée, qui couvre aussi bien les relations avec
" copula carnalis " que les relations entre les vieilles dames, entre
le frère et la soeur ce qui est l'équivoque profonde de ces
projets. Je peux leur faire de très nombreux reproches. Je ne les dirai
pas tous. Je les ai mis dans ma petite note. Le premier, Mme Thery l'a
évoqué, c'est la liberté. La base même de l'union
libre, c'est la liberté : la liberté de rupture, la
liberté de conclusion. La base de l'union libre c'est qu'elle ne vit
qu'autant que le veulent les concubins.
J'ai cité dans ma note la jolie chanson de Georges Brassens, la
" non demande en mariage ". Nul n'a mieux défini l'union libre
que lui. Avec ma voix grippée, je ne vais pas la chanter, et
peut-être n'est-ce pas le genre de la Commission des lois que de chanter
du Brassens.
M. LARCHÉ, président. -
Nous n'y sommes pas hostiles.
M. MALAURIE
. - Nous n'avez pas intérêt à m'entendre
chanter, mes enfants m'ont fait perdre la confiance que j'avais en moi à
ce sujet .
Ce qui caractérise au contraire le mariage, c'est le rite.
Mme Théry parle de la symbolique, ce mot me paraît obscur.
C'est le rite avec tout le cortège de conséquences qui en
découlent, la présomption de paternité, la preuve, la
vocation successorale, tout cela est étranger à l'union libre.
A cet argument traditionnel s'ajoutent des arguments très techniques.
L'équivoque de ces CUC : ils ont évoqué la
possibilité de deux religieux qui constitueraient un CUC ou un PIC. J'ai
interrogé l'Official qui dit que c'est tout à fait impossible. Le
principe de toute communauté religieuse est qu'elle ne se fait pas
à deux. C'est par les drames qui ont frappé ces malheureux
trappistes d'Algérie qu'une communauté peut être
réduite à deux, mais il doit être le plus rapidement
possible mis fin à cette anomalie. Il y a là une équivoque
et une erreur.
Le PIC, quand il envisage d'être une simple convention pécuniaire,
réduit la grandeur de la communauté de vie à une
économie mercantile et purement pécuniaire. Actuellement, j'ai
l'impression d'avoir affaire, avec le PIC, à un exemple grammatical. Le
dilemne est le choix entre deux propositions contraires qui aboutissent au
même résultat. On donne comme exemple l'attitude du calife Omar
Ier devant la bibliothèque d'Alexandrie : ou bien ces livres sont
conformes au Coran, ils sont inutiles, il faut donc les brûler ; ou
ils sont contraires au Coran, ils sont nuisibles, il faut donc les
brûler.
J'en dis autant du PIC. Ou bien le PIC dit que l'on peut faire une convention
d'indivision de société, il y a longtemps que nous le savons,
donc il est inutile, ce n'est pas la peine de l'adopter ; ou bien des
avantages sociaux et fiscaux lui sont attachés, là il s'agit d'un
concurrent subreptice au mariage, il est nuisible, il ne faut pas l'adopter.
Un autre argument technique : tous ces mécanismes vont
entièrement bouleverser, non seulement le droit de la famille, le
mécanisme de la réserve, de la répartition des pouvoirs,
mais même des matières auxquelles on ne s'attend pas. Les biens de
main morte peuvent être reconstitués par le jeu de ces conventions.
Puis, il y a le Fisc. Si nous permettons aux " piqués " et aux
" cucés " de bénéficier des avantages fiscaux
dont profitent les époux, il y aura une énorme évasion
fiscale, ce seraient des dizaines de milliards de recettes fiscales qui
disparaîtraient.. Ce n'est pas le moment étant donné
l'énorme difficulté budgétaire que nous connaissons, alors
que les prestations familiales sont plafonnées et que nous n'arrivons
pas à subvenir aux besoins des misérables et des pauvres qui nous
entourent, de faire ce cadeau d'intérêt privé.
Par ailleurs, les problèmes de politique familiale sont en cause. Nous
abandonnerons la cohérence de la société civile. Une des
conséquences de la révocation de l'Edit de Nantes a
été de mettre fin à la pluralité du mariage, il y
avait le mariage des catholiques et puis le mariage du désert (le
mariage des protestants).
Avec le système envisagé, il y aura une pluralité du
mariage : le mariage traditionnel, le mariage bis, le sous mariage des
homosexuels ou de ceux qui sont hésitants et qui ne veulent pas
s'engager entièrement dans les liens du mariage. Il y aura aussi le
mariage des catholiques, des traditionalistes, ils réclameront
l'indissolubilité du mariage, comme ils l'ont fait en 1944. Pourquoi
discriminer les musulmans? Il devrait y avoir le mariage polygame.
Il y a, là, un risque considérable, peut-être
imperceptible, de fracture sociale. Il y a aussi le risque de
l'instabilité de l'union, la rupture d'une union aussi facilement
prévue que celle du CUC ou du PIC, sera une rupture mal
préparée. Nous courons vers la répudiation coranique dont
tout le monde sait qui en a été la victime, la femme avec la
conviction d'être inférieure, à laquelle malheureusement
souvent le droit musulman la condamne.
