A. LE SERVICE PUBLIC DU COURRIER : L'AÏEUL DES SERVICES PUBLICS DE LA VIE QUOTIDIENNE
A étudier l'histoire multiséculaire de la poste
en France
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*
)
votre rapporteur a
été frappé de constater qu'en prenant comme
critères les principes qui caractérisent aujourd'hui un service
public, le service du courrier était de facto le premier service public
du quotidien à avoir été institué en France.
En effet, que crée l'Assemblée nationale de la
IIe République naissante si ce n'est un service public au sens
contemporain du terme lorsque, le 24 août 1848, à
l'initiative d'Etienne Arago, elle décide que l'affranchissement
"
des lettres à destination du territoire métropolitain
et de l'Algérie serait fixé uniformément à
20 centimes pour la lettre simple jusqu'au poids de 7 grammes et
demi, à 40 centimes pour les lettres de 7 grammes et demi
à 15 grammes et à un franc jusqu'à 100 grammes,
avec un franc supplémentaire par 100 grammes d'excédent
"
?
Le service du courrier qui découle de cette décision
n'accomplit-il pas une
mission d'intérêt
général
? Ne respecte-t-il pas désormais les
principes
d'égalité
-tous ses usagers payent le même
prix pour une même catégorie d'envoi-,
d'universalité
-il est assuré quotidiennement sur l'ensemble du territoire depuis
que la Monarchie de Juillet l'a généralisé dans les
campagnes- et de
continuité
-il est assuré par des
fonctionnaires- qui, à l'époque, n'ont d'ailleurs pas le droit de
faire grève
45(
*
)
?
Quant au principe de
mutabilité
qu'ajoutent souvent certains
juristes à cette trilogie centrale pour exprimer l'obligation pour le
service de s'adapter aux circonstances et à l'évolution des
besoins, comment douter que le courrier y répond ? L'histoire de La
Poste n'en apporte-t-elle pas le témoignage flagrant ?
Ainsi, dès le milieu du siècle dernier, avant même que la
doctrine et la jurisprudence administratives soient amenées à
envisager de construire l'unité du droit administratif autour de la
notion de service public
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*
)
,
avant qu'on assiste à compter de la fin du
XIXè siècle à la multiplication -notamment au niveau
municipal- d'activités répondant à cette qualification,
bien avant
qu'avec la Libération, le service public devienne un
élément central de l'organisation économique et sociale du
pays, le service du courrier en exprimait l'idée à défaut
de la lettre.
Certes, en 1848, d'autres actions administratives correspondent
déjà à la conception que nous avons aujourd'hui du service
public. Songeons par exemple, à la Justice, voire aux missions de
maintien de la paix civile confiées à la police et à la
gendarmerie.
Cependant, à cette époque, ni le juge, ni le policier, ni
même le gendarme -très présent dans les campagnes-
n'occupent dans la vie quotidienne des Français une place
équivalente à celle du facteur. Les uns assurent des services
indispensables mais abstraits, marqués d'une image
répressive ; l'autre, caractérisé par la
serviabilité, accomplit une tâche concrète dont
l'utilité est directement perceptible.
En définitive, seul l'instituteur pourrait se comparer au facteur en ce
domaine. Mais, l'école publique, laïque et obligatoire ne sera
créée par Jules Ferry que plus d'un tiers de siècle
après la révolution postale de 1848.
Le service du courrier est donc indéniablement l'aïeul, toujours
alerte, des services publics de la vie courante.
Son droit d'aînesse ne joue d'ailleurs pas que sur ce terrain. En effet,
à l'époque -et de ce point de vue l'instauration
ultérieure de l'école publique ne changera rien-, La Poste est le
seul grand service d'Etat qui soit financé non par le produit anonyme
de l'impôt mais par le paiement d'un prix à la prestation.
En cela, elle se révèle l'alma mater de tous nos services
industriels et commerciaux d'Etat. Le télécommunicant, le gazier,
l'électricien, le cheminot ne le savent peut être plus, mais leur
grand ancêtre commun, c'est le postier.
Le courrier se révèle donc être aussi le coeur
historique du service public entrepreneurial.