B. AUDITION DE M. FLORIAN HORAUD, PROFESSEUR, CONSEIL SCIENTIFIQUE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT PASTEUR

M. Florian HORAUD - Il n'existe pas de politique européenne de santé publique.

M. Charles DESCOURS, président - Depuis trois ans cette compétence figure dans le Traité de Maastricht. Le service compétent se développe très vite.

Il y a des communications de la Commission portant sur la création d'un réseau de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles dans la Communauté européenne.

M. Florian HORAUD - J'ai l'expérience d'une réussite de l'Agence européenne du médicament. Elle donne une cohésion entre tous les systèmes.

Je m'occupe de la sécurité à l'Agence du médicament, c'est une création des années 90, j'ai dû me battre pour l'obtenir. Il m'a fallu six mois pour convaincre qu'il était nécessaire d'avoir un groupe d'experts externes à l'administration.

Les différents avis et décisions de Bruxelles à propos de la vache folle n'ont pas été du tout concordants. Les politiques ont pris la décision sans aucune coordination. J'ai été convoqué à l'OMS, j'ai participé à plusieurs Commissions sur la vache folle. On m'a dit à l'OMS " en Europe on ne connaît pas notre interlocuteur ". Il faut une structure car la bonne volonté ne suffit pas.

Quand a été créée l'Agence du médicament avec un organigramme clair et des responsabilités, nous avons eu de véritables interlocuteurs.

M. Charles DESCOURS, président - L'Agence du médicament concerne les produits.

Nous partageons votre remarque sur l'Europe, mais quel regard portez-vous aujourd'hui sur le réseau de surveillance en France ? Il existe des organismes, ceux qui dépendent de l'Agriculture, des Finances, de l'Environnement, de la Santé, mais comment fonctionnent-ils ?

M. Florian HORAUD - Ils sont nombreux. Existe-t-il une coordination ? Je ne la ressens pas.

M. Charles DESCOURS, président - C'est notre sentiment.

M. Florian HORAUD - On a de grands débats sur la gélatine, par exemple. Je n'ai jamais eu la moindre information sur l'activité des autres Commissions.

Pour la Commission sur l'EBS, un de mes experts est président du groupe, il en est membre par l'Agence du médicament. Je peux ainsi communiquer, sinon je n'ai aucune idée de ce qui se passe à la DG.

Par contre, je suis informé de ce qui se passe en matière de médicament, en Allemagne ou ailleurs. Un expert soulève dans ce pays beaucoup de questions qui font preuve d'incompétence, elles vont nous retarder, mais je les ai.

Cependant je ne connais pas la situation en France. Pour la vache folle je suis au courant grâce à Dominique Dormont.

Je crois que l'idée de la création d'une Agence en matière de santé publique est tout à fait justifiée.

M. Charles DESCOURS, président - Comment voyez-vous cette Agence de santé publique par rapport à celle du sang, à celle du médicament, ou à l'Etablissement public des greffes ?

M. Florian HORAUD - A l'Etablissement des greffes je suis dans un groupe qui s'occupe des xénogreffes. L'INSERM en a créé un également. Je n'ai aucune ambition personnelle, je fais mon devoir de scientifique. Comme je suis Français d'adoption, je suis plus patriote que d'autres. Nous avons des informations, mais de bouche à oreille.

M. Claude HURIET, rapporteur - Quelles sont les attributions de cette Commission INSERM ?

M. Florian HORAUD - Elle s'occupe des xénogreffes.

Quand l'Etablissement français des greffes nous a demandé de venir, nous avons dit à l'Agence du médicament : " nous avons l'habitude d'avoir une responsabilité . A quel titre sommes-nous convoqués ? J'aimerais que vous annonciez nos fonctions ". Cela a été compris et fait.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a les mêmes experts dans les deux organismes ?

M. Florian HORAUD - Il n'est pas bon de tout centraliser. En 1981, quand M. Chevènement a voulu concentrer tous les financements de la recherche scientifique au ministère de la Recherche, nous étions défavorables, parce qu'interviennent des sentiments humains.

Je crois que la diversité doit être harmonisée, dirigée, ordonnée d'une certaine manière, sinon c'est le désordre.

Je suis favorable à une Agence de santé publique, mais avec un correspondant au niveau européen.

