RAPPORT D'INFORMATION N° 118 - INCIDENCE DES CHARGES FISCALES ET SOCIALES SUR LA LOCALISATION D'ACTIVITE


M. Alain LAMBERT, Sénateur


COMMISSION DES FINANCES, DU CONTROLE BUDGETAIRE ET DES COMPTES ECONOMIQUES DE LA NATION - RAPPORT D'INFORMATION N° 118 - 1997/1998

Table des matières






RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur l'incidence des charges fiscales et sociales sur la localisation d'activité.

Par M. Alain LAMBERT

sénateur,

rapporteur général

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, M. René Régnault, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Henri Torre, René Trégouët.

AVANT-PROPOS

La commission des finances du Sénat s'est attachée, de longue date, à examiner la compétitivité de notre système fiscal. Dès 1990, sous la signature de MM. Christian Poncelet, président, et Roger Chinaud, rapporteur général, elle a publié un rapport d'information sur la fiscalité en Europe. En 1993, le rapport d'information établi par Jean Arthuis, rapporteur général, sur "les délocalisations et l'emploi" préconisait l'adaptation de notre système fiscal pour garantir à terme notre compétitivité économique. En 1996, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, votre rapporteur général, Alain Lambert, a élargi la réflexion à l'échelle internationale.

L'approfondissement de la construction européenne, au travers de la monnaie unique, et la mondialisation croissante de l'économie soulignent l'actualité de cette réflexion. Auditionné par votre commission des finances, le jeudi 2 octobre 1997, le commissaire européen Mario Monti a en effet indiqué : "les différences entre les systèmes fiscaux nationaux deviendront de plus en plus visibles, particulièrement en ce qui concerne l'imposition des facteurs internationalement mobiles et l'imposition du capital. Il sera d'autant plus nécessaire de contrôler la concurrence fiscale qui est l'une des causes majeures de la déformation structurelle qui a affecté la plupart des systèmes de taxation" .

Cette concurrence avait été, en son temps, mise en évidence par le rapport Raynaud.

Publié en juin 1993, ce rapport mentionnait que :

"La baisse de la pression fiscale d'Etat entre 1980 et 1992 est de l'ordre de trois points de PIB. Elle a été favorisée par les nombreuses mesures d'allégements fiscaux adoptées depuis 1985, dont les conséquences sur le niveau des recettes du budget 1993 peuvent être estimées à 221 milliards de francs. Ces allégements fiscaux ont eu pour objectif de mettre en oeuvre les principes de l'harmonisation européenne voire d'en prévenir certains effets, notamment en termes de délocalisation de l'épargne ou bien encore de renforcer la compétitivité des entreprises".

Dans le souci d'approfondir ses réflexions sur l'avenir du système fiscal français, votre commission a confié à l'institut Rexecode le soin de mesurer "l'incidence des charges fiscales et sociales sur la localisation d'activité". Fondée sur l'observation du comportement d'un certain nombre de grandes entreprises, cette étude livre des conclusions particulièrement intéressantes. Elle met en lumière le rôle incitatif ou dissuasif de certaines dispositions fiscales précises sur les choix de localisation industrielle. Elle estime que la complexité et l'instabilité fiscale sont des éléments fortement dissuasifs de l'investissement.

Ces conclusions confortent votre commission des finances dans sa résolution et son plaidoyer pour une loi fiscale claire et purifiée de ses effets pervers potentiels. Elles justifient les appréciations critiques portées à l'encontre de plusieurs dispositions du projet de loi de finances pour 1998, susceptibles de contribuer à la délocalisation d'entreprises françaises ou à l'abandon de projets d'investisseurs étrangers. Elles illustrent enfin les risques liés à l'aggravation des prélèvements sur les entreprises résultant tant de la loi du 10 novembre 1997 portant diverses mesures d'urgence d'ordre fiscal et financier que des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

CONCLUSIONS DE L'ÉTUDE CONDUITE PAR L'INSTITUT

REXECODE : "INCIDENCE DES CHARGES FISCALES ET

SOCIALES SUR LA LOCALISATION D'ACTIVITÉ"

INTRODUCTION

Dans quelques trimestres, la fixation irrévocable des taux de change entre plusieurs monnaies européennes accentuera encore l'intensité déjà très vive de la pression concurrentielle sur les entreprises françaises. Si la convergence monétaire paraît acquise, des écarts importants subsistent dans la formation des coûts en raison notamment des différences de niveaux et de systèmes des prélèvements obligatoires. On peut dès lors s'interroger quant aux conséquences de ces différences sur les performances futures de l'économie française. Le niveau des prélèvements obligatoires et la structure de ces prélèvements risquent-ils de constituer pour l'économie française un handicap pour les années à venir ?

L'objectif de cette étude préliminaire et exploratoire est de mettre en évidence les comportements des entreprises induits par les différences de prélèvements obligatoires entre certains pays membres de l'Union européenne. Deux types de questions ont été examinés à partir d'observations directes effectuées au sein d'entreprises implantées dans plusieurs régions européennes. D'une part, sur la base d'exemples concrets et chiffrés, un calcul du coût brut pour l'entreprise correspondant à un salaire net de 100 (après impôt sur le revenu et cotisations sociales) a été effectué dans trois grands pays européens : la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. D'autre part, une approche qualitative sur la base d'entretiens avec des responsables d'entreprises a cherché à identifier le rôle de la fiscalité dans la localisation d'activité. Afin d'établir un lien entre ces deux approches complémentaires, nous avons enfin esquissé le cadre théorique dans lequel la problématique d'ensemble pourrait être replacée.

Il est notoire que la part des prélèvements obligatoires dans le PIB est aujourd'hui bien plus élevée en Europe qu'aux Etats-Unis et au Japon. Le taux des prélèvements obligatoires, qui était de 31,6% en moyenne dans l'Union européenne en 1970 est, en 1995 à 41,8% alors qu'aux Etats-Unis et au Japon il reste inférieur à 30%.

Le taux français est parmi les plus élevés d'Europe (45,7% en 1996, 44,5% en 1995). La France est en cinquième position après les pays d'Europe du nord (Finlande, Suède, Danemark, Belgique). Ce taux est nettement plus élevé qu'en Espagne, Irlande et Royaume-Uni. Il est supérieur de 3 points à la moyenne européenne.

De plus, le taux des prélèvements obligatoires a tendance à progresser en France. Aux Pays-Bas, ce taux était supérieur au taux français jusqu'en 1994, mais il est sur une pente décroissante depuis 1993. Au Royaume Uni, il a baissé de 1981 à 1993 et ne se redresse que légèrement. En Allemagne, le taux de prélèvements obligatoires est relativement stable depuis une vingtaine d'années.

Si l'on se concentre plus spécifiquement sur les prélèvements obligatoires assis sur la masse salariale, on observe en outre que la France occupe une position assez atypique en Europe, avec un poids très important des cotisations de sécurité sociale à la charge de l'employeur et un poids des recettes fiscales de l'impôt sur le revenu nettement plus faible qu'en Allemagne et au Royaume-Uni.

Pour tenter de comprendre l'incidence de ces différences de taux de prélèvements obligatoires, nous avons centré notre étude autour de deux questions précises, sachant que ce premier travail devrait déboucher sur une étude plus large de l'incidence de la fiscalité sur les comportements des entreprises et l'équilibre de l'économie.

La première question est la suivante: sur la base de cas types concrets, quel est le coût total pour l'employeur qui correspond à un salaire net de 100 pour le salarié (après impôt sur le revenu, cotisations salariales et patronales) en France, en Allemagne et au Royaume-Uni ? La deuxième question porte sur l'incidence de la fiscalité, prise dans son ensemble, sur les comportements des localisations d'activités.

La première partie de notre étude s'attachera à comparer de façon générale les systèmes fiscaux et sociaux dans les pays de l'étude (France, Allemagne, Royaume-Uni).

Dans une deuxième partie, nous avons mesuré la différence entre le coût total pour l'employeur (y compris les charges patronales) et le salaire net perçu in fine par le salarié (net de l'impôt sur le revenu), sur la base d'une enquête auprès de responsables de grandes entreprises françaises qui ont des implantations à l'étranger (étude de cas types).

Il ne faut sans doute pas rester sur ces résultats si on veut comprendre comment les différences de taux de prélèvement sur le travail salarié agissent sur les comportements des entreprises. En effet, le facteur fondamental des décisions économiques de l'entreprise en matière d'emploi est le coût du travail. Il faudrait donc approfondir le lien, qui n'est pas évident, entre coût du travail et niveaux des prélèvements obligatoires, sachant qu'en présence de rigidité salariale sur le marché du travail, toute hausse des prélèvements se traduit au moins partiellement par une augmentation du coût du travail. En outre, la taxation introduit des distorsions et provoque des déséquilibres macroéconomiques et du chômage. Ces réflexions font l'objet d'une troisième partie.

Dans une quatrième et dernière partie nous élargissons le champ de la fiscalité à l'ensemble des dispositions fiscales qui pèsent sur les entreprises et nous mesurons l'importance de ces considérations dans la décision de localisation d'activités. Pour ce faire nous avons interrogé plusieurs responsables d'entreprises multinationales françaises. Conscients de la complexité de la question, nous avons examiné par ailleurs la littérature théorique et empirique traitant du sujet afin de compléter notre analyse. Il nous est alors apparu qu'un lien relativement faible existait entre le poids de la fiscalité et le niveau des entrées d'investissements directs étrangers. La difficulté de mesurer empiriquement ce lien nous suggère que c'est pour un certain type de fonctions de l'entreprise (fonctions dites "nomades") et à certains instants de la vie de la firme que la fiscalité est un facteur crucial dans la décision d'investissement.

Aussi avons-nous essayé d'analyser, sans prétendre à l'exhaustivité, les mesures fiscales actuelles particulièrement défavorables à l'implantation d'activités en France. Parmi celles-ci la taxe professionnelle pénalisante, la fiscalité des transmissions excessive et la fiscalité des marques et brevets constituent des faiblesses à la compétitivité fiscale de la France. D'une manière plus générale le manque de clarté de la politique fiscale française caractérisée par une grande complexité et une instabilité quasi permanente pèse sans doute sur le dynamisme de l'investissement en France.

1. ÉLÉMENTS DE COMPARAISON DES SYSTÈMES DE PRÉLÈVEMENTS

Avant de présenter les résultats chiffrés de notre étude de cas fondée sur la décomposition des feuilles de paie, il est utile de donner un éclairage rapide des charges fiscales et sociales qui pèsent sur le travail salarié des trois pays étudiés : France, Allemagne, Royaume-Uni.

Nous avons cherché à prendre en compte l'ensemble des prélèvements portant sur les salaires, cotisations sociales patronales, cotisations salariales, impôt sur le revenu, et dans la mesure du possible les autres prélèvements éventuels qui sont assis sur la masse salariale. Nous donnons un aperçu de ces charges pour chacun des pays de l'étude à partir des systèmes fiscaux et sociaux de l'année 1997 (notamment pour les taux).

- EN FRANCE, LES COTISATIONS SOCIALES SONT LA PRINCIPALE SOURCE DE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE.

Les cotisations sociales se décomposent en différentes branches : maladie, vieillesse, prestations familiales, aides au logement, chômage. La part des cotisations patronales est largement supérieure à celle des cotisations des employés, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays de l'étude. Les cotisations de sécurité sociale payées par l'employeur approchent 40% du salaire brut. Une partie de ces cotisations est plafonnée, tandis qu'une autre partie s'applique sur la totalité du salaire. Si on distingue la part des cotisations qui sont plafonnées de celles qui ne le sont pas, on remarque que le taux de cotisations dont l'assiette est plafonnée (au premier plafond de sécurité sociale, c'est-à-dire à 13 720 F), est d'environ 19%. Au delà de ce premier plafond, le taux de cotisations à la charge de l'employeur est de 21% de la masse salariale.

De plus, des charges annexes portant sur le salaire viennent s'ajouter aux cotisations traditionnelles. Il s'agit de la taxe de participation à l'effort de construction, de la taxe d'apprentissage et de la taxe pour la formation continue et des remboursements des frais de transport. Ces charges annexes représentent environ 2,5% du salaire brut.

Au delà des cotisations sociales et des charges annexes sur les salaires, l'entreprise paie aussi des charges indirectes liées à la masse salariale. Il s'agit notamment de la taxe professionnelle. D'après les données que nous avons pu collecter auprès des entreprises, on peut estimer que la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires est en moyenne égale à 2,6% du salaire brut. Il faut enfin compter les versements aux comités d'entreprises, le versement pour le transport et les dépenses en contrat de prévoyance. Au total ces charges indirectes représentent en moyenne de l'ordre de 8% des salaires bruts.

On peut noter que les charges sociales et fiscales pèsent relativement plus sur le travail qualifié que sur le travail non qualifié, et ceci pour deux raisons. D'une part, le taux global des cotisations employeur qui ne sont pas plafonnées s'élève à 21%. Ce taux est relativement élevé comparé à ceux des autres pays de l'étude. D'autre part, l'exonération de charges sociales sur les bas salaires (salaires inférieurs à 133% du SMIC, réduit à 130% du SMIC en 1998) permet de réduire le taux global des cotisations employeurs sur le travail non qualifié en bas de l'échelle des salaires. De fait, les charges patronales ne représentent plus que 34% du salaire brut pour un salaire limité au SMIC (c'est-à-dire à 6 664 F par mois actuellement).

Les cotisations payées par l'employé s'élèvent à environ 18% du salaire brut dont près de 12% concernent les cotisations plafonnées en dessous du premier plafond. Le poids de la CSG et de la CRDS est relativement important puisque le prélèvement représente près de 4% du salaire brut. Le transfert à venir d'une grande partie de la cotisation maladie à la charge des salariés sur une augmentation de la CSG n'a pas été considéré dans l'étude.

Les cotisations sociales en France

Plafond de sécurité sociale : P = 13 720 F




 

Taux employeur

Taux employé

Plafond

Maladie

12.8

5.6

 

Allocations familiales

5.4

 
 

Aide au logement

0.4

0.4

 

Vieillesse

1.6

 
 

Accidents du travail

1

 
 

CSG+ CRDS

 

3.9

 

Total

21.2

6

 

Cotisations plafonnées

 
 
 

Vieillesse

8.2

6.6

de 0 à 1P

Logement

0.1

 

de 0 à 1P

Chômage

5.4

3.0

de 0 à 1P

Chômage

5.5

3.6

de 1 à 4 P

Retraite complémentaire

 
 
 

Cadre

5.3

2.5

de 0 à 1P

 

11.3

6.3

de 1 à 4 P

 

8.8

8.8

de 4 à 8 P

Non cadre

3.8

2.5

de 0 à 3 P

Total

19.0

12.1

de 0 à 1 P

Charges annexes

 
 
 

Construction

0,5

 
 

Apprentissage

0,5

 
 

Formation continue

1,5

 
 

Total

2,5

 
 

Total global

42,6

18,1

 

Réduction des charges sur les salaire (entre 1 et 1.33 SMIC) : de l'ordre de 18.2%.

Le montant de l'impôt sur le revenu est en France relativement faible en termes de recettes fiscales rapportées au PIB, comparé à celui des autres pays. Le seuil de non imposition pour un célibataire est de 41 100 F de revenu annuel. Les taux marginaux vont de 0% (pour un revenu net imposable après abattements et application du quotient familial inférieur à 25 610 F) à 54 % pour un revenu net imposable de plus de 288 101 F.

