CHAPITRE
III -
QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LA FRANCE ?
Il serait déraisonnable de vouloir reproduire trait pour trait en France le système américain d'aide aux PME qui vient d'être décrit. Proposer par exemple la création d'une " SBA à la française ", qui serait une sorte de super-agence se superposant aux structures existantes, ne ferait sans doute qu'alourdir le dispositif de soutien aux PME françaises, sans en accroître l'efficacité. Dans ce domaine, mieux vaut rechercher une coordination accrue des acteurs plutôt que la création de nouvelles structures.
L'exemple américain est cependant riche d'enseignements. Votre commission souhaite mettre l'accent sur les plus importants d'entre eux, en formulant cinq propositions pour améliorer l'aide française aux PME.
ouvrir DAVANTAGE les marchés publics aux pme
Le code des marchés publics doit être modifié pour que les PME bénéficient d'une plus grande part des achats des administrations.
CHANGER LES Règles pour permettre un MEILLEUR accès des pme à la commande publique
La réforme du code des marchés publics doit être entamée
Une modification souhaitée par de nombreux acteurs
Les élus locaux le constatent chaque jour : le code des marchés publics doit être modernisé.
La nécessité de cette réforme, annoncée par le Premier ministre du Gouvernement précédent, lors de la présentation du " plan PME pour la France " en novembre 1995, a été soulignée par le rapport de notre collègue député M. Alfred Trassy-Paillogues, remis au Premier ministre en mars 1996.
La consultation [20] de toutes les collectivités locales par le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur à l'été 1996, la concertation avec les fédérations professionnelles du bâtiment et des travaux publics, la consultation de la commission centrale des marchés, dans sa formation élargie à l'ensemble des fédérations professionnelles et des fédérations d'élus, ainsi que l'avis du Conseil de la concurrence du 5 mars 1997, n'ont fait que conforter l'idée de la nécessité d'une modification des règles de passation des marchés publics. Les objectifs de simplification des procédures et de redéfinition des critères de choix sont, en effet, partagés par de nombreux acteurs.
Un projet qu'il ne faut pas abandonner
Le Conseil des ministres du 20 mars 1997 a adopté un projet de loi portant réforme du code des marchés publics, qui a été déposé à l'Assemblée nationale au cours de la Xe législature. Le texte proposé tendait à simplifier et à clarifier le code, à définir des critères de choix autour du " meilleur achat " et non plus du " moins disant ", à étendre en les modifiant les règles de mise en concurrence et à permettre à l'acheteur de déceler les offres anormalement basses.
Ce projet de texte comportait aussi de nombreuses autres dispositions ayant pour objectif de faciliter l'accès des PME aux marchés publics et de leur assurer un cadre juridique et économique plus protecteur, qui sont résumées dans l'encadré suivant :
EFFETS ATTENDUS POUR LES PME DU PROJET
DE RÉFORME
DES MARCHÉS PUBLICS
(projet de loi n° 3462,
Assemblée nationale, Xe législature)
1. UN ACCÈS PLUS FACILE À LA COMMANDE PUBLIQUE
• meilleure expression des besoins par la personne publique
Une amélioration de la rédaction des cahiers des charges rendraient les marchés plus accessibles aux PME, puisque le travail d'analyse serait reporté sur le maître d'ouvrage.
• allotissement
L'allotissement, c'est à dire le fractionnement d'un marché en plusieurs entités , est favorisé, quand bien même il relève d'une appréciation discrétionnaire de la personne publique. Il est mentionné par la loi elle-même.
• variantes techniques ou économiques
Les capacités d'innovation des PME ou leur souplesse d'adaptation trouveront à s'exprimer à chaque fois que la personne publique n'aura pas exclu explicitement dans son règlement de consultation la possibilité de présenter des offres en variante technique ou économique (contrairement au droit actuel qui rend irrecevable une offre comportant une variante non autorisée par la personne publique).
2. UN FORMALISME ALLÉGÉ
• état annuel
Pour accéder à la commande publique, une entreprise doit produire des certificats émanant des services fiscaux et sociaux attestant du respect des obligations légales de déclaration et de versement des taxes, impôts, cotisations. La mise en place à partir de janvier 1996 d'un document unique dénommé " état annuel des certificats reçus " a déjà permis un allégement considérable des formalités nécessaires aux entreprises puisqu'elles n'ont plus qu'un seul document à produire, une fois par an, les différents certificats afin que le trésorier-payeur général leur délivre " l'état annuel " sur production de ces certificats.
Son actuellement en cours d'expertise les modalités selon lesquelles le trésorier-payeur général pourrait s'assurer directement de la situation de l'entreprise en vue de lui délivrer le document dénommé " état annuel des certificats reçus ".
• rattrapage d'erreurs matérielles, pour les appels d'offres
Alors qu'aujourd'hui, une entreprise qui a oublié de joindre une pièce justificative à sa candidature se trouve de ce seul fait éliminée, le projet de loi permet de rattraper tout oubli en autorisant les personnes publiques à demander la communication du ou des documents manquants avant que la commission des marchés ne prenne connaissance des offres et ne choisisse l'attributaire.
