Les conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme en France
M. Claude HURIET, Sénateur
Commission des Affaires sociales -Rapport d'information 196 - 1996 / 1997
Table des matières
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COMPOSITION DE LA MISSION D'INFORMATION
SUR LES CONDITIONS DU RENFORCEMENT DE LA VEILLE SANITAIRE ET DU CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ DES PRODUITS DESTINÉS À L'HOMME EN FRANCE -
PREMIÈRE PARTIE
LE CONSTAT : LA SÉCURITE SANITAIRE DE TOUS LES BIENS MÉDICAUX ET PRODUITS ALIMENTAIRES N'EST PAS GARANTIE, ET LA FONCTION DE VEILLE SANITAIRE N'EST PAS CONVENABLEMENT ASSURÉE- I. LES RÉFORMES DU DÉBUT DES ANNÉES 1990 : CRÉATION DE NOUVELLES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE POUR CERTAINS BIENS MÉDICAUX
- II. LA SÉCURITÉ SANITAIRE DU MÉDICAMENT A USAGE HUMAIN : LE BILAN ET LES PERSPECTIVES SONT SATISFAISANTS
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III. MALGRÉ LES EFFORTS ACCOMPLIS, LA RÉFORME ENTREPRISE POUR LE SANG ET LES
GREFFES EST INACHEVÉE
- A. LE DISPOSITIF APPLICABLE AUX PRODUITS SANGUINS LABILES
- B. LE DISPOSITIF APPLICABLE AUX GREFFES D'ORGANES, DE TISSUS ET CELLULES
- C. UNE SÉCURITÉ SANITAIRE RENFORCÉE, MAIS UNE RÉFORME INACHEVÉE
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IV. LA RÉGLEMENTATION D'ORIGINE COMMUNAUTAIRE CONCERNANT LES DISPOSITIFS
MÉDICAUX N'EST PAS ASSEZ STRICTE
- A. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ANTÉRIEURE À L'ENTRÉE EN VIGUEUR DES DIRECTIVES
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B. LA NOUVELLE LÉGISLATION D'ORIGINE COMMUNAUTAIRE : DES PROGRÈS, MAIS QUI NE
PERMETTENT PAS DE GARANTIR LA SÉCURITÉ SANITAIRE
- 1. Les fabricants ne sont pas soumis à une procédure d'autorisation
- 2. Les exigences requises pour l'attribution du marquage CE dans les différents pays européens risquent d'être hétérogènes
- 3. Le marquage CE n'exige pas véritablement une évaluation du rapport bénéfice/risque
- 4. Le système de matério-vigilance est très récent et imparfait.
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V. UNE RÉGLEMENTATION OU DES CONTRÔLES INSUFFISANTS POUR DE NOMBREUX AUTRES
BIENS DE SANTÉ OU PRODUITS FRONTIÈRES
- 1. Substances et préparations utilisées en assistance médicale à la procréation, milieux de culture
- 2. Plantes médicinales ou à prétention thérapeutique
- 3. Produits diététiques destinés à l'alimentation de patients atteints de maladies métaboliques, en particulier les mélanges d'acides aminés et les émulsions lipidiques
- 4. Compléments nutritionnels
- 5. Lentilles de contact colorées
- 6. Cosmétologie
- 7. Xénogreffes
- VI. LES CONDITIONS DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS ALIMENTAIRES NE SONT PAS RÉUNIES
- VII. LA VEILLE SANITAIRE, DOTÉE DE MOYENS INSUFFISANTS, N'EST PAS ASSEZ COORDONNÉE NI PERFORMANTE
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DEUXIÈME PARTIE
LES PROPOSITIONS : UN CAHIER DES CHARGES ET UNE NOUVELLE ORGANISATION ADMINISTRATIVE-
I. LES LEÇONS DU BILAN RÉALISÉ PAR VOTRE COMMISSION
- 1. Une sécurité sanitaire non uniforme et des institutions de contrôle trop cloisonnées
- 2. Les missions de certaines institutions de contrôle sont très ambiguës
- 3. Fait grave, le degré de sécurité garanti par la législation, la réglementation et les contrôles dépend de la nature des produits et pas de leur dangerosité
- 4. La législation sanitaire peut être utilisée comme paravent, alors que l'utilisation d'un produit dans des conditions particulières peut se révéler très dangereuse
- 5. La sécurité sanitaire des produits alimentaires n'est pas bien garantie
- 6. La veille sanitaire n'est pas bien assurée ni coordonnée
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II. LE CAHIER DES CHARGES DE L'ETAT
- 1. Une priorité : la protection de la santé
- 2. Un garant : l'Etat
- 3. Le point d'équilibre du bénéfice et du risque doit être recherché en fonction de la nature des produits
- 4. Les institutions de contrôle doivent être fonctionnellement indépendantes par rapport aux intérêts des producteurs et disposer d'une réelle légitimité scientifique
- 5. La veille sanitaire doit disposer de moyens suffisants et couvrir tout le champ de la santé de la population. Elle doit être connectée à un système d'alerte et aux institutions politiques chargées de prendre les décisions
- 6. Les exigences de ce cahier des charges doivent être relayées au niveau communautaire
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III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION EN FAVEUR DE L'AMÉLIORATION DE LA
SÉCURITÉ SANITAIRE
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A. L'ÉTAT DOIT ÊTRE EN MESURE D'ASSUMER TROIS MISSIONS, L'ÉVALUATION DES ACTES
THÉRAPEUTIQUES, LE CONTRÔLE DES PRODUITS ET LA VEILLE SANITAIRE ; IL DOIT AUSSI
POUVOIR LES COORDONNER
- 1. Garantir le contrôle des produits
- 2. Assurer la veille sanitaire en créant un Institut de la veille sanitaire
- 3. Recentrer les missions du ministère de la santé autour de la définition de la politique de santé et de la préparation de la réglementation
- 4. Coordonner les trois missions d'évaluation des actes thérapeutiques, de contrôle des produits et de veille sanitaire en associant tous ses acteurs et créér un lieu de gestion des crises : placer, auprès du Premier ministre, un Comité national permanent de sécurité sanitaire
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B. LA LÉGISLATION ET LA RÉGLEMENTATION DOIVENT ÊTRE ADAPTÉES POUR QUE LES
TROIS MISSIONS D'ÉVALUATION, DE CONTRÔLE ET DE VEILLE SOIENT BIEN ASSUMÉES
- 1. Renforcer la rigueur de la réglementation concernant certains produits
- 2. Publier rapidement les textes d'application de la loi dite bioéthique du 29 juillet 1994
- 3. Améliorer la formation des professionnels de santé
- 4. Mettre en place rapidement des procédures de vigilance lorsqu'elles font défaut
- 5. Utiliser l'informatisation de la transmission des données médicales et multiplier les obligations de déclaration pour améliorer la veille sanitaire
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A. L'ÉTAT DOIT ÊTRE EN MESURE D'ASSUMER TROIS MISSIONS, L'ÉVALUATION DES ACTES
THÉRAPEUTIQUES, LE CONTRÔLE DES PRODUITS ET LA VEILLE SANITAIRE ; IL DOIT AUSSI
POUVOIR LES COORDONNER
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I. LES LEÇONS DU BILAN RÉALISÉ PAR VOTRE COMMISSION
- CONCLUSION
- OBSERVATIONS DES SÉNATEURS SOCIALISTES APPARTENANT À LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
- TRAVAUX DE LA COMMISSION
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TRAVAUX DE LA MISSION
- I. SÉANCE DU MARDI 22 OCTOBRE 1996 - ORGANISATION DES TRAVAUX
- II. SÉANCE DU MERCREDI 23 OCTOBRE 1996
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III. SÉANCE DU MARDI 29 OCTOBRE 1996
- A. AUDITION DE BERNARD SERROU, DÉPUTÉ, AUTEUR DU RAPPORT : "VIGILANCE SANITAIRE : BILAN ET PERSPECTIVES"
- B. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS GIRARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ
- C. AUDITION DE M. YVES MATILLON, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉVALUATION MÉDICALE
- D. AUDITION DE M. MICHEL THIBIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)
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IV. SÉANCE DU MARDI 5 NOVEMBRE 1996
- A. AUDITION DE MME MICHÈLE VÉDRINE, PRÉSIDENTE, ET DE M. FRANÇOIS NONIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA COMMISSION DE LA SÉCURITÉ DES CONSOMMATEURS AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
- B. AUDITION DE M. PHILIPPE GUÉRIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ALIMENTATION AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, ACCOMPAGNÉ DE MM. BERNARD VALLAT, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, CHEF DU SERVICE DE LA QUALITÉ À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ALIMENTATION (DGAL), ET RÉGIS LESEUR, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, DIRECTEUR DE LA BRIGADE D'ENQUÊTES VÉTÉRINAIRES
- V. SÉANCE DU MARDI 12 NOVEMBRE 1996
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VI. SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE 1996
- A. AUDITION DE M. BERNARD MESURÉ, PRÉSIDENT ET DE M. BERNARD LEMOINE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)
- B. AUDITION DE M. JEAN PARROT, PRÉSIDENT DU CONSEIL DE L'ORDRE DES PHARMACIENS
- C. AUDITION DE M. CHARLES PERINETTI, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL ET DE MME DANIÈLE HANNAIRE, RESPONSABLE DES AFFAIRES TECHNIQUES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)
- D. AUDITION DE M. MAURICE GUÉNIOT, PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE
- E. AUDITION DE M. MARC DEBY, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET DE M. CHRISTIAN DE THUIN, ADJOINT AU CHEF DU SERVICE TECHNIQUE DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION (INC)
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VII. SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 1996
- A. AUDITION DE M. DIDIER LOMBART, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES STRATÉGIES INDUSTRIELLES
- B. AUDITION DE M. GUÉNAËL RODIER, ÉPIDÉMIOLOGISTE, SPÉCIALISTE DES MALADIES INFECTIEUSES (ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ)
- C. AUDITION DE M. FERNAND PELLERIN, PRÉSIDENT ET DE M. FRANÇOIS BOURILLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ACADÉMIE DE PHARMACIE
- D. AUDITION DE M. PATRICE DEBRÉ, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS VI, DIRECTEUR DU LABORATOIRE CNRS D'IMMUNOLOGIE CELLULAIRE ET TISSULAIRE À LA PITIÉ SALPÊTRIÈRE
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VIII. SÉANCE DU MARDI 26 NOVEMBRE 1996
- A. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR JEAN-YVES LE HEUZEY, MEMBRE DE LA COMMISSION D'AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHÉ, HÔPITAL BROUSSAIS
- B. AUDITION DE M. CHRISTIAN BABUSIAUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA RÉPRESSION DES FRAUDES
- C. AUDITION DE MME CLAIRE BAZY-MALAURIE, DIRECTEUR DES HÔPITAUX ET M. JACQUES GRISONI, RESPONSABLE DE DIVISION À LA DIRECTION DES HÔPITAUX
- D. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS DES GREFFES
- E. AUDITION DE M. LAURENT VACHEY, PRÉSIDENT DE L'AGENCE FRANÇAISE DU SANG
- F. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR DU RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQIUE
- G. AUDITION DE M. HERVÉ GAYMARD, SECRÉTAIRE D'ETAT À LA SANTÉ ET À LA SÉCURITÉ SOCIALE
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IX. SÉANCE DU MERCREDI 27 NOVEMBRE 1996
- A. AUDITION DE M. JACQUES BOISSEAU, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE DU MÉDICAMENT VÉTÉRINAIRE
- B. AUDITION DE M. HENRI LACOSTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU LABORATOIRE CENTRAL DES INDUSTRIES ÉLECTRIQUES ET DE M. EMMANUEL GRIMAUD, DIRECTEUR DU GROUPEMENT POUR L'ÉVALUATION DES DISPOSITIFS MÉDICAUX (GMED)
- C. AUDITION DE MM. BERNARD CAPDEVILLE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES SYNDICATS PHARMACEUTIQUES DE FRANCE ET PIERRE BERAS, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES PHARMACIENS DE FRANCE
- D. AUDITION DE M. GÉRARD PASCAL, DIRECTEUR DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECOMMANDATIONS SUR LA NUTRITION ET L'ALIMENTATION ET DE M. JEAN-MARIE AYNAUD, DIRECTEUR DE RECHERCHE À LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DES PRODUCTIONS ANIMALES, REPRÉSENTANTS DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE (INRA)
- E. AUDITION DE MME LAURENCE SCHAFFAR, EN REMPLACEMENT DE M. GRISCELLI, DIRECTEUR GÉNÉRAL A L'INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE (INSERM)
- X. SÉANCE DU MERCREDI 4 DÉCEMBRE 1996
- XI. SÉANCE DU MARDI 10 DÉCEMBRE 1996
-
XII. SÉANCE DU MERCREDI 18 DÉCEMBRE 1996
- A. AUDITION DE M. WILLIAM HUNTER, DIRECTEUR DU SERVICE " SANTÉ PUBLIQUE ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL ", COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
- B. AUDITION DE M. FLORIAN HORAUD, PROFESSEUR, CONSEIL SCIENTIFIQUE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT PASTEUR
- C. AUDITION DE M. BERNARD GLORION, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS
- D. AUDITION DE MME MARIE-JOSÉE NICOLI, PRÉSIDENTE DE L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS
- E. AUDITION DE M. MARC SAVEY, DIRECTEUR DE RECHERCHE DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)
-
XIII. SÉANCE DU MARDI 7 JANVIER 1997
- A. AUDITION DE M. PIERRE LOUISOT, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECOMMANDATIONS SUR LA NUTRITION ET L'ALIMENTATION (CNERNA)
- B. AUDITION DE M. GUY NICOLAS, RAPPORTEUR GÉNÉRAL, HAUT COMITÉ DE LA SANTÉ PUBLIQUE
- C. AUDITION DE M. BERNARD MONCELON, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHE ET DE FORMATION DE L'INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE SÉCURITÉ (INRS).
- XIV. SÉANCE DU MARDI 28 JANVIER 1997 - ÉCHANGE DE VUES SUR LE PROJET DE RAPPORT
- COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EFFECTUÉ AUX ETATS-UNIS DU 13 AU 21 SEPTEMBRE 1996
- ANNEXES
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ANNEXE I
LA RÉGLEMENTATION AMÉRICAINE DU MÉDICAMENT -
ANNEXE II
LE MARCHE PHARMACEUTIQUE AMÉRICAIN EN 1995 -
ANNEXE III
LES " NATIONAL INSTITUTES OF HEALTH " -
ANNEXE IV
LES CHIFFRES REPÈRES DE LA SANTÉ AUX ETATS-UNIS
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires sociales (1) à la suite de la mission d'information (2) sur
les conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme en France |
,
Par M. Claude HURIET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jean-Pierre Fourcade,
président
; Jacques Bimbenet,
Mmes Michelle Demessine, Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Huriet,
Bernard Seillier, Louis Souvet,
vice-présidents
; Jean
Chérioux, Charles Descours, Roland Huguet, Jacques Machet,
secrétaires
; François Autain, Henri Belcour, Jacques
Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer,
Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe
Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred
Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac,
André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc,
Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain
,
Simon Loueckhote, Jean Madelain,
Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars,
Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Sosefo Makapé
Papilio, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de
Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul
Vergès, André Vézinhet.
(2) Cette mission d'information est composée de :
MM. Charles
Descours,
président
; Claude Huriet,
rapporteur
;
François Autain, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Mme Annick
Bocandé, M. Louis Boyer, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard,
Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Dominique Leclerc, Georges Mazars, Bernard
Seillier.
COMPOSITION DE LA MISSION D'INFORMATION
SUR LES
CONDITIONS DU RENFORCEMENT DE LA VEILLE SANITAIRE ET DU CONTRÔLE DE LA
SÉCURITÉ DES PRODUITS DESTINÉS À L'HOMME EN
FRANCE
Mesdames, Messieurs,
L'histoire nous enseigne que, très souvent, la législation
progresse réellement à la faveur de crises. Cela se
vérifie aussi dans le domaine sanitaire.
En effet, on ne pense vraiment à la santé que lorsqu'elle vient
à manquer, et la législation sanitaire est toujours source de
contraintes, qu'elles concernent les personnes (vaccinations, directives
comportementales...), les professionnels de santé (évaluation des
pratiques, obligation de transmission d'informations...), les institutions et
les collectivités (exigences concernant la salubrité, la
sécurité d'équipements...) ou encore les producteurs de
biens ou services (bonnes pratiques cliniques pour les médicaments,
bonnes pratiques de fabrication, traçabilité, inspections,
contrôles...).
La protection de la santé étant perçue en bien des cas
comme entravant la liberté individuelle, la liberté du commerce
ou le droit de propriété, les crises peuvent constituer un bon
catalyseur pour la faire progresser.
C'est ainsi qu'en France, la création du ministère de la
santé fut décidée dans notre pays en 1920 à la
suite de l'épidémie de grippe espagnole qui occasionna la mort de
20 à 40 millions de personnes à travers le monde, soit plus que
la première guerre mondiale.
Aux Etats-Unis, le scandale provoqué par le roman à succès
d'Upton Sinclair, " The Jungle ", qui dénonçait les
très mauvaises conditions d'hygiène dans les abattoirs et les
usines de production de viande de Chicago, fut à l'origine d'une
enquête demandée par le président Théodore Roosevelt
et n'est pas étranger au développement de la législation
sanitaire et de la Food and Drug Administration.
En France, à nouveau, l'affaire dite du sang contaminé a conduit
à la création de l'Agence française du sang et a
facilité l'aboutissement du projet de constitution de l'Agence du
médicament.
Cette crise a en effet permis de prendre la mesure des effets pervers
qu'entraînent l'insuffisance des contrôles et la confusion des
producteurs et des contrôleurs. Elle a aussi permis de comprendre que, si
l'application de normes dites éthiques (gratuité du don,
non-profit, service public...) est indispensable, surtout lorsque sont en cause
des produits d'origine humaine, elle ne suffit pas à elle seule à
garantir la sécurité sanitaire. Pire, lorsque l'éthique
est utilisée comme paravent, non seulement il n'y a plus de
sécurité sanitaire, mais il n'y a plus d'éthique.
Un peu plus tard, la crise des prélèvements d'organes a
nécessité une clarification de l'organisation des
prélèvements et des greffes qui passait par la création de
l'Etablissement français des greffes.
Il importe donc aujourd'hui de saisir l'occasion créée par la
crise dite de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), et d'utiliser
les constats de carence établis par la presse, le rapport de notre
excellent collègue le député Jean-François
Mattéi et celui qui est préparé par le Parlement
européen pour améliorer la sécurité sanitaire des
produits alimentaires.
Le constat, en effet, est clair : la sécurité sanitaire n'est
pas garantie pour tous les produits et services, la veille sanitaire est
partielle et mal coordonnée et les procédures d'alertes sont
insuffisantes.
En outre, les responsabilités ne sont pas bien identifiées : on
l'a vu lors de la crise dite de l'ESB, l'opinion n'a trop souvent entendu que
la seule réponse du ministère juridiquement compétent,
celui de l'agriculture et de l'alimentation.
Si la sécurité sanitaire et la veille sanitaire sont
insuffisantes, il ne faut pas pour autant croire que la situation s'est
détériorée : bien au contraire, les biens et services
médicaux sont plus sûrs et l'on se nourrit mieux que dans le
passé.
Mais il apparaît que le progrès des réglementations et des
contrôles n'a pas été à la mesure de celui qu'ont
connu les biens de santé, de plus en plus perfectionnés, ou les
produits alimentaires, de plus en plus transformés.
Le progrès des réglementations et des contrôles n'a pas non
plus été à la mesure de l'aversion croissante pour le
risque que connaissent nos sociétés.
En outre, nous vivons dans une société complexe, et de multiples
acteurs sont appelés à intervenir en matière sanitaire.
Ainsi, sur le plan administratif, les ministères de la santé, de
l'agriculture, de l'économie et des finances, de l'industrie et de
l'environnement, par exemple, sont compétents à un titre ou un
autre pour traiter de questions qui mettent en jeu la sécurité
sanitaire. Cette complexité des structures, qui répond à
la complexité de la société, nécessiterait une
coordination qui fait souvent défaut.
Et les moyens modernes de transmission de l'information et d'accès aux
données n'ont pas été assez utilisés pour
améliorer la veille sanitaire et la connaissance de l'état de
santé de la population.
Or, seule une veille sanitaire performante permet de déclencher des
procédures d'alerte en temps utile et évite une gestion des
crises a posteriori.
La double insuffisance de certains contrôles et de la veille sanitaire
induit des conséquences graves.
D'abord, la société est désormais très
vulnérable au risque sanitaire. La production de masse de la plupart des
biens de santé et des produits alimentaires et leur sophistication
croissante sont à l'origine de risques majeurs et mal
appréciés, un " grain de sable ", une décision
ou une modification anodine intervenant au niveau de la conception, de la
production ou de la distribution pouvant entraîner des catastrophes.
Ensuite, l'insuffisance de certaines réglementations et de certains
contrôles jette un discrédit général sur l'ensemble
de la politique de santé, alors que la plupart des contrôles sont
bien assurés et que la sécurité sanitaire de la
majorité des produits est bien garantie. Ce discrédit est grave,
dans la mesure où il induit un sentiment de nostalgie d'un passé
mythique et de la méfiance à l'égard de produits pourtant
sûrs.
Enfin, les carences actuelles laissent libre cours aux fantasmes et aux grandes
peurs : lorsque les responsabilités ne sont pas bien identifiées
ou identifiables, l'opinion publique elle-même adopte des comportements
irresponsables.
Le présent rapport s'inscrit dans la continuité des travaux
entrepris par la commission des Affaires sociales en faveur de la
sécurité sanitaire.
La commission des Affaires sociales du Sénat s'est engagée depuis
plusieurs années en faveur du développement de la
sécurité sanitaire.
C'est ainsi grâce à un amendement sénatorial qu'a
été créée l'Agence du médicament.
C'est aussi au Sénat qu'a été adopté un amendement
instituant l'Etablissement français des greffes.
Et les dispositions de la loi du 28 mai 1996 régissant les
thérapies génique et cellulaire sont l'aboutissement d'une
réflexion engagée par la commission des Affaires sociales dans le
cadre d'une mission d'information constituée en son sein.
C'est d'ailleurs à l'occasion des travaux entrepris au sujet des
thérapies génique et cellulaire que votre Commission a pris la
mesure de l'éclatement des institutions chargées de la
sécurité sanitaire et des vides législatifs et
réglementaires concernant certains biens de santé, peu ou mal
contrôlés. Elle a alors décidé du principe de la
constitution d'une nouvelle mission d'information consacrée à la
sécurité et à la veille sanitaires.
Le présent rapport a trois ambitions.
La première est de dresser un constat précis et aussi exhaustif
que possible des carences en matière de sécurité sanitaire
des biens de santé et des produits alimentaires et de veille sanitaire.
Seul un tel constat peut servir de fondement à une réforme qui ne
soit ni irréaliste, ni mal ciblée.
La deuxième est de définir les missions qui doivent être
assumées par l'Etat et de déterminer, en fonction des produits,
le degré de sécurité qui doit être garanti et le
niveau de risque qui peut être accepté. Il serait en effet, non
seulement trompeur mais inopportun, voire dangereux, soit de placer la barre
trop haut en exigeant un risque zéro, soit de placer cette barre
à un même niveau pour tous les produits.
La troisième ambition du présent rapport est de proposer, en
fonction du cahier des charges qui aura été établi pour
l'Etat, une organisation administrative nouvelle susceptible de satisfaire
toutes ses prescriptions.
Deux écueils doivent impérativement être
évités.
Premier écueil, il ne faut en aucun cas raisonner en termes de
création de structures nouvelles, qu'elles se substituent ou qu'elles se
superposent aux structures existantes, sans avoir au préalable
défini le cahier des charges de l'Etat (obligations, priorités,
réglementation nécessaire, niveau de sécurité
à garantir, moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir...). Faute
de quoi on n'aurait fait qu'aggraver le problème en le dissimulant.
Ainsi, créér une nouvelle institution chargée de
l'ensemble de la sécurité sanitaire sans, par exemple,
définir la réglementation et les moyens de contrôle
à mettre en oeuvre pour certains produits actuellement insuffisamment
réglementés et contrôlés, ce serait, non seulement
dissimuler certaines carences, mais décrédibiliser et donc
affaiblir ce qui fonctionne déjà bien aujourd'hui.
Sous couvert d'une réforme en apparence de grande ampleur, nous
n'aurions ainsi fait qu'aggraver la situation actuelle.
Le deuxième écueil est l'obsession sécuritaire. S'il nous
faut trouver les moyens et méthodes propres à garantir la
sécurité sanitaire, notre démarche part du principe que la
notion de risque est inhérente à toute démarche
thérapeutique. Ce qu'il faut éviter, c'est le risque inutile ou
disproportionné.
PREMIÈRE PARTIE
LE CONSTAT : LA
SÉCURITE SANITAIRE DE TOUS LES BIENS MÉDICAUX ET PRODUITS
ALIMENTAIRES N'EST PAS GARANTIE, ET LA FONCTION DE VEILLE SANITAIRE N'EST PAS
CONVENABLEMENT ASSURÉE
Bien qu'améliorée depuis le début des
années quatre-vingt-dix, l'organisation de la sécurité
sanitaire des biens de santé et des produits alimentaires ainsi que la
veille sanitaire présentent des lacunes auxquelles il convient de
remédier sans délai.
La sécurité sanitaire requiert l'exercice de trois missions : le
contrôle des produits, l'évaluation des actes
thérapeutiques et la veille sanitaire.
Dans le présent rapport, nous n'évoquerons, en ce qui concerne la
sécurité sanitaire, que celle des biens de santé (produits
et matériels), à l'exclusion de celle des actes. La
sécurité sanitaire des actes requiert, notamment, une
évaluation et un contrôle des pratiques thérapeutiques et
diagnostiques, qui sont prévus par les ordonnances du 24 avril 1996,
avec la création de l'Agence nationale d'accréditation et
d'évaluation en santé ; cette évaluation et ce
contrôle n'entrent pas dans le champ de la réflexion de la mission.
I. LES RÉFORMES DU DÉBUT DES ANNÉES 1990 : CRÉATION DE NOUVELLES INSTITUTIONS CHARGÉES DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE POUR CERTAINS BIENS MÉDICAUX
Depuis le début des années 1990 s'est
opérée une progressive prise de conscience des
éléments constitutifs d'une politique de sécurité
sanitaire des biens de santé.
Cette prise de conscience, consécutive à des situations de crise,
a conduit à plusieurs réformes de l'administration sanitaire.
A la suite du drame du sang contaminé et de diverses crises concernant
le monde des greffes, l'Etat s'est réformé afin de
réorganiser les procédures d'autorisation et de contrôle de
certains produits thérapeutiques.
Il a ainsi mis en place des institutions -Agence française du sang,
Agence du médicament, Etablissement français des greffes-
susceptibles de satisfaire plusieurs critères : autonomie,
spécialité, suffisance des moyens financiers et humains.
A. UN PRINCIPE D'AUTONOMIE ET DE RESPONSABILITÉ
L'affaire du sang contaminé avait montré les
limites d'une organisation sanitaire ministérielle au sein de laquelle
la dilution des compétences et la multiplicité des intervenants
faisaient que l'on ne pouvait véritablement identifier le lieu de
décision et de responsabilité.
C'est pourquoi, lorsque l'Etat a choisi de réformer l'administration
sanitaire au début des années 1990, il a choisi le statut
d'établissement public pour l'Agence française du sang, l'Agence
du médicament et l'Etablissement français des greffes. Ce statut,
qui illustre le principe de la décentralisation fonctionnelle, permet de
bien identifier l'autorité décisionnaire qui agit au nom de
l'Etat. Au bout du compte, c'est cependant l'Etat qui est responsable et le
ministre chargé de la santé demeure politiquement responsable.
Ainsi, l'article L. 567-4 du code de la santé publique dispose que
" le directeur général de l'Agence du médicament
prend au nom de l'Etat les décisions qui relèvent de la
compétence de l'Agence ". Le même article précise que
les décisions du directeur " ne sont susceptibles d'aucun recours
hiérarchique ". Le ministre peut seulement, en cas de menace grave
pour la santé publique, demander une " seconde
délibération " au directeur. Bien entendu, et il en serait
probablement ainsi en cas de menace grave pour la santé publique, le
Gouvernement peut révoquer le directeur qui est nommé par
décret en Conseil des ministres.
En ce qui concerne l'Agence française du sang, l'article L. 667-7 du
code de la santé publique indique que les décisions relatives aux
agréments d'établissements de transfusion sanguine et de leurs
directeurs ainsi que les autorisations d'importation et d'exportation de
produits sanguins labiles sont prises par le président de l'agence.
Enfin, les articles L. 673-8 et R. 673-8-1 prévoient que
l'Etablissement français des greffes est notamment chargé de la
gestion de la liste nationale des personnes en attente de greffe d'organe ou de
tissus et de l'attribution des greffons, qu'ils aient été ou non
prélevés sur le territoire national, ainsi que de la coordination
des activités de prélèvement et de greffe.
B. UN PRINCIPE DE SPÉCIALITÉ
Afin d'assurer la pertinence et la crédibilité
de leurs décisions, les institutions chargées de promouvoir la
sécurité sanitaire des biens de santé doivent agir en
fonction de seules préoccupations sanitaires, à l'exclusion
notamment de considérations économiques.
Ainsi, pour le médicament, les procédures d'autorisation de mise
sur le marché, qui doivent obéir à des règles
purement scientifiques, ont été confiées à l'Agence
du médicament tandis que les décisions relatives à
l'admission au remboursement par la sécurité sociale et à
la fixation des prix ont été bien séparées. Elles
sont restées de la compétence de l'administration centrale et
font désormais intervenir le comité économique du
médicament.
Responsable de ses décisions sanitaires, l'Agence du médicament
n'aurait ainsi aucun intérêt à favoriser tel ou tel
médicament en fonction de critères économiques ou
même, plus largement, non sanitaires, même si l'évaluation
d'un médicament doit aussi prendre en considération
l'amélioration du service médical rendu.
Il était d'autant plus important que les critères sanitaires
soient, en quelque sorte, " sanctuarisés " par la
création de l'Agence du médicament que les institutions
chargées, dans les différents pays d'Europe, de l'autorisation de
mise sur le marché des médicaments sont en compétition.
Cette compétition existe non seulement entre les agences ou
autorités de chaque Etat membre, mais aussi entre chacune de ces agences
ou autorités et l'Agence européenne du médicament,
située à Londres. Tant vis-à-vis de ses partenaires
européens que de l'Agence européenne du médicament,
l'Agence française du médicament ne peut donc se permettre que la
crédibilité scientifique de ses décisions soit imparfaite
ou même perçue comme telle.
C. UN PRINCIPE DE SUFFISANCE DES MOYENS FINANCIERS ET HUMAINS
La pauvreté des moyens financiers et humains de
l'administration sanitaire a certainement été à l'origine
de bien des dysfonctionnements que l'on a reprochés au ministère
de la santé alors qu'il n'en était pas vraiment responsable.
Ainsi, les contrôles de produits thérapeutiques ne peuvent
être performants en l'absence de laboratoires modernes, et les
décisions prises ne peuvent être opportunes si les meilleurs
experts ne sont pas appelés à donner leur avis.
Or, avant les réformes entreprises dans les années 1990,
l'administration de la santé ne disposait pas des moyens financiers ou
juridiques pour faire fonctionner des laboratoires suffisamment bien
équipés, ni pour recruter les experts dont les connaissances
auraient été indispensables à la prise de décisions
qui mettent en jeu la sécurité sanitaire.
Le recours au statut d'établissement public a permis aux nouvelles
institutions de disposer de ressources plus importantes, et notamment de
ressources affectées.
Ainsi, l'article L. 567-7 du code de la santé publique dispose que les
ressources de l'Agence du médicament sont constituées, outre des
subventions de l'Etat et de collectivités publiques, des produits de
dons et legs et des emprunts, de diverses redevances et taxes telles que celles
qui sont versées par les industriels qui sollicitent une autorisation de
mise sur le marché ou qui exploitent une spécialité ayant
obtenu cette autorisation.
De même, l'article L. 667-12 dispose que l'Agence française du
sang sera financée, non seulement par une subvention de l'Etat et une
dotation globale de l'assurance maladie, mais aussi par des redevances pour
services rendus.
Enfin, l'article L. 673-8 du code de la santé publique prévoit
qu'outre la subvention de l'Etat et la dotation globale de l'assurance maladie,
des taxes et redevances créées au bénéfice de
l'Etablissement français des greffes viendront alimenter son budget.
Ces affectations de ressources au profit des institutions sanitaires leur
confèrent des moyens qui, s'ils pourraient être encore accrus,
sont tout de même plus importants que ceux dont bénéficiait
l'administration centrale avant les réformes des années 1990.
Les moyens financiers de ces établissements leur permettent, non
seulement de se doter des équipements nécessaires, mais aussi de
s'assurer le concours d'experts, les dispositions des articles L. 567-5, L.
667-8 et L. 673-8 donnant de surcroît aux établissements publics
la base légale nécessaire au recrutement d'agents contractuels.
D. DES RÉFORMES QUI PRÉSENTENT NÉANMOINS UN DÉFAUT IMPORTANT : UN SYSTÈME DE CONTRÔLE TROP VERTICAL
Votre commission des Affaires sociales, qui a pris une part
importante dans l'élaboration et l'adoption de ces réformes,
estime aujourd'hui encore qu'elles étaient indispensables et qu'elles
ont permis une considérable amélioration de la
sécurité sanitaire du médicament, du sang et des greffes.
Néanmoins, outre certaines imperfections que nous évoquerons
à l'occasion de l'étude des dispositions relatives à
chacune des catégories de produits, elles présentent un
défaut important, auquel il conviendra de remédier.
Ce défaut est celui de l'éclatement des institutions
chargées de garantir la sécurité sanitaire des biens de
santé.
Il y a eu la crise du sang contaminé, et l'on a créé
l'Agence française du sang.
Il y a eu la crise des prélèvements d'organes, et l'on a
créé l'Etablissement français des greffes.
Et, anticipant sur la création d'une Agence européenne du
médicament, le Sénat a proposé la création de
l'Agence française du médicament.
Cela est bel et bon, mais, en procédant de la sorte, l'Etat n'a pas pour
autant garanti la sécurité sanitaire de tous les biens de
santé.
D'une part, en effet, de nombreux produits ou biens de santé demeurent
en dehors des compétences de ces agences, qui ne sont chargées
que du médicament, du sang et des greffes. Pour reprendre une expression
du directeur général de l'Agence du médicament, ces
établissements publics jouent en quelque sorte le rôle de
réverbères. Et, si tout ce qui est éclairé par un
réverbère est désormais mieux contrôlé, il
demeure encore beaucoup de zones d'ombre, beaucoup de produits utilisés
à des fins diagnostiques ou thérapeutiques dont la
sécurité sanitaire n'est pas bien assurée.
D'autre part, il n'est pas concevable que l'on continue à créer
une agence par catégorie de produits de santé. En effet, non
seulement l'administration sanitaire ne peut être ainsi
éclatée en des dizaines d'institutions pour des raisons tenant
à l'efficacité des décisions et des contrôles, mais,
de plus en plus, on assiste au développement de produits qui
s'apparentent à plusieurs catégories réglementaires.
Votre commission a pris l'exacte mesure de cette évolution à
l'occasion des travaux qu'elle a menés au sujet des thérapies
génique et cellulaire, qui s'apparentent, pour leurs effets, au
médicament, mais qui sont souvent issues de produits sanguins et peuvent
faire appel aux techniques de greffes de cellules pour leur administration. En
l'absence de législation spécifique, ces thérapies
n'étaient de la compétence d'aucune institution de
contrôle. De même, il existe aujourd'hui de plus en plus de
dispositifs médicaux qui ne peuvent être utilisés que
grâce à une association avec le médicament. Qui doit en
être responsable, qui doit garantir leur sécurité
sanitaire ?
A l'heure où les frontières entre catégories s'estompent,
il serait contre-productif, en termes de sécurité sanitaire, de
construire une administration sanitaire cloisonnée en fonction de
catégories presque déjà obsolètes.
Si l'on poursuivait dans cette voie, la sécurité sanitaire serait
à la merci des bonnes relations entre les différentes agences,
à la merci de la bonne entente de leurs dirigeants qui devraient
organiser une coopération pour tous les produits frontières, ce
qui n'est pas souhaitable.
Et certains produits, inévitablement, n'entreraient dans le champ de
compétence d'aucune institution.
II. LA SÉCURITÉ SANITAIRE DU MÉDICAMENT A USAGE HUMAIN : LE BILAN ET LES PERSPECTIVES SONT SATISFAISANTS
La sécurité sanitaire du médicament
à usage humain est aujourd'hui bien garantie, grâce à une
législation d'origine communautaire qui couvre toute la chaîne, de
la fabrication à la distribution et au suivi du médicament
après l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché et
grâce à deux institutions chargées de l'application de
cette législation, l'Agence française du médicament
créée par la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993 et l'Agence
européenne de Londres, qui fonctionne depuis le 1er janvier 1995.
L'Agence française du médicament est dirigée par un
directeur général qui prend au nom de l'Etat les décisions
qui relèvent de la compétence de l'Agence. Elle est dotée
d'un conseil d'administration et d'un conseil scientifique qui veille à
la cohérence de la politique scientifique de l'établissement. Les
décisions du directeur général ne sont susceptibles
d'aucun recours hiérarchique mais, en cas de menace grave pour la
santé publique, le ministre chargé de la santé a le droit
de demander au directeur un nouvel examen du dossier. Elle dispose d'un corps
d'inspecteurs qui sont notamment chargés de veiller au respect des
bonnes pratiques, à la qualité des matières
premières et des conditionnements ainsi que, plus
généralement, de la réglementation relative au
médicament. Les compétences de l'Agence du médicament
couvrent toute la chaîne du médicament, des essais cliniques
à la pharmacovigilance, et toutes les fonctions qui concernent sa
sécurité, à savoir évaluation, contrôle et
alerte. Grâce à la procédure de reconnaissance mutuelle,
les autorisations accordées par l'Agence du médicament valent
autorisation pour l'ensemble de la communauté.
L'Agence européenne du médicament est compétente pour
accorder des autorisations de mise sur le marché : elle constitue le
passage obligé pour l'enregistrement des médicaments les plus
innovants. Elle assure également la coordination des systèmes
nationaux de pharmacovigilance et arbitre, le cas échéant, entre
plusieurs agences d'enregistrement nationales pour des conflits qui mettent en
jeu le système de reconnaissance mutuelle des autorisations nationales.
La sécurité sanitaire est garantie par l'application de la
législation pharmaceutique qui couvre l'ensemble de la chaîne du
médicament.
· La fabrication du médicament, d'abord, est strictement
réglementée. L'article L. 596 du code de la santé publique
réserve en effet la fabrication, l'importation, l'exportation et la
distribution en gros des médicaments et l'exploitation des
spécialités pharmaceutiques à des établissements
pharmaceutiques. Ceux-ci sont autorisés par l'autorité
administrative en fonction de critères relatifs à la
qualification de leurs dirigeants (notamment participation d'un pharmacien) et
au respect de bonnes pratiques, à chaque stade de la fabrication du
produit (bonnes pratiques cliniques, bonnes pratiques de laboratoire, bonnes
pratiques de fabrication).
· Les médicaments fabriqués industriellement sont
également soumis à une autorisation prévue par l'article
L. 601 du code de la santé publique. Cette autorisation leur permet de
circuler librement sur le marché européen.
Elle est subordonnée à la présentation d'un dossier
d'autorisation de mise sur le marché qui comprend notamment la
composition qualitative et quantitative du produit, les indications,
contre-indications et effets secondaires, la description des méthodes de
contrôle utilisées par le fabricant et le résultat des
essais physico-chimiques, biologiques ou micro-biologiques, pharmacologiques et
toxicologiques et cliniques.
L'autorisation est refusée lorsque, après vérification de
ces informations, il apparaît que la spécialité est nocive
dans ses conditions normales d'emploi, que l'effet thérapeutique de la
spécialité est absent ou insuffisamment justifié, que les
moyens à mettre en oeuvre pour appliquer la méthode de
fabrication et les procédés de contrôle ne sont pas de
nature à garantir la qualité du produit ou que la
spécialité n'a pas la composition qualitative ou quantitative
déclarée. L'autorisation est accordée par le directeur
général de l'Agence du médicament après avis de la
commission d'AMM, qui fait suite à l'examen du dossier par un groupe de
travail pharmaceutique, un groupe de travail toxico-pharmaco-clinique et, le
cas échéant, par le groupe de sécurité virale.
Au cours de son audition par la mission d'information, le représentant
de l'Institut national de la consommation a souhaité que, dans la mesure
où les autorisations sont accordées pour une période de
cinq ans renouvelable, il soit plus souvent procédé à une
réévaluation du rapport bénéfice/risque des
médicaments soumis à autorisation, afin de tenir compte des
progrès médicaux intervenus au cours de la période
d'autorisation.
En outre, est toujours posée la question de la nécessité
de l'opposabilité des indications de l'autorisation de mise sur le
marché.
· La délivrance des médicaments est, elle aussi,
sévèrement réglementée, en ville par les
pharmaciens d'officine ou à l'hôpital par les pharmacies
hospitalières.
En ce qui concerne ces dernières, toutefois, l'Ordre national des
pharmaciens a souligné, au cours de son audition par la mission,
l'intérêt d'une dispensation individuelle des médicaments
par les pharmacies hospitalières (préparation nominative des
prises journalières de médicaments). Il a aussi alerté la
mission sur les carences constatées dans les établissements de
santé concernant l'application de l'arrêté du 9 août
1991 relatif aux conditions de prescription, dispensation et administration des
médicaments contenant des substances vénéneuses.
· Enfin, un système de pharmacovigilance vient
compléter le dispositif pour assurer la surveillance du
médicament après l'obtention de l'autorisation de mise sur le
marché. L'article L. 605 du code de la santé publique
prévoit en effet qu'un décret en Conseil d'Etat précisera
les règles applicables à la pharmacovigilance exercée sur
les médicaments postérieurement à la délivrance de
l'autorisation de mise sur le marché, de l'autorisation temporaire
d'utilisation des médicaments ou de l'enregistrement des
médicaments homéopathiques ainsi que les obligations de
signalement. Ces règles sont actuellement fixées par le
décret n° 95-278 du 13 mars 1995.
Selon les dispositions de ce décret, la pharmacovigilance a pour objet
la surveillance des effets indésirables résultant de
l'utilisation des médicaments. Elle comporte le signalement des effets
indésirables, l'enregistrement, l'évaluation et l'exploitation
des informations concernant ces effets et la réalisation de toutes
études concernant la sécurité d'emploi des
médicaments. Après exploitation des informations recueillies, le
directeur général de l'Agence du médicament prend, le cas
échéant, les mesures appropriées pour assurer la
sécurité d'emploi des médicaments et faire cesser les
incidents. Il informe l'Agence européenne du médicament de tout
effet indésirable grave.
Placée sous la responsabilité de l'Agence du médicament,
la mise en oeuvre de la pharmacovigilance fait appel à des centres
régionaux de pharmacovigilance agréés et à la
commission de pharmacovigilance, qui donne des avis au ministre et à
l'Agence. Elle repose sur des obligations de signalement des effets
indésirables pour les professionnels de santé et les entreprises
exploitant le médicament. Elle devrait aussi se traduire par un
" retour d'information " vers les professionnels de santé,
ce
qui ne semble pas être suffisamment le cas selon des personnalités
entendues par la mission.
III. MALGRÉ LES EFFORTS ACCOMPLIS, LA RÉFORME ENTREPRISE POUR LE SANG ET LES GREFFES EST INACHEVÉE
La législation relative aux produits sanguins et aux
greffes a profondément évolué depuis le début des
années 1990.
A la suite de l'affaire du sang contaminé, la loi n° 93-5 du 4
janvier 1993 a réformé la transfusion sanguine afin d'assurer la
" sécurité transfusionnelle "; à cette fin, elle
a institué l'Agence française du sang.
Puis, la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé
publique et à la protection sociale a mis en place un
établissement public, l'Etablissement français des greffes. Cette
création a témoigné de la volonté de l'Etat de
prendre le relais de l'initiative privée (France Transplant) dans
l'organisation et la régulation des activités de greffe.
Enfin, la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994, dite
" bioéthique ", a procédé à une refonte
de la législation concernant les éléments et produits du
corps humain et, notamment, de celle des activités de greffes d'organes,
de tissus et de cellules.
Elle a créé un titre Ier du livre VI du code de la santé
publique consacré aux " Principes généraux
applicables au don et à l'utilisation des éléments et
produits du corps humain " qui comporte, non seulement la traduction
législative de règles éthiques (gratuité et
anonymat du don, consentement du donneur...) mais aussi une disposition
générale, applicable à tous les éléments et
produits du corps humain (sang, organes, tissus, cellules), qui dispose que :
" Art. L.665-15. Le prélèvement d'éléments et
la collecte de produits du corps humain à des fins thérapeutiques
sont soumis à des règles de sécurité sanitaire
définies par décret en Conseil d'Etat.
" Ces règles comprennent notamment des tests de dépistage
des maladies transmissibles. "
A. LE DISPOSITIF APPLICABLE AUX PRODUITS SANGUINS LABILES
Le dispositif applicable aux produits sanguins labiles repose
sur la loi n° 93-5 du 4 janvier 1993. Elle a notamment prévu que la
collecte du sang humain ou de ses composants ne peut être
réalisée que dans des établissements de transfusion
sanguine agréés (article L. 666-2 du code de la santé
publique) et que le sang ne peut être distribué sans qu'aient
été réalisés des analyses biologiques et des tests
de dépistage des maladies transmissibles (article L. 666-4). Cette loi a
également réservé aux établissements de
santé ou de transfusion sanguine autorisés la conservation des
produits sanguins labiles.
Ceux-ci, à la différence des produits stables, ne sont pas soumis
à une procédure d'autorisation de mise sur le marché, de
même qu'il n'existe pas d'autorisation des procédés de
fabrication, même si une commission est chargée de
l'évaluation et de la validation des produits sanguins labiles
(arrêté du 23 octobre 1995). La liste et les
caractéristiques des produits sanguins labiles sont établies par
des règlements de l'Agence française du sang homologués
par le ministre chargé de la santé.
La loi du 4 janvier 1993 a mis en place deux structures : le comité de
sécurité transfusionnelle et l'Agence française du sang.
Le comité de sécurité transfusionnelle, composé de
scientifiques, est placé auprès du ministre. Il est chargé
d'évaluer les conditions dans lesquelles est assurée la
sécurité transfusionnelle et constitue également un
organisme d'alerte pour toute question d'ordre médical ou scientifique
pouvant avoir une incidence sur l'activité transfusionnelle.
L'Agence française du sang, instituée par l'article L. 667-5 du
code de la santé publique, s'est vu confier plusieurs missions qui
concourent à la sécurité sanitaire des produits sanguins
et de la transfusion.
Elle est ainsi chargée d'établir et de soumettre à
homologation du ministre chargé de la santé les bonnes pratiques
que doivent respecter les établissements de transfusion sanguine. Ont
ainsi déjà été publiées les bonnes pratiques
de prélèvement (J.O. du 8 octobre 1993), de préparation
(J.O. du 7 février 1994), de distribution (J.O. du 26 août
1994) et de qualification biologique (J.O. du 31 janvier 1995).