Le calcul de l'impôt s'établit de la manière suivante : 1) Du salaire brut, on déduit les cotisations sociales et la partie déductible du montant de CSG versé (qui correspond à 2,9%). 2) On soustrait ensuite de ce salaire un premier abattement de 10%, puis un second abattement de 20 %. On en déduit le revenu imposable total. 3) Vient ensuite le calcul du quotient familial, qui tient compte de la situation familiale du salarié. La prise en compte de la situation familiale dans le calcul de l'impôt est plus complexe en France qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. Par exemple, pour une famille avec deux enfants à charge, le quotient familial qui intervient dans le calcul est de 3 alors qu'il est de 1 pour un salarié célibataire. Il faut donc diviser le revenu imposable par le nombre de parts, appliquer le barème de l'impôt et multiplier le montant obtenu par le nombre de parts.

Cependant l'avantage fiscal tiré de la prise en compte de la part supplémentaire au titre des enfants à charge est limité à 16 200F (avant les mesures annoncées dans le projet de loi de finances 1998) par demi-part supplémentaire. Par exemple, dans le cas d'un salarié, marié avec deux enfants, il faut compter deux demi-parts pour les enfants à charge. L'avantage fiscal tiré de l'application d'un quotient familial supérieur à 2 est limité à 32 400F.

Barème de l'impôt sur le revenu en France

Revenus de 1996 imposés en 1997

Taux

Tranches en FF

0

de 1 à 25.610

10,5

de 25.611 à 50.380

24,0

de 50.381 à 88.670

33,0

de 88.671 à 143.580

43,0

de 143.581 à 233.620

48,0

de 233.621 à 288.100

54,0

au-delà de 288.100

Enfin, en Allemagne et au Royaume Uni, le versement d'allocations familiales se fait par déduction de l'impôt sur le revenu alors qu'en France, les allocations familiales font l'objet d'un versement effectif. Nous avons donc aussi, par souci de comparabilité, soustrait du montant de l'impôt sur le revenu les versements d'allocations familiales en France. Une famille avec deux enfants recevra une allocation familiale mensuelle de 675 F (prise en compte quel que soit le niveau de revenu dans le régime avant réforme).

- EN ALLEMAGNE, LES COTISATIONS SOCIALES SONT LARGEMENT PLAFONNÉES

En Allemagne, la fiscalité sociale est différente entre les anciens et les nouveaux Länder. Les taux de cotisations sont très proches mais les plafonds sont légèrement inférieurs dans les Länder de l'Ouest. Nous avons considéré ici le cas d'un salarié travaillant dans un Land de l'Ouest.

Les cotisations légales de sécurité sociale se décomposent en quatre grandes branches: maladie, vieillesse, dépendance, chômage. Les taux de cotisations sociales et les plafonds sont identiques pour l'employeur et pour l'employé, excepté pour la cotisation pour accident du travail qui n'est supportée que par l'employeur (entre 2 et 4% au niveau d'un ouvrier). Mais dans le cas où la rémunération mensuelle ne dépasse pas 610 DM, c'est l'employeur qui doit prendre en charge l'intégralité des cotisations sociales.

Le fait que toutes les cotisations de sécurité sociale soient plafonnées dans le système allemand entraîne une forte dégressivité des cotisations en fonction du salaire brut. Le taux global de cotisations plafonnées est de l'ordre de 21%, que ce soit pour l'employeur ou pour l'employé.

A ces cotisations obligatoires de sécurité sociale, il peut s'ajouter des cotisations patronales d'assurance vieillesse complémentaire (non obligatoires). Une enquête de l'Office fédéral de la statistique allemand permet d'apprécier l'importance relative des retraites complémentaires en Allemagne au 31 décembre 1990. Sur 683 000 entreprises allemandes du secteur privé considérées dans l'enquête, 32,4% mettaient en oeuvre un système de retraite complémentaire, ce qui correspondait à une couverture de 46,1% des salariés concernés par l'enquête. Nous avons pris en compte la cotisation de l'employeur pour un régime de retraite à hauteur de 5%, ce qui est un taux vraisemblablement dans la moyenne.

Les cotisations pour formation professionnelle sont proportionnelles aux dépenses de formation professionnelle (rapportées à l'ensemble de la masse salariale). Nous avons retenu un taux de 2,8% pour le cas d'un ouvrier. De plus une taxe pour la construction existe à la charge de l'employeur, dont le taux est spécifique à chaque branche (nous avons retenu un taux de 1%). Au total, les charges payées par l'employeur représentent 33,2% du salaire brut pour un salaire inférieur à tous les plafonds (6 000 DM par mois).

Allemagne

Länder de l'Ouest, cas d'un ouvrier

 

Employeur

Employé

 

Taux

Plafond en DM

Taux

Plafond en DM

Maladie

Vieillesse/invalidité

Dépendance (soins)

Chômage

Accidents du travail

Formation professionnelle

Retraite

Construction

Total

6,7

10,2

0,9

3,3

3,3

2,8

5,0

1,0

33,2

6.000

8.000

6.000

8.000

6,7

9,6

0,9

3,3

20,4

6.000

8.000

6.000

8.000

L'impôt sur le revenu en Allemagne présente la particularité d'avoir au sein de chacune des tranches de revenu imposable des taux qui augmentent linéairement. En France le montant de l'impôt est linéaire en fonction du revenu dans chacune des tranches. En Allemagne, le montant payé est une fonction quadratique du revenu. De ce fait le calcul de l'impôt à partir du barème est très difficile. Dans la réalité, le montant de l'impôt à payer est obtenu à la lecture d'une grille très fine qui permet de déduire directement le montant de l'impôt à payer en fonction de son revenu imposable (salaire net de cotisations) et de sa situation familiale.

Les couples mariés ont le choix entre l'imposition conjointe ou l'imposition séparée. Nous considérerons le cas où l'impôt se calcule sur les revenus du foyer fiscal. Pour en tenir compte, il suffit de calculer l'impôt sur une revenu imposable divisé par deux et de multiplier ce montant d'impôt par deux. Tout se passe comme pour le calcul de l'impôt en France avec un quotient familial égal à deux.

Barème de l'impôt sur le revenu en Allemagne

Revenus de 1996 imposés en 1997

Taux

Tranches en DM

0

de 25,9 à 33,33

de 33,33 à 53

53

de 1 à 12.095

de 12.096 à 55.727

de 55.728 à 120.041

au-delà de 120.042

En revanche la prise en compte des enfants à charge est complètement différente. Le couple avec enfants peut choisir entre les versements mensuels des allocations familiales (220 DM pour les deux premiers enfants, 300 DM pour le troisième) ou un abattement personnel déductible du revenu imposable à hauteur de 522 DM par mois par foyer fiscal. Dans 90% des cas l'allocation familiale sera la plus avantageuse et c'est celle qui est retenue dans l'étude.

L'ensemble de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales sont directement retenus à la source par l'employeur qui les verse aux organismes compétents.

- AU ROYAUME-UNI, LES PRÉLÈVEMENTS ASSIS SUR LES SALAIRES SONT PARTICULIÈREMENT BAS

Au Royaume Uni, les contributions sociales financent principalement les risques vieillesse, invalidité, chômage et les indemnités journalières maladie. Mais les prestations en nature de l'assurance maladie sont financées par l'impôt. Les cotisations sociales sont différentes selon que l'employeur est affilié au régime public de retraite ("non contracted out") ou aux régimes conventionnés ("contracted out"). Nous avons choisi le cas du "non contracted out", qui permet une comparaison plus robuste avec le cas français. D'après l'article concernant les régimes complémentaires de retraite au Royaume-Uni de M. Chris Daykin dans la revue "Europe sociale", article publié en 1996 par la Commission Européenne, on peut actuellement estimer que, sur 21 millions d'actifs occupés que compte le Royaume-Uni, neuf millions ne sont plus couverts par le régime public mais par des régimes de retraites professionnelles, cinq millions ont choisi de quitter le système public pour des plans personnels agréés et un demi-million a opté pour des régimes de retraite de groupe à cotisations déterminées. Le cas choisi dans le cadre de l'étude correspond à la situation d'environ un tiers de la population britannique.

Le taux global pour un revenu mensuel de l'ordre de 13 000 FF est de 10% pour l'employeur et de 8,2% pour l'employé. Ces taux de cotisations sont donc nettement plus faibles qu'en Allemagne et en France. Le système britannique conduit à rendre la fiscalité sur le travail moins pesante sur les bas salaires. En particulier, pour les salaires très faibles (inférieurs à 62 par semaine), ni l'employé, ni l'employeur ne paie de charges sociales.

Du côté de l'employeur, les taux de cotisations sociales s'appliquent à la totalité du salaire et ne sont pas plafonnés. Au contraire, du côté de l'employé, les cotisations sociales sont plafonnées au niveau de 465 par semaine.

L'impôt sur le revenu est prélevé dès le premier franc. La première tranche est taxée au taux de 20 %. Mais le taux marginal maximum est moindre qu'en France. Il n'est que de 40 %.

Royaume Uni

Régime "non contracted out"

Plafond

(rém. hebdomadaire)

Employeur

Taux*

Employé

Taux

de 0 à 62

de 62 à 109.99

de 110 à 154.99

de 155 à 209.99

de 210 à 465

plus de 465

0

3

5

7

10

10

0

10

10

10

10

0

* Les taux s'appliquent sur la totalité du salaire

Au Royaume-Uni, chaque contribuable est imposé de manière séparée. Le mariage n'est pris en compte qu'à travers une allocation spécifique ("married couple allowance" de 1720 ) qui s'ajoute à la "single person's allowance"' de 3525 dont bénéficie chaque contribuable. Le nombre d'enfants à charge n'intervient pas du tout dans le calcul de l'impôt. Mais des allocations familiales sont versées. Le montant des allocations familiales est de 11,05 par enfant et par semaine. Pour un couple avec deux enfants, les allocations familiales représentent 95,8 par mois.

Une autre spécificité de l'impôt sur le revenu au Royaume Uni est qu'il est calculé sur la base du salaire brut, les cotisations sociales ne sont pas déduites du revenu imposable.

Barème de l'impôt sur le revenu au Royaume Uni

Revenus de 1997.


Taux

Tranches en

20

23

40

de 1 à 4.100

de 4.101 à 26.100

au-delà de 26.101

Comme en Allemagne, l'ensemble des cotisations sociales et de l'impôt sur le revenu est prélevé à la source, grâce au système PAYE, instauré en 1943.

Cette présentation générale montre les différences de systèmes entres pays, ainsi d'ailleurs que la diversité de certains régimes à l'intérieur même de chaque pays. Aussi s'est-il avéré nécessaire dans l'étude présentée à la partie suivante de spécifier des hypothèses et de caractériser quelques cas types.

2. RÉSULTATS DES OBSERVATIONS D'ENTREPRISES

Sur la base d'une enquête auprès de huit grandes entreprises françaises, qui ont des implantations à l'étranger, nous avons cherché à mesurer le coin socio-fiscal, c'est-à-dire la différence entre le coût total payé par l'employeur et le salaire net in fine perçu par le salarié (c'est-à-dire après impôt et cotisations de sécurité sociale) pour trois pays européens: France, Allemagne, Royaume-Uni.

Nous nous sommes attachés à relever l'ensemble des prélèvements obligatoires qui apparaissaient sur les feuilles de paie que nous avons collectées et dans la mesure du possible nous avons cherché à prendre en compte les autres prélèvements portant sur le travail salarié qui ne figuraient pas nécessairement comme des prélèvements obligatoires. Cet exercice est particulièrement difficile. Les systèmes de prélèvements fiscaux sont très différents selon les pays (ainsi que l'a illustré la première partie) et il est nécessaire de faire des choix quant aux prélèvements que l'on considère et quant à la manière dont on va les intégrer.

La prise en compte dans leur globalité des prélèvements effectués sur les revenus salariaux nécessite au préalable l'homogénéité des prélèvements sur l'ensemble des territoires nationaux. Ce n'est pas toujours le cas. Certains prélèvements, comme les cotisations à des systèmes de retraite complémentaire, sont très variables et leur importance se décide au niveau de chaque entreprise (cas de l'Allemagne), voire au niveau de chaque individu (cas des systèmes individuels anglais). Dans la mesure où notre enquête est assez limitée, nous avons choisi un taux moyen qui reflète au mieux le poids de ces prélèvements.

Du fait que les systèmes de financement sont très différents, il n'y a pas vraiment de possibilité de comparer la structure des prélèvements. Par exemple, les dépenses d'assurance maladie sont financées par l'impôt au Royaume-Uni, alors qu'elles sont financées en grande partie par les cotisations salariales et patronales en France et en Allemagne. A l'inverse les prestations familiales sont financées en France par des cotisations de sécurité sociale alors qu'elles sont financées par l'impôt dans les deux autres pays. Que faut il penser de la CSG française ? Doit elle être assimilée à un impôt sur le revenu ou à une cotisation supplémentaire ? Nous avons choisi de l'assimiler à une cotisation sociale mais ce choix n'est pas sans conséquence sur les résultats comparatifs.

Nous nous sommes limités à un certain nombre de prélèvements qui ne sont en aucun cas exhaustifs. Par exemple, au Royaume-Uni et en Allemagne, les allocations familiales ne donnent pas lieu à des versements en espèce mais sont données sous forme de crédit d'impôt. Par souci de compatibilité nous avons donc soustrait du montant de l'impôt sur le revenu payé par un salarié français le montant des allocations familiales perçu. Ce ne sont là qu'une partie des prestations familiales. Il faudrait tenir compte de toutes les prestations, en nature comme en espèces, pour aboutir à des conclusions plus robustes.

La présentation des résultats qui va suivre doit donc être lue avec discernement. Il s'agit de mesurer le taux de prélèvement obligatoire qui pèse sur le travail à travers la différence entre le coût total pour l'employeur et ce que reçoit l'employé net d'impôt. Cette mesure est pertinente économiquement puisqu'elle donne l'importance de la distorsion introduite sur le marché du travail par les prélèvements fiscaux et sociaux.

Les résultats sont issus d'une enquête que nous avons conduite auprès de responsables de huit entreprises françaises, qui possèdent des implantations à l'étranger.

Nous leur avons demandé de nous fournir d'une part des feuilles de paie correspondant à des cas types de salarié, d'autre part des données concernant les autres charges qui peuvent porter sur les salaires et qui n'apparaissent pas nécessairement sur la feuille de paie.

Ce travail a été fait pour cinq cas types de salariés. Nous avons retenu :

- le cas d'un ouvrier avec un salaire proche du SMIC,

- le cas d'un employé avec une rémunération mensuelle, de 12 000 FF,

- le cas d'un cadre avec une rémunération de l'ordre de 25 000 FF,

- celui d'un cadre supérieur avec une rémunération proche de 40 000F,

- celui d'un cadre dirigeant dont la rémunération avoisine 100 000 FF par mois.

Les comparaisons sont donc faites sur des rémunérations de niveau comparables et, dans la mesure du possible, à des postes comparables.

En ce qui concerne la structure familiale, nous avons retenu deux cas d'étude : le cas d'un salarié célibataire et celui d'un salarié marié avec deux enfants à charge dont le conjoint ne travaille pas.

Les résultats issus de nos enquêtes auprès des entreprises conduisent aux observations suivantes :

1) Des trois pays étudiés, la France et l'Allemagne se distinguent nettement du Royaume-Uni par le niveau plus élevé du coût total pour l'employeur correspondant à un même niveau de salaire net, in fine pour l'employé.

