CHAPITRE II
UNE NATION EXPORTATRICE POUR QUOI FAIRE ?
La France, quatrième exportateur mondial de biens et deuxième exportateur mondial de services, se trouve totalement engagée dans le mouvement d'internationalisation des échanges. Cette réalité soulève cependant des interrogations sur la portée bénéfique des excédents commerciaux que notre économie dégage depuis 1992, notamment au regard de l'emploi.
I. FRANC FORT ET EXCEDENT COMMERCIAL : UN "CERCLE VERTUEUX" A L'ALLEMANDE ?
Les dernières années semblent en effet voir
émerger en France un processus monétaire et commercial comparable
en bien des points à celui qui caractérise l'Allemagne.
Sortant d'une longue période de déficits commerciaux, notre
économie a renoué, depuis quatre ans, avec des excédents
dont peu d'observateurs auraient prédit il y a quelques années
qu'ils pouvaient atteindre un niveau aussi élevé.
Cette évolution, bien loin d'être simplement conjoncturelle est la
traduction d'une véritable "révolution" du modèle
économique qui a longtemps été le nôtre.
A. UNE TRANSITION DIFFICILE
Depuis plus d'une douzaine d'années , notre pays s'est en effet engagé dans un long processus de rétablissement d'une monnaie forte et de restauration de l'équilibre de notre commerce extérieur. Cette "course de fond", que représente le desserrement de la contrainte extérieure, a constitué une douloureuse transition, dont notre économie est encore loin de profiter pleinement.
1. La douloureuse sortie du cycle déficit
commercial/
dévaluation
Si l'accumulation d'excédents commerciaux ne constitue
pas une fin en soi,
le déficit persistant de nos échanges a
longtemps constitué une redoutable contrainte pour notre politique
économique, dans la mesure où toute accélération de
la croissance creusait un déficit commercial qui entraînait
lui-même des effets indirects négatifs pour l'emploi
.
Jusqu'au seuil des années 1990, notre économie se
caractérisait par l'enchaînement "pervers" des dévaluations
et des déficits commerciaux, dont le déséquilibre a
atteint 50 milliards de francs en 1990.
La sortie de ce cycle s'est avérée douloureuse pour notre pays,
puisque pendant la période où s'opérait le changement de
modèle, l'économie française a, en quelque sorte,
cumulé un certain nombre d'inconvénients.
Au cours de cette période, le choix de la politique, dite de
"désinflation compétitive" liée à celle du franc
fort résulte très largement de la construction européenne
et en particulier des objectifs de convergence avec la politique
économique allemande.
Pour notre économie, la conjonction des objectifs de monnaie forte d'une
part, et de restauration de l'équilibre extérieur d'autre part,
s'est traduite par le cumul d'un haut niveau des taux d'intérêt et
d'une forte pression en termes de maîtrise des prix et des coûts de
production.
- Sachant que les parités monétaires sont aujourd'hui
largement déterminées par les mouvements de capitaux
internationaux,
le choix du deutschmark comme référence en
matière de taux de change pour le franc, exigeait que notre pays
maintienne des taux d'intérêts plus élevés que ceux
de l'Allemagne.
Rendre notre monnaie attractive sur le marché international, afin
d'inciter les investisseurs à choisir le franc et maintenir ainsi sa
parité par rapport au deutschmark, nécessitait en effet de
compenser par une "prime de risque" sur nos taux d'intérêts le
risque pris par ces investisseurs en choisissant une monnaie perçue
comme instable
. Or, il existe un lien entre le niveau des taux
d'intérêt et le niveau de l'activité économique dans
la mesure où, plus le loyer de l'argent est élevé et moins
les agents économiques (ménages ou entreprises) sont enclins
à emprunter de l'argent pour investir, entraînant ainsi une
moindre activité et donc moins d'emplois.
- La lutte contre les déficits commerciaux a, pour sa part, aussi
constitué une épreuve pour notre économie.
Le rééquilibrage de notre commerce extérieur a en effet
à la fois justifié que la demande intérieure soit contenue
pour limiter la progression de nos importations et exigé que la
compétitivité de nos produits soit renforcée pour
favoriser le développement de nos exportations.
En l'absence de dévaluation, la mise en oeuvre de ces actions s'est
traduite essentiellement par la maîtrise des coûts de production
et, en particulier, des coûts salariaux.
La maîtrise des coûts salariaux constituait en effet pour nos
entreprises, le principal moyen d'améliorer leur productivité et
donc la compétitivité de leurs produits. Cette action s'est
engagée à la fois à travers la réduction des
effectifs salariés dans certains secteurs et de façon
générale par le biais du contrôle des coûts salariaux
unitaires,
c'est-à-dire des salaires
.
Bien que cette maîtrise des coûts de production soit en outre une
des composantes essentielles de la lutte contre l'inflation, il s'avère
que cette politique a pesé sur la situation de l'emploi
, que ce soit
directement en raison des réductions d'effectifs, ou indirectement du
fait des incidences de la maîtrise des salaires sur la consommation.
Au total, la sortie de ce modèle où notre économie
était aux prises avec les enchaînements négatifs de
l'inflation, du déséquilibre extérieur et de la
dévaluation, s'est avérée coûteuse en termes de
pouvoir d'achat des ménages et en termes d'emploi.
2. L'émergence d'un cercle vertueux
Depuis quelques années se dessinent cependant les
premiers dividendes de "l'investissement" de notre politique
économique
sur le franc fort et sur le redressement de nos comptes extérieurs.
Notre économie semble, en effet, en mesure de commencer à
bénéficier des mécanismes positifs d'un "cercle vertueux"
où s'enchaînent les bons résultats de notre inflation, de
notre monnaie et de notre commerce extérieur.
Une telle évolution constitue pour notre pays un incontestable
rapprochement du mode de fonctionnement de l'économie allemande. En ce
qui concerne notre monnaie, force est de constater qu'au sein de la zone
monétaire européenne, la préservation du "franc fort"
n'est plus "financée" par un niveau de taux d'intérêt
surévalué.
Une monnaie forte exerce en effet des effets positifs directs sur notre solde
commercial dans la mesure où elle renchérit la valeur de nos
exportations et où elle réduit, corrélativement, la valeur
des produits que nous importons.
Notre balance commerciale profite ainsi de ces deux mouvements cumulatifs de
façon quasi-mécanique, dans la mesure où nos ventes
résistent au niveau de notre taux de change.
En ce qui concerne l'inflation, la bonne tenue du franc engendre par ailleurs
un moindre coût de nos importations, contribuant ainsi à la
maîtrise des prix au sein de notre économie. Ce
phénomène est le plus souvent dénommé
"désinflation importée".
Ainsi, le "cercle vertueux" est bouclé
, dans la mesure où
la maîtrise de l'inflation favorise la bonne tenue du franc et la
réduction des coûts de production -en raison, notamment, de la
baisse du prix des matières premières- exerçant ainsi un
effet bénéfique tant sur le niveau des taux
d'intérêt que sur notre solde extérieur.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une explication unique, la clef de ce "cercle
vertueux" réside essentiellement dans l'émergence d'une
compétitivité structurelle de notre économie.