3. Vers une poste sociale à deux vitesses ?
Quoique La Poste ait toujours recouru à des
auxiliaires, depuis le vote de la loi " Quilès " de 1990, le
recrutement des salariés qui ne relèvent plus du statut de
fonctionnaire mais du droit du travail s'est à la fois accentué
et diversifié. Le nombre de ces " contractuels " a atteint
61.340 personnes
au 31 décembre 1996, selon le
Bilan social
de La Poste, soit une légère réduction
de 2 % par rapport à 1995, après une forte hausse
(+ 16 %) en 1995, (notamment à cause des grèves). En
1996, les contractuels représentent donc près du
cinquième des personnels de La Poste.
L'effectif important des personnels soumis au droit du travail justifie que
l'on s'attarde sur leur situation. Les
61.340 contractuels
dénombrés au 31 décembre 1996
,
étaient embauchés pour 32 % en CDD
121(
*
)
(19.764 personnes), pour
59 % en CDI
122(
*
)
(36.258 personnes) et pour quelque 9 % en tant que titulaires d'un
CDII
123(
*
)
(soit
5.318 personnes).
Ces contractuels consituent une catégorie du personnel qui
présente quelques caractères spécifiques. On
constate
124(
*
)
, notamment, que
97 % d'entre eux appartiennent au personnel d'exécution et que,
parmi les contractuels employés dans des tâches
d'exécution, 75 % sont des femmes
.
Aujourd'hui, la rémunération mensuelle moyenne nette du
personnel d'exécution fonctionnaire -soit 8.981 francs- est
supérieure de 39 % à celle du personnel d'exécution
contractuel employé aux mêmes tâches, qui n'atteint que
6.427 francs
125(
*
)
. Peut-on
déduire de cette comparaison que les contractuels seraient, à
travail égal, moins bien rémunérés que leurs
collègues bénéficiant du statut de fonctionnaire ? Votre
rapporteur s'interroge.
En tout cas, ce qui est sûr, c'est que dans l'état actuel des
choses et malgré les efforts accomplis pour limiter ce
phénomène, les contractuels n'ont guère de perspectives de
carrière ni souvent de véritable visibilité d'emploi. On
peut citer, par exemple, le cas d'un titulaire d'un CDII qui, travaillant
depuis vingt ans à La Poste, a expérimenté successivement
la situation d'auxiliaire de l'administration pendant seize ans, de titulaire
d'un CDD pendant deux ans, puis de titulaire d'un CDII depuis deux ans. Au bout
de vingt ans, cette personne travaille 1.000 heures par an à La
Poste, soit un peu plus de 20 heures par semaine en moyenne. Son parcours
professionnel est retracé dans le tableau suivant.
VINGT ANS DE TRAVAIL CONTRACTUEL A LA POSTE 1977-1997 :
1977-1980 Auxiliaire (remplacements ponctuels)
1980-1987 Auxiliaire - Remplacement, 140 heures par mois
1987-1992 Auxiliaire - Remplacement, 125 heures 50 par mois
1993 Auxiliaire - Remplacement successivement à 130 heures par
mois, 169 heures par mois et à 86 heures par mois
1994 Contrat à durée déterminée, 78 heures par
mois
1995 Contrat à durée déterminée, 162 heures 50 par
mois
1996 Contrat à durée indéterminée intermittent,
1.200 heures
par an (soit 25 heures par semaine)
depuis 1997 Contrat à durée indéterminée
intermittent, 1.000 heures
par an (soit 21,27 heures par semaine)
Aux termes de l'article L. 122-1 du code du travail, le recours au CDD est
limité au remplacement d'un salarié, à un accroissement
temporaire de l'activité ou aux variations inhérentes à la
nature des activités de l'entreprise.
L'imprévisibilité de la situation qui en est
résultée pour certains titulaires de CDD est patente, comme le
montre le cas de cette salariée embauchée en CDD pour deux ou
trois jours par semaine et qui ne peut pas être rappelée par
La Poste tant que ne s'est pas écoulé le tiers du temps
travaillé durant le dernier contrat
126(
*
)
, ou encore celui de cette personne
qui indiquait avoir travaillé, de CDD en CDD, pendant six ans, en
étant parfois appelée à la dernière minute et sans
pourtant bénéficier d'un droit à l'ancienneté, du
bénéfice d'une mutation ou d'un plan de carrière, si
modeste soit-il.
La parcellisation du temps de travail des CDD et des CDI est frappante.
Un
tiers des
37.261 CDII et CDD, soit 10.416
personnes
travaillent moins de 10 heures par semaine
. Ce travail s'effectue le
plus souvent en renfort, aux heures de pointe.
Pour remédier à cette situation, La Poste a signé, le
12 juillet 1996, un accord d'entreprise destiné à augmenter
la durée minimale annuelle de travail des agents sous CDII jusqu'au
minimum de 800 heures par an ou 200 heures par trimestre, ce qui permet -enfin-
aux salariés concernés de bénéficier des
prestations maladie, maternité, invalidité, décès,
prévues par l'article R.313-3 du code de la sécurité
sociale.
La fragilisation de la situation juridique et sociale des salariés
liés à La Poste par un CDD ou un CDII n'est pas
étrangère à l'accroissement du nombre de contentieux
devant la juridiction prud'homale.
Il est vraisemblable que cette situation s'explique en partie par des
difficultés rencontrées par La Poste dans la gestion de ses
personnels contractuels. Familiers du droit de la fonction publique, nombre de
responsables locaux ont mis du temps à s'habituer aux normes du code du
travail. On peut toutefois s'étonner qu'avec le temps, la situation ne
semble pas tendre à s'améliorer.
Alors le problème n'a-t-il pas des racines plus profondes ? Quand dans
les forums de discussion avec les postiers votre rapporteur abordait ce sujet,
il lui a presque toujours -tout au moins dans un premier temps-
été répondu par un silence " assourdissant ". On
peut certes penser qu'un tel silence sera, à la longue, dissipé
par des mesures concrètes de rationalisation de la gestion des
contractuels. Mais ne doit-on pas aussi se poser quelques questions ? A savoir
:
- La Poste pourrait-elle faire face à ses batailles de demain avec
des personnels relevant presque exclusivement du statut de la fonction
publique, eu égard à la conception rigide qu'ont certains de ce
statut ?
- Peut-on oublier que ce statut ouvre des droits qu'il ne convient en
aucun cas de remettre en cause mais aussi des devoirs, parmi lesquels celui de
participer à l'adaptabilité du service public, qui est un des
grands principes sur lequel repose cette notion dans notre droit ?
- Peut-on être fier d'un système social souvent mis en
exergue et qui ne se limite pas à La Poste, où la majorité
a beaucoup de droits et la minorité fort peu ?
- Ne peut-on pas, au nom de l'idéal de solidarité qui
inspire nos valeurs républicaines, nourrir l'ambition d'un partage plus
équitable ?
- Peut-on espérer un jour, dans notre pays, briser le
" silence assourdissant " qu'on entend après avoir posé
de telles questions ?
Si le présent rapport pouvait -ne fût-ce qu'à la marge-
contribuer à ouvrir le dialogue sur ces sujet " tabous ",
votre rapporteur considérerait qu'il n'a pas été inutile.