Elle est également chargée de recueillir toutes données
sur l'activité de transfusion sanguine, notamment en vue des actions
d'hémovigilance et de prendre les décisions d'autorisation, de
retrait ou de suspension concernant les établissements de transfusion
sanguine (agrément des établissements, autorisations
particulières pour certaines activités spécifiques,
utilisation de sang collecté à l'étranger). A cette fin,
la loi donne à l'Agence une compétence générale
pour veiller au respect des dispositions législatives et
réglementaires applicables aux établissements de transfusion
sanguine, et a prévu qu'elle disposerait, parmi ses agents,
d'inspecteurs qui peuvent rechercher et constater par procès-verbal les
infractions à ces dispositions. Le code de la santé publique
punit de deux ans d'emprisonnement et de 500.000 francs le fait d'utiliser
des produits sanguins sans qu'il ait été procédé
aux analyses biologiques ou aux tests de dépistage et prévoit des
sanctions administratives pour toute violation par un établissement de
transfusion sanguine des dispositions législatives et
réglementaires qui lui sont applicables.
L'Agence française du sang, en revanche, ne dispose pas de laboratoire :
les analyses nécessaires au contrôle des produits sanguins sont
réalisées par l'Agence du médicament.
B. LE DISPOSITIF APPLICABLE AUX GREFFES D'ORGANES, DE TISSUS ET CELLULES
La sécurité des greffes est une notion plus
large que celle de la seule sécurité d'un produit. D'une part, en
effet, et sur un plan terminologique, un organe, un tissu et une cellule non
transformés sont plutôt des " éléments du corps
humain utilisés à des fins thérapeutiques " que des
" produits thérapeutiques ". D'autre part, et cette fois sur
le fond, la sécurité des greffes englobe, non seulement celle du
greffon, mais aussi celle de tout le processus de greffe. A chacune des
étapes de la greffe sont associés certains risques, qu'un
document de l'Etablissement français des greffes définit ainsi :
- choix stratégique initial, de l'indication thérapeutique
et du degré éventuel d'histocompatibilité accepté
par l'équipe de greffe ;
- choix du donneur avec les examens cliniques, le dépistage
sérologique ;
- prélèvement, transformation, transport et conservation du
greffon jusqu'à son implantation ;
- greffe proprement dite, c'est à dire exécution de l'acte
chirurgical et des soins de réanimation pré et
post-opératoire ;
- possibilité de transmission par le greffon d'une maladie, le plus
souvent infectieuse et virale, mais aussi tumorale ;
- tolérance immunitaire du greffon, y compris les accidents
immédiats et retardés ;
- complications retardées, infectieuses et oncogènes de la
thérapeutique immunosuppressive.
Le dispositif législatif applicable aux greffes repose essentiellement
sur la loi dite bioéthique du 29 juillet 1994.
Les greffons eux-mêmes, à la différence du
médicament, par exemple, ne font pas l'objet d'une procédure de
" mise sur le marché ", mais diverses dispositions
régissent leur prélèvement, leur conservation et leur
transport, de même que leur distribution, leur importation et leur
exportation..
Les articles L. 671-12 (organes) et L. 672-7 (tissus et cellules) du code de la
santé publique prévoient que les prélèvements ne
peuvent être effectués que dans des établissements
autorisés. Les tissus et cellules peuvent également être
prélevés comme déchets opératoires à
l'occasion d'une intervention chirurgicale ou, pour le placenta, d'un
accouchement.
La conservation des tissus et cellules, de même que leur transformation,
leur conservation, leur distribution et leur cession ne peuvent être
réalisés, aux termes de l'article L. 672-10 du code de la
santé publique, que dans des établissements publics de
santé autorisés par l'autorité administrative. Le
même article prévoit que, pour les activités
" requérant une haute technicité ", l'autorisation peut
être accordée à d'autres organismes que des
établissements publics de santé.
Les conditions d'importation et d'exportation des organes, tissus et cellules
ont été précisées par l'article 57 de la loi
n° 94-43 du 18 janvier 1994 et par le décret n° 96-327 du 16
avril 1996.
Enfin, les transplantations d'organes (art. L. 671-16) ne peuvent être
effectuées que dans des établissements de santé
autorisés dans les conditions prévues par la loi
hospitalière. Il doit s'agir de centres hospitaliers et universitaires
déjà autorisés à prélever des organes. Pour
les tissus et cellules, l'article L. 672-13 réserve aux
établissements de santé les greffes de tissus et de cellules.
Aucune autorisation particulière n'est exigée, sauf pour les
activités " requérant une haute technicité ou
nécessitant des dispositions particulières dans
l'intérêt de la santé publique ", qui sont
définies par décret en Conseil d'Etat.
La régulation des activités de greffe fait appel à
l'Etablissement français des greffes, auquel l'article L. 673-8 du code
de la santé publique a confié plusieurs missions.
Il est chargé de l'enregistrement des patients sur la liste nationale
des personnes en attente de greffe, de la gestion de cette liste et de
l'attribution des greffons. Il est également chargé de promouvoir
le don d'organes en participant à l'information du public.
Il prépare divers textes, qui n'entrent en vigueur qu'après
homologation par le ministre chargé de la santé, à savoir
les règles de répartition et d'attribution des greffons et les
bonnes pratiques de prélèvement, de conservation, de transport et
de transformation des produits qui entrent dans son champ de compétence.
Ainsi, a déjà été publié
l'arrêté du 6 novembre 1995 portant homologation des
règles de répartition et d'attribution des greffons
prélevés sur une personne décédée en vue de
transplantations d'organes. Et les règles de bonnes pratiques sont en
voie de publication.
Il donne enfin des avis au ministre chargé de la santé en ce qui
concerne les autorisations prévues par la législation sur les
greffes (prélèvement, conservation, greffe...).
L'Etablissement français des greffes, qui emploie moins d'une centaine
de personnes au niveau central (sans compter les coordonnateurs
régionaux) ne dispose pas d'un service d'inspection spécifique.
Il est donc fait appel aux services déconcentrés de l'Etat,
l'article L. 672-14 du code de la santé publique prévoyant, pour
les tissus et cellules, que les fonctionnaires du ministère de la
santé habilités à cet effet contrôlent le
fonctionnement des établissements et organismes qui assurent la
conservation, la transformation, la distribution, la cession et les greffes et
vérifient qu'ils respectent la réglementation en vigueur et
appliquent les bonnes pratiques.
L'article L. 674-7 du code de la santé publique punit de deux ans
d'emprisonnement et de 200.000 francs d'amende le fait de procéder
à la distribution ou à la cession d'organes, de tissus ou de
cellules du corps humain sans avoir respecté les règles de
sécurité sanitaire prévues par l'article L. 665-15. Pour
le reste, c'est-à-dire toute violation de la législation et de la
réglementation relatives aux prélèvements, à la
conservation et à l'utilisation d'organes, tissus ou cellules, l'article
L. 674-1, ne prévoit que des sanctions administratives.
C. UNE SÉCURITÉ SANITAIRE RENFORCÉE, MAIS UNE RÉFORME INACHEVÉE
Les réformes entreprises en 1993 et 1994 ont
contribué à améliorer la sécurité sanitaire
des produits sanguins et des greffes d'organes, de tissus et de cellules.
Ainsi, pour les produits sanguins, le risque, qu'il soit bactérien ou
viral a grandement diminué, notamment par la mise en place des
dépistages obligatoires. Mais, d'une part, tous les agents
pathogènes ne sont pas connus et, d'autre part, des mesures de
sélection accrue des donneurs peuvent être mises en place avec
profit. La sécurité sanitaire des produits sanguins peut donc
encore être améliorée.
Dans son rapport annuel 1994-1995, le comité de sécurité
transfusionnelle a estimé que la qualité du contrôle
virologique des produits sanguins labiles était très bonne, mais
que demeuraient un risque immunologique et un risque bactérien. C'est
pourquoi il a recommandé d'écarter définitivement du don
toutes les personnes ayant reçu du sang dans leur vie compte tenu, selon
M. Patrick Hervé, " de notre ignorance scientifique sur un certain
nombre d'agents infectieux, tels que ceux de l'hépatite G ou de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob ". Le comité a également
préconisé une déleucocytation systématique des
produits sanguins labiles. Les globules blancs peuvent en effet transmettre des
agents infectieux tels que le cytomégalovirus ou le HTLV. Le
secrétaire d'Etat chargé de la sécurité sociale et
de la santé, M. Hervé Gaymard, a indiqué que ces deux
mesures entreraient en application très prochainement.
1. Les décrets d'application de la loi du 29 juillet 1994 ne sont pas encore tous publiés
Deux ans et demi après la promulgation de la loi du 29
juillet 1994, tous ses décrets d'application ne sont pas encore
publiés.
Il en est notamment ainsi, par exemple, en ce qui concerne les conditions
techniques, sanitaires et médicales des prélèvements
d'organes, les procédures d'autorisation pour les établissements
effectuant des prélèvements de tissus, la transformation et la
conservation des prélèvements, la définition des
activités requérant une haute technicité.
2. L'hémovigilance et surtout la biovigilance ne sont pas encore bien rodées
La vigilance constitue une pièce essentielle d'un dispositif de sécurité sanitaire, dans la mesure où elle permet aux autorités sanitaires de réagir rapidement et à bon escient en cas d'effets inattendus ou indésirables résultant de l'administration ou de l'utilisation d'un bien de santé.
a) L'hémovigilance : un dispositif très récent
Pour les produits sanguins, l'article L. 666-12 du code de la
santé publique prévoit qu'" un décret fixe les
règles d'hémovigilance, et notamment la nature des informations
nécessaires à la surveillance des effets de l'utilisation des
produits sanguins labiles que les praticiens sont tenus de fournir ainsi que
les conditions d'exercice de cette surveillance. ".
Ledit article définit même la notion d'hémovigilance, qui
est " l'ensemble des procédures de surveillance organisées
depuis la collecte du sang et de ses composants jusqu'au suivi des receveurs,
en vue de recueillir et d'évaluer les informations sur les effets
inattendus ou indésirables résultant de l'utilisation
thérapeutique des produits labiles et d'en prévenir
l'apparition ".
Le système d'hémovigilance prévu par l'article L. 666-12
du code de la santé publique a été précisé
par le décret n° 94-68 du 24 janvier 1994. Celui-ci prévoit
que l'Agence française du sang en assure la mise en oeuvre. Pour ce
faire, elle est destinataire des informations concernant tout effet inattendu
ou indésirable concernant l'utilisation d'un produit sanguin labile
ainsi que celles qui sont recueillies au cours des phases de
préparation, de conservation et d'utilisation de ces produits. Ledit
décret prévoit que l'Agence transmet au ministère de la
santé les informations de nature épidémiologique qu'elle
recueille dans l'exercice de sa mission d'hémovigilance.
Dans chaque établissement de transfusion sanguine et dans chaque
établissement de santé, un correspondant d'hémovigilance
est chargé d'assurer le recueil et la conservation des informations
ainsi que le signalement de tout effet inattendu ou indésirable. En
outre, est créé au sein de chaque établissement de
santé un comité de sécurité transfusionnelle et
d'hémovigilance qui a pour mission d'améliorer, par ses
études et ses propositions, la sécurité des patients qui y
sont transfusés. Ce comité réunit le directeur de
l'établissement de santé ainsi que celui de
l'établissement de transfusion sanguine, les correspondants
d'hémovigilance des deux établissements et les
représentants des personnels soignants, notamment les principaux
services prescripteurs.
Au niveau régional, un coordonnateur de l'hémovigilance,
placé auprès du directeur régional des affaires sanitaires
et sociales, assure un rôle de coordination et de proposition.
Enfin, un centre national d'hémovigilance, à l'université
de Bordeaux II, est chargé, par convention avec l'Agence
française du sang, d'exploiter les informations recueillies.
Pour assurer l'effectivité du système d'hémovigilance,
l'article R. 666-12-24 du code de la santé publique, issu du
même décret du 24 janvier 1994 institue, pour tous les
médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ou infirmiers, une
obligation de signalement au correspondant d'hémovigilance de tout effet
inattendu ou indésirable susceptible d'être dû à un
produit sanguin labile.
A la différence de la pharmacovigilance, l'hémovigilance repose
sur un dispositif règlementaire très récent. Le rapport de
notre collègue député Bernard Serrou (" Vigilance
sanitaire : bilan et perspectives ") a montré qu'au milieu de
l'année 1995, l'activité des correspondants
d'hémovigilance était " très variable et leur
activité parfois formelle ", alors que plusieurs régions ne
disposaient pas encore de coordonnateurs régionaux.
La situation s'est améliorée depuis la publication du rapport de
M. Bernard Serrou, mais il est encore trop tôt pour porter un
jugement sur un dispositif aussi récent.
b) La biovigilance : un dispositif à construire
L'article L. 665-15 du code de la santé publique, tel
qu'il est issu de la loi dite bioéthique du 29 juillet 1994,
prévoit qu'" un décret en Conseil d'Etat fixe (...) les
conditions dans lesquelles s'exerce la vigilance concernant les
éléments et produits du corps humain, les produits, autres que
les médicaments, qui en dérivent, ainsi que les dispositifs
médicaux les incorporant, en particulier les informations que sont tenus
de transmettre les utilisateurs ou des tiers. ".
Le décret d'application de cette disposition, qui doit mettre en place
un système de biovigilance, n'est pas encore publié à ce
jour. Cependant, un arrêté du 9 octobre 1995, pris en application
du premier alinéa de l'article L. 665-15, fixe les modalités
de transmission des informations nécessaires au suivi et à la
traçabilité des organes, tissus et cellules utilisés chez
l'homme à des fins thérapeutiques depuis leur
prélèvement jusqu'à leur utilisation.
L'Etablissement français des greffes a déjà
rédigé un document, très détaillé,
préparatoire à la publication du décret sur la
biovigilance (" Sécurité sanitaire, définitions et
champ d'application, approche méthodologique, procédure de
fonctionnement, perspectives d'intégration ").
3. Une réforme inachevée sur le plan des principes : la séparation des contrôleurs et des gestionnaires n'est pas toujours effective
Les réformes entreprises en 1993, pour les produits
sanguins et, à un moindre degré, en 1994 pour les greffes
d'organes, de tissus et de cellules ne sont pas achevées au regard des
principes que votre Commission estime nécessaires de mettre en oeuvre
pour garantir la sécurité sanitaire.
Au nombre de ces principes figure la séparation entre, d'une part,
l'organisation, la production et la gestion et, d'autre part, le contrôle.
C'est cette confusion des genres qui a favorisé la survenue de graves
crises, telles que celle du sang contaminé ou de l'hormone de croissance.
Cet aspect n'a absolument pas été traité par la
réforme de la transfusion sanguine intervenue en 1993.
Ainsi, aux termes de l'article L. 667-5 du code de la santé publique,
l'Agence française du sang est-elle chargée de
" contribuer à la définition et à l'application de
la politique de transfusion sanguine, de coordonner l'activité et la
gestion des établissements de transfusion sanguine et d'assurer des
missions d'intérêt général afin de garantir à
la fois la plus grande sécurité possible et la satisfaction des
besoins en matière de transfusion sanguine et de favoriser l'adaptation
de l'activité transfusionnelle aux évolutions médicales,
scientifiques et technologiques, dans le respect des principes
éthiques. ".
A ce titre, l'Agence est chargée de promouvoir le don du sang, de
préparer les schémas d'organisation de la transfusion sanguine,
de donner au ministre des avis sur les tarifs de cession des produits.
On le voit, la confusion est grande entre les missions de contrôle et
celles de coordination de l'activité des établissements de
transfusion sanguine, c'est-à-dire une mission d'ordre
économique. Comment en effet une institution chargée de
contrôler l'activité des établissements de transfusion
peut-elle en même temps être chargée de coordonner leur
activité ? Comment une institution peut-elle à la fois garantir
la plus grande sécurité possible et la satisfaction des besoins
en matière de transfusion sanguine?
Une telle confusion existe aussi, mais dans une moindre mesure, au sein des
missions de l'Etablissement français des greffes.
Aux termes de l'article L. 673-8 du code de la santé publique, celui-ci
est en effet chargé, outre des missions de sécurité
sanitaire des greffes, de " promouvoir le don d'organes, de moelle, de
cornée ou d'autres tissus en participant à l'information du
public ".
Tant que cette confusion sera entretenue par les textes législatifs
fondateurs eux-mêmes, et quelles que soient la compétence et la
bonne volonté des personnes, la sécurité sanitaire ne
pourra être absolument garantie.
IV. LA RÉGLEMENTATION D'ORIGINE COMMUNAUTAIRE CONCERNANT LES DISPOSITIFS MÉDICAUX N'EST PAS ASSEZ STRICTE
La législation et la réglementation relatives
aux dispositifs médicaux a évolué dans les années
récentes à la suite de la publication de deux directives, la
directive n° 90/385/CEE relative aux dispositifs médicaux
implantables actifs et la directive n°93/42/CEE relative aux autres
dispositifs médicaux.
Les nouvelles dispositions, introduites en droit français par la loi
n° 94-43 du 18 janvier 1994, sont entrées en vigueur le 1er
janvier 1995 pour les dispositifs médicaux implantables actifs.
Elles entreront en vigueur le 14 juin 1998 pour les autres dispositifs
médicaux. Jusqu'à cette date, les fabricants peuvent, soit se
soumettre aux nouvelles dispositions d'origine communautaire, soit rester dans
le cadre de l'ancienne législation.
A. LA LÉGISLATION FRANÇAISE ANTÉRIEURE À L'ENTRÉE EN VIGUEUR DES DIRECTIVES
La législation française, qui date de 1982 et a
été modifiée en 1987, repose sur une procédure dite
d'homologation. Elle ne concerne pas tous les dispositifs médicaux, mais
seulement " les produits et appareils à usage préventif,
diagnostique ou thérapeutique utilisés en médecine humaine
dont l'emploi est susceptible de présenter des dangers pour le patient
ou l'utilisateur, directement ou indirectement, et qui sont inscrits sur une
liste arrêtée par l'autorité administrative ".
De fait, seule une petite fraction des dispositifs médicaux a
été soumise à homologation (environ 70 catégories
de dispositifs).
C'est une première faille de la législation
française : tous les dispositifs qui ne figurent pas sur la liste
ministérielle peuvent être mis sur le marché, jusqu'au 14
juin 1998, sans aucune procédure particulière
.
De fait, les auditions menées par la mission ont démontré
que la sécurité sanitaire des dispositifs et des
biomatériaux qui les composent n'était pas garantie.
La procédure d'homologation elle-même n'est pas exempte de points
faibles : l'article L. 665-1 du code de la santé publique prévoit
en effet qu'elle est accordée par l'autorité administrative
après avis d'une commission nationale d'homologation dont la composition
n'est pas exclusivement scientifique et qui fait même la part belle aux
représentants des producteurs et des acheteurs.
En outre, compte tenu de l'imminence d'une réglementation communautaire,
compte tenu aussi probablement de la faiblesse des effectifs de la division des
équipements, matériels médicaux et des innovations
technologiques de la direction des hôpitaux à laquelle,
curieusement - le fait que nombre de dispositifs médicaux soient
utilisés dans les hôpitaux ne peut être
considéré comme une bonne explication-, a été
confiée la gestion de ce secteur,
la liste des matériels
médicaux soumis à homologation n'a presque pas
évolué depuis le début des années 1990.
Certes, beaucoup de fabricants anticipent sur l'entrée en vigueur de la
législation nouvelle et se mettent en conformité dès
à présent ; mais,
juridiquement, rien ne s'oppose à un
" écoulement des stocks " de produits qui ne
présenteraient pourtant pas toutes les garanties de
sécurité.
B. LA NOUVELLE LÉGISLATION D'ORIGINE COMMUNAUTAIRE : DES PROGRÈS, MAIS QUI NE PERMETTENT PAS DE GARANTIR LA SÉCURITÉ SANITAIRE
La nouvelle législation est en progrès par
rapport à l'ancienne ; elle prévoit que tout dispositif
médical ne peut être mis sur le marché, mis en service ni
utilisé dans le cadre d'investigations cliniques s'il n'a reçu,
au préalable, un certificat attestant ses performances ainsi que sa
conformité à des exigences essentielles concernant la
sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des
tiers.
Cette certification de conformité (marquage CE), dont le nom est
identique à celui prévu pour les jouets, par exemple, est
établie par le fabricant lui-même ou par des organismes
désignés par l'autorité administrative : la France a
notifié un seul organisme, le G-Med, mais d'autres pays en ont
notifié plusieurs. Il en existe 56 au total en Europe.
Les dispositifs ayant obtenu le marquage CE dans un des pays de la
Communauté circulent librement en Europe.
Les dispositifs médicaux ont été classés en quatre
catégories en fonction de leur dangerosité. Les obligations
pesant sur les fabricants diffèrent selon leur appartenance à
telle ou telle catégorie.
Ainsi, pour les dispositifs de classe I, considérés comme non
dangereux, il n'y a pas d'intervention de l'organisme notifié. Le
fabricant est seulement tenu d'effectuer une déclaration de
conformité auprès d,e la Direction des Hôpitaux.
En revanche, pour les dispositifs des classes IIA, IIB et III, l'intervention
de l'organisme notifié est obligatoire.
La procédure du marquage CE, qui présente de meilleures
garanties que l'ancienne législation française, ne saurait
être considérée comme suffisante pour garantir la
sécurité sanitaire.
1. Les fabricants ne sont pas soumis à une procédure d'autorisation
A la différence de ce qui est exigé pour les
établissements pharmaceutiques
, il n'existe pas de procédure
d'autorisation des fabricants ou des importateurs
. Toute entreprise peut,
en Europe, fabriquer des dispositifs médicaux.
La distribution, elle non plus, n'est pas encadrée
, à
l'exception de certains secteurs pour lesquels il existe des professions
réglementées (optique, audioprothésistes).
Et les services déconcentrés du ministère de la
santé ne disposent pas de l'habilitation juridique pour accéder
aux locaux des fabricants, des importateurs et des distributeurs
. Seuls les
services de la répression des fraudes disposent d'une telle habilitation.
2. Les exigences requises pour l'attribution du marquage CE dans les différents pays européens risquent d'être hétérogènes
Les organismes notifiés, en Europe, ne semblent pas
d'une qualité homogène
. Or, pour avoir accès au
marché, les fabricants peuvent s'adresser à n'importe quel
organisme notifié en Europe.
L'hétérogénéité de ces organismes fait
reposer la sécurité sanitaire sur les services d'inspection
français, postérieurement à la mise sur le marché,
ce qui n'est pas satisfaisant.
3. Le marquage CE n'exige pas véritablement une évaluation du rapport bénéfice/risque
Le marquage CE n'apporte pas les garanties suffisantes en
matière de sécurité sanitaire.
En effet, il
s'apparente plutôt à
la reconnaissance de l'existence d'une
assurance qualité qu'à celle de la sécurité d'un
bien de santé : on ne peut conclure de l'examen des procédures
qu'il y a évaluation du rapport bénéfice/risque du
dispositif.
Ainsi, l'annexe I du décret du 16 mars 1995 prévoit que
" les dispositifs doivent être conçus et fabriqués de
telle manière que leur utilisation ne compromette pas l'état
clinique et la sécurité des patients ni la sécurité
et la santé des utilisateurs lorsqu'ils sont utilisés dans les
conditions et aux fins prévues. Les risques éventuels liés
à leur utilisation doivent constituer des risques acceptables au regard
du bienfait apporté au patient et compatibles avec un niveau
élevé de protection de la santé et de la
sécurité. " Elle dispose également que " les
dispositifs doivent atteindre les performances qui leur sont assignées
par le fabricant ".
Quant à l'annexe X, elle prévoit qu'" en règle
générale ", la confirmation du respect de ces exigences
ainsi que l'évaluation des effets secondaires indésirables
doivent être fondées sur des données cliniques.
L'examen de ces conditions n'est pas assimilable à une évaluation
du rapport bénéfices/risque, telle qu'elle existe pour le
médicament.
En effet, en ce qui concerne le numérateur (bénéfice), il
devrait être apprécié par rapport à une indication
donnée, scientifiquement validée. En outre, la
" performance " d'un dispositif n'est pas synonyme de
" bénéfice " pour le patient.
En ce qui concerne le dénominateur (risque), il devrait être
évalué en considérant le nombre d'incidents au regard du
nombre total de patients ayant utilisé le dispositif, donnée dont
l'organisme certificateur ne dispose pas. Enfin, l'annexe XI relative aux
critères minimaux pour la désignation des organismes
habilités n'exige ni la présence d'un médecin, ni celle
d'un pharmacien, présence qui serait utile pour apprécier les
indications et les risques.
4. Le système de matério-vigilance est très récent et imparfait.
Le système de matério-vigilance a
été mis en place par un décret du 15 janvier 1996 ; il est
donc trop récent pour pouvoir porter un jugement sur son fonctionnement.
Néanmoins, l'on relève que, si les incidents ou risques
d'incidents ayant entraîné ou susceptibles d'entraîner la
mort ou la dégradation grave de l'état de santé d'un
patient, d'un utilisateur ou d'un tiers doivent être obligatoirement
signalés,
d'autres événements ne font l'objet que d'une
déclaration facultative
. Il en est ainsi des réactions
nocives et non voulues se produisant lors de l'utilisation d'un dispositif
conformément à sa destination, mais aussi de tout
dysfonctionnement ou toute altération des caractéristiques ou des
performances d'un dispositif ou de toute indication erronée, omission ou
insuffisance dans la notice d'instruction, le mode d'emploi ou le manuel de
maintenance.
V. UNE RÉGLEMENTATION OU DES CONTRÔLES INSUFFISANTS POUR DE NOMBREUX AUTRES BIENS DE SANTÉ OU PRODUITS FRONTIÈRES
Votre commission a souhaité recenser des produits dont
la sécurité sanitaire n'est pas garantie en l'état de la
réglementation et des contrôles. Cette liste, établie
grâce au concours de l'Académie de pharmacie, de l'Académie
de médecine, de l'Etablissement français des greffes et de
l'Institut national de la consommation, ne saurait prétendre à
l'exhaustivité.
Elle vise à sensibiliser les pouvoirs publics sur l'urgence de certaines
modifications de la réglementation.
1. Substances et préparations utilisées en assistance médicale à la procréation, milieux de culture
Les Académies nationales de médecine et de
pharmacie ont récemment (le 3 décembre 1996) émis un voeu
concernant les substances et préparations utilisées dans le cadre
de l'assistance médicale à la procréation.
Ces produits, nous disent les Académies, " sont
délivrés actuellement en tant que réactifs de laboratoire
et ne sont soumis qu'à la seule réglementation correspondante,
alors qu'ils interviennent plus ou moins directement dans le processus de la
FIV. Au cours des manipulations, certains sont au contact de gamètes ;
d'autres, en particulier les milieux de culture, sont au contact des embryons ;
enfin, quelques-uns sont même injectés dans l'ovocyte avec le
spermatozoïde lors des fécondations par micro-injection et se
trouvent donc présents dans les toutes premières cellules
embryonnaires. Les conséquences paradoxales et graves de la situation
actuelle trouvent leur illustration dans le fait que des produits d'origine
bovine entrent dans la composition de milieux de culture des embryons alors
qu'ils ont été éliminés de tous les
médicaments et produits cosmétiques. "
Les Académies insistent sur l'urgence de l'élaboration d'un cadre
réglementaire, d'une vigilance et d'un système de
traçabilité pour ces produits.
Votre Commission estime nécessaire de s'intéresser à tous
les milieux de culture ; si elle a entrepris un premier travail
législatif en proposant les dispositions de la loi de mai 1996 qui
réglementent les thérapies génique et cellulaire et
donnent un statut aux " médicaments réactifs ", elle
considère qu'un travail de recensement et de réglementation doit
être rapidement entrepris au sujet de l'ensemble des milieux de culture.
2. Plantes médicinales ou à prétention thérapeutique
Il n'existe pas d'autorisation de mise sur le marché
pour les plantes. La vente des plantes inscrites à la pharmacopée
est soumise au monopole pharmaceutique, sauf dérogation fixée par
décret pour toute une liste de plantes.
Le ministre de la santé ne dispose pas d'un pouvoir autonome de police
sanitaire à l'égard de ces plantes ; en cas de danger grave ou
immédiat, des arrêtés interministériels de
suspension de mise sur le marché peuvent être pris sur la base du
code de la consommation.
3. Produits diététiques destinés à l'alimentation de patients atteints de maladies métaboliques, en particulier les mélanges d'acides aminés et les émulsions lipidiques
Les textes généraux relatifs aux denrées
alimentaires sont applicables à ces produits. En outre, les aliments
diététiques à des fins médicales spéciales
constituent une sous-catégorie des aliments destinés à une
alimentation particulière définis par le décret n°
91-827 du 29 août 1991.
Ce décret précise que les exigences essentielles quant à
la nature, la composition, la qualité des matières
premières utilisées, l'hygiène, les substances d'addition,
l'étiquetage et la publicité relatifs à ces produits sont
fixés par arrêtés conjoints des ministres chargés de
la consommation, de l'agriculture et de la santé, après avis du
conseil supérieur d'hygiène publique de France.
Les exigences essentielles concernant les aliments diététiques
destinés à des fins médicales spéciales n'ont
toutefois pas été fixées, dans l'attente d'une directive
européenne spécifique à ces produits. Ceux-ci peuvent
être mis librement sur le marché, les fabricants et les
importateurs étant exonérés de la déclaration au
préfet prévue par l'article 8 du décret
n° 91-827 du 29 août 1991.
Dans son rapport sur la nutrition clinique, le Professeur Lerebours
préconise, dans l'attente de dispositions communautaires, la mise en
place d'une réglementation nationale concernant ces aliments.
4. Compléments nutritionnels
Il n'existe pas de cadre réglementaire pour les
compléments nutritionnels ; ce sont les textes généraux
relatifs aux denrées alimentaires ou, dans certains cas, ceux relatifs
aux produits destinés à une alimentation particulière qui
s'appliquent.
Or, l'Académie de pharmacie dénonce l'usage prolongé, sans
surveillance, à des doses très supérieures aux doses
journalières admissibles, d'oligo-éléments (fluor,
sélénium...), de vitamines liposolubles et même
hydrosolubles telles que la vitamine B6. Elle dénonce aussi la promotion
frauduleuse d'une neurohormone (mélatonine) prétendue efficace
comme complément nutritionnel.
5. Lentilles de contact colorées
La mission d'information a été alertée par l'Institut National de la Consommation sur la nécessité d'instituer un contrôle et une vigilance sur les lentilles colorées, qui n'entrent pas dans la catégorie des dispositifs médicaux, alors, qu'elles présentent des risques analogues à ceux des lentilles correctrices. L'Institut National de la Consommation rapporte les informations transmises par des représentants du syndicat des médecins ophtalmologistes au groupe de travail " optique médicale " du Conseil National de la Consommation, selon lesquelles il y aurait un nombre d'accidents significatif et non répertorié en l'absence de vigilance concernant ces produits.
6. Cosmétologie
Selon l'Académie de pharmacie, il serait
nécessaire d'améliorer la sécurité sanitaire de
certains produits cosmétiques tels que les produits solaires.
En outre, la cosmétovigilance pourrait être
développée. Depuis un an, un réseau de
dermato-allergologie a été mis en place, mais il serait opportun
de généraliser cette initiative.
7. Xénogreffes
En dehors des dispositions relatives aux thérapies
génique et cellulaire de la loi du 29 mai 1996 qui englobent dans leur
champ les thérapies réalisées à partir de cellules
animales, il n'existe aucune législation ou réglementation
concernant les xénogreffes d'organes ou de cellules. La loi dite
bioéthique du 29 juillet 1994 ne traite en effet que des organes ou
cellules d'origine humaine.
L'Etablissement Français des greffes dénonce cette carence,
l'utilisation d'un organe, d'un tissu ou de cellules animales se pratiquant
sous diverses formes :
" - un certain nombre de dispositifs médicaux au sens de
l'article R 665-4 du code de la santé publique comportent du tissu
ou des cellules d'origine animale qui ont été rendus non viables
; ils bénéficient d'un encadrement réglementaire national
et européen sans pour autant que tous les problèmes aient
été résolus car le caractère " non
viable " du produit n'implique en aucun cas la suppression du risque
potentiel ;
" - la xénotransplantation est l'implantation d'un organe, d'un
tissu ou de cellules d'origine animale ; sa définition scientifique est
claire, tout au moins pour les organes, mais aucun texte ne réglemente
actuellement ni les produits utilisés, ni l'activité qui en
découle, ni n'attribue spécifiquement la compétence en ce
domaine à une structure d'Etat ou à un établissement
public national ;
" - la dérivation de sang humain vers un organe
prélevé chez l'animal (foie de porc par exemple) ou vers un
dispositif comportant des cellules animales vivantes (foie bioartificiel avec
culture d'hépatocytes porcins par exemple) n'a reçu à ce
jour aucune définition et n'appartient à aucune classification
car il ne s'agit, ni d'une greffe, ni d'une thérapie cellulaire (ce
point pourrait être discuté), ni de l'usage d'un dispositif
médical. "
Ces différents procédés constituent, selon le Pr Didier
Houssin, " un domaine de recherche scientifique et industriel très
actif, en décalage évident avec la réglementation existant
en ce domaine. "
VI. LES CONDITIONS DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES PRODUITS ALIMENTAIRES NE SONT PAS RÉUNIES
La crise de l'ESB a révélé le
caractère imparfait des procédures tendant à garantir la
sécurité sanitaire des produits alimentaires, tant en France
qu'au niveau communautaire.
Le présent rapport n'a pas pour ambition de se substituer aux
excellents rapports rédigés sur le sujet
, notamment celui qui
vient d'être présenté par notre collègue
député Jean-François Mattéi (" De la
" vache folle " à la " vache
émissaire " ") et qui présentent un panorama complet de
la réglementation applicable aux produits alimentaires.
Il vise
seulement, par référence à quelques exigences de la
sécurité sanitaire, à démontrer que les conditions
de la sécurité sanitaire des produits alimentaires ne sont pas
aujourd'hui satisfaites
.
Ainsi, les travaux menés par la mission ont permis de constater que deux
conditions principales de la sécurité sanitaire des produits
alimentaires n'étaient pas réunies : la connaissance des risques
liés à l'alimentation est très insuffisante pour fonder
une réglementation adéquate, et les autorités
chargées du contrôle ne disposent pas d'une indépendance
suffisante par rapport aux intérêts des producteurs ; leur
approche est essentiellement tournée vers la santé animale, ce
qui ne suffit pas à garantir la santé de l'homme...
A. LA CONNAISSANCE DES RISQUES LIÉS À L'ALIMENTATION EST TRÈS IMPARFAITE
Les produits d'origine animale et végétale
peuvent présenter des risques pour la santé humaine. Pour les
produits d'origine animale, ces risques sont microbiologiques, toxiques
(additifs...) ou pharmacologiques (médicaments...). En ce qui concerne
les produits d'origine végétale, les risques sont surtout
toxiques, qu'ils soient liés aux pesticides ou aux additifs ou qu'ils
résultent de toxines propres aux végétaux.
En fait, on connaît très imparfaitement le nombre total de
décès et de maladies ayant pour cause une infection alimentaire :
ce manque de connaissance constitue un obstacle majeur à
l'édiction de mesures propres à les prévenir.
En ce qui concerne les décès, les statistiques sont tenues par
l'INSERM de manière systématique.
On estime ainsi, pour 1994, le nombre de décès correspondant aux
infections d'origine essentiellement alimentaire du chapitre
" maladies
infectieuses et parasitaires " (rubriques 001 à 139 de la
9ème édition de la classification internationale des maladies) :
choléra : 0
typhoïde et paratyphoïde : 2
autres salmonelloses : 63
shigellose : 0
autres toxi-infections alimentaires : 53
infections intestinales dues à d'autres micro-organismes : 19
infections intestinales mal définies : 447
brucellose : 0
autres zoonoses bactériennes : 25
(dont listériose : 20)
Nombre total de décès par infections alimentaires à
souche connue : 160
Nombre total de décès par infections intestinales : 607
Ces chiffres appellent cependant trois observations.
D'une part, ils ne sont connus qu'avec un retard de deux ans, ce qui est trop
long pour pouvoir prendre des mesures immédiates.
D'autre part, ce sont des chiffres " planchers ". Une part
importante
de la mortalité est en effet classée comme
" inexpliquée ", et la déclaration de
décès mentionnera toujours l'affection principale du malade : un
malade du Sida décédé d'une infection alimentaire sera
considéré comme étant mort du Sida.
Enfin, si des maladies peuvent être clairement attribuées à
un produit bien identifié, d'autres ont très probablement une
origine alimentaire sans qu'un aliment particulier en soit à lui seul la
cause. Il en est ainsi notamment de certains cancers qui, bien entendu, ne sont
pas répertoriés comme des maladies d'origine alimentaire alors
qu'ils peuvent résulter directement des cancérogènes
alimentaires. Une comptabilisation de ces cancers conduirait à des
chiffres de mortalité beaucoup plus importants.
En ce qui concerne la morbidité
, la sous-estimation est encore
plus manifeste.
Le nombre de personnes atteintes ne peut être
inférieur à 66.000, et on peut multiplier ce chiffre par un
facteur important si l'on veut approcher de la réalité.
En
effet, les méthodes de surveillance actuelle ne comptabilisent qu'une
fraction seulement des infections alimentaires.
Alors que la mortalité est répertoriée de manière
centralisée et automatique, la morbidité n'est pas connue de
façon complète et périodique, et les informations
correspondantes sont recueillies par différents organismes.
Les sources du Réseau national de santé publique sont ainsi les
suivantes :
1. les déclaration obligatoires des toxi-infections alimentaires
collectives
(mais seuls sont répertoriés les épisodes
épidémiques : les infections alimentaires isolées ne sont
pas répertoriées, alors qu'elles constituent probablement la
majorité des toxi-infections) ;
2. la surveillance - pour une bactérie donnée -
effectuée par le centre national de référence
(le
centre national de référence recense les souches
bactériennes, correspondant chacune à un malade, qui lui sont
envoyées par une fraction seulement des laboratoires d'analyses
médicales (entre 30 % et 80 % des cas selon les CNR). Il faut
donc que le malade ait consulté un médecin pour ses
problèmes digestifs, ce qui n'est pas toujours le cas, loin s'en faut,
et que le médecin lui ait prescrit une analyse, qui n'est prescrite que
dans 5 à 10 % des épisodes diarrhéiques) ;
3. les investigations d'épidémies " communautaires "
(mais ces investigations sont partielles et fortuites) ;
4. divers réseaux de surveillance hospitaliers ou libéraux
(mêmes lacunes que pour le point 2, et risque de recroisement des
données avec d'autres sources).
Enfin, dernière limite à l'exhaustivité des statistiques,
le Réseau national de santé publique ne suit pas toutes les
catégories d'infections alimentaires. Sont seulement
comptabilisées les salmonelloses, les listérioses et les autres
toxi-infections alimentaires bactériennes, notamment le botulisme.
B. LES PROCÉDURES APPLICABLES À L'ALIMENTATION NE SONT PAS SATISFAISANTES AU REGARD DES PRINCIPES QUI DOIVENT GUIDER TOUTE POLITIQUE DE SÉCURITÉ SANITAIRE
Au regard des principes qui doivent guider toute politique de sécurité, les procédures applicables à l'alimentation ne sont pas aujourd'hui satisfaisantes. D'une part, en effet, elles ne sont pas nécessairement orientées vers la protection de la santé de l'homme. D'autre part, elles ne mettent pas toujours en oeuvre le principe de précaution. Enfin, les services chargés de la réglementation et du contrôle ne disposent pas d'une indépendance fonctionnelle suffisante.
1. La réglementation applicable aux produits alimentaires n'est pas nécessairement orientée vers la protection de la santé de l'homme
La réglementation applicable aux produits alimentaires
n'est pas suffisamment orientée vers la protection de la santé de
l'homme.
La lecture du code rural est, à cet égard, édifiante.
Ainsi, le livre II du titre III du code rural rassemble les mesures à
prendre en cas de " maladies des animaux ".
L'article 214 dudit code indique à cet égard que, " suivant
les modalités prévues par un arrêté conjoint du
ministre chargé de l'agriculture et du ministre chargé de
l'économie et des finances, le ministre chargé de l'agriculture
peut prendre toutes mesures destinées à prévenir
l'apparition, à enrayer le développement et à poursuivre
l'extinction des maladies des animaux réputées contagieuses... La
Commission nationale vétérinaire, à laquelle le ministre
chargé de l'agriculture communique tous renseignements relatifs aux
épizooties, donne son avis sur le choix des maladies pouvant faire
l'objet de mesures réglementaires et sur les mesures que peut exiger une
maladie. " Cet article, qui se termine par les conditions dans
lesquelles
le ministre chargé de l'agriculture peut accorder des subventions aux
exploitants en vue du diagnostic, du traitement des maladies des animaux, de
l'élimination des animaux malades, ne concerne que les maladies
contagieuses pour les animaux.
Or, si les maladies contagieuses pour l'animal doivent être
éradiquées, elles ne peuvent pas être assimilées aux
maladies transmissibles à l'homme.
Ce n'est pas le risque encouru par
l'animal qui devrait seul être pris en compte, mais celui que prend
l'homme en consommant un produit d'origine animale
.
En outre, la réglementation ne prévoit pas de conditionner les
autorisations de produits ou de procédés à
l'évaluation du rapport bénéfices/risques pour la
santé humaine
.
2. Le principe de précaution n'est pas toujours appliqué
L'exemple de l'utilisation de l'avoparcine comme additif
montre que le principe de précaution n'est pas toujours appliqué.
L'avoparcine est un antibiotique utilisé depuis une vingtaine
d'années dans l'alimentation animale, non pour soigner les animaux mais
comme facteur de croissance.
Or, depuis 1986, divers indices ont laissé penser que l'emploi de cet
antibiotique comme additif pourrait avoir sélectionné des souches
résistantes à la vancomycine, utilisée en médecine
humaine dans le traitement d'infections à staphylocoques.
Le ministère de la santé français a donc demandé
que l'avoparcine soit retiré de la liste des additifs autorisés
dans la Communauté européenne. Mais la Commission
interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale
(qui, sur un total de 47 membres, comprend 8 représentants de la
santé et 7 des professions concernées) a émis un avis
favorable au maintien de l'avoparcine sur cette liste, au motif que les preuves
du transfert d'une souche résistante de l'animal à l'homme
n'étaient pas complètement établies.
L'application du principe de précaution aurait dû conduire la
commission à formuler un avis contraire : en effet, la charge de la
preuve de l'absence de nocivité appartient aux fabricants d'avoparcine,
et non le contraire. C'est ce qui a conduit le rapporteur du Conseil
supérieur d'hygiène publique de France à déclarer
que : " parce que le principe de précaution devrait guider notre
action, il semble que les antibiotiques qui présentent une
résistance croisée avec ceux utilisés en médecine
humaine ne devraient pas être autorisés dans l'alimentation
animale ".
3. L'indépendance des contrôles est insuffisante
La sécurité d'un produit dépend à
bien des égards de la compétence et de l'indépendance des
contrôleurs.
Or, si la compétence des vétérinaires inspecteurs du
ministère de l'agriculture n'est pas en cause, bien au contraire, leur
rattachement à une administration qui est, par ailleurs, chargée
de la santé économique du secteur agricole constitue un obstacle
fonctionnel à la conduite d'une politique de sécurité
sanitaire des produits alimentaires.
Les vétérinaires eux-mêmes ne sont pas satisfaits du
système, et nombreux sont ceux qui appellent à une
séparation des missions au sein de l'Etat.
Ainsi, dans le journal " le Quotidien du médecin " du 18
juin
dernier, le président du conseil supérieur de l'Ordre des
vétérinaires, le Pr Michel Lapras, demandait de nouveaux moyens
de contrôle de la chaîne alimentaire et se prononçait en
faveur de la création d'une agence de l'alimentation. La journaliste
Liliane Laplaine indiquait que " les vétérinaires subissent
trop de pressions, trop de facteurs non sanitaires sont pris en compte, de
nature économique ou politique. Par exemple, il est important de
" ne pas faire bouger les campagnes ", ne pas bousculer les
groupements d'éleveurs, alors que, peu à peu, ils marginalisent,
évincent les vétérinaires pour les remplacer par leurs
salariés pour des tâches qui ne sont pas de leur ressort ".
VII. LA VEILLE SANITAIRE, DOTÉE DE MOYENS INSUFFISANTS, N'EST PAS ASSEZ COORDONNÉE NI PERFORMANTE
La conduite d'une politique de santé repose sur
l'existence d'un réseau de veille sanitaire organisé et
performant.
En effet, les systèmes de vigilance, qui concernent tous les produits
réglementés, ne suffisent pas. S'ils participent à la
surveillance des effets indésirables liés à
l'administration ou à l'absorption de ces produits, et permettent
à l'autorité administrative de réagir en modifiant, le cas
échéant, la réglementation relative à ces produits,
ils ne contribuent pas à la détection de tout
événement imprévu affectant la santé de la
population, quelle qu'en soit l'origine.
C'est pourquoi il est indispensable que les pouvoirs publics mettent en place
des structures qui assurent la détection de tout événement
imprévu, anormal, avant qu'il soit complètement apparu ou
dès son apparition.
Il est également indispensable d'assurer le tri et l'exploitation des
informations relatives à ces événements et d'alerter les
pouvoirs publics en temps utile afin d'empêcher que ces
événements se reproduisent ailleurs ou plus tard.
Trop longtemps, la France a négligé cette fonction de veille
sanitaire pourtant indispensable à la conduite d'une politique de
santé.
Un progrès sensible a été réalisé avec la
création, en 1992, du Réseau national de santé publique
(RNSP). Mais celui-ci, malgré l'augmentation de 50% de sa dotation
budgétaire pour 1997, dispose de peu de moyens et il prend sa place
parmi une multitude d'organismes susceptibles d'accomplir une mission de veille
sanitaire, organismes qui ne sont pas suffisamment coordonnés et qui ne
participent pas véritablement à des procédures d'alerte
organisées.
A. LA CRÉATION DU RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE : UN PROGRÈS INSUFFISANT
Le Réseau national de santé publique a
été créé en 1992 sous la forme d'un groupement
d'intérêt public constitué entre l'Etat, l'INSERM et
l'Ecole nationale de santé publique pour renforcer le dispositif
d'épidémiologie d'intervention en France. Ses missions
principales consistent en la surveillance épidémiologique,
l'évaluation des risques en matière de maladies infectieuses et
de maladies d'origine environnementale.
Sa fonction de surveillance l'a amené à s'intéresser
à la tuberculose, à la coqueluche, à l'hépatite C,
au Sida, mais aussi au saturnisme, à la toxoplasmose, aux maladies
à déclaration obligatoire, à la rougeole, aux MST et
à la pollution atmosphérique.
A ce titre, il gère des systèmes d'information sanitaire et anime
des réseaux de professionnels de santé. Ainsi, 500
médecins généralistes bénévoles
(" réseaux sentinelles ") collaborent avec le Centre de
coordination du Réseau national de santé publique. Ces
médecins, répartis sur l'ensemble du territoire national,
procèdent à une déclaration télématique
hebdomadaire afin de déclarer le nombre de cas constatés pour
certaines maladies (grippe, varicelle, oreillons, hépatite...).