2) La France se distingue nettement des deux autres pays par un taux de charges fiscales et sociales pour l'employeur beaucoup plus fort.

3) L'impôt sur le revenu des personnes physiques est singulièrement plus faible en France qu'en Allemagne et au Royaume-Uni.

4) Les charges payées par l'employeur sont nettement moins dégressives en fonction du salaire en France qu'en Allemagne et dans une moindre mesure qu'au Royaume-Uni.

5) En France, l'exonération des charges sur les bas salaires introduit une forte progressivité des taux de charges patronales sur la tranche des salaires allant du SMIC à une fois et demi le SMIC.

6) Le "coin socio-fiscal" (mesuré par la différence entre le coût total pour l'employeur et le salaire net reçu après impôt) correspondant aux salaires élevés est plus grand en France qu'en Allemagne et au Royaume-Uni.

- LE COIN SOCIO-FISCAL POUR UN SALARIÉ CÉLIBATAIRE

Pour un salarié gagnant un salaire brut équivalent au SMIC, les charges fiscales et sociales payées par l'employeur et le salarié représentent, en France, 76% du salaire net perçu par le salarié après impôt. Elles ne représentent que 27% du salaire net au Royaume-Uni. En Allemagne, l'écart entre le coût total et le salaire net reçu après impôt est de l'ordre de 115%.

Cette hiérarchie des trois pays n'est pas la même pour des niveaux de salaires supérieurs. Le Royaume-Uni reste dans une situation privilégiée avec un coin socio-fiscal plus faible qu'en Allemagne et en France.

Coût total pour l'employeur pour un salaire net d'impôt de 100F
Cas d'un salarié célibataire

Niveau de salaire mensuel
en FF

France

Allemagne

Royaume-Uni

6 664 (ouvrier)

176

215

127

12 000 (employé)

212

225

141

25 000 (employé)

228

258

151

40 000 (employé)

246

268

162

100 000 (employé)

297

275

174

Sur les trois premiers niveaux de salaires, le coin socio-fiscal est plus important en Allemagne qu'en France. Pour des rémunérations plus élevées, l'écart est plus important en France qu'en Allemagne.


Avertissement concernant la lecture des graphiques

Les graphiques qui vont suivre présentent les résultats en terme de coin fiscal et de sa structure en fonction des salaires mensuels bruts.

Il n'est pas possible d'appliquer une échelle linéaire des revenus pour les cinq niveaux de salaire retenus. Les pentes des droites qui rejoignent deux points d'observations ne sont donc pas pertinentes pour un pays donné. Seule la comparaison de ces pentes entre deux courbes distinctes (c'est-à-dire entre deux pays de l'étude) est justifiée.



- LE COIN SOCIO-FISCAL POUR UN SALARIÉ MARIÉ AVEC DEUX ENFANTS

Si on considère le cas d'un salarié, marié, avec deux enfants à charge, dont le conjoint ne travaille pas, les positions relatives des trois pays sont différentes.

Pour un salarié avec une rémunération mensuelle proche du SMIC, les charges fiscales et sociales portant sur le salaire représentent 51% du salaire net perçu en France, 48% en Allemagne, et seulement 7% au Royaume-Uni. Cette hiérarchie reste pratiquement vraie pour tous les niveaux de rémunération étudiés. Dans le cas d'un salarié, marié avec deux enfants, le coin socio-fiscal est plus important en France qu'en Allemagne et qu'au Royaume-Uni.

Coût total pour l'employeur pour un salaire net d'impôt de 100F

Cas d'un salarié marié, deux enfants

Niveau de salaire mensuel
en FF

France

Allemagne

Royaume-Uni

6 664

151

148

107

12 000

181

156

127

25 000

193

193

143

40 000

205

193

155

100 000

266

224

171

L'impact de la structure familiale sur le taux de prélèvement sur les salaires se fait par le biais du calcul de l'impôt sur le revenu et des versements des allocations familiales. Or, comme nous le verrons un peu plus loin, l'avantage fiscal correspondant à la prise en compte de la situation familiale est différent selon les pays, ce qui explique le changement de hiérarchie entre les pays.

- STRUCTURE DES CHARGES FISCALES ET SOCIALES ASSISES SUR LES SALAIRES

Pour comprendre les différences de structure du coin fiscal entre les pays étudiés, on peut adopter deux approches.

La première consiste à décomposer le coin socio-fiscal tel qu'il a été présenté précédemment en ses différentes composantes. Cette approche revient à décrire le poids des différentes charges en pourcentage du salaire net effectivement perçu par le salarié, après impôt sur le revenu. Cette approche est plus cohérente avec la présentation des résultats, elle-même calculée en pourcentage du salaire net.

La deuxième approche consiste au contraire à regarder la part des diverses charges fiscales et sociales dans le salaire brut. Cette approche est justifiée par le fait que les comparaisons entre les pays sont élaborées sur des salaires bruts équivalents. De plus les taux de cotisations sociales sont eux-mêmes calculés sur la base du salaire brut. Il est donc usuel de regarder le poids des différentes charges sous cet angle.

Nous retiendrons les deux approches successivement.

Le poids des charges fiscales et sociales en % du salaire net

Pour ne pas multiplier les cas exposés, nous nous basons sur le cas d'un salarié dont la rémunération brute mensuelle est de 12.000 francs. la décomposition du coin socio-fiscal en ses différentes composantes montre que la France se trouve dans une situation assez atypique avec un coin socio-fiscal assez voisin de celui observé en Allemagne mais avec une structure différente : une part nettement plus forte des charges patronales et d'une part moins importante de l'impôt sur le revenu.

Si on considère le cas d'un salarié de rémunération équivalente mais de situation familiale différente (marié, deux enfants), on voit que les taux d'imposition du revenu (négatifs en raison des prestations familiales perçues) ne sont plus si différents entre la France et l'Allemagne. Au total, le coin socio-fiscal en France est, dans ce cas, supérieur à celui de l'Allemagne.

Mais les comparaisons des structures en pourcentage du salaire net ne sont pas très évidentes puisque c'est le salaire brut qui a servi de point de comparaison des rémunérations entre les pays. En particulier, il est impossible de comparer les taux de charge entre deux salariés de situation personnelle différente. Le salaire net perçu après impôt dépend du calcul de l'impôt : son montant sera différent lorsque la situation familiale n'est pas la même. Par conséquent, la part des cotisations salariales dans le salaire net dépend de la constitution de la famille. Il est parfois préférable d'exprimer les différentes charges fiscales et sociales en pourcentage du niveau de référence, celui du salaire brut.

Le poids des charges fiscales et sociales en % du salaire brut

Les charges patronales sont particulièrement élevées et peu dégressives en France.

Il est particulièrement frappant de voir à quel point les taux de charges patronales sont élevés en France. Pour un salaire équivalent au SMIC, l'exonération est de 18,2 %, elle diminue progressivement en fonction du salaire brut et s'annule pour un salaire équivalent à 1,33 SMIC, seuil réduit à 1,3 SMIC en 1998. Pour des salaires supérieurs au seuil d'exonération de charges sur les bas salaires, le taux de charges patronales est de l'ordre de 50 %.

L'effet dégressif des cotisations patronales à cause des plafonds n'est pas très marqué en France. Il ne l'est pas du tout sauf pour les salaires très élevés, encore qu'il est alors très faible.

Part des charges patronales dans le salaire brut

Niveau de salaire mensuel en FF

France

Allemagne

Royaume-Uni

6.664

12.000

25.000

40.000

100.000

34

52

51

50

47

33

29

28

21

13

7

10

10

10

10

Le fait que le taux de charges patronales ne diminue pas quand les salaires distribués augmentent se retrouve aussi au Royaume-Uni. Le taux de cotisations varie progressivement de 0 % pour les salaires hebdomadaires inférieurs à 62 , à 10 % pour des salaires supérieurs à 210  par semaine. Ces taux s'appliquent sur la totalité du salaire et le montant des cotisations n'est pas plafonné.

Au contraire, en Allemagne, les charges patronales sont véritablement dégressives en fonction du revenu. En effet la plus grande partie des cotisations employeur sont plafonnées.

L'effet des exonérations de charges sur les bas salaires est, en France, clairement visible. Cette exonération de charges permet d'alléger le coût du travail des personnes à bas salaires et donc de faciliter leur embauche.

Mais cette exonération de charges peut aussi provoquer des effets secondaires de progressivité du taux de charges patronales. Si nous nous concentrons sur l'échelle des salaires entre le niveau du SMIC et un salaire de 15.000 francs brut mensuel, nous pouvons souligner que le coût marginal pour l'employeur de l'augmentation des salaires bruts est nettement plus fort pour des salaires bruts compris entre le SMIC et 9.000 francs. Ainsi, augmenter de 7 % un salaire brut de 7.000 francs coûte à l'employeur 11,5 % du coût initial (salaire brut + charges patronales).

LES COTISATIONS DU SALARIÉ

Les niveaux de cotisations sociales sont très proches en France et en Allemagne pour les rémunérations inférieures à 25.000 francs. Au-delà, la fiscalité allemande se distingue de celle de la France par la forte dégressivité des cotisations sociales payées par le salarié qui sont toutes plafonnées en Allemagne et non en France.

Part des cotisations du salarié dans le salaire brut

Niveau de salaire mensuel en francs

France

Allemagne

Royaume-Uni

6.664

21,4

21,0

5,9

12.000

21,4

21,0

7,0

25.000

20,4

19,8

5,8

40.000

19,9

12,9

3,6

100.000

18,4

5,2

1,5

Le Royaume-Uni se distingue par un taux de cotisations sociales payées par le salarié beaucoup plus faible. De plus, le fait que le salarié anglais soit exempté de cotisations sur la partie de son salaire hebdomadaire inférieur à 62, provoque une progressivité du taux de cotisation sociale sur les bas salaires. Ainsi, le taux de cotisations sociales pour un salaire brut de l'ordre du SMIC (5,9 %) est inférieur à celui que paie un salarié qui reçoit un salaire brut mensuel de 12.000 francs (7 %). Ensuite, pour des salaires supérieurs, on retrouve la propriété de dégressivité du taux de cotisations sociales, puisque le salarié anglais ne paie pas de cotisation sur la part de son salaire brut supérieur à 465 par semaine.

L'impact sur le taux de cotisations employé du transfert de cotisations maladie vers la CSG est assez homogène pour l'ensemble des salaires. Le passage du taux de cotisations maladie de 5,5 % à 0,75 % en compensation d'une hausse de 4,1 % de CSG, déductible de l'impôt sur le revenu, abaisse le taux de cotisations du salarié d'un peu moins de 1 %.

LE POIDS DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

L'analyse du poids de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut doit naturellement faire apparaître la situation personnelle du salarié que nous considérons. On remarque que la part de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut est plus faible en France qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni dans le cas d'un salarié célibataire. mais ce constat est à nuancer dans le cas d'un salarié, marié, avec deux enfants.

Cas d'un salarié célibataire

Part de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut

Niveau de salaire mensuel en francs

France

Allemagne

Royaume-Uni

6.664

2,5

17,0

10,4

12.000

6,8

21,4

16,0

25.000

13,6

30,6

22,4

40.000

19,2

41,9

29,0

100.000

32,0

53,6

35,6

En France, la part de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut est plus faible qu'au Royaume-Uni et en Allemagne. Ceci vaut pour tous les niveaux de rémunérations. Cependant, on peut noter que l'écart est particulièrement important pour les bas salaires et qu'il est moins important sur les revenus très élevés.

LA PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION FAMILIALE DU SALARIÉ

La prise en considération de la situation familiale dans le calcul de l'impôt est très différente selon les pays. Rappelons que pour chacun des pays, nous avons réintégré le montant des allocations familiales en les soustrayant du montant de l'impôt sur le revenu.

En comparant, pour chaque niveau de salaire, le poids de l'impôt sur le revenu (net d'allocations familiales) selon la situation familiale, on peut faire les observations suivantes :

- En France, l'avantage fiscal retiré de la prise en compte de la structure familiale est quasiment homogène sur la plus grande partie des salaires. Il représente environ 10 % du salaire brut. Ce n'est qu'au niveau des salaires les plus élevés que le plafonnement de l'avantage fiscal du quotient familial conduit à un avantage relativement moins important, de l'ordre de 5 % du salaire brut.

- En Allemagne et au Royaume-Uni, l'avantage tiré de la prise en compte de la structure familiale est beaucoup plus favorable aux familles dont les revenus sont les plus faibles. Dans ces deux pays, quand le revenu croît, l'avantage fiscal devient de moins en moins important en proportion du salaire brut.

Le seuil à partir duquel un salarié, marié avec deux enfants, paie un impôt sur le revenu supérieur au montant d'allocations familiales qu'il reçoit est plus élevé en France (environ 25.000 francs) qu'en Allemagne (environ 12.000 francs) et qu'au Royaume-Uni (environ 8.000 francs).

Du fait que le salarié célibataire dont le salaire brut avoisine le SMIC paie un impôt sur le revenu très faible en France par rapport aux autres pays, l'avantage fiscal associé à la prise en compte de la structure familiale correspond plus à des versements de prestations qu'à des réductions d'impôts. C'est vraisemblablement pourquoi il reste plus limité que dans les autres pays.

Finalement, si les coins fiscaux sont d'ampleur voisine en France et en Allemagne, leurs structures sont complètement différentes. En France, les charges patronales sont nettement plus élevées qu'en Allemagne alors que l'impôt sur le revenu (net des allocations familiales perçues) est plus faible. Ces deux différences de structure se compensent quasiment dans le cas d'un salarié célibataire. Mais, dans le cas d'un salarié marié avec deux enfants, le coin socio-fiscal apparaît plus fort en France du fait que l'avantage fiscal correspondant à la prise en compte de la structure familiale est moins important qu'en Allemagne. Au Royaume-Uni, le coin socio-fiscal est nettement plus faible. Le poids de l'impôt sur le revenu y est relativement plus important qu'en France et qu'en Allemagne. Au Royaume-Uni, comme en Allemagne, la prise en compte de la situation familiale est nettement plus favorable aux salariés de faibles revenus.

3. L'IMPACT DU COIN FISCAL SUR L'ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE

L'objectif de la démarche était de mettre en évidence les comportements des entreprises induits par les différences de prélèvements obligatoires (considérés sous l'angle fiscal mais aussi sous l'angle social). Cette question peut être examinée sous deux perspectives principales. On peut d'abord s'interroger sur les conséquences pour l'équilibre de l'économie des distorsions introduites par le coin socio-fiscal. On peut aussi se demander quels sont les effets incitatifs ou désincitatifs d'un système fiscal sur les choix de localisation d'activités effectués par les entreprises. Nous examinerons le premier aspect dans cette partie afin de porter une première appréciation sur l'efficacité de notre système de prélèvements obligatoires.

Le problème du coin socio-fiscal est souvent abordé sous l'angle de la compétitivité. C'est la question du coût du travail et de ses conséquences dans la concurrence internationale. Il apparaît qu'il doit l'être aussi, et peut-être même surtout, sous l'angle de la perte d'efficacité économique qu'il entraîne, indépendamment de toute question de compétitivité.

- LE COÛT HORAIRE DU TRAVAIL EN FRANCE EST ÉLEVÉ

La dernière enquête Eurostat sur les coûts du travail dans l'industrie date de 1992, mais elle peut être mise à jour à l'aide des indicateurs de progression salariale. Les conclusions sont claires. Le coût du travail est nettement plus élevé en France qu'aux Etats- Unis et que dans la plupart des pays européens. La France serait au niveau des Pays-Bas et du Japon, mais très au-dessus du Royaume-Uni. L'Allemagne présente au contraire un coût du travail supérieur d'environ 30% à celui de la France.