Voilà, je n'ai pas parlé de l'essentiel. J'ai l'impression que
derrière des projets de CUC et de PIC et peut-être du divorce
civil, il y aura une nouvelle anthropologie de l'union de l'homme et de la
femme. Nous avons tous conscience, et c'est une des richesses de notre
civilisation, que l'union entre l'homme et la femme, dès lors qu'elle
s'institutionnalise, est une union grave et sérieuse.
Je reprends le mot de Portalis : " il ne faut pas ce soit une union
que le plaisir forme et qui disparaisse avec le plaisir ". A cette vision
anthropologique, j'ajoute une vision purement juridique : je ne crois pas,
Monsieur le Président, en l'omnipotence du droit. Il ne faut
pas légiférer sur tout, il ne faut pas croire que la
société tout entière puisse être saisie par le
droit. Non vraiment, quelle que soit la foi que j'ai dans le droit, il n'est
pas une potion magique et je souhaiterais que nous ayons tous, dans un domaine
aussi grave, aussi douloureux, plus d'humilité.
Je vous remercie, Monsieur le Président.
M. LARCHÉ, président. -
Merci infiniment.
J'ajouterai un point qui me semble très important quant à
l'évolution du concubinage. Je ne sais à quel niveau, est-ce
à celui de la Cour de cassation ou une Cour d'appel, mais il vient
d'être jugé que le concubinage n'impliquait pas la domiciliation
commune.
M. MALAURIE
. - Comme la communauté de vie en matière de
mariage ; on peut avoir sa femme à Marseille, habiter Lille et se
rencontrer à Lyon.
M. LARCHÉ, président. -
Cela vient d'être
étendu au concubinage.
M. BENABENT
. - Il est toujours très difficile de parler
après M. Malaurie, vous l'avez tous compris. On m'a laissé
le choix du thème sur lequel nous pouvions parler dans le droit de la
famille.
Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Malaurie sur l'immensité du domaine
et sur la nécessité de se concentrer sur un ou deux points.
Je ne reprendrai pas la question du droit des successions ni celui du PIC ou du
CUC. Ce n'est pas que je partage entièrement les raisons qui conduisent
M. Malaurie à souhaiter qu'il ne soit pas légiféré
sur ce point. Comme pour l'exemple d'Alexandrie qu'il a donné, j'arrive
à peu près à la même conclusion, mais pour d'autres
raisons. Je répondrai à vos questions sur ce point, si
nécessaire. Il est inutile d'alourdir le débat et d'amputer le
temps assez court qu'il reste.
Je voudrais me concentrer sur la question du divorce et d'une éventuelle
réforme ou modification de la réforme du divorce de 1975.
Il y a la question des causes, celle de la procédure et les
conséquences. Le deuxième volet est sans doute aussi important
à l'heure actuelle. Il est plus technique. Nous pourrons passer dessus
plus rapidement.
Il y a actuellement trois causes de divorce : consentement mutuel, pour
faute et pour rupture de la vie commune.
Notre état de droit, qui constituait sans doute un progrès en
1975 n'est plus satisfaisant et deux questions principales méritent
d'être aujourd'hui posées ou reposées.
La première : le divorce par consentement mutuel donne en gros
satisfaction, bien que je partage ce qu'a dit M. Malaurie sur la
nécessité de lui maintenir son caractère sérieux et
donc judiciaire.
Pour les deux autres procédures, deux questions se posent : d'abord
le divorce pour rupture de la vie commune ne doit-il pas être
entièrement refondu pour qu'il cesse de jouer le rôle totalement
résiduel qu'il joue actuellement ? Ensuite, il faudra
peut-être se poser de nouveau la question du principe même du
divorce pour faute.
Concernant le divorce pour rupture de la vie commune, il est tombé
quasiment en désuétude. Il représente moins de 1 %
des procédures, compte tenu de la lourdeur de la procédure, de la
longueur du délai (six ans) et surtout la rigidité de ses effets
qui désignent le demandeur comme un paria du seul fait qu'il est
demandeur et qu'il a recours à cette forme de divorce.
Ce divorce, à condition d'être refondu, peut servir de base
à une liquidation des mariages en faillite et à une liquidation
neutre, objective qui permette de sortir des insuffisances actuelles.
La faille du système actuel est que lorsqu'une personne veut divorcer,
elle est obligée d'avoir soit des griefs à formuler et à
prouver contre l'autre, soit l'accord de l'autre. Si jamais elle veut divorcer
sans avoir l'un ou l'autre, à l'heure actuelle, il n'y a que cette
procédure de six ans qui est extrêmement longue, donc en gros elle
ne peut pas.
Par exemple, quand une dame vient me voir et me dit que son mari la trompe,
qu'elle en a assez, qu'elle veut demander le divorce et qu'elle veut l'ennuyer
vraiment, le conseil positif que nous pouvons lui donner, en l'état du
droit, est de ne pas intenter de procédure de divorce. C'est en restant
mariée qu'elle l'ennuiera le plus. En effet, il n'a aucun moyen de
divorcer, il n'a pas de faute à lui reprocher et il n'a pas son accord.