Le Réseau national de santé publique est structuré en
trois unités, l'unité des maladies infectieuses, l'unité
santé-environnement et l'unité des systèmes d'information
et de la communication.
Ses activités sont réalisées, soit en interne grâce
aux personnels du réseau, soit par des organismes extérieurs
particulièrement compétents dans le domaine faisant l'objet de
l'investigation et avec lesquels le Réseau national de santé
publique passe des conventions.
Les résultats des enquêtes menées par le Réseau
national de santé publique font, selon les cas, l'objet d'une
transmission à l'administration de la santé. La convention liant
le Réseau national de santé publique et la Direction
générale de la santé prévoit en effet que le
Réseau national de santé publique informe l'administration des
résultats de la gestion des données des maladies à
déclaration obligatoire. Les résultats de ces enquêtes
peuvent également être publiés dans le Bulletin
épidémiologique hebdomadaire, diffusé par le
ministère de la santé.
Les moyens dont dispose le Réseau national de santé publique
depuis sa création sont en constante augmentation : ses effectifs sont
passés de quatre ou cinq personnes en 1993 à trente cinq
personnes environ aujourd'hui.
Même si les dimensions des Etats-Unis et de la France ne sont pas
comparables, il convient de comparer ces trente-cinq personnes avec les quelque
10.000 employés des Centers for Disease Control and prevention qui
constituent le modèle ayant inspiré la création du
Réseau national de santé publique. Il faut aussi comparer les
quelque 52 millions de francs dont dispose le Réseau national de
santé publique et les 2 milliards de dollars qui constituent le budget
annuel du CDC.
De même, les missions du Réseau national de santé publique,
essentiellement orientées vers la surveillance des maladies
infectieuses, ne peuvent traduire l'ambition d'un véritable
réseau de veille sanitaire destiné à détecter tout
événement concernant la santé de la population, quelle
qu'en soit l'origine
.
B. UNE MULTIPLICITÉ D'ORGANISMES ASSUME, DIRECTEMENT OU NON, DES MISSIONS DE VEILLE SANITAIRE : MAIS ILS TRAVAILLENT ISOLÉMENT, SANS PROCÉDURE DE COORDINATION OU D'ALERTE ORGANISEE
Au cours de leurs travaux, les membres de la mission ont pris
la mesure de la multiplicité d'organismes susceptibles, à un
titre ou un autre, directement ou non, d'assumer des missions de veille
sanitaire. Elle a tenté un recensement, tout en étant consciente
du caractère nécessairement incomplet d'une telle
opération. Les ministres chargés de la santé, de
l'économie et des finances, de l'environnement, de l'industrie et de
l'agriculture ont été sollicités par la mission afin de
recenser ceux de ces organismes qui leur sont rattachés.
Ces organismes sont de statuts divers, et ils sont rattachés à
des ministères différents. L'audition de responsables de beaucoup
d'entre eux a donné aux membres de la mission le sentiment que chacun
faisait un bon travail, disposait de personnels compétents et oeuvrait
dans l'intérêt commun. Mais ces auditions ont également
montré l'extrême cloisonnement entre la plupart des organismes,
dont chacun ignore l'activité des autres. Elles ont également
montré leur isolement et la faiblesse des procédures d'alerte
.
Outre la Direction générale de la santé, ont
été relevés parmi les organismes situés dans
l'orbite du ministère de la santé, les observatoires
régionaux de la santé, les centres de référence
contre les maladies transmissibles ou l'Office de protection contre les
rayonnements ionisants, qui conseille les pouvoirs publics sur les mesures
à prendre en cas d'accident ou d'incident dû à des
rayonnements ionisants et assure à cet effet une veille permanente. Cet
organisme a mis en place un réseau de prélèvements sur
l'ensemble du territoire et un réseau de surveillance du rayonnement
ambiant (TELERAY).
Participent aussi à la veille, la commission de toxicovigilance et le
réseau national de toxicovigilance, ainsi que le Haut comité de
la santé publique, qui a pour mission de développer l'observation
de la santé de la population et le Comité supérieur
d'hygiène publique de France, qui a notamment pour mission d'exercer des
missions d'expertise en matière de prévision, d'évaluation
et de gestion des risques pour la santé de l'homme. L'on peut
également citer la commission nationale de médecine et de
biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal, qui remet chaque
année au ministre un rapport portant sur l'évolution de la
médecine et de la biologie dans ces deux secteurs.
La veille sanitaire est également une préoccupation de l'INSERM
qui mène des recherches en santé publique. Ainsi, son directeur
général, le Pr Claude Griscelli, a récemment
déclaré : " jusqu'à présent, les instances
d'évaluation scientifiques intervenaient déjà en
établissant à chaque début de mandat quadriennal un
rapport de conjoncture et de prospective fort apprécié, mais il
peut se passer beaucoup de choses en quatre ans ! J'ai donc souhaité que
ces instances repèrent au fur et à mesure de l'évaluation
scientifique des équipes et des hommes, les éléments
nouveaux pour pouvoir diffuser des informations utiles à la
veille. " Les recherches menées par le CNRS peuvent aussi
être utilisées dans la veille sanitaire.
Le ministère de l'environnement dispose également d'organismes
impliqués dans la veille sanitaire : il en est ainsi de l'Institut
national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), de l'Institut
de la protection et de la sûreté nucléaire et de l'Agence
de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
Du côté du ministère de l'Economie et des Finances, la
Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes (DGCCRF) assure la surveillance des produits dans
le cadre de sa mission générale de protection de la
sécurité des consommateurs. La DGCCRF participe en outre à
plusieurs organismes consultatifs, tels que la Commission de Technologie
Alimentaire, chargée d'évaluer les pratiques et
procédés dans la fabrication et la conservation des
denrées alimentaires, la Commission interministérielle
d'étude des produits destinés à une alimentation
particulière, qui donne son avis pour les questions relatives à
la réglementation des produits diététiques et son
application, ou la Commission interministérielle et interprofessionnelle
de l'alimentation animale, qui examine les dossiers d'autorisation des additifs
et leurs conséquences pour les consommateurs.
La Commission de la sécurité des consommateurs est un organisme
indépendant, mais auprès duquel le DGCCRF exerce la fonction de
commissaire du Gouvernement. Malgré des compétences très
larges, cet organisme, dont la qualité des travaux est reconnue, se
focalise de plus en plus sur les accidents domestiques.
En matière agricole et alimentaire, il convient de citer l'INRA, le
CNEVA, la commission de technologie alimentaire, la commission nationale des
labels et des certifications de produits agricoles et alimentaires, la
commission nationale de l'alimentation, la commission d'étude de la
toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et
assimilés, des matières fertilisantes et supports de culture ou
le Conseil National de la Consommation.
L'Observatoire des Consommations Alimentaires, institué par un
arrêté du 8 juin 1990, a pour mission d'améliorer la
connaissance de la structure de la consommation alimentaire, de façon
à fournir aux pouvoirs publics les éléments d'information
leur permettant d'apprécier les risques que peuvent comporter les
consommations alimentaires pour la santé de l'homme.
Les organismes sociaux ont aussi mis en place des organismes qui oeuvrent en
faveur de la veille sanitaire : il en est ainsi de l'IRNS, à Nancy, en
matière de sécurité du milieu de travail.
Enfin, se fondant sur les dispositions du Traité de Maastricht, une
série de programmes concernant la santé publique a
été mise en oeuvre au niveau européen. Trois programmes
ont déjà été adoptés par le Parlement et le
Conseil : il s'agit du programme général d'information,
d'éducation et de formation à la santé, du programme de
prévention contre le Sida et du plan d'action contre le cancer. Le 18
juin 1996 a en outre été adoptée une position commune en
vue de l'adoption de la décision du Parlement et du Conseil adoptant un
programme d'action communautaire en matière de surveillance de la
santé publique.
La multiplicité des organismes de veille sanitaire ne constitue pas, en
soi, un obstacle à la conduite d'une veille sanitaire performante. On
pourrait même prétendre le contraire, à condition que ces
organismes couvrent l'ensemble du champ de la santé de la population,
que leur action soit coordonnée et qu'ils participent à un
système d'alerte efficace : ce n'est pas le cas aujourd'hui.
DEUXIÈME PARTIE
LES PROPOSITIONS : UN CAHIER
DES CHARGES ET UNE NOUVELLE ORGANISATION ADMINISTRATIVE
I. LES LEÇONS DU BILAN RÉALISÉ PAR VOTRE COMMISSION
Le bilan dressé dans la première partie du présent rapport montre que, malgré les progrès accomplis, la sécurité sanitaire des biens de santé et des produits alimentaires n'est pas suffisamment ni uniformément garantie.
1. Une sécurité sanitaire non uniforme et des institutions de contrôle trop cloisonnées
Le bilan réalisé en première partie a
montré que, si la sécurité du médicament semble
bien assurée, celle de nombreux biens de santé est très
insuffisante (dispositifs, milieux de culture...) et celle du sang et, à
un moindre degré, des greffes peut être menacée en raison
même de l'organisation du contrôle sanitaire.
Parallèlement, les institutions créées pour garantir la
sécurité sanitaire de chaque catégorie de produits sont
trop cloisonnées, malgré la bonne volonté exprimée
par leurs dirigeants.
Un tel éclatement se retrouve au niveau des systèmes de
vigilance, établis et fonctionnant séparément, ainsi
qu'à celui des inspections : coexistent en effet des inspections
spécialisées (Agence du médicament, Agence
française du sang) et des inspections
" généralistes " de la santé ou de la pharmacie,
ce qui pose un problème de coordination.
2. Les missions de certaines institutions de contrôle sont très ambiguës
Si les réformes entreprises depuis le début des
années 1990 ont tendu à instituer des autorités de
contrôles indépendantes, expertes et spécialisées,
les missions de certaines d'entre elles sont très ambiguës. Il en
est ainsi de celles de l'Agence française du sang, à la fois
chargée de garantir la sécurité sanitaire et de coordonner
l'activité des établissements de transfusion sanguine.
Une telle confusion des genres ne peut, quelles que soient les bonnes
intentions et la compétence des dirigeants de l'Agence, qu'être
préjudiciable à la sécurité sanitaire.
3. Fait grave, le degré de sécurité garanti par la législation, la réglementation et les contrôles dépend de la nature des produits et pas de leur dangerosité
Notre législation sanitaire est une législation
éclatée, qui établit des prescriptions spécifiques
pour de multiples catégories de produits. Certaines catégories de
produits sont bien contrôlées, d'autres moins, d'autres pas du
tout.
Il s'en suit qu'un produit appartenant à une catégorie bien
contrôlée, mais présentant a priori peu de risques pour la
santé fera l'objet de plus de mesures de précaution qu'un produit
très risqué mais appartenant à une catégorie
différente.
Ainsi, un médicament anodin pouvant être délivré
sans prescription fera l'objet de contrôles plus stricts qu'un pace maker.
4. La législation sanitaire peut être utilisée comme paravent, alors que l'utilisation d'un produit dans des conditions particulières peut se révéler très dangereuse
L'existence de multiples législations rattachées
à des catégories de produits présente de nombreux effets
pervers.
Non seulement de plus en plus de produits présentent des
caractéristiques qui en font des " produits
frontières ", dont on ne sait pas très bien à quelle
catégorie ils appartiennent et donc, à quelles procédures
de contrôle ils doivent être soumis, mais certains produits peuvent
être utilisés à des fins autres que celles qui sont
prévues par la législation. Dans ce cas, le prétendu
respect des prescriptions réglementaires ne protège pas contre
certains risques.
Ainsi, nous avons vu que les Académies de médecine et de
pharmacie ont récemment présenté un voeu concernant les
différentes substances utilisées dans la phase biologique des
techniques d'assistance médicale à la procréation, dont la
sécurité n'est pas assurée.
Certes, ces produits sont actuellement délivrés en tant que
réactifs de laboratoire et ils ont satisfait aux exigences posées
par la législation sur les réactifs, mais, utilisés
à d'autres fins, ils présentent des risques particuliers et non
maîtrisés.
Ceci pose, d'une manière plus générale, le problème
de la réglementation des conditions d'emploi des biens de santé.
Si l'on excepte les greffes d'organes, il n'existe pas, même pour le
médicament, d'obligation d'emploi ou d'utilisation thérapeutique
d'un bien de santé dans certaines conditions. Ainsi, malgré les
progrès réalisés dans le cadre des ordonnances
Juppé du 24 avril 1996, qui établissent un lien entre la
prescription dans le cadre des indications de l'autorisation de mise sur le
marché des médicaments et le remboursement par la
sécurité sociale, un médecin peut toujours, sous sa
responsabilité, prescrire hors AMM et l'on peut toujours implanter un
dispositif médical hors de ses conditions normales d'emploi.
5. La sécurité sanitaire des produits alimentaires n'est pas bien garantie
Le bilan établi par votre Commission comme par différents rapports récents montre que la sécurité sanitaire des produits alimentaires n'est pas bien garantie. Il n'existe pas suffisamment d'outils permettant d'évaluer les risques associés à l'alimentation, l'ambiguïté des missions du ministère de l'agriculture et de l'alimentation est encore plus forte que celle qui a été dénoncée, pour ce qui la concerne, pour l'Agence française du sang, et la santé de l'homme ne semble pas la première préoccupation de la réglementation.
6. La veille sanitaire n'est pas bien assurée ni coordonnée
De très nombreux organismes interviennent en
matière de veille sanitaire ; ces organismes sont rattachés
à des ministères différents, et mènent chacun une
politique autonome, sans coordination particulière autre que celle qui
résulte du bon vouloir de directeurs d'administration centrale.
Malgré le progrès constitué par la création du
Réseau national de santé publique, celui-ci ne dispose pas des
moyens suffisants pour assumer à lui seul l'ensemble de la veille
sanitaire ou pour en constituer la " tête de réseau ".
Or, la veille sanitaire est un outil essentiel des politiques de santé
et permet seule de donner l'alerte en temps utile afin de prendre rapidement
les mesures nécessaires.
La veille sanitaire ne peut se résumer à
l'épidémiologie, son champ comprend l'ensemble des dimensions de
la santé de la population. Elle seule, assurant les fonctions de
surveillance, d'alerte et de recommandation aurait pu contribuer à
éviter l'affaire de l'amiante.
II. LE CAHIER DES CHARGES DE L'ETAT
Réfléchir à de meilleures garanties pour la sécurité sanitaire et la veille sanitaire, ce n'est pas nécessairement penser à des institutions nouvelles, à des structures administratives supplémentaires : il nous faut d'abord établir un cahier des charges et le confronter aux enseignements du bilan établi en première partie, dont nous venons de rappeler les principaux éléments.
1. Une priorité : la protection de la santé
Cette première exigence du cahier des charges, compte
tenu du sujet traité, pourrait apparaître comme un truisme :
lorsque l'on veut garantir la sécurité des produits
destinés à l'homme, l'idée de placer la santé de
l'homme en tête des priorité n'apparaît pas comme une
percée conceptuelle... et pourtant...
Le droit communautaire relatif aux dispositifs médicaux, qui met en
place, pour des produits pouvant comporter des dangers comme les stimulateurs
cardiaques, des procédures qui s'apparentent à celles qui
s'appliquent aux jouets, n'apparaît pas inspiré par la
volonté première de garantir la santé des patients.
De même, l'organisation de la sécurité sanitaire des
produits alimentaires, au niveau communautaire comme en France, semble parfois
privilégier la santé de l'animal sur celle du consommateur.
Et, lorsque le code de la santé publique confie à l'Agence
française du sang la mission de garantir " à la fois la plus
grande sécurité possible et la satisfaction des besoins en
matière de transfusion sanguine ", il place sur le même plan
la sécurité des produits et leur disponibilité en
quantité suffisante.
Ce n'est donc pas un truisme que d'affirmer qu'en toute circonstance, la
santé de l'homme doit être privilégiée.
La protection de la santé, déclinaison moderne de la
sûreté dont la puissance publique est le garant, fait partie des
fonctions régaliennes de l'Etat. Le Conseil constitutionnel l'a lui
même reconnu lorsqu'il a examiné la constitutionnalité des
dispositions de la loi dite " Evin " : il a estimé que
l'impératif de protection de la santé justifiait que l'on
portât, le cas échéant, atteinte au droit de
propriété.
Il conviendrait que la supériorité de ce principe,
affirmée en droit, trouve plus souvent sa traduction dans l'organisation
administrative de l'Etat, dans la législation et la
réglementation ainsi que dans les arbitrages rendus à
l'échelon interministériel.
2. Un garant : l'Etat
La sécurité sanitaire des produits et la
protection de la santé font intervenir plusieurs acteurs, et notamment
les producteurs, les distributeurs, les consommateurs, l'Etat.
Les producteurs et les distributeurs ont -et auront de plus en plus
-intérêt à ce que la sécurité de leurs
produits soit garantie.
Cela est vrai, depuis longtemps, pour l'industrie pharmaceutique. Le retrait du
marché d'un médicament qui présenterait des défauts
de conception ou de fabrication peut entraîner, pour le laboratoire qui
l'exploite, des pertes financières énormes, voire une faillite.
Compte tenu de la concentration croissante de cette industrie, la suspicion
à l'égard d'un médicament produit par un laboratoire
rejaillit aussitôt sur l'ensemble de la gamme de ses produits. En outre,
les frais de recherche, de développement et de lancement d'un
médicament sont tellement importants qu'aucun doute ne peut être
permis en ce qui concerne les conditions de sa fabrication.
Cela est vrai aussi pour les grandes entreprises du secteur agro-alimentaire,
qui développent une politique de marque et ne peuvent pas se permettre
qu'un de leurs produits soit suspecté.
Cela était peut-être moins vrai, jusqu'à une période
récente, pour certains fabricants ou petits producteurs.
Ainsi, non seulement les fabricants de matériel médical sont
souvent des PME-PMI, qui fabriquent à une petite échelle, mais
aussi aucun système fiable de matério-vigilance ne permettait
jusqu'au début de l'année 1996 d'assurer une large diffusion aux
informations concernant d'éventuels accidents ou effets
indésirables. L'utilisation de certains dispositifs a pu provoquer des
accidents, même nombreux, sur le territoire national, sans que personne
ne s'en préoccupe, autre que le prescripteur ou le chirurgien
directement confronté à l'incident ou à l'accident et qui
ont ainsi été incités à changer de marque ou de
méthode.
De même, des petits producteurs dans le secteur alimentaire n'ont
longtemps pas eu d'incitation économique à la
sécurité, leur produit partant dans un circuit de distribution
sans qu'aucune traçabilité soit possible.
Cela change, tant pour les dispositifs médicaux que pour le secteur
alimentaire. Les exigences de traçabilité se multiplient dans les
deux secteurs, et un système de matério-vigilance se met en place
pour les dispositifs. Les distributeurs de produits alimentaires, de plus en
plus, engagent leur nom et leur réputation sur les produits qu'ils
distribuent. Enfin, l'affaire de l'ESB a montré que toute la
filière bovine avait intérêt à garantir la
qualité, et que les dérives constatées dans quelques
exploitations pouvaient compromettre la survie économique de tous les
producteurs.
Cet intérêt des producteurs pour la sécurité
sanitaire de leurs produits doit être absolument exploité, et il
convient donc de développer autant que possible les procédures
d'assurance-qualité.
Autre acteur intervenant pour garantir la sécurité sanitaire : le
consommateur.
Grâce aux informations dont il dispose, le consommateur peut effectuer
des choix qui le conduisent à privilégier ceux des produits dont
il estime qu'ils présentent de meilleures garanties de
sécurité pour sa santé. Ces informations peuvent
émaner des producteurs eux-mêmes, mais aussi d'organismes
officiels ou indépendants, de la presse, d'autres consommateurs ou
d'associations de consommateurs.
L'intérêt des producteurs que la sécurité de leurs
produits soit garantie ou la croyance en la rationalité des choix du
consommateur conduit certains à estimer que le rôle de l'Etat dans
la protection de la santé n'est qu'accessoire. Ils estiment que l'on
peut quasiment se satisfaire des procédures d'assurance-qualité
définies par les producteurs, des labels qu'ils mettent en place et de
la régulation par le marché, les consommateurs éliminant
par eux-mêmes les produits qui ne présenteraient pas toutes les
garanties en termes de sécurité sanitaire.
Tel n'est pas le point de vue de votre Commission.
Elle estime en effet que l'existence de procédures
d'assurance-qualité au sein de l'industrie ou du secteur agricole ne
saurait dispenser les pouvoirs publics de leur travail d'inspection et de
contrôle, ni de leur tâche de réglementation
. C'est en
effet à l'Etat qu'il appartient de définir le contenu des
procédures d'assurance-qualité et d'en contrôler le
respect. En outre, pour les biens de santé, l'assurance-qualité
ne saurait suffire : il faut évaluer le rapport
bénéfices/risques pour le patient, et une telle mission ne peut
être confiée aux producteurs.
Votre commission estime aussi que la régulation par le marché
ne saurait suffire, car, le plus souvent, l'information du consommateur n'est
pas complète
. En outre, attendre la régulation par le
marché, c'est se permettre d'attendre la survenue de l'incident ou de
l'accident qui, s'il est connu, est susceptible d'entraîner des
réactions des consommateurs.
La sécurité sanitaire doit
être garantie a priori.
C'est pourquoi votre Commission estime que, si l'Etat ne doit pas se passer du
concours des producteurs ou des consommateurs, il demeure garant de la
sécurité sanitaire.
3. Le point d'équilibre du bénéfice et du risque doit être recherché en fonction de la nature des produits
L'Etat, garant de la sécurité sanitaire, doit
mettre en place des réglementations et des contrôles qui
garantissent la sécurité sanitaire.
Cela étant dit, il reste à définir le niveau de risque qui
doit être recherché.
Votre Commission estime, d'une part, que le risque zéro ne peut
être atteint -il faut donc être réaliste- et, d'autre part,
que le niveau de risque accepté dépend de la nature des produits.
En ce qui concerne les biens médicaux, le degré de
sécurité recherché ne peut être défini comme
une valeur absolue
. Chacun sait que l'administration ou l'implantation d'un
produit ou d'un appareil médical ne se justifie qu'en raison de
l'existence d'une maladie, et qu'il présente toujours des risques.
Il faut donc examiner le rapport entre le bénéfice qui est
attendu pour le patient grâce à cette administration ou cette
implantation et le risque encouru.
C'est l'appréciation du rapport
bénéfices/risques associé à chaque bien
médical qui doit conduire à son autorisation ou au refus
d'autorisation.
Ainsi, les mêmes risques ne peuvent être acceptés pour un
médicament bénin contre la toux et pour un greffon cardiaque, car
les dangers encourus par le patient en cas de non-administration du
médicament et d'absence de greffe ne sont pas identiques.
L'appréciation du rapport bénéfices/risques est complexe,
car nous sommes dans un domaine relatif : dans la mesure où le risque
peut être défini comme le produit d'un danger, même
incertain, par une probabilité, une autorisation de mise sur le
marché comme un refus d'autorisation généreront leurs
propres effets pervers, incidents liés au bien médical dans un
cas, incidents liés à la non-administration dans l'autre.
En toute hypothèse, le risque minimal doit être recherché
et garanti.
Cette philosophie doit également inspirer les pouvoirs publics dans
d'autres secteurs que celui des biens médicaux, même si elle s'y
applique un peu différemment, qu'il s'agisse, par exemple des produits
alimentaires, des produits industriels, de l'air ou de l'eau. Pour ces produits
ou milieux, il est difficile d'apprécier un rapport
" bénéfices/risques " : dans certains cas, en effet, le
produit est très substituable (on peut toujours remplacer un aliment par
un autre), tandis que dans d'autres, il n'y a pratiquement pas de substitution
possible (c'est le cas de l'eau et surtout de l'air).
Pour ces produits ou milieux, deux principes sont à
recommander : la recherche du risque minimal et le principe de
précaution, qui signifient que l'absence de certitude scientifique ne
doit pas constituer un obstacle à la prise de décision.
4. Les institutions de contrôle doivent être fonctionnellement indépendantes par rapport aux intérêts des producteurs et disposer d'une réelle légitimité scientifique
Votre Commission estime que les institutions chargées
du contrôle des produits, de la délivrance des autorisations et de
l'inspection des sites doivent être fonctionnellement
indépendantes par rapport aux intérêts des producteurs.
En effet, en matière de sécurité sanitaire, le
mélange des genres nuit à la qualité des décisions
comme à leur opportunité. Il peut conduire à des retards
ou à l'adoption de solutions de compromis qui ne sont pas acceptables
lorsqu'il s'agit de préserver la santé de l'homme.
Si, à court terme, certains producteurs peuvent estimer qu'une certaine
" proximité " avec les institutions de contrôle pourrait
leur être favorable, la mise en oeuvre d'un tel raisonnement constitue
une erreur à moyen terme. La preuve en a été
donnée, si besoin était, avec la crise de l'ESB : les
consommateurs auraient probablement réagi différemment si, en
leur for intérieur, ils avaient été convaincus que les
décisions prises ne pouvaient en aucun cas résulter de solutions
de compromis entre la santé publique et les intérêts
à court terme des producteurs.
Une telle certitude ne peut être partagée par les consommateurs
que si l'organisation administrative en apporte la preuve immédiate. En
effet, la confiance en la compétence ou en l'honnêteté d'un
ou de plusieurs hommes ne saurait suffire, car elle n'est pas en cause. Ainsi,
à plusieurs reprises, la presse a souligné que, quelle que soit
l'honnêteté intellectuelle du ministre chargé de
l'agriculture et de l'alimentation, quelles que soient ses compétences -
et tout le monde s'accorde à souligner qu'elles sont grandes-, le fait
que le ministère de l'agriculture soit en charge à la fois des
intérêts des producteurs et de ceux de la sécurité
sanitaire des produits alimentaires ne pouvait que nuire à la
crédibilité du propos et des mesures.
Il faut donc qu'au niveau de l'Etat soient bien cloisonnées les
représentations des intérêts économiques, qu'ils
soient ceux des entreprises ou de leurs tuteurs administratifs, et ceux de la
santé publique.
En outre, pour que cette séparation fonctionnelle prenne tout son sens,
la légitimité scientifique des institutions de contrôle
doit être réelle
. La protection de la santé imposant
des décisions qui heurtent nécessairement certains
intérêts, aucun doute sérieux ne doit planer sur la
pertinence scientifique de décisions prises dans l'intérêt
de la santé publique.
5. La veille sanitaire doit disposer de moyens suffisants et couvrir tout le champ de la santé de la population. Elle doit être connectée à un système d'alerte et aux institutions politiques chargées de prendre les décisions
La veille sanitaire est distincte des
" vigilances "
qui sont partie intégrante du dispositif de contrôle des produits
de santé. La veille vise à détecter tout
événement nouveau concernant la santé de la population,
quelle qu'en soit la cause.
Grâce à la veille sanitaire, l'Etat peut être alerté
en temps utile, être informé de l'origine de
l'événement, se voir proposer des recommandations et prendre sans
délai les mesures qui s'imposent.
La veille sanitaire a longtemps été un instrument
négligé de la politique de santé.
Il appartient aujourd'hui à l'Etat de mettre en place un système
de veille sanitaire qui couvre tout le champ de la santé de la
population et de le doter de moyens suffisants. Ce système doit
être connecté à des procédures d'alerte qui
atteignent les institutions politiques responsables de la prise de
décision sanitaire.
6. Les exigences de ce cahier des charges doivent être relayées au niveau communautaire
Une part de plus en plus importante de notre
législation, qu'elle concerne les produits alimentaires, industriels ou
les biens de santé, est d'origine communautaire.
Or, la Communauté n'est pas dotée de prérogatives
particulières en matière de santé. Ainsi, l'article 129 du
Traité de Maastricht dispose seulement que " la Communauté
contribue à assurer un niveau élevé de la santé
humaine en encourageant la coopération entre les Etats membres et, si
nécessaire, en appuyant leur action ", et que " les
exigences
en matière de santé sont une composante des autres politiques de
la Communauté ".
De fait, personne ne représente directement les intérêts de
la santé au niveau communautaire, et ceux qui voudraient le faire
souffrent d'un manque de légitimité politique et juridique.
Compte tenu de l'importance du rôle des Etats dans ce cadre juridique, il
appartient à la France de faire sien le rôle de protecteur de la
santé et de chercher des majorités en ce sens.
III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION EN FAVEUR DE L'AMÉLIORATION DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE
Afin d'améliorer la sécurité et la veille
sanitaires, votre commission formule des propositions.
Bien entendu, elle souhaite que le Gouvernement oeuvre en faveur de leur
transposition au niveau communautaire.
A. L'ÉTAT DOIT ÊTRE EN MESURE D'ASSUMER TROIS MISSIONS, L'ÉVALUATION DES ACTES THÉRAPEUTIQUES, LE CONTRÔLE DES PRODUITS ET LA VEILLE SANITAIRE ; IL DOIT AUSSI POUVOIR LES COORDONNER
La sécurité sanitaire comporte trois
exigences correspondant à trois missions : l'évaluation des actes
thérapeutiques, le contrôle des produits et la veille sanitaire.
Si une de ces missions n'est pas, ou pas convenablement remplie, c'est
l'ensemble de la sécurité sanitaire qui est menacé.
Pour assurer l'évaluation des actes thérapeutiques, le
gouvernement a choisi de créer l'Agence nationale d'accréditation
et d'évaluation en santé par l'ordonnance du 24 avril 1996 ; il a
donné à cette agence les moyens juridiques et matériels
d'assumer convenablement sa mission. Ce premier pôle est donc
déjà structuré.
En ce qui concerne le contrôle des produits, le bilan établi par
le présent rapport a montré que cette mission n'était pas
bien assurée : les institutions de contrôle sont trop
" verticales " pour les produits thérapeutiques, certains
biens ne sont pas efficacement contrôlés et le contrôle des
produits alimentaires n'est pas satisfaisant au regard de la protection de la
santé humaine. Ce second pôle, correspondant à la
deuxième mission de l'Etat, doit donc être réformé.
Le troisième pôle, correspondant à la veille sanitaire,
fait également défaut. Si de multiples organismes font de la
veille sanitaire presque sans le savoir, et si le Réseau national de
santé publique, malgré ses faibles moyens, réalise une
veille épidémiologique, le système n'est pas
organisé ni coordonné et il ne couvre pas tout le champ de la
santé de la population. Pour ce troisième pôle aussi, votre
Commission fera des propositions.
1. Garantir le contrôle des produits
Il n'a pas paru possible à votre Commission de garantir
le contrôle des produits, qui constitue une mission dont l'unicité
ne saurait être contestée, sans prendre en considération,
au plan de l'organisation, les éléments propres à
distinguer les produits et biens médicaux, d'une part, et les produits
alimentaires, d'autre part.
Cette distinction s'explique par l'histoire. La législation concernant
le médicament est éprouvée depuis plusieurs
décennies par tous les acteurs, industries, contrôleurs,
prescripteurs, patients. La même culture doit être mieux
acceptée en matière de produits sanguins et pour ce qui concerne
les greffes. La législation, européenne et française,
applicable aux dispositifs médicaux doit être renforcée et
une culture doit être développée dans un cadre
administratif qui reste à mettre en place afin que tous les produits de
santé offrent, sur des bases communes de principes et de
méthodes, des garanties égales.
La même démarche doit être entreprise pour ce qui concerne
les produits alimentaires sur des bases semblables.
Il reste que la diversité des acteurs, le stade d'élaboration des
législations concernées, la nécessité d'une
réflexion commune à plusieurs départements
ministériels placent la réponse aux problèmes posés
par la sécurité sanitaire des produits alimentaires sur un autre
rythme.
C'est de l'arythmie que pourrait naître l'échec de ceux qui
entreprendraient la construction d'un système complètement
unitaire.
C'est de cette arythmie que pourrait naître l'incompréhension de
l'opinion publique, qui serait alors portée à croire que tous les
problèmes sont résolus avec une qualité de réponse
identique.
C'est pourquoi, après y avoir longuement réfléchi,
votre Commission propose la création de deux institutions, l'une
chargée du contrôle des produits et des dispositifs
médicaux et l'autre de la sécurité sanitaire des produits
alimentaires, mises au service, il faut y insister, d'une mission unique.
a) Mettre en place une Agence des produits et dispositifs médicaux
Votre Commission propose de mettre en place une Agence des
produits et dispositifs médicaux, chargée du contrôle de la
sécurité de ces biens.
Ainsi, à côté d'une institution spécialisée
dans l'évaluation des actes diagnostiques et thérapeutiques,
l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en
santé, nous aurions un établissement public unique chargé
de l'ensemble des produits destinés à la santé :
médicaments, dispositifs médicaux et biomatériaux,
produits sanguins, organes, tissus et cellules (y compris les gamètes)
d'origine humaine ou animale lorsqu'ils sont destinés à une
utilisation thérapeutique chez l'homme, réactifs et milieux de
culture, produits issus des thérapies génique et cellulaire,
lentilles de contact, cosmétiques.
Il serait donc mis fin à une administration sanitaire fractionnée
et cloisonnée, " en tuyaux d'orgue ", produit par produit.
Bien entendu, une telle unité de structure, qui comporterait logiquement
plusieurs départements -par exemple médicaments,
matériels, produits biologiques...- permettrait d'unifier autant que
possible les méthodes de contrôle.
L'unicité de cet établissement public, constitué à
partir de l'Agence du médicament et placé sous la tutelle du
ministère chargé de la santé, permettrait aussi
d'harmoniser les procédures de vigilance applicables à chaque
catégorie de produits. Cela simplifierait grandement la tâche des
professionnels de santé appelés à signaler les effets
inattendus ou indésirables résultant de l'utilisation de ces
produits ou matériels.
L'Agence française du sang deviendrait un Etablissement français
de la transfusion sanguine ; ainsi seraient isolées les missions
d'organisation de la transfusion sanguine et de coordination de
l'activité des établissements de transfusion sanguine, d'une
part, et celles qui correspondent au contrôle des produits sanguins,
d'autre part.
L'Etablissement français des greffes serait maintenu pour toutes ces
missions qui ne correspondent pas au contrôle des organes, tissus et
cellules.
b) Mettre en place une Agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires
Votre Commission propose la création d'un nouvel
établissement public, l'Agence de sécurité sanitaire des
produits alimentaires. Elle aurait une double mission : d'une part, assurer le
contrôle et garantir la sécurité des produits alimentaires,
au lieu et place des services du ministère de l'agriculture et de
l'alimentation et du ministère de l'économie et des finances, et
d'autre part, assurer le contrôle du médicament
vétérinaire, à la place de l'Agence du médicament
vétérinaire qui y serait intégrée.
Cette Agence serait placée sous la tutelle des ministères de la
santé, de l'agriculture, de l'économie et des finances et de
l'industrie.
Elle aurait compétence pour proposer aux ministres chargés de la
santé et de l'agriculture toute modification de la réglementation
concernant la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Il serait ainsi mis fin à ce qui peut s'analyser comme un
" mélange des genres " et qui est préjudiciable, tant
à la confiance des consommateurs qu'à la réalité de
la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Au sein de l'Etat, la légitime représentation des
intérêts des producteurs serait ainsi séparée de
celle des intérêts de la santé publique, non moins
légitimes mais parfois contradictoires des premiers.
2. Assurer la veille sanitaire en créant un Institut de la veille sanitaire
Au terme du recensement des divers organismes susceptibles
d'avoir une activité de veille sanitaire, votre Commission a
constaté à la fois le foisonnement de telles structures, leur
quasi-absence de coordination et l'inexistence d'un système d'alerte
approprié qui pourrait permettre aux ministres responsables d'agir
opportunément et sans délai.
Aussi propose-t-elle la constitution d'un Institut de la veille sanitaire qui
constituerait une tête de réseau pour la fonction de veille
sanitaire, un peu à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis avec les
Centers for Disease Control.
L'Institut de veille sanitaire aurait une triple mission de surveillance,
d'étude et de recommandation.
Cet organisme serait obligatoirement destinataire de toutes les informations
utiles collectées par les autres organismes, qui doivent continuer
d'exister, ne serait-ce que parce qu'ils remplissent le plus souvent d'autres
missions que celle d'assurer la veille sanitaire. Il serait également
destinataire d'informations non nominatives résultant de la transmission
aux caisses de sécurité sociale des données issues du
codage des actes et des prescriptions.
Ayant reçu ces informations, il pourrait en faire le tri et mener les
enquêtes qu'elles justifient afin de détecter l'origine des
événements constatés pour la santé de la population.
Les enseignements tirés de ces enquêtes feraient l'objet de
recommandations aux pouvoirs publics : ils seraient transmis, pour
décision, au Comité permanent qui fait l'objet de la
quatrième proposition.
3. Recentrer les missions du ministère de la santé autour de la définition de la politique de santé et de la préparation de la réglementation
Votre Commission estime que la sécurité
sanitaire exige, au sein de l'Etat, une nette séparation des fonctions
entre l'organisation de la production, la décision réglementaire
et le contrôle. La sécurité sanitaire exige aussi que
l'administration se concentre sur ce qu'elle sait faire, c'est-à-dire la
définition d'une politique et sa traduction normative.
Ces deux exigences sont tout à fait complémentaires.
C'est pourquoi votre commission estime que l'administration centrale du
ministère de la santé doit abandonner toutes les tâches
qu'elle tente d'accomplir en doublon avec des organismes
décentralisés, au profit de ses missions stratégiques :
définition des choix de politique de santé, tutelle des
organismes décentralisés, réglementation.
Un tel recentrage est indispensable si l'on veut que la santé de la
population soit une priorité dans toutes les décisions de
l'Etat
: sécurité sanitaire des biens médicaux, mais
aussi, sécurité des biens de consommation, de l'alimentation, des
milieux.
Sur tous ces sujets, le ministère de la santé a son
mot à dire : il faut que ses services disposent des hommes, des moyens
et du temps nécessaires pour étudier les dossiers et contribuer
à la définition de la réglementation.
4. Coordonner les trois missions d'évaluation des actes thérapeutiques, de contrôle des produits et de veille sanitaire en associant tous ses acteurs et créér un lieu de gestion des crises : placer, auprès du Premier ministre, un Comité national permanent de sécurité sanitaire
La sécurité sanitaire exige que les
autorités politiques soient tenues informées des
événements, possibles, probables ou déjà survenus,
afin qu'elles puissent prendre les bonnes décisions en temps utile.
Trop souvent, dans le passé, la dilution ou la confusion des
responsabilités, voire des intérêts, la multiplicité
des organismes ont privé les ministres de la " bonne
information ", c'est-à-dire l'information utile et elle seule, et
une information assortie de recommandations pour l'action.
Votre Commission propose d'associer tous les acteurs chargés de dossiers
qui impliquent la sécurité sanitaire au sein d'un Comité
national permanent de sécurité sanitaire présidé
par le Premier ministre et dont le ministre chargé de la santé
serait vice-président.
Ce comité constituerait le lieu de rencontre utile à la
coordination de l'action des agences et à la gestion des crises.
Il serait constitué par les responsables des quatre agences ainsi que
ceux de l'administration centrale de la santé : Agence des produits et
dispositifs médicaux, Agence de sécurité sanitaire des
produits alimentaires, Agence nationale d'accréditation et
d'évaluation en santé et Institut de veille sanitaire et
Direction générale de la santé.
Le comité comprendrait aussi les responsables d'institutions ou
d'administration centrale ou d'agences qui ont une mission dont les
conséquences peuvent s'apprécier, dans certains de leurs aspects,
en termes de santé publique.
En effet, dans la mesure où votre Commission est consciente de la
complexité des structures ministérielles qui répond, au
moins pour partie, à la complexité de la société
elle-même, elle ne propose pas, par exemple, de retirer à
l'administration de l'environnement le contrôle de l'air ou de l'eau au
motif que la santé de l'homme est concernée par ces milieux.
B. LA LÉGISLATION ET LA RÉGLEMENTATION DOIVENT ÊTRE ADAPTÉES POUR QUE LES TROIS MISSIONS D'ÉVALUATION, DE CONTRÔLE ET DE VEILLE SOIENT BIEN ASSUMÉES
1. Renforcer la rigueur de la réglementation concernant certains produits
Nous l'avons vu dans la première partie du
présent rapport, la réglementation concernant certains produits
est insuffisante pour garantir leur sécurité sanitaire.
Mettre en place un organisme de contrôle très performant n'a pas
vraiment de sens si les exigences de sécurité posées par
la législation et la réglementation sont insuffisantes.
C'est pourquoi, pour tous ces produits, l'Etat doit rapidement renforcer ces
exigences.
Ceci est notamment le cas pour les produits alimentaires dont la
sécurité sanitaire doit être mieux assurée en
orientant la législation vers la protection de la santé de
l'homme et en organisant des procédures d'évaluation du rapport
bénéfices/risques
.
Lorsque, comme pour les dispositifs médicaux, la législation
et la réglementation sont d'origine communautaire, l'Etat se doit
d'oeuvrer au niveau communautaire en faveur de sa modification
. Votre
Commission estime qu'un éventuel refus de nos partenaires ne peut
être un motif suffisant pour mettre en péril la santé de la
population ; aussi, il appartient à l'Etat de faire jouer toutes les
clauses de sauvegarde, même au prix de longues et difficiles
procédures.
2. Publier rapidement les textes d'application de la loi dite bioéthique du 29 juillet 1994
Plus de deux ans après la promulgation de la loi dite bioéthique du 29 juillet 1994, un nombre important de décrets d'application n'est toujours pas publié. Cela concerne notamment le volet de la loi consacré aux organes, tissus et cellules. Votre commission exige qu'il soit rapidement remédié à cette situation.
3. Améliorer la formation des professionnels de santé
Votre Commission estime que la sensibilisation des
professionnels de santé à la vigilance et à la veille
sanitaires laisse à désirer.
Certes, la tâche de ces professionnels n'est pas facilitée,
actuellement, par la multiplicité des organismes susceptibles
d'accomplir une mission de veille sanitaire et par l'absence d'harmonisation
des procédures et des interlocuteurs pour les vigilances concernant les
différents produits ou biens médicaux ; il en irait autrement si
les propositions de votre Commission concernant l'organisation de l'Etat
étaient retenues.
Mais il apparaît que, trop souvent, les professionnels de santé
n'ont pas le " réflexe " de la veille ou de la vigilance.
Dans
d'autres cas, ils croient bien faire en procédant à des
déclaration redondantes ou inutiles.
Il conviendrait donc que la formation initiale et continue des professionnels
-ceci vaut notamment, mais pas exclusivement, pour les médecins- mette
mieux en valeur la dimension de santé publique de leur activité
et les sensibilise mieux à la veille et à la vigilance.
4. Mettre en place rapidement des procédures de vigilance lorsqu'elles font défaut
Il convient que tous les produits de santé fassent l'objet d'un système de vigilance approprié. Or, il existe encore des lacunes. Cela est notamment le cas pour le médicament vétérinaire, cette vigilance devant être centrée autour de la santé de l'homme. Cela est également le cas pour la matério-vigilance : ainsi, le décret du 15 janvier 1996 prévoit que certains incidents ne sont que facultativement signalés.
5. Utiliser l'informatisation de la transmission des données médicales et multiplier les obligations de déclaration pour améliorer la veille sanitaire
L'informatisation de la transmission des données
médicales qui doit rapidement se mettre en place à la suite des
ordonnances du 24 avril 1996 constitue une réelle chance pour
l'amélioration de la connaissance de l'état de santé de la
population et de la veille sanitaire dans notre pays. Aussi, il est essentiel
que les données issues du codage des pathologies, des actes et des
prescriptions transmises par les médecins à l'assurance maladie
puissent être utilisées pour détecter tout
événement sanitaire susceptible de nécessiter des mesures
rapides de la part des pouvoirs publics. Il est donc indispensable que ces
données, non nominatives, soient transmises à l'Institut de
veille sanitaire dont votre Commission propose la création.
Votre Commission propose aussi que les obligations de déclaration
d'événements concernant la santé de la population soient
généralisées, quels que soient les domaines :
environnement, accidents du travail, etc. Pour que la veille sanitaire soit
convenablement assurée et qu'elle couvre tout le champ de la
santé de la population, il importe que les déclarations
d'événements soient multipliées, et pas seulement par les
professionnels de santé.
CONCLUSION
La mise en oeuvre de ces propositions exige l'adoption
d'une loi définissant les conditions du renforcement de la
sécurité sanitaire en France, dont l'initiative du
dépôt devra être prise rapidement selon des modalités
dont les auteurs du présent rapport entendent débattre avec le
Gouvernement dans les meilleurs délais.
Cette loi définira les objectifs d'une politique de
sécurité sanitaire, les missions qui doivent être
assurées par l'Etat ainsi que les moyens dont il entend se doter pour
les mettre en oeuvre, selon un calendrier qui, tenant compte des contraintes
exposées plus haut, devra être clairement explicité.
OBSERVATIONS DES SÉNATEURS SOCIALISTES APPARTENANT À LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Les sénateurs socialistes de la commission des Affaires
sociales ne peuvent qu'être favorables à la démarche
entreprise à travers la constitution d'une mission d'information
consacrée à la sécurité sanitaire.
Trop d'affaires, dans un passé récent, ont montré, s'il en
était besoin, l'utilité d'une réflexion parlementaire sur
ce sujet.
Les sénateurs socialistes de la commission des Affaires sociales
approuvent les considérations relatives à la
nécessité de dissocier le contrôle des produits
thérapeutiques et l'organisation économique de leur production,
ainsi que celles qui dénoncent
l'hétérogénéité des exigences requises en
Europe pour l'obtention du marquage CE des dispositifs médicaux.
En revanche, ils estiment que le rapport est lacunaire ou contraire à
leurs orientations sur un certain nombre de points.
Ainsi, le rapport considère que la création de l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé permettra
d'assurer dans les meilleures conditions l'évaluation des actes
thérapeutiques. Les membres socialistes de la commission des Affaires
sociales considèrent au contraire que cette création est
insuffisante, notamment parce que l'évaluation des pratiques en secteur
libéral ne repose pas sur un pôle régional fort.
Le rapport n'affirme pas la nécessité de rompre les liens
financiers qui existent aujourd'hui, au sein de l'Agence du médicament,
entre l'industrie et l'institution de contrôle. L'utilité d'un tel
rappel aurait été d'autant plus nécessaire que le rapport
propose la création de nouvelles agences qui risquent d'être
confrontées à la même difficulté.
En ce qui concerne la veille sanitaire, le rapport a tenté
d'établir un recensement de tous les organismes qui assument cette
mission ; il aurait été utile que le rapport inclue un tableau
récapitulatif décrivant leurs compétences. S'il propose la
création d'un institut de veille sanitaire devant constituer une
tête de réseau pour tous ces organismes, il ne propose la
suppression d'aucun d'entre eux. La coordination ne suffit pas, il faut veiller
à ce qu'une multiplicité d'institutions n'accomplisse pas la
même mission.
Le comité national permanent de sécurité sanitaire dont la
commission propose la création apparaît comme une structure floue
et lourde.
En effet, d'une part, l'Agence de sécurité sanitaire des produits
alimentaires sera placée sous la tutelle de plusieurs ministres qui ne
font pas partie de ce comité. D'autre part, la composition de ce
comité donne aux agences un rôle et une place qui ne sont pas les
leurs, notamment par rapport à la Direction générale de la
santé, qui est chargée de la définition de la politique de
santé.