Niveaux relatifs des coûts salariaux horaires en 1996

Portugal

28

Grèce

39

Royaume Uni

61

Irlande

62

Canada

69

Espagne

69

Etats Unis

76

Italie

77

Suède

91

Finlande

92

Pays Bas

99

France

100

Japon

101

Norvège

101

Danemark

104

Autriche

106

Belgique

111

Suisse

118

Allemagne

129



Source : Eurostat, mises à jour Rexecode

- LA RELATION ENTRE LE COIN SOCIO-FISCAL ET LE COÛT DU TRAVAIL

Peut on établir un lien entre le niveau du coût horaire du travail (élevé en France) et le poids (relativement fort en France) des charges sociales et fiscales portant sur le travail ?

Avant de répondre à cette question sur la base d'études antérieures rappelons l'évolution de la pression fiscale et sociale et des coût relatifs. Ces deux données évoluent dans l'ensemble de manière assez parallèle.

Niveaux relatifs des coûts salariaux horaires

Base 100 pour la France

 

1980

1985

1990

1992

1996

France

100

100

100

100

100

Etats Unis

91,7

142,1

80,7

78,0

76,3

Japon

63,3

85,2

78,6

89,1

100,8

Allemagne

118,4

110,5

118,4

120,8

129,0

Italie

76,7

89,8

97,2

96,5

76,8

Royaume Uni

71,3

72,4

70,1

68,9

61,5

Irlande

-

-

68,2

66,9

62,3

Pays Bas

119,9

106,0

101,5

100,7

98,8

Source : Rexecode

Entre 1980 et 1992, certains pays ont vu leur coût du travail nettement se réduire relativement à celui de la France. Parmi eux, on compte les Etats-Unis, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. D'autres pays ont vu au contraire leur position relative par rapport à la France s'élever en termes de coût du travail: le Japon, l'Italie et l'Allemagne.

Le Japon et l'Italie, qui ont vu augmenter leur pression fiscale plus rapidement qu'en France, ont vu parallèlement leur position en termes de coût de travail se dégrader. Au contraire, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui ont une progression de la pression fiscale plus faible (voire négative) ont réduit le niveau de coût de travail par rapport à la France.

Le cas de l'Allemagne montre les limites d'une approche aussi simplifiée : les charges sociales n'ont progressé que de 1,5% entre 1978 et 1992, pour autant le coût du travail a augmenté par rapport à la France.

Evolution des taux de charges sur le travail salarié entre 1978 et 1992

(impôt sur le revenu, cotisations sociales employeur et employé en %)


Suède

-2,7

Norvège

-1,6

Royaume Uni

-1,5

Australie

0,2

Pays Bas

0,9

Belgique

1,2

Allemagne

1,4

Etats Unis

1,5

Moyenne

2,6

France

3,9

Irlande

4,3

Espagne

4,4

Japon

4,7

Danemark

5,5

Portugal

5,9

Canada

6,9

Finlande

7,4

Italie

7,6

La relation entre le coût du travail et le poids des charges fiscales et sociales est donc loin d'être évidente. De plus, l'impact des prélèvements fiscaux et sociaux sur le comportement des entreprises, et en particulier sur leur compétitivité, doit se révéler en terme de coût unitaire du travail et non en termes de coût horaire du travail. Plus précisément, on peut imaginer qu'une entreprise, qui doit faire face à une augmentation des charges portant sur sa masse salariale, réagira en essayant de compenser la hausse du coût horaire du travail par des gains de productivité. Si les gains de productivité compensent les écarts de coût, il se peut que la compétitivité des entreprises ne soit pas atteinte par la hausse des charges.

Mais dans ce cas, la hausse des prélèvements obligatoires aura généré des destructions d'emplois pour permettre aux entreprises de maintenir leur compétitivité.

Ceci montre qu'il faut analyser l'impact du coin socio-fiscal dans un cadre plus large, celui de l'équilibre général de l'économie.

Rappelons comment, dans l'analyse économique, la taxation d'un bien modifie l'équilibre du marché. Le raisonnement peut s'appuyer sur le diagramme classique de l'offre et de la demande (dans le cadre d'un équilibre partiel).

En l'absence de taxation, l'équilibre du marché s'établit en E. La taxation introduit un "coin" entre le prix d'offre (le salaire net reçu par le salarié) et le prix de demande (le coût du travail pour l'employeur), ce nouvel équilibre est en E'.

La taxation du bien (ici le travail) a pour conséquence que la quantité demandée pour un salaire net w est égale à la quantité demandée antérieurement au prix w + c où c est le coin fiscal. Un écart apparaît entre le salaire net et le coût du travail, mais l'emploi diminue.

Dans ce modèle, évidemment simpliste, le coin fiscal explique une montée du chômage.



Un autre aspect doit aussi être pris en compte. Une partie, sinon la totalité du coin fiscal, correspond à des services collectifs rendus aux salariés (assurance chômage, assurance maladie). Le coin fiscal serait donc en partie le "prix" à payer pour ces services. Dans cette optique, le point essentiel est de savoir si le niveau de production des services collectifs ainsi rendus correspond bien aux attentes des salariés. En termes économiques, il s'agit de savoir si l'obligation de payer instituée par le système de prélèvements obligatoires correspond bien à la fonction d'utilité collective de la population. S'il en est ainsi, le salaire net devrait s'adapter à la baisse de façon telle que le coût du travail soit peu affecté. Si en revanche il n'en est pas ainsi, on constatera une rigidité à la baisse du salaire et un coût du travail excessif, générateur de chômage et de perte de compétitivité. La réponse doit être recherchée de façon empirique.

- COIN FISCAL ET RIGIDITÉ SALARIALE

La relation entre le coût du travail et la pression des charges sociales et fiscales portant sur les salaires est loin d'être évidente. Pour comprendre les mécanismes de transmission des charges fiscales sur les niveaux de salaires, il faut intégrer tous les mécanismes d'ajustement sur le marché du travail. Pour poser le problème en termes simples, on peut considérer qu'en présence de très fortes rigidités à la baisse des salaires réels, toute hausse des charges pesant sur les salaires vient directement augmenter le coût du travail pour l'employeur. Dans ce cas, la hausse du coût du travail se repercute sur le nombre de chômeurs et pèse sur les négociations salariales.



De nombreuses études économétriques ont été menées sur le sujet. Si on peut s'attendre à ce qu'un relèvement de l'impôt entraîne une augmentation des coûts de la main d'oeuvre, les avis sont assez divergents quant à l'ampleur de cet effet et à ses conséquences, qu'il s'agisse du moment où il intervient et de son impact sur le chômage. Il est aussi important de voir s'il existe des effets non symétriques selon que la majoration concerne les cotisations patronales, les cotisations salariales, l'impôt sur le revenu ou la TVA.

Nous nous limiterons à donner les principaux résultats d'une analyse menée par l'OCDE ( L'étude sur l'emploi, Tyrväinen ) parce qu'elle répond tout à fait aux questions que l'on peut se poser dans le cadre de notre étude.

L'étude de l'OCDE est une analyse économétrique qui a pour objectif de mesurer l'impact d'une modification des divers impôts sur le coût de la main-d'oeuvre. Cette étude est fondée sur des informations concernant les systèmes fiscaux de dix pays : elle examine les effets d'une hausse du taux moyen et du taux marginal d'imposition sur les négociations salariales.

Les résultats de cette étude sont donnés en terme d'élasticité des coûts de la main-d'oeuvre à une modification des taux d'imposition. En Allemagne, l'élasticité du coût du travail aux cotisations patronales est unitaire, ce qui signifie que l'augmentation des cotisations sociales se transmet tout entière en terme de coût pour l'employeur. Au contraire, aux Etats-Unis où le marché du travail est très flexible, l'augmentation des cotisations patronales n'affecte pas le niveau des salaires: les salariés acceptent une baisse de leur salaire qui compense totalement l'augmentation des charges.

Elasticité des coûts de la main d'oeuvre

Par rapport

aux cotisations patronales
de sécurité sociale

aux cotisations salariales
de sécurité sociale

Allemagne

1

1

Canada

0,8

0,8

Japon

0,5

0,5

Finlande

0,5

0,5

Australie

0,5

0,5

France

0,4

0,4

Italie

0,4

0,4

Suède

0

0

Etats-Unis

0

1

Royaume-Uni

0,25

0,25

Source : Tyrväinen, "Real wage resistance and Unemployement : multivariate analysis of cointegration relations in 10 OECD economies". L'étude sur l'emploi. OCDE

Les conclusions couvrant la France sont moins marquées : un relèvement des charges sociales et fiscales portant sur les salaires tend à augmenter le coût du travail mais la réduction des salaires réels permet de compenser en partie.

Le poids des charges fiscales doit être interprété au regard de son impact sur le coût du travail. Mais cet impact dépend lui-même des mécanismes de régulation du marché du travail dans chaque pays. Il peut se décomposer en deux effets : d'une part l'élasticité du coût du travail aux augmentations de prélèvements obligatoires, d'autre part l'ampleur des chocs sur le taux de prélèvement. Concernant l'élasticité du coût du travail, on peut tout de même retenir, qu'aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, elle semble plus faible qu'en Allemagne, la France restant dans une position intermédiaire. Mais la succession de chocs sur les taux de prélèvements d'ampleur plus importante en France pourrait nuancer l'effet précédent.

4. IMPORTANCE DES CONSIDÉRATIONS FISCALES DANS LA DÉCISION DE LOCALISATION D'ACTIVITÉS

La vie d'une firme amène en permanence à décider de la localisation d'une activité. Pour développer le chiffre d'affaires, la firme peut être amenée à étendre les capacités de production des usines, pour étendre la force de vente elle peut décider de créer de nouveaux points de vente. Lors du développement international, la société étudiera la création d'une filiale locale ou au contraire préférera produire en France pour exporter.

Pour réduire certains coûts il est probable que le chef d'entreprise étudiera une réorganisation géographique des fonctions de l'entreprise. A ce moment les centres de recherche et développement et les centres administratifs (services financiers, services informatiques,...) peuvent être relocalisés. Il est possible aussi, comme la tendance actuelle le confirme, que des rapprochements d'entreprises affectent la vie de la firme. Des holdings intermédiaires ou de tête devront être créés et leur implantation sera étudiée minutieusement. Des acquisitions, fusions et rapprochements d'entreprises sont d'ailleurs particulièrement fréquents pour des PME récentes. Tous ces instants de la vie d'une entreprise, qui ont pour conséquence l'éventuelle implantation d'activité (ou le changement de localisation), seront analysés par le chef d'entreprise et ses collaborateurs suivant des critères très divers. Leur importance peut varier en fonction de la nature de l'opération, suivant la stratégie retenue et/ou suivant la santé de l'entreprise.

La fiscalité est l'un de ces critères. Pour en mesurer l'importance lors de la décision de localisation d'activités, nous avons interrogé quelques responsables d'entreprises françaises. Conscients de la complexité de la question, nous avons aussi étudié la littérature empirique et théorique traitant du sujet afin d'enrichir l'analyse.

- LA FISCALITÉ INFLUENCE PARTICULIÈREMENT L'IMPLANTATION DES "FONCTIONS NOMADES"

Si les flux de capitaux peuvent réagir très rapidement à l'opportunité d'accroître à court terme la rentabilité après impôt, l'investissement direct international obéit généralement à des considérations de stratégie commerciale de long terme (par exemple, le maintien d'une présence dans de nombreux pays à travers le monde). Il semble donc moins sensible à des considérations fiscales. Plusieurs études montrent cependant que ces considérations jouent un rôle significatif.

MISE EN ÉVIDENCE EMPIRIQUE

En raison des difficultés techniques (fiabilité des données, taille des séries et des échantillons,...) auxquelles se heurtent souvent les études économétriques portant sur l'incidence de la fiscalité, certains économistes ont mené des enquêtes de terrain. Plusieurs études ont été réalisées vers le début des années soixante-dix en vue de faire la lumière sur les principaux déterminants du choix d'une implantation. Il ressort de la plupart de ces enquêtes que, les différences, d'un pays à l'autre, entre les systèmes d'imposition des sociétés sont généralement moins importantes pour le choix d'une implantation que d'autres facteurs, tels que l'existence d'une infrastructure adaptée. Le système fiscal du pays d'accueil est cependant presque toujours considéré comme un « facteur pertinent » et parfois même comme un « facteur important » dans une décision d'implantation.

Ces conclusions d'enquêtes des années soixante-dix ne prenaient pas en compte les comportements rendus possibles par les nouvelles technologies et l'émergence d'un certain nombre de nouveaux pays d'accueil des investissements. Les entretiens que nous avons effectués permettent de préciser ces tendances. Ainsi la plupart des personnes que nous avons rencontrées s'accordent pour dire que l'apparition de « fonctions nomades », telles que les départements informatiques, des centres de gestion administrative (facturation, paie,...), ou de gestion des marques et des brevets, des salles de marché ou plus classiquement des lieux de stockage, dans l'entreprise et le développement d'opérations « à implantation variable » (création de joint-venture, de holding intermédiaire ou de tête,...), rendent les possibilités de localisations plus grandes qu'il y a quelques années.

Les travaux réalisés en 1992 par un groupe d'experts indépendants sur la fiscalité des entreprises et remis à la Commission des Communautés européennes apportent un éclairage en concordance avec les observations recueillies lors de nos rencontres. Les experts précités ont dépouillé près de mille questionnaires remplis par des entreprises de l'ensemble des pays de la C.E.E. L'enquête portait sur trois questions principales relatives à l'incidence de la fiscalité sur les activités et les coûts des sociétés.

Nous rappelons ici les principaux résultats de cette enquête concernant notre problématique. La première question adressée aux chefs d'entreprises était : « Le choix du lieu d'implantation d'une activité peut être influencé dans une mesure plus ou moins grande par les systèmes fiscaux des pays concernés. Dans combien de cas, lors du choix du pays d'implantation des types d'activité suivants, la fiscalité qui frapperait votre entreprise dans les différents lieux d'implantation envisagés constitue-t-elle une considération pertinente et un facteur important dans votre décision ? » (sociétés mères uniquement).

Le tableau suivant présente les réponses à cette question pour l'ensemble des entreprises qui ont répondu :

Pourcentage des réponses


 

Toujours

Habituellement

Parfois

Jamais

Nombre de réponses

Installation de production

 
 
 
 
 

Considération pertinente

43.6

28.2

20.4

7.9

624

Facteur important

22

25.6

33.7

18.7

555

Point de Vente

 
 
 
 
 

Considération pertinente

30

27.9

25.9

16.2

641

Facteur important

14.1

23.7

31.9

30.4

562

Centre de coordination

 
 
 
 
 

Considération pertinente

46,2

23,7

21,9

8,2

392

Facteur important

34,5

22,1

26,7

16,7

348

Centre de recherche-développement

 
 
 
 
 

Considération pertinente

31,2

27,5

28,1

13,2

349

Facteur important

15,3

25,9

33,6

25,2

313

Centre de services financiers

 
 
 
 
 

Considération pertinente

63,9

21,3

9,6

5,4

447

Facteur important

52,6

25,7

12,9

8,8

397

Source : Rapport du comité de réflexion des experts indépendants sur la fiscalité des entreprises, Commission des Communautés européennes (1992).

De la lecture de ce tableau ressortent les enseignements suivants :

1) Les questions fiscales sont très souvent une considération pertinente, mais pas toujours un facteur important dans le choix de localisation d'implantation.