Est-il digne d'un droit civilisé de donner un tel conseil ?
Personnellement, j'en doute. Nous pouvons nous poser la question. Le mariage
civil, pas religieux, ne doit pas être un moyen pour un citoyen de
maintenir l'autre dans les liens d'un mariage dont il ne veut plus, qu'il ne
tolère plus.
La loi, à mon sens, ne peut pas gouverner la liberté individuelle
-elle est aussi intime que la vie privée des citoyens- au point
d'imposer ce maintien ou de permettre de l'imposer.
Vous l'avez compris, c'est un divorce par volonté unilatérale que
l'on pourrait instaurer, en remaniant ce divorce pour rupture de la vie
commune. Le droit de mettre fin à une union personnelle, alors que l'on
admet partout ailleurs que des liens perpétuels ne sont pas admissibles,
même quand c'est en matière patrimoniale, ne peut être
dénié et on ne peut plus reconnaître à l'autre
conjoint le droit de s'opposer à tout divorce, en maintenant son
conjoint prisonnier dans les liens d'un mariage sous prétexte qu'il
l'aime encore, qu'il ne veut pas être seul. Ce n'est pas une façon
d'aimer et la loi n'a pas à y prêter la main.
Bien sûr, il y a des objections. La première est de dire qu'il y a
déjà 237 dossiers en stock de divorces pour rupture de la
vie commune. Nous savons très bien que ce n'est pas possible, ce
délai de six ans est beaucoup trop long.
A qui a-t-on demandé d'attendre six ans avant de se marier ? A
personne. Pourquoi demander d'attendre six ans avant de divorcer ?
Aujourd'hui, dans nos conceptions le mariage et le divorce sont deux actes
très graves, aussi importants l'un que l'autre, ce sont des choix de
vie. Il n'y en a pas un qui soit plus grave que l'autre. S'il n'y a pas de
délai avant de vous permettre de vous marier, je ne suis pas certain que
ce délai de six ans soit justifié. Dans d'autres pays, le
délai est de trois ans, il est déjà aussi trop long.
Une seconde objection consiste à dire que c'est une répudiation.
Du seul fait d'avoir utilisé le terme, c'est le mot qui sert à
jeter l'anathème sur l'institution, alors qu'il est très ambigu.
Dans la répudiation, qui évoque le mécanisme donné
par l'Islam, ce qui est très choquant, ce n'est pas qu'elle soit
à sens unique, mais que ce soit uniquement l'homme qui puisse
répudier la femme et donc le quasi servage qui peut en résulter.
Toutefois, est-ce l'aspect de pouvoir libérer quelqu'un qui est dans un
lien qui, pour des raisons diverses des années plus tard peut
paraître intolérable, qui nous choque ? Il faut se
méfier de l'amalgame facile qui se fait en employant ce mot. Ce que nous
disons là n'a rien de révolutionnaire. C'était
déjà connu dans une loi qui n'a pas duré très
longtemps, celle du 20 septembre 1792.
Le projet de Naquet, qui a abouti à la loi de 1884 qui a rétabli
le divorce n'était que son troisième projet.
Son premier projet, présenté en 1876, était beaucoup plus
large. L'exposé des motifs est d'une humanité remarquable. Ce
premier projet prévoyait un divorce pour faute, par consentement mutuel
et un divorce par volonté unilatérale persistante. Une
procédure permettait, à condition de réitérer
quatre fois, tous les trois mois, pour être sûr qu'il ne s'agissait
pas d'un coup de tête, la volonté persistante de l'un des
époux, de mettre fin à cette union, sans cause
déterminée, sans que le juge ait à contrôler s'il y
avait véritablement faillite du mariage. A partir du moment où
une des parties le ressentait comme tel, le juge n'avait pas de raison de dire
qu'il en était autrement. Dans ces conditions, le divorce pouvait
être prononcé, sur la base de cette volonté persistante de
mettre fin à l'union.
Nous pourrions nous poser de nouveau la question car le respect de la personne
implique qu'elle entre dans les liens qu'elle désire mais qu'elle puisse
en sortir de la même manière.
S'agissant du maintien du divorce pour faute : Mme Ganancia a
publié, il y a un an, un article -dont toute la première partie
mériterait d'être citée quasiment mot pour mot- sur le
caractère anachronique, inadéquat et nocif de l'existence
même de cette forme de divorce.
Le juge se sent très souvent décalé, impuissant dans ce
type de litige. Nous pouvons nous demander l'utilité de ce combat pour
obtenir le gain du divorce, inutile dans 90 % des cas, puisque c'est dans
cette proportion que cela aboutit à un divorce aux torts
partagés, précisément parce que le juge ne se sent pas
qualité pour s'immiscer dans la recherche des causes de cette
mésentente. Son existence même n'est-elle pas plus nocive, dans la
mesure où il conduit à rechercher ce que l'on pourrait reprocher
à l'autre. La Cour de cassation, il y a quelques mois encore, admettait
que l'on puisse produire en justice la correspondance adressée au
conjoint, sauf à prouver qu'on l'a obtenue par faute, (comment prouver
qu'elle a été prise dans un sac à main ?).