Enfin, les explications données par le rapport au choix de créer
deux agences de sécurité sanitaire plutôt qu'une seule ne
sont pas très claires. On ne comprend pas, à la lecture du
rapport, si cette séparation repose sur des considérations de
fond ou sur des préoccupations plus conjoncturelles.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. SÉANCE DU MARDI 21 MAI 1996
Sous la présidence de
M. Jean-Pierre Fourcade,
président,
après un bref débat auquel ont notamment
participé
M. Charles Descours et Mme Marie-Madeleine
Dieulangard
, la commission a décidé de procéder
à la désignation, au cours de sa plus prochaine réunion,
d'une
mission d'information sur les conditions du renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité des produits
thérapeutiques en France.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, a rappelé que le principe
d'une telle désignation avait été arrêté
à l'occasion de l'examen des dispositions tendant à encadrer le
développement des thérapies génique et cellulaire afin de
garantir leur sécurité sanitaire.
II. SÉANCE DU MERCREDI 5 JUIN 1996
Sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président , la commission a désigné M. Charles Descours, président, M. Claude Huriet, rapporteur, Mme Annick Bocandé, MM Jacques Bimbenet, Paul Blanc et Louis Boyer, Mmes Marie-Madeleine Dieulangard et Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Dominique Leclerc, Georges Mazars, Charles Metzinger et Bernard Seillier membres de la mission d'information consacrée à l'analyse des conditions du renforcement du contrôle de la sécurité des produits thérapeutiques en France.
III. SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE
Sous la présidence de
MM. Jacques Bimbenet
et Bernard Seillier, vice-présidents
, la commission a entendu deux
communications sur le
déplacement effectué aux Etats-Unis,
du 13 au 21 septembre dernier, par une délégation de la
mission d'information
sur les conditions du renforcement
de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité des produits
thérapeutiques en France,
conduite par M. Jean-Pierre Fourcade
.
M. Claude Huriet, rapporteur,
a rappelé que si la mission avait
choisi d'examiner le modèle américain, c'est que ce dernier lui
était apparu comme le plus proche de celui qui lui paraissait devoir
être retenu pour la France. Il a estimé que le déplacement
n'avait pas remis ce jugement en cause.
Il a exposé que le système américain de santé
s'organisait autour de trois agences :
- la " Food and drug administration " (FDA), chargée du
contrôle et de l'autorisation des produits ;
- les " Centers for disease control " (CDC) en charge de la
veille
sanitaire ;
- la " Health policy agency ", dont la mission d'évaluation
médicale est définie par les autorités publiques
américaines, mais dont la compétence est mise à la
disposition du secteur privé.
Le secrétariat d'Etat à la santé définit la
politique de santé. Les moyens dont il dispose ont été
fortement réduits pour accroître parallèlement les moyens
des trois agences précitées.
La compétence générale d'autorisation et de contrôle
des produits thérapeutiques confiée à la FDA ne
reçoit qu'une seule exception, pour des raisons historiques, en ce qui
concerne la viande et les oeufs (à l'exclusion de la volaille) pour les
produits naturels issus directement de ces deux filières, qui sont
contrôlées par le ministère de l'agriculture.
La FDA emploie plus de 10.000 personnes et contrôle tous les
produits destinés à l'alimentation. Si chacune de ces
catégories de produits est contrôlée par un
département spécialisé, les procédures et la
déontologie sont définies par les instances dirigeantes de
l'agence et sont fondées sur des textes régulièrement
aménagés par le congrès des Etats-Unis.
La FDA définit les conditions de sa réussite autour de dix
commandements sans lesquels elle estime ne pas pouvoir s'assurer la confiance
du public :
1°) sa mission doit être définie et ses règles de
fonctionnement clairement codifiées ;
2°) l'indépendance de ses autorités de décision
doit être totale ;
3°) cette indépendance doit être justifiée par la
qualité scientifique incontestable des expertises ;
4°) toutes les données scientifiques doivent être
connues par l'agence qui doit partager tout son savoir ;
5°) le pouvoir scientifique doit s'adosser à une
autorité statutaire et réglementaire, fédératrice
et compétente ;
6°) le budget de l'agence ne doit pas contraindre la liberté
et la qualité de son expertise ;
7°) les produits semblables doivent être soumis à des
règles semblables ;
8°) le dialogue avec l'industrie doit être fondé sur le
respect des droits des personnes privées ;
9°) le processus d'expertise et de décision doit être
transparent et compris par l'opinion publique ;
10°) la réglementation doit être flexible et souple dans
son application.
Trois agents de l'agence sur quatre sont des scientifiques. 42 comités
consultatifs contribuent à l'instruction scientifique de ses dossiers.
Les critiques généralement adressées à la FDA ne
portent ni sur la qualité de son expertise, ni sur l'efficacité
de ses procédures, mais sur le caractère bureaucratique de ses
méthodes, qui allongent indûment les délais d'examen des
demandes qui lui sont adressées par les industriels.
Quant aux industriels français, si les avis sont partagés, nombre
d'entre eux, habitués à une administration très
réglementée, veulent voir dans la flexibilité dont se
vante l'agence une source d'arbitraire.
Quelle conclusion tirer, pour la France, d'un tel déplacement ?
La question du champ de compétences de l'agence est d'abord
décisive. A cet égard, le secrétaire d'Etat adjoint
à la santé, M. Philip Lee, qui a reçu la
délégation, estime que " si cela était à
refaire ", il distinguerait volontiers le contrôle des produits
alimentaires de celui des produits thérapeutiques. Il reste que les
produits " frontières " posent question, qu'il s'agisse, par
exemple, des produits cosmétiques ou encore des produits
diététiques. Il semble que l'efficacité et le
réalisme imposeront, au moins dans un premier temps, un champ de
compétences restreint aux seuls produits thérapeutiques.
L'intérêt d'une agence unique pour tous les produits
thérapeutiques tient, ensuite, à l'unité des principes et
de la méthode, qui n'interdit évidemment pas la diversité
des procédures pour tenir compte de la variété des
produits.
Il ne faut pas, enfin, confondre le contrôle de l'autorisation des
produits avec la veille sanitaire, dont le champ est plus large et souvent
différent.
Les CDC aux Etats-Unis et le réseau national de la santé
publique, même embryonnaire, en France, sont en charge de cette veille,
qui doit constituer le deuxième pôle du système de
santé.
Le troisième pôle doit être enfin, comme aux Etats-Unis,
celui de l'évaluation médicale.
Dès lors, le ministère de la santé doit fonder la
définition de la politique de santé sur les expertises de ces
trois agences.
C'est sommairement la base du système américain qui,
malgré sa bureaucratie, apparaît, à cet égard, comme
un modèle remarquable ; il convient désormais pour la mission,
qui a engagé un très long programme d'auditions, de
définir les modalités de son adaptation à la
réalité française.
M. Bernard Seillier
est alors intervenu, pour rendre compte du
déplacement effectué à Saint-Louis à l'invitation
de la compagnie Monsanto, puis à Atlanta où se trouvent
établis les CDC.
L'analyse des cadres dirigeants de la compagnie Monsanto sur les agences
d'autorisation et du contrôle des produits thérapeutiques est
sévère :
- le système américain d'autorisation des produits est flexible
mais ses délais sont excessifs ;
- le système japonais d'autorisation des produits est très
rigide, mais ses délais sont convenables ;
- la flexibilité de l'un tient à la qualité d'une
expertise scientifique qui manque cruellement à l'autre ;
- les systèmes européens empruntent au Japon la rigidité
des méthodes et aux Etats-Unis l'incertitude des délais ;
- les procédures européennes étant ainsi définies,
l'expertise scientifique française se distingue par sa qualité.
Ce jugement tranche avec les réactions de certains industriels
français.
En outre, pour les compagnies américaines, l'Europe constitue un tout et
il n'y a pas de législation nationale qui se distingue d'une autre.
Cependant, ainsi que l'a souvent rappelé M. Claude Huriet, rapporteur,
le système européen d'homologation qui reste, pour l'essentiel,
à construire, sera ce que le pays européen le plus dynamique
voudra qu'il soit. La France a, à cet égard, sa carte à
jouer.
Présentant alors les CDC, établis à Atlanta,
M. Bernard
Seillier
a rappelé qu'il n'existait à l'origine qu'un seul
centre chargé de surveiller l'évolution des maladies
transmissibles. Ce cadre initial a été progressivement
élargi à l'environnement, à la promotion de la
santé, à la médecine du travail, aux maladies chroniques,
et, d'une manière générale, à tout ce qui peut
contribuer à l'amélioration de la santé des
Américains.
Les CDC emploient 9.000 personnes, dont 3.800 sont établies à
Atlanta, et disposent d'un budget de 10 milliards de francs. Ils sont
considérés comme le modèle international dans le domaine
de la santé publique et de l'épidémiologie et sont, de
fait, le bras séculier de l'Organisation mondiale de la santé
(OMS).
Il est important de souligner que les CDC n'ont ni mission d'inspection, ni
fonction de contrôle. Ils ne réglementent pas davantage. Il
appartient aux administrations compétentes de l'Etat
fédéral ou le plus souvent à celles des Etats
fédérés de s'acquitter de ces missions.
Les CDC s'en tiennent seulement à des recommandations dont
l'autorité scientifique est telle que le secteur privé comme le
secteur public les mettent spontanément en oeuvre, sachant que, dans le
cas contraire, leur responsabilité serait engagée.
Le réseau national de santé publique de Saint-Maurice est , en
France, l'ébauche d'un tel dispositif. Il n'emploie cependant que
quelques dizaines de personnes. Son directeur a été formé
à Atlanta. Il existe en revanche, dans notre pays, une multitude
d'organismes, publics ou privés, qui accomplissent, dans leur champ de
compétences, les missions des CDC.
La France doit donc rechercher les moyens de coordonner ces efforts et de les
fédérer afin qu'en matière de veille sanitaire, comme pour
le contrôle des produits, la diversité des investigations s'adosse
sur l'unité des principes et des méthodes.
M. Charles Descours, président de la mission
, a observé
que si le déplacement avait permis de mieux percevoir les imperfections
du système américain, les auditions engagées depuis lors
ont révélé les insuffisances des instances
françaises liées, pour l'essentiel, à la
médiocrité de leurs moyens. Il a souhaité qu'une
volonté fédératrice traverse les institutions en charge de
la veille sanitaire.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
, après avoir souligné la
fiabilité, au plan de la sécurité sanitaire, de l'agence
du médicament, a fait observer que les instances américaines
étaient financées par le budget fédéral.
M. Claude Huriet
a confirmé que l'insuffisance des moyens de
l'agence du médicament ne remettait pas en cause l'efficacité et
l'indépendance de son expertise.
M. Bernard Seillier
a ajouté que la rigueur était
également le fondement de l'autorité des instances
américaines.
M. Gérard Roujas
a voulu voir une forme de protectionnisme, dans
les délais excessifs d'examen des dossiers par la FDA.
M. Claude Huriet
a souligné le caractère anecdotique des
critiques adressées à la FDA pour ces délais excessifs et
M. Bernard Seillier
a précisé que ces critiques
émanaient surtout d'une partie des membres du Congrès des
Etats-Unis.
M. Dominique Leclerc
a exprimé la crainte que la création
de l'agence du médicament n'ait affaibli la qualité de certaines
expertises dans le domaine de la biologie.
M. Claude Huriet
a alors rappelé que les conclusions de ce
déplacement seront publiées en annexe du rapport qui sera
présenté prochainement par la mission d'information.
IV. SÉANCE DU MERCREDI 29 JANVIER 1997
Sous la présidence de
M. Jean-Pierre Fourcade,
président
, la commission a procédé à
l'examen du rapport d'information présenté par M. Claude
Huriet
au nom de la mission d'information sur les
conditions du
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité des produits thérapeutiques en France.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, a rappelé que la mission
a été créée le 21 mai 1996 et que ses membres ont
été désignés le 5 juin 1996. Elle avait d'abord
effectué un déplacement aux Etats-Unis du 13 au 21 septembre 1996
dont un compte rendu a été débattu le 20 novembre en
commission des qffaires sociales. Il a indiqué que, depuis le 22
octobre, les membres de la mission d'information avaient ensuite
procédé à quarante et une auditions.
M. Claude Huriet, rapporteur,
a d'abord dressé un bilan de
l'application des procédures tendant à garantir la
sécurité sanitaire des produits et à assurer la veille
sanitaire. Il a souhaité à cette occasion que l'intitulé
de la mission soit élargi à la sécurité sanitaire
de l'ensemble des produits destinés à l'homme, estimant que
l'opinion ne comprendrait pas que le Sénat restreigne le champ de son
étude à la sécurité des seuls produits
thérapeutiques.
Il a indiqué que, si la sécurité sanitaire du
médicament à usage humain était garantie, les
réformes entreprises depuis le début des années 1990 pour
le sang et les greffes n'étaient pas achevées. En effet, elles ne
mettent pas en oeuvre une séparation suffisante entre les
contrôleurs et les gestionnaires.
Evoquant la réglementation d'origine communautaire concernant les
dispositifs médicaux, il a démontré qu'elle n'était
pas assez stricte et que la procédure du marquage CE ne pouvait garantir
la sécurité sanitaire, notamment parce qu'elle ne
requérait pas une véritable évaluation du rapport
bénéfice-risque des dispositifs.
Après avoir rappelé que la réglementation et les
contrôles étaient insuffisants pour de nombreux autres biens de
santé, il a estimé que les conditions de la
sécurité sanitaire des produits alimentaires n'étaient pas
réunies.
Enfin, il a constaté que malgré le progrès
constitué par la création du réseau national de
santé publique en 1992, la veille sanitaire, dotée de moyens
insuffisants, n'était pas assez coordonnée ni performante.
Dans la seconde partie de son rapport,
M. Claude Huriet, rapporteur
, a
formulé plusieurs propositions.
Il a d'abord rappelé que l'Etat devait être en mesure d'assumer
trois missions, l'évaluation des actes thérapeutiques, le
contrôle des produits et la veille sanitaire et qu'il devait aussi
pouvoir les coordonner. Il a centré ses propositions sur les deux
dernières missions, la première devant être assurée
par la récente création de l'agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé.
Afin de garantir le contrôle des produits, qui constitue une mission dont
l'unicité ne saurait être contestée, il a proposé la
création de deux institutions, une agence chargée du
contrôle des produits et dispositifs médicaux et une agence de la
sécurité sanitaire des produits alimentaires. Il a en effet
estimé que la diversité des acteurs, le stade
d'élaboration des législations concernées et la
nécessité d'une réflexion commune à plusieurs
départements ministériels plaçaient les réponses
aux problèmes posés par ces deux catégories de produits
sur deux rythmes différents.
M. Claude Huriet, rapporteur,
a aussi proposé la constitution
d'un institut de la veille sanitaire qui deviendrait une tête de
réseau un peu à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis avec les
Centers for Disease Control. Il a souhaité que la coordination des trois
missions d'évaluation des actes thérapeutiques, de contrôle
des produits et de veille sanitaire soit favorisée par un comité
national permanent de sécurité sanitaire placé
auprès du Premier ministre et présidé par le ministre
chargé de la santé.
Il a souhaité que les missions du ministère de la santé
soient recentrées autour de la définition de la politique de
santé et de la préparation de la réglementation.
M. Claude Huriet, rapporteur
, a enfin jugé utile de renforcer la
rigueur de la réglementation concernant certains produits. Il a
indiqué que la mise en oeuvre de ces propositions exigeait l'adoption
d'une loi définissant les conditions du renforcement de la
sécurité sanitaire en France, dont l'initiative du
dépôt devrait être prise rapidement.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, a également
considéré que l'adoption du rapport de la mission d'information
ne constituait que la première étape d'un travail qui devait
déboucher sur une initiative législative.
M. Bernard Seillier
a fait part de sa satisfaction devant la mise en
forme réalisée par le rapporteur des principaux enseignements
tirés des travaux de la mission. Il s'est déclaré
très favorable à l'idée de ne pas évoquer la
" sécurité alimentaire " mais plutôt la
" sécurité sanitaire des produits alimentaires ". Il a
estimé que, compte tenu des probables divergences entre les
départements ministériels concernés par les questions de
sécurité sanitaire, le Parlement était le mieux
placé pour prendre une initiative.
M. Louis Souvet
a fait part de sa satisfaction devant le contenu du
rapport. Il a cependant souligné que, si la sécurité
sanitaire des produits sanguins pouvait exiger une sélection accrue des
donneurs, il fallait aussi tenir compte de la pénurie de dons. Il a
indiqué que le ministre chargé de l'agriculture et de
l'alimentation s'était déclaré hostile à la
création de structures nouvelles en matière de
sécurité sanitaire.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
a d'abord regretté qu'au cours de
la dernière période des travaux de la mission d'information, la
densité des travaux du Sénat avait souvent contraint les membres
de la mission à effectuer des choix difficiles. Elle s'est
interrogée sur la crédibilité des travaux de la commission
s'ils prétendaient traiter le sujet de la sécurité
sanitaire de l'ensemble des produits destinés à l'homme. Elle
s'est déclarée favorable à la rupture du lien financier
entre les laboratoires pharmaceutiques et les agences, ainsi qu'à
l'évaluation des actes en médecine de ville. Souhaitant que le
ministre de la santé prenne sa place dans le schéma
proposé par le rapporteur, elle s'est demandé si ses propositions
ne conduiraient pas à la création d'une " usine à
gaz ".
M. Guy Fischer
a estimé que la garantie de la
sécurité sanitaire passait par l'attribution de moyens financiers
supplémentaires aux institutions en charge de cette fonction. Il a fait
siens les propos de Mme Marie-Madeleine Dieulangard sur la
nécessaire rupture des liens entre les industries et les
autorités chargées du contrôle des produits.
M. René Marquès,
prenant l'exemple des pesticides, des
fongicides et de la brucellose, a estimé que les intérêts
de la santé publique étaient souvent -et non parfois comme
l'indiquait le rapporteur- contradictoires avec ceux des producteurs du secteur
alimentaire.
M. Charles Descours, président de la mission d'information,
a
estimé qu'il ne fallait pas trop agiter le " chiffon
rouge ".
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, a estimé que la
proposition de recentrage de l'action du ministère de la santé
autour des fonctions de définition de la politique de santé et
d'élaboration de la réglementation était très
pertinente. Il a estimé que cette proposition devait être
présentée dans le rapport avant celle tendant à instituer
un comité national permanent de sécurité sanitaire.
Evoquant ce dernier, il a estimé qu'il devait être
présidé par le Premier ministre, le ministre de la santé
étant vice-président.
M. Charles Descours, président de la mission d'information,
indiquant qu'il était à l'origine de la proposition de
création de ce comité, a fait siens les propos de M. Jean-Pierre
Fourcade, président. Il a indiqué que la présidence du
Premier ministre contribuerait à faire de la santé publique une
priorité de l'action gouvernementale.
M. Claude Huriet, rapporteur
, a remercié
M. Charles Descours,
président de la mission d'information,
pour le climat de confiance
qui avait régné tout au long des travaux de la mission.
Il a indiqué à
M. Louis Souvet
que la nécessaire
sélection des donneurs pouvait être compatible avec la suffisance
de l'approvisionnement en produits sanguins si une politique active de
promotion du don était mise en place. Il a expliqué la
réaction du ministère de l'agriculture concernant la
création de nouvelles agences par la proposition de création
d'une agence unique faite à l'Assemblée nationale par M.
Jean-François Mattéi, député.
Répondant à
Mme Marie-Madeleine Dieulangard
, il a
rappelé que la durée des travaux d'une mission d'information
étant limitée, il n'avait pas été possible de
décaler complètement ces derniers par rapport au travail
législatif. Il a expliqué l'élargissement de
l'intitulé de la mission par l'attente de l'opinion et par le champ
effectif de ses investigations et a estimé que le rapport, en
s'intéressant à la veille sanitaire, avait une approche globale
de l'ensemble des produits destinés à l'homme.
Il a rappelé que parmi les missions de l'agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé figurait celle
des actes réalisés en médecine de ville et que le ministre
de la santé demeurait responsable de la politique dans ce domaine.
Il a indiqué à
M. Guy Fischer
que le rapport ne proposait
pas la création d'une structure véritablement nouvelle mais dans
une large mesure le regroupement de moyens existants. La mise en oeuvre de ces
propositions ne devrait donc pas entraîner un surcoût important.
Répondant à la question commune de
Mme Marie-Madeleine
Dieulangard
et de
M. Guy Fischer, M. Claude Huriet, rapporteur,
a
rappelé que le texte du projet de loi initial tendant à
créer l'Agence du médicament opérait une confusion entre
les missions de sécurité sanitaire et économique et que
cette option n'avait pas été retenue par le Sénat.
Il a en outre précisé que l'Agence du médicament ne
recevait pas de subventions de l'industrie du médicament mais qu'elle
percevait les taxes et des redevances.
M. Claude Huriet, rapporteur
, a remercié
M. René
Marquès
pour ses propos.
M. Jean-Pierre Fourcade, président
, a annoncé qu'une
question orale avec débat sur les questions de sécurité
sanitaire serait prochainement posée au Gouvernement, à qui il
appartiendra d'y répondre le 18 février prochain.
La commission
a adopté
le
rapport d'information de M. Claude
Huriet, rapporteur
, au nom de la mission d'information sur les conditions
du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme,
en France
.
TRAVAUX DE LA MISSION
I. SÉANCE DU MARDI 22 OCTOBRE 1996
- Organisation des travaux de la mission d'information
II. SÉANCE DU MERCREDI 23 OCTOBRE 1996
à 9 heures 15
:
-
M. Didier Tabuteau, directeur général et
M. Jean-Paul Cano
,
président du conseil scientifique de
l'Agence du Médicament
à 10 heures 15
:
-
M. Michel Gantois, professeur d'université,
sécurité sanitaire des bio matériaux
III. SÉANCE DU MARDI 29 OCTOBRE 1996
à 9 heures 30
:
- M. Bernard Serrou, auteur du rapport : " Vigilance sanitaire :
bilan et
perspectives "
à 10 heures
:
- M. Jean-François Girard, directeur général de la
santé
à 11 heures
:
- M. Yves Matillon, directeur de l'ANDEM
à 11 heures 30
:
- M. Michel Thibier, directeur général du centre national
d'études vétérinaires et alimentaires
IV. SÉANCE DU MARDI 5 NOVEMBRE 1996
à 10 heures 15
:
- Mme Michèle Védrine, présidente et M. François
Nonin, secrétaire général de la commission de la
sécurité des consommateurs au ministère de
l'économie et des finances
à 10 heures 45
:
- M. Philippe Guérin, directeur général de l'alimentation
au ministère de l'agriculture, accompagné de MM. Bernard Vallat,
contrôleur général vétérinaire, chef du
service de la qualité à la DGAL et Régis Leseur,
contrôleur général vétérinaire, directeur de
la brigade d'enquêtes vétérinaires
V. SÉANCE DU MARDI 12 NOVEMBRE 1996
à 11 heures
:
- Professeur Jean-Michel Alexandre, directeur de l'évaluation à
l'Agence du médicament
VI. SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE 1996
à 9 heures 30
:
- M. Bernard Mesuré, président, et M. Bernard Lemoine, directeur
général du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP)
à 10 heures
:
- M. Jean Parrot, président du Conseil de l'Ordre des pharmaciens
à 10 heures 30
:
- M. Charles Perinetti, délégué général et
Mme Danièle Hannaire, responsable des affaires techniques du Syndicat
national de l'industrie, des technologies médicales (SNITEM)
à 11 heures
:
- M. Maurice Guéniot, président de l'Académie nationale de
médecine
à 11 heures 30
:
- M. Marc Deby, directeur général et M. Christian de Thuin,
adjoint au chef du service technique de l'INC
VII. SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 1996
à 9 heures 30
:
- M. Didier Lombard, directeur de la direction générale des
stratégies industrielles
à 10 heures
:
- M. Guenaël Rodier, épidémiologiste, spécialiste des
maladies infectieuses (Organisation mondiale de la santé)
à 10 heures 30
:
- M. Fernand Pellerin, président et M. François Bourillet,
secrétaire général de l'Académie de pharmacie
à 11 heures
:
- M. Patrice Debré, professeur à l'université Paris VI,
directeur du laboratoire CNRS d'immunologie cellulaire et tissulaire à
la Pitié Salpêtrière
VIII. SÉANCE DU MARDI 26 NOVEMBRE 1996
à 9 heures 30
:
- M. le professeur Jean-Yves Le Heuzey, membre de la commission d'autorisation
de mise sur le marché, Hôpital Broussais
à 10 heures 30
:
- M. Christian Babusiaux, directeur général de la concurrence et
de la répression des fraudes
à 11 heures
:
- Mme Claire Bazy-Malaurie, directeur des hôpitaux et M. Jacques Grisoni,
responsable de division à la Direction des hôpitaux
à 16 heures
:
- M. le Professeur Didier Houssin, président de l'Etablissement
français des greffes
à 16 heures 30
:
- M. Laurent Vachey, président de l'Agence francaise du sang
à 17 heures
:
- M. Jacques Drucker, directeur du Réseau National de la Santé
Publique
de 17 heures 30 à 18 heures 30
:
- M. Hervé Gaymard, Secrétaire d'Etat à la santé et
à la sécurité sociale
IX. SÉANCE DU MERCREDI 27 NOVEMBRE 1996
à 10 heures
:
- M. Jacques Boisseau, directeur de l'Agence nationale du médicament
vétérinaire
à 10 heures 30
:
- M. Henri Lacoste, directeur général du Laboratoire central des
industries électriques et M. Emmanuel Grimaud, directeur du GMED
à 11 heures
:
- M. Bernard Capdeville, président de la fédération des
syndicats pharmaceutiques de France et M. Pierre Beras, président de
l'Union nationale des pharmaciens de France
à 11 heures 30
:
- M. Gérard Pascal, directeur du Centre national d'études et de
recommandations sur la nutrition et l'alimentation et M. Jean-Marie Aynaud,
directeur de recherche à la Direction scientifique des productions
animales
à 12 heures 30
:
- Mme Laurence Schaffar, en remplacement de M. Claude Griscelli, directeur
général à l'INSERM
X. SÉANCE DU MERCREDI 4 DÉCEMBRE 1996
à 10 heures 30
:
-
M. Pierre-Louis Toutain, directeur du Laboratoire de physiologie
et toxicologie expérimentales à l'Ecole nationale
vétérinaire de Toulouse
à 12 heures
:
-
M. Dominique Dormont,
président du Comité sur les
encéphalopathies subaigües spongiformes transmissibles et les
prions (CEA)
XI. SÉANCE DU MARDI 10 DECEMBRE 1996
à 15 heures 30
:
-
M. Norbert Anselmann, Chef du secteur dispositifs
médicaux, Commission des communautés européennes
XII. SÉANCE DU MERCREDI 18 DECEMBRE 1996
à 14 heures
:
-
M. William Hunter, directeur du service " santé
publique et sécurité du travail "
à 14 heures 45
:
-
M. Florian Horaud
,
professeur, Conseil scientifique du
directeur général de l'Institut Pasteur
à 15 heures
:
- M. Bernard Glorion, Président du Conseil national de l'ordre des
médecins
à 16 heures 15
:
-
Mme Marie-Josée Nicoli, présidente de l'Union
fédérale des consommateurs
à 17 heures
:
-
M. Marc Savey, directeur de recherche du Centre national
d'études vétérinaires et alimentaires
XIII. SÉANCE DU MARDI 7 JANVIER 1997
à 11 heures
:
-
M. Pierre Louisot
,
président du Conseil
d'administration du Centre National d'Études et de Recommandations sur
la Nutrition et l'Alimentation (CNERNA)
à 14 heures 30
:
-
M. Guy Nicolas
,
rapporteur général, Haut
Comité de la Santé Publique
à 15 heures
:
-
M. Bernard Moncelon
,
directeur du centre de recherche et de
formation de l'Institut National de Recherche et de Sécurité
(INRS)
XIV. SÉANCE DU MARDI 28 JANVIER 1997
- Echange de vues sur le projet de rapport
I. SÉANCE DU MARDI 22 OCTOBRE 1996 - ORGANISATION DES TRAVAUX
Sous la présidence de
M. Charles Descours,
président
, la mission d'information sur les conditions du
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle des produits
thérapeutiques s'est réunie pour organiser ses travaux.
M. Charles Descours, président
, a rappelé les principales
questions auxquelles la mission devrait répondre, probablement au
début du mois de décembre.
Concernant la sécurité des produits thérapeutiques, il a
estimé que deux questions principales devraient être posées.
La première concerne les règles de sécurité
applicables à ces produits : sont-elles suffisamment exigeantes ?
La seconde question a trait aux instances administratives chargées
d'arrêter les règles, d'en contrôler l'application et de
procéder aux inspections utiles. Ces instances sont-elles
organisées au mieux ? Leurs structures sont-elles suffisamment
performantes ?
M. Charles Descours, président
, a ensuite évoqué
l'autre volet de la mission, la veille sanitaire, c'est-à-dire la
manière dont les pouvoirs publics appréhendaient tous les risques
pour la santé, qu'ils soient liés, par exemple, à
l'alimentation, aux modes de vie ou aux matériaux.
M. Charles Descours, président
, a ensuite proposé un
programme d'auditions, dont le compte rendu sera publié dans le rapport
final de la mission.
Il a indiqué avoir retenu avec M. Claude Huriet, rapporteur, le principe
d'une audition de toutes les autorités sanitaires ainsi que des
responsables de tous les organismes qui, de près ou de loin,
participaient à la veille et à la surveillance des risques
sanitaires, tant au niveau national qu'international.
M. Claude Huriet, rapporteur
, a estimé que les travaux qu'allait
entreprendre la mission étaient difficiles mais nécessaires et
urgents ; il convenait donc de bien en circonscrire le champ.
Sur le fond, il a affirmé qu'il n'avait pas de préjugé sur
les conclusions des travaux de la mission en ce qui concernait une possible
fusion des agences sanitaires, mais qu'il était convaincu que le
système actuel n'était pas le meilleur.
M. François Autain
a également estimé utile de bien
cerner les notions de " veille sanitaire " et de
" produits
thérapeutiques ". Il a rappelé à cet égard la
difficulté, qui avait été constatée à
l'occasion du débat parlementaire consacré aux thérapies
génique et cellulaire, de cerner la simple notion de
" médicament ".
M. Charles Descours, président
, a estimé qu'il convenait
de bien définir la notion de produit thérapeutique. Evoquant la
veille sanitaire, il a affirmé qu'elle ne correspondait pas à une
structure mais à un état d'esprit.
M. Jacques Bimbenet
, adhérant aux propos du président, a
indiqué qu'il ne convenait pas de restreindre le champ de la veille
sanitaire.
Consultés par le président, les membres de la mission ont
estimé à l'unanimité que la conduite des travaux
n'exigeait pas de recourir, ainsi que le permet désormais le
Règlement, aux pouvoirs d'enquête.
II. SÉANCE DU MERCREDI 23 OCTOBRE 1996
A. AUDITION DE MM. DIDIER TABUTEAU, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET JEAN-PAUL CANO, PRÉSIDENT DU CONSEIL SCIENTIFIQUE DE L'AGENCE DU MÉDICAMENT
M. Claude HURIET, rapporteur - Mes chers collègues,
nous avons le plaisir de recevoir pour cette toute première audition M.
Didier Tabuteau et le professeur Jean-Paul Cano.
Je voudrais établir succinctement le cadre de la réflexion de
cette mission, qui fait suite aux travaux sur la thérapie génique
et cellulaire, auxquels vous avez participé à divers titres.
Ceux-ci avaient fait apparaître à l'époque les performances
des établissements concernés par la sécurité
sanitaire, mais aussi quelques interrogations sur la cohérence de
l'ensemble du dispositif français, et sur les possibilités de le
rendre plus performant en termes de sécurité sanitaire des
produits.
Cette mission a été constituée sur proposition du
président Jean-Pierre Fourcade, au sein même de la commission des
affaires sociales, et a pour objet d'établir une sorte d'état des
lieux des dispositifs existants en France, et d'étudier l'optimisation
à laquelle on peut songer.
Nous ne sommes pas, au sens du règlement du Sénat, une commission
d'enquête, mais nous sommes évidemment intéressés
par les conditions de fonctionnement des agences et des différentes
structures auxquelles le Sénat, à travers sa commission des
affaires sociales, a d'ailleurs souvent largement contribué.
Dans la mesure où il s'agit de la première audition, en vous
demandant d'excuser l'absence du président Descours, il est sans doute
intéressant pour les membres de la mission d'avoir une
présentation de l'Agence française du médicament, de voir
comment elle est structurée, d'entendre un rappel de ses attributions,
mais aussi de voir quels sont les liens qui existent entre l'Agence du
médicament et les autres agences, ainsi qu'avec toutes les institutions
universitaires de recherche, publiques ou académiques, notre souhait,
partant de cet inventaire, étant d'établir les liens les plus
opérationnels qui soient pour que la sécurité sanitaire
soit le mieux assurée possible.
Monsieur Tabuteau, vous avez la parole...
M. Didier TABUTEAU - Merci de nous permettre d'exprimer quelques-uns des
objectifs et des préoccupations de l'Agence du médicament.
L'agence du médicament a été mise en place au début
1993, à la suite du vote de la loi relative à la
sécurité en matière de transfusion sanguine et de
médicaments, sur amendement parlementaire et sénatorial.
L'agence s'est constituée concomitamment avec la suppression de la
direction de la pharmacie et du médicament et du laboratoire de la
santé. C'est donc un établissement public qui est venu se
substituer à deux directions ou services de l'administration centrale.
Ceci a eu des conséquences importantes dans son fonctionnement. Ce n'est
pas un établissement public prestataire de service, mais un
établissement public auquel des missions régaliennes ont
été déléguées par la loi.
Trois années de montée en charge avaient été
prévues, et nous voyons se dégager la silhouette
définitive de l'Agence depuis 1996.
L'agence se trouve aujourd'hui être le service public d'évaluation
et de contrôle du médicament, mais également du
réactif de laboratoire -car la France a une position singulière
et avancée dans ce domaine- et, depuis le DMOS de mai 1996, des produits
biologiques à effets thérapeutiques issus des thérapies
géniques et cellulaires.
A la différence de la plupart des agences dans le monde, l'Agence se
caractérise par les trois pôles de compétence réunis
en son sein.
Le premier est le pôle d'évaluation a priori et a posteriori : AMM
et pharmacovigilance.
Le second pôle est celui de l'inspection -contrôle non plus sur
pièce mais sur place- des missions d'inspections sont diligentés
dans les laboratoires en France, mais aussi, pour la première fois,
à l'étranger, notamment au Japon, aux Etats-Unis, au Canada, afin
d'inspecter des entreprises fabricant du médicament ou de
contrôler le respect des bonnes pratiques cliniques ou de laboratoire.
Le troisième pôle concerne les laboratoires d'analyse. L'agence
dispose en effet d'un ensemble de laboratoire relativement important pour un
laboratoire d'Etat, qui représente un effectif de 140 à 150
personnes, et permet de réaliser au sein de l'administration les
analyses des produits que nous prélevons en inspection de routine ou en
cas d'incident.
Très rapidement, une synergie s'est créée entre ces trois
pôles, et je considère que leur réunion dans une même
structure est un élément essentiel du dispositif de
sécurité sanitaire. C'est en fait la condition presque sine qua
non du contrôle de l'ensemble de la chaîne du produit, depuis les
recherches biomédicales jusqu'à la mise sur le marché que
les pouvoirs publics doivent effectuer.
L'Agence se compose donc d'une direction de l'évaluation, d'une
direction des laboratoires et des contrôles, d'une direction de
l'inspection, une direction des études et de l'information
pharmaco-économique pour le bon usage du médicament et du
réactif de laboratoire, ainsi que d'une direction de l'administration
générale.
L'Agence bénéficie du concours d'une très large expertise
externe au travers de dix commissions (AMM, pharmacovigilance...). Cette
organisation traditionnelle pour le secteur du médicament a
été étendue aux réactifs de laboratoire puisque a
été créée une commission d'enregistrement des
réactifs de laboratoire.
Mais la particularité de l'Agence a été de constituer une
évaluation interne en recrutant des médecins, des pharmaciens,
des scientifiques, des techniciens, soit fonctionnaires, soit contractuels,
exclusivement affectés aux activités de l'Agence.
Cela a constitué un changement considérable par rapport à
la formule précédente, puisque l'administration ne disposait pas
de services d'évaluation internes avant la création de l'Agence.
Ce point est fondamental. L'Agence est passée de 300 personnes environ
à plus de 530 aujourd'hui. Les pouvoirs publics ont
réalisé un effort considérable pour doter l'Agence des
moyens d'évaluation interne dont elle avait besoin. Aujourd'hui,
l'Agence est composée aux deux-tiers de médecins, de pharmaciens
et de scientifiques.
L'intérêt de cette évaluation est de disposer d'une
évaluation continue et permanente, neutre et indépendante, les
agents de l'Agence ne pouvant avoir de lien avec quelque entreprise que ce
soit. Par ailleurs, ces services assurent la mémoire de
l'évaluation, ce qui ne peut être fait que grâce à
des agents permanents. Le souci est en outre de bénéficier d'une
évaluation généraliste qui garantisse
l'égalité de traitement des différents produits.
En fait, le fonctionnement de l'Agence repose sur l'équilibre entre une
expertise externe très poussée, avec l'aide des plus grands
spécialistes français, et une évaluation interne faite par
les scientifiques de l'Agence.
D'une manière générale, en matière de
sécurité sanitaire, trois ou quatre grands principes me semblent
se dégager dans la pratique quotidienne. Le premier est le principe de
précaution et l'appréciation permanente du rapport
bénéfice-risque, sans sombrer ni dans la négligence, ni
dans l'hypertrophie du risque, qui peut conduire à geler la prise de
décision et à des effets sur la santé publique tout aussi
préjudiciables.
Le second principe est le principe de contradiction, qui doit garantir la plus
grande transparence et permettre à d'autres scientifiques de faire
entendre leur voix.
Le troisième principe est celui de séparation des fonctions.
L'exercice du contrôle et du pouvoir de police sanitaire doit être
dissocié des fonctions de gestion et de développement d'un
secteur. C'est un métier à part entière et nous devons
pouvoir avoir une totale indépendance par rapport aux différents
interlocuteurs soumis à ces pouvoirs de contrôle et de police.
Ceci est plus difficile si l'autorité est également
chargée de conduire une politique de développement du secteur.
Enfin, le dernier principe est le principe d'intégration, qui consiste
à contrôler l'ensemble de la chaîne. Ce contrôle
rejoint une logique de métier, car connaître un produit à
travers son évaluation, son inspection et ses analyses en laboratoire
permet de développer une expertise beaucoup plus pertinente et efficace
que si les pôles d'évaluation, d'inspection, d'analyse sont
distincts.
M. Claude HURIET, rapporteur - La parole est maintenant à M. Jean-Paul
Cano, président du conseil scientifique de l'Agence...
M. Jean-Paul CANO - Le conseil scientifique de l'Agence a pour mission
d'émettre des avis et de veiller à la cohérence de la
politique scientifique de l'établissement.
Le conseil scientifique est composé, outre son président, de 26
membres, dont des membres de droit, c'est-à-dire l'ensemble des
présidents des commissions, au nombre de 7, ainsi que le directeur du
réseau national de santé publique. A côté des
membres de droit, on trouve également des membres nommés par le
ministre de la santé et notamment des représentants du
ministère des universités, du ministère de la recherche,
de l'INSERM et du CNRS. Sont également nommés, sur proposition du
directeur général, des scientifiques de l'Agence, au nombre de
quatre, certaines personnalités -praticiens hospitaliers, professeurs
des universités et praticiens hospitaliers.
Depuis sa création, le conseil scientifique s'est réuni, comme le
souhaite la loi, plus de trois fois par an, en moyenne quatre fois et a
défini deux grandes orientations. La première est de constituer
des groupes-projets, afin de répondre à des préoccupations
arrêtées pour la majorité par le ministre de la
santé, en l'occurrence M. Douste-Blazy.
Nous avons réfléchi à des sujets sensibles, comme la
réorganisation du réseau de pharmacologie clinique qui, en
France, est rattaché à l'Agence.
Nous avons également formulé un avis sur un document traitant des
méthodologies de réévaluation des médicaments,
ainsi que sur l'inspection des essais cliniques, qui a pour but d'authentifier
la qualité des essais, la façon dont ils sont
réalisés dans des services cliniques pas des industriels.
Nous avons également traité d'un sujet sensible, les relations
entre l'industrie et l'AMM, qui avait pour but d'étudier les
préoccupations des industriels en matière d'évolution
d'autorisation de mise sur le marché.
Indépendamment de la création de l'Agence européenne, qui
règle les procédures centralisées, nous nous sommes
beaucoup penchés sur la mise en place d'un d'équivalent de l'IND,
l'"Investigational new drug application", c'est-à-dire l'autorisation
que donne la "Food and Drug Administration" avant de démarrer un essai
clinique visant à apprécier la tolérance,
l'efficacité, l'activité d'un principe actif classique -un
médicament-, d'un produit biologique ou d'un dispositif médical.
Il est vrai que cette question reste d'actualité : faut-il ou non avoir
une IND en France, et dans quel secteur ? Faut-il avoir une IND dans les
secteurs très avancés, là où tout le monde apprend,
à la fois les pouvoirs publics et l'industrie ?
Nous avons eu aussi une réflexion sur les aspects
pharmaco-épidémiologiques. Les ministres de la santé
successifs -et parfois même les parlementaires- se sont interrogés
sur la pathologie iatrogène et la fréquence d'hospitalisation due
à un mauvais usage d'un médicament ? On voit en effet tous les
chiffres circuler -3, 5, parfois même 20 %...
Nous avons donc proposé une étude pilote, qui a été
acceptée par le conseil d'administration, afin de mettre en place une
opération de faisabilité de cette étude, qui va impliquer
des centres régionaux de pharmaco-vigilance, pour connaître le
coût que cela représente -car le retentissement sur la
santé n'est pas neutre- et savoir comment améliorer et diminuer
le pourcentage résultant d'une mauvaise utilisation des
médicaments.
Enfin, à la demande du directeur général, nous avons
ouvert un autre grand projet sur l'utilisation des tests à domicile,
leurs qualités, leurs modalités d'enregistrement et de
contrôle, leur fiabilité. Ce sont des questions relatives à
la fois à la sécurité sanitaire et au contrôle des
produits.
Voilà donc les missions de ce conseil scientifique, qui arrive
d'ailleurs au terme de son mandat de trois ans.
M. Claude HURIET, rapporteur - Monsieur le Directeur général,
pouvez-vous prolonger votre propos concernant les relations extérieures
de l'Agence ?
M. Didier TABUTEAU - Les relations que l'Agence a pu nouer sont de plusieurs
types. Nous sommes une composante du ministère de la santé et
travaillons quotidiennement avec la direction générale de la
santé, la direction des hôpitaux, la direction de l'administration
générale du ministère et la direction de la
Sécurité sociale sur les sujets qui nous communs, l'Agence
étant elle-même venue se substituer à deux direction et
service.
Nous avons bien évidemment des relations de travail avec les autres
agences, en cas de problèmes communs, grâce notamment à un
dispositif d'alerte partagée. Par exemple, lorsqu'il apparaît
qu'un donneur de sang a développé une pathologie, l'Agence du
sang s'occupe des produits labiles et nous nous occupons de la procédure
d'alerte sanitaire pour les produits sanguins stables préparés
à partir de ce don.
La procédure fonctionne alors très rapidement. De même,
nous les informons lorsque des incidents proviennent sur des produits stables.
Nous avons de plus certaines conventions avec ces institutions. L'une des
particularités de l'Agence est de posséder des laboratoires
d'analyses dont ne disposent pas l'Agence française du sang ou
l'établissement français des greffes. Nous avons donc conclu une
convention avec l'Agence du sang et l'établissement français des
greffes pour réaliser des analyses à leur demande.
De même, une convention a été conclue avec l'INSERM, et je
ne doute pas que les opérations de réimplantation des
laboratoires de l'Agence dans des milieux scientifiques intéressants se
traduiront par le développement de conventions scientifiques de
coopération avec les universités sur Paris, Lyon ou Montpellier.
D'autre part, les commissions sont un lieu d'échange entre la
communauté scientifique et l'Agence. Ces commissions sont
composées d'experts, de chercheurs, d'hospitaliers qui irriguent et
développent l'expertise de l'Agence. En effet les commissions
représentent 300 membres permanents répartis dans dix commissions
et près de 1.500 experts, qui interviennent selon les cas, les
pathologies, les médicaments en cause.
Il existe d'autre part des réseaux de pharmacologie clinique, mais aussi
de pharmaco-vigilance -31 centres répartis dans les grands centres
hospitaliers universitaires- et les centres d'étude sur la
pharmaco-dépendance assurant le suivi de tous les médicaments
psychotropes ou stupéfiants, qui jouent un rôle essentiel pour
remonter l'information et analyser les problèmes scientifiques que
l'Agence peut avoir à traiter.
Enfin, d'une certaine manière, l'Agence est l'une des composantes du
réseau des autorités sanitaires du médicament en Europe,
dont le centre est situé à Londres, avec l'Agence
européenne. C'est une composante qu'il faut avoir à l'esprit, car
cela se traduit par la présence très fréquente d'experts
de l'Agence française à Londres pour réaliser des travaux
d'évaluation, pour le compte des institutions européennes, qui
déboucheront sur une AMM européenne.
Le réseau vaut aussi pour la vigilance sanitaire, puisqu'il existe une
alerte systématique entre les quinze autorités sanitaires des
pays de l'Union, en cas d'incident sur un médicament exporté.
Cette collaboration scientifique a incontestablement permis une
évolution du niveau des exigences communes, dans le sens d'une vigilance
accrue.
D'une manière générale, trois critères essentiels
s'imposent à l'Agence.
Le premier concerne le niveau scientifique. Il doit être le plus
élevé possible. Le second est le critère de
l'efficacité administrative (rigueur des procédures,
délais conformes aux textes, ce qui est rarement le cas en Europe) nous
avons ainsi consacré beaucoup d'efforts à la résorption
des retards et à la remise à niveau des procédures. Enfin,
troisième critère : la rigueur déontologique et la
transparence. C'est pour cela que l'Agence du médicament a
été la première administration française à
imposer des déclarations d'intérêt à ses experts et
à les publier.
Ces déclarations ont été rendues publiques sur
décision de Mme Veil, sur ma proposition, fin 1994. Il a
été publié en annexe à notre rapport
d'activité avec l'accord de M. Gaymard, dès 1995.
Il reste que nous avons beaucoup de progrès à réaliser
dans le domaine de l'information des professionnels de santé. Nous
essayons d'améliorer la diffusion d'information de santé publique
sur le médicament et le réactif de laboratoire.
La première étape à avoir été franchie a
été l'alerte sanitaire. L'agence a mis en place, mi 1994, un
serveur minitel grand public qui retrace toutes les décisions de retrait
de lots de médicaments de façon exhaustive et transparente.