3. DES MESURES PLUS PROTECTRICES
• sous-traitance
Les dispositions permettant aux personnes publiques de s'assurer, notamment au moment du dépôt des candidatures ou de remise des offres, des conditions d'exécution de la prestation et plus particulièrement des conditions d'intervention des sous-traitants , sont de nature à protéger ces derniers des exigences, notamment financières, de leur donneur d'ordre, en instaurant une transparence des négociations entre le donneur d'ordre et le sous-traitant.
Les garanties de paiement direct par la personne publique des sous-traitants de premier rang sont réaffirmées ; le code des marchés prévoira, par ailleurs, les mesures permettant de garantir le paiement des autres sous-traitants par constitution d'une caution de leur donneur d'ordre .
• garanties de paiement
a) raccourcir les délais réglementaires et sécuriser les procédures :
- le délai de mandatement des collectivités locales est aligné progressivement sur celui de l'État et a réduit de 45 à 35 jours ;
- en l'absence de date certaine de réception de la facture permettant en cas de retard de calculer les intérêts moratoires, cette date sera fixée par défaut à la date de la facture augmentée de deux jours ;
b) développer les dispositifs de " quasi règlement global " :
- extension aux fournisseurs des collectivités locales de la possibilité de choisir un paiement par la " lettre de change relevé " ;
- allégement du mécanisme de la lettre de change relevé ;
- pour les collectivités ayant signé une convention de règlement avec le comptable public, indication dans le marché du délai de règlement de référence ;
c) assurer le paiement effectif des intérêts moratoires, sans démarche des entreprises :
- par la mise en oeuvre d'une " date certaine " par défaut, il n'y aura plus de débat sur le point de départ du calcul des intérêts moratoires , en cas de retard de paiement ;
- par l'amélioration du mécanisme d'intervention du préfet en cas d'absence de versement des intérêts moratoires, l'entreprise pourra bénéficier dans un délai n'excédant pas 30 jours (au lieu de 65 actuellement), des intérêts qui lui sont dus sans démarche de sa part .
Source : dossier de présentation du projet de loi.
Ces dispositions figuraient donc dans le projet de loi n° 3462 déposé à l'Assemblée nationale au cours de la Xe législature. Votre commission estime qu'elles mériteraient d'être reprises car elles vont dans le bon sens . Il faut cependant aller plus loin pour offrir aux PME un meilleur accès aux marchés publics.
Les voies d'une plus grande ouverture des marchés publics aux petites entreprises doivent être explorées
Il est souhaitable de mettre en place un cadre juridique qui permette d'attribuer plus de marchés publics aux petites entreprises.
Les textes doivent permettre une " préférence PME " pour les marchés publics
A l'image du système américain, certains marchés publics doivent pouvoir être " mis de côté " pour les PME.
Cet accès préférentiel peut prendre plusieurs formes. On peut envisager, ainsi, que certains marchés soient réservés en totalité aux PME , par exemple s'ils sont d'un montant inférieur à une certaine limite. Cette hypothèse n'est pas techniquement irréalisable puisqu'elle est déjà mise en pratique aux États-Unis pour les contrats d'un montant inférieur à 100.000 $.
Cette préférence ne doit pas exclure totalement la concurrence
La mise en place d'un accès préférentiel pour les PME ne signifie pas l'absence totale de concurrence. Simplement, la mise en concurrence, dont les modalités pourront dépendre du montant financier du marché, sera limitée aux PME.
Dans le cas où aucune PME ne présenterait d'offre compétitive, le marché pourrait être attribué selon la procédure normale, non discriminatoire.
Un dispositif à coordonner avec le droit communautaire
Il ressort des textes et des premiers contacts informels établis par votre rapporteur avec les services de la Commission européenne, que la transposition en droit français du système américain de " marchés réservés " aux PME, ne serait pas compatible avec le droit européen actuellement en vigueur, qui n'autorise pas une telle discrimination dans l'accès à la commande publique [21] .
En effet, le cadre juridique des marchés publics français est étroitement enserré dans celui des directives européennes qui ont été adoptées sur ce sujet. Depuis 1971, de nombreuses directives sur les marchés publics sont intervenues qui, dans la perspective de la construction du marché unique, ont poursuivi un même objectif : éviter la discrimination des candidats aux marchés publics en raison de leur nationalité. Elles ont progressivement réglementé l'ensemble des marchés [22] . Un tableau fourni en annexe rappelle les différents textes adoptés par le Conseil européen, qui ont tous été transposés à ce jour en droit national.