Que l'on puisse produire en justice le journal de l'autre qui par nature n'a
pas à être consulté par quiconque, encore moins par le
conjoint ! Ces procédés sont inadmissibles. Ils ne sont
justifiés que par l'idée qu'il y aurait un droit à la
preuve des fautes de l'autre et ce parce qu'il existe un divorce pour faute.
Sans divorce pour faute, ces dérives deviendraient inutiles.
A quoi sert-il aujourd'hui de maintenir ce divorce pour faute ? A faire
proclamer son innocence, (satisfaction morale) ou la culpabilité de
l'autre.
Faire proclamer son innocence est une considération qui a eu sa
légitimité à une époque, mais qui ne l'a plus.
Pendant un temps, le divorce était une sorte de tache sociale. Dans
beaucoup de milieu, il fallait une excuse pour avoir le statut de
divorcé. Cette excuse était de dire : je n'y suis pour rien,
je suis innocent et j'ai fait juger par le tribunal que je l'étais.
Actuellement, la société ne fait plus cette distinction, cette
sorte de hiérarchie entre les mariés et les divorcés. La
nécessité n'existe plus de faire proclamer son innocence pour se
justifier d'avoir divorcé. Personne ne vous demande plus pourquoi,
comment vous êtes divorcé aujourd'hui. Vous n'avez pas à en
justifier. Il est donc inutile de faire proclamer votre innocence.
Faire proclamer que l'autre est coupable, est-ce légitime ? Par
rapport à qui ? A des normes fermes dans une société
où tous les gens mariés vivent de la même façon. Le
juge peut voir ce qui est déviant, mais actuellement des gens
mariés vivent ensemble, d'autres pas, certaines personnes mariées
tolèrent telle ou telle activité de l'autre, ce sont des
arrangements personnels. On ne considère plus que le droit ait
qualité pour s'immiscer dans ces arrangements.
Par rapport à quelles normes le juge va-t-il dire ce qui est bien ou
mal ? Il est bien embarrassé, le plus souvent il dit que les torts
sont réciproques. Pourquoi déclarer l'autre coupable alors que
l'on sait très bien que, quelle que soit la culpabilité
apparente, il y a toujours une foule de causes enchevêtrées dont
il est artificiel et vain d'aller rechercher l'imputabilité. Cela ne
veut pas dire pour autant que dans les cas où la faute est patente, si
l'un bat l'autre, il ne faille pas en tenir compte. Mais cela relève de
la responsabilité civile d'en faire un accessoire du divorce dans les
cas où la faute est évidente ; pourquoi en faire la condition du
divorce ?
A partir de là, on arrive inévitablement à envenimer les
débats. Ne serait-ce que parce que, par une sorte de gêne
vis-à-vis des autres, le conjoint se dit qu'il est bien obligé
d'avoir l'air de reprocher quelque chose à l'autre et donc de chercher
des griefs et d'envenimer un débat qui pourrait être le simple
constat qu'à un moment tout allait bien, puis qu'à un autre, il
faut être adulte et dépasser cette recherche de la faute.
Je me demande si dans la réflexion sur le maintien du divorce pour
faute, on ne pourrait pas assainir le débat judiciaire en le supprimant.
Le deuxième volet concerne la procédure du divorce : s'il me
paraît utile d'alléger tout ce qui conduit au divorce,
c'est-à-dire les causes, en les dédramatisant, en revanche il me
paraît très important de faire un effort pour que le procès
en divorce et l'organisation du divorce soient sérieux, au moins aussi
sérieux que maintenant et peut-être plus si c'est possible.
Que cela passe devant le juge ou l'officier d'état civil, je partage
l'opinion de M. Malaurie. Il est possible de passer devant l'officier
d'état civil mais uniquement dans le cas où il n'y a personne
à protéger, ni enfants ni un conjoint plus faible en raison de la
situation patrimoniale, et cela ne concerne que peu de cas.
Dans tous les autres cas, le juge est là pour protéger quelqu'un,
non pour prononcer le divorce ou pas, mais pour en organiser les
conséquences. Il faut maintenir et renforcer le caractère
sérieux du procès. Je ne suis pas favorable à
l'idée que l'on pourrait, là où il y a une double
requête, se contenter d'une seule, ce qui supprime, par nature, les
délais de réflexion. Autant le divorce est un droit, autant c'est
une affaire sérieuse pour laquelle on peut légitimement imposer
des délais de réflexion, qu'il soit par consentement mutuel, par
volonté persistante ou volonté unilatérale.
Sur le troisième volet, je crois qu'il faut cesser de diviser en
plusieurs phases le règlement des conséquences du divorce.
Actuellement, sauf dans le divorce sur requête conjointe où tout
doit être réglé en même temps, le chemin est
épars. D'abord le principe, ensuite les situations compensatoires, s'il
y en a les mesures d'instruction entre les deux, et enfin le règlement
du régime matrimonial, mais tout cela est lié. Pour bien faire,
il faut avoir en vue toutes les conséquences.