C'est un souci constant et le choix de l'Agence a été de faire
figurer tous les rappels sur minitel, pour que les pharmaciens puissent le
consulter tous les jours et avoir une information immédiate, mais
également pour permettre au public de vérifier ou d'infirmer les
rumeurs, de s'informer directement auprès de l'autorité sanitaire.
Pour ce qui est de l'information professionnelle, il existe un certain nombre
de publications de l'Agence adressées aux médecins et
pharmaciens, comme les fiches de transparence comportant en particulier des
tableaux comparatifs entre médicaments, par classe thérapeutique
et grande pathologie. Nous diffusons également des avis aux
prescripteurs par la presse professionnelle, mais également parfois par
lettre personnelle, chaque fois qu'un problème de pharmaco-vigilance le
justifie. Evidemment, la lettre à chaque médecin est un
système très coûteux et nous ne pouvons y avoir recours
systématiquement.
Enfin, nous travaillons au développement de publications
adressées à l'ensemble des professionnels pour leur apporter
l'information de sécurité sanitaire qui leur est due. C'est sans
doute un des grands chantiers d'avenir pour l'Agence.
M. Claude HURIET, rapporteur - La parole est aux commissaires...
M. Bernard SEILLIER - Avez-vous des contacts informels avec l'inspection
vétérinaire ou la répression des fraudes ?
M. Didier TABUTEAU - L'essentiel de ces relations passent par
l'intermédiaire de la direction nationale de la santé. Il peut y
en voir directement, notamment concernant le contrôle de la
publicité de produits à allégations santé, mais ces
problèmes ne sont pas dans la sphère directe de compétence
de l'Agence.
M. Dominique LECLERC - Qui informe les professionnels en matière
d'alerte sanitaire ?
Par ailleurs, concernant les lots médicamenteux, en tant que
professionnel, je pense que l'information doit être
améliorée.
D'autre part, je ne vois pas comment les parlementaires pourront être
appelés à voter la loi de financement de la
Sécurité sociale, sans avoir été informés de
la fantastique évolution des dépenses de santé liée
à l'hépatite C ou aux pathologies nouvelles. Le rôle de
l'Agence n'est-il pas aussi d'anticiper dans ce domaine ?
M. Didier TABUTEAU - Tout d'abord, il n'existe effectivement pas de moyens
d'alerte sanitaire immédiats, en dehors du communiqué de presse,
lorsque des circonstances graves l'exigent.
Nous avons donc souhaité mettre deux dispositifs en place, le premier
par le biais des industriels avec le concours de l'ordre national des
pharmaciens, à travers le système des
grossistes-répartiteurs, qui permet de toucher toutes les pharmacies
dans la journée, et le second par l'intermédiaire du 3617, la
dernière alerte étant maintenue comme première page
d'écran.
Bien évidemment, nous souhaitons être plus ambitieux et nous
travaillons avec les organisations professionnelles de biologistes à la
mise en place d'un échange automatique et télématique
d'informations avec les laboratoires, qui sont informatisés presque
à 100 %.
Cela offrirait aux laboratoires, dont le nombre est plus restreint et
l'informatisation quasi-totale, une possibilité d'alerte sanitaire en
temps réel. La profession est très intéressée et
cela pourrait également faciliter les transferts d'informations dans le
cadre du contrôle national de qualité des analyses de biologie
médicale, que nous assurons désormais en interne en vertu de la
loi de 1994.
Concernant les retraits de lots, j'espère qu'un système de
même nature pourra se mettre en place, mais il est largement tributaire
de l'informatisation des pharmacies pour leurs liaisons avec les caisses de
sécurité sociale. En effet, on n'imagine pas deux réseaux
informatiques, l'un pour la veille sanitaire, l'autre pour l'ensemble des
échanges d'informations. Nous souhaitons donc pouvoir disposer d'une
liaison télématique avec les pharmaciens dans le cadre du
réseau qui sera mis en place, afin de permettre un transfert
immédiat de l'information.
Quant aux médecins, qui sont également souvent concernés
par des décisions de cette nature, nous comptons beaucoup sur le
système d'alerte que prépare la DGS à leur intention et
sur lequel nous pourrions nous greffer, lorsqu'il aura vu le jour.
M. Jean-Paul CANO - Pour ce qui est de la question relative au coût, le
conseil scientifique n'est saisi que sur des aspects scientifiques, mais nous
aurions pu être saisis d'une question sur les stratégies
thérapeutiques et leur évolution dans les années à
venir. Le problème du coût est du ressort du comité
économique...
M. Louis BOYER - Avez-vous, pour nous défendre sur le plan
européen, quelque chose correspondant au petit livre orange
américain ?
Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu'en France, l'AMM est trop longue par
rapport à d'autres pays, ce qui permet certains piratages. Ainsi, le
vaccin contre l'hépatite B, qui a été découvert en
France, a été breveté par les Américains, qui ont
ensuite intenté un procès aux Français pour l'avoir
copié !
M. Didier TABUTEAU - J'ai beaucoup insisté, au début de mon
propos, sur les trois pôles, selon moi essentiels. L'inspection est la
clé de voûte du dispositif. Le souci a été de
constituer une inspection spécialisée dans les différents
domaines relevant de l'Agence et qui vont du contrôle des matières
premières à la biologie. Nous sommes ainsi allés,
conjointement avec le MCA britannique, pour le compte de l'Agence
européenne, contrôler des entreprises fabricant des produits
soumis à un enregistrement par la procédure centralisée.
Nous le faisons maintenant dans le cadre de procédures nationales.
Cette inspection concerne également les essais cliniques, car il est
essentiel de vérifier que les essais ont bien eu lieu dans les services
hospitaliers et qu'ils ont été faits conformément aux
bonnes pratiques cliniques, afin de garantir la solidité des
résultats sur lesquels l'évaluation va se fonder pour
délivrer l'AMM.
Cette inspection me paraît être un élément essentiel
qu'on doit pouvoir porter à l'extérieur de nos frontières,
comme le font depuis longtemps certaines inspections étrangères.
Quant au livre orange, il s'agit des bonnes pratiques de fabrication, qui sont
harmonisées au niveau européen.
M. Jean-Paul CANO - Concernant la longueur de l'AMM, les procédures ne
sont pas du tout les mêmes. Ce qui compte, c'est la date de
dépôt. Or, la différence par rapport aux Etats-Unis n'est
pas hautement significative. J'en veux pour preuve une étude
publiée par la FDA en mars 1996. Le différentiel est de l'ordre
de quelques semaines, voire d'un mois ou deux. Par contre, la procédure
américaine oblige à un dépôt avant les études
cliniques...
Par contre, pour les technologies innovantes - transferts de gêne,
manipulations de cellules vivantes ou production de nouveaux types de vaccins,
en un mot pour la biotechnologie et la biothérapie- je suis un fervent
partisan d'une IND. Cela n'engage que moi, et non le conseil scientifique, bien
évidemment...
M. Didier TABUTEAU - Effectivement, il arrive dans un certain nombre de cas que
l'AMM soit délivrée plus tôt aux Etats-Unis qu'en Europe,
mais parce que le dossier a été déposé un an ou un
an et demi avant d'avoir été déposé en Europe ! Or,
nous sommes tributaires de la décision du laboratoire d'enregistrer ou
non le produit. Si l'on prend en compte la date de dépôt et la
date de délivrance de l'AMM, tout s'inverse, et la délivrance se
fait dans les 200 à 300 jours en Europe. Pour les molécules
très innovantes ou les pathologies graves, la délivrance se fait
plutôt autour de 100 jours...
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - En cas de refus d'inspection à
l'étranger, iriez-vous jusqu'à priver la France ou l'Europe de
certains médicaments et procédés ?
Par ailleurs, depuis 1994-1995, ressentez-vous chez les professionnels de
santé une évolution dans les comportements ?
Enfin, début 1996, on a senti qu'il existait quelques
chasses-gardées dans vos relations avec les autres agences. Où en
êtes-vous de ce point de vue ?
M. Didier TABUTEAU - Concernant les inspections, il existe plusieurs types de
pratiques. Au sein des pays de l'Union, il y a échange d'informations,
éventuellement des inspections conjointes. A l'extérieur de
l'Union, nous pouvons aller voir sur place. Notre métier est
d'être vigilant et il est essentiel que, pour tout dossier et tout
laboratoire, il y ait possibilité, pour l'autorité chargée
de l'évaluation et du contrôle, d'exercer un contrôle sur
place. Nous le faisons systématiquement dans certains cas, ou par
sondage, mais on doit pouvoir le faire !
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Il n'y a jamais de refus ?
M. Didier TABUTEAU - Si tel était le cas, on en tirerait les
conséquences. Cela jetterait la suspicion sur le dossier...
Par ailleurs, il existe un travail international au niveau de l'ancienne
convention Pic. Ce travail continue, et la Commission doit, au nom de l'Union
européenne, voir dans quelles conditions les pays d'Europe peuvent
échanger une information avec des pays tiers et reconnaître
mutuellement les inspections réalisées par ces pays et par les
pays de l'Union.
Pour ce qui est de l'alerte sanitaire et de l'évolution des
comportements, il est vrai qu'on ressent dans le secteur de la santé une
attention accrue des professionnels dans leur ensemble concernant les questions
de vigilance et de sécurité. Ainsi, la France est le premier pays
au monde à avoir réévalué les tests de
dépistage. Puis les Etats-Unis et l'Allemagne s'y sont
intéressés...
On relève des problèmes de sous-notifications dans tous les
systèmes de vigilance. C'est un constat classique. Cela dit, on a un
système qui fait remonter énormément d'informations.
Encore une fois, je préférerais qu'il y en ait plus, mais le
système reçoit plus de 15.000 notifications de
pharmaco-vigilance. Le système français de pharmaco-vigilance est
au premier rang en termes d'informations émanant des professionnels,
alors que, dans bien des pays, ces informations transitent par les entreprises.
C'est un atout très important pour le système français !
Quant aux relations avec les agences, je ne crois pas qu'il existe de gros
problèmes de frontières. Les choses sont définies
clairement par les textes. Une complémentarité existe par exemple
pour les analyses en laboratoire que l'Agence du médicament
réalise en vertu de conventions pour le compte de l'Agence
française du sang et de l'Etablissement français des greffes,
voire de la Direction générale de la santé.
Incontestablement, le problème qui peut se poser est celui des produits
qui ne sont pas sous le champ de compétence de ces
établissements. C'est un peu le "syndrome du lampadaire" : le
problème, c'est ce qui n'est pas sous le lampadaire !
Pour ces produits sans statut, le problème est beaucoup plus difficile.
Les méthodologies d'évaluation, les compétences sont
à définir comme cela a été fait pour les
thérapies cellulaires récemment.
M. François AUTAIN - La formule qui existe actuellement est-elle
suffisante pour garantir la sécurité sanitaire des malades qui
s'adressent à l'Agence du sang ou à l'établissement
français des greffes ? Le système de convention est-il
satisfaisant ou faut-il penser à quelque chose de plus efficace pour
éviter la survenue d'incidents comme ceux qu'on a pu connaître
avec le sang ou les prothèses siliconées ? Faudrait-il
élargir vos compétences ?
M. Didier TABUTEAU - Permettez-moi de répondre de façon technique
et purement administrative à une question qui est de l'ordre de la
politique de santé...
Tous les observateurs ont noté une extraordinaire amélioration de
la situation du contrôle de la sécurité sanitaire en France
depuis quelques années pour les grandes gammes de produits.
Quant aux conventions entre établissements, il ne s'agit pas de
répartir les compétences de contrôle, qui sont
définies par la loi, mais simplement de réaliser le travail
d'analyses. D'une certaine manière, nous jouons le rôle de
laboratoire de contrôle d'Etat pour les autres autorités
sanitaires.
Le souci est de s'assurer que tout ce qui doit être soumis à
évaluation et à contrôle au titre des législations
sur les produits l'est effectivement. S'agissant du champ de compétences
de chaque établissement et du fait de savoir si cela doit donner lieu
à regroupement, vous me permettrez de ne pas répondre...
En revanche, il existe une véritable interrogation de santé
publique sur les produits qui ne sont pas définis comme entrant dans le
champ de contrôle et d'évaluation d'un établissement,
c'est-à-dire les produits frontières ou sans statut. Pour les
produits frontières, par exemple entre médicament et dispositif
médical, il doit y avoir une décision de classement dans l'une
des catégories. En général, la décision est prise
à Bruxelles, car ces problèmes de produits-frontières se
posent dans tous les pays. Certains tombent dans le champ du dispositif,
d'autres dans le champ du médicament.
La difficulté majeure me paraît résider dans les produits
qui se situent hors du champ du lampadaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pouvez-vous nous donner la liste de ces produits
hors champ ? ... Je songe aux biomatériaux, aux additifs alimentaires...
La réponse est essentielle pour fixer le champ de réflexion de la
mission...
Par ailleurs, l'Agence a-t-elle un rôle d'accompagnement des usagers, ou
bien existe-t-il quelques étapes-clés ? Quel rôle
envisagez-vous tout au long de cette chaîne que vous avez
évoquée ?
Par ailleurs, dispose-t-on d'un nombre suffisant d'experts pour que la
procédure de contradiction soit effective, sans aller à
l'encontre du principe de prise d'intérêt ?
Enfin, quelles sont les attributions respectives actuelles et à
prévoir entre l'Agence européenne et les agences nationales ?
M. Didier TABUTEAU - Le premier point mérite un examen scientifique que
je ne suis pas en mesure de fournir. Je peux citer quelques exemples de
produits, comme les milieux de culture, que l'on peut utiliser dans un certain
nombre d'actes médicaux. D'autres produits accessoires à l'acte
médical ne figurent pas toujours dans un circuit de
réglementation classique. La question se pose même pour les actes
médicaux.
Je suis étonné qu'il n'y ait pas, en France, de système de
déclaration des effets indésirables de médico-vigilance.
Tout médicament qui pose un problème doit donner lieu à
une déclaration obligatoire du professionnel qui en a connaissance. En
revanche, des pratiques médicales qui donnent lieu à des effets
indésirables ne sont pas répertoriées.
M. François AUTAIN - Pouvez-vous donner des exemples d'accessoires
à l'acte médical ?
M. Didier TABUTEAU - ... Des milieux de conservation, des produits de
traitement ex vivo.
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous aimerions que vous prolongiez la
réflexion par une note écrite. Nous allons poser la question
à la plupart de nos interlocuteurs...
M. Didier TABUTEAU - Quant au rôle de conseil, tout comme dans les
grandes agences internationales, il est possible d'obtenir un conseil au cours
des recherches conduites par les entreprises. Nous avons parfois des
réunions de concertation, dans lesquelles le laboratoire, très en
amont de l'AMM, se renseigne pour savoir, sans engagement de notre part, dans
quelle voie les derniers essais cliniques doivent être orientés
pour que le dossier d'évaluation soit le plus pertinent possible.
Par ailleurs, on a essayé de publier les jurisprudences des commissions.
Il a ainsi été établi des recommandations en
matière de publicité pharmaceutique. Il s'agit en fait de mettre
la règle du jeu au vu de laquelle les dossiers sont examinés par
les commissions à la disposition des industriels.
Enfin, nous avons créé, dès la mise en place de l'Agence,
une unité d'assistance aux entreprises, qui a pour rôle de prendre
en charge les questions pour lesquelles il n'existe pas d'unité
chargée de les traiter. On a ainsi rendu service à un certain
nombre d'entreprises...
D'autre part, venant du conseil d'Etat, la procédure contradictoire me
paraît constituer le fonctionnement normal de toute institution, et il
m'a semblé assez naturel d'essayer de le développer au sein de
l'Agence. Cela se traduit par le fait que, lorsqu'on prend des décisions
défavorables et relativement lourdes, les entreprises sont
invitées à venir s'expliquer et participer au débat avant
la prise de décision.
Très régulièrement, par exemple dans le contrôle de
la publicité, qui fait l'objet de discussions nourries, nous envoyons
une mise en demeure aux laboratoires, qui peut en retour faire connaître
son point de vue, soit par écrit, soit par une audition devant la
commission. Il nous arrive dans un nombre significatif de cas de lever la mise
en demeure au vu des arguments présentés.
Même s'il ne faut pas que cela devienne une méthode dilatoire qui
retarde le déroulement des procédures, je crois que lorsqu'une
décision défavorable est lourde de conséquences, il est
normal que cette contradiction entre laboratoires experts et services de
l'Agence ait lieu. Nous essayons de la multiplier chaque fois que c'est
nécessaire.
Reste la question corollaire des experts. Les règles sont simples : tout
d'abord, un expert qui a un intérêt dans un dossier n'a pas le
droit de participer aux délibérations et au vote concernant ce
dossier. C'est une règle qui résulte du code pénal et que
nous avons rappelée à toutes les commissions.
En revanche -et d'ailleurs, aucun pays ne prend ce risque- dans certains cas
particuliers, il est difficile de trouver un expert compétent qui n'ait
participé à aucun essai clinique : en effet, comment pourrait-il
priver ses patients d'une molécule prometteuse en refusant que son
service soit inclus dans des essais cliniques ? Dans ce cas, nous avons recours
à trois, voire à quatre experts au lieu d'un, et nous essayons de
disposer d'un expert méthodologiste, n'ayant aucun lien, qui pourra
avoir une vision différente du contenu du dossier.
Enfin, s'agissant des attributions de l'Agence européenne, il y avait
déjà fort à faire à mettre cette agence en place !
Pour ce qui est de l'extension de ses compétences, la réflexion
est conduite dans les instances européennes, mais ne débouchera
pas à mon avis dans les prochains mois.
M. Jean-Paul CANO - Je voudrais ajouter que nous portons un regard attentif
quant à la sécurité et au contrôle des produits
alimentaires revendiquant des allégations de santé. Je ne vous
cache pas qu'on a beaucoup à faire sur ce sujet.
Enfin, l'intitulé de la mission porte sur le contrôle des
produits. Dans certains cas, il conviendrait de parler du contrôle des
procédés et des produits : lorsque les produits sont obtenus
par des technologies qui ne sont pas bien maîtrisées, ne
commettons pas l'erreur de ne regarder que le produit et non le
procédé ! Ce serait extrêmement grave pour la
sécurité sanitaire !
M. Claude HURIET, rapporteur - Merci beaucoup.
B. AUDITION DE M. MICHEL GANTOIS, PROFESSEUR D'UNIVERSITÉ, SPÉCIALISTE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES BIO MATÉRIAUX
M. Claude HURIET, rapporteur - Au cours d'une conversation,
le
professeur Michel Merle m'a fait part des préoccupations que l'on
pouvait avoir à propos de l'utilisation, depuis dix ou quinze ans, de
certains biomatériaux, dont on pouvait penser qu'ils étaient
inertes, et dont on se rendait compte quelques années plus tard qu'ils
pouvaient entraîner des incidents dont le côté pathologique
n'était pas affirmé.
Or, ayant déjà pu constater que la sécurité des
biomatériaux était loin d'être assurée, et ne
sachant pas de quel domaine de compétences ils ressortent, j'ai
pensé qu'il était utile que le professeur Gantois, qui travaille
avec le professeur Merle, soit entendu par notre mission.
Existe-t-il un vrai problème ? Y a-t-il des moyens de réponse ?
Sont-ils bien adaptés ?
M. Michel GANTOIS, président du pôle universitaire
européen, professeur d'université, spécialiste des
biomatériaux - Permettez-moi de me présenter : je suis professeur
à l'Institut national polytechnique de Lorraine. J'ai une formation
d'ingénieur et je suis spécialiste du secteur des
matériaux. J'ai été amené à diriger l'Ecole
des mines de Nancy, à présider l'Institut polytechnique, et j'ai
créé l'un des plus gros laboratoires français, qui est une
structure associée au CNRS, dans le domaine des matériaux, avec
des applications dans le secteur des biomatériaux.
Je collabore avec un certain nombre de collègues, en particulier le
professeur Merle, dans le cadre de l'Institut des biomatériaux. Je n'ai
pas de compétences personnelles sur les aspects liés à la
toxicité potentielle des matériaux, qui sont du ressort de mes
collègues médecins ou biologistes. Toutefois, ce que je vais dire
concerne la qualité de certains produits mis sur le marché, en
particulier dans le domaine des prothèses. Depuis maintenant une
quinzaine d'années, à la demande de mes collègues de
Nancy, et plus généralement de certains collègues
médecins français, je suis amené à réaliser
des examens sur différents matériaux implantés dans le
corps humain, qui ont subi des dégradations souvent
prématurées.
Je suis stupéfait par les résultats de mes observations, car la
plus grande part des dégradations que je constate sont dues pour
l'essentiel soit à des défauts de conception, soit à une
mauvaise qualité du matériau. Ce n'est pas le choix du
matériau lui-même qui en cause, mais la qualité du
matériau utilisé.
Ces erreurs de conception sont de nature mécanique -c'est-à-dire
le dessin même de certaines pièces- ou sont imputables à la
façon dont le matériau a été choisi
-c'est-à-dire sa structure. La majorité des dégradations
prématurées et des ruptures est due en fait à
l'inobservation de règles élémentaires connues dans le
secteur des matériaux et de la mécanique.
Je ne peux me prononcer sur la raison de cette situation, mais je constate que
la situation est assez grave et dramatique. J'observe actuellement, à la
demande du professeur Merle, une prothèse de genou correctement
dessinée, mais réalisée dans des matériaux qui
n'ont aucune chance de durer ! Je me demande même pourquoi la
prothèse n'a pas cassé dès qu'elle a été
posée sur le patient !
Je peux citer ainsi un très grand nombre d'exemples où l'on
relève des erreurs dans le choix, la qualité des matériaux
et la conception du matériel.
Second exemple : c'est moi qui ai mis en lumière les problèmes
liés à un pace maker qui était conçu de telle sorte
que la rupture de la lame d'acier au sein du pace maker, perçant la
gaine en matière plastique qui l'entourait, allait percer le coeur du
patient. Il y a ainsi eu un certain nombre d'accidents. Deux mille sont encore
implantés. Je crois qu'ils sont maintenant interdits. Il s'agit
là d'une erreur de conception élémentaire de ce
matériel.
A quoi cela est-il dû ? ... Bien évidemment, j'ai quelquefois
-mais rarement- des contacts avec les fabricants, qui s'inquiètent
toujours lorsqu'ils voient le résultat des expertises, et j'ai le
sentiment qu'il n'existe pas de contrôle sur ce genre de produits, comme
dans d'autres domaines. En effet, de nos jours, il n'existe pas une vis d'avion
qui n'ait fait l'objet d'un agrément technique qui la certifie pour une
utilisation aéronautique !
Or, j'ai l'impression qu'il doit être aujourd'hui possible d'implanter
une prothèse de genou sans que celle-ci ait été
certifiée par un organisme quelconque sur le plan technique. Si
c'était le cas, on ne devrait jamais observer ce que j'ai
été amené à observer !
La situation est assez dramatique car les fautes que j'ai observées sont
élémentaires. Les alliages de titane utilisés pour la
prothèse de hanche ou de genou sont d'utilisation courante dans
l'industrie, en particulier aéronautique ! On sait exactement ce qu'il
faut leur faire subir, les conditions de mise en forme, de traitement
thermique, de traitement de surface, de forgeage ou autres opérations du
même type, afin que leurs caractéristiques mécaniques et
leur durée de vie soient garanties. Or, j'observe qu'on a utilisé
des alliages qui ne correspondent ni de près ni de loin à ces
caractéristiques de base connues par les spécialistes !
Quelle est l'origine ? ... Vraisemblablement la chaîne de fabrication est
incorrecte. Selon mes hypothèses, le produit est conçu par le
médecin, qui en propose et en décrit les principales fonctions.
Ceci est repris par des sociétés qui, autant que j'ai pu le
découvrir, sous-traitent ce marché auprès d'entreprises
qui n'ont pas obligatoirement les compétences requises pour le choix des
matériaux et l'usinage des pièces.
Le professeur Merle m'a amené un jour un lot de vis utilisées
pour fixer les petites prothèses. Or, il existait un point faible dans
la conception et dans le dessin, sous la tête de la vis, qui cassait
dès qu'on la serrait. Ceci est connu de tous les fabricants de vis du
monde ! Comment peut-on arriver à de telles situations comme cela ? Je
n'en sais rien !
Toujours est-il que j'ai une vue catastrophique, car je n'observe que ce qui
est cassé. Je ne vois par conséquent pas ce qui est bon, mais il
voit y avoir du bon quand même ! Cela étant dit, moins de 5 % des
ruptures que j'ai observées sont acceptables, car on ne peut garantir
les matériaux à 100 %. Toutefois, 95 % sont pour moi des fautes
de conception et de choix des matériaux !
Je crois qu'il est urgent de faire quelque chose. Il faut que s'installe un
contrôle indépendant de toute cette chaîne, qui
m'apparaît complexe. Ca n'est certainement pas très
compliqué à mettre en place. Il suffit de rassembler dans une
institution indépendante, de type public, quelques spécialistes,
qui émettront un avis purement technique auprès d'une commission.
Il n'y a pas besoin d'aller au-delà. Encore faudrait-il que cela se
fasse, et je crois qu'aujourd'hui, cela ne se fait pas !
M. Claude HURIET, rapporteur - Le professeur Gantois a montré la
réalité du problème et nous a également permis de
découvrir une situation à laquelle, manifestement, la mission
doit apporter une réponse !
M. François AUTAIN - Qu'existe-t-il actuellement et que peut-on faire ?
Si j'ai bien compris, il n'existe rien !
M. Claude HURIET, rapporteur - Qu'existe-t-il en France ou à
l'étranger ? Les exemples que vous avez choisis ne concernent pas
seulement des fabrications françaises...
M. Michel GANTOIS - Ce sont malheureusement majoritairement des fabrications
françaises.
Je suis par ailleurs terriblement surpris, car d'après mon
expérience dans le domaine industriel, le bénéfice sur ces
produits semble compris entre 5 et 10, ce qui est considérable ! A ce
prix, on pourrait s'attendre à avoir de la qualité. Or, on ne l'a
pas !
Enfin, la situation semble connue de certains. Une grande société
européenne de traitement de surface, qui a une division en France,
refuse de faire du traitement de surface sur les biomatériaux, parce
qu'elle considère qu'elle prend trop de risques, les pièces
n'étant pas d'une qualité suffisante. Elle pourrait être
engagée malgré elle dans des problèmes de
responsabilité, qu'elle ne veut pas assumer pour les autres !
M. Bernard SEILLIER - A l'heure actuelle, c'est bien la direction des
hôpitaux qui donne l'agrément pour ces produits ? Ne
s'entoure-t-elle pas d'une certification d'un bureau ? La procédure
n'existe-t-elle ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Les dispositifs sont de l'autorité de la
direction des hôpitaux. Il nous appartiendra de voir de quels moyens
celle-ci dispose pour exercer sa mission. Les dispositifs sont-ils ou non dans
les biomatériaux ?
M. Michel GANTOIS - Il existe deux classes de matériaux. On
réserve le terme de "biomatériaux" aux matériaux mis en
contact avec le milieu biologique. Tous les matériaux travaillent dans
un environnement -air, chaleur, vide. On réserve le mot
"biomatériaux" aux matériaux qui ont une interaction
physico-chimique avec un milieu biologique.
Au-delà, certains matériaux ont des usages thérapeutiques,
sans être en contact étroit avec le milieu biologique. Par
exemple, tous les matériaux qui se trouvent dans une prothèse de
genou ou de hanche sont des biomatériaux. C'est un milieu très
complexe, -milieu liquide sans frottement, contact avec les cartilages... Cela
nécessite donc des approches pluridisciplinaires.
Les biomatériaux sont métalliques, en céramique, comme les
prothèses dentaires, ou organiques -matériaux
synthétiques, matières plastiques, silicone. Ces derniers sont
d'ailleurs des matériaux qui ont été utilisés
pendant des années en considérant qu'ils ne présentaient
aucun risque, et pour lesquels on découvre qu'ils sont potentiellement
porteurs de risques.
On a des connaissances sur certains matériaux, d'autres sont douteuses
car il faut un temps très long pour pouvoir les évaluer. C'est un
travail collectif qui nécessite des enquêtes et des observations.
Ce que je vous ai dit concerne simplement les caractéristiques des
produits que l'on fabrique avec ces biomatériaux.
Indépendamment de leur nocivité sur le corps, qui peut être
nulle, comme le titane et ses alliages, utilisée comme support principal
des prothèses de hanche ou de genou, le problème qui se pose est
un problème de qualité du matériau, tout simplement parce
qu'on ne l'a pas utilisé dans les conditions dans lesquelles il doit
l'être, pour avoir une résistance mécanique, une
propriété de surface adaptée à ce qu'on lui demande
du strict point de vue de la mécanique.
On constate alors des ruptures prématurées, avec tout ce que cela
implique. La même chose se produit sur des pièces
élémentaires comme les plaques osseuses, qui sont
réalisées en vulgaire acier inoxydable !
Pour moi, c'est incompréhensible et inacceptable, en regard des prix et
de l'état actuel de la technologie dans le domaine des
biomatériaux. On prend plus de soin aujourd'hui pour un engrenage de
boîte de vitesses que pour des pièces que l'on met dans le corps
humain ! Je trouve cela invraisemblable, à tel point que si l'on
doit un jour m'en poser une, je ne sais quel type de vérifications je
ferai préalablement !
M. Claude HURIET, rapporteur - Les biomatériaux peuvent donc être
des matières premières utilisées brutes, mais
également entrer dans la fabrication de pièces plus complexes,
que l'on appelle "dispositifs", qu'ils soient actifs, comme les
simulateurs, ou
inactifs, comme les prothèses.
Or, la direction des hôpitaux est concernée par les dispositifs,
mais je ne crois pas qu'elle ait compétences ni moyens dans le domaine
des biomatériaux...
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Existe-t-il un organisme qui juge de
l'incompatibilité ou de la toxicité des biomatériaux, mais
aussi des suites occasionnées par celles-ci ?
Par ailleurs, qui passe commande des appareils ? Ne faut-il pas rapprocher
cette absence de contrôle et de tutelle des trafics de prothèses
dans l'Ouest ?
M. Michel GANTOIS - Si une prothèse de genou, comme celles que j'ai
été amené à examiner après rupture,
était passé dans un laboratoire ayant les compétences qui
sont rassemblées dans nos laboratoires, simplement pour donner un avis
technique sur le choix des matériaux et la conception mécanique,
on aurait arrêté cela instantanément !
Y a-t-il eu ce genre d'examen ? Je n'en sais rien, mais j'ose espérer
qu'il n'a pas eu lieu, car cela aurait tendance à démontrer que
les gens qui l'ont fait ne sont pas compétents ! On devrait interdire de
monter ce genre de chose !
M. Bernard SEILLIER - J'ai l'impression que les fonctionnaires de la direction
des hôpitaux, qui ne disposent pas de laboratoires, se contentent du
dossier pour délivrer l'agrément... Un laboratoire de
référence pourrait-il être systématiquement
consulté sur les demandes d'agrément, avant même que l'on
ne mette en place un organisme, qui paraît nécessaire ?
Mme Annick BOCANDE - C'est un problème scientifique, commercial, mais
aussi un problème d'éthique professionnelle et médicale.
Je considère que cela dépasse largement le cadre de ce qui a
été dit.
M. Michel GANTOIS - L'institut des biomatériaux de Nancy n'a pas de
vocation de contrôle. Il a été créé de
façon volontariste entre collègues médecins et
spécialistes, et c'est à ce titre que je participe à cette
opération.
Dans le domaine de la micro-chirurgie et de la chirurgie de la main, certains
programmes de recherche-développement visent à développer
de nouveaux produits. C'est ainsi qu'on a développé avec Michel
Merle une prothèse de l'articulation du doigt qui est utilisée
actuellement.
On rassemble ainsi plusieurs types de chirurgiens et de compétences, au
sein de l'Institut des biomatériaux dans le domaine des matériaux
: spécialistes des matériaux métalliques et des
céramiques et spécialistes des matériaux de type organique.
Par ailleurs, nous avons une fonction d'expertise non-officielle. Je restitue
l'avis que je donne à mes collègues chirurgiens, qui
décident qu'on n'utilisera plus cette prothèse, parce qu'elle est
de mauvaise qualité, mais elle peut être vendue ailleurs ! Notre
rapport n'est pas diffusé...
D'ailleurs, certains fournisseurs de matériel sont très inquiets,
et l'on a déjà reçu quelques appels
téléphoniques qui s'apparentaient à de petites pressions
de la part des fabricants, qui essayaient de nous expliquer qu'ils avaient
travaillé dans des conditions de qualité tout à fait
satisfaisantes, nous envoyant même des normes de fabrication qui ne
s'appliquaient malheureusement pas !
C'est à partir de là qu'on réussit à mesurer
l'incompétence relative de ces gens-là. Ils sont dans ce
métier sans savoir ce qu'ils font et ne connaissent pas les
matériaux sur lesquels ils travaillent. Je suis convaincu qu'un
contrôle est nécessaire. Il n'est pas possible qu'il y ait un
contrôle sérieux et que l'on trouve des pièces de cette
nature sur le marché !
M. Claude HURIET, rapporteur - Les colles et les ciments font-ils partie des
biomatériaux ?
M. Michel GANTOIS - Oui, bien sûr.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les colles sont-elles du ressort de l'Agence du
médicament ? C'est un produit d'origine biologique ou n'est-ce pour le
moment du ressort de personne ?
Quelle est l'utilisation actuelle des ciments en matière de
prothèse chirurgicale ?
M. François AUTAIN - Il va falloir supprimer les frontières !
M. Claude HURIET, rapporteur - Les ciments, c'est vous ?
M. Michel GANTOIS - Les ciments, c'est nous. Les colles, cela pourrait
être des collègues qui ont des compétences en la
matière.
Il existe deux grandes catégories de matériaux : les
minéraux et les matériaux organiques, essentiellement
constitués de carbone, d'oxygène et d'azote.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et les membranes ?
M. Michel GANTOIS - Cela relève des matériaux organiques. On a
d'ailleurs un collègue de l'école de chimie de Nancy qui s'occupe
de tout ce côté.
M. Claude HURIET, rapporteur - Que se passe-t-il à l'étranger ?
Je pense aux Etats-Unis : en termes de parts de marché, les fabricants
français se placent-ils convenablement ? Des contrôles de
bonnes pratiques de fabrication risqueraient-ils d'entraîner en France
soit des délocalisations ou favoriseraient-ils l'expansion de fabricants
étrangers ? Existe-t-il une procédure concernant les
biomatériaux aux Etats-Unis ?
M. Michel GANTOIS - Je ne connais pas la procédure de qualification aux
Etats-Unis, mais il est certain qu'il en existe une, car la mise sur le
marché d'un nouveau produit aux Etats-Unis par une entreprise
américaine -ou étrangère d'ailleurs- est un processus
extrêmement long. Les entreprises américaines le savent fort bien,
et j'en connais qui viennent faire leurs tests en Europe. Aux Etats-Unis, un
délai de dix à douze ans de négociations et d'examens est
nécessaire, alors qu'il est beaucoup moins long en Europe, et en
particulier en France.
Sous cette contrainte, d'une façon générale, les produits
américains sont de qualité supérieure et
développés par des entreprises de dimension internationale. En
France, il existe un ensemble de petits réseaux, qui semblent
fonctionner de façon régionale...
M. Claude HURIET, rapporteur - Il faudrait peut-être d'ailleurs trouver
l'origine de ces structures d'entreprises dans l'histoire. Je me souviens d'un
patron nancéien qui connaissait un artisan proche de l'hôpital,
bricoleur de génie, qui fabriquait à sa demande tel ou tel
équipement de plus en plus sophistiqué : il est pratiquement
passé de la pince à l'assistance respiratoire. Je pense que, dans
bien des secteurs, l'origine doit être le couple chirurgien-artisan.
Bien évidemment, les problèmes auxquels nous sommes
confrontés sont d'une nature tout à fait différente, mais
je crois qu'il y a de cela. Ce n'est pas une excuse : c'est une explication...
M. Bernard SEILLIER - Les évolutions et les développements
prévisibles de ces technologies rendraient-ils intéressants le
développement de BTS ou d'écoles d'ingénieurs
spécifiques ?
M. Michel GANTOIS - Ma réponse est largement oui, car c'est un secteur
pour l'instant complètement négligé au niveau de la
formation des techniciens et des ingénieurs.
J'ai été amené à créer une école
d'ingénieurs spécialisés en génie des
matériaux et commune à quatre pays. Elle est installée
à Nancy, mais est à la fois française, espagnole,
allemande et suédoise, et ses objectifs de spécialisation
incluent le domaine des biomatériaux.
L'école a été créée il y a 5 ans et vient de
sortir sa première promotion, mais la mise en place concrète de
la formation en biomatériaux n'a pu être menée à
bien, parce qu'il n'existe ni soubassement ni moyens.
Effectivement, cela met en oeuvre une formation conjointe par des
spécialistes des sciences de l'ingénieur
mécanique-matériau et des spécialistes du secteur
médical.
III. SÉANCE DU MARDI 29 OCTOBRE 1996
A. AUDITION DE BERNARD SERROU, DÉPUTÉ, AUTEUR DU RAPPORT : "VIGILANCE SANITAIRE : BILAN ET PERSPECTIVES"
M. Charles DESCOURS, président - Nous sommes
allés aux Etats-Unis voir la Food and Drug Administration et les Centers
for Disease Control and Prevention. Pourquoi reparle-t-on maintenant de
l'amiante ? Pourquoi a-t-on mangé de la vache folle pendant de
nombreuses années sans se poser de questions ?
La semaine dernière, Claude Huriet a auditionné un de ses
collègues de Nancy sur les dispositifs bio-médicaux, mais en
fait, on commence par ton audition à cause de ton rapport. Nous l'avons
lu. A quelle date l'as-tu publié ?
M. Bernard SERROU - Il a été terminé en décembre. A
cause des ordonnances, nous l'avons gardé un peu sous le coude et il est
sorti en juillet.
M. Charles DESCOURS, président - Nous voulons savoir si la
sécurité sanitaire des produits thérapeutiques est faite
dans tous les domaines, sur les médicaments d'abord, sur les dispositifs
médicaux, sur le sang, les greffes, les produits frontières, tels
que les adjuvants et les produits biologiques ou alimentaires.
M. Bernard SERROU - Dans mon rapport, j'ai abordé essentiellement quatre
vigilances : la pharmaco-vigilance, la plus ancienne, l'hémo-vigilance,
la bio-vigilance et un matério-vigilance.
En réalité, il n'y a que la pharmaco-vigilance qui fonctionne
à peu près bien aujourd'hui. Elle est en place, elle a fait
à peu près ses preuves. C'est inclus dans le système
européen.
En revanche, les autres vigilances, en dehors de l'hémo-vigilance mise
en place récemment, qu'il s'agisse de la bio ou de la
matério-vigilance sont en train de se mettre en place. On ne peut pas
encore aujourd'hui juger de leur efficacité.
Sur l'hémo-vigilance, les systèmes paraissent un peu complexes et
ne répondent pas toujours très bien aux difficultés de
terrain.
Par ailleurs, il faut bien considérer que ce n'est pas directement
l'administration d'Etat qui a en charge cette vigilance, mais les
établissements publics. Chacun travaille de son côté sans
se préoccuper de l'autre. Chacun met en place ses systèmes sans
regarder si c'est compatible avec ce que fait l'autre et sans chercher à
savoir si son domaine ne va pas empiéter ou ne va pas être
obligatoirement en relation avec celui de l'autre. Tel malade qui va avoir
telle thérapeutique, cela va dépendre aussi bien de la
pharmaco-vigilance, de l'hémo-vigilance, de la pharmaco-vigilance et de
la bio-vigilance.
Dans la mesure où l'on rentre dans un seul système alors que ces
systèmes ne sont pas compatibles avec les autres, il y a une
indépendance totale qui donne une incoordination, d'où une
lenteur à l'information et à la prise de décision.
Et d'où, à mon point de vue, le risque de voir se
répéter des affaires telles que nous les avons vécues,
dévoilant l'inadéquation de la Direction Générale
de la Santé aujourd'hui : l'affaire du sang contaminé, l'affaire
de la vache folle, de l'amiante et de l'hépatite -dont on parle peu,
mais qui touche beaucoup de gens-.
Il y a une incapacité de la Direction Générale de la
Santé de répondre au problème de l'aléa
médical. On ne peut pas y répondre sans mettre en place un
réseau de vigilance et sans installer une véritable politique de
santé publique, qui aujourd'hui n'existe pas.
M. Charles DESCOURS, président - Le réseau de vigilance, cela
devrait être le Réseau National de Santé Publique ?
M. Bernard SERROU - Pas véritablement. La vigilance, à mon avis,
devrait s'intégrer dans une politique de santé publique qui reste
à définir et à mettre en place dans notre pays. Au moment
où l'on veut faire des économies en matière de
santé, on devrait favoriser une politique d'éducation de la
santé, de prévention, de responsabilisation, mais peut-être
est-ce un autre sujet qu'il faut, toutefois, avoir en tête.
La vigilance rentre dans une politique de santé publique et va
permettre, comme son nom l'indique, d'éviter qu'un certain nombre de
traitements, dont on évalue mal aujourd'hui tous les effets,
n'entraînent des catastrophes de façon sérielle.
Par vigilance, j'entends ce qui est lié aux produits
thérapeutiques. Ce n'est pas l'ensemble de la veille sanitaire ou une
surveillance épidémiologique, mais l'un ne peut pas être
véritablement délié de l'autre.
M. Charles DESCOURS, président - C'est la raison pour laquelle on a
lié les deux choses.
M. Bernard SERROU - Je reviens à l'idée globale qui a
guidé ce rapport. Si l'on met en place un système du terrain
jusqu'au secteur centralisateur, au niveau régional ou national, ou si
l'on met en place un véritable circuit qui fonctionne bien pour la
vigilance, il pourra s'appliquer dans tous les domaines, qu'il s'agisse de
l'épidémiologie, de l'information des médecins.
Si ce système est instauré pour la vigilance sanitaire, il pourra
s'appliquer pour un véritable système de santé publique
incluant tous les problèmes d'économie de la santé qui
concernent directement le médecin sur le terrain.
Qu'a-t-on voulu faire de façon simple partant du principe que chacun
travaillait de son côté, que d'autres vigilances pouvaient
apparaître ou apparaîtraient ?
Il fallait, de mon point de vue, éviter qu'il y ait une aggravation de
la séparation des responsabilités. A partir de là, il y
avait deux solutions : la première serait de tout arrêter et de
repartir à zéro avec un grand centre réunissant l'ensemble
des vigilances.
Le problème avec cette solution -qui aurait peut-être
été la plus simple- est qu'aujourd'hui des habitudes ont
été prises. Cela remettait donc tout en cause. Ces habitudes ont
été prises difficilement, avec beaucoup de lenteur et
d'hésitation des uns et des autres.
En un mot, cela risquait de créer de la confusion, d'augmenter les
coûts et d'aggraver la complexité.
En revanche, si l'on part du principe que les vigilances en place sont ce
qu'elles sont, il faut voir ce qui peut être amélioré.
Que faut-il faire ? Simplement coordonner les vigilances entre elles,
c'est-à-dire mettre en place un système par lequel les vigilances
sont informées les unes des autres de leur activité et où
il y a un réel travail en commun.
M. Charles DESCOURS, président - Que recouvre la bio-vigilance ?
M. Bernard SERROU - Elle est essentiellement assurée par
l'établissement français des greffes, mais cela peut toucher
d'autres domaines.
M. Charles DESCOURS, président - La matério-vigilance est-elle
satisfaisante actuellement ?
M. Bernard SERROU - Elle commence à se mettre en place. Dire qu'elle est
satisfaisante serait trop rapide.
M. Charles DESCOURS, président - Après l'audition du professeur
de Nancy, on a plutôt eu le sentiment que c'était vraiment
balbutiant.
M. Bernard SERROU - Oui. Il est impossible aujourd'hui de dire si la vigilance
dans le domaine des matériaux va être adaptée ou pas. On
peut l'espérer, on peut le penser. On peut donner la même
réponse pour l'établissement français des greffes.
D'où l'importance, à mon point de vue, de ne pas laisser chacun
travailler dans son coin, mais de mettre rapidement en place une coordination,
ou de prendre la décision de tout centraliser, mais si on doit le faire,
n'attendons pas. Plus le temps passe, moins on pourra tout centraliser dans une
structure unique. Nous serions les seuls, parmi les grands pays
européens, voire internationaux comme les Etats-Unis, à le faire.
La plupart des pays ont leur structure de vigilance portant sur tel ou tel
domaine.
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce qui nous a frappés aux
Etats-Unis. On croyait que c'était très centralisé. En
fait, il y a trois ou quatre organismes, l'Institut de la Santé, le CDC,
etc.
M. Bernard SERROU. - C'est centralisé, mais en revanche, il existe des
comités de coordination et une incitation sur le terrain pour que les
médecins donnent l'information. Le problème est là. On
peut mettre en place toutes les structures que l'on veut, si, sur le terrain
les médecins ou les professionnels de santé ne donnent pas
l'information, le système de vigilance est bloqué, d'où
l'effort qu'il va falloir faire dans ce domaine. Les Américains l'ont
très bien compris.
Je reviens à la nécessité de coordination, soit on
centralise -ce qui est un peu notre habitude dans notre pays- soit au
contraire, on coordonne. On laisse les structures telles qu'elles sont. Il
suffit de mettre en place un simple comité de coordination. C'est simple
et cela coûte peu d'argent. On ne bouleverse pas les habitudes, mais il
est essentiel que sur le terrain, les médecins aient à remplir
des formulaires qui soient à peu près identiques (des formulaires
informatisés) si l'on ne veut pas qu'ils soient
découragés. Il faut des systèmes très simples pour
donner l'information immédiatement, quasiment en temps réel. Les
Américains l'ont très bien fait.
Je reviens aux deux approches. J'en ai choisi une, mais l'on peut choisir
l'autre. Je ne suis pas bloqué dans cette affaire. Si l'on centralise
tout, il faut tout remettre en place. A mon avis, cela va être lourd,
coûteux. On sait ce que deviennent les grosses structures. De plus, cela
va changer les habitudes.
Soit, on crée quelque chose de simple, qui ne coûte pas cher et
qui oblige les gens à travailler ensemble. En plus, un comité de
coordination peut s'adapter à l'ensemble des vigilances naissantes.
Lorsqu'une vigilance apparaît, elle entre dans le comité de
coordination.
Ce comité de coordination pourrait être mis en place sous
l'égide de la Direction Générale de la Santé et
présidé par son Directeur Général. Il s'agirait
d'une présidence effective. Il doit être là, car si l'on
commence à redonner les responsabilités à d'autres, cela
ne peut pas marcher. Il faut véritablement la présidence
effective du Directeur Général de la Santé.
Auprès du Directeur Général de la Santé, dans ce
comité de coordination, il y aurait un véritable comité de
direction réunissant les responsables administratifs et scientifiques de
chaque vigilance.
Ceci, c'est au niveau national.
Pour animer et se rapprocher du terrain, il y aurait la mise en place d'un
comité local de vigilance. Soit, il est mis en place ex abrupto, soit il
s'appuie sur un certain nombre de comités déjà mis en
place pour l'hémo-vigilance ou la pharmaco-vigilance. Ce n'est pas la
peine de multiplier les structures. S'il y a déjà localement une
structure pour la pharmaco-vigilance, elle peut très bien être
transformée en comité local de coordination pour l'ensemble des
vigilances.