D'abord quelle santé publique ?

Prenons un exemple trivial : pour les programmes de vaccination il n'y a aucune coordination en Europe, le coût est considérable ; chacun agit seul, ce qui est inquiétant à cause des virus émergents. J'ai organisé une réunion à ce sujet en juin à l'Institut Pasteur. Malheureusement mes collègues de la santé publique n'étaient pas présents. L'activité humaine peut changer du jour au lendemain le champ des maladies transmissibles. Je suis Roumain d'origine. La Roumanie a connu une épidémie d'encéphalite. Finalement on a découvert que cette encéphalite provenait d'un virus se trouvant dans les grandes concentrations des oiseaux africains. Comment ce virus est-il arrivé en Roumanie avec 28 cas mortels ? Il a été transmis par le moustique.

De même, personne n'avait prévu l'épidémie de vache folle. C'est pourquoi un système de surveillance doit exister : c'est le cas avec le MSP, mais il est tout petit. J'étais la semaine dernière à Atlanta. Nous voulons organiser en 1998 une réunion sur le risque de transmission virale des produits dérivés des animaux. La France ne peut prétendre avoir tous les moyens, mais l'Europe le peut.

La grande défaillance de la France est, selon moi, l'absence d'un institut de santé publique. Elle n'a pas de laboratoires capables d'assumer leur rôle dans un système de santé publique. Le Laboratoire national est une structure non pas scientifique, mais d'Etat. On l'a rattaché à l'Agence. Je n'ai aucun contact avec lui.

L'Agence travaille beaucoup, mais comment faire de la santé publique à l'écart d'un réseau de laboratoire ? L'Institut Pasteur étudie les aspects fondamentaux, mais la santé publique, c'est aussi un travail d'épidémiologie, de statistiques, etc et qui n'existe pas aujourd'hui.

M. Claude HURIET, rapporteur - Ce que vous dites est intéressant et apporte de l'eau à mon moulin quant à la multiplicité, la diversité des organismes et l'absence de liens autres que personnels. Mais l'objet de notre mission est la sécurité sanitaire des produits, que vous avez évoquée à partir du projet de colloque sur les virus émergents, puisque cela touche à l'alimentation animale et aux répercussions sur les pathologies humaines.

Si on prend l'approche que vous évoquez, par exemple un institut de santé publique, on risque de se fourvoyer, parce qu'on réfléchit sur la sécurité sanitaire des produits thérapeutiques, et la veille sanitaire.

M. Florian HORAUD - Expliquez-moi ce qu'est la veille sanitaire.

M. Claude HURIET, rapporteur - Un institut de santé publique correspond à une vision très longitudinale. Dans la santé publique il y a les mesures d'hygiène, d'éducation sanitaire, de politique préventive des caries dentaires, etc., alors que notre démarche s'inscrit dans une politique de santé publique.

M. Florian HORAUD - Je ne vois pas très bien la différence entre la veille sanitaire et la pharmacovigilance.

M. Claude HURIET, rapporteur - Une des composantes de la veille sanitaire est la pharmacovigilance, mais il y en a cinq ou six de plus.

M. Florian HORAUD - La veille sanitaire me fait penser à quelqu'un qui essaie de détecter une défaillance et qui peut compromettre l'équilibre de la santé publique. Or je crois qu'il ne suffit pas de détecter les défaillances, mais de créer un système qui les évite. Pour cela je ne vois pas autre chose qu'un système de santé publique intégré.

M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez une bonne pratique des conditions ?

M. Florian HORAUD - Oui, du fait de mon âge. Il faut créer un Etablissement de greffes. Il y a un service de sécurité virale à l'Agence du sang, je ne l'ai jamais vu, mais on juge les dérivés plasmatiques du sang.

M. Charles DESCOURS, président - Où ?

M. Florian HORAUD - A l'Agence du médicament.

Ma Commission de sécurité virale juge chaque dérivé du sang avant la mise sur le marché. Avec l'hépatite C on a eu du mal.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a une convention à l'Agence du médicament et l'Agence française du sang. Elle ne concerne pas la sécurité virale ?