Il me paraît indispensable d'étendre à tous les divorces la
solution actuelle du divorce sur requête conjointe, qui consiste à
dire qu'il faut que tout soit réglé au cours d'un seul et
même procès. On va dire que cela allonge les procédures, je
suis surpris de voir qu'on hésite à abréger le
délai de six ans pour arriver à prononcer le divorce, mais que
l'on soit pressé quant à la durée de la procédure.
Mieux vaut abréger avant et prendre les mois nécessaires poux
régler correctement et définitivement l'ensemble du
problème matrimonial, y compris la liquidation du régime
matrimonial.
Je termine en disant que les causes du divorce doivent être
allégées, elles peuvent être dédramatisées,
car on peut faire admettre, que ce soit par volonté commune ou
unilatérale, que le divorce n'est pas une chose qui déroge
à la norme dans la conception actuelle, mais simplement une
manière de respecter, de restaurer la liberté de chacun, ce que
l'on ne peut pas définitivement aliéner.
En revanche, il faut que l'on se concentre mieux sur les conséquences et
l'organisation du divorce, avec la participation de deux avocats, même si
le procès doit durer plus longtemps, il faut que tout soit
réglé de manière unique avec le juge.
Je vous remercie.
Mme RUBELLIN-DEVICHI.
- Monsieur le Président, j'ai beaucoup de
plaisir à me trouver devant vous parce que vous étiez
Président de la Commission des lois du Sénat quand a
été votée la loi de 1993. C'est un plaisir de m'adresser
à des sénateurs qui sont parfaitement au courant de la
législation actuelle.
J'ai inversé ce que j'avais à vous dire car il y a des points
où je me serais abstenue, mais finalement je ne peux plus. La
beauté du droit et le plaisir d'être avec des collègues est
grand même si nous ne sommes jamais tout à fait d'accord entre
nous sur beaucoup de points.
M. LARCHÉ, président. -
C'est un plaisir que nous
connaissons bien entre nous.
Mme RUBELLIN-DEVICHI.
- Je m'étais dit que je ne parlerai pas du
divorce, d'abord parce que vous avez voté une proposition de loi sur la
prestation compensatoire qui me paraît tout à fait satisfaisante,
et même plus simple que ce qu'avait fait la commission Jean Hauser.
La proposition de loi qui a été voté par le Sénat,
relative à la prestation compensatoire, me paraît résoudre
le problème crucial du divorce régi par la loi de 1975, à
savoir éviter que le choix d'une prestation compensatoire sous forme de
rente ne pérennise les versements à accomplir, et aussi, -mais il
manque quelque chose à votre réforme-, pousser vers la conversion
en capital de la prestation qui prend trop souvent la forme d'une rente.
Le problème de cette réforme est que l'aspect fiscal ne pousse ni
les magistrats ni les justiciables vers la prestation compensatoire en capital,
pour la bonne raison que celle-ci est imposée, comme les
libéralités entre époux. Pour la rente, au contraire, elle
peut être déduite des revenus de celui qui la verse.
Je me permets de vous rappeler qu'il y a toutes sortes de prestations
compensatoires, pour toutes les fortunes. On trouve dans les quelques derniers
mois des prestations compensatoires en capital de 1 ou 2 MF. Faut-il
pénaliser les riches ?
Faut-il les inciter à verser des prestations compensatoires en rente
pour n'avoir pas ce système fiscal qui avantage ceux qui versent les
prestations compensatoires en-dessous de 330 000 F ? Faut-il revoir
le système fiscal ?
Nous devons réfléchir très vite pour répondre
à cette question, elle accompagnerait très bien la proposition de
loi que vous avez votée et qui me paraît très utile.
M. Benabent m'amène à parler du divorce alors que je n'en avais
pas l'intention. Je ne suis pas d'accord avec lui sur certains points,
notamment en ce qui concerne la suppression du divorce pour faute.
Non, je ne vois pas pourquoi une femme trompée devrait rester dans les
liens du mariage.
M. DREYFUS-SCHMIDT.
- Les hommes aussi peuvent être
trompés !
Mme RUBELLIN-DEVICHI.
- Je n'en doute pas, mais ils ne vont pas s'en
apercevoir.
(Rires).
Le complice de l'adultère, aurait-on dit autrefois, s'affiche beaucoup
plus volontiers pour narguer l'épouse que lorsque que c'est l'inverse.
Si un homme est battu, trompé, et souhaite rester dans les liens du
mariage toute sa vie, je ne vois pas pourquoi il pourrait réclamer des
dommages intérêts alors qu'il ne fonde pas sa demande sur une
rupture du mariage pour faute.
En revanche, et je suis d'accord avec vous, il faut supprimer le délai
du divorce pour rupture de la vie commune, six ans c'est la porte ouverte
à tous les chantages, trois ans me paraissent bien, mais ne touchons
à rien d'autre.
