2. Son maintien est jugé indispensable, mais il ne garantit pas nécessairement une délivrance optimale de l'information à l'opinion
Nul n'imagine toutefois sa disparition ; les comptes
d'exploitation de beaucoup de titres n'y résisteraient pas.
Mais nombreux sont ceux qui soulignent sa relative inadaptation à
l'attente des abonnés. Les propos tenus sont même parfois
sévères : "
Un quotidien du matin se lit avec le
café du petit déjeuner, avant de partir au travail ou ne se lit
pas ; or, avec La Poste, il n'est pas rare qu'il arrive seulement à
12-13 heures, surtout en zone rurale ".
Ou encore
:
" Pour un hebdomadaire régional, lorsque la distribution a lieu
hors zone de postage, il est exceptionnel qu'il soit livré à
J + 1 ; la norme est d'ailleurs plus proche de J + 3, voir
J + 4 que de J + 2 ".
Ces délivrances tardives, inadaptées à la demande du
lectorat, rebutent les abonnés et ne favorisent pas les ventes. Or, dans
les régions, un journal local est souvent l'emblème du terroir ou
de la ville. Les provinciaux aiment leurs journaux : la preuve,
Ouest
France
le premier quotidien français est un quotidien
régional ! Là où un journal local est diffusé, il
joue toujours un rôle majeur dans l'animation de la vie
démocratique, même s'il n'est pas un titre politique. S'il
s'éteint, la ville moyenne où il était édité
ne se sent plus représentée comme avant ; il y a appauvrissement
de la vie locale ; il y a dépérissement d'un territoire.
En bref, le service postal à la presse ne paraît pas
répondre entièrement aux attentes ni de la profession ni des
lecteurs. Aurait-il oublié que, comme le disait Jean Miot,
Président de l'AFP :
" Les produits de presse sont les seuls
dont la date de péremption n'est pas le jour mais l'heure "
?
En outre, ce service postal ne semble pas vraiment correspondre, dans les
provinces françaises, au niveau de prestation que la presse
régionale semble en droit d'exiger d'un opérateur national
chargé de participer à l'aménagement des territoires.
Deuxième paradoxe !
3. Elle ne répond plus aux ambitions politiques qui l'ont inspirée mais n'obéit pas pour autant à la rationalité économique
En 1796, comme à la Libération, en organisant
l'aide à la distribution de la presse, le législateur ne
poursuivait pas d'autre objectif que celui de favoriser la diffusion des
idées et des faits pour mieux éclairer le citoyen dans ses choix
politiques. Rappelons-nous les propos tenus par Boissy d'Anglas à la
tribune du Parlement en 1796 : "
La Révolution française
est, (...) née du progrès et du développement des
lumières accélérés par l'imprimerie. (...) La
circulation des lumières est maintenant aussi nécessaire parmi
nous que la circulation de l'air ... "
.
193(
*
)
Il ne s'agissait donc, dans l'esprit des " pères
fondateurs ",
que de soutenir
la presse d'opinion
. Qui aujourd'hui ne
considérerait pas un tel soutien comme indispensable à
l'expression démocratique ? Fort peu, à n'en pas douter. Mais
est-on certain que beaucoup jugeraient raisonnable que ce soutien
-alimenté par les impôts des contribuables et le service public
postal- bénéficie à des revues de jeux, de cuisine ou de
tricot, voire même -semble-t-il- à des catalogues de la VPC ?
Le soutien public à la distribution du
"
J'accuse
"
publié par Zola à la une de l'Aurore a, en quelque sorte,
été étendu au "
J'éclaire mon salon
à l'halogène
" des pages intérieures d'un mensuel
de décoration bien connu. C'est peu de dire que les
" lumières " évoquées par Boissy d'Anglas devant
le Conseil des Anciens ne brillent plus comme en 1796 !
Cette dilution de l'aide à la presse d'opinion dans un soutien
général et banalisé à la presse ne paraît pas
présenter un intérêt évident pour la
démocratie. Obéit-elle pour autant à une logique
économique ? On peut tellement en douter que d'aucuns inclinent
même à penser que, sous sa forme actuelle, l'aide postale à
la presse tend à s'opposer à l'atteinte de l'optimum
économique par une partie du secteur.
Selon eux, les subventions massives à l'acheminement postal faussent
complètement l'arbitrage économique des éditeurs car elles
rendent, par comparaison, inabordables d'autres formes de livraison à
domicile, tel que le portage des journaux, qui dans certains cas -quotidiens
diffusés dans des zones à densité démographique
forte ou moyenne- constitueraient un vecteur bien plus efficace de
pénétration commerciale et de fidélisation de la
clientèle.
Dans le droit fil de cette thèse, certains éditeurs souhaitent
d'ailleurs établir une relation commerciale de droit commun avec La
Poste, jugeant que leur poids dans la diffusion postale devrait leur permettre
de négocier des tarifs plus favorables que ceux résultant d'un
barême de prix qui n'autorise pas de distinction fondée sur
l'importance des envois.
Pour les tenants de cette thèse, non seulement l'aide à la presse
coûterait cher à La Poste, mais, en définitive, elle
coûterait également très cher à la presse.
Troisième paradoxe !