2) Toutes les fonctions de l'entreprise n'accordent pas la même importance à la fiscalité dans leur stratégie d'implantation. En particulier pour les fonctions « Installation de production », « Point de vente » et « Centre de recherche-développement » la fiscalité n'est un facteur important que « parfois » ou « jamais ». En effet si l'on regroupe les réponses « parfois » et « jamais » d'une part et «toujours » et « habituellement » d'autre part on obtient le tableau synthétique suivant :

Présentation synthétique des réponses à la première question

Pourcentage des réponses

 

Toujours et habituellement

Parfois et jamais

Intallation de production

Facteur important

47,6

52,4

Point de vente

Facteur important

37,8

62,3

Centre de recherche-développement

Facteur important

41,2

58,8

Centre de coordination

Facteur important

56,6

43,4

Centre de services financiers

Facteur important

78,3

21,7

Source : idem

Comme nous l'ont précisé les responsables que nous avons rencontrés, l'ouverture d'un centre de production doit d'abord répondre à une demande. Deux cas de figure extrêmes peuvent se présenter : soit la demande doit être satisfaite impérativement par une usine proche de la demande et du marché, soit la demande peut être satisfaite par un site de production situé n'importe où dans le monde (cas des semi-conducteurs par exemple). Dans le premier cas, la fiscalité ne peut intervenir que si l'usine à implanter est européenne. Mais bien souvent d'autres éléments interviennent et notamment l'environnement politique et juridique, la qualité des infrastructures, le coût du travail, la présence des concurrents, la compétitivité des employés (niveau de formation...), la flexibilité du marché du travail... La fiscalité n'est pas ici un élément déterminant de la décision de localisation. Seulement dans le second cas la fiscalité peut jouer un rôle important.

De même lorsqu'il s'agit d'implanter ou d'étendre un centre de recherche-développement, c'est d'abord la qualité des personnels, l'environnement scientifique et technologique, la qualité de la vie, le coût du travail,... qui déterminent le choix plutôt que des considérations fiscales.

En revanche, lors d'implantation de centre de coordination et de services financiers, le poids de la fiscalité semble important. A la lumière de nos entretiens nous pouvons préciser cette constatation. Ainsi parmi nos interlocuteurs, certains ont mentionné l'implantation récente de holding, de centres administratifs ou de services financiers (trésorerie) à l'étranger plutôt qu'en France pour des considérations fiscales. Il est important d'ajouter que dans la plupart des cas, les fonctions implantées à l'étranger sont des activités en développement (secteur tertiaire) et de plus en plus nomades. De plus les raisons de leur implantation étrangère sont souvent subtiles et concernent des points précis du droit fiscal : fiscalité des fusions-acquisitions, des apports, des brevets. Nous verrons par la suite plus en détail le poids de ces considérations.

Une autre enquête menée par Devreux et Pearson (1989) auprès de 173 sociétés britanniques souligne l'importance de la fiscalité dans le choix de localisation. En effet à la question « Lors du choix du pays d'une nouvelle installation de production, dans combien de cas les taux d'imposition et les subventions constituent-ils une considération pertinente ou un facteur important dans votre décision ? » les personnes interrogées ont répondu de la manière suivante :

Pourcentage des réponses

 

Toujours

Habituellement

Parfois

Jamais

Nombre de réponses

Considération pertinente

47,8

28,3

23,9

0

130

Facteur important

18,9

24,3

40,5

16,2

105

Source : Devreux et Pearson (1989).

En définitive les enquêtes de terrain tendent à montrer que la fiscalité intervient dans le choix de localisation. En revanche son importance n'est pas facile à apprécier et dépend fortement des fonctions dont il est question, de la stratégie de l'entreprise et du moment où la question est posée. Pour confirmer cette analyse nous avons examiné quelques études économétriques traitant du lien entre fiscalité et investissement direct étranger.

Mise en évidence théorique

Une appréciation des choix d'implantation d'activité économique peut être tentée au travers des entrées d'investissements directs étrangers. Les travaux d'analyse théorique du lien entre fiscalité et investissement direct étranger sont essentiellement de deux types. Les premiers consistent en des simulations de comportements des firmes en fonction de différents niveaux d'imposition, les seconds sont des études économétriques. L'examen des résultats des différents travaux existants donne à penser qu'il n'est pas facile d'identifier et encore moins de quantifier l'incidence du système d'imposition des sociétés sur les flux transnationaux d'investissements directs. Néanmoins il semblerait que l'influence de l'impôt sur les sociétés (qui est un des éléments de la fiscalité des entreprises) sur la répartition géographique de l'investissement ne doit pas être négligée.

Nous rappelons ici deux travaux, souvent cités, et qui tendent à confirmer cette conclusion. La première de ces études (dont les résultats sont résumés dans le tableau suivant) a été effectuée par Thomas Horst (1977), qui a élaboré un modèle théorique d'une entreprise multinationale "représentative" ayant opté pour la maximisation du profit et à laquelle toutes les caractéristiques fondamentales du système américain d'imposition des sociétés sont applicables. Le modèle était calibré de manière à reproduire un ensemble de données afférentes à l'investissement étranger direct au départ des Etats-Unis en 1974. Ce modèle permettait, en particulier, de simuler (modèle dit de « simulation ») l'impact d'une variation du taux étranger moyen d'imposition des sociétés sur l'investissement intérieur réel de sociétés mères américaines, sur l'investissement étranger réel effectué par les filiales américaines opérant à l'étranger, ainsi que sur le flux net de fonds entre des sociétés mères américaines et leurs filiales étrangères. Le tableau ci-après présente ces impacts en termes d'élasticité.

L'élasticité exprime la variation en pourcentage de la variable expliquée, consécutive à une variation de 1% du taux d'imposition appliqué par le pays d'accueil étranger. Ainsi le chiffre de -0.6 figurant dans la dernière colonne du tableau signifie que, si le taux étranger d'imposition des sociétés tombait de 50 à 40%, par exemple, ce qui correspondrait à une diminution de 20% du taux d'imposition, l'investissement réel à l'étranger des filiales américaines s'accroîtrait de 20 x 0,6 = 12%. Les élasticités obtenues par le modèle de Horst impliquent également que cette même réduction de l'impôt à l'étranger ferait diminuer de 20 x 0,3 = 6% l'investissement intérieur réel des sociétés mères américaines et entraînerait un accroissement de 20 x 6,8 = 136% du transfert net de fonds de sociétés mères américaines à des filiales étrangères. Au vu de ces résultats, il apparaît que d'une part l'incidence de la fiscalité sur l'activité de l'investissement réel n'est pas négligeable, et que, d'autre part, l'impact des variations des taux d'imposition sur le comportement financier (transfert de fonds, investissement de portefeuille) des multinationales peut être très important. On retrouve là un résultat déjà mentionné précédemment.

Etude de simulation des effets de l'imposition

des sociétés sur les flux de capitaux


Données utilisées


Variables expliquées

Elasticité par rapport aux taux d'imposition des sociétés dans le pays d'accueil

 

Investissement intérieur réel des sociétés mères américaines

0,3

Données américaines de 1974

Investissement étranger réel des filiales américaines

- 0,6

 

Sorties nettes de capitaux en provenance des sociétés mères américaines et à destination des filiales étrangères

- 6,8

Source : Horst (1977) et Kopits (1976).

Parmi les études économétriques qui mesurent l'incidence de la fiscalité sur l'investissement direct étranger dans la C.E.E., il semble que celle de Bernard Snoy (1975), reste l'analyse la plus complète. Outre qu'il analyse l'investissement direct des Etats-Unis en Europe, Snoy étudie les flux d'investissements directs en provenance de quatre pays membres de la C.E.E. (Belgique, Allemagne de l'Ouest, France et Royaume-Uni) et à destination de quatorze pays d'Europe de l'Ouest au cours de la période 1966-1969. L'auteur constate que l'investissement direct étranger au départ des quatre pays de résidence concernés réagit négativement à un relèvement du taux d'imposition effectif des sociétés dans les pays d'accueil étrangers.

Cependant bien que tous les effets estimés de la fiscalité présentent leur signe négatif, les résultats de Snoy révèlent que certaines estimations sont faiblement significatives, c'est-à-dire qu'elles restent entachées d'incertitudes importantes. Ce problème résulte probablement du fait que, en raison du caractère limité de l'échantillon de pays d'accueil incorporé dans l'analyse, Snoy ne disposait que d'un nombre relativement réduit d'observations statistiques. En dépit de ces restrictions, il semble possible de conclure sur des bases statistiques que l'imposition des sociétés (rappelons ici que c'est seulement un des éléments constitutifs de la fiscalité des entreprises) peut avoir un rôle non négligeable sur l'investissement étranger direct. Nous présentons ici quelques résultats d'études économétriques qui confortent cette conclusion. Les estimations présentées ci-après portent sur l'attractivité du marché américain. Il est à noter qu'il existe peu d'études récentes sur le marché européen.

Estimations économétriques de l'incidence du taux d'imposition américain des sociétés sur les entrées d'investissements directs étrangers (IDE) aux Etats-Unis

 
 

Elasticité de l'IDE par rapport au taux d'imposition américain des sociétés

Auteur

Période couverte par les données

IDE financé à l'aide de bénéfices non distribués

IDE financé par des transferts des sociétés mères


IDE total

Hartman (1984)

Bosk & Gale (1987)

Young (1988)

Slemrod (1990)

1965-1979

1965-1984

1953-1984

1956-1984

- 3,6

- 16

entre - 1,0 et - 3,8

ns**

- 9,5*

ns

- 1,5*

- 1,4**

nd

nd

nd

1,2**

* estimation à faible signification statistique.

** Elasticité par rapport au taux d'imposition marginal des sociétés

Sources : les différents auteurs.

En conclusion il semble exister un lien entre le poids de la fiscalité et le niveau des investissements directs étrangers. La difficulté de mesurer théoriquement ce lien reflète notre observation empirique, à savoir que c'est pour un certain type de fonction de l'entreprise et à certains instants de la vie de la firme que la fiscalité est un facteur important dans la décision d'investissement. Aussi convient-il, si l'on souhaite améliorer la compétitivité fiscale de la France, d'étudier les mesures actuelles qui sont particulièrement défavorables à l'implantation d'activités ou de fonctions sur lesquelles la fiscalité est déterminante.

- UN MANQUE DE LISIBILITÉ DE LA FISCALITÉ EN FRANCE

Le tableau suivant présente une comparaison du poids (en % du PIB) de quelques types d'impôts spécifiques à la charge des entreprises, pour les grands pays européens.

Importance comparée de quelques impôts spécifiques
(1995 en % du PIB)

 

France

Allemagne

Royaume-Uni

Italie

Pays-Bas

Impôt foncier

Impôt sur l'actif net

Impôts mutation

Impôt transactions

Taxe professionnelle

Contribution FNE

Autres

Total

Impôt sur les sociétés

Ensemble

0,4

0,2

0,4

0,4

1,4

0,3

3,2

1,6

4,8

0,2

0,1

0,2

1,2

1,7

1,1

2,8

1,8

0,2

0,3

2,3

3,3

5,6

0,8

0,4

0,1

1,0

2,2

3,7

5,9

0,6

0,3

0,5

0,1

1,5

3,3

4,8

Source : OCDE - REXECODE

La lecture de ce tableau montre que l'impôt sur les sociétés était plutôt faible en France en 1995 (c'est-à-dire avant les surimpositions décidées en 1996 et en 1997). En revanche les autres impôts étaient élevés en France. Avec 3,2% du PIB ce poids est sensiblement plus élevé que celui des autres pays européens. Ce niveau élevé est inquiétant à deux titres. D'une part parce qu'il pèse sur la rentabilité des entreprises et d'autre part parce qu'il donne de la fiscalité française une image de complexité importante. Or une lecture difficile de l'environnement économique rend les investisseurs prudents dans leur comportement. Les responsables d'entreprises que nous avons rencontrés ont insisté sur le fait que la France a une fiscalité complexe propre à affecter la localisation des firmes.

Nous allons préciser maintenant ces mesures fiscales qui pèsent sur les implantations d'activités en France. Dans le cadre de notre mission, il ne nous était pas possible d'examiner l'ensemble de la fiscalité des entreprises françaises et européennes. Néanmoins à partir de nos entretiens et de la lecture d'articles ayant trait à la fiscalité comparée des entreprises européennes, il nous est apparu qu'un certain nombre de dispositions fiscales françaises semblaient peser particulièrement sur l'attractivité de notre territoire. Compte tenu de nos objectifs, le travail que nous présentons ici ne vise pas à l'exhaustivité, mais donne simplement quelques pistes possibles de réflexion.

Investir, c'est prendre un pari sur l'avenir. L'entreprise évitera de s'engager si l'avenir paraît trop incertain. Tout élément qui contribue à accroître l'incertitude décourage l'investisseur. Lorsqu'il s'agit d'établir le plan financier d'un projet, il est classique d'ajouter au coût du capital un facteur représentatif du risque (prime de risque) qui regroupe le risque politique, économique et technologique du pays et du risque intrinsèque du projet. L'investissement n'est retenu que si la rentabilité attendue est supérieure à la somme des coûts précédents. Un défaut de la fiscalité française semble être qu'elle est perçue par les entrepreneurs comme trop incertaine, essentiellement pour deux raisons :

- d'une part parce que la multiplicité des « autres taxes » donne une idée imprécise du poids exact de la fiscalité,

- d'autre part, et cela semble tout particulièrement important, en raison du manque de stabilité fiscale. Il n'est pas possible de contracter avec une entité politique, contrairement à ce qui ce passe aux Etats-Unis et un impôt peut du jour au lendemain fortement évoluer. Les hausses à répétition (avec un effet quasiment rétroactif) de l'impôt sur les sociétés sont à cet égard particulièrement pénalisantes. Ce n'est pas seulement la hausse qui est critiquée, mais aussi le fait que les règles du jeu peuvent changer à chaque instant.

Au total l'accroissement de l'incertitude fiscale pèse en France sur la localisation d'implantation, et de façon plus générale, sur le niveau d'investissement. Pour illustrer cela, prenons un exemple simple. Soit un investisseur dont la prime de risque politique, économique et technologique est de 10% et le coût du capital est de 5% (taux d'intérêt, fiscalité,...) par an. Il choisira d'investir dans un projet français lorsque la rentabilité attendue est supérieure à 15%. Si dans ce pays le gouvernement décide de relever la pression fiscale des entreprises de 2 points, au titre d'une stabilisation macro-économique, quel sera le comportement des investisseurs ? Plusieurs cas peuvent se produire. On peut supposer par exemple que du fait de la crédibilité du gouvernement, la prime de risque va baisser de 3 points, les investisseurs ont confiance en la possibilité du gouvernement de stabiliser l'économie. Par suite, le coût du capital progresse de 2 points pour atteindre 7%, mais la prime de risque descend à 7%. Au total le niveau de rentabilité escompté pour investir baisse de 1 point, pour passer de 15% à 14%. Dans ce cas, malgré une hausse de la pression fiscale, les investissements directs étrangers reçus par le pays devraient s'accroître. Le cas inverse est aussi envisageable, à savoir une hausse de la fiscalité et une augmentation de la prime de risque si le gouvernement accroît les impôts, c'est qu'il ne parvient plus à contrôler ses dépenses, il devient alors plus risqué d'investir dans ce pays. Dans ce cas les investisseurs fuiront.