Quant au divorce sur requête conjointe, par consentement mutuel, il va
falloir sûrement un texte pour vaincre l'obstination de la Cour de
cassation, qui veut voir dans l'indissociabilité du divorce et de la
convention quelque chose que M. Malaurie écrit très
joliment. On peut désormais être tranquille, la convention dans un
divorce sur requête conjointe a une force qu'aucune convention ne
connaît dans notre droit quand bien même elle aurait
été passée avec lésion, avec fraude, avec violence
(on a tapé sur le juge par exemple).
Ces points me paraissent devoir être signalés, de même que
je crois -et le Président Fossier le dira beaucoup mieux que moi- qu'une
des solutions, à ce problème très grave que connaissent
les magistrats, les notaires et un peu les avocats qui est que le juge doit
statuer sur le divorce sans connaître l'état des biens des
époux. La liquidation dure des années et des années parce
qu'on a envie de prolonger. Une solution avait été trouvée
lors de la Conférence de la famille, par M. Fossier lui-même : il
faudrait exiger, dans tous les divorces, qu'au moment de la requête, les
époux produisent l'état de leurs biens (liste des biens et des
dettes des époux).
Presque la moitié des divorces prononcés sont des divorces pour
faute. Cela correspond à une réalité et à une
nécessité. Peut-être y a-t-il quelques divorces pour faute
qui dissimulent des divorces par accord, car le drame des divorces par
consentement mutuel, ce sont les délais, les possibilités de
revenir sur sa décision. Il y a là une justification du maintien
du divorce pour faute.
Je voudrais revenir sur le PIC ou le CUC. D'abord j'ai des propositions
à faire à M. Jean Hauser. Il le sait, je vais défendre le
PIC.
Il faut repartir d'un constat. Actuellement, le mariage est l'union d'un homme
et d'une femme pour le droit français et pour les autres droits, comme
pour la Convention européenne des droits de l'homme. A telle enseigne
que des droits étrangers, comme le droit du Québec, mettent
maintenant dans leur législation que le mariage est l'union d'un homme
et d'une femme.
Il nous avait tellement échappé en 1804 que l'on puisse le
contester que ce n'est même pas écrit dans le Code civil.
Certains homosexuels, très défenseurs de l'homosexualité,
prétendent que parce que ce n'est pas dans le Code civil
français, cela prouve que le mariage entre homosexuels devrait
être possible. Je leur laisse la responsabilité de leurs
déclarations.
A côté du mariage, il y a des unions de fait de personnes qui
vivent en union libre, c'était le terme autrefois. Drôle d'union
libre, elle n'est pas si libre que cela, puisqu'on la déclare, on la
révèle au moment où l'on se trouve devant les tribunaux.
Il y a ce que le droit français appelle concubinage. La loi donne
certains avantages aux concubins, notamment sur le plan de l'assurance maladie,
maternité, logement, mais de droits civils, point..
En droit civil il existe deux dispositions : la possibilité d'avoir
l'exercice, l'autorité parentale en commun sur l'enfant naturel si l'on
vivait ensemble au moment de la naissance. Il y a aussi la possibilité
pour les concubins qui ne peuvent pas procréer ensemble naturellement de
recourir à la procréation médicalement assistée.
Pourquoi la leur refuser alors qu'il s'agit d'aider médicalement (c'est
le texte de la loi) un couple à se reproduire, puisqu'il ne peut le
faire seul ?
Hors de ces deux dispositions du Code civil, il n'y en a pas d'autres pour les
concubins, dans le pur droit civil, dans le statut individuel du citoyen.
Il est incompréhensible et très regrettable que la Cour de
cassation ne soit pas revenue sur ce qu'elle a dit en 1989. Elle recommence en
1997 à dire que des concubins ne peuvent qu'être un homme et une
femme. C'est une stupidité juridique, car rien ne définit le
concubinage.. La Cour de cassation pourrait dire qu'au sens de la loi, pour le
logement, ne sont considérés comme concubins que les concubins
hétérosexuels. Toutefois, vous avez bien montré que ce que
le concubin homosexuel n'obtient pas, avec l'arrêt de la Cour de
cassation (parce que qu'il n'est pas considéré comme un
concubin), il peut l'avoir comme personne à charge puisque la loi vise
les personnes à charge.
Que vous les appeliez concubins ou pas, les unions en dehors du mariage sont
des situations de fait auxquelles les lois accordent ou refusent certaines
conséquences juridiques. Si vous acceptez cette idée, se pose
alors la question de savoir s'il faut faire quelque chose pour les couples
homosexuels. La Cour de cassation en décembre 1997, m'incite à
répondre oui, car ils en ont trop fait avec le CUC qui est très
mal fait, notamment aux yeux des juristes du droit de la famille. Il est
invraisemblable de permettre à ce pseudo mariage d'avoir les mêmes
droits que les personnes qui ont fait un vrai mariage.