M. Florian HORAUD - C'est pour les laboratoires.

Dans le groupe de sécurité virale il m'a fallu huit mois pour arriver à un équilibre et avoir un jugement homogène. J'ai commencé ce travail en 1987. Jean-Michel Alexandre m'a demandé d'aller avec lui à Bruxelles. Avec mes collègues, il nous a fallu un an et demi pour apprendre à travailler ensemble. Un expert de santé publique engage sa responsabilité juridique.

M. Charles DESCOURS, président - Il faut qu'il soit crédible scientifiquement.

M. Florian HORAUD - Absolument. Mais il ne doit pas dire " je suis le plus grand expert en matière du virus du sida, écoutez-moi et appliquez ce que je fais ". Non, il faut qu'il accepte de travailler avec nous.

Il n'existe pas un système cohérent nous permettant de faire réellement une veille sanitaire. D'après moi, elle ne peut pas exister en dehors d'un environnement scientifique et de laboratoires, que nous n'avons pas.

Les Allemands ont créé et modernisé un institut, les Anglais ont mis 200 millions de francs dans un institut, et en France les laboratoires de santé sont dispersés.

M. Claude HURIET, rapporteur - L'Institut était dans un coma dépassé quand a été créée l'Agence.

M. Florian HORAUD - M. Cano a fait un grand effort, mais il n'a pas obtenu le résultat voulu.

Un des anciens directeurs de la DPHM estimait qu'il fallait des laboratoires de contrôle, où la recherche n'avait pas de place. C'est faux. Si de tels laboratoires n'ont pas de cadre scientifique, alors qu'ils font 40 % de travail scientifique et 60 % de travail de contrôle, ils ne pourront fonctionner.

M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez gardé des fonctions et un laboratoire à l'Institut Pasteur ?

M. Florian HORAUD - Je suis pratiquement retraité, mais je suis resté à Pasteur comme directeur. J'ai créé un laboratoire avec un service payant. Il fait l'évaluation de risques de transmission virale. Les industriels présentent leurs produits, et vingt personnes travaillent avec des moyens modernes de biologie moléculaires, font tous les tests et sont capables de produire un dossier disant si un médicament est bon ou pas.

M. Claude HURIET, rapporteur - Sur quels produits êtes-vous consultés par exemple ?

M. Florian HORAUD - Tous les dérivés du sang.

M. Claude HURIET, rapporteur - et par rapport à l'Agence française du sang ou à l'Agence du médicament qui ont leur propre structure ?

M. Florian HORAUD - L'Agence du médicament ne s'occupe pas de l'industrie. Si la société Baxter veut vendre en France le facteur VIII, elle est obligée de présenter un dossier pour l'AMM.

Les tests de sécurité virale coûtent de 1 à 2 millions de francs pour avoir l'AMM.

M. Claude HURIET, rapporteur - Et Pasteur s'en charge ?

M. Florian HORAUD - Oui. Ce service doit exister. Le dossier arrive en Angleterre dans un laboratoire, où il y a des spécialistes, et à l'Agence du médicament dans le groupe de sécurité virale qui juge la valeur des tests effectués.

M. Claude HURIET, rapporteur - Il est normal qu'il y ait deux expertises.

M. Florian HORAUD - Je trouve lamentable une telle dispersion en France.

M. Claude HURIET, rapporteur - Avez-vous des relations avec le domaine vétérinaire ?

M. Florian HORAUD - Non. La santé publique est influencée énormément par quelqu'un comme M. Jean-Yves Nau. Certes, c'est un bon journaliste.

En France il y a 300.000 personnes qui meurent chaque année d'alcoolisme- je ne parle pas du tabagisme où la campagne d'information a échoué par rapport à celle faite aux Etats-Unis, où fumer est considéré comme un acte honteux. Les derniers résultats montrent que 60 % des cancers avant 60 ans aux Etats-Unis sont associés au tabagisme.

En France, la loi interdisant de fumer dans des lieux publics, n'est pas respectée et il n'y a aucune communication forte sur les dangers potentiels du tabac.

Sans un système cohérent avec une collaboration et des échanges, il n'est pas possible d'avoir une politique efficace.

M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez expliqué clairement pourquoi il était utile d'avoir au moins deux structures expertes en matière de sécurité virale pour l'alimentation humaine ou animale. En tant qu'expert, connaissez-vous des laboratoires, en dehors de Pasteur et de l'Agence du médicament ?