Cet exemple montre que les paramètres de la politique fiscale qui comportent une dimension de crédibilité et de stabilité, sont essentiels pour permettre le développement de l'investissement. D'autres économistes ont insisté sur ce point. Ainsi P.A. Muet et S. Avouyi-Dovi écrivaient-ils en conclusion de leur article intitulé L'effet des incitations fiscales sur l'investissement (1993) « Il est certainement plus pertinent de réserver des incitations fiscales à des politiques structurelles (favoriser des économies d'énergie ou le développement de secteurs de pointe, par exemple) plutôt que de les appliquer de façons indifférenciées. Par ailleurs la comparaison de l'incidence respective des différents facteurs du coût du capital confirme que les incitations sont d'autant plus efficaces qu'elles sont simples et que leurs conséquences sont clairement perçues par les entreprises. »

- UNE TAXE PROFESSIONNELLE PÉNALISANTE

La taxe professionnelle constitue désormais une charge fiscale prépondérante pesant sur les entreprises. Son montant brut est voisin de celui de l'impôt sur les sociétés. Sa base est géographiquement identifiée et son produit est réservé aux collectivités locales. Le champ d'application de la taxe professionnelle est très large puisque la taxe est due par toutes les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée en France.

La taxe professionnelle est assise sur les deux facteurs de production, capital et travail, qui font l'objet d'une pondération relative. Les salaires versés sont retenus pour 18% de leur montant. Pour ce qui est du capital, on distingue les locaux et les équipements. S'agissant des magasins et bureaux, la valeur locative reflète les loyers du marché. Pour les locaux de type industriel, la valeur locative est réputée égale à 8% du prix de revient. Enfin pour les équipements, leur valeur locative est égale à 16% du prix de revient. Ce pourcentage est censé correspondre à l'amortissement du bien et à l'intérêt de l'argent investi, la somme des deux équivalant à un loyer. Il est destiné à imposer les entreprises de façon relativement équivalente, quelles que soient les modalités de financement et d'acquisition de l'équipement (location, crédit-bail, acquisition, utilisation à titre gratuit).

Deux exceptions essentielles à ce principe sont les exonérations pour certaines professions et un plafonnement en fonction de la valeur ajoutée devenu au fil du temps plus complexe. Le résultat des corrections apportées aux bases apparaît ainsi conséquent. En 1995 les bases brutes s'élevaient à 800 milliards de francs. Après prise en compte des réductions de bases générales ou spécifiques à certains secteurs le montant des bases imposables n'atteint plus que 628 milliards de francs.

On dénombre au total près de 50 000 bénéficiaires de la taxe professionnelle. La décentralisation a donné davantage d'autonomie aux collectivités locales. Pour faire face à leurs charges supplémentaires, les collectivités ont ainsi augmenté la pression fiscale. Il convient de noter, et nous y reviendrons, que les collectivités locales pour compenser les pertes de recettes dues au plafonnement ont demandé et obtenu de l'Etat des compensations. Ainsi en 1995 le coût pour l'Etat des compensations et des dégrèvements au titre de la taxe professionnelle a atteint 53 milliards de francs de francs, ce qui représente un tiers du produit perçu par les collectivités locales (contre moins d'un quart en 1988). La loi de finances pour 1996 a modifié la méthode de calcul du dégrèvement au titre du plafonnement par rapport à la valeur ajoutée, c'est-à-dire la différence entre la cotisation calculée et 3,5%, 3,8% ou 4% de la valeur ajoutée. Désormais, si le dégrèvement est toujours calculé à partir de la base servant effectivement au calcul de la cotisation, ce n'est plus le taux en vigueur l'année en cause qui est appliqué, mais le taux en vigueur en 1995 dès lors que celui-ci est inférieur à celui-là. Cette mesure a pour effet de faire désormais supporter aux entreprises, et non plus à l'Etat, la totalité des hausses de taux décidées par les collectivités locales à partir de 1996. Or compte tenu de l'augmentation des charges des collectivités locales, le taux de la taxe professionnelle a cru à un rythme soutenu, égal à 2,7% en moyenne annuelle sur le période 1988-1995. Il est donc à craindre une augmentation du poids de la taxe sur les entreprises au cours des années prochaines. De plus l'augmentation des bases taxables a contribué à accroître la charge de cet impôt, dont le poids a augmenté de 56% entre 1988 et 1995, comme le montre le tableau suivant.

Evolution de la taxe professionnelle depuis 1988

(en milliards de francs)

 

1988

1991

1995

Variation 1998-1995

Produit perçu par les collectivités

Produit à la charge des entreprises

Produit à la charge de l'Etat

% de la part à la charge des entreprises

% de la part à la charge de l'Etat

97,6

72,8

24,7

129,8

96,3

33,5

74,6

25,4

166,9

113,4

53,5

74,2

25,8

+ 71 %

+ 56 %

+ 117 %

67,9

32,1

Source : direction générale des impôts.

La taxe professionnelle est régulièrement citée comme un obstacle à l'investissement par les responsables d'entreprises. Les critiques adressées à cet impôt sont, outre l'évolution importante de son niveau, la très grande variabilité géographique de ses taux (qui évoluent dans une fourchette de 1 à 6), et leur grande instabilité dans le temps. Au total, ces évolutions inquiètent gravement les investisseurs. Ils ne sont d'ailleurs pas les seuls puisque le dernier rapport du Conseil des Impôts souligne lui-même les faiblesses de cet impôt : "Si la nature d'un bon impôt est d'être large dans son assiette, modéré dans son taux, proportionné aux capacités contributives des contribuables, compréhensible par ces derniers et aisément recouvrable par l'administration, force est de reconnaître que la taxe professionnelle ne répond aujourd'hui à aucune de ces conditions."

En vue de corriger les faiblesses du système actuel diverses solutions possibles ont été examinées par le Conseil des Impôts. Les hypothèses étudiées sont la suppression de la taxe professionnelle qui serait alors reportée sur d'autres prélèvements (l'impact probable serait une hausse de la fiscalité sur le travail), ou la suppression de la part salariale compensée par une hausse de la partie capital de la taxe professionnelle (l'impact serait alors une hausse de la fiscalité sur le capital productif), ou encore la substitution d'une assiette entièrement nouvelle à l'assiette actuelle (les gains seraient répartis sur les entreprises des secteurs de l'industrie et de l'énergie qui sont pénalisés par le système actuel, tandis que les pertes seraient concentrées à l'intérieur des secteurs de la banque, de l'assurance et de l'immobilier qui sont avantagés actuellement). D'autre part les petites et moyennes entreprise verraient leur taxe augmenter. Enfin une telle réforme aboutirait à alourdir le coût du travail.

Une proposition formulée est de remplacer les immobilisations brutes par les immobilisations nettes pour le calcul de la taxe. L'incorporation progressive des amortissements pour les nouveaux investissements peut paraître de nature à améliorer considérablement le régime de la taxe professionnelle. Une telle mesure, limitée aux flux et non au stock de capital, aurait vocation à monter en charge progressivement dans la durée jusqu'à ce que l'ensemble des biens existants soient mis au rebut, ce qui éviterait aux collectivités locales une chute trop rapide de leurs ressources. Les inconvénients seraient une lourdeur de gestion (deux fichiers d'immobilisations), et une augmentation des taux pour compenser le manque à gagner. La voie plus simple serait de diminuer le coefficient de 16% appliqué aux équipements et biens mobiliers. Dans l'hypothèse où ce coefficient serait ramené à 14%, la cotisation nette de taxe professionnelle à la charge des entreprises baisserait de 6% et le coût pour l'Etat au titre du plafonnement valeur ajoutée diminuerait de 16%. Là encore l'inconvénient serait que l'Etat devrait probablement en compenser la charge pour les collectivités locales.

L'ensemble de ces aménagements ou modifications radicales ne s'attaque qu'aux symptômes du mal car ils agissent sur la répartition et non sur le montant. Les expériences d'intercommunalité semblent fructueuses. Elles permettent dans certains cas un allégement de la charge fiscale. Sur le plan fiscal l'intercommunalité se décline selon deux régimes : la fiscalité propre additionnelle ou la taxe professionnelle unique. Les syndicats d'agglomération nouvelle et les communautés de villes peuvent ainsi percevoir la taxe professionnelle aux lieu et place des communes. Le Conseil des Impôts a comparé le résultat des deux formules. Ses conclusions sont les suivantes : le bilan des groupements à taxe professionnelle unique est positif alors que le bilan des groupements à fiscalité additionnelle est en revanche beaucoup moins favorable.

De ce qui précède et des entretiens auprès des différents chefs d'entreprises, il semble qu'il soit possible de réduire le poids de la taxe professionnelle si une véritable réforme de gestion du territoire français est envisagée. Elle implique de réduire le nombre d'échelons administratifs, de regrouper les communes pour diminuer l'émiettement et de donner peut-être aux régions plus de prérogatives. Dans ce paysage le taux de la taxe professionnelle serait défini à un niveau plus élevé que celui de la commune. Le système plus simple et plus homogène, moins coûteux (moins d'échelons, de coûts de gestion...) deviendrait plus efficace. D'autres pays (Royaume-Uni et Allemagne) se dirigent aujourd'hui dans cette voie.

- UNE FISCALITÉ DES TRANSMISSIONS DÉSTABILISANTE

Comme le montre le tableau précédent du poids des impôts dans le PIB, les droits de mutation représentent 0,4% de la valeur ajoutée française, soit davantage que pour les partenaires européens. Les écarts sont d'ailleurs importants en valeur relative. On passe du simple (Italie, Allemagne) au quadruple (la France). En dépit de nombreux aménagements apportés à la fiscalité des droits de mutation, la France reste néanmoins l'un des pays où ces droits sont les plus élevés. Le poids excessif des droits de mutation sur les transmissions d'entreprises familiales est surtout imputable à la forte progressivité du barème. A titre d'exemple, l'Allemagne applique le taux maximum de 35% à partir d'une fraction de part nette taxable de 100 millions de deutsche-mark, alors que le même taux s'applique en France à une part nette taxable de 5 millions de francs. Si le coût fiscal de la transmission peut être jugé supportable pour les transmissions d'entreprises individuelles ou de petites sociétés, sous réserve que l'opération de transmission soit suffisamment anticipée, la forte progressivité du barème des droits de mutation pénalise particulièrement les PME patrimoniales. Au poids du barème s'ajoute de plus la fiscalisation des dividendes que l'entreprise transmise devra verser aux héritiers pour le paiement des droits de mutation.

Le coût fiscal comparé de la transmission d'une entreprise selon les pays peut être résumé dans les deux tableaux suivants, qui présentent le montant des droits dans les cas d'une succession ou d'une donation, concernant deux héritiers en ligne directe. Il est fait l'hypothèse que la valeur de l'entreprise est de 15 millions de francs, pour un chiffre d'affaires de 50 millions de francs, et un résultat net courant de 1,5 million de francs. La plupart des pays ont adopté des modalités de paiement différé des droits de mutation.

En France, le paiement des droits de mutation peut être différé pendant une période de 5 ans, puis étalé sur une période de 10 ans, moyennant un taux d'intérêt de l'ordre de 4,5%.

 

France

Allemagne

Royaume-Uni

Belgique

Italie

Droits de succession

Annuité

Annuité/profit

Droits de donation

Annuité

Annuité/profit

5 MF

726 KF

48 %

3,7 MF

532 KF

35 %

1,7 MF

244 KF

16 %

1,8 MF

257 KF

17 %

2,4 MF

384 KF

25 %

0

0

0

3,1 MF

620 KF

41 %

0

0

0 %

2,5 MF

400 KF

26 %

2,5 MF

400 KF

26 %



Ainsi les droits de mutation pour une succession sont trois fois plus élevés en France qu'en Allemagne, et près de deux fois plus élevés qu'au Royaume-Uni ou qu'en Italie. Par rapport à l'Allemagne, les droits de mutation concernant les donations sont 50% plus élevés. Mais au Royaume-Uni ou en Belgique, les transmissions préparées via une donation sont en fait pratiquement exonérées, sous réserve d'être suffisamment anticipées.

Les conséquences de ces différences fiscales sur l'emploi, la structure du tissu d'entreprises et sur la richesse du pays sont difficilement évaluables. Nous rappelons quelques constatations. Ainsi le poids de droits de mutation entraîne fréquemment une perte de contrôle des actionnaires familiaux, avec le risque de délocalisation à l'étranger de certains centres de décision. Cette situation concourt notamment à expliquer la relative faiblesse du nombre des entreprises moyennes indépendantes par rapport à l'Allemagne. De plus lorsque l'entreprise est en situation fragile, il est à craindre que ce choc des droits de mutation entraîne quelques dépôts de bilan.

- UNE FISCALITÉ DES MARQUES ET BREVETS PRÉOCCUPANTE

La France est le pays dont les marques sont le plus souvent copiées. C'est que bien souvent il e.c.st attribué aux produits français une grande valeur immatérielle : savoir-faire, image, estime,... Aussi beaucoup d'entreprises essaient-elles de se protéger contre ces falsifications et protègent systématiquement leurs « labels ». Chaque dépôt de marque représente un coût non négligeable pour ces firmes, car à chaque fois il faut déposer, pour une marque active, un certain nombre de marques « de protection ». Encore récemment les frais de dépôts de marques étaient considérés comme des charges déductibles.

Cependant un arrêt récent du Conseil d'Etat (arrêt du 31.01.97, dit "Saint-Gobain Vitrage International") vient de considérer que "les frais afférents aux demandes d'enregistrement de marques ne sont pas déductibles du résultat imposable." Cette décision risque de modifier radicalement la pratique jusqu'ici en vigueur. Or, dans la plupart des pays européens, il est possible de passer en charges ces dépenses et lorsque ce n'est pas le cas, de larges possibilités d'amortissement sont offertes, contrairement à la France. Etant donné l'importance de ces frais pour certaines entreprises françaises, il est à craindre qu'elles décident de délocaliser leurs centres de gestion des "labels", en créant une entité propriétaire des marques, pour remplacer celle existant en France. Cette nouvelle société aura alors comme revenus les redevances d'exploitation des marques et en charges les frais de gestion du personnel gérant les marques. Aussi, en plus des pertes d'emplois possibles, il est à craindre que cela génère un manque de ressources fiscales pour la France.

Il est à noter que la France vient également d'alourdir la fiscalité des cessions de brevets, puisque les plus-values dégagées sur ces cessions de brevets, considérées comme des plus-values à long terme, deviennent taxées au taux normal alors qu'elles étaient auparavant taxées au taux réduit. Cette modification est justifiée par le souci de ne pas encourager les entreprises à se déposséder de leur savoir-faire. Cependant nous avons vu dans le paragraphe précédent que l'arrêt du 21.01.97 incite les entreprises à accroître leur délocalisation de gestion des marques.

- CONCLUSION

Comme nous l'ont montré des études théoriques , des enquêtes de terrain et les entretiens que nous avons menés auprès de responsables de multinationales françaises, la fiscalité intervient dans la décision d'implantation de certaines fonctions de l'entreprise ("fonctions nomades") et à certains instants de la vie de la firme. Notre enquête a également mis en évidence des faiblesses de la politique fiscale française, à savoir son manque de clarté (multiplicité des autres taxes, variabilité de la pression fiscale) et le poids de certains impôts qui viennent fortement peser sur la décision d'implantation (taxe professionnelle, fiscalité des transmissions, incitations fiscales faibles pour le développement international). Ce qui ressort plus généralement, c'est que certaines mesures fiscales ont un impact largement plus négatif pour l'investisseur que ce qu'elles ne rapportent à l'Etat. C'est donc sur ces mesures particulières qu'il serait efficace d'agir de manière à favoriser l'implantation d'activités, donc d'emplois, en France.

