3. Une exigence : une comptabilité analytique aux résultats invulnérables
Avec la personnalisation juridique que lui a conférée la loi du 2 juillet 1990, La Poste est passée d'une comptabilité administrative à une véritable comptabilité patrimoniale et analytique. Les méthodes d'affectation des charges suscitent cependant des critiques et les exigences du droit de la concurrence imposent à La Poste de s'y mettre à l'abri.
a) Des progrès ont été accomplis
La comptabilité se révélant une
synthèse de la vie de l'entreprise, on mesure l'importance du pas
franchi avec la mise en place du nouveau cadre comptable au
1er janvier 1991.
Désormais, l'article 29 du cahier des charges de La Poste lui
impose de tenir une comptabilité analytique ayant pour objet de mesurer
la contribution au résultat d'exploitation de ses activités
d'acheminement et de distribution du courrier, d'une part, et de ses
activités financières, d'autre part. Une telle
comptabilité "
doit permettre de procéder à des
analyses de coûts afin d'apprécier la contribution aux
résultats des différents produits ou activités ".
La Poste a réalisé des progrès considérables en
matière de gestion financière et comptable en six ans. Si bien
que les réserves émises par les commissaires aux comptes lors de
leur première certification ont été progressivement
levées. En 1996, pour la première fois, les comptes de La Poste
ont été certifiés sans réserve.
Dans son avis du 25 juillet 1996, le Conseil de la Concurrence
affirme que "
l'articulation entre la comptabilité analytique et
la comptabilité générale paraît très
complète. Le système appliqué par La Poste est celui d'une
comptabilité analytique en coûts complets réels. La
méthode de retraitement des charges est une méthode classique
[...]
.
La méthode paraît appliquée de façon
orthodoxe
".
b) Mais La Poste doit développer une comptabilité analytique aux résultats moins contestables
En dépit des progrès réalisés
et de sa qualité, la comptabilité analytique de La Poste
n'apparaît pas encore véritablement invulnérable. Elle
devra le devenir afin de répondre aux exigences du droit de la
concurrence, tant national que communautaire, ainsi qu'aux critiques de ses
compétiteurs.
Comme le souligne le Conseil de la Concurrence dans son avis
précité : "
La mise en place d'un système de
comptabilité analytique fiable et transparent et de comptes
généraux séparés est donc pour La Poste une
impérieuse nécessité
, dès lors que
coexistent en son sein deux types d'activités de nature
différente dont l'une d'elles est couverte par un monopole
public "
.
La nécessité de présenter des comptes
séparés a également été affirmée par
la Commission européenne, dans sa décision du
8 février 1995.
En outre, la proposition de directive postale impose aux prestataires du
service universel de tenir dans leur comptabilité interne des comptes
séparés (bilan et compte de résultat) pour chaque service
relevant du monopole et pour les services non réservés, et de
faire contrôler leurs comptes par une " entité " d'audit
indépendante.
Tant que La Poste n'aura pas clairement satisfait à ces obligations, ses
concurrents ne se priveront pas de déposer plaintes et recours
auprès des instances européenne et nationale compétentes.
Or, selon le Conseil de la Concurrence, l'examen de sa comptabilité
analytique soulève trois questions majeures :
- la répartition de l'imputation des frais de réseaux. Ces
charges ne font, à l'heure actuelle, pas l'objet d'imputation, ce qui
apparaît contestable aux yeux du Conseil ;
- la distinction entre coûts fixes et coûts variables en
fonction de l'activité, à laquelle il n'est pas
procédé
212(
*
)
;
- les conditions dans lesquelles le système de comptabilité
analytique pourrait permettre l'exercice du contrôle du respect des
règles de la concurrence. A cet égard, le Conseil relève
que l'exercice de ce contrôle "
présuppose au minimum une
analyse de coûts à usage externe que devrait effectuer La Poste
selon des normes précisées par l'autorité de tutelle dans
un cahier des charges ".
La Poste a mis au point des outils comptables sophistiqués et
performants. Ses faiblesses tiennent, en réalité, aux
problèmes liés notamment aux critères de
répartition des coûts du réseau entre activités sous
monopole et activités concurrentielles.
Avec l'adoption de la loi d'orientation postale souhaitée par le
présent rapport, la nécessité de clarifier les
modalités d'affectation des charges au sein de la comptabilité
analytique s'imposera encore plus nettement à La Poste.
En effet, pour définir le périmètre des activités
relevant du monopole et destinées à contribuer au financement des
missions de service public, il faudra bien pouvoir préciser les
coûts de ces dernières. Il serait pour le moins gênant de se
trouver en porte-à-faux à l'égard de la Commission
européenne si se révélaient des différences de
coût difficilement justifiables entre le service public français
et celui de nos voisins européens. Il ne conviendrait pas qu'une telle
faiblesse soit de nature à justifier une contraction du champ du
monopole (services réservés) par Bruxelles.
Une telle estimation s'avère difficile et risque d'être
contestée par les compétiteurs de La Poste sur les marchés
concurrentiels, qu'il s'agisse des services financiers ou des activités
courrier hors monopole. Elle sera également essentielle pour
l'opérateur public lui-même. Pour décider des modes de
compensation de ses charges d'aménagement du territoire, de guichet
social ou de transport de la presse, ne faut-il pas préalablement en
connaître le montant exact ? Or, on l'a vu, les évaluations
existantes en ce domaine prêtent pour le moins à discussion.
C'est pourquoi, votre Commission et votre groupe d'études encouragent
La Poste à poursuivre le perfectionnement des modes de calcul
utilisés par sa comptabilité analytique. Afin de rendre ces
derniers incontestables, ils proposent qu'il soit donné suite à
la suggestion du Conseil de la Concurrence de confier à
l'autorité de tutelle la détermination des normes permettant d'en
assurer les conditions de la transparence.
Mais, en définitive, le problème ne résulte-t-il pas du
fait que l'outil comptable, techniquement solide, serve en quelque sorte
à jeter un voile pudique sur " l'opacité " des
relations financières entre l'Etat et La Poste et à masquer le
fait que l'Etat se défausse sur elle de missions de service public dont
il ne compense que très imparfaitement la charge ?
Une clarification des relations entre l'opérateur public et l'Etat,
tiraillé entre son rôle d'autorité de tutelle -qui
exigerait qu'il donne à La Poste les moyens d'atteindre un
équilibre financier par métier- et son rôle
budgétaire qui ouvre son appétit financier, s'avère, on
l'a dit indispensable ?
Enfin, une fois l'approche normative établie par l'autorité de
tutelle et appliquée par La Poste, il lui restera à faire valider
ses comptes de façon à en garantir la fiabilité aux yeux
de tous. Au-delà, La Poste gagnerait à recourir à un audit
global, afin de bénéficier de conseils externes.