C. AUDITION DE M. BERNARD GLORION, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS
M. Bernard GLORION - J'ai essayé de
réfléchir, puisque je savais sur quel sujet vous vouliez
m'interroger, à ce qui s'est passé depuis que j'ai
été élu président de l'Ordre, car avant je ne m'en
préoccupais pas, comme beaucoup.
Quel était l'état des lieux quand j'ai pris mes fonctions ? La
situation a beaucoup évolué. Je citerai trois documents.
Le premier est celui des produits thérapeutiques.
Il existait une Commission de pharmacovigilance dont l'Ordre des
Médecins était responsable ; elle se réunissait une fois
par an avec le président de l'Ordre des Pharmaciens, quelques
personnalités, et on avait établi des fiches de pharmacovigilance
que les médecins devaient remplir lorsqu'ils constataient des effets
pervers ou secondaires d'une thérapeutique, donc contraires à
ceux qu'ils souhaitaient.
L'Agence du médicament a repris à son compte la pharmacovigilance.
Si bien que dans une conception plus large de tout ce qui a été
repris par l'Etat, à la suite des tristes événements de
l'affaire du sang contaminé, il y a maintenant un dispositif
extrêmement contraignant.
J'en veux pour preuve que déjà à deux reprises j'ai
été saisi par la Direction du Médicament pour retirer du
commerce dans des délais très rapides un produit, ou pour
modifier des AMM ou des dispositions de prescriptions concernant un produit qui
entraînait des conséquences et des effets pervers ou
indésirables.
On peut très bien dire que dans le domaine du médicament
l'affaire est réglée par le dispositif officiel de la
pharmacovigilance, qui n'est plus du ressort de l'Ordre et qui est
entièrement entre les mains de l'Agence et de la Direction du
médicament.
Mais les produits thérapeutiques englobent les produits sanguins.
L'Agence du sang s'est également préoccupée de
l'hémovigilance. Une Commission extrêmement rigoureuse a
défini les critères d'utilisation des produits sanguins qui sont
thérapeutiques.
Un domaine, à mon avis, mérite d'être approfondi. Je ne
sais pas s'il peut entrer dans le cadre de votre définition. Il s'agit
des dispositifs.
J'ai participé à plusieurs Commissions à la Direction
Générale de la Santé, et en particulier pour tous les
dispositifs concernant la médecine esthétique et les appareils
utilisés dans certains établissements sans aucun contrôle,
et qui ont entraîné d'ailleurs des accidents.
Ce sont les dispositifs à visée thérapeutique. J'ai
cité la médecine ou la chirurgie esthétique, mais il peut
s'agir d'autres dispositifs comme le laser, les ultrasons, les méthodes
physiques, relevant de matériaux qui ont besoin aussi d'être
contrôlés.
Si je pouvais faire une suggestion, je dirais que ce domaine est mal
contrôlé. Je ne vais pas affirmer que les gens du
médicament sont sérieux et que les autres ne le sont pas, mais
j'ai l'impression que les procédures en matière de
médicament et d'hémovigilance sont extrêmement rigoureuses,
et que les dispositifs le sont moins.
M. Charles DESCOURS, président - Et les matériaux ?
M. Bernard GLORION - Je peux vous en parler plus savamment puisque c'est mon
domaine.
Nous avons nous-mêmes pris l'initiative d'instituer une
matériovigilance.
Les implants inertes utilisés chez l'homme doivent avoir une
traçabilité, un numéro, et être
répertoriés quand il y a des défauts, non au niveau d'une
institution qui est en train de se mettre en place, qui s'appellerait la
Commission de matériovigilance, avec des responsables dans chaque
département ; en plus il devait y avoir une répercussion au
niveau des industriels.
Pour les prothèses, les pace makers, on doit retrouver, à partir
du matériel implanté, les lots défectueux et faire les
modifications nécessaires.
J'ai l'impression que la matériovigilance est en bonne voie, mais je
fais des réserves sur les dispositifs.
M. Charles DESCOURS, président - Pensez-vous que la
matériovigilance est en route ?
M. Bernard GLORION - Le ministère est saisi. L'institution de la
matériovigilance qui concerne les implants inertes chez l'homme de
façon interne, est sur la bonne voie.