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ANNEXE I

DÉBAT EN COMMISSION A L'OCCASION DE LA

PRÉSENTATION DE L'ÉTUDE


SÉANCE DU JEUDI 6 NOVEMBRE 1997

M. Michel Didier a tout d'abord rappelé en introduction que la fixation irrévocable des taux de change entre les pays de l'Union européenne dans six mois accentuerait la pression concurrentielle pesant sur les entreprises françaises. Il a souligné que face à l'enjeu de l'emploi, la persistance d'écarts importants dans les modes de formation des coûts, en raison des différences entre les systèmes de prélèvements obligatoires, risquait d'être un handicap pour la France.

Puis, il a indiqué que l'étude que son institut avait menée était fondée sur deux approches parallèles : dans une approche quantitative, l'institut a tenté, à partir de l'analyse des feuilles de paie des salariés d'entreprises situées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, de déterminer le ratio entre le coût brut pour l'entreprise d'un salarié et le salaire net dont dispose le salarié après paiement de toutes les cotisations sociales et de son impôt sur le revenu. Ce ratio, exprimé en pourcentage du salaire net final constitue ce que les économistes appellent le " coin socio-fiscal ". L'approche qualitative a consisté, sur la base d'entretiens avec des responsables d'entreprises, à évaluer l'impact de la fiscalité sur la localisation d'activité.

Après avoir rapidement survolé les systèmes fiscaux des trois pays étudiés et rappelé qu'avec un coin social de 60 % (dont 40 % de cotisations sociales à la charge de l'employeur contre 18 % pour le salarié), la France se situait devant l'Allemagne, dont le coin social atteint 54 % (dont 42 % de cotisations sociales pour l'employeur et pour le salarié), et loin devant le Royaume Uni (10 % pour l'employeur et 8 % pour le salarié), M. Michel Didier a présenté les six conclusions auxquelles était parvenu son institut :

- des trois pays étudiés, la France et l'Allemagne se distinguent nettement du Royaume Uni par le niveau plus élevé du coût total pour l'employeur correspondant à un même niveau de salaire net, in fine, pour l'employé ;

- la France se distingue des deux autres pays par un taux de charges fiscales et sociales pour l'employeur nettement plus fort ;

- l'impôt sur le revenu des personnes physiques est en revanche plus faible en France qu'en Allemagne et au Royaume Uni, mais le barème est plus progressif ;

- les charges payées par l'employeur sont nettement moins dégressives en fonction du salaire en France qu'en Allemagne et, dans une moindre mesure, qu'au Royaume-Uni ;

- l'exonération des charges sur les bas salaires introduit une forte progressivité des taux de charges patronales sur la tranche des salaires allant du SMIC à 30 % au dessus du SMIC ; il en résulte une faible incitation à augmenter les salaires dans le bas de l'échelle ;

- enfin, la combinaison d'un barème fiscal fortement progressif et de cotisations sociales élevées et peu dégressives conduit à un coin socio-fiscal plus fort en France qu'en Allemagne et au Royaume Uni pour les salaires relativement plus élevés.

Puis, M. Michel Didier a indiqué qu'il était fréquent de conclure qu'un coin socio-fiscal élevé risquait d'entraîner une perte de compétitivité dans la concurrence internationale. Il a rappelé qu'à cet égard, la France figurait parmi les pays où le coût horaire du travail était le plus élevé, à égalité avec les Pays-Bas et le Japon. Seule l'Allemagne se situe au dessus. Le Royaume Uni présente au contraire un coût du travail inférieur de 40 % à celui de la France.

M. Michel Didier a indiqué que la taxation perturbait l'équilibre du marché en introduisant un " coin " entre le prix d'offre (le salaire net reçu par le salarié) et le prix de demande (le coût du travail pour l'employeur) et pouvait expliquer la croissance du chômage en France. Il a cependant ajouté qu'il n'y avait pas de corrélation directe entre le coin socio-fiscal et le coût total du travail, compte tenu, d'une part, de la possibilité de réaliser des gains de productivité pour compenser toute augmentation des prélèvements obligatoires, et d'autre part, de l'élasticité variable du salaire net.

En effet, si l'obligation de payer instituée par le système des prélèvements obligatoires correspond exactement à la fonction d'utilité collective de la population, le salaire net s'adapte à la baisse de telle façon que le coût du travail reste inchangé pour l'employeur. A cet égard, les salaires nominaux français sont plus flexibles qu'en Allemagne, où l'élasticité du coût du travail aux cotisations patronales est unitaire, mais plus rigides qu'au Royaume Uni. Aux Etats-Unis, où le marché du travail est très flexible, l'augmentation des cotisations patronales n'affecte pas du tout le niveau des salaires réels.

Puis, soulignant l'évolution divergente des courbes du coût salarial moyen et du pouvoir d'achat (revenu net de cotisations et d'impôts) depuis 1970, M. Michel Didier a démontré que la succession de chocs à la hausse sur le coin socio-fiscal en France a contribué à la fois à l'accroissement du chômage et à la stagnation du pouvoir d'achat des salariés.

Il a conclu son propos introductif en indiquant que la dizaine d'entretiens conduits avec des responsables d'entreprises faisait apparaître que la fiscalité intervenait à certains moments privilégiés de la vie de l'entreprise, dans le choix de la localisation. Il a ajouté que certaines dispositions précises, particulièrement incitatives ou dissuasives, jouaient un rôle plus important que le poids global de la fiscalité. Enfin, la complexité et l'instabilité fiscale sont des éléments fortement dissuasifs de l'investissement.

Puis, il a cédé la parole à ses collaborateurs, Mlle Marie Chauvière et M. Alexandre Fur, pour présenter les conclusions détaillées des deux études.

S'appuyant sur le cas d'un salarié célibataire, Mlle Marie Chauvière a révélé que le coin socio-fiscal était plus élevé en Allemagne qu'en France pour des rémunérations mensuelles inférieures ou égales 40.000 francs. La France présente en particulier un coin socio-fiscal relativement plus faible pour les salaires proches du SMIC. En revanche, pour des rémunérations proches de 100.000 francs par mois, l'écart est plus important en France qu'en Allemagne. Elle a ajouté que les charges patronales étaient non seulement nettement plus élevées en France qu'en Allemagne et qu'au Royaume Uni, mais également peu dégressives par rapport aux deux autres pays étudiés. L'explication se trouve dans le fait qu'en Allemagne, la très grande partie des cotisations patronales sont plafonnées, alors qu'en France, sur un taux pour l'employeur de 40 %, un peu moins de la moitié est plafonnée. Enfin, elle a confirmé à l'aide de graphiques le faible poids de l'impôt sur le revenu dans le salaire brut en France.

Puis, M. Alexandre Fur a indiqué que toutes les fonctions de l'entreprise n'accordaient pas la même importance à la fiscalité dans leur stratégie d'implantation. Les fonctions les plus sensibles à ce critère sont en effet des activités en développement et de plus en plus " nomades " : centre de coordination, centre de services financiers, centre de gestion des marques et des brevets, lieux de stockage...

Parmi les éléments de la fiscalité qui dégradent le plus l'attractivité du territoire français, M. Alexandre Fur a évoqué la complexité de la fiscalité des entreprises. En effet, devant la multiplicité des impôts frappant les entreprises, les investisseurs étrangers ont tendance à surestimer le poids global de ces prélèvements, au détriment d'une implantation en France. En outre, le manque de stabilité de la fiscalité française accroît la prime de risque qui est associée à tout investissement.

Il a fait valoir que certains impôts spécifiques pesaient particulièrement sur le décision d'implantation en France. La taxe professionnelle, qui constitue désormais la principale charge fiscale sur les entreprises, est ainsi régulièrement citée comme un obstacle à l'investissement par les responsables d'entreprises, qui critiquent la très grande variabilité de ses taux et leur grande instabilité dans le temps. De même, la fiscalité des transmissions est jugée comme particulièrement déstabilisante.

Enfin, il a jugé préoccupante, l'évolution de la fiscalité des marques et des brevets. Un arrêt récent du Conseil d'Etat considère en effet ces éléments du patrimoine de l'entreprise comme des actifs incorporels et n'admet pas, en conséquence, la déductibilité des frais afférents à leur dépôt. En outre, les plus-values de cession de brevets sont désormais imposées au taux normal de l'impôt sur les sociétés. Il s'est en conséquence ému du risque de délocalisation des centres de gestion des marques et de la perte de ressources fiscales qu'un tel phénomène engendrerait pour la France.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a alors félicité les auteurs de l'étude en indiquant qu'elle constituerait un outil déterminant sur lequel la commission des finances fonderait désormais son argumentation en faveur de la convergence fiscale. Puis il a souhaité savoir si l'euro accroîtrait l'influence de la fiscalité sur les décisions de localisation des entreprises, s'il était possible de mesurer scientifiquement l'impact de la fiscalité sur les fonctions nomades de l'entreprise et s'il y avait une corrélation entre la fiscalité et le niveau de l'emploi.

M. Michel Didier a estimé en réponse que l'euro introduirait une vraie transparence des coûts et des prix en Europe, ce qui permettrait aux travailleurs d'effectuer des comparaisons et d'être plus mobiles. Il a indiqué que ses économistes pouvaient effectuer des études plus poussées pour mesurer la réactivité des contribuables aux différents impôts. S'agissant de la relation entre fiscalité et emploi, il a considéré que les chocs répétés à la hausse jouaient davantage contre l'emploi que le niveau absolu des prélèvements obligatoires. Il s'est ainsi ému du phénomène de " cliquet " qui fait que le chômage est rigide à la baisse. Enfin, il a jugé nécessaire de favoriser les subventions inconditionnelles plutôt que les aides fiscales conditionnelles, ces dernières étant par définition destinées au stock d'entreprises existantes et non aux activités nouvelles. En outre, leur financement pèse sur l'économie, au détriment du jaillissement d'entreprises et de richesses nouvelles.

M. Denis Badré s'est ensuite demandé si, dans la perspective d'une intégration des Etats européens par l'euro à l'image des Etats-Unis, les Etats conserveraient des marges de manoeuvre. Evoquant le succès de la TVA, invention française, auprès du reste du monde, il s'est demandé si la CSG aurait la même prospérité. Il a considéré que le caractère virtuel et " nomade " des nouvelles technologies enlevait toute pertinence à la notion de localisation des activités.

M. Philippe Adnot a nuancé les conclusions de l'étude de Rexecode en estimant qu'un système socio-fiscal devait être jaugé au regard de ses contreparties en termes de services collectifs. Il a considéré à cet égard que les services publics américains étaient sans rapport avec le poids de la fiscalité américaine. Il s'est ému de la lourdeur de la fiscalité des transmissions d'entreprises en France qui dépossédait de plus en plus de chefs d'entreprise au profit de financiers volatils dont les choix de localisation dépendent de considérations fiscales indépendantes de l'attache originelle de l'entreprise.

M. Jacques Oudin a également souhaité relativiser les propos des économistes de Rexecode en faisant valoir que l'excédent cumulé de la balance du commerce extérieur était un signe de la compétitivité de la France. Il a considéré que les délocalisations industrielles étaient facteur de mouvement et d'échanges avec la France, et qu'elles ne devaient pas être jugées aussi sévèrement. Evoquant la corrélation entre l'augmentation des prélèvements obligatoires et la perte d'assiette fiscale, il a estimé que les créateurs d'entreprise devaient être exonérés d'impôt pendant cinq ans.

Enfin, M. Christian Poncelet, président, a interrogé le directeur général de Rexecode sur les réformes de la fiscalité qui lui semblaient les plus urgentes à mettre en œuvre pour rétablir la compétitivité fiscale de la France.

S'agissant des Etats-Unis, M. Michel Didier a admis que des différences de fiscalité pouvaient exister entre les Etats mais a indiqué qu'une certaine harmonisation s'opérait. Il a considéré en conséquence que l'harmonisation de la fiscalité européenne devait s'étendre à d'autres impôts que la TVA. Il a rappelé que la CSG, classée jusqu'à présent parmi les cotisations sociales, était déplafonnée ce qui accroîtrait encore la divergence de la France par rapport aux autres Etats. Il a estimé que les entreprises de nouvelles technologies feraient apparaître de nouvelles formes de nomadisme, l'offre se créant instantanément là où le potentiel de consommation existe.

Répondant à M. Philippe Adnot, il a considéré que la contrepartie pour l'employeur du poids des cotisations patronales n'était pas immédiatement perceptible en termes de transferts ou de services collectifs rendus. De même, évoquant le problème des retraites, il a souligné que le système de répartition avait pour conséquence une absence de coïncidence entre les cotisants et les bénéficiaires du transfert.

Puis, M. Michel Didier a rappelé que le coin socio-fiscal était d'autant plus élevé que l'on se situait en haut de l'échelle des salaires, ce qui risquait de priver la France de ses travailleurs les plus qualifiés et les plus créateurs de richesses et d'emplois.

S'agissant de la transmission d'entreprises, il s'est montré plus sensible au poids des impôts pesant sur la succession qu'au problème de l'inclusion de l'outil de travail dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune. Face au nombre d'entreprises obligées de déposer leur bilan en raison de la lourdeur des taux, il s'est montré partisan d'un système de paiement qui soit compatible avec la survie de l'entreprise.

A M. Jacques Oudin, il a indiqué que l'excédent de la balance du commerce extérieur résultait du différentiel de croissance existant entre la France et ses concurrents. Il a estimé que le cumul d'une balance excédentaire et d'un fort taux de chômage était un signe de dysfonctionnement.

Enfin, M. Michel Didier a estimé que la poursuite de l'intégration européenne devait accompagner l'euro.

ANNEXE II

AUDITION DE M. MARIO MONTI, COMMISSAIRE

EUROPÉEN CHARGÉ DE LA FISCALITÉ


SÉANCE DU JEUDI 2 OCTOBRE 1997

M. Christian Poncelet, président, a salué la volonté de dialogue du commissaire européen et souligné le souci de la commission des finances de voir définies, dès à présent, les conditions de la réussite de l'euro, parmi lesquelles figure une approche cohérente des problèmes de fiscalité dans l'Union européenne.

Après avoir rappelé que le marché unique constituait l'axe central de l'intégration européenne que l'euro allait encore renforcer, M. Mario Monti a indiqué que le rôle des finances publiques comme instrument de politique économique sortirait accru de l'unification monétaire. Toutefois, a-t-il estimé, se produirait dans le même temps une intensification des tensions subies par les systèmes fiscaux, les écarts entre Etats membres devenant plus visibles et les tentations de faire jouer la concurrence fiscale s'accentuant. Il en a conclu qu'il était impératif de maîtriser la concurrence fiscale afin, en particulier, d'éviter ses effets nocifs en termes de "déformation" des systèmes fiscaux. Ayant estimé que la frontière entre une concurrence fiscale saine et une concurrence fiscale dommageable était floue, il a souligné que les phénomènes de délocalisations indues et de surtaxation du travail qui, d'ores et déjà, en étaient résultés, avaient exercé des effets négatifs. Il a illustré son propos en précisant qu'entre 1981 et 1995, le taux implicite de prélèvement sur le facteur immobile qu'est le travail avait crû de 34,9 à 42 %, tandis que ce même taux était passé, pour les autres facteurs, de 45,5 à 35 % et que 4 points du taux de chômage européen, qui s'élève à 10,6 %, pouvaient s'expliquer par ce phénomène de distorsion fiscale.