M. Florian HORAUD - Spécialisés, non. De temps en temps le directeur du service de Pasteur me dit que des gens de l'industrie laitière viennent le voir, mais...

M. Jean-Yves Nau a raison d'écrire sur la vache folle tous les jours mais il y a eu un cas en France et 300.000 morts par alcoolisme.

On n'a pas de preuve définitive du passage chez l'homme du virus de la maladie. Mais la réaction émotionnelle est gigantesque et les médias en profitent. Il y a un amalgame horrible.

M. Charles DESCOURS, président - Les écoles vétérinaires ont des laboratoires virologiques.

M. Florian HORAUD - Oui, mais ils travaillent dans l'épizootie.

M. Claude HURIET, rapporteur - J'évoque volontiers un exemple donné par l'OMS qui concerne une épidémie de peste indienne.

Avant qu'elle ne se propage à l'homme, les vétérinaires avaient analysé les cadavres de rongeurs et avaient pu constater une montée en fréquence de la mise en évidence d'un virus. Donc chez l'animal on avait vu des signes prémonitoires qui pouvaient laisser prévoir une poussée épidémique chez l'homme. Dans ce cas particulier, faute d'une liaison, on est resté à un constat fait sur le rat, sans en tirer les conséquences.

Il s'agit là d'une démarche préventive.

M. Florian HORAUD - Les grands réservoirs de virus sont les animaux, surtout les rongeurs, parce que leurs espèces sont nombreuses. Ce sont des animaux intelligents, qui mangent beaucoup, ils vivent dans l'ombre de l'homme.

Le passage du virus chez l'homme s'effectue en deux étapes : dans la première il se diffuse à l'intérieur de l'espèce à l'horizontale, dans la deuxième il fait un saut dans une espèce supérieure, par exemple les vaches, puis arrive chez l'homme, à quelques exceptions près.

Dans certains cas, si on commence à voir le virus parmi les rats d'égouts parisiens, c'est un signal. Je donne l'exemple de la fièvre aphteuse, qui pendant des années a été enregistrée dans des foyers en Europe. En 1978 je suis allé en Turquie pour faire une station de vaccin contre la fièvre aphteuse, parce qu'on présumait que la souche exotique venait d'Extrême-Orient avant d'arriver en Europe. Elle n'a pas fonctionné. En 1981 il y a eu une épidémie de fièvre aphteuse. A ce moment-là, il y a eu un test moléculaire. Le vaccin utilisé pour prévenir la fièvre aphteuse était incomplètement inactivé, d'où la création de ces foyers. Il faut vraiment des experts. Comment est-on arrivé à cette conclusion ? Parce que l'épidémie de fièvre aphteuse était importante. Sur place il y avait des laboratoires extraordinaires.

Sans moyens de laboratoires et sans un encadrement scientifique important, la veille sanitaire est impossible. Il faut que l'INSERM joue un rôle.

M. Claude HURIET, rapporteur - Ces laboratoires équipés pour ce genre de recherche existent-ils en France ?

M. Florian HORAUD - On agit de façon ponctuelle, du fait de relations personnelles.

M. Charles DESCOURS, président - Il faudrait que cela devienne institutionnel et qu'il y ait un protocole...

M. Florian HORAUD - Une procédure !

M. Charles DESCOURS, président - Il est curieux qu'on ait du mal à mettre au point des procédures en santé publique. Dans le domaine nucléaire cela a été possible.

M. Florian HORAUD - La France n'a pas un grand institut de santé publique, parce que tout le monde disait " il existe l'Institut Pasteur, il n'y a rien de mieux ". L'hygiène sans la science moderne, sans la biologie moléculaire, ce n'est rien.

M. Charles DESCOURS, président - Votre réflexion est très intéressante. La solution est un peu compliquée.

M. Florian HORAUD - Si elle était simple...

M. Charles DESCOURS, président - Par rapport aux pesanteurs.

M. Florian HORAUD - D'abord il faut beaucoup d'argent. Sur un plan général je m'imagine qu'en France il y a de l'argent. Mais il n'y a pas un investissement important dans la santé publique.

M. Charles DESCOURS, président - Et l'administration veut toujours la coiffer, d'où une notion de pouvoir.

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