II. QUELLE LOI DE RATIFICATION ?

Lorsque la question de la révision constitutionnelle aura été tranchée, subsistera celle du contenu de la loi de ratification.

La manière dont elle se pose a été excellemment évoquée par M. Giscard d'Estaing lors des débats de l'Assemblée nationale du 2 décembre dernier sur une déclaration de politique européenne du Gouvernement :

LA PROPOSITION DE M. GISCARD D'ESTAING

(...) Chacun sait que l'Europe élargie ne pourra pas fonctionner de manière satisfaisante avec ses institutions actuelles .On attendait du traité d'Amsterdam qu'il réforme ces institutions. Il était même convenu que les négociations d'élargissement ne pourraient débuter que six mois après un accord formel sur ce point. Il s'agissait en particulier de la pondération des votes des Etats membres au Conseil et de la composition de la Commission. Le traité, signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam, est strictement muet sur ces deux points. La condition convenue n'est pas remplie. Je ne rappellerai pas les déclarations catégoriques faites par les plus hautes autorités de l'Etat à cet égard (...). Je m'appuierai sur un seul texte, le vôtre, Monsieur le Ministre. Je vous cite :

" Déclaration de la Belgique, de la France et de l'Italie au protocole sur les institutions dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne :

" La Belgique, la France et l'Italie constatent que, sur la base des résultats de la Conférence intergouvernementale, le traité d'Amsterdam ne répond pas à la nécessité, réaffirmée au Conseil européen de Madrid, de progrès substantiels dans la voie du renforcement des institutions.

" Ces pays considèrent qu'un tel renforcement est une condition indispensable de la conclusion des premières négociations d'adhésion. Ils sont déterminés à donner
toutes les suites appropriées au protocole sur la composition de la Commission et la pondération des voix... ".

Or, vous allez nous présenter pour ratification ce traité d'Amsterdam dont vous déclarez vous-même qu' " il ne répond pas à la nécessité de progrès substantiels dans la voie du renforcement des institutions " (...).Ce que vous avez choisi de dire, Monsieur le Ministre, acceptez de l'écrire (...), non pas dans le texte du traité, mais sous la forme d'un article 2 de la loi de ratification.

Il existe un précédent dans ce domaine, et qui est bien connu : l'article 2, introduit dans la loi de 1977 portant ratification de l'élection du Parlement européen au suffrage universel, après un long débat qui a d'ailleurs mis en cause le Conseil constitutionnel lui-même.

L'article 2 que j'évoque reprendrait le texte de votre déclaration en indiquant que " le Parlement ne sera appelé à ratifier les premières négociations d'adhésion qu'après avoir été saisi de l'accord comportant des progrès substantiels dans la voie du renforcement des institutions ".

On peut relever dans cette intervention quatre points principaux :

-- le traité d'Amsterdam n'a pas rempli un des principaux objectifs qui lui étaient assignés, celui de renforcer les institutions de l'Union afin que celle-ci puisse continuer à fonctionner après son élargissement ;

-- la France a signé avec la Belgique et l'Italie une déclaration indiquant que, en tout état de cause, le renforcement des institutions restait un préalable à la conclusion des négociations d'élargissement ;

-- la ratification du traité par la France doit, dès lors, s'accompagner de la réaffirmation de ce préalable institutionnel sous une forme lui donnant le maximum de portée ;

-- la meilleure formule pour cela est que la loi de ratification elle-même contienne un article sur le préalable institutionnel ; insérer dans une loi de ratification un article définissant des orientations politiques n'est pas sans précédent sous la Vème République, puisque tel a été le cas de la loi de 1977 ratifiant l'accord sur l'élection du Parlement européen au suffrage direct (3( * )).

Ces quatre points s'enchaînent d'une manière difficilement contestable. Ratifier le traité d'Amsterdam sans rappeler, sous une forme ou sous une autre, que ses lacunes en matière institutionnelle doivent être comblées avant que l'élargissement à l'Est ne soit effectif, ôterait à la déclaration commune de la Belgique, de l'Italie et de la France une part notable de sa portée. Cette déclaration est un texte dépourvu de valeur normative : elle est l'expression d'une volonté politique. Si le Parlement ne la reprenait pas explicitement à son compte, conserverait-elle quelque crédibilité ? Inversement, l'inscription de cette orientation dans la loi de ratification lui donnerait tout le poids politique qu'apporte la légitimation parlementaire.

Mais, à supposer que cette formule soit retenue, deux principales questions se posent.

La première est d'ordre juridique. Les règlements des deux assemblées précisent, fort logiquement, qu'il n'est pas voté sur les articles mêmes d'un traité : ayant été négocié avec une autre partie, celui-ci ne peut être considéré qu'en bloc. Les lois de ratification comportent donc un article unique, qui se borne à autoriser la ratification d'un traité ou d'une convention figurant en annexe. Quel serait, dès lors, le statut d'un éventuel article 2 ? Pourrait-il être introduit par le Parlement ou devrait-il obligatoirement résulter d'une initiative gouvernementale ? Le droit d'amendement pourrait-il s'exercer à son égard ?

La seconde est d'ordre politique. On peut se demander, en effet, si la réaffirmation solennelle d'un préalable institutionnel à tout nouvel élargissement ne doit pas, pour être pleinement significatif, s'accompagner d'indications suffisamment précises sur la nature du renforcement des institutions qui est ainsi réclamé. A défaut, on serait une nouvelle fois en présence de la formule si souvent répétée : " Pas d'élargissement sans approfondissement ", à laquelle chacun se rallie avec sa conception propre de l'approfondissement, de telle sorte que, tout en faisant l'unanimité ou peu s'en faut, elle ne se traduit pas par des progrès effectifs, comme l'histoire récente de l'Union l'a montré. Il ne suffit donc pas de demander un renforcement des institutions : il faut en indiquer les grandes lignes.

Votre rapporteur examinera tout à tour ces deux questions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page