M. Mario Monti a alors rappelé que les progrès réalisés dans l'atténuation des distorsions fiscales au sein de l'Union européenne, avaient été, jusqu'à présent, très modestes, mais que le Conseil Ecofin du 13 septembre dernier, ainsi que la plus récente réunion du groupe de politique fiscale, qui réunit des représentants personnels des ministres des finances sur ce sujet, avaient permis des avancées significatives. Il a énuméré les quatre éléments principaux contenus dans la communication du groupe de politique fiscale adoptée le 1er octobre, soit :

- l'instauration d'un code de bonne conduite visant à la suppression de la concurrence fiscale dommageable en matière d'imposition des entreprises via un système d'informations mutuelles sur les régimes fiscaux dérogatoires, et l'instauration d'un gel de ces régimes, prélude à leur démantèlement ;

- le maintien d'un niveau minimum d'imposition de l'épargne des non-résidents ;

- la suppression des retenues à la source sur les paiements transfrontaliers d'intérêts et de redevances afin d'éliminer les entraves au développement des échanges et opérations transfrontaliers dans la perspective de l'achèvement du marché unique ;

- l'aménagement de certaines mesures concernant les impôts indirects à travers une réforme du statut du comité de la TVA, des mesures dans le domaine de la fiscalité indirecte des transports de passagers et de l'énergie et une amélioration du programme FISCALIS.

Ayant jugé que la voie choisie permettait de concilier les contraintes de la règle de vote à l'unanimité au sein du Conseil et la volonté exprimée par les Etats membres d'améliorer la coordination fiscale dans le respect du principe de subsidiarité, il s'est alors attaché à présenter les initiatives prises par la commission en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

A ce propos, M. Mario Monti a rappelé que le programme d'action adopté en juillet 1996 visait à ce que soit introduit un système commun de TVA fondé sur la taxation dans le pays d'origine à l'horizon de la fin de l'année 1999. Puis, il a énoncé les trois priorités retenues pour l'heure par la commission européenne :

- l'amélioration des conditions d'application du système actuel grâce à un renforcement de la coopération entre les administrations fiscales nationales que devrait favoriser la modification du statut du comité TVA, et le renforcement du programme FISCALIS ;

- la modernisation du système actuel lui-même avec, en particulier, une meilleure taxation des services internationaux tels que les télécommunications ou le commerce électronique et la mise en oeuvre de dispositions permettant de contrer une évolution jurisprudentielle inquiétante au terme de laquelle le champ d'application de la taxe s'était trouvé excessivement réduit.

Il a cependant tenu à rappeler qu'un changement de système continuait de s'imposer, estimant que la logique même du système en vigueur était à la base des problèmes de collecte, alors que le système à venir devrait, grâce à l'unicité du lieu de collecte et de dégrèvements, autoriser un meilleur contrôle des opérations taxables.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Alain Lambert, rapporteur général, a tout d'abord souligné les inquiétudes éprouvées par les Etats-membres devant le phénomène d'érosion fiscale et souhaité recueillir les explications apportées par la commission européenne à ce phénomène. Puis, il s'est demandé quels seraient les effets de l'euro sur la concurrence dans le marché intérieur, s'interrogeant sur la compatibilité d'un marché monétairement intégré avec le maintien d'écarts fiscaux significatifs. Il a également souhaité savoir quelles observations la commission formulait sur l'évolution moyenne de la fiscalité sur les entreprises et l'épargne en Europe, et si les projets de prélèvement à la source sur l'épargne avaient évolué. Enfin, il s'est inquiété des effets du nouveau régime de TVA sur la fraude, et a souhaité que le commissaire européen donne à la commission les grandes lignes de ce qui, à ses yeux, constituerait un système fiscal favorable à l'emploi.

En réponse, M. Mario Monti a estimé que l'érosion fiscale provenait partiellement du développement de l'économie souterraine, lui-même issu pour beaucoup de l'intensité de la pression fiscale, mais que la concurrence fiscale entre Etats-membres, jeu à somme non nulle, et, dans les faits, négative, l'expliquait également. Puis, il a considéré que l'achèvement du marché intérieur par la mise en oeuvre d'une monnaie unique se traduirait par une convergence fiscale, mais que des écarts résiduels pourraient perdurer, les coûts de transaction subsistant pour de nombreux biens. Il a observé que la tendance était en Europe à une baisse de la fiscalité sur les entreprises qui devenaient de plus en plus mobiles, indiquant malgré ce constat que la commission n'avait pas actuellement pour projet de suggérer l'instauration d'un taux minimum de l'impôt sur les sociétés. En revanche, a-t-il précisé, la commission est déterminée à éliminer les régimes spéciaux préférentiels exorbitants. Il a considéré que l'instauration d'un régime fiscal favorable à l'emploi supposait qu'un certain degré de coordination fiscale se manifeste pour aboutir à une répartition des prélèvements moins pénalisante pour le travail. Il a ajouté qu'à titre personnel, il entendait suggérer que les Etats membres soient autorisés à mettre en oeuvre des expérimentations comportant une taxation réduite d'un certain nombre d'activités de services à fort contenu en main-d'oeuvre.

M. Denis Badré s'est demandé si, compte tenu de l'importance de la part de la TVA dans les recettes des Etats, il ne convenait pas de "sanctuariser" ces recettes jusqu'à ce que la convergence réelle des Etats soit assurée.

Il a souhaité obtenir des précisions sur les mesures envisagées pour améliorer le régime transitoire de TVA sous l'angle de la réduction des distorsions de concurrence et des fraudes. Enfin, il a interrogé le commissaire européen sur l'appréciation qu'il portait sur la coopération entre les administrations fiscales nationales.

M. Philippe Marini a jugé essentiel que soit précisé le calendrier d'action de la commission en matière de coordination fiscale et s'est interrogé sur le devenir du projet concernant la société de droit européen.

Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est demandé de quelles contraintes serait assorti le code de bonne conduite évoqué par le commissaire et quel serait l'avenir des zones franches dans le contexte du processus d'harmonisation fiscale.

M. Emmanuel Hamel ayant estimé que les Etats avaient successivement perdu leur souveraineté budgétaire et leur souveraineté monétaire, a considéré que la coordination fiscale allait réduire leur pouvoir fiscal.

M. Maurice Schumann a tout d'abord contesté que l'espace économique européen ait eu des effets favorables sur l'emploi, puis a mis en doute l'idée que l'adoption de l'euro renforcerait la cohérence de cet espace, faisant valoir qu'à son terme celui-ci se trouverait, de fait, scindé entre les pays participants à l'euro et les autres. Il a enfin souligné les graves contradictions entre la nécessaire réduction de la pression fiscale, reconnue par la commission, et la condamnation par cette même commission du plan textile français dont les effets favorables sur l'emploi étaient manifestes.

M. Paul Loridant a voulu savoir quels étaient les fondements théoriques du changement du lieu d'imposition à la TVA et quelles mesures la commission entendait prendre pour traquer la fraude à la TVA et au budget communautaire.

M. Michel Charasse a tout d'abord encouragé la commission européenne à observer la plus grande prudence dans le domaine de l'harmonisation fiscale afin que ce processus n'affecte pas la souveraineté des Etats et, en particulier, les compétences des Parlements en matière fiscale. Puis, il a interrogé le commissaire européen sur le sort des impôts locaux et de la fiscalité affectée à la sécurité sociale dans le contexte de l'harmonisation fiscale en Europe. Il a, enfin, vivement souhaité que des progrès sensibles soient réalisés afin de lutter contre la fraude à la TVA.

M. Christian Poncelet, président, a souligné le caractère non contraignant du code de bonne conduite proposé par le groupe de politique fiscale et a rappelé l'exemple historique constitué par l'introduction d'une retenue à la source en Allemagne qui devrait inciter les pays membres de l'union européenne à travailler avec le plus grand sérieux à l'harmonisation fiscale en Europe.

En réponse, M. Mario Monti a d'abord admis que le code de bonne conduite ne serait pas contraignant, la souveraineté des Etats étant ainsi respectée, mais a fait observer qu'il serait politiquement délicat pour un Etat l'ayant adopté de s'y soustraire. Il a souhaité préciser qu'en la matière, la coordination lui paraissait garante de l'autonomie des Etats, la concurrence fiscale étant à terme destructrice de celle-ci.

Il a estimé que des domaines de la fiscalité relevant exclusivement des souverainetés nationales subsisteront toujours tel, par exemple, le degré de progressivité de l'impôt sur le revenu des personnes.

M. Michel Charasse a observé que l'impôt sur le revenu était aussi pour une large part un impôt sur les entreprises, dans la mesure où il incluait des bénéfices industriels et commerciaux.

S'agissant de l'euro, M. Mario Monti a considéré que sa réalisation conduirait inévitablement à une plus grande intégration fiscale entre Etats-membres.

M. Christian Poncelet, président, s'est alors inquiété des relations entre les Etats participant à l'euro et les Etats-membres demeurant en dehors de la monnaie unique, ces derniers lui apparaissant susceptibles d'être tentés par des dévaluations compétitives.

Le commissaire européen a relevé que les propositions faites par M. Thibault de Silguy pour renforcer le système monétaire européen (SME) avaient précisément pour objet d'obtenir un accord de change entre l'euro et les monnaies des Etats-membres qui ne participaient pas encore à l'euro.

S'agissant du plan textile, M. Mario Monti, après avoir souligné qu'il n'avait pas de compétence particulière sur ce sujet au sein de la commission européenne, a affirmé qu'il partageait néanmoins la difficile décision de rejet que celle-ci avait prise, se déclarant convaincu que les emplois créés par ce type d'aides étaient le plus souvent illusoires et entraînaient des destructions d'emplois dans d'autres secteurs de l'économie.

S'agissant des zones franches, le commissaire européen a confirmé que le code de bonne conduite s'appliquerait à celles qui auraient pour effet d'encourager la délocalisation d'activités particulièrement mobiles, tels les services financiers.

Evoquant les questions de calendrier, M. Mario Monti a préconisé l'intervention d'un accord politique sur les mesures de coordination fiscale et le code de bonne conduite avant la fin de 1997, ainsi que l'élaboration d'une directive sur la fiscalité de l'épargne dans les délais utiles, c'est-à-dire avant la réalisation de l'euro.

S'agissant du droit des sociétés, il s'est félicité que la présidence luxembourgeoise soit très attentive à cette question traitée au sein du conseil du marché intérieur et du conseil des affaires sociales, et a estimé que des progrès rapides étaient à espérer.

S'agissant de la TVA, M. Mario Monti a reconnu qu'il s'agissait d'une ressource si importante pour beaucoup d'Etats-membres qu'il convenait de laisser du temps et de ne pas forcer la convergence. Il a souligné que, pour cette raison, le programme de travail de la commission était très graduel, mais remarqué que certaines étapes intermédiaires pourraient être franchies sans nécessiter un accord sur le but final : simplifications et allégements des obligations dans le cadre des programmes SLIM et FISCALIS, changement de statut du comité TVA, renforcement de la coopération entre les administrations nationales.

Concernant l'importance de la TVA dans la structure des impôts, il a estimé que le principe de subsidiarité s'imposait sur ce point à la commission. Il a toutefois constaté la tendance commune à plusieurs Etats membres d'accroître les impôts indirects pour diminuer les impôts directs et les cotisations sociales, la France étant dans une situation très spécifique à cet égard.

S'agissant du fondement théorique du principe d'imposition à la TVA dans le pays d'origine, le commissaire européen a considéré que cette proposition de la commission reposait sur une vision simple du fonctionnement d'un marché unique et relevé que l'obligation faite actuellement aux entreprises de distinguer entre leurs ventes nationales et leurs ventes dans chacun des autres Etats-membres était facteur de coûts de gestion et de difficultés de contrôle.

S'agissant de la fraude à la TVA intracommunautaire, M. Mario Monti a affirmé que la commission agissait dans le cadre du programme FISCALIS. Il s'est déclaré convaincu que le système définitif de TVA offrirait moins de possibilités de fraudes que le système en vigueur.

M. Michel Charasse a objecté que le budget communautaire était déjà actuellement victime de fraudes portant sur les recettes assises sur une base TVA et que, tant que la commission n'aurait pas uniformisé les possibilités de contrôle et de vérification de manière à assurer une égalité de traitement entre les Etats-membres, le système de compensation inhérent au régime définitif de TVA ne serait pas fiable.

M. Mario Monti est convenu que l'exigence d'égalité de traitement entre les Etats-membres était très forte et valait bien au-delà des seules questions de TVA. Il a ainsi relevé que la fiabilité des statistiques nationales était également essentielle pour déterminer la qualification des Etats-membres à la monnaie unique ou le montant des contributions nationales au budget communautaire. Il a toutefois estimé que, la principale cause de fraude à la TVA intracommunautaire résidait dans la circulation de biens en exonération de taxes et que cette cause disparaîtrait avec le système définitif.

Enfin, en réponse à M. Christian Poncelet, président, et tout en avouant ne pas très bien connaître les particularités de la fiscalité locale française, le commissaire européen, a supposé que les mesures proposées concernant l'impôt sur les sociétés et la fiscalité de l'épargne ne concernaient pas, a priori, les collectivités locales.

ANNEXE III

ÉLÉMENTS DE MESURE DE LA COMPLEXITÉ FISCALE



 

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

PROJET DE LOI DE FINANCES Articles

117

109

134

119

83

102

110

90

131

135

132

128

113

93

113

139

PROJET DE LOI DE FINANCES Mesures d'application

19

21

35

26

19

18

15

17

44

34

69

20

23

18

31

31

Rapport général (pages)

210

244

420

400

360

380

370

630

800

930

910

950

980

850

1450

1680

PLFR Articles

66

21

27

28

45

34

50

61

70

61

102

118

52

77

59

 

PLFR Mesures d'application

15

1

5

5

15

6

10

12

15

24

23

19

8

20

12

 

CGI Articles créés

69

57

48

60

28

76

33

41

47

59

103

32

28

41

44

3

BOI (nombre de n°)

 
 
 
 
 
 

341

270

342

354

330

327

302

301

283

 

Compléments d'information :

(1) Rapport général : 1996 et 1997 inclus 730 pages environ du tome IV

(2) BOI : le nombre de pages est passé de 1200/1300 en 1988 à 1800/2000 en 1997

(3) CGI : Actuellement, il y a 2406 articles en vigueur. Depuis les années 1970, ce sont 7667 articles qui ont figuré ou qui figurent dans le CGI. La décomposition est la suivante :

2406 en vigueur

4214 modifiés

513 abrogés

107 transférés vers un autre article du cgi

214 périmés, c'est à dire devenus sans objet ou dont la fin a été programmée

186 substitués, c'est-à-dire remplacés par un autre texte

27 disjoints, c'est à dire transférés vers un autre code.


POUR UNE FISCALITE COMPETITIVE

AU SERVICE DE L'EMPLOI

A la demande de la Commission des finances du Sénat, l'institut Rexecode a réalisé une étude relative à l'incidence des charges fiscales et sociales sur la localisation d'activité. Fondée sur des observations collectées auprès de grandes firmes implantées dans plusieurs régions européennes, elle éclaire le rôle de la fiscalité dans les choix de localisation effectués par les entreprises, plus particulièrement pour les investissements dits "nomades". Elle souligne également que la complexité et l'instabilité fiscale sont fortement dissuasifs de l'investissement. Sur tous ces points, des progrès sont aussi nécessaires que possibles.

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