CONCLUSION
Alors
que l'année 1998 avait été annoncée comme une
échéance politique importante pour l'Indonésie, avec la
fin du 6e mandat présidentiel du général Soeharto, la
crise économique brutale déclenchée à
l'été 1997 est venue fortement ébranler un système
politique qui semblait immuable.
Salué par l'ensemble de la communauté internationale, le
développement économique continu du pays durant les trente
dernières années apparaissait à la fois comme une
conséquence et un facteur de la solidité d'un régime aux
tendances autoritaires, dont la stabilité était l'objectif
principal.
La crise économique a enclenché une logique rigoureusement
inverse. La régression brutale de l'économie a été
mise au débit d'un système qui, en raison de la collusion entre
politique et économie et d'un manque de transparence de plus en plus
ouvertement critiqué, est apparu comme un obstacle au redressement du
pays.
A l'issue des événements qui ont conduit à la
démission du général Soeharto,
deux constatations
peuvent être effectuées.
D'une part,
l'avenir politique demeure incertain.
L'Indonésie,
dans sa situation actuelle, ne peut se permettre de sombrer dans le
désordre politique mais pour autant, l'aspiration au changement qui
s'est vivement manifestée dans les dernières semaines ne pourra
se satisfaire d'évolutions marginales. Disposant d'une marge de
manoeuvre réduite, le nouveau Chef de l'Etat devra gérer une
transition délicate
entre une pratique autoritaire du pouvoir et
un régime permettant désormais l'expression de
sensibilités jusqu'alors bridées. Des interrogations subsistent
sur
le rythme et l'ampleur de cette
transition
. Si elle demeure
trop limitée, et que l'aspiration aux réformes n'est pas
satisfaite, le risque est grand de voir la rue s'exprimer à nouveau. Si
elle provoque l'effacement brutal des structures héritées du
régime précédent, alors que les forces d'opposition ne
paraissent pas totalement prêtes à assurer la relève du
pouvoir, elle peut entraîner un vide politique propice à toutes
les dérives.
Durant cette période incertaine, l'attention devra se porter sur deux
acteurs particulièrement importants :
- l'
islam
, qui bénéficie d'un regain du sentiment
religieux, se constitue rapidement en force politique et qui bien que
traversé par des courants divers, ne remet pas pour l'instant en cause
l'idéologie de Pancasila, fondement de la neutralité religieuse
de la République. La crise économique et les désordres
politiques font toutefois planer un risque réel d'émergence de
tendances intégristes.
- l'
armée
, qui conserve un rôle fondamental et qui a
montré qu'elle ne resterait pas indifférente à
l'évolution politique du pays.
La deuxième constatation porte sur
l'affaiblissement
économique durable du pays.
Comme ses voisins asiatiques,
l'Indonésie est gravement touchée par une crise qui met en
lumière les dérives financières de ces dernières
années. Elle présente, avec un caractère accentué,
tous les défauts d'économies qui ont artificiellement
prospéré sur la base d'un financement aveugle des entreprises, en
particulier dans l'immobilier, et de pratiques peu transparentes, finalement
nocives pour la compétitivité sur le marché mondial. Elle
est cependant plus sévèrement frappée que ses voisins dans
les fondements même de son système économique. Ses
performances économiques des dernières années s'appuyaient
sur des bases fragiles et la brutale récession intervenue cette
année peut faire replonger une large partie de la population dans la
pauvreté. Alors que sur tous les fronts, les perspectives de sortie de
crise paraissent lointaines et incertaines, et que la confiance internationale
tarde à revenir, l'Indonésie semble avoir perdu pour plusieurs
années son statut de futur "dragon" et pourrait risquer une dramatique
"marche arrière" vers le sous-développement.
Ces deux constats relatifs à la situation politique et économique
du pays débouchent sur une conséquence supplémentaire :
l'affaiblissement de l'Indonésie sur la scène régionale
où elle s'était affirmée comme un acteur de premier
plan. S'il devait se confirmer durablement, il constituerait un facteur
négatif pour la stabilité de la région.
Ce contexte défavorable ne doit pas pour autant conduire la France
à renoncer aux efforts qu'elle avait entrepris au cours de ces
dernières années pour tenter de devenir un partenaire plus
important de l'Indonésie.
Si les perspectives économiques ne sont plus aujourd'hui les mêmes
pour ses entreprises, l'Indonésie demeure par sa population, ses
ressources et sa position stratégique le plus important pays de l'Asie
du sud-est. Il ne peut rester à l'écart des préoccupations
de la politique française en Asie.