B. LES LIMITES DES MODÈLES
Les principales limites des modèles à l'analyse
des politiques de réduction du temps de travail résultent des
incertitudes relatives au lien entre durée légale et durée
effective du travail.
En effet, lorsque la
durée effective
du travail des
salariés à temps plein est supérieure à la
durée légale
, cette dernière joue le rôle
d'une "
force de rappel
" sur la durée effective en
raison du surcoût que représentent les
heures
supplémentaires
et de la référence que constitue la
durée légale du travail pour les négociations collectives.
Toutefois, la tendance de la durée effective à se rapprocher de
la durée légale est d'une intensité variable : la
durée du travail offerte moyenne s'était ainsi réduite en
1982 de près d'une heure en quelques mois, dans une conjoncture
dégradée, avec des effets décevants sur l'emploi.
Cependant, alors que la durée légale hebdomadaire avait
été fixée à 40 heures dès 1936, la
durée effective moyenne du travail n'a approché ce niveau
qu'à la fin des années 1970. La loi n'exerce en effet
"
qu'une influence indirecte sur la durée effective du travail
en fixant la durée légale, qui sert de référence
pour le calcul des heures supplémentaires, en imposant des plafonds pour
la durée effective journalière ou hebdomadaire du travail, ou en
limitant le volume total annuel des heures supplémentaires. Dans ce
cadre, les marges de variations des durées effectives demeurent
considérables
"
25(
*
)
.
Des simulations microéconomiques réalisées par la DARES
suggèrent que les directions d'entreprise et les représentants
des salariés pourraient chercher à
neutraliser
une
réduction de la durée légale du travail, en augmentant les
heures supplémentaires
ou en engageant des négociations
pour accroître l'horaire de travail des salariés à temps
partiel, notamment dans les services.
Plus généralement, la
dispersion
croissante des horaires
de travail (25 % des salariés disent travailler 39 heures,
35 % travailler moins et 40 % travailler plus), rendrait l'impact de
la baisse de la durée légale sur la
durée effective
particulièrement incertain.
Ainsi, les effets de l'abaissement à 35 heures par semaine de la
durée légale du travail annoncé par le Gouvernement
seraient très dépendants d'une éventuelle évolution
de la réglementation relative aux
heures supplémentaires
.
En effet, les salariés d'une entreprise assujettie à
l'abaissement de la durée légale à partir de l'an 2000,
pourraient a priori continuer de travailler 39 heures par semaine, sans autre
conséquence que la transformation des heures au-delà de la
35ème en " heures supplémentaires ", ce qui, dans
l'état actuel de la législation, en augmente de 25 % le
coût pour l'employeur. Au total, le coût nominal moyen du travail
serait ainsi accru de 2,56 %. Dans l'état actuel de la
réglementation, l'entreprise concernée devrait toutefois
solliciter, auprès de l'
inspection du travail
, une
dérogation pour dépasser le plafond annuel d'heures
supplémentaires, fixé à 130 heures par le
décret du 27 janvier 1982
26(
*
)
. D'une certaine manière, la
mise en œuvre de la réduction de la durée effective du
travail dans les entreprises qui pratiquent un horaire hebdomadaire moyen
supérieur ou égal à 37 heures ¾ (ce qui correspond
à 35 heures par semaine + 130 heures supplémentaires annuelles)
dépendrait donc des instructions données aux
directions
départementales du travail
.
Enfin, la réduction de la durée légale du travail pourrait
ralentir le développement du travail
à temps partiel
, ce
phénomène contribuant à en limiter les effets sur la
durée moyenne du travail et sur l'emploi. En effet, l'ordonnance du
26 mars 1982 a limité le champ juridique du travail à
temps partiel aux durées inférieures à 80 % de la
durée légale ou conventionnelle. Dans ces conditions, à
législation inchangée, l'abaissement de la durée
légale du travail à 35 heures retirerait le
bénéfice des aides au travail à temps partiel pour les
emplois d'une durée comprise entre 28 et 32 heures ; ceux-ci
pourraient alors être pour partie convertis en emplois à temps
plein.
Au total, les conséquences d'une réduction de la durée
légale du travail dépendent très largement de
l'évolution concomitante du droit du travail, de son champ d'application
et de ses
modalités pratiques
de mise en œuvre dans chaque
entreprise, c'est-à-dire de considérations
micro-économiques et sociales que les modèles ne peuvent
évidemment prévoir.
De surcroît, le fonctionnement des modèles macroéconomiques
est essentiellement linéaire, c'est-à-dire que les effets d'une
réduction de la durée effective du travail de 10 % y sont le
double de ceux d'une réduction de 5 % et la moitié de ceux
d'une réduction de 20 %, sans que des
effets de seuil
puissent être pris en compte.