Mais il faut légiférer, d'abord à cause de l'arrêt
de la Cour de cassation, ensuite parce que dès que l'on parle d'un
couple homosexuel, on se demande ce que cela éveille dans l'inconscient
des gens ou des juristes, puisqu'ils protestent, (sauf les homosexuels et leurs
défenseurs,). Certains disent que c'est affreux, qu'il n'y aura plus que
des homosexuels, que l'on ne parle que d'eux, que les gens mariés
n'existent plus.
Il faut faire une loi. Mais quelle loi? S'il ne faut sûrement pas aller
du côté du CUC, le PIC présente des avantages
considérables. Une autre nécessité de
légiférer : il y a une dizaine d'années environ, je
demandais à des amis belges et hollandais pourquoi ils faisaient des
conventions de concubinage entre hétérosexuels,
c'est-à-dire un homme et une femme non mariés ensemble. Leur
réponse était : on ne sait jamais ce que les juges et l'Etat
vont faire. Un beau jour un homosexuel va faire un testament et un tribunal va
le déclarer illicite et contraire à l'ordre moral.
J'ai bien peur que nous ne soyons dans cette situation et qu'il y ait une
nécessité de légiférer. Mais quelle loi ?
Sûrement pas du côté du CUC, qu'on le veuille ou non, c'est
un pseudo mariage, même si, pardonnez moi l'expression, par un
espèce de racolage politique, les personnes qui ont mis le CUC sur pied
disent que c'est aussi pour les hétérosexuels.
Le projet de M. Hauser et de son groupe est beaucoup plus sage.
M. LARCHÉ, président. -
Nous allons l'entendre.
Mme RUBELLIN-DEVICHI.
- Je sais, je ne vais pas exposer son projet. Mais
j'aimerais vous montrer jusqu'où il faudrait aller.
Son projet touche les conséquences pécuniaires du couple. Il a
voulu enlever toute connotation sexuelle mais il ne le peut pas. En effet, ce
sont deux personnes, deux seulement sinon, dit-il sagement, il y a les projets
de société ou d'indivision. Donc, deux personnes qui peuvent
participer à ce projet.
M. Hauser et son groupe ont souhaité ne pas faire de distinction
sexiste, ne pas dire que c'est pour les homosexuels. Pourtant, je crois que ce
pacte qu'il a appelé " d'intérêt commun "
mériterait d'être réservé aux homosexuels. Il n'est
pas normal de tout mélanger, d'ailleurs les hétérosexuels
n'iront pas faire un PIC, eux pourront se marier s'ils le souhaitent.
Je me demande s'il ne serait pas mieux de parler de deux personnes entre
lesquelles le mariage est impossible. Cela permettrait de ne pas nommer les
homosexuels et aussi, tout de même, de ne pas le proposer à des
concubins hétérosexuels. Dans notre droit il arrive très
souvent que l'on dise : les personnes entre lesquelles le mariage est
impossible, par exemple pour légitimer un enfant par autorité de
justice.
J'aimerais mieux aussi plutôt que de viser " l'intérêt
commun ", car ce terme rappelle un contrat (nous savons ce qu'est un
mandat d'intérêt commun), carrément parler de pacte de
vie commune.
La troisième modification que l'on pourrait suggérer par la suite
- pardon pour les avocats parisiens qui hier m'ont fortement tancée- est
que le contrat, quel qu'il soit, le " pacte de vie commune " ou le
" pacte d'intérêt commun " soit passé devant
notaire. Ce dernier serait le garant et nous pouvons en être sûrs,
étant donné sa responsabilité, de la
légalité des contrats. Cela ne plaît pas aux avocats.
J'aurais dû vous parler du droit des enfants.
S'agissant de l'application de la Convention internationale relative aux droits
de l'enfant, elle vient d'être encore une fois rejetée par la Cour
de cassation, dans une affaire où la Chambre criminelle dit que la
Convention ne s'applique pas aux individus, qu'elle ne lie que les Etats entre
eux.
La seule solution, compte tenu de la séparation des pouvoirs, est que
l'on adopte un texte de loi qui donne plus ouvertement à l'enfant le
droit d'agir. Pour ce dernier, nous avons bien deux textes très
restrictifs qui permettent à l'enfant d'être entendu, si le juge
le veut bien, dans le divorce de ses parents. Ce droit d'agir devrait lui
être concédé en grand, avec une autorisation d'un juge.
Mes dernières minutes sont consacrées à la réforme
des successions, pas pour le conjoint mais pour l'enfant " ci-devant
adultérin " dans le prolongement de la réforme
proposée par le Doyen Carbonnier.
En 1991, le projet prévoyait l'amélioration du sort du conjoint
survivant et la suppression totale de la " capitis diminutio " qui
frappe l'enfant adultérin. La Cour de cassation s'y montre hostile, elle
a encore rejeté l'application de la Convention sur les droits de
l'enfant en 1996 et l'application de la Convention européenne sur les
droits de l'homme, à propos d'une affaire où un enfant
adultérin disait que le droit français n'était pas
conforme à ce que nous avions signé. L'affaire est devant la Cour
européenne des droits de l'homme. Il faut très vite intervenir
sans attendre une réforme du droit des successions pour gommer cette
" capitis diminutio ".