Là aussi, c'est très simple.
La politique de santé publique doit être assumée par
l'Etat. C'est une des prérogatives de la Direction
Générale de la Santé, sauf si l'on décidait que la
politique de santé publique devait se faire en dehors de la Direction
Générale de la Santé.
Le Directeur Général de la Santé est entouré des
Directeurs généraux et des présidents des Conseils
scientifiques des agences. Ce sont des personnes relativement
indépendantes. L'avantage, dans la mesure où à la
tête de ce Comité de coordination, une décision est prise,
est que le Directeur Général de la Santé va pouvoir la
faire appliquer immédiatement sur le terrain.
M. Charles DESCOURS, président - On avait voulu rendre l'Agence du
médicament très indépendante du ministère pour lui
assurer une indépendance scientifique. En se servant de cette
démarche, ne peut-on pas craindre que le DGS essaie de minimiser les
problèmes ?
M. Bernard SERROU - Lorsqu'un problème se pose pour tel
médicament ou tel produit, la décision est toujours prise par le
Directeur Général de la Santé ou le ministre sur
proposition du Directeur Général de la Santé. Et lorsque
se pose un problème de santé publique, comme pour le sang
contaminé, pour l'amiante, la décision est prise au niveau du
responsable de santé publique, c'est-à-dire le Directeur
Général de la Santé et le ministre.
M. Charles DESCOURS, président - On a souvent le sentiment que
dès que quelque chose se fait un peu en dehors de la Direction
Générale de la Santé, elle prend cela comme un
dépeçage de son pouvoir.
M. Bernard SERROU - Je suis d'accord, il faut faire très attention car
le Directeur Général de la Santé est un homme très
attaché à ses prérogatives. C'est la raison pour laquelle
je suggère fortement qu'il y ait une réorganisation à la
Direction Générale de la Santé qui ne fonctionne pas bien
aujourd'hui.
M. Charles DESCOURS, président - On irait vers une DGS nouvelle formule ?
M. Bernard SERROU - Cela me paraît un point essentiel. Sur les
décisions, il est nécessaire d'avoir un comité de
coordination car un certain nombre de produits touche plusieurs vigilances.
Le rôle des services déconcentrés de l'Etat aura pour but
l'évaluation constante du système. Là aussi, on en vient
à un point clé, surtout dans notre pays. S'il n'y a pas un
contrôle permanent, un cahier des charges clair, s'il n'y a pas cette
surveillance, ce n'est pas la peine de mettre en place de nouveaux
systèmes quels qu'ils soient parce les résultats seront
inadéquats, inadaptés, décevants et entraîneront un
certain nombre de catastrophes plus ou moins importantes.
La surveillance de la mise en place des structures, de leur bon fonctionnement,
du bon respect des cahiers des charges me paraît essentielle. On le fait
beaucoup plus dans le domaine de la recherche où les équipes sont
évaluées très régulièrement et très
sévèrement le plus souvent par leurs pairs.
Ce qui se fait dans le milieu de la recherche doit aussi se faire dans le
milieu purement médical. L'évaluation n'est pas suffisante au
niveau des services, au niveau du fonctionnement de l'hôpital, mais dans
le domaine qui nous touche ici, la vigilance, j'insiste tout
particulièrement sur la nécessité de cette
évaluation constante du système.
Par ailleurs, on propose la mise en place d'ateliers nationaux de vigilance.
Cela va permettre aux différents acteurs des vigilances sanitaires de
communiquer entre eux, de confronter leurs expériences, leurs
méthodes, d'évoquer leurs problèmes, et surtout de
créer des liens entre eux concernant les différentes vigilances.
La mise en place de ces ateliers nationaux est essentielle. C'est là
où, véritablement, va se créer cette
interpénétration des vigilances et obliger les différents
acteurs à travailler entre eux.
A partir de là, des liens se créant, automatiquement, le
comité de coordination n'en fonctionnera que mieux. Il ne faut pas qu'il
y ait seulement une coordination imposée au niveau des grands
responsables de la vigilance, il faut aussi une capacité de l'ensemble
des acteurs de chaque vigilance de travailler ensemble.
Ceci étant, il faut être conscient que la vigilance ne pourra
véritablement fonctionner que s'il y a une bonne participation des
professionnels de santé. Leur participation est un gage
d'efficacité de la vigilance. Si on ne mobilise pas les professionnels
de santé, on peut mettre en place toutes les structures que l'on veut,
elles ne fonctionneront pas.
Il faut noter pour l'instant une faible participation de leur part pour
signaler tous les incidents et accidents qui apparaissent. Il faut les
mobiliser. Mais il ne faut pas leur donner l'impression qu'on met en place un
système pour les surveiller. Il faut qu'ils aient l'impression que cela
va engendrer un gain ou un bénéfice.
Pour les professionnels de santé, on peut multiplier les idées,
j'en ai cité quelques-unes, mais elles ne sont pas limitatives. Les
vigilances doivent être intégrées dans la formation
initiale et la formation continue. D'où l'importance, dans la formation
initiale, de bien définir et de bien impulser la politique de
santé publique.
C'est au départ qu'il faut donner des habitudes en matière
d'éducation à la santé, de prévention,
d'épidémiologie, d'économie de la santé, de
vigilance, de veille sanitaire, etc.
Deuxième élément : il faut informatiser les cabinets de
l'ensemble des médecins. La mesure qui est prise actuellement va dans le
bon sens, mais comme je l'ai dit plusieurs fois à J. Barrot, il ne
faut pas présenter l'informatisation comme un simple moyen de surveiller
les médecins. Il convient de leur expliquer que cela va être
très important pour l'épidémiologie, pour la vigilance,
qu'ils vont jouer un rôle. Ils vont monter l'information, mais il faut
aussi qu'on leur fasse descendre. Lorsqu'ils envoient une information, on doit
leur dire qu'elle a été bien reçue et quelles sont les
décisions qui en découlent.
Pour les vigilances, on peut aussi mettre en place ce qu'ont fait les
Américains, à savoir une revue signalant tous les
problèmes sur la vigilance qui est diffusée aux professionnels de
santé.
Ces systèmes de vigilance ne peuvent pas être
considérés à part du dispositif général
d'information en matière de santé publique. C'est un
élément clé qui doit fortement nous mobiliser.
Un autre problème va se poser : celui de la diversité des sources
d'informations en matière de santé publique.
Il va falloir définir les données à collecter, leur mode
de validation, les précautions à prendre avec la CNIL pour
permettre le croisement de certains fichiers. Là aussi, il nous faudra
résoudre ce problème.
Dernier point sur lequel on a attiré l'attention : les liens entre
la santé publique et la recherche doivent être amplifiés.
En la matière, l'INSERM est très nettement en-deçà
de ce qu'il faudrait. L'arrivée du nouveau Directeur
Général de l'INSERM devrait nous amener à faire pression
sur lui pour que, comme dans le cas du CNRS, différents secteurs soient
mis en place : la biologie, la santé publique. Dans la mesure où
la santé publique est noyée dans la Direction
générale, il est bien évident que la santé publique
reçoit moins de crédits que ce qu'on va donner à la
cancérologie, aux maladies cardio-vasculaires, au sida, etc.
Il faudrait une Direction de la santé publique disposant, à
l'intérieur de l'INSERM, de crédits permettant la recherche en
santé publique. C'est un point qui me semble essentiel. Nous ne
décollerons pas en matière de santé publique s'il n'y a
pas un fort appel venant très en amont de la recherche.
Voilà brièvement résumé le rapport, vous en saurez
plus en le reprenant dans son intégralité.
M. Bernard SEILLIER - Le rôle attendu des services extérieurs de
la santé pour l'évaluation est effectivement un point important
mais, sauf à concevoir cette évaluation comme quelque chose de
sommaire, je doute qu'ils aient actuellement les compétences
nécessaires pour assumer cette fonction. Puisque vous avez parlé
d'une réorganisation de la Direction Générale de la
Santé, il doit y avoir un pendant au niveau local ?
M. Bernard SERROU - Tout à fait. Pour prendre deux ou trois
régions que je connais bien, je ne vois pas qui pourrait assumer, avec
efficacité, une telle évaluation.
Une des faiblesses de notre système de santé aujourd'hui est
qu'au niveau des DDASS et des DRASS, un certain nombre de professionnels de
santé, médecins ou pharmaciens, font leur travail très
honnêtement, mais ils n'ont pas la formation suffisante pour pouvoir
juger -au bon sens du terme- des travaux médicaux de pointe.
M. Charles DESCOURS, président - Votre système ne pourrait
être réalisé par l'institution d'antennes locales de
l'ANDEM ?
M. Bernard SERROU - Non.
M. Dominique LECLERC - Je voudrais faire part d'une réflexion.
Premier point, lorsqu'on se plaît à dire en France que l'on n'a
pas encore de politique de santé publique perceptible par la population,
-et on en est loin- mais aussi par les acteurs, c'est-à-dire les
médecins eux-mêmes, on voit les lacunes de la formation initiale
qui reste encore concentrée sur le curatif. On pense toujours qu'un
médecin n'est fait que pour soigner.
Le deuxième, lorsque vous dites qu'il faut centraliser, coordonner, je
pense que l'on ne peut pas éviter les deux. Là encore, on va se
retrouver devant des gens qui manquent soit de connaissances, soit de moyens,
qui n'ont pas toute cette culture. Je pense qu'il nous restera pas mal de
suggestions à faire dans tous ces domaines.
M. Bernard SERROU - D'où l'intérêt de mettre en place un
simple comité de coordination qui soit placé sous la
présidence du DGS ou d'un autre. Pourquoi ? Parce qu'on fait venir les
compétences. Ce sont les gens à la tête des instituts, des
Conseils scientifiques qui viennent. Reste à voir si la tête la
plus adaptée est le DGS ou pas.
L'avantage est que cela peut être mis en place très vite, que cela
ne coûte quasiment rien et que le système peut continuer à
fonctionner.
J'ajouterai un point, c'est votre voyage aux Etats-Unis qui m'y fait penser. Je
l'ai dit à M. Gaymard, c'est une idée que l'on poursuit depuis
longtemps dans le domaine de la cancérologie, il y a
nécessité de se rapprocher d'un système du type de la Food
and Drug Administration. Il me paraît très difficile en effet
d'avoir d'un côté certaines vigilances et de laisser tout ce qui
est aliment, alimentaire, ou lié aux aliments de côté.
M. Charles DESCOURS, président - Nous sommes tout à fait d'accord.
B. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS GIRARD, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SANTÉ
M. Charles DESCOURS, président - Après
l'audition de Bernard Serrou, il nous semble -mais nous l'avions
déjà perçu- qu'il y a plusieurs vigilances. Certaines
fonctionnent correctement en France, d'autres moins bien. Quel est l'avis du
Directeur Général de la Santé sur la situation actuelle et
à venir ?
M. Jean-François GIRARD - Je vais répondre à votre
question car je crois que c'est une des plus actuelles, mais j'aurais envie de
commencer par un constat qui est celui d'un besoin de clarification.
La faiblesse française ne provient pas du manque d'institutions, (il y a
probablement un manque de moyens, j'y reviendrai à la fin), mais d'un
manque de coordination et de mise en cohérence de tout ce qui existe
déjà.
Les efforts de l'action publique doivent aller vers une meilleure
cohérence, une meilleure coordination et, mais pas forcément dans
tous les domaines, vers la création de nouvelles institutions. C'est une
première remarque liminaire.
Deuxième remarque, il y a une règle qu'en tant que Directeur
Général de la Santé, vis-à-vis de ma propre
administration, j'ai cherché à appliquer de façon
très déterminée. Le ministère de la Santé,
dans le champ qui est celui de votre mission, doit bien distinguer les missions
d'administration dite centrale, missions stratégiques de
définition de politiques, d'évaluation auprès du ministre
et l'expertise technique dont on a besoin.
Lorsque je dis "expertise technique", ce sont aussi les fonctions
opérationnelles. Je ne crois pas qu'une administration comme la mienne
est faite pour faire de l'opérationnel, c'est-à-dire des
tâches répétitives. Ce n'est pas le rôle d'une
administration centrale. On en a pris acte en créant l'Agence du
médicament, votre assemblée a d'ailleurs joué un
rôle déterminant dans cette création.
La création de l'Agence du médicament a conduit ipso facto
à la suppression de la Direction de la pharmacie et du
médicament, dont il est resté un petit morceau, mais cette
décision a été la première, ou presque, consacrant
la distinction entre les fonctions politiques et stratégiques qui sont
celles d'une administration et les fonctions opérationnelles. C'est
très important.
Lorsque j'ai pris la décision de proposer la création du RNSP
(Réseau National de Santé Publique) cela procédait de la
même logique. La surveillance des épidémies comme celles de
la listériose au cours des célèbres étés
1992 et 1993 avait embolisé complètement le bureau des maladies
transmissibles qui ne faisait que cela car les ministres de l'époque
nous demandaient le nombre de cas de listériose tous les deux jours.
M. Charles DESCOURS, président - C'est le ministère des Finances
qui, par l'intermédiaire de la Direction de la concurrence et de la
répression des fraudes, a un laboratoire de listériose.
M. Jean-François GIRARD - C'est un peu court, si je peux me permettre,
Monsieur le Président.
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que l'on m'a dit.
M. Jean-François GIRARD - Il y a un centre de référence
des listérioses à Paris.
M. Charles DESCOURS, président - On m'a parlé d'un laboratoire
dépendant de la DGCCRF.
M. Jean-François GIRARD - Sur la traque à la listériose,
je regrette que l'on n'en ait pas assez écrit l'histoire. Plusieurs
composantes sont indispensables. L'administration de la concurrence et de la
répression des fraudes qui s'occupe de la distribution a fait des
prélèvements dans le circuit de distribution, dans les aliments
et a travaillé dans ses propres laboratoires pour chercher la
listériose.
C'est une mission très bien identifiée qui coexistait avec les
fonctions du laboratoire de références de l'Institut Pasteur. En
France, il existe une trentaine de centres de références dont
plus de la moitié sont à l'Institut Pasteur. Nous avons une
chance très appréciable et mondialement respectée avec ce
vivier d'expertise.
En revanche, l'Institut Pasteur a été complémentaire de ce
qu'a fait le laboratoire dont vous parlez puisque, dès qu'une souche
humaine de listériose est découverte chez l'homme, est
identifiée dans un laboratoire quel qu'il soit en France, elle est
adressée à l'Institut Pasteur.
Troisième notion liminaire : il est évident que le débat
ne se situe pas uniquement entre fonctions respectives de l'administration
centrale et fonctions des institutions d'expertise satellites, il y a aussi les
services déconcentrés.
Une réflexion, qui n'est pas simple, doit être faite pour savoir
comment l'administration ou le ministre et son administration centrale, les
services déconcentrés et les agences ou les institutions, voient
leur point d'application exister sur le terrain ? Qui sont les relais de
l'Agence du médicament, de l'Agence du sang, du RNSP ? Notre
réflexion à nous tous ne serait pas complète si nous
n'avions pas à la fois la réflexion au niveau central et au
niveau déconcentré.
Pour répondre à votre question, j'ai envie de dire que les
préoccupations de la politique de santé, de la
sécurité sanitaire, de la sécurité des produits, de
la veille sanitaire prennent un essor particulier.
Il y a trois fonctions essentielles complémentaires l'une de l'autre,
mais il serait extrêmement dommageable qu'une seule attire toute la
préoccupation publique, de votre assemblée, d'une commission,
d'un ministre car elles sont toutes les trois indispensables.
La première comprend tout ce qui tourne autour de l'évaluation :
évaluation des pratiques, des comportements, autour de cela, on a la
qualité des soins, l'accréditation. En clair, ce premier volet
concerne l'ANDEM et l'ANAES.
Par rapport à l'intitulé de votre mission, tout ce qui est
évaluation des pratiques, des stratégies, diagnostics
thérapeutiques, tout ce qui contribue à la qualité des
soins constitue un premier bloc.
Le deuxième grand volet comprend tout ce qui contribue à la
connaissance sur l'état de santé. Trois aspects y contribuent :
- l'observation,
- la surveillance,
- la vigilance.
Je reviens sur chacun de ces trois mots qui ne sont pas superposables.
L'observation, c'est le dénominateur. C'est le nombre de cas de cancer,
par exemple, de pathologies cardio-vasculaires, comment cela évolue.
C'est le fait de prendre acte du fait qu'en France, depuis quelques
années, la pathologie cardio-vasculaire est en régression. C'est
une connaissance de l'état de santé de la population
française. C'est ce que font assez bien les ORS, mais d'une façon
inégale, certains marchent très bien, d'autres moins bien.
Il est vrai que sur ce créneau spécifique, à
l'intérieur de la connaissance dans le sous-ensemble observation, nous
manquons d'une synthèse nationale, sans compter que les sources sont
multiples avec l'assurance maladie, les universités, les ORS, les
hôpitaux.
En résumé, l'observation manque de synthèse nationale.
Deuxièmement, la surveillance. Le mot surveillance est un mot que les
anglophones nous ont pris, avec un sens très précis. Dans ce cas,
c'est la détection de tout événement de santé
imprévu. C'est fondamental. En clair, cela ne commence peut-être
pas à un, mais cela peut commencer à deux. D'ailleurs, pour le
cas de la vache folle, cela a commencé à un. La première
fois qu'il y a eu un cas posant un problème de santé atypique
chez l'homme, le cas de Lyon a suffit pour qu'on le repère.
Pourquoi la surveillance est-elle importante ? Parce que, quelle que soit
l'ampleur du phénomène de santé imprévu, nouveau,
(cela peut être deux cas de gastro-entérite dans une famille
pouvant signifier qu'une glace avariée a été mangée
la veille au soir ou à la cantine) cela suffit pour déclencher
une enquête. Un phénomène de santé imprévu
peut concerner une épidémie, exemple le sida, l'hépatite
C, bref des choses que l'on appelle "problèmes de santé
publique". Dans tous les cas de figure, l'important est que l'émergence
d'un phénomène de santé imprévu nécessite
une décision politique ou administrative adaptée. D'où le
fait que l'on dise toujours surveillance/intervention.
A chaque fois que surgit un événement de santé, on doit
faire quelque chose immédiatement derrière. Dimanche dernier,
comme vous l'avez peut-être entrevu, (mais cela a été
discret, ce n'était pas un événement national) trois cas
d'une pathologie rarissime ont été constatés. Il s'agit de
la maladie de Kawasaki que l'on a décrite au Japon. Au troisième
cas de cette maladie chez des enfants à Lille, une enquête a
été déclenchée. Le réseau s'est mis en
marche. L'école a été fermée pendant la
période de doute. Le fait que trois enfants soient atteints d'une
maladie pas toujours bénigne, faute de savoir le pourquoi des choses, a
conduit à fermer l'école, à faire un certain nombre
d'investigations et à s'assurer que cela n'allait pas au-delà de
trois cas.
C'est de la surveillance/intervention. C'est ce que le réseau national
de santé publique fait actuellement avec des moyens insuffisants. Je
vous rappelle qu'il a été créé en 1992 sous la
forme d'un groupement d'intérêt public avec un effectif d'un peu
plus de trente personnes. C'est une structure qui est à la fois un noyau
central stratégique, localisé à Saint-Maurice près
de Paris, avec des antennes dites "cellules interrégionales" qui sont
en
train de se constituer. Trois ont été créées en
1995, trois en 1996. La couverture du territoire français, y compris
l'Outre-Mer, sera achevée en 1997. Au total, ces 11 cellules
interrégionales vont constituer les bras séculiers du
réseau national pour cette fonction de surveillance car encore une fois,
c'est un métier que l'on fait, à la différence de
l'observation, 7 jours sur 7, nuit et jour, avec une notion d'urgence qui
s'impose parfois.
Troisième mission : la vigilance. Bernard Serrou a dû certainement
vous en parler. C'est l'ensemble des surveillances, certes, des
événements produits, déclenchés par l'action
humaine en général et surtout par l'action médicale,
soignante en général. Ce sont les iatrogénèses, que
ce soit la pharmaco-vigilance, l'hémo-vigilance, la
réacto-vigilance, la matério-vigilance. A l'époque
où vous avez examiné les projets de lois sur la
bio-éthique, on a même parlé de l'AMP vigilance.
Sur ces vigilances, je dirai deux choses.
Premièrement, elles sont extrêmement éclatées. Elles
le sont en autant de structures qu'il y a ou qu'il devrait y avoir s'occupant
du secteur. On a confié l'hémo-vigilance à l'Agence
française du sang, la pharmaco-vigilance à l'Agence du
médicament, etc.
On peut se poser la question -je l'avais dit en son temps à Bernard
Serrou- de savoir s'il est raisonnable de confier la vigilance x à la
boutique qui s'occupe du sujet ? Est-ce raisonnable de demander à
l'Agence du médicament de traquer tous les effets secondaires des
médicaments qu'elle a elle-même, par décision positive, mis
sur le marché ?
La question mérite d'être posée. On me dit, et par certains
côtés, c'est très séduisant et logique, que pour
être capable de traquer les effets secondaires d'un médicament, il
faut avoir une extrême compétence qui est
précisément toute cette expertise que constitue le vivier des
gens travaillant avec l'Agence du médicament. On me dit la même
chose pour l'hémo-vigilance.
Extraire la pharmaco-vigilance de l'Agence du médicament,
l'hémo-vigilance de l'Agence française du sang et toutes les
vigilances à venir pour les confier à une seule institution
polyforme qui s'occuperait de toutes les vigilances, je ne suis pas sûr,
surtout si l'on veut être pragmatique et respecter ce qui existe
déjà, que ce soit possible.
En revanche, je suis certain qu'il faut, à un endroit quelconque,
rassembler toutes les informations qui proviennent de ces vigilances car,
après tout, c'est un aspect de l'état de santé des
Français non négligeable car la somme des vigilances, c'est
l'image de la hiatrogénèse. On le sait et on le saura de plus en
plus, la hiatrogénèse est une part non négligeable de ce
que l'on devrait ne pas tolérer, ou réduire pour ne parler que
des affections nosocomiales. Il y aura probablement toujours des infections
nosocomiales, il n'y a pas de médecine sans risque, mais visiblement,
nous avons besoin d'avoir une meilleure appréciation de l'ensemble des
iatrogénèses et d'un rapprochement des vigilances. A un moment
donné, il faut qu'il y ait une synthèse, ne serait-ce que pour
rapprocher les méthodologies.
J'ai été un peu long sur la partie connaissance, mais dans
l'intitulé de votre mission, vous avez "la veille sanitaire", et dans
la
veille sanitaire, ces trois aspects, l'observation, la surveillance et la
vigilance sont indispensables.
Actuellement, il existe le Réseau National de Santé Publique. Il
couvre pratiquement uniquement le volet n° 2, la surveillance. Il ne
couvre pas l'observation. Il n'assure pas cette fonction de synthèse
nationale dont on a besoin et il n'assure que très partiellement la
synthèse de la vigilance. Il récupère, certes, l'ensemble
des cas de sida post-transfusionnels, heureusement, maintenant ils sont peu
nombreux. Il est utile de rapprocher la iatrogénèse
transfusionnelle de l'ensemble du sida et de faire des comparaisons par rapport
aux statistiques que le réseau national gère au plan
français.
On a dit dans cette maison, avec tout le respect que je lui dois, que la
Direction Générale de la Santé avait des envies
dévorantes d'élargir son territoire. Non, j'ai sorti de la
Direction Générale de la Santé de nombreuses fonctions.
Moins il y aura de fonctions techniques et d'expertises opérationnelles
dans l'administration centrale, plus celle-ci sera forte pour faire de la
stratégie et aider à définir des politiques sous la
conduite du ministre.
Je le dis avec conviction, ma longévité pathologique me le permet
peut-être.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez cité trois points
spécifiques dans la vigilance : l'évaluation, la connaissance et
dans la connaissance, vous avez parlé de l'observation, de la
surveillance et de la vigilance.
M. Jean-François GIRARD - Le troisième aspect concernera les
produits. Je suis toujours dans le volet n° 2, connaissance. Pour
l'instant, nous avons le réseau. Le réseau national a
été créé en 1992. C'est un groupement
d'intérêt public. Je crois qu'il a bien fait son travail
jusqu'à maintenant. Il n'a pas détecté les crises du
passé, c'est-à-dire l'amiante et la vache folle car ce sont des
crises héritées du passé. Le problème avec ces
maladies-là est qu'il faut 10, 20 ou 30 ans -c'est vrai aussi bien pour
l'amiante que le prion- pour que les effets pathologiques s'en fassent
ressentir.
Pour une institution qui existe depuis 1992, on ne peut pas lui reprocher de ne
pas avoir eu cette fonction d'alerte. Le réseau détecte les
crises du futur. Des travaux sont faits. M. Drucker, que vous recevrez, vous
expliquera l'activité et le nombre d'épidémies
débutantes détectées, cela peut être deux ou trois
cas. Il est vrai que nous n'avons pas l'habitude de faire un communiqué
de presse à chaque fois que l'on détecte une
épidémie.
M. Charles DESCOURS, président - Excusez-moi de vous interrompre, mais
cela me semble un point capital. Vous dites que pour une
épidémie, même si seulement trois cas sont
détectés, un processus va être maintenant
déclenché, mais souvenez-vous, lorsque M. Dormont a dit qu'il
voulait travailler sur le prion, à l'époque, personne ne l'a
soutenu. Il a travaillé dans son coin car il n'a pas trouvé de
relais ni à la DGS, ni à l'INSERM ou au CNRS.
Je crois que la fonction d'alerte est très importante. Aujourd'hui, dans
votre connaissance de l'état de santé, qui fait la fonction
d'alerte en amont ?
C'est cela qui m'inquiète.
M. Jean-François GIRARD - Je ne sais pas si c'est de l'alerte sanitaire,
j'en conviens avec vous, il y a un aspect alerte qui commence à
dépister le premier cas imprévu, mais je ne sais pas
prévoir l'épidémie de 2010.
M. Charles DESCOURS, président - Il ne s'agit pas de cela. On mange de
la viande tous les jours, subitement, on nous a expliqué que des vaches
étaient atteintes par une épidémie, pourquoi
jusqu'à cette année, ne s'est-on pas posé la question du
passage à l'homme ? Aviez-vous débloqué des crédits
?
M. Jean-François GIRARD - Je ne suis ni ministre de la recherche, ni
Directeur Général de la recherche. Le rapport de 1992 de M.
Dormont indiquait très bien les choses. Il y a eu une série de
décisions. J'ai été entendu par la mission d'information
de l'Assemblée Nationale. Je ne crois pas que l'on puisse dire, sauf
à ce que nous n'ayons pas fait notre travail d'information, que l'on
s'est réveillé en 1996.
Je suis stupéfait d'entendre cela. Je vous enverrai la chronologie des
décisions prises depuis 1992, et parfois même avant, montrant le
principe de précaution et le risque du passage à l'homme, alors
que tout le monde disait que la spécificité d'espèce du
prion était protégée puisque le mouton n'avait jamais
donné de maladie depuis deux siècles alors qu'on en mangeait avec
délectation dans certains pays et où il est, paraît-il,
beaucoup plus honorant pour la personne reçue de manger du mouton
tremblant que du mouton non tremblant. La science nous livrait ses
connaissances avec la certitude qu'il y avait une spécificité
d'espèce.
Ce dogme a fonctionné dans les premières années de 1990,
le rapport Dormont a été suivi d'un ensemble de décisions,
pardon de le dire avec détermination si ce n'est avec vigueur, qui fait
que je n'ai pas attendu le 20 mars 1996. Les dispositifs médicaux
contenant des extraits bovins sont soumis depuis deux ans à une
commission de sécurité micro-biologique ; si l'avis est
négatif, on ne met pas sur le marché. On a fini par prendre un
arrêté qui a été traduit devant la Cour de justice
européenne par Bruxelles.
Je suis prêt à vous apporter des informations, et en premier lieu,
à vous donner la chronologie publique de 10 pages qui vous apportera
tous les éléments.
Cela étant, je ne réponds qu'en partie à votre question,
elle est légitime. Comment remontez le plus possible en amont pour
prévoir un risque et ne pas attendre sa traduction en pathologie humaine
?
M. Charles DESCOURS, président - On a tous appris le cancer dû
à l'amiante, mais personne n'a interdit l'amiante. Lorsque vous avez
passé l'externat ou l'internat, moi aussi, on nous apprenait le cancer
de la plèvre, le mésotéliome dû à l'amiante.
Tout le monde le savait, cela n'a pas empêché de continuer
à construire avec de l'amiante et subitement depuis 6 mois, on parle de
détruire Jussieu.
M. Jean-François GIRARD - Pourquoi ces choses-là sont-elles
apparues depuis 6 mois ? Il y a un phénomène que
j'apprécie, c'est un signe de transparence et de démocratie dont
je subis, plus que la moyenne, les difficultés.
Sur l'amiante, des mesures ont été prises dans les années
77, d'autres ont été reprises en 1985. Il y a eu tout un train
d'études de faisabilité, de déflockage montrant que l'on
n'avait pas tout à fait tort d'être prudent entre 1989 et 1994. Un
décret a fini par paraître en 1996. Effectivement, on ne parle
plus du décret consistant à faire l'inventaire. Il ne faut pas se
précipiter car si l'on doit tout déflocker, indépendamment
du coût pour la nation, c'est très dangereux car l'on risque de
faire monter le nombre moyen de fibres dans l'atmosphère.
Sur tout cela, peut-être que nous ne nous exprimons pas assez, je le
crains, mais je ne suis pas sûr que ce soit une raison suffisante pour
expliquer la situation dans laquelle nous sommes. Mais tant pour la vache folle
que pour l'amiante, l'action publique n'a pas commencé en 1996.
Sur ces deux points-là, je vous enverrai la chronologie de ces
événements. Cela vous montrera qu'il s'est passé beaucoup
de choses. Sur l'amiante, on peut revenir sur les risques certains et les
risques évoqués, je pense que l'article de M. Allegre va
contribuer au débat par rapport aux certitudes ou aux incertitudes que
l'on a actuellement ; certitude sur le plan de l'exposition
professionnelle, incertitude sur le plan de l'exposition dite environnementale.
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur, je voudrais que
vous nous parliez maintenant des produits.
M. Jean-François GIRARD - Oui, les produits thérapeutiques. Une
première chose doit être affirmée : le modèle du
médicament est probablement le plus achevé. La gestion le suivi
des produits et ce qu'il faut faire pour en assurer la sécurité,
tout ceci passe par trois fonctions bien décrites par les uns et les
autres :
- une expertise,
- un contrôle,
- des mécanismes d'alerte.
On voit très bien ce que cela veut dire au plan des médicaments,
l'expertise c'est l'AMM ; le contrôle, c'est tout le système
d'inspection des établissements pharmaceutiques et les pratiques de
préparation ; l'alerte, c'est la pharmaco-vigilance.
Dans l'alerte, il y a deux choses : l'alerte sur le produit défectueux
à un instant donné, un comprimé qui est rouge au lieu
d'être blanc, et l'alerte sur le plan des conséquences humaines du
dépistage le plus tôt possible d'effets indésirables.
Ces trois fonctions, expertise, contrôle, alerte en matière de
produits thérapeutiques sont indispensables pour tous les produits. Si
je dis que le modèle du médicament est le plus achevé,
c'est parce que la même triade n'est pas appliquée à
d'autres produits thérapeutiques.
Grâce aux préoccupations du Parlement et de votre assemblée
en particulier, des outils ont été mis en place pour les produits
sanguins, pour les greffes, mais il reste un créneau qui doit être
la priorité par rapport à cette préoccupation à
l'intérieur des produits thérapeutiques, c'est le dispositif
médical. Le système actuel est insuffisant à plusieurs
égards.
Premièrement, j'ai quelques scrupules à en parler, mais j'estime
que ce n'est pas à l'administration centrale de prendre en charge le
suivi des dispositifs médicaux et de contribuer à leur mise sur
le marché. En revanche, elle peut suivre tout ce qui est la vigilance,
mais les décisions à prendre en trois heures pour retirer des
sondes cardiaques, etc, ne sont pas de son ressort. C'est un métier
à part que l'administration centrale ne sait pas faire.
Les dispositifs médicaux doivent bénéficier le plus d'un
effort pour lesquels il faut faire l'expertise, le contrôle, la
procédure d'alerte.
Pour l'expertise dans les dispositifs médicaux, le ministère de
la Santé, et moi-même, nous étions préoccupés
du fait que le marquage CE encadrant ces produits est, dans certains cas,
insuffisant.
Je ne sais pas si vous partagez ce sentiment. Revenant également de
Washington, nous avons eu le sentiment qu'il y avait certes une guerre
économique à la clef, mais que le système y était
extrêmement verrouillé, peut-être même trop
verrouillé au sein des producteurs et que l'on avait au contraire un
dispositif européen relativement lâche, marqué du sceau de
la construction européenne avec la libre circulation, la facilitation
d'échange de produits conduisant à un marquage CE insuffisant
pour certains dispositifs médicaux.
Je vous ai parlé tout à l'heure de dispositifs contenant des
produits bovins. Plus généralement, M. Gaymard a écrit au
Président en exercice de la Communauté européenne pour
attirer son attention sur le fait que les dispositifs médicaux
étaient, en matière d'expertise, et dans le cadre européen
s'imposant en droit français, insuffisamment contrôlés,
encadrés et, pour certains d'entre eux, nous exposaient à des
difficultés.
Le contrôle de tous ces produits thérapeutiques est
caractérisé par une insuffisance de moyens. On ne manque pas
d'interlocuteurs, pas d'institutions, j'aurais même tendance à
dire qu'il y en a peut-être un peu trop, le regroupement pourrait
être discuté, en revanche, on manque de moyens. Il y a 400
médecins inspecteurs, 4 000 vétérinaires. Je conviens que
le secteur de l'agriculture est vaste, mais 400 médecins inspecteurs,
c'est insuffisant.
Je suis très préoccupé par cette insuffisance de moyens en
homme au niveau des médecins inspecteurs car depuis quelques
années, ce pays a confié à l'Etat et à son
administration des responsabilités croissantes en matière de
santé, de surveillance, de bio-éthique, pour donner des
mécanismes d'autorisation et de contrôle, idem en matière
de transfusion sanguine.
Si l'administration du ministère de la Santé s'est
étoffée au plan central, en revanche au plan des services
déconcentrés, les moyens sont très insuffisants. La
fonction de contrôle -élément essentiel de la
sécurité lié au produit- est encore insuffisamment
assurée.
Je voudrais redire à quel point le thème de votre mission est
important, même si le temps que j'ai consacré aux trois parties,
évaluation, connaissance et produits, n'a pas été
égal, mais il faut bien concevoir que l'on a besoin des trois. Ne
répondre que par l'un, par les produits, serait insuffisant. Si je me
suis beaucoup étendu sur la connaissance, ce n'est pas parce que
j'estime que c'est encore plus important que les autres, mais c'est la partie
où mon administration a une responsabilité très directe
d'impulsion, de contrôle et de construction.
M. Bernard SEILLIER - La Food and Drug Administration prétend qu'elle
exerce sa mission d'une manière plus efficace que notre administration
dans la mesure où elle serait associée très en amont dans
le processus de mise au point par les laboratoires, qu'elle conseillerait au
lieu de rester complètement indépendante et extérieure
à la mise au point des produits. Partagez-vous cette affirmation ?
M. Jean-François GIRARD - Cette intervention en amont ne me choque pas.
Je ne sais pas si la réponse américaine, qui a cinquante ans
d'âge, est plus structurée, c'est possible. Vu la longueur de la
procédure entre l'idée d'une molécule et son
arrivée sur le marché, ou sa décision d'AMM, il y a
beaucoup de phases schématisées. On peut aider le laboratoire ne
serait-ce que pour que l'action de l'administration, fut-elle l'Agence du
médicament ou une autre agence, n'apparaisse pas comme un
chausse-trappe, une espèce de guillotine. C'est de
l'intérêt de tout le monde.
M. Dominique LECLERC - Une petite réflexion par rapport à vos
derniers propos. Vous dites qu'il faut bien savoir qui fait quoi en termes
d'expertise, de contrôle et surtout de vigilance sur le terrain. J'ai
pratiqué les organismes déconcentrés du ministère,
que ce soit au niveau régional ou départemental, on constate
souvent des insuffisances de moyens, ne serait-ce qu'au niveau des pharmaciens
inspecteurs, que vous n'avez pas évoqués, qui ont une mission sur
toute l'industrie.
M. Jean-François GIRARD - Ils sont 120.
M. Dominique LECLERC - C'est déplorable. Il résulte de tout cela
que l'on ne sait pas trop qui fait quoi. Souvent les ordres professionnels sont
mis à contribution en termes d'alerte. Ils ne le font pas
obligatoirement avec engouement car est-ce bien dans leur compétence ?
Dans tout cela, il y a beaucoup de confusion et d'insuffisance.
M. Jean-François GIRARD - Merci de revenir sur ce point-là, je
crois que la confusion et l'insuffisance vont de pair. Il y a trop peu de
pharmaciens inspecteurs et de médecins, mais aussi d'ingénieurs
sanitaires et des inspecteurs tout court. Il y a des insuffisances dans ce
domaine, d'où l'intervention désordonnée qui vient une
fois d'un ordre départemental, une fois de la caisse primaire ou des
praticiens conseils de la caisse intervenant, y compris sur la
sécurité sanitaire. C'est là où l'on rencontre la
confusion dont vous parlez, je suis d'accord.
Il me semble que l'Etat prendrait une lourde responsabilité maintenant
que ces affaires se judiciarisent et que les responsabilités sont de
plus en plus clairement pointées, légitimement d'ailleurs.
Après tout, en termes de sécurité sanitaire, ni l'ordre
des médecins, ni les caisses primaires ne sont vraiment responsables.
Même si un jour, elles dénoncent une situation, elles ne le feront
jamais systématiquement. Il y a intérêt à faire
coller la définition des responsabilités et les moyens dont on se
dote pour les assumer.
M. Charles DESCOURS, président - Je vous ai trouvé assez
optimiste sur le Réseau National de Santé Publique.
M. Jean-François GIRARD - Je ne suis pas optimiste sur le RNSP. Je
constate que les choses bougent et je n'aurai de cesse de m'inquiéter de
la lenteur avec laquelle les choses apparaissent.
Le Réseau National de Santé Publique n'a que 4 ans, les ORS en
ont 16. Ils ont été créés en 1982. Tout le monde
est d'accord pour dire que c'est un réseau indispensable, certains sont
très bien, d'autres fonctionnent normalement, d'autres sont encore
balbutiants.
Ce réseau de 4 ans est un groupement d'intérêt public, il y
a 40 personnes, là où à Londres il y en a 600. Il faut
savoir ce que l'on veut. On n'a pas de chance, la santé nous explose
à la figure au moment où l'argent dans ce pays fait un peu
défaut et où l'Etat a décidé de restreindre ses
moyens.
M. Charles DESCOURS, président - Où sont ces 600 personnes ?
M. Jean-François GIRARD - Au CDCT. Au bout de 4 ans
-l'arrêté de création date du 18 juin 1992- le
réseau a rempli son contrat. Il est maintenant en face de
problèmes statutaires. Le groupement d'intérêt public ne
peut-il bénéficier que des contributions de personnels
apportées par les partenaires signataires de la convention créant
le mouvement d'intérêt public ? Il n'y a pas de personnel propre
en principe, nous ne créons les postes que par dérogation
après une lutte acharnée pour chacun d'eux. Nous avons
réussi, pour le RNSP, à avoir un taux de personnel propre
dépassant ce qui était prévu dans les
arrêtés, mais visiblement, on a un problème de moyens.
Se pose aussi le problème de savoir quelles seront les missions que l'on
pourra donner à ce Réseau National de Santé Publique.
J'ajouterai enfin, pour vous rassurer, Monsieur le Président, que la
prochaine agence de santé qui se créera dans l'Union
européenne, après Lisbonne pour la toxicomanie, Londres pour le
médicament, sera un CDC européen, un centre de surveillance des
maladies transmissibles.
Si entre Français, on ne s'entre-tue pas, je pense que le CDC
européen sera à Paris. Saint-Maurice est un pôle de
santé publique où se trouvent sur le même site l'antenne
francilienne de la santé publique, le centre européen du sida,
le réseau national de la santé publique, des unités
INSERM. On a un potentiel qui me fait dire que si l'on ne s'y prend pas trop
mal, comme le Royaume-Uni a été servi avec l'Agence du
médicament, on peut obtenir que le CDC européen soit à
Paris.
M. Claude HURIET, rapporteur - J'ai deux questions à vous poser.
On a vu apparaître très vite dans les premières auditions,
une immense lacune concernant les dispositifs et les matériaux.
J'aimerais que vous nous précisiez qui est actuellement en charge des
matériaux. Est-ce la Direction des hôpitaux ?
Sur l'informatique, peut-on penser que toute la réflexion que l'on
entreprend sur le renforcement de la veille sanitaire peut se poser dans des
termes différents avec l'informatisation du cabinet médical ? Un
médecin observant un phénomène inhabituel pourra
accéder très facilement à une banque de données qui
pourrait lui permettre de savoir si ce cas est isolé ou si au contraire,
il peut s'agir d'un événement d'alerte. Autrement dit, les
réflexions que l'on a engagées sur les structures de veille et de
vigilance risquent de comporter une autre dimension lorsqu'un système
d'alerte a l'avantage d'être immédiatement accessible en temps
réel et très proche du praticien.
M. Jean-François GIRARD - Sur les matériaux, mon interrogation
porte sur la définition des matériaux par rapport aux dispositifs
médicaux.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est la matière première. Ce sont
aussi bien les métaux utilisés pour des prothèses et aussi
la façon dont ces métaux sont transformés, les
phénomènes de surface, de revêtement.
M. Jean-François GIRARD - A mon sens, les matériaux sont un
sous-ensemble des dispositifs médicaux. J'ai dit, avant que vous
n'arriviez, que la procédure applicable aux dispositifs médicaux
me paraissait insuffisante. Le marquage CE et le cahier des charge de ce
marquage CE est un dispositif très léger, c'est une bonne
technique de fabrication, mais qui ne donne pas les éléments
qu'on exige pour le médicament sur la qualité des matières
premières, la qualité du process, la procédure de
fabrication et qui ne juge que le résultat fini.
Pour moi, les matériaux constituent un sous-ensemble des dispositifs
médicaux. C'est l'un des arguments que j'avance pour dire que notre
réponse en matière de dispositifs médicaux est
insuffisante en termes de sécurité. Lorsque je dis "notre", c'est
la procédure européenne qui est insuffisante.
Sur le rôle des médecins praticiens, oui, la santé publique
ne deviendra adulte que si les 60 000 généralistes et 30 000
spécialistes libéraux, sans parler des médecins
hospitaliers, contribuent à ces fonctions de surveillance.
Pour l'instant, cela n'existe que dans certaines expériences très
précieuses. Vous savez probablement ce qu'on appelle "le réseau
sentinelle". C'est un réseau de 500 médecins
généralistes connectés depuis maintenant presque 10 ans
à un laboratoire rattaché au réseau national de
santé public et qui, chaque semaine, déclarent un certain nombre
de pathologies. C'est ainsi que l'on a une connaissance relativement
précise des hépatites A, de l'évolution des maladies
sexuellement transmissibles.
500 médecins, ce n'est qu'un échantillon de 1 % par rapport aux
50.000. A l'avenir, on aura les moyens de permettre que tout professionnel de
santé, y compris les pharmaciens d'officine, (sur le problème de
la politique de santé, ils sont en train de jouer un rôle
déterminant, ils vont plus vite à s'intégrer dans les
politiques de santé que les médecins) ait une information qu'il
n'a pas actuellement. En retour, avec les systèmes qu'il faut, on aura
une décentralisation extrêmement facile.
La réponse est oui, les médecins généralistes sont
les premiers médecins de santé publique.
Dernier point à propos des services déconcentrés, je me
suis mal exprimé. J'ai simplement voulu dire qu'il y a au plan central,
une administration et des agences. Mon souci est que dans le département
ou dans la région, il n'y ait pas des tuyaux d'orgue, qu'il y ait une
coordination sur le département ou la région.
C. AUDITION DE M. YVES MATILLON, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L'ÉVALUATION MÉDICALE
M. Charles DESCOURS, président - L'objet de notre
mission comprend deux volets : la sécurité des produits au sens
large du terme et la vigilance sanitaire. Comment voyez-vous la place de
l'organisme que vous représentez aujourd'hui et, éventuellement
demain, si ses compétences doivent être élargies ?
M. Yves MATILLON - Merci de m'avoir convié à votre discussion et
à votre travail préparatoire.
Je prendrai volontiers position en tant que responsable de l'ANDEM et ce que
j'ai pu percevoir durant les dernières années, en sachant que par
rapport à la thématique générale, le rôle de
l'ANDEM ou de l'ANAES -c'est le nouveau nom du nouvel organisme- me
paraît être relativement limité dans les sujets importants
que vous traitez qui sont plutôt du domaine de la santé publique.
C'est la première réflexion que je voulais faire.
Une des missions de l'ANDEM, qui restera avec l'ANAES, est d'établir
l'état des connaissances par rapport au développement de
certaines technologies, en particulier ce qui ne concerne pas le
médicament. Sur ce secteur-là, j'entends les stratégies
diagnostiques comme les stratégies thérapeutiques non
médicamenteuses. Il ressort très souvent que l'on a un petit
nombre de preuves d'efficacité. Lorsque les technologies, les techniques
sont récentes et nouvelles, on a très peu d'informations
concernant les effets secondaires, les effets négatifs ou tout ce qui au
sein de la veille sanitaire peut répertorier les incidents
iatrogènes, toutes ces conséquences négatives de
l'activité diagnostique et thérapeutique. Plus on a des
techniques jeunes et récentes, moins on a d'informations.
Je vous donne un exemple concret avec la fameuse affaire du chauffe-prostate ou
de l'hyperthermie prostatique. Cela m'avait beaucoup frappé à
l'époque. On avait mis sur le marché certaines de ces machines,
sans avoir véritablement de notion d'efficacité, et sans
connaître les éventuels effets secondaires. Or, on a su, par
démarche déductive, qu'il y avait des effets négatifs que
personne n'avait répertorié.
Je vous donne cet exemple pour illustrer ce que l'on a retrouvé dans
d'autres études d'évaluation technologique. Très souvent,
cela s'explique par une raison simple, le recensement ou l'identification des
effets négatifs n'est pas toujours facile à faire.
L'objet de votre mission paraît très important pour inciter et
favoriser l'identification des effets négatifs. Ce n'est pas du tout de
ma part une critique, mais il me semble que les médecins ont toujours un
peu de difficulté à admettre les effets négatifs à
ce qu'ils font : consciemment ou non.
Voilà schématiquement ce que j'avais en tête sur le plan de
l'importance du phénomène que vous étudiez, sur la
nécessité de trouver des facteurs incitatifs pour
répertorier les effets secondaires des thérapeutiques non
médicamenteuses et des stratégies diagnostics. Je n'ai pas de
solution miracle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je pense qu'il serait très
intéressant pour la mission que vous définissiez comment vous
concevez l'évaluation par rapport à d'autres démarches
avec lesquelles on la confond souvent.