Pour les dispositifs j'ai peut-être un peu perdu le contact avec cette
Commission, parce qu'elle n'a pas été convoquée depuis
longtemps ; cela faisait référence au marquage CE et à sa
rigueur.
M. Claude HURIET, rapporteur - Qu'en pensez-vous ?
M. Bernard GLORION - Je pense que c'est sérieux. Le marquage CE est
peut-être venu un peu au secours de la matériovigilance. A partir
du moment où il s'agit d'une obligation européenne, cela
contraint les Etats, y compris le nôtre, à progresser dans
certains domaines.
En ce qui concerne les dispositifs et les matériels, j'ai vu
récemment les gens du Syndicat national des technologies
médicales qui savent qu'ils ont des contraintes extrêmement
sévères pour le marquage CE, et qu'à partir de 1998 ils
n'auront plus d'autorisation de mise sur le marché sans celui-ci.
Je ne sais pas si sur le plan du médicament, il existe aussi des
dispositions européennes, mais selon moi c'est une modalité tout
à fait heureuse dans le domaine de la matériovigilance.
J'ai répondu à propos des produits sanguins,
thérapeutiques et des biomatériaux c'est-à-dire tout ce
qui est médical.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce qui est pour le moment le contenu de la
mission.
M. Bernard GLORION - Incluez-vous le matériel implantable ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Oui.
M. Bernard GLORION - Je partage totalement votre souci, en disant qu'il me
semble, d'après ce que je vois à travers les textes, que l'on est
sur la bonne voie.
M. Charles DESCOURS, président - La multiplication des Agences ne vous
gêne pas ?
M. Bernard GLORION - Non, parce que j'ai un état d'esprit un peu trop
carré. Je pense que lorsqu'il y a des institutions officielles aussi
sérieuses, il vaut mieux que leur soit confiée la tâche ;
leurs références me paraissent satisfaisantes.
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans les deux domaines que vous avez
évoqués, ensemble ou séparément,
c'est-à-dire dispositifs et biomatériaux, qui pour le moment sont
du ressort de la Direction des Hôpitaux, est-ce que vous
considéreriez comme un avantage que ce qui fonctionne bien pour le
médicament, le sang et les organes puisse s'appliquer également
à ces deux domaines ?
M. Bernard GLORION - Je souhaite qu'on agisse de même pour le
matériel implantable. J'ai une expérience. Il est très
important, si on met sur le marché un produit dont certains lots
s'avèrent défectueux, qu'on ait le moyen rapidement de l'en
soustraire. C'est ce qu'on fait pour le médicament.
Qui dit veille dit sentinelle, d'après le dictionnaire, donc il y a
toujours quelqu'un pour " garder ".
La veille sanitaire, en matière de produits thérapeutiques ou
matériel implantable, suppose que des dispositifs se mettent en route
automatiquement, afin de permettre d'éviter d'autres accidents et de
préserver la population.
Je ne peux aller que dans ce sens-là. Je pense qu'il faut être
aussi rigoureux avec le matériel implantable et les dispositifs avec les
médicaments et les produits sanguins.
M. Charles DESCOURS, président - Et la vache folle ?
M. Bernard GLORION - C'est de l'agro-alimentaire.
M. Charles DESCOURS, président - Même, si c'est transmissible ?
M. Bernard GLORION - Oui, mais à partir des aliments. Vous abordez un
vaste sujet, il est même philosophique.
J'ai l'impression que, plus on va avancer dans le progrès, plus on va
générer des risques, et plus on essaiera d'être
sécuritaire.
Donc nous allons dans des directions qui vont nous obliger à
développer une veille sanitaire et un dispositif de
sécurité sans cesse grandissant.
Vous avez parlé de la vache folle, mais on peut évoquer aussi les
colorants, et...
M. Claude HURIET, rapporteur - Les additifs alimentaires.
M. Bernard GLORION - ...Régulièrement dans la presse on
dénonce que tel colorant est cancérigène, etc. Il faut en
revenir à la bonne vieille pratique de l'oeuf qu'on va chercher dans le
poulailler, du beurre fait par la fermière, et non pas industriellement,
et des fromages blancs naturels. A ce moment-là on attraperait la
tuberculose.
