- UNE TAXE PROFESSIONNELLE PÉNALISANTE
La taxe professionnelle constitue désormais une charge
fiscale prépondérante pesant sur les entreprises. Son montant
brut est voisin de celui de l'impôt sur les sociétés. Sa
base est géographiquement identifiée et son produit est
réservé aux collectivités locales. Le champ d'application
de la taxe professionnelle est très large puisque la taxe est due par
toutes les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel
une activité professionnelle non salariée en France.
La taxe professionnelle est assise sur les deux facteurs de production, capital
et travail, qui font l'objet d'une pondération relative. Les salaires
versés sont retenus pour 18% de leur montant. Pour ce qui est du
capital, on distingue les locaux et les équipements. S'agissant des
magasins et bureaux, la valeur locative reflète les loyers du
marché. Pour les locaux de type industriel, la valeur locative est
réputée égale à 8% du prix de revient. Enfin pour
les équipements, leur valeur locative est égale à 16% du
prix de revient. Ce pourcentage est censé correspondre à
l'amortissement du bien et à l'intérêt de l'argent investi,
la somme des deux équivalant à un loyer. Il est destiné
à imposer les entreprises de façon relativement
équivalente, quelles que soient les modalités de financement et
d'acquisition de l'équipement (location, crédit-bail,
acquisition, utilisation à titre gratuit).
Deux exceptions essentielles à ce principe sont les exonérations
pour certaines professions et un plafonnement en fonction de la valeur
ajoutée devenu au fil du temps plus complexe. Le résultat des
corrections apportées aux bases apparaît ainsi conséquent.
En 1995 les bases brutes s'élevaient à 800 milliards de
francs. Après prise en compte des réductions de bases
générales ou spécifiques à certains secteurs le
montant des bases imposables n'atteint plus que 628 milliards de francs.
On dénombre au total près de 50 000 bénéficiaires
de la taxe professionnelle. La décentralisation a donné davantage
d'autonomie aux collectivités locales. Pour faire face à leurs
charges supplémentaires, les collectivités ont ainsi
augmenté la pression fiscale. Il convient de noter, et nous y
reviendrons, que les collectivités locales pour compenser les pertes de
recettes dues au plafonnement ont demandé et obtenu de l'Etat des
compensations. Ainsi en 1995 le coût pour l'Etat des compensations et des
dégrèvements au titre de la taxe professionnelle a atteint
53 milliards de francs de francs, ce qui représente un tiers du
produit perçu par les collectivités locales (contre moins d'un
quart en 1988). La loi de finances pour 1996 a modifié la méthode
de calcul du dégrèvement au titre du plafonnement par rapport
à la valeur ajoutée, c'est-à-dire la différence
entre la cotisation calculée et 3,5%, 3,8% ou 4% de la valeur
ajoutée. Désormais, si le dégrèvement est toujours
calculé à partir de la base servant effectivement au calcul de la
cotisation, ce n'est plus le taux en vigueur l'année en cause qui est
appliqué, mais le taux en vigueur en 1995 dès lors que celui-ci
est inférieur à celui-là. Cette mesure a pour effet de
faire désormais supporter aux entreprises, et non plus à l'Etat,
la totalité des hausses de taux décidées par les
collectivités locales à partir de 1996. Or compte tenu de
l'augmentation des charges des collectivités locales, le taux de la taxe
professionnelle a cru à un rythme soutenu, égal à 2,7% en
moyenne annuelle sur le période 1988-1995. Il est donc à craindre
une augmentation du poids de la taxe sur les entreprises au cours des
années prochaines. De plus l'augmentation des bases taxables a
contribué à accroître la charge de cet impôt, dont le
poids a augmenté de 56% entre 1988 et 1995, comme le montre le tableau
suivant.
Evolution de la taxe professionnelle depuis 1988
(en milliards de francs)
|
1988 |
1991 |
1995 |
Variation 1998-1995 |
Produit perçu par
les collectivités
|
97,6
|
129,8
|
166,9
|
+ 71 %
|
Source : direction générale des
impôts.