Rappelons toutefois que les seuils d'application des directives européennes sont élevés, comme l'indique le tableau suivant :
SEUILS D'APPLICATION DES DIRECTIVES
COMMUNAUTAIRES
(ARRÊTÉ DU 25 FÉVRIER 1996)
Marchés de travaux | Marchés de services et de fournitures | ||
État et établissement publics nationaux administratifs |
5.000.000 ECUS 32.900.000 francs |
130.000 DTS* 900.000 francs |
|
Collectivités territoriales et établissements publics locaux administratifs |
5.000.000 ECUS 32.900.000 francs |
200.000 ECUS 1. 300.000 francs |
* Droits de tirage spéciaux
Les modalités de la mise en place d'une législation française qui concernerait les marchés publics dont le montant est inférieur aux seuils communautaires, et qui serait plus favorable aux PME qu'aux autres entreprises, peuvent donc éventuellement être envisagées. Cette législation devrait toutefois respecter le traité instituant la communauté européenne.
En outre, la France pourrait proposer à ses partenaires européens d'instaurer la possibilité d'une " préférence PME " dans une directive européenne.
Une réforme qui nécessitera sans doute une définition plus précise des " petites entreprises "
Favoriser les PME dans l'accès à la commande publique implique que soit définies les entreprises éligibles à cette politique volontariste.
Des critères plus nombreux
Aujourd'hui, en France, sont considérées comme PME toutes les entreprises de moins de 500 personnes. Si cet unique critère était conservé, les grandes entreprises n'auraient qu'à filialiser certaines de leurs activités pour accéder aux marchés qui devraient théoriquement être réservés aux PME.
Il faut donc fixer des critères plus nombreux, permettant une définition plus précise, qui cumulent le montant du chiffre d'affaires, l'effectif et la détention du capital, et ce, secteur par secteur. Cette définition pourrait s'appuyer sur les deux critères retenus aux États-Unis par le Small Business Act comme définissant de la petite entreprise : l'indépendance et l'absence de position dominante.
Une mise en oeuvre par le ministère des PME
Une équipe, située de préférence au sein du ministère des petites entreprises, serait chargée de la définition de standards de taille par secteur d'activité. Si une entreprise remplit les critères ainsi déterminés, elle est considérée comme une PME, apte à concourir pour les marchés publics réservés.
Mais avant même de proposer exclusivement aux PME certains marchés, il convient de changer les rapports entre pouvoirs adjudicateurs et petites entreprises.
Inciter les administrations à attribuer leurs marchés aux pme
Des statistiques dignes de ce nom
Il n'existe pas à la connaissance de votre rapporteur [23] , de statistiques globales permettant de connaître exactement le montant et le nombre des marchés publics que passent chaque année les entreprises de moins de 500 personnes avec l'État et les collectivités locales.
Les seules données chiffrées qui existent ne sont pas exhaustives et résultent d'enquêtes diverses effectuées plus souvent par les services eux-mêmes.
Votre commission souhaite qu'un état statistique précis des marchés publics obtenus par les PME soit dressé .
Cette proposition serait, d'après les services du Ministère de l'Économie techniquement réalisable depuis 1994, puisque désormais le numéro " SIRENE " des entreprises attributaires des marchés figure dans la " fiche de recensement " dudit marché, ce qui permet, par croisement de ces fiches et des renseignements contenus dans le fichier " SIRENE " de l'INSEE, d'avoir une indication plus précise du profil des entreprises attributaires.
Des objectifs annuels
Sur le modèle américain, un objectif annuel d'attribution de marchés publics à des PME pourrait être fixé à chaque administration de l'État. Il ne s'agirait pas d'un quota impératif mais plutôt d'un chiffre indicatif, réaliste, que chaque acheteur public se doit d'atteindre, compte tenu du volume total de ses achats annuels et de la nature de son activité.
On pourrait également inscrire dans une " loi d'orientation pour les PME " un objectif global de marchés publics devant être attribués aux PME par l'ensemble des administrations, en plus des objectifs annuels fixés administration par administration.
Un rapport annuel sur l'État des PME présenté au Parlement
Les administrations doivent être vraiment impliquées dans la démarche d'ouverture des marchés publics aux petites entreprises. Afin de les responsabiliser face à cet enjeu et de permettre un contrôle des efforts effectués par la représentation nationale, votre commission vous propose qu'un rapport du Gouvernement soit présenté chaque année au Parlement sur " L'état des PME ", retraçant les résultats obtenus, administration par administration. Ce rapport pourrait être présenté à l'ouverture du débat budgétaire. Il reprendrait toutes les statistiques disponibles sur les petites entreprises, à l'image du rapport présenté chaque année par le Président américain au Congrès.
Notons que le Gouvernement présente déjà, conformément à l'article 106 de la loi de finances pour 1996, un rapport annexe au projet de loi de finances (un " jaune " budgétaire) retraçant l'effort financier de l'État en faveur des petites et moyennes entreprises. Ces données devraient également figurer dans le rapport sur " L'État des PME ".
Ce rapport annuel serait élaboré par la " cellule de défense des petites entreprises " que votre commission vous propose de créer au sein du ministère des PME.