Quelles sont les limites de l'évaluation à travers ce qui est
appréciation de l'efficacité, de l'innocuité, des effets
secondaires dont vous venez de parler. Vous venez de parler de stratégie
thérapeutique. L'évaluation dans le domaine chirurgical, par
exemple. Je crois qu'il y a une certaine confusion dans les esprits.
M. Yves MATILLON - Je vous remercie beaucoup de me poser cette question car
effectivement, il faut que l'on s'entende sur ce qu'il y a derrière ce
terme. C'est un terme générique que l'on utilise tous dans la vie
de tous les jours et qui est appliqué dans la pratique professionnelle.
Lorsque je vous parle d'évaluation technologique, on entend par
évaluation, l'état des connaissances sur une technique diagnostic
ou thérapeutique. C'est l'état des connaissances aujourd'hui
à propos des techniques de dilatation des coronaires, à propos
des implants osseux, ou des greffons osseux. Que connaît-on aujourd'hui ?
Je prends le terme "évaluation" dans le sens de l'évaluation des
connaissances aujourd'hui. Cela repose sur l'évaluation des
connaissances publiées, connues au plan scientifique et au plan des
connaissances dont les professionnels disposent.
Je fais cette remarque sur les sources de données car si la technique
est récente, on a peu d'informations d'ordre scientifique ; en revanche,
on en a qui sont plus liées aux pratiques professionnelles, d'où
la difficulté au stade d'émergence d'une technique de faire un
état objectif des connaissances. Plus la technologie, la technique est
ancienne, plus on a des données scientifiques et plus l'apport des
professionnels est intéressant.
Sur quoi porte l'évaluation dont on parle maintenant ? Que
connaît-on en termes de sécurité de la technique, en termes
d'efficacité et d'utilité pour les malades ?
Là aussi, on répond de manière variable en fonction du
développement de la technologie. Que connaît-on en termes de
sécurité ? Si je reprends l'exemple du chauffe-prostate ou de la
dilatation coronarienne, que connaît-on aujourd'hui en termes de
sécurité ?
Connaît-on au développement initial de cette technique des effets
secondaires ? On peut faire la même chose sur la technique de dilatation
des coronaires. Il y a deux ou trois ans, une polémique s'est
installée dont la presse s'est faite l'écho à propos d'une
machine appelée le "rotablator" qui tourne très vite, utilisant
le même principe de percée que celui employé pour creuser
le tunnel sous la Manche. Cette petite vrille tournant à x tour minute
ou seconde s'était détachée et avait entraîné
des perforations d'artères.
Il faut que l'on essaie de collecter de l'information, -je fais le lien avec
votre mission- il faut favoriser la collecte de ce type de données
qu'aujourd'hui encore, pour des raisons conscientes et inconscientes, on a
tendance à mettre de côté. Ceci c'est de l'information sur
la sécurité.
Ensuite, c'est l'efficacité. C'est très connu pour les
médicaments. En comparant deux médicaments, A et B, on sait s'il
y en a un qui est plus efficace sur des paramètres identifiés,
qu'ils soient cliniques ou biologiques.
Cet effort énorme qui a été fait pour le médicament
n'a pas été fait de manière aussi structurée, aussi
avancée pour le reste. Pour les techniques chirurgicales, il est vrai
que l'on est en retard. On incite progressivement à ce que cela soit
fait. La loi qui porte votre nom favorise cette prise de conscience. On fait
entrer des protocoles d'études, d'essais contrôlés afin de
comparer techniquement les techniques. Si l'intervention chirurgicale par
coelioscopie est plus efficace qu'une intervention chirurgicale classique pour
l'appendicectomie, il faut qu'on le sache, or, il y a peu d'études sur
ce type d'indication.
On peut multiplier les exemples à loisir sur toutes les
thérapeutiques chirurgicales. Je reprends l'exemple qui avait
défrayé la chronique l'an dernier sur les ligaments du genou.
Est-il légitime d'apporter des suppléments artificiels du genou
à certains traumatismes ligamentaires ? Là encore, dispose-t-on
de données scientifiques valides et professionnelles permettant de dire
qu'il faut le faire ?
Si je prends cet exemple, c'est parce qu'il y avait deux types de chirurgiens
en France : ceux qui implantaient les ligaments et ceux qui les retiraient
parce que les malades n'étaient pas satisfaits. En l'état actuel
des connaissances, on manque d'essais contrôlés permettant de dire
que c'est efficace. Nous devons donc favoriser le développement d'essais
contrôlés en informant les patients et l'on pourra
vraisemblablement répondre dans un ou deux ans à la question pour
laquelle aujourd'hui on n'a pas de réponse.
Ceci c'est pour la sécurité, l'efficacité et
l'utilité, on se place là du point de vue du malade. Si je
reprends l'exemple de l'adénome de la prostate, le médicament
est-il plus efficace que la chirurgie ? En termes de stratégie
thérapeutique, est-ce utile pour le malade ? C'est tout de même la
question importante.
On ne peut pas répondre à cette question si l'on n'a pas
d'éléments concernant la sécurité et
l'efficacité.
Un énorme effort de réflexion collective doit être fait.
J'en ai souvent parlé avec Jean-François Girard, y compris avec
les instituts de recherche pour qu'effectivement, on finance la recherche pour
qu'elle soit utile à l'identification de gains thérapeutiques
pour les malades.
M. Charles DESCOURS, président - Ne peut-on pas imaginer une
évaluation a priori, c'est-à-dire avant que cela ne soit
appliqué en thérapeutique courante ?
M. Yves MATILLON - Je trouve votre question très importante. Je ne
voudrais pas que vous reteniez de mes propos que l'évaluation a un
rôle a posteriori. L'évaluation peut avoir un rôle a priori
très important en indiquant et en précisant les conditions de
diffusion de cette technique. Le risque est de dire que pour toute nouvelle
technologie n'ayant pas de preuve d'efficacité, ce n'est pas la peine de
la développer. L'inverse serait de dire qu'on a le produit miracle ou la
machine merveilleuse qui va régler tous nos problèmes.
Il faut osciller entre ces deux perspectives sans condamner ni l'une ni
l'autre, en essayant de mettre en place -et c'est là où se trouve
l'articulation avec votre mission et le sujet que vous développez- le
maximum d'informations le plus rapidement possible, le plus tôt possible
dans de bonnes conditions de fiabilité et de validité. Moyennant
la connaissance de ces informations, il faut que l'on puisse mettre un cadre au
développement d'une technique. Cela peut même aller jusqu'à
son remboursement. Pourquoi ne pas imaginer que l'on puisse rembourser, de
manière conditionnelle et pour certaines indications cliniques, une
technique et la mettre sur le marché à certaines conditions, dont
pourraient bénéficier les malades, dans le cadre même d'un
protocole expérimental et qu'en fonction du résultat de cette
approche, on puisse envisager de l'étendre, de rembourser davantage ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans la démarche que vous évoquez,
vous montrez bien que l'évaluation doit s'inscrire dans le temps. La
position que vous proposez en tant qu'agence tient compte des connaissances
acquises au jour j grâce aux pratiques, aux références
biographiques.
La question que je pose est tout à fait dans l'axe de notre mission.
Quelles sont les relations que vous avez établies avec d'autres
instances qui sont chargées de la veille et de la vigilance ? C'est un
élément qui vous concerne pour adapter votre démarche au
fil du temps. Vous avez vos propres sources, y a-t-il échange au plan
national ?
Autrement dit, tout ce qui est vigilance est-il branché sur l'ANDEM et
réciproquement ?
M. Yves MATILLON - Cette question est très importante. J'ai tenté
d'avoir des informations. Notre rôle n'était pas de collecter
l'information, mais d'avoir l'information sur la notion de veille sanitaire. Je
me suis retourné tantôt vers les structures ministérielles,
tantôt vers les structures des organismes de sécurité
sociale car ils ont un système de suivi, tantôt vers les
organismes comme le Réseau National de Santé Publique dont une
des fonctions est de collecter l'information.
Je dois vous faire part de mon interrogation quant à ce constat sur la
difficulté d'obtenir des informations fiables.
M. Charles DESCOURS, président - Vous n'avez pas d'informations fiables
de ces organismes ?
M. Yves MATILLON - Il nous est apparu difficile d'obtenir des informations. On
en a, mais elles sont fragmentées. Il est nécessaire de
développer et de créer des moyens incitatifs permettant à
des structures, y compris chez les professionnels dans les hôpitaux, de
pouvoir récupérer ces informations-là et qu'elles soient
disponibles lorsqu'on en a besoin.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quels sont les organismes que vous avez
interrogés ?
M. Yves MATILLON - Cela dépend du sujet que l'on traite. Sur la
vascularisation coronarienne, on s'est adressé à la Direction des
hôpitaux, à la Direction Générale de la Santé
pour essayer d'avoir des informations même sur des données
quantitatives de base. On sollicite aussi les sociétés savantes
qui sont prises presque au dépourvu lorsqu'on leur pose ce genre de
questions.
C'est une mission très importante, de nature de santé publique,
qu'il est nécessaire de structurer pour que les responsabilités
soient renforcées, confortées. Je vous dis cela en tant
qu'utilisateur du système et en étant à un endroit de ce
système. Je ne peux que vous répéter que l'essence de
votre mission est importante.
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans vos interventions, on voit
apparaître, mais peut-être est-ce parce que je suis obnubilé
par l'objet de la mission, les fonctions de l'ANDEM en termes
d'évaluation et le lien avec la sécurité sanitaire qui
fait l'objet de notre travail, mais l'ANDEM sera remplacé par l'ANAES.
En vous étant inscrit dans un autre système, celui de
l'accréditation, la co-existence de deux missions
complémentaires, mais distinctes, le risque n'existe-t-il pas -si vous
n'y prenez pas garde et si ce n'était pas vous le responsable de
l'ensemble- qu'il y ait une mission privilégiée, ne serait-ce que
de par la charge de travail et le calendrier très contraignant, à
savoir l'accréditation, et que l'évaluation soit temporairement
considérée comme une mission seconde de l'ANAES ?
M. Yves MATILLON - Là encore, je vous suis gré de poser cette
question car elle est importante en termes de perspectives pour l'avenir.
Dans le cadre des missions de l'ANAES, on trouve une mission classique
d'évaluation dont on vient de parler, et il y a cette mission
d'accréditation. Or, le texte de l'ordonnance faisait
référence au fait que le domaine d'intervention
d'accréditation porte sur la sécurité et la qualité
des soins.
Pour la sécurité des soins, là encore on revient à
la notion de sécurité qui sous-entend la nécessité
d'identifier les effets négatifs des procédures diagnostiques et
thérapeutiques développées dans les établissements
de soins publics et privés, il me paraît intéressant de
faire en sorte que l'accréditation soit un moyen incitatif fort
permettant à chaque établissement de développer un
système ou une organisation identifiant les effets négatifs des
procédures engagées dans l'établissement.
Trouvons un bon équilibre entre l'endroit où l'on collecte les
données et l'endroit où elles sont exploitées et
utilisées.
Votre question cible bien sur la nécessité d'articuler la
procédure d'évaluation et de veille sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Votre réponse est très positive :
cela vous paraît une démarche cohérente avec l'orientation
que vous donnez à l'accréditation.
D. AUDITION DE M. MICHEL THIBIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur,
vous connaissez l'objet de notre mission, mais peut-être serait-il
opportun que vous nous expliquiez ce qu'est votre centre d'études
puisque la commission des Affaires Sociales du Sénat n'a jamais
auditionné votre organisme.
Revenant des Etats-Unis où nous avons vu la Food and Drug Administration
et le ministère de l'Agriculture, il serait bon que vous nous disiez
comment votre organisme s'intercale dans l'objet de notre mission.
M. Michel THIBIER. - Merci. Je souhaitais en effet vous expliquer dans mon
préambule ce qu'est le Centre National d'Etudes
Vétérinaires et Alimentaires, plus communément
désigné sous le sigle de CNEVA dont vous avez pu lire le sigle
dans différents journaux au cours de ces six derniers mois puisque le
CNEVA gère le problème des encéphalopathies spongiformes
bovines.
Le CNEVA a une histoire et une expérience marquée en termes de
veille sanitaire, y compris vis-à-vis des agents thérapeutiques
administrés aux animaux. Personnellement, je ne suis pas un expert, mon
champ de compétences est plutôt dans le domaine des
bio-technologies de la reproduction, après avoir été
professeur aux Etats-Unis en particulier. Je suis actuellement Président
de la Société Mondiale de transferts embryonnaires et Directeur
général du CNEVA depuis un peu plus de deux ans. Nous sommes
quotidiennement préoccupés par les moyens les plus efficaces que
l'on peut mettre en oeuvre et plus précisément par le souci de
renforcer nos moyens de veille sanitaire et le contrôle des produits
thérapeutiques.
Le CNEVA est un établissement public administratif. C'est
peut-être le seul EPA qui fait à la fois de la recherche et de
l'appui technique.
C'est un jeune organisme, créé par un décret de 1988, qui
regroupe les anciens laboratoires vétérinaires dits "nationaux"
se répartissant sur le territoire national entre Brest, Boulogne sur
Mer, Sophia Antipolis, Lyon, Nancy sans oublier Paris et Fougères.
Ce centre a pour objet d'appuyer, au plan scientifique et technique, la
politique du ministre chargé de l'Agriculture pour ce qui a trait aux
productions animales et plus précisément de l'ensemble
santé animale, médicaments vétérinaires,
hygiène alimentaire.
Cet établissement public administratif comporte en gros 600 personnes
regroupées en douze centres bien répartis sur le territoire
national. Il comprend 200 scientifiques environ. Il est organisé par
filières. C'est une de ses originalités par rapport à
d'autres organismes. Ainsi le laboratoire de Lyon, celui que l'on cite le plus
souvent ces derniers temps, est spécialisé dans le domaine de la
filière bovine, celui-ci situé près de Caen est
spécialisé dans la filière équine, celui de Brest
en aquaculture, pisciculture et pathologie du poisson, Boulogne sur Mer en
matière de produits de la pêche, etc.
C'est une structure intéressante et vous verrez qu'elle est tout
à fait cohérente avec les principes généraux de
veille sanitaire.
Il y a trois départements : le département de santé et de
protection animale, le département du médicament
vétérinaire et le département d'hygiène, de
sécurité et de qualité alimentaire.
Notre stratégie de développement fait en ce moment l'objet de
débats dans le cadre du contrat d'objectif avec l'Etat et de la
réforme de l'Etat. Nous mettrons en forme notre stratégie
consistant à renforcer encore plus la partie relative à
l'hygiène alimentaire.
Le CNEVA comprend 200 scientifiques regroupés dans une structure qui se
caractérise par ce que je qualifierai de "proximité humaine". Je
connais ces 200 scientifiques un par un, je les ai déjà tous
rencontrés à plusieurs reprises. La capacité de
réaction du CNEVA est vive sur la veille sanitaire, et ne traduit pas
les grandes inerties ou les grandes latences que l'on peut trouver à
d'autres endroits.
Le point fort du CNEVA est celui de l'association bien réussie, ce n'est
pas si fréquent, de la recherche et l'appui technique.
Dans mon propos liminaire, j'ai prévu de vous parler de trois points
avant de répondre à vos questions.
Je voudrais vous faire part des trois principes généraux qui
animent la Direction du CNEVA en matière de veille sanitaire ; trois
principes généraux d'où découleront trois points de
passage obligés que l'on peut appeler dès à présent
: le contrôle nécessaire à la veille sanitaire,
l'épidémio-surveillance indispensable pour cette même
veille sanitaire et la capacité investigatrice.
Je me suis permis de vous préparer un schéma. Il vous montre le
principe général n° 1 schématisé ici par un
schéma classique dit en Y. C'est celui, selon nous, sur lequel doit
reposer toute notre stratégie de veille sanitaire pour les produits
d'origine animale puisque c'est la vocation du CNEVA pour le moment.
La première branche de l'Y, en haut à gauche, est la partie
relative à la santé des animaux, l'inverse étant la
non-santé ou la maladie des animaux qu'il nous faut contrôler pour
protéger le cheptel national contre les effets pervers des agents
pathogènes, et vis-à-vis des produits que ces animaux
libèrent sur le marché qui sont ensuite consommés par le
citoyen.
La deuxième branche de l'Y à droite se rapporte à
l'administration des médicaments vétérinaires. C'est
évidemment là un point stratégique. Non seulement ils sont
administrés pour contrecarrer les effets pernicieux des agents
pathogènes, mais aussi dans la production d'animaux domestiques de
ferme, ils doivent entrer dans les problèmes de produits
consommés, ce sur quoi nous reviendrons tout à l'heure en
matière de résidus.
Naturellement, ces deux points forts initiaux relatifs aux animaux, à la
santé animale et à l'administration des médicaments
vétérinaires, sont très fortement liés entre eux.
Ils convergent et confluent vers la branche verticale du schéma en Y en
aboutissant à la sécurité du produit consommé par
les citoyens, c'est-à-dire la branche intitulée "Hygiène
des aliments" regroupant, dans une logique qui n'a rien de
révolutionnaire, trois étapes : la production, la
transformation et la distribution.
Avec ce schéma, vous concevez l'organisation du CNEVA qui comprend les
trois départements mis en phase dans un ensemble regroupé sur ce
schéma en Y. C'est selon nous les conditions de base pour notre
réflexion et notre action en matière de veille sanitaire.
Pour le deuxième principe général, j'ai également
fait un schéma. C'est le fameux schéma en triangle de
l'application, de la mise en musique du concept de base énoncé il
y a un instant. Ce schéma en triangle comprend les trois points
clés sur lesquels l'action doit transformer le concept théorique
que nous avons évoqué dans notre premier principe
général.
Ce schéma expose les modalités de notre action regroupant dans le
pôle en haut à gauche les contrôles de cette veille
sanitaire, l'épidémio-surveillance, le rassemblement d'un certain
nombre d'éléments, et troisièmement, la nécessaire
investigation, lorsqu'elle s'impose, avec les moyens qui s'y rapportent.
Dans la deuxième partie de mon propos, je développerai quelques
points et quelques exemples sur chacun de ces trois pôles pour illustrer
notre réflexion sur la veille et les conditions de son renforcement.
Le troisième principe général est très simple, je
l'ai déjà évoqué, c'est, pour être efficace,
remplir notre mission avec le plus de souplesse et d'efficacité,
réaliser la nécessaire intégration entre recherche et
appui technique. C'est quelque chose dont je suis convaincu et en faveur duquel
je me suis longuement exprimé dans d'autres instances.
On critique souvent la difficulté en France du transfert technologique
en raison des hiatus ou fossés qui existent entre ce qu'on appelle les
chercheurs et les développeurs. Précisément, le rôle
du CNEVA, et afin d'assister le ministre dans sa politique sanitaire, est
d'avoir les compétences nécessitant non seulement la
compréhension, mais aussi la participation à la recherche
à la frontière des connaissances actuelles tout en étant
attentif aux problèmes de terrain. La pathologie et l'ensemble des
problèmes sanitaires sont des ensembles variables, très mobiles,
jamais statiques.
Il faut d'une part, avoir en permanence un pied sur le terrain et savoir ce qui
s'y passe, je vous en donnerai quelques illustrations, y compris d'un cas qui,
à quelques jours près, est tout à fait d'actualité,
d'autre part, avoir les outils dans sa connaissance et ses aptitudes pour
pouvoir traiter les problèmes avec compétence.
Naturellement, vous l'avez bien compris, nous nous attachons au CNEVA à
avoir en permanence sur les thèmes principaux qui sont les nôtres
cette intégration recherche/appui technique. Nous disons souvent que la
recherche d'aujourd'hui est l'appui technique de demain, mais l'ensemble du
champ ne peut pas être couvert par notre seul organisme, c'est la raison
pour laquelle nous sommes en train de signer un certain nombre de conventions
de collaboration.
Quelques exemples pour vous faire part de mes réflexions lorsque le
problème m'a été posé lors de la réception
de votre convocation.
Y a-t-il besoin de renforcer la veille sanitaire telle que nous la conduisons
au CNEVA et pour ce qui nous concerne selon le principe initial
énoncé et selon ces trois points d'action ?
La réponse est oui. Ce besoin de renforcement existe à la fois
dans les structures et dans les moyens. Je voudrais vous en donner quelques
exemples.
Premier point de cette deuxième partie : le renforcement des
contrôles.
Les contrôles comprennent deux parties. La première est le
contrôle de type inspection assuré par les services
vétérinaires de l'Etat ou dans les services
déconcentrés, ce n'est pas le rôle du CNEVA. Le CNEVA,
comme ces grands organismes de recherche, a essentiellement un rôle
d'appui technique, de laboratoire. Ce n'est pas lui qui va aller inspecter les
carcasses des animaux ou aller voir comment est conservé le lait dans
les tanks et si la température est correcte. En revanche, il va mettre
au point les outils pour s'assurer que les conditions ont été
respectées et que les textes objectifs pour pouvoir mettre en
évidence des défaillances éventuelles ou, au contraire,
leur satisfaction, soient à la fois crédibles, fiables, et
impartiaux.
En matière d'appui technique et de laboratoire, le contrôle
doit-il être renforcé ? Oui. De quelle manière ?
Dans ce contrôle, nous avons deux types d'activités. Le premier
est celui que j'appellerai "l'appui technique planifié",
c'est-à-dire celui que nous pouvons organiser depuis le début de
l'année et qui correspond à la situation présente, issue
elle-même de l'expérience passée. C'est toute notre
surveillance en matière de rage. Vous savez que la France est exemplaire
dans le monde à ce propos. Elle a réussi à faire refluer
le front de la rage pratiquement deux fois plus vite que la vitesse avec
laquelle la rage était arrivée sur le territoire français
en 1967. C'est le cas de la détection des antibiotiques, c'est le cas de
la listéria qui est un problème majeur en hygiène
alimentaire. C'est le cas des différentes toxines, qu'elles soient
mycosiques ou autres.
Il est important, dans l'organisation de cette activité
planifiée, de bien identifier les points critiques où ces
contrôles doivent se faire et d'avoir la maîtrise technique de ces
points critiques. Ceci joue en particulier dans l'ensemble de la chaîne
des produits alimentaires, que ce soit au niveau de la production, c'est
l'exemple du lait dans les tanks de réfrigération après la
traite, mais aussi de la transformation, non seulement de la première
transformation par exemple des carcasses de volaille à la chaîne
d'abattage, mais aussi -c'est un point sur lequel le CNEVA développe son
activité- de la deuxième transformation des plats
cuisinés. C'est passionnant puisqu'il y a des interactions microbiennes
et que, selon que l'on met du saucisson et des rillettes en même temps,
selon que l'on met des salades ou des carottes avec des steaks hachés,
l'évolution microbienne est tout à fait différente. Tout
cet aspect correspond à notre rôle.
Sur l'appui technique planifié, on a maintenant une bonne
expérience. Ce n'est pas là où le renforcement doit
s'exercer d'une façon prioritaire.
En revanche, sur l'adaptation de l'activité non planifiée, nous
avons quelques progrès à faire.
De quoi s'agit-il ? Ce sont les situations d'urgence, les situations de crise,
les situations non anticipées. Nous en avons un exemple typique en ce
moment en matière de brucellose. Nous sommes en fin d'éradication
de la brucellose. Nous avons trouvé des troupeaux dans lesquels il y a
des réactions positives dans un environnement théoriquement
complètement négatif. Que se passe-t-il ? Situation non
prévue à l'avance, c'est donc le CNEVA qui doit traiter ce
problème. Nous sommes en train de mettre en évidence des
réactions croisées avec d'autres agents bactériens.
Le redéploiement interne est ce que nous pouvons faire dans une
première étape. Il se trouve que l'unité de zoonose est
aussi l'unité de tuberculose. Je ne peux pas demander à un
chimiste qui est en train de mesurer les radionucléides pour s'assurer
du niveau de contamination éventuel de l'aliment par les radiations
gamma ou autres de se transformer en bactériologiste du jour au
lendemain et de manipuler des micro-bactéries ou des sérologies.
Il y a un besoin de collaboration indispensable, besoin d'avoir un champ large
de compétence. Le redéploiement interne est limité : c'est
un des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Si par malheur,
deux circonstances de crise se développaient en même temps, je ne
sais pas comment nous ferions. C'est un peu la fragilité de notre
système.
Deuxième point de cette deuxième partie :
l'épidémio-surveillance. Vous avez vu tout à l'heure
combien j'ai insisté là-dessus. Je ne reprendrai là que
les termes d'un rapport d'un membre du Conseil économique et social d'il
y a 6 ans, M. Buard, qui avait écrit un remarquable rapport sur
l'épidémio-surveillance à la demande du ministre
chargé de l'Agriculture et dans lequel il avait déjà
décrit l'existant et fait un certain nombre de recommandations.
Dans son décret de constitution, le CNEVA a précisément la
tâche de gérer cette épidémio-surveillance. Quelques
petites difficultés de partage entre l'administration qu'on appelle
classiquement centralisée et un établissement public
subsistaient, mais je crois qu'avec la réforme de l'Etat, les choses
vont aller dans le bon sens. Il est maintenant reconnu que les tâches des
services centralisés n'étaient peut-être pas de faire de la
science et de la technique, mais plutôt de définir une politique,
un établissement comme le nôtre devant s'occuper
d'épidémio-surveillance.
Le système fonctionne assez bien. On voit bien comment le CNEVA encadre
le réseau, le mot est lâché, c'est bien de cela qu'il
s'agit ; avoir un réseau comprenant les acteurs répartis sur
l'ensemble du territoire, encadrés en amont par la compétence
d'un organisme comme le CNEVA et en aval pour pouvoir exploiter, rendre
cohérent et actif le réseau.
On a eu malheureusement un exemple célèbre au Royaume-Uni il y a
une dizaine d'années avec la salmonellose dans la filière
avicole. Le système français fonctionne bien à cet
égard : le réseau créé s'appelle le RENESA, il est
situé au sein du CNEVA.
Il y a une demande urgente de faire la même chose en termes de
salmonellose bovine qui est un vrai problème de société.
Nous avons réussi à monter ce réseau au cours des six
derniers mois en collaboration avec les groupements d'éleveurs, de
défense sanitaire, les groupements techniques
vétérinaires, mais l'on voit déjà bien notre
limite. On retire une activité à Pierre pour la donner à
Paul. Ce n'est pas tout à fait satisfaisant.
Troisièmement dans cette partie, nous avons besoin non seulement de
développer ces réseaux, mais également d'améliorer
l'efficacité de l'instrument de base. Vous allez sans doute mieux encore
comprendre ce que je veux dire. On a une mine d'informations et une richesse
dans les laboratoires qu'on appelait autrefois départementaux,
appelés maintenant laboratoires vétérinaires
départementaux puisqu'ils sont gérés par les Conseils
généraux, parfois aidés par les Conseils régionaux.
Ils sont tout à fait efficaces, souvent parfaitement bien managés
et détiennent une mine d'informations non exploitée.
C'est évidemment cette mise en réseau diverse et variée
dont l'épidémio-surveillance pourrait tirer le maximum de
ressources. Il y a là un besoin de renforcement des moyens du CNEVA en
la matière. La salmonellose bovine nous étant apparue, c'est une
des priorités que nous développons en ce moment, mais il y en a
bien d'autres que nous ne pouvons pas faire faute de moyens. On sait que le
potentiel est là, mais on est limité au niveau des moyens pour
exploiter et utiliser intelligemment toutes ces données.
Dernier point : le renforcement de notre capacité investigatrice. Nous
avons besoin de les mettre en oeuvre lorsqu'il y a des situations
émergentes.
Le meilleur exemple est celui des encéphalopathies spongiformes bovines.
Lorsque les premiers cas sont apparus en Angleterre il y a une dizaine
d'années, une des composantes ancestrales du CNEVA, le laboratoire de
Lyon, s'est mis sur la piste. Il a tout de suite réagi alors que
d'autres organismes n'ont pas pu avoir cette même adaptation.
Cela nécessite bien entendu la mobilisation d'outils et surtout -c'est
un des points forts du CNEVA-des installations expérimentales
protégées. Vous revenez des Etats-Unis, j'y étais moi
aussi il y a une dizaine de jours, vous voyez que toutes les stations
expérimentales protégées, de type P 3 ou P 4
permettant l'utilisation d'agents protogènes très dangereux sans
risque à l'extérieur sont toutes en train de fermer les unes
après les autres parce que les maintenir en état coûte
très cher. Aux Etats-Unis on ferme rapidement, mais l'on rouvre aussi
très vite, en tous les cas, pour le moment, elles sont en train de
fermer. J'ai parié qu'il y aurait un déficit, un manque crucial
d'ici à la fin du présent millénaire. Je m'efforce de
maintenir ces installations expérimentales au CNEVA.
Nous avons des installations depuis le poisson à Brest jusqu'aux
abeilles à Sophia-Antipolis en passant par les renards et autres faunes
sauvages à Nancy, l'étable à Fougères et à
Lyon. A Lyon, nous avons un gros problème. Les étables qui
accueillaient auparavant les gros bovins pour des problèmes de
fièvre aphteuse devraient maintenant les accueillir pour la recherche
concernant les encéphalopathies. Malheureusement, une
réhabilitation totale est nécessaire et nous n'avons pas encore
eu le feu vert pour les crédits. Cela se monte à près de
20 millions de francs.
Quoiqu'il en soit les installations expérimentales sont une clé
du système, nous les avons, mais il est difficile de pouvoir les
maintenir dans un état opérationnel.
Je voudrais vous décrire un exemple d'un cas actuel que l'on appelle le
"dépérissement fatal du porcelet post-sevrage". Depuis un mois
environ, on observe des porcelets qui meurent pour des raisons
inexpliquées pour l'instant dans la partie orientale du
département des Côtes d'Armor.
Le fait que l'on ait le contact sur le terrain nous a permis très vite
de récupérer de tels animaux, de les mettre en situation
protégée et d'introduire des animaux tampons, c'est-à-dire
vierges et indemnes de tous agents pathogènes pour voir s'ils se
contaminent à leur contact. Pour le moment, nous n'avons pas encore la
réponse. Nous nous posons la question de savoir quel est l'agent
éventuel, est-ce que cela peut être à terme une
zoonose ? Comment l'éradiquer ? Devons-nous recommander au ministre
l'abattage des animaux ?
Voilà une situation que nous vivons, peut-être que dans quinze
jours, on verra que ce n'était pas grave, que c'était un virus
relativement inoffensif. L'incident sera alors clos, mais les éleveurs
sauront à quoi s'en tenir et nous aurons été là
pour aider la filière et le consommateur aura la certitude que la
progression a été repérée.
Bien évidemment, la mobilisation des partenaires dans ce réseau
est importante.
Pour conclure ma présentation, je vous parlerai des cas particuliers des
produits thérapeutiques.
Ceci est très important car notre problématique originale dans ce
réseau d'interaction santé animale/administration est bien le
problème des résidus.
Il faut en effet connaître les limites maximales de résidus
tolérables.
Tout ce contexte de recherche et d'appui technique en matière de
résidus ou de pharmaco-cinétique du médicament
vétérinaire injecté aux animaux voit sa conclusion dans le
traitement des dossiers au sein de l'Agence du Médicament
Vétérinaire selon des règles bien connues, des
critères d'efficacité, d'innocuité et de qualité.
Notre problématique majeure est bien celle des résidus sur
laquelle un effort important a été fait ces dernières
années au sein du CNEVA. Le plus gros effort a été
l'initiation de cette opération il y a déjà plus d'une
dizaine d'années. Je peux d'autant plus le dire que je n'y suis
absolument pour rien.
Deuxièmement, il ne faut pas oublier, d'où l'importance de ce
schéma en Y dont nous avons parlé initialement, que les produits
d'origine animale peuvent être directement utilisés comme agent
thérapeutique ou comme agents administrés à l'homme depuis
les cas les plus généraux de la gélatine, sans oublier les
sérums de veaux foetaux, les bovins utilisés dans la
pharmacopée de façon générale et, d'une
façon plus précise, dans les molécules telles que
l'insuline du porcelet, et dans le cas d'actualité dans lequel nous
sommes impliqués, les "xéno-greffes". En effet, il faut s'assurer
que les organes issus des porcs sont indemnes pour l'homme de tout agent
pathogène et que les animaux aient été
élevés dans des conditions très spéciales telles
que dans notre porcherie modèle de la banlieue de Saint-Brieuc.
Je crois que le système a une base solide, mais il a besoin d'être
renforcé d'une part au niveau des moyens, (vous verrez peu de Directeurs
généraux qui vous tiendront un autre discours) d'autre part, par
une meilleure coordination des différents acteurs dans l'ensemble de ces
réseaux qui doivent assurer à nos compatriotes une
sécurité totale en matière de veille sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Votre conclusion montre que vous avez
parfaitement perçu la nature même du travail dont a
été chargée notre mission, c'est-à-dire dresser une
sorte d'inventaire des structures existantes dans les domaines qui ont des
relations possibles ou certaines avec la sécurité sanitaire.
Merci de votre exposé.
Partant de cette idée de coordination, j'aimerais que vous nous disiez
quelles sont les relations, la coordination pouvant exister entre votre
ministère de rattachement et les autres ministères ?
Jusqu'à maintenant, l'inventaire que nous avons commencé à
dresser montre qu'il y a au moins trois ministères concernés :
l'Agriculture, la Santé et les Finances. Puisque vous avez
évoqué le cas de la listériose, nous avons
été surpris mes collègues et moi-même lorsque nous
avions appris que la listériose faisait l'objet d'études
attentives du ministère des Finances à travers la DGCCRF. Il nous
importe de savoir s'il y a une optimisation des moyens de recherche dans un
domaine qui vous touche de près et si la coordination est efficace, et
comment elle pourrait l'être davantage.
Deuxième question : le renforcement des moyens. Sans doute pourrez-vous
nous donner quelques précisions car nous sommes convaincus que la notion
de réseau en termes de démarche de veille sanitaire est
fondamentale. Cela rejoint notre démarche connaissance du réseau
et optimisation de son fonctionnement.
La troisième question concerne l'Europe. On a vu apparaître
à l'évidence la dimension européenne à travers les
échanges commerciaux ; quel est le rôle de votre centre national ?
Quelles relations a-t-il établi et quelles sont les prescriptions que
vous pouvez être amené à recommander, les conditions dans
lesquelles ces prescriptions sont ou ne sont pas retenues et reçues par
les instances de l'Union Européenne ?
M. Michel THIBIER - Notre ministère de tutelle est tout d'abord le
ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. Dans
le gouvernement actuel, le fait que le mot "alimentation" ait été
ajouté dans le nom de ce ministère est une connotation
agréable car le CNEVA porte le mot "alimentation" dans son sigle
depuis
son existence. Nous sommes bien en phase avec la société.
Il est vrai que pour la partie de l'Agence du médicament
vétérinaire, nous avons aussi une co-tutelle avec le
ministère de la Santé.
Vous avez cité, Monsieur le Sénateur, trois ministères, je
vais vous en citer un quatrième car vous n'ignorez pas que compte tenu
de cette malheureuse crise des encéphalopathies, l'éclairage a
été mis sur le CNEVA, par conséquent, le ministère
de la Recherche a été très sensible à nos actions.
Monsieur le Secrétaire d'Etat, François d'Aubert, a écrit
il y a quelques semaines à M. Vasseur, ministre chargé de
l'Agriculture, pour lui faire part de son souhait que le ministère de la
Recherche ait une co-tutelle sur le CNEVA. M. Vasseur a répondu qu'il
serait très heureux que cette co-tutelle s'exerce. Si c'est bon dans
l'esprit, après, il faut voir comment cela s'applique dans les
modalités. Je me permets de le dire car cela correspond bien à
notre souci majeur. L'expérience de la BSE l'a montré. Vous avez
peut-être vu que j'ai signé vendredi le 24ème cas de BSE
dans la presse du week-end. Nous avons fait les abattages comme M. le ministre
nous l'a recommandé dans la nuit de samedi à dimanche. Durant
cette nuit, c'était le CNEVA qui était au travail. Nous avons
fait les prélèvements sur les tissus, nous avons trié les
animaux, bref, nous avons fait notre investigation qui est notre mission.
Certains de ces prélèvements se font précisément
dans le cadre de ces recherches. L'efficacité de cette opération
d'appui technique en est une bonne illustration.
De ce côté-là, je ne pense pas qu'il y ait de
difficulté de notre côté. Je connais parfaitement d'autres
aspects que vous avez sous-entendus dans votre question, M. le Sénateur,
mais de notre côté, nous entretenons d'excellentes relations avec
le Directeur général de la DGCCRF. Nous avons de bonnes relations
avec nos collègues de l'Institut Pasteur. Nous avons chacun notre champ
d'expertise, on doit sûrement améliorer les relations, mais il n'y
a pas de blocage de la part des scientifiques. Tout le monde sait que l'on ne
peut pas faire tout tout seul. Nous n'avons pas la compétence
répressive de la DGCCRF. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle
est de générer des normes. Comment l'Etat peut-il être
sûr que, lorsque les laboratoires départementaux testent les
vaches pour la brucellose, les résultats de ces tests sont fiables, sont
exacts ? Parce que le CNEVA a mis au point des méthodes, il est
accrédité. Il a un système de procédure qui
s'assure de la validité de ces mesures et fait des tests pour s'assurer
que les mesures effectuées par les autres laboratoires du réseau
sont valides.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les réactifs ?
M. Michel THIBIER - C'est un sujet complètement d'actualité. Nous
avons essayé initialement de faire un groupement d'intérêt
entre les fabricants, que sont les laboratoires départementaux, les
éleveurs et nous pour coordonner tout cela. Les intérêts
économiques ont fait que cela a un peu divergé, le consensus n'a
pas été total. Je crois que la DGA est en train de reprendre le
problème pour que le système fonctionne mieux. Mais notre
expertise -et là aussi cela a commencé avant que je n'arrive, je
peux donc le dire- pour fixer les valeurs, les critères des
réactifs me semble avoir été faite dans des conditions
satisfaisantes.
Avant que je ne rejoigne le CNEVA, j'étais Directeur du laboratoire
d'Union nationale des coopératives d'insémination artificielle et
de transferts embryonnaires. J'avais remarqué chez les taureaux, (dont
vous savez qu'il faut des conditions sanitaires très
sévères vu le nombre de centaine de milliers de taureaux issus
d'inséminations artificielles) que pour les tests de l'IBR (qui est une
bronchite infectieuse due à un herpès virus), les
résultats étaient divergents selon que les taureaux aient
été testés en Hollande, en Allemagne ou en France.
C'était inadmissible.
J'ai été à l'initiative en 1990, à la demande de la
Commission de Bruxelles, d'un groupe de travail dans lequel il y avait des
collaborateurs du CNEVA. Le CNEVA était le moteur et moi en tant que
président du groupe de travail de la commission, nous avons
été capables en deux ans de définir parfaitement les
réactifs qui pouvaient être validés en fonction de
sérums étalon que nous avions réussi à
établir d'une façon consensuelle. Le dernier circuit de test
entre laboratoire que nous avons mis en oeuvre comprenait 46 laboratoires
dans les 12 pays à l'époque de l'Union Européenne.
Nous avons réussi à faire en sorte que tous les tests soient
satisfaisants. C'est faisable, c'est jouable. Après, il y a la partie
professionnelle et administrative qui n'est pas exactement de mon champ de
compétence sur lequel je me garderai bien de faire des commentaires.
Le principe de notre appui technique est là, il existe, il est
opérationnel, il a déjà fait ses preuves.
Quant au renforcement des moyens, je vais vous faire une confidence
personnelle. Au moment de la BSE, les différentes autorités
politiques du pays ont félicité le CNEVA pour la façon
avec laquelle le problème avait été traité. J'ai
insisté auprès du ministre de l'Agriculture pour lui dire qu'il
serait bon que l'on renforce nos équipes pour travailler
là-dessus. J'ai donc demandé au budget civil de la recherche et
du développement dans le projet de loi de Finances 1997 une augmentation
du nombre de postes budgétaires à partir de
redéploiements. Je sais bien que dans la conjoncture actuelle, il eut
été illusoire de vouloir créer des postes. J'ai
été un peu déçu de voir qu'il n'y avait pas eu de
postes en plus, mais l'on m'a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu de
suppression alors que c'était le cas pour d'autres organismes. Comment
développer dans ces conditions les recherches indispensables, en
particulier pour la BSE ?
Une meilleure coordination, on peut sûrement faire mieux. Je vous l'ai
dit, il y a un vrai problème. Le cas de la salmonellose bovine avec les
groupements techniques de vétérinaires, les groupements de
défense sanitaire des éleveurs, avec cet ensemble de
communauté, est un bon exemple. J'ai un collaborateur qui passe en ce
moment son temps à expliquer cela dans les différents
départements ; pendant ce temps, il ne fait pas autre chose, mais c'est
provisoire.
Mais il y a encore une mine d'informations non exploitée, ou
insuffisamment, qui est celle de savoir comment cela évolue. En gros, il
y a 2 ou 3 % de réactions douteuses en brucellose. Lorsque c'est 2 % et
que cela fluctue plus ou moins à 0,1, c'est bon, mais si tout à
coup il y a un pic, il y a un problème. Il faut qu'on puisse le
détecter très vite. Pour le moment, toutes ces données
sont rassemblées par les laboratoires départementaux, mais il
n'existe pas cette exploitation que l'Etat doit être en mesure de faire
et pour lequel je n'arrive pas à dégager les hommes.
Quant à la troisième question, les échanges commerciaux,
oui, nous sommes très largement impliqués dans l'Europe, d'abord
dans les structures officielles. J'ai calculé que pratiquement six
chercheurs ont été utilisés à temps plein au cours
de ces six derniers mois par des réunions à Bruxelles. Je me suis
inquiété auprès de ma tutelle pour savoir si les
crédits que l'Etat attribue au CNEVA ne sont pas détournés
de leur mission lorsque j'envoie mes collaborateurs en mission à
Bruxelles. On m'a répondu que je défendais les
intérêts de l'Etat et que c'était donc de notre mission.
Bien évidemment, pendant que mes collaborateurs sont à Bruxelles,
ils ne peuvent pas faire autre chose, mais c'est important pour arriver
à défendre nos positions.
Je suis très ouvert sur l'international, je pousse mes troupes et je
crois que cela ne fonctionne pas mal.
En ce moment, un de mes collaborateurs est à la réunion d'un
groupe pour étudier les résidus. La réunion va avoir lieu
cette semaine au Costa Rica, il va être la voix de la France dans cette
opération.
La semaine dernière, une autre collaboratrice était à
Washington avec trois autres européens pour une réunion
concernant les résidus et les toxines dans les produits laitiers.
Moi-même, il y a trois semaines, j'étais à l'organisation
de santé animale des Etats-Unis dans laquelle les européens
présentaient leurs propositions et essayaient de la faire comprendre
à leurs interlocuteurs Américains.
De ce côté-là, le CNEVA a une activité assez
importante. Je ne m'en plains pas mais parfois, c'est lourd.
M. Dominique LECLERC - Je souriais par rapport à votre dernier propos,
je comprends lorsque vous dites que vous avez une charge qui est sûrement
très lourde. Si je regarde sur le terrain, en matière de
recherche et d'appui technique, je connais une ville de cent mille habitants
dans laquelle on trouve : un laboratoire de bactériologie très
pointu à la faculté de médecine, un autre
département vient d'ouvrir avec des vétérinaires et il y a
l'INRA dont l'image est à juste titre mondialement connue. Lorsque vous
évoquez, et je le comprends, le renforcement des moyens, pour moi, ce
serait plutôt la coordination des moyens qui existent en termes de
recherche. J'ai cité trois vitrines prestigieuses chez nous, toutes les
trois ont un département vétérinaire, l'INRA en premier,
mais les autres aussi.
Est-ce dans votre rôle, en tant que structure administrative et
scientifique, d'avoir le recul et la coordination pour la mise en commun de
tous ces moyens intellectuels fantastiques ? En termes de veille sanitaire,
localement, on a toutes les armes scientifiques et humaines, même en
nombre, pour qu'au plan national, vous en soyez le chef d'orchestre.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez terminé sur la
coordination, quels sont vos rapports avec le Réseau National de
Santé Publique ?
M. Bernard SEILLIER - Commencez-vous à réfléchir à
ce que pourrait être une démarche de mise en évidence des
caractères thérapeutiques de l'alimentation ?
M. Michel THIBIER - Je ne peux répondre d'une façon
unifiée aux deux questions de l'Indre et Loire et du RNSP. Il se trouve
que le RNSP avait son Conseil scientifique vendredi dernier. J'ai tenu
spécialement à y participer car je voulais délivrer un
message fort à Jacques Drucker en particulier et à son Conseil
d'administration.
Effectivement, voilà un excellent outil auquel le CNEVA est
associé et avec lequel nous avons déjà commencé
à mettre en oeuvre une complémentarité depuis un an.
Nous nous sommes félicités, Jacques Drucker, le Président
du Conseil scientifique et moi-même de cette approche
complémentaire. Il est vrai que le RNSP travaille plus sur
l'épidémie du sida, de la rubéole, de la rougeole, ou des
choses comme celles-là, que sur les intoxications alimentaires. Cela
correspond à votre exemple d'Indre et Loire. J'ai très vite vu de
quel endroit vous parliez car c'est un très bon exemple. Effectivement
avec M. Nouzille, dans le domaine de la reproduction, qui était le mien
avant, ou dans celui de la pathologie, l'excellent exemple est celui des
encéphalopathies spongiformes, l'INRA représente la base solide,
mais pas facilement mobilisable, il travaille sur les problèmes de
résistance génétique aux encéphalopathies. Dans le
même temps, le CNEVA répond à l'urgence, aux suspicions de
tous les jours, il y a donc une complémentarité qui fonctionne
bien. Il est vrai que c'est au sein du même ministère.
Sur le cas de la listériose, les travaux faits par l'équipe de
bactériologie du département sont remarquables, c'est notre
rôle, mais je veux arriver, dans les années à venir,
à renforcer ce réseau parce qu'il est encore
sous-exploité. Il n'y a pas de secret, il faut que l'Etat accepte d'y
consacrer de nouveaux moyens. C'est vraiment le rôle de l'Etat que de
rassembler cette opération.
Quant au redéploiement interne, la première chose que j'ai faite
lors de mon arrivée au CNEVA a été d'enlever ce qui
m'apparaissait un peu superficiel. Par exemple, sur les grippes porcines, bien
que nous étions le centre de référence d'Europe, tout le
monde s'en moque, et de plus, il n'y a aucun effet sur la santé de
l'homme. J'ai donc décidé d'arrêter le travail fait par les
deux chercheurs qui se penchaient sur ce sujet. Mais maintenant, je ne peux pas
enlever la fièvre aphteuse, je ne peux pas enlever la listériose,
la tuberculose. Je suis arrivé à un niveau où il n'y a
plus de marge. Mon plus grand souci, c'est ce qui va déterminer notre
contrat d'objectifs.
Quant à votre troisième question, nous n'avons pas encore
abordé ces aspects thérapeutiques de l'aliment. C'est une
question qui nous est posée, on l'examinera sans doute dans le contrat
d'objectifs. Pour le moment, pour être tout à fait franc avec
vous, je ne suis pas convaincu que c'est notre mission. Je peux me tromper, je
suis prêt à l'envisager. La technologie ne nous intéresse
que lorsqu'elle est liée à la santé publique. Cela
m'intéresse de savoir comment on fait les plats cuisinés parce
qu'on m'a dit que la flore bactérienne qui se développe sur des
steaks hachés, par exemple, est différente si vous
mélangez une feuille de laitue avec le même steak haché.