M. LARCHÉ, président. -
Je vous remercie. Si je comprends
bien l'essentiel de votre propos, quand les juges nous gênent, il faut
changer la loi.
Mme RUBELLIN-DEVICHI
. - On ne peut pas faire autrement.
M. LARCHÉ, président. -
A la condition que les juges nous
gênent, ce qui est un tout autre problème.
Nous avons tenté de défiscaliser la prestation compensatoire,
mais le Gouvernement nous a opposé l'article 40. Comme il s'agissait
d'une diminution des ressources de l'Etat, nous n'avions pas le droit de le
faire et la discussion s'est trouvée interrompue.
Dans tout ce dont vous nous avez parlé, il y a des sujets
différents et très positifs. Nous sommes tout à fait
d'accord sur le problème de l'urgence d'une réforme du droit des
successions. Je l'ai souvent demandée à la Chancellerie. Je me
suis heurté à des promesses dilatoires. Il faut absolument le
faire pour deux raisons : le régime de la vie a changé, la
modification de la longévité , phénomène
relativement heureux, entraîne normalement une réforme du droit
des successions.
Pour ma part, je considère que le conjoint survivant, très
souvent la femme, n'est pas protégée suffisamment par le droit
français. Il y a, dans le régime qui est en application, un
détournement de la faculté ouverte de changer les régimes
matrimoniaux et nous voyons fleurir des arrêts de plus en plus nombreux
reconnaissant la communauté universelle, qui est un mécanisme
susceptible de mettre fin à tout droit de succession. C'est aussi un
autre problème.
Nous avons entendu l'essentiel. Je retiens la manière très
humaniste dont vous avez abordé ce problème. M. Benabent,
nous a soumis des propositions très concrètes. Cette
volonté unilatérale sur la répudiation, impliquerait si
nous l'admettions, un mécanisme de protection quant aux
conséquences, beaucoup plus affirmé peut-être, que ce qui
existe actuellement. Je vous remercie de nous l'avoir indiqué, je ne le
savais pas.
Y a-t-il des questions ?
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - Il y en aurait beaucoup. Nous avons appris
beaucoup de choses.
En matière de divorce sur requête conjointe, ne pourrait-on pas
envisager, quand il n'y a pas d'enfant, pas de biens, que les honoraires des
avocats soient tarifés ? Il faut des avocats, à mon avis
deux dans tous les cas, notamment pour vérifier. C'est également
vrai d'ailleurs pour les notaires, il n'y a pas de raison qu'il y ait deux
avocats et un seul notaire. Dans ce cas, la solution serait de tarifer les
honoraires.
M. LARCHÉ, président. -
J'ai lu un article indiquant qu'il
y avait un accroissement du nombre de divorces par demande acceptée.
L'auteur de cet article indiquait que la croissance du nombre de ce type de
divorce était une sorte de détournement des procédures,
car on considérait que le divorce par demande conjointe impliquait trop
de contraintes, à tel point, paraît-il, que dans certaines
juridictions le nombre de divorces par demande acceptée l'emporte
très largement sur le nombre de divorces par requête conjointe.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - D'abord parce que cela va beaucoup plus vite.
J'ai une question pour M. Benabent, il me semble qu'il a oublié que dans
le divorce pour faute il y a la possibilité de dommages et
intérêts. Vous êtes sûrement contre, mais cela existe.
Donc si on le supprime il n'y a plus possibilité de dommages et
intérêts.
M. BENABENT.
- Je crois avoir dit que je maintenais les dommages et
intérêts. Je suis pour ne pas en faire la condition du divorce,
mais un accessoire dans le cas où ils sont nécessaires.
M. LARCHÉ, président. -
S'il n'y a plus faute, pourquoi y
aurait-il des dommages et intérêts ?
M. BENABENT
. - Si une faute est établie en plus, non plus comme
condition du divorce, mais entre tout concitoyen, y compris entre gens
mariés, si on manque à des obligations on doit répondre au
préjudice qui en résulte. Il n'y a pas à faire passer le
mariage en dessous du droit commun.
Pour le divorce sur demande acceptée, c'est effectivement pour des
soucis de rapidité que l'on arrive de l'un à l'autre. Il faudrait
que le caractère sérieux de la procédure soit
respecté, imposé dans toutes les formes, y compris sur demande
acceptée. Il ne faudrait pas faire l'économie, sur le moment,
comme c'est le cas actuellement, du règlement des conséquences du
divorce car elles se payent très cher après. Quelle que soit la
forme du divorce, il faut que l'ensemble du règlement matrimonial soit
vidé au cours du même procès.
M. DREYFUS-SCHMIDT
. - M. MALAURIE, ceux qui sont sous une
communauté réduite aux acquêts, parlent-ils de
" cra " ou disent-ils qu'ils sont " craqués " ?
M. LARCHÉ, président. -
On a pu aussi parler du contrat de
l'union libre ...
Nous vous remercions très vivement de vos interventions.
M. LARCHÉ, président. -
Nous avons le grand plaisir
d'accueillir Madame Sylvaine Courcelle, Madame Marie-Christine George et
Madame Ganancia.