M. Charles DESCOURS, président - Ou la brucellose.
M. Bernard GLORION - Pour moi c'est un problème philosophique, je ne
sais pas si on arrivera à le maîtriser un jour, il faut savoir
où s'arrêter. Pourtant la société actuelle est
devenue sécuritaire, elle n'accepte plus que des risques ne soient pas
appréhendés, en particulier par les pouvoirs publics qui sont
là pour y veiller.
M. Charles DESCOURS, président - Vous dites que c'est un problème
agro-alimentaire, mais si demain on a 800 maladies de Creutzfeldt Jakob, on ne
pourra pas dire au ministère de la Santé que c'est à cause
du ministère de l'Agriculture.
M. Bernard GLORION - Quand on aborde ce chapitre il est évident qu'il
faut s'en mêler, mais il est sans fin.
Quand on aura soigné la maladie de Creutzfeldt Jakob, il y en aura une
autre. Qui aurait dit il y a dix ou vingt ans que cette maladie allait
apparaître ?
J'ai été interpellé dès mon arrivée à
l'Ordre par M. Job, sur la maladie induite par l'hormone de croissance.
Il m'a demandé s'il fallait informer les familles, car il y avait
28 morts. Il avait été distribué 1.500 doses
d'hormone de croissance susceptibles de déclencher la maladie.
Faut-il prévenir 1.500 familles d'une maladie hypothétique dont
la durée d'incubation était de dix ans à l'époque,
sans être sûr qu'elle se déclenche, ou rester muet, comme
pour le sang contaminé ?
Quelle attitude adopter ? On ne peut pas aller au-delà de ce qui est
possible. Personnellement je suis plutôt pour parler, parce que si
j'avais su sans rien dire, j'aurais une impression négative. Mais il
faut en mesurer les effets psychologiques.
M. Charles DESCOURS, président - Pour parler, il faut savoir...
M. Bernard GLORION - ...Là on savait.
M. Charles DESCOURS, président - Dans le domaine de la vache folle, on
parle de la transmission à l'homme depuis un an ou deux seulement.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pensez-vous que dans la mission on doit se
limiter à la sécurité sanitaire des produits
thérapeutiques ? Avec une seule autorité responsable, le ministre
de la Santé ? Pour le renforcement de la sécurité
sanitaire des produits, peut-on prendre comme point de repère les
produits thérapeutiques dans leur accession large, avec une
interrogation sur les additifs alimentaires et les cosmétiques ? Ou
faut-il une sécurité sanitaire des produits ?
Est-ce que le ministère de la Santé ne devrait pas être
regroupé avec celui de l'Agriculture ?
A partir du moment où dans l'Agriculture et la Pêche il y a des
produits de nutrition qui, absorbés par des individus, provoquent des
anomalies majeures comme les prions, et pourquoi pas des maladies induites par
les poissons dans les coraux. Cela concerne la veille sanitaire, donc
l'état de santé des Français.
Je crois qu'on entre dans un système sans fin, avec une très
légère utopie, parce qu'il ne faut pas se bercer d'illusions on
ne maîtrisera jamais la nature complètement. Par ailleurs, il faut
tout faire pour que le confort des individus soit assuré. On ne peut pas
laisser se développer sinon des épidémies, du moins des
maladies alors qu'elles pourraient être contrôlées.
Un renforcement du contrôle des produits alimentaires ? Oui, je crois
qu'il existe déjà, mais ne peut-on faire mieux ?
M. Charles DESCOURS, président - Les patrons des écoles
vétérinaires n'ont que des contacts épisodiques avec la
question de santé publique chez l'homme.
M. Bernard GLORION - Il faut peut-être une coordination des
différents services. Souvent des chercheurs qui travaillent à
Maisons-Alfort et n'ont aucun contact avec ceux de l'INSERM ou du CNRS
travaillant sur une maladie induite par des produits alimentaires. Il faut
peut-être là envisager une coordination. Je pense que le
rôle d'un médecin pour la santé de ses concitoyens est de
se préoccuper aussi de cet aspect.
M. Charles DESCOURS, président - Merci.