La taxe professionnelle est régulièrement citée comme un
obstacle à l'investissement par les responsables d'entreprises. Les
critiques adressées à cet impôt sont, outre
l'évolution importante de son niveau, la très grande
variabilité géographique de ses taux (qui évoluent dans
une fourchette de 1 à 6), et leur grande instabilité dans le
temps. Au total, ces évolutions inquiètent gravement les
investisseurs. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls puisque le dernier rapport
du Conseil des Impôts souligne lui-même les faiblesses de cet
impôt : "Si la nature d'un bon impôt est d'être large dans
son assiette, modéré dans son taux, proportionné aux
capacités contributives des contribuables, compréhensible par ces
derniers et aisément recouvrable par l'administration, force est de
reconnaître que la taxe professionnelle ne répond aujourd'hui
à aucune de ces conditions."
En vue de corriger les faiblesses du système actuel diverses solutions
possibles ont été examinées par le Conseil des
Impôts. Les hypothèses étudiées sont la suppression
de la taxe professionnelle qui serait alors reportée sur d'autres
prélèvements (l'impact probable serait une hausse de la
fiscalité sur le travail), ou la suppression de la part salariale
compensée par une hausse de la partie capital de la taxe professionnelle
(l'impact serait alors une hausse de la fiscalité sur le capital
productif), ou encore la substitution d'une assiette entièrement
nouvelle à l'assiette actuelle (les gains seraient répartis sur
les entreprises des secteurs de l'industrie et de l'énergie qui sont
pénalisés par le système actuel, tandis que les pertes
seraient concentrées à l'intérieur des secteurs de la
banque, de l'assurance et de l'immobilier qui sont avantagés
actuellement). D'autre part les petites et moyennes entreprise verraient leur
taxe augmenter. Enfin une telle réforme aboutirait à alourdir le
coût du travail.
Une proposition formulée est de remplacer les immobilisations brutes par
les immobilisations nettes pour le calcul de la taxe. L'incorporation
progressive des amortissements pour les nouveaux investissements peut
paraître de nature à améliorer considérablement le
régime de la taxe professionnelle. Une telle mesure, limitée aux
flux et non au stock de capital, aurait vocation à monter en charge
progressivement dans la durée jusqu'à ce que l'ensemble des biens
existants soient mis au rebut, ce qui éviterait aux collectivités
locales une chute trop rapide de leurs ressources. Les inconvénients
seraient une lourdeur de gestion (deux fichiers d'immobilisations), et une
augmentation des taux pour compenser le manque à gagner. La voie plus
simple serait de diminuer le coefficient de 16% appliqué aux
équipements et biens mobiliers. Dans l'hypothèse où ce
coefficient serait ramené à 14%, la cotisation nette de taxe
professionnelle à la charge des entreprises baisserait de 6% et le
coût pour l'Etat au titre du plafonnement valeur ajoutée
diminuerait de 16%. Là encore l'inconvénient serait que l'Etat
devrait probablement en compenser la charge pour les collectivités
locales.
L'ensemble de ces aménagements ou modifications radicales ne s'attaque
qu'aux symptômes du mal car ils agissent sur la répartition et non
sur le montant. Les expériences d'intercommunalité semblent
fructueuses. Elles permettent dans certains cas un allégement de la
charge fiscale. Sur le plan fiscal l'intercommunalité se décline
selon deux régimes : la fiscalité propre additionnelle ou la taxe
professionnelle unique. Les syndicats d'agglomération nouvelle et les
communautés de villes peuvent ainsi percevoir la taxe professionnelle
aux lieu et place des communes. Le Conseil des Impôts a comparé le
résultat des deux formules. Ses conclusions sont les suivantes : le
bilan des groupements à taxe professionnelle unique est positif alors
que le bilan des groupements à fiscalité additionnelle est en
revanche beaucoup moins favorable.
De ce qui précède et des entretiens auprès des
différents chefs d'entreprises, il semble qu'il soit possible de
réduire le poids de la taxe professionnelle si une véritable
réforme de gestion du territoire français est envisagée.
Elle implique de réduire le nombre d'échelons administratifs, de
regrouper les communes pour diminuer l'émiettement et de donner
peut-être aux régions plus de prérogatives. Dans ce paysage
le taux de la taxe professionnelle serait défini à un niveau plus
élevé que celui de la commune. Le système plus simple et
plus homogène, moins coûteux (moins d'échelons, de
coûts de gestion...) deviendrait plus efficace. D'autres pays
(Royaume-Uni et Allemagne) se dirigent aujourd'hui dans cette voie.