Les vertus thérapeutiques de la feuille de salade ou autre
existent-elles ? Pour le moment, nous ne sommes pas engagés dans cette
voie.
M. Bernard SEILLIER - C'est important car l'on voit se développer des
productions ayant des prétentions dynamisantes, qui va vérifier
que ce n'est pas de la publicité mensongère ?
IV. SÉANCE DU MARDI 5 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DE MME MICHÈLE VÉDRINE, PRÉSIDENTE, ET DE M. FRANÇOIS NONIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA COMMISSION DE LA SÉCURITÉ DES CONSOMMATEURS AU MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
M. Claude HURIET, rapporteur - J'aimerais tout d'abord savoir
dans quelles conditions la commission de la sécurité des
consommateurs a été créée, quelles sont ses
compétences et la façon dont elles exercent. Son intitulé
démontre qu'elle occupe pour nous une place éminente, car vous
avez les mêmes attributions que celles sur lesquelles la mission a
engagé sa réflexion. Si tout ce que vous dites est satisfaisant,
la mission pourrait s'arrêter aujourd'hui !
M. Charles DESCOURS, président - Vous qui êtes rattachés au
ministère des finances, quel regard portez-vous sur celui-ci en
matière de répression des fraudes et de santé publique ?
Mme Michèle VEDRINE - Tout d'abord, permettez-moi de me
présenter... Je suis médecin de formation et j'ai
été médecin-chef de la CNAM, où je m'occupais de
tous les problèmes d'hospitalisation au sens large, y compris les
personnes âgées. Je connais donc bien les problèmes de
santé publique.
En 1990, j'ai intégré la Cour des comptes, où je m'occupe
actuellement des problèmes de défense. J'ai été
nommé à la commission des consommateurs sur le poste
réservé à la Cour des comptes en 1994, en tant que
rapporteur, et j'en suis devenue rapidement présidente.
M. Nonin, quant à lui, vient de la DGCCRF. Il a été
directeur-adjoint du FAS et a intégré la commission de
sécurité des consommateurs en janvier 1996.
La commission a été créée par la loi de 1983 sur la
consommation. Le décret qui régit la commission date de 1984. La
commission a en fait commencé à fonctionner en 1985 et a dans les
articles du code et du décret des attributions extrêmement larges.
En effet,
"elle est chargée d'émettre des avis et de proposer
toutes mesures de nature à améliorer la prévention des
risques en matière de sécurité des produits et des
services. Elle recherche et recense les informations de toutes origines sur les
dangers présentés par les produits et les services. A ce titre,
elle est informée sans délai de toutes décisions prises en
application des articles du code de la consommation. Elle peut porter à
la connaissance du public les informations qu'elle estime
nécessaires".
On peut donc en effet imaginer que cette commission à tout pouvoir en
matière de santé publique...
A l'origine, il s'agit bien d'un groupe de consommateurs puissant qui a abouti
à la loi de 1983. Il fallait un organe de concertation entre
consommateurs et professionnels, avec une certaine garantie des corps d'Etat,
ce qui a amené à créer une instance de concertation
relativement dynamique, comportant au départ des représentants
des structures de consommation et des professionnels extrêmement
motivés.
Plus de dix ans après, je dois dire que les consommateurs ont beaucoup
baissé la garde. Les problèmes de consommation sont plutôt
secondaires. Ce ne sont pas les structures de consommateurs qui nous apportent
les dossiers, mais plutôt les individus, les maires, les
collectivités, voire le ministre lui-même. De ce point de vue, la
commission connaît actuellement une certaine insuffisance...
En pratique, la commission s'est recentrée uniquement sur les produits
domestiques. Tout ce qui étaient produits thérapeutiques ou
techniques médicales a été rendu au ministère de la
santé et à la DGS, qui nous a très rarement
sollicités jusqu'à une époque récente, sauf sur des
techniques à la limite de la médecine, comme des techniques
d'amaigrissement, que nous leur avons renvoyées, puisque c'était
la décision de départ.
Cela a été la même chose pour les produits industriels et
agricoles classiques. La commission s'est donc au fil du temps recentrée
sur les accidents domestiques, comme l'usage quotidien de produits
ménagers au sens large : lits superposés, cocottes-minutes, aires
de jeu...
Dans ce domaine, à l'époque, il existait très peu de
textes. Les accidents domestiques, en particulier des enfants, étaient
extrêmement nombreux. La commission a rendu de très nombreux avis
qui ont abouti, au fil des années, à une structure
réglementaire forte dans le domaine domestique.
Tout ce qui est réglementé est renvoyé au ministère
de tutelle qui s'en occupe et à la DGCCRF. Si nous sommes saisis sur un
problème de lits superposés -désormais il existe un texte
correspondant- nous enregistrons cette demande, mais la renvoyons pour
traitement à la DGCCRF, qui va vérifier que la
réglementation a bien été appliquée, que les
produits d'importation sont conformes, etc.
Le domaine qui nous reste est donc le domaine non réglementé des
accidents domestiques et éventuellement les insuffisances de
réglementation lorsqu'elles nous apparaissent. A ce titre, la
réglementation européenne qui se met progressivement en place est
parfois en retrait par rapport à la réglementation
française antérieure. En effet, si les procédures
déclaratives, qui consistent à faire certifier par les
industriels que les produits sont conformes aux normes, peuvent convenir
à la mentalité anglo-saxonne, elles sont loin d'être
adaptables à certains pays latins ou asiatiques.
Nous avons donc des inquiétudes concernant cette réglementation,
mais ce n'est pas nous qui la faisons ou qui l'adaptons. Nous essayons autant
que faire se peut, lorsque nous rencontrons un problème de ce type, de
signaler que la réglementation européenne est en retrait de la
réglementation française antérieure ou de celle que nous
avons souhaitée dans les avis.
La commission rend donc au ministre un certain nombre d'avis, qui ne s'imposent
pas. Ces avis sont ou ne sont pas suivis de textes. Ils sont d'autant plus
difficiles à suivre qu'il y a éventuellement plusieurs
intervenants, en particulier le ministère de l'industrie ou celui de
l'agriculture, qui sont des ministères techniques, qui ont leur propre
autonomie.
A partir de là, nous sommes tout à fait à la marge du
sujet concernant la sécurité thérapeutique. Nous ne sommes
quasiment jamais saisis directement pour un produit thérapeutique, mais
plutôt indirectement, en matière de veille sanitaire, pour des
accidents qui surviennent, malheureusement souvent très graves, souvent
mortels. Nous nous apercevons à cette occasion que d'autres accidents
moins graves se sont produits antérieurement et n'ont pas
été recensés ou signalés. En effet, tout le monde
s'occupe de tout, est au courant de tout, mais rien n'est véritablement
centralisé !
Nous sommes chargés de recenser les informations, mais la commission est
composée de 15 membres-rapporteurs qui ont tous une autre fonction. Ils
se réunissent une fois par mois et suivent des dossiers. L'appareil
technique de la commission est composé de 4 ingénieurs, dont deux
à temps partiel, qui sont tout à fait compétents mais ne
peuvent tout savoir ni recenser des informations comme peut le faire le
ministère de la santé ou celui de l'industrie. Nous ne pouvons
que rechercher des informations sur les dossiers sur lesquels nous sommes
saisis.
Nous savons fort bien que les accidents sont vus par le SAMU, les pompiers, les
PMI, les crèches, les médecins généralistes, les
infirmières, mais personne n'a l'idée de les faire remonter
où que ce soit !
La seule structure de recensement des informations qui existe est un
système européen, HELASS, comprenant en France 8 hôpitaux
volontaires, qui ont accepté de recenser les informations concernant des
accidents qu'ils gèrent. Or, ces 8 hôpitaux ne sont pas
statistiquement représentatifs du réseau français. Pour
que des accidents soient notés dans ce système de recensement
géré par le DGS, il faut que l'accident soit ou très
fréquent ou que, bizarrement, un produit arrive dans une région
et qu'il y ait tout d'un coup plein d'accidents.
Nous pouvons interroger cette base de données lorsque nous avons
nous-mêmes été saisis sur un accident, mais celle-ci ne
signale pas elle-même l'accident.
De même, en toxicologie, certains produits dangereux sont signalés
par les centres dans leur rapport annuel, mais n'ont pas de suites en
matière de prévention.
Ces recensements existent, mais sont dispersés. Le système des
hôpitaux pourrait prévoir cette information. Pour l'instant, elle
n'existe cependant pas.
La direction générale de la santé envisage de moderniser
cette base et d'en faire une base générale. Nous avons
été associés à deux réunions
récentes. Je ne sais ce que cette base future va comprendre, ni comment
elle sera élaborée, ou s'il s'agira d'une nième
enquête. Cela risque d'être extrêmement compliqué,
coûteux et il risque d'être difficile d'y entrer des informations,
tout le monde étant débordé !
A titre d'information, il existe depuis cinq ans, en Savoie, une petite base de
données supposée recenser les causes et les conséquences
des accidents de ski. Or, rien que dans un département, il est
extrêmement difficile de se mettre d'accord sur la méthode ! Cela
dit, il existe des bases et des systèmes qui fonctionnent très
bien, en particulier aux Etats-Unis...
Il existe également à la DGCCRF un système de veille, sur
lequel nous n'avons aucune information, la DGCCRF traitant directement des
informations qu'elle reçoit, qu'il s'agisse de produits
déjà réglementés ou encore non
réglementés. Nous ne sommes pas non plus au courant des
décisions que peut prendre la DGCCRF en matière d'interdiction de
produits, bien que les textes le prévoient.
Par contre, en matière de santé, en dehors des accidents -qui
sont toujours dramatiques et touchent beaucoup les enfants- nous sommes depuis
quelque temps saisis sur des produits de santé publique, qui sont
inquiétants et qui rejoignent le problème de l'émergence
des nouvelles maladies.
Nous avons ainsi été saisis sur le problème des machines
à bronzer, qui ont donné lieu à un avis de la commission
en 1994, ainsi qu'à un texte, grâce à l'amélioration
des services de la DGS. Le décret n'est pas paru, mais le projet nous a
été soumis. Nous avons pu constater à l'étude de ce
dossier remarquable que pratiquement tous les pays européens ont
réglementé les machines à bronzer et l'émission des
rayonnements, alors que nous n'avons encore rien fait !
Comme le dit un expert de l'INSERM en matière de mélanomes, nous
sommes la poubelle de l'Europe : en effet, nous ne sommes pas capables de dire
si les personnes exposées ne risquent pas de développer un
mélanome dans 10 ou 15 ans, mais il n'y a pas de raison qu'elles ne
connaissent pas les mêmes conséquences qu'en cas d'exposition
solaire sans protection, les rayonnements intenses de certaines machines
assurant un bronzage en 20 minutes ! D'où notre souhait d'une
réglementation en ce domaine...
Dans la même veine, nous avons été saisis il y a plusieurs
années sur les accélérateurs de bronzage, que nous avons
fait interdire, ces cosmétiques entraînant des brûlures et
favorisant probablement des cancers.
Concernant l'amiante, nous avons été saisis, mais très
à la marge, et il y a plusieurs années, et ce dossier a
totalement disparu du côté des ministères de l'industrie et
de la santé. La commission n'a donc jamais été active sur
ce sujet, bien qu'elle ait attiré l'attention des pouvoirs publics. Nous
avons eu à émettre un avis sur les différents
décrets, les plus récents, et avons bien entendu donné un
avis favorable à tous ces textes, à une réserve
près : aucun texte ne prévoit ce qui va être fait des
déchets, non seulement des déchets industriels, mais surtout
domestiques ! En effet, on a affolé la population avec l'amiante, mais
maintenant qu'elle se débarrasse de l'amiante, où s'en
débarrasse-t-elle ?
Ainsi, les gens qui ne se trouvaient pas exposés ont
découpé la plaque d'amiante qui se trouvaient derrière
certains poëles et se sont retrouvés exposés. Ils s'en sont
débarrassés à la décharge, publique ou non, dans le
jardin, à côté du ruisseau... Il en va de même avec
d'autres produits domestiques à base d'amiante, comme les radiateurs,
dont on est incapable de dire s'ils contiennent ou non de l'amiante, le
fabricant ayant disparu. Or, les gens nous posent la question et nous ne
pouvons répondre.
De même, les plaques de cuisinière électrique, les fers
à repasser, les grille-pains, contiennent de l'amiante. Il n'existe pas
de recensement de ces produits et il n'y a aucun moyen de les retrouver. Si les
gens s'en débarrassent, on ne sait pas où, et il y a là un
risque pour les populations qui n'étaient pas jusqu'à
présent exposées...
Nous avons été également saisis sur d'autres produits,
comme les téléphones portables. M. Galland nous a lui-même
saisis sur les conséquences médicales des appareils portables,
à partir d'articles étrangers, et le risque ou non de provoquer
des cancers. Il est bien évident que notre commission, très
modeste, aura beaucoup de mal à donner un avis, d'autant que,
d'après nos recherches sur Internet, il n'existe pas grand-chose sur ce
sujet.
Par contre, nous avons un avis à donner sur les ondes qui sont
émises par les téléphones portables, au même titre
que les baladeurs, les fours à micro-ondes, et surtout les portiques de
détection anti-vols ou anti-armes des aéroports. Nous venons de
rendre un avis qui montre que ces produits interfèrent, pour un certain
nombre -en particulier certain portiques anti-vols et certains portiques
détecteurs d'aéroports- avec les défibrillateurs et les
pacemakers...
Or, il n'y a en fait pas eu d'études, et il existe des détecteurs
de tout type. Une équipe américaine, que nous avons
rencontrée, dispose bien à Chicago d'un centre d'études
qui a l'air très opérationnel et qui recense tous les
problèmes qu'il pourrait y avoir avec ce genre de matériel, mais
d'autres fabricants sont certainement moins vigilants.
Il existe donc, à la marge, interaction avec certains produits
médicaux -pompes à insuline et autres...
Par ailleurs, nous sommes également saisis sur le problème de la
vache folle par une nouvelle association de consommateurs, dont le
secrétariat est en Belgique et les fonds au Panama. Nous sommes
obligés de répondre à cette saisine, bien que nous ne
sachions pas ce qui se cache derrière cette association. D'autres
associations françaises se sont jointes à cette association, sur
un aspect très particulier du dossier. Il s'agissait en effet de savoir
si, dans le domaine du mouton, toutes les interdictions et toutes les
recommandations avaient bien été prises.
Or, beaucoup de commissions parlementaires et interministérielles, ainsi
que de grands scientifiques, se sont penchés sur ce sujet. Nous n'avons
ni les moyens, ni mêmes la compétence -bien que les textes,
très vagues et très larges, nous le permettent- pour traiter ce
problème. Nous n'avons donc pas voulu nous jeter dans ce dossier et nous
avons circonscrit notre domaine à l'information du consommateur.
Nous sommes en train de recenser auprès des différents
ministères techniques les informations publiées en direction des
consommateurs, pour voir si celles-ci sont claires, compréhensibles et
répondent aux questions que se posent les consommateurs au quotidien. A
ce titre, nous devons faire l'expertise d'un système 36-14 mis en place
par la DGCCRF.
D'autre part, nous avons récemment traité un dossier assez
original relatif aux répliques d'armes. Il s'agit de matériels en
plastique imitant parfaitement les armes. Nous avons été saisis
par des associations de consommateurs, car ces produits tirent de petites
billes en dessous du niveau de la réglementation des armes, mais
au-dessus de celle des jouets. Or, ces armes, utilisées de près,
peuvent entraîner des blessures à l'oeil, notamment chez les
enfants.
La commission a rendu un avis assez original en la matière : elle
souhaite en effet que le port quotidien de ces produits soit interdit, en
particulier dans les espaces publics que sont les écoles, ainsi que
l'établissement d'une déclaration d'achat. Elle recommande aussi
que des tests soient réalisés concernant la puissance des
projectiles, mais surtout, la commission a souhaité que l'interdiction
se fasse dans un esprit préventif psychologique, afin de pouvoir lutter
contre la violence à l'école.
C'est un peu une première... La commission a jugé qu'il
était temps de pallier les insuffisances de l'administration scolaire et
probablement des parents, en faisant en sorte que ce genre de produit
relativement dangereux soit interdit.
Par ailleurs, le ministère de l'intérieur souhaitait interdire
ces produits, utilisés pour agresser des individus et même des
policiers, qui peuvent répliquer sans connaître la nature exacte
de l'arme.
Il s'agit donc d'un dossier en apparence technique mais qui, pour une fois,
touche à la marge la santé mentale de la population.
Peut-être M. Nonin peut-il ajouter quelques mots à propos du
système de veille sanitaire...
M. François NONIN - Il s'agit d'un réseau fondé sur le
relationnel, que la direction de la concurrence et de la consommation
entretient dans chaque département avec les services d'urgence, les
établissements hospitaliers et les sapeurs-pompiers.
Dès l'instant qu'un incident est signalé, la direction le
recense. C'est ce qu'elle appelle un "système d'alerte". Elle
s'efforce
de faire entrer ces incidents dans des statistiques, afin de déterminer
les types d'incidents ou d'accident de la vie domestique recensés dans
chaque département.
Cela fonctionne bien lorsque le responsable de la DGCCRF s'investit dans
l'opération. Cela fonctionne moins bien lorsque les priorités ne
sont pas les mêmes dans un autre département. Il s'agit de quelque
chose de plus ou moins factuel, mais qui, dans certains cas, donne des
renseignements statistiques survenus dans certains départements. On ne
peut toutefois pas parler d'une carte de France des accidents domestiques
situés avec précision...
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous disiez que la motivation des associations
de consommateurs était moindre. Ces associations représentatives
considèrent-elles que l'essentiel du travail a été fait ou
n'est-ce plus dans l'air du temps ?
Mme Michèle VEDRINE - Les deux choses sont vraies. Au début, les
représentants des associations de consommateurs étaient
extrêmement motivés, ils avaient participé à la
préparation de la loi. Ils se sont donc engagés dans un domaine
où il n'existait quasiment pas de réglementation. Il y a pourtant
encore matière à procéder à des investigations dans
ce domaine, car nous voyons maintenant des produits étrangers ou plus
complexes, mais les associations de consommateurs reçoivent moins de
subventions de l'Etat.
L'INC, qui est devenue un outil qui évoluera peut-être même
vers un établissement de nature privée, a beaucoup moins de
relais médiatiques et moins d'argent. C'est également vrai pour
les autres associations de consommateurs, et le mouvement consommateur a
considérablement baissé.
C'est à nous, commission de la sécurité des consommateurs,
et au sens plus large, à l'Etat, à prendre le relais dans des
domaines que le consommateur n'imagine pas au quotidien, mais qu'il rencontrera
dans sa vie future. En effet, on constate actuellement un grand défaut
d'information et d'éducation, sanitaire en particulier, ainsi que de
prévention. Il faut donc bien que quelqu'un fasse ce travail...
Nous avons donc décidé de pallier l'insuffisance des
adhérents des mouvements de consommateurs, qui ne réagissent
qu'en cas d'accident. Ce jour-là, ils passent par leur avocat, et les
dossiers nous arrivent trop tard ! De plus, la crise économique ne rend
pas les choses simples : entre deux produits, comme des lits superposés
pour enfants, on choisira en effet le moins cher, sans se préoccuper des
problèmes de solidité ou d'inflammabilité !
Récemment encore, à Blois, deux enfants sont morts
asphyxiés par l'incendie de leur matelas. Les parents n'étaient
certainement pas au courant des problèmes d'inflammabilité,
même s'il existe un texte correspondant ! Dans un contexte de crise
économique, les gens choisiront le produit le moins cher et le plus
économique. Il n'y a que dans le domaine de la petite
puériculture -biberons, chauffe-biberons, produit à langer, etc.-
où il semble que les industriels français aient réussi
à faire admettre que le prix garantit la bonne qualité et la
fiabilité.
M. Claude HURIET, rapporteur - Le système d'alerte de la DGCCRF
fonctionne-t-il en réseau, ou bien les choses se font-elles en fonction
du terrain ?
M. François NONIN - C'est pour l'instant à l'initiative des
responsables de terrain. Il n'existe pas de synergie institutionnalisée.
Mme Michèle VEDRINE - ... Et avec nous non plus.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quelles sont les conséquences en termes
d'interprétations protectionnistes ? On peut en effet prétendre
que c'est au nom de certaines exigences de sécurité que l'on
refuse l'entrée en France de produits d'autres origines...
M. François NONIN - Même l'Union européenne commence
à se rendre compte des limites de la présomption de
conformité et de sécurité du marquage CE. En effet, ce
n'est pas la panacée et se reposer sur la seule responsabilité du
fabricant ou de l'importateur ne donne pas toujours les résultats
escomptés.
Suivant les pays, le niveau de responsabilité est
interprété différemment, de façon laxiste dans
certains pays et plus sévère dans d'autres. On a donc un niveau
de conformité à la sécurité différent
suivant les Etats membres...
Mme Michèle VEDRINE - Nous avons récemment vu un produit
bénéficiant du marquage CE dans un domaine où il
n'existait ni normes, ni réglementations. C'est un argument de vente, et
les structures industrielles d'Asie l'ont bien compris !
M. Bernard SEILLIER - Peut-on distinguer des associations de consommateurs
agréées partenaires de votre commission plus fiables que
d'autres ?
Mme Michèle VEDRINE - Il vaut mieux laisser libre cours à un
certain foisonnement... Trois associations sont représentées
à notre commission, mais un renouvellement de l'ensemble des membres de
la commission doit intervenir.
Il est probable qu'une nouvelle association va intégrer la commission
à la place d'une autre. C'est le ministre de la consommation qui a fait
le choix et qui a intégré une nouvelle personne, alors que
l'association n'avait pas été retenue par le CNC. Nous ne
connaissons pas les critères qui ont présidé à ce
choix, et nous ne sommes d'ailleurs pas officiellement au courant.
Je ne sais si cette association est plus dynamique que d'autres.... Nous
n'avons pas de rapports très étroits avec les différentes
organisations, en dehors des membres nommés et qui travaillent pour
nous. Ce sont d'ailleurs des gens tout à fait remarquables, mais les
associations nous saisissent très peu sur les produits.
Si je puis me permettre, je voudrais ajouter que les problèmes
d'éducation sanitaire sont très importants. Nous sommes saisis
très souvent sur des produits professionnels qui sont mis à la
disposition du grand public, entre autres par le biais de structures de
bricolage. Récemment, un enfant est mort des conséquences de
l'utilisation de produits utilisés dans les machines à laver
à sec en libre-service.
De même, on recense quelques déviances de la réglementation
relatives aux produits dangereux. Il existe en effet un marquage
extérieur sur les bouteilles, qui portent une croix de
Saint-André. En général, personne ne sait ce qu'est la
croix de Saint-André, contrairement à la tête de mort. Or,
le bouchon qui a été mis en place pour les enfants, est
extrêmement difficile à ouvrir, et les personnes
handicapées de la main ou les personnes âgées transvasent
ces bouteilles dans des bouteilles normales. La réglementation est donc
détournée, et l'on se retrouve avec des accidents que connaissent
les centres de toxicologie, cette réglementation préventive
devenant inefficace !
Pour en revenir aux machines à laver à sec, ces appareils
constituent des produits professionnels que l'on met à la disposition du
public, en recommandant de ne pas dépasser un certain volume de linge.
Dans un souci d'économies, tout le monde double en fait les
quantités. Dans le cas que j'ai évoqué, il y avait 18
kilos de produits là où il en fallait 7 ! La machine a mal
fonctionné et les rideaux sont sortis imprégnés de
produits toxiques. On les a néanmoins replacés dans la chambre,
on y a installé le bébé, chauffage à fond,
fenêtres fermées, et l'enfant est mort comme on pouvait le
prévoir !
Ces produits nouveaux mis à la disposition du public nous
inquiètent beaucoup, car ils peuvent provoquer des accidents
extrêmement graves.
B. AUDITION DE M. PHILIPPE GUÉRIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ALIMENTATION AU MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE, ACCOMPAGNÉ DE MM. BERNARD VALLAT, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, CHEF DU SERVICE DE LA QUALITÉ À LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L'ALIMENTATION (DGAL), ET RÉGIS LESEUR, CONTRÔLEUR GÉNÉRAL VÉTÉRINAIRE, DIRECTEUR DE LA BRIGADE D'ENQUÊTES VÉTÉRINAIRES
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous pourrions centrer cette
audition sur les responsabilités du directeur général de
l'alimentation en matière de sécurité et de veille
sanitaire. Quelles sont vos attributions dans le domaine des additifs
alimentaires et quelles sont les relations entre vos services et ceux d'autres
ministères qui ont en charge la veille sanitaire ?
M. Philippe GUÉRIN - S'agissant de la veille sanitaire proprement dite,
il faut rappeler que la réglementation française est directement
liée à toute la réglementation européenne. Il est
difficile de faire une séparation stricte entre les deux. Nous sommes de
plus en plus dans une réglementation d'origine communautaire, même
si tout n'a pas encore été transposé...
Cette réglementation s'appuie d'une part sur le code de la consommation,
notamment à travers la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et les
falsifications en matière de produits et de services, et d'autre part
sur le code rural, notamment à travers la loi du 8 juillet 1965 relative
au marché de la viande. Une autre loi très importante et plus
récente est celle du 10 février 1994, relative aux conditions de
mise sur le marché et d'introduction en France des produits d'origine
animale.
Ces textes sont fondateurs et complémentaires. Cette
complémentarité est indispensable à la surveillance de la
qualité sanitaire des produits.
Le code de la consommation s'intéresse aux produits et à leur
conformité par rapport au référentiel
réglementaire. Il s'agit donc de dispositions horizontales et assez
générales.
Le code rural que nous sommes chargés d'appliquer, quant à lui,
impose un contrôle sanitaire et qualitatif des denrées
alimentaires, mais également -et de plus en plus- des conditions de
production.
Il y a intégration entre le contrôle du contexte sanitaire dans
lequel fonctionnent les établissements de production et le
contrôle des produits eux-mêmes. Nous intervenons en particulier
pour délivrer les agréments sanitaires pour les
établissements de production, au stade de la production et de la
transformation. C'est un aspect parfois oublié, mais il serait
impensable d'imaginer que l'on puisse contrôler
l'intégralité de tous les produits, produit par produit,
notamment dans le domaine microbiologique, où tout contrôle
suppose une destruction du produit. C'est donc le contrôle des conditions
de production qui nous paraît le plus performant et le plus pertinent
dans le domaine agro-alimentaire.
Il existe deux types de textes : des textes sectoriels, qui couvrent les
aspects spécifiques de certaines productions -abattage, découpe
ou transformation des produits- et des arrêtés horizontaux, qui
couvrent l'ensemble d'un sujet à travers les différentes
activités de transport, d'entreposage et autres.
Quant aux moyens, les agents du ministère de l'agriculture,
essentiellement du service vétérinaire, sont qualifiés
pour la mise en oeuvre des deux codes dont je viens de parler.
Néanmoins, il existe une distinction, notamment vis-à-vis des
agents du ministère de l'économie et des finances, nos agents,
avec les pouvoirs qui leur sont conférés, ayant la
possibilité d'ordonner des mesures immédiates de police
administrative.
Ils ont donc des pouvoirs particuliers justifiés par leurs
compétences techniques et non pas seulement par leurs compétences
réglementaires définies dans les textes.
Ces pouvoirs sont importants. Il s'agit de la consigne des produits ou des
animaux, c'est-à-dire la possibilité d'interdire leur
commercialisation ou leur déplacement lorsqu'ils sont suspects et
nécessitent des examens complémentaires. La saisie, elle,
consiste à limiter l'usage de la denrée alimentaire par le
propriétaire de celle-ci. Ainsi, une denrée est saisie et
retirée du circuit commercial pour être détruite ou
destinée à une autre utilisation sous contrôle.
Le troisième pouvoir de ces agents est précisément la
détermination de ces utilisations particulières pour des
denrées qui, sans être insalubres au sens strict, ne peuvent
être en l'état livrés à la consommation humaine,
mais peuvent recevoir une autre destination.
Ces trois pouvoirs de police administrative offrent surtout la
possibilité d'agir très rapidement pour retirer du marché
certains produits dangereux, sans passer par une procédure judiciaire.
Certains problèmes de surveillance et d'organisation des contrôles
nécessitant une approche pluri-départementale, il n'est pas
impossible que, dans le cadre général de la réforme, une
approche régionale soit envisagée dans les mois qui viennent...
Par ailleurs, pour pouvoir mettre un produit sur un marché, une
entreprise doit bénéficier d'un agrément sanitaire,
matérialisé par un cachet. Il existe différents types
d'agréments, suivant que les produits peuvent ou non circuler sur
l'ensemble du marché communautaire ou être limités à
un marché local.
Ces agréments sont fondés sur des visites des
établissements, et également sur l'étude de leurs modes de
fonctionnement. Nous avons des pressions de contrôle des
établissements différentes selon les risques
générés par les types de production ou les
clientèles de ces produits, et nous avons par exemple des pressions de
contrôle plus fortes sur les maisons de retraite ou sur les
établissements de restauration scolaire.
Nous réalisons une inspection systématique spécifique dans
les abattoirs de boucherie. A la sortie des chaînes d'abattage, toutes
les carcasses sont examinées individuellement. Ceci est valable pour les
bovins. En revanche, pour les volailles, il n'est pas possible d'examiner un
par un tous les poulets, et nous avons donc des contrôles par lot. Nous
progressons vers des systèmes de certifications des élevages
permettant de certifier ces contrôles et de les faire de façon
plus aléatoire.
De plus, pour les contrôles des produits, des plans de surveillance sont
mis en oeuvre chaque année, qu'il s'agisse des produits laitiers,
microbiologiques, des résidus de médicaments, des pesticides, des
saumons fumés, des facteurs de croissance ou des anabolisants, des miels
ou de la radioactivité.
Il existe également un contrôle des importations des pays tiers
par le biais de postes d'inspection frontaliers. Pour ce qui est du
marché unique, nous réalisons des contrôles à
destination en allant contrôler dans les établissements, notamment
dans les entrepôts. Nous avons récemment complété
notre dispositif pour mieux surveiller les plates-formes de distribution, qui
sont toutes répertoriées dans nos fichiers.
Il peut se faire que certaines enquêtes soient ciblées, du fait de
suspicions ou du fait des besoins - vache folle, produits de la pêche...
Enfin, en cas d'accidents alimentaires, nous travaillons en étroite
liaison avec les autres administrations de la santé ou de la
répression des fraudes. Nous pouvons faire appel à d'autres
administrations, notamment les douanes, qui peuvent être utilisées
lorsque c'est nécessaire.
L'investigation a alors plusieurs buts. Il s'agit bien sûr d'identifier
la cause et la raison de l'accident, tant au niveau de l'agent pathogène
lui-même. C'est en général le travail du ministère
de la santé et le réseau national de santé publique.
Nous intervenons ensuite plus spécialement au niveau des facteurs qui
ont favorisé l'accident, en particulier dans les établissements
de production, en analysant les causes possibles : rupture de la chaîne
de froid, accidents de manipulation...
Nous pouvons ensuite intervenir, par le biais de la répression des
fraudes, afin de procéder au retrait des produits susceptibles de
répandre l'intoxication.
J'ajoute que les agents des services vétérinaires peuvent
être commissionnés pour tout ce qui touche à la protection
de l'environnement et au contrôle des établissements
classés pour les industries du secteur agro-alimentaire et de
l'élevage. On touche là au problème de la pollution de
l'air et de l'eau.
En ce qui concerne les maladies animales transmissibles -les "maladies
réglementées"- nous avons là-aussi un système de
contrôle dans les élevages, où notre réseau s'appuie
sur les vétérinaires sanitaires libéraux, qui ont un
mandat sanitaire qui leur est donné par les préfets, dans chaque
département, sous le contrôle du directeur des services
vétérinaires. Il existe, sous l'égide de l'administration
centrale, des actions de lutte contre ces maladies, dont nous suivons de
façon précise l'évolution. Il s'agit de la brucellose
bovine et caprine, de la tuberculose, de la rage.
Enfin, nos partenaires sont la Direction Générale de la
Santé, le Réseau National de la Santé Publique, la DGCCRF.
Nous nous coordonnons, qu'il s'agisse de l'élaboration de la
réglementation, de l'organisation de la mise en oeuvre, afin
d'éviter des doublons et pour la bonne exploitation des enquêtes,
de façon à recouper toutes les informations.
Il y a en outre des programmes d'enquêtes coordonnées, en liaison
avec les services, comme les opérations vacances, qui permettent de
lancer des opérations de contrôle spécifique dans des lieux
à forte fréquentation touristiques pendant les vacances.
Nous travaillons aussi en étroite liaison avec d'autres
ministères, comme celui du commerce et de l'artisanat, notamment pour
l'adaptation aux artisans et aux petites entreprises des réglementations
d'origine communautaire, qui peuvent se révéler très
lourdes.
Nous collaborons également avec les professionnels car, de plus en plus,
notre philosophie est celle des auto-contrôles et à la prise en
charge par les professionnels eux-mêmes du maximum de
responsabilités. Nous n'intervenons alors essentiellement qu'en
matière de prévention et de contrôle de second niveau.
Pour ce faire, nous nous appuyons sur des instances scientifiques comme le
CNEVA, mais aussi d'autres centres de recherche et d'appuis techniques
-CEMAGREF, INRA, CNRS, Institut Pasteur.
Bien sûr, nous avons besoin d'un réseau de laboratoires. Je sais
que c'est un sujet qui concerne particulièrement les élus locaux
que vous êtes. Nous disposons de laboratoires nationaux de
référence, dont certains interviennent mêmes au niveau
communautaire, mais nous avons besoin aussi d'un réseau de laboratoires
départementaux.
Nous devons poursuivre une réflexion de fond. Celle-ci a
été engagée et nous avons lancé une enquête
auprès de ces laboratoires départementaux, mais ce n'est pas
très probant, et nous avons besoin de fixer notre politique... Autant
nous avons besoin d'un maillage assez dense sur le territoire, autant il serait
inutile et très coûteux d'entretenir aux frais des
départements des laboratoires compétents dans tous les domaines,
tous les produits, toutes les méthodes d'analyse, etc. !
La concurrence avec les laboratoires privés se développe, ceux-ci
intervenant de plus en plus dans le cadre des auto-contrôles. Très
souvent, nous avons des conflits d'ordre commercial, aussi bien dans relations
fournisseurs-distributeurs que dans les échanges intra-communautaires ou
internationaux, avec des divergences de résultats d'analyses, et des
problèmes d'arbitrage qui ne sont pas évidents à
régler. Une vraie question se pose donc là...
Les professionnels doivent absolument être responsabilisés dans
cette affaire, et nous travaillons énormément avec les
fédérations horizontales, comme les coopératives
agricoles, mais également avec les fédérations verticales,
par secteur de production, ou encore l'artisanat.
Nous avons beaucoup soutenu la création des CLAQ -"centres locaux
d'action qualité"- regroupés au niveau national, de façon
à faire passer le message et changer la culture même des
entreprises, afin qu'elles prennent bien en compte ces problèmes
sanitaires.
J'ajoute qu'entre 1995 et 1996, nous avons multiplié par trois les
crédits consacrés à ces plans de surveillance, qui
touchent des substances aussi différentes que les facteurs de
croissance, les résidus de médicament vétérinaires,
les métaux lourds, les résidus de pesticide, les micro-toxines,
pour toutes les espèces animales domestiques -produits d'aquaculture,
volailles- mais également certains produits végétaux,
notamment en matière de recherches des métaux lourds.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je ne vois qu'une question à vous poser
concernant les attributions du laboratoire de la DGCCRF.
Celui-ci a à connaître d'un certain nombre d'incidents concernant
les produits alimentaires. Nous savons qu'il a travaillé sur la
listériose. Comment ce laboratoire se situe-t-il par rapport à
vos moyens propres ? Existe-t-il des relations entre vous ?
M. Bernard VALLAT - Le ministère des finances, par le biais de la
DGCCRF, effectue des contrôles de la distribution et a
diagnostiqué, au même titre que le ministère de
l'agriculture, en son temps, des problèmes d'existence de
listériose...
La première étude sur la listériose alimentaire a
été menée dans la région de Tours, en 1982-1983. A
cette époque, les techniques de laboratoire étaient
extrêmement longues et nécessitaient entre trois semaines et un
mois pour poser un diagnostic.
Sur des aliments vivants, dont la durée de destruction est de 8 à
10 jours, on connaissait le résultat d'une analyse alors que tout
était terminé ! Le problème a été de mettre
au point des techniques analytiques beaucoup plus rapides, et a
été le fruit d'un très gros travail de l'Institut Pasteur
notamment. Les laboratoires de la répression des fraudes ont
travaillé cette question, comme beaucoup de laboratoires, mais cela
remonte à quinze ans.
La listériose s'est révélée notamment aux
Etats-Unis, puis dans le canton de Vaud, en Suisse, et a amené une
réflexion extrêmement importante au sein du ministère de
l'agriculture. Le germe listérien était alors en devenir et
n'avait pas encore émergé. Il a émergé brutalement
dans les années 1982-1983. Nous avions à l'époque trois
germes en devenir, et l'on surveillait ce qui se passait. C'est le
listéria qui est sorti...
M. Claude HURIET, rapporteur - Qui était ce "on" ? L'ensemble de ces
laboratoires ? L'Institut Pasteur ?
M. Bernard VALLAT - ... L'Institut Pasteur et nous-même au titre de la
production. Aujourd'hui, bien sûr, tout cela est dépassé
par les techniques nouvelles...
Déjà, dans les années 1980, et même avant, la veille
sanitaire était la priorité du ministère.
M. Philippe GUÉRIN - Il existe plusieurs voies pour signaler ce type de
problèmes : d'une part les auto-contrôles de l'entreprise
elle-même, d'autre part les accidents sanitaires -et c'est la direction
départementale des affaires sociales et de la santé qui le
découvre. Aussitôt, le système se met en place.
Nous travaillons avec l'Institut Pasteur parce que c'est notamment au
laboratoire de l'Institut Pasteur qu'est conservée la mémoire de
toutes les souches. Or, ces germes ont des variabilités très
fortes, et il convient de faire très attention pour bien
déterminer à quel type on a à faire. C'est indispensable
pour les médecins, pour l'entreprise, et pour nous !
Nous disposons nous-mêmes de plusieurs laboratoires, dont le laboratoire
central de l'hygiène alimentaire, sous l'égide du CNEVA, ainsi
que de deux autres, qui sont directement sous le pilotage de la DGL, l'un
à Rungis et l'autre à Lyon. La DGCCRF en a un certain nombre,
spécialisés par secteur.
Il ne faut pas se cacher qu'il existe une certaine émulation entre ces
laboratoires, et que tout dépend des moyens budgétaires qui
peuvent être consacrés à ces affaires. Le ministère
des finances est le mieux doté et le premier servi, et
bénéficie d'un certain avantage par rapport à notre
réseau ou même à celui de la santé...
M. Claude HURIET, rapporteur - N'est-il pas logique, au nom de la
sécurité sanitaire et de la fiabilité des
résultats, d'avoir plusieurs laboratoires ? Dans nos propositions, il ne
faudrait pas, au nom de l'optimisation des moyens, aller dans le sens d'un
seul. Y a-t-il une réponse ?
M. Philippe GUÉRIN - Il y a d'abord une réponse au niveau de
l'accréditation. Il y a un problème de mise aux normes qui
suppose un énorme effort d'investissements et de changement profond des
modes de fonctionnement de ces établissements.
Cette accréditation aux normes européennes doit se faire
absolument. Elle ne pourra se faire partout, il ne faut pas se le cacher, et
c'est d'ailleurs le même problème pour les laboratoires
départementaux. Il y a accréditation sur tel type d'analyse ou de
recherche. C'est donc là qu'on trouvera les
complémentarités indispensables. Il serait ridicule de vouloir
couvrir le territoire de laboratoires au top niveau dans tous les domaines.
Cette accréditation doit se faire sous le contrôle d'un organisme
indépendant. C'est le comité français pour
l'accréditation, le COFRAC, qui a cette responsabilité. En outre,
même si la subsidiarité joue, il existe cependant aussi un
contrôle communautaire.
Toutefois, il n'existe pas de véritable harmonisation des
méthodes d'analyse entre les différents Etats européens.
C'est une source de conflits commerciaux, que l'on peut utiliser pour des
raisons économiques, des pressions politiques ou autres. C'est un biais
dont il faut être conscient..
M. Bernard SEILLIER - Qui va s'occuper du développement des aliments
à prétention thérapeutique, les "allégations de
santé", notamment les plantes dynamisantes ?
Par ailleurs, pourquoi une telle divergence d'appréhension entre les
Etats-Unis et nous-mêmes à propos de l'utilisation d'hormones dans
la croissance animale ? Scientifiquement, je n'arrive pas à comprendre
pourquoi...
M. Régis LESEUR - Depuis les accords de Marrakech, ces problèmes
entre Etats membres de l'OMC seraient susceptibles d'être
réglés par un tribunal genevois. En cas de litige, les
scientifiques seront censés départager les belligérants.
Pour pouvoir proposer une barrière tarifaire en matière
d'échange sur un produit, il faut donc pouvoir prouver qu'une base
scientifique existe.
Ces scientifiques peuvent toutefois être l'objet de pressions ou de
manipulations, et il existe donc des normes internationales fixées par
l'OIE -l'office international des épidopsies- pour les maladies
animales, ainsi que par le Codex alimentarius en matière de produits
alimentaires. En théorie, ce tribunal se base sur les normes de l'OIE ou
du Codex pour rendre son verdict.
Ceci date de deux ans seulement, et le premier panel qui concerne la France en
matière sanitaire est effectivement le panel réclamé par
les Américains, les Canadiens, les Australiens et les
Néo-zélandais sur le problème des barrières que la
Communauté oppose à ces pays utilisateurs d'hormones, dont
l'emploi se traduit par un différentiel de compétitivité
d'environ 10 %.
Le Codex alimentarius et ses 140 Etats membres, en juin, se sont
prononcés pour l'utilisation de certaines hormones ayant fait l'objet
d'études scientifiques. Cette assemblée a en effet
considéré que ces hormones étaient sans danger pour la
santé humaine, pour peu que l'on respecte certains délais dans
leur administration avant l'abattage.
La CEE ne tient pas compte de cet avis, ni de l'avis de la majorité de
ses propres scientifiques, qui affirment que les hormones sont sans danger si
elles sont utilisées correctement. Pourquoi ? ... Les hormones circulent
naturellement dans la plupart des organismes vivants, et en administrer
davantage suffisamment longtemps avant l'abattage prévient tout danger
chez l'animal arrivé à maturité.
M. François SEILLIER - Aux Etats-Unis, on dit qu'il faudrait consommer
un boeuf par jour pour encourir un risque quelconque...
M. Régis LESEUR - Il s'agit d'un problème purement
éthique, de perception par le consommateur d'un danger imaginaire -on
peut l'affirmer au plan scientifique. Cette opinion majoritaire masque
certainement une certaine aspiration au retour à la nature, à la
recherche du vrai, le mal-être urbain...
M. Philippe GUÉRIN - Concernant les allégations de santé,
on assiste en effet à une tendance au développement de ce type de
produits. Pour le moment, ceci est rigoureusement interdit en France. Les
allégations fonctionnelles sont toutefois permises dans certaines
conditions, sous contrôle étroit et étiquetage particulier.
Objectivement, il faut reconnaître que le système de coordination
est compliqué. Les trois commissions existantes ont des secteurs de
recouvrement de plus en plus importants : commission sur les alimentations
particulières, commission sur la publicité et conseil
supérieur d'hygiène publique de France. Ces trois groupes sont
chargés d'émettre des avis sur l'autorisation, le choix de
production et de mise en distribution, sous une forme ou une autre -grande
distribution ou filière canalisée- ainsi que sur la
publicité ces produits.
On retrouve d'ailleurs les mêmes acteurs : santé et fraudes. Bien
sûr, les secrétariats sont différents, les
présidents également. La procédure est toutefois un peu
lourde...
On voit en effet se développer aujourd'hui la "nutrationique". Il
s'agit
de tendances qui ont déjà commencé outre-atlantique
notamment, et l'on sent effectivement une pression de la part de grands
industriels multinationaux pour commercialiser ce type de produits un jour ou
l'autre sur notre marché.
Au Sial, on voit des choses étonnantes dans ce domaine. A "Bercy
expo",
il y a même une sorte de forum permanent d'innovations agro-alimentaires,
ou l'on peut voir des produits japonais ou autres à faire dresser les
cheveux sur la tête...
C'est une tendance très forte et un enjeu considérable pour nous
et pour l'agro-alimentaire français en particulier. Il y a sans doute
des questions d'éthique, mais on peut aussi se poser des questions pour
la santé du consommateur lorsqu'on voit le pourcentage d'obèses
aux Etats-Unis. Tout est permis là-bas, à condition qu'on le
mette sur les étiquettes, mais on voit ce que cela donne !
Il faut quand même faire attention dans ce domaine, et ne pas aller trop
vite. Il y aura de toute façon des problèmes de contrôle,
car on est à la limite du médicament...
M. Dominique LECLERC - Existe-t-il un observatoire ?
M. Philippe GUÉRIN - Oui, nous avons l'observatoire des consommations
alimentaires. C'est un exemple de bonne coordination, puisque la consommation
alimentaire a un coût annuel de 6 millions de francs et que nous en
prenons en charge 35 %, tout comme les fraudes, le reste étant
assumé par la santé.
Chaque année, un programme nous permet de suivre l'évolution des
consommations et d'évaluer les risques. Le risque, c'est le produit
d'une dangerosité par une probabilité. L'observatoire, en
fonction de tel ou tel produit, nous permet d'orienter notre politique, notre
contrôle, et permet d'aller jusqu'à l'interdiction de mise en
vente.
Le risque peut être nul, même avec un danger très fort, si
la probabilité est nulle. A l'inverse, si la dangerosité est
faible mais la probabilité forte, le risque peut être important.
M. Dominique LECLERC - De quels moyens disposez-vous pour anticiper les risques
en termes scientifiques et en termes d'observation ?
M. Philippe GUÉRIN - Nous avons publié un Livre blanc qui dresse
l'état de la question après dix ans d'expérience.
Le principe de précaution est appliqué depuis le début
dans le domaine des organismes génétiquement modifiés,
sous le contrôle d'une commission scientifique composé de gens
indépendants, issus de différentes disciplines, qui travaillent
en étroite liaison avec le comité national d'éthique.
Les travaux de cette commission sont le point de passage obligé avant
tout essai de dissémination d'une plante sur le terrain -et avant
même l'autorisation de mise sur le marché, maintenant
délivrée par Bruxelles après consultation des Etats
membres- ou l'utilisation de vaccins, comme celui contre l'hépatite,
également obtenus par génie génétique.
Dans le domaine de la production animale, rien n'a été fait
aujourd'hui, car nous sommes extrêmement prudents...
Par ailleurs, nous avons chargé la CNEVA de nous signaler les risques
d'apparition de nouvelles maladies à une échelle potentiellement
dangereuse pour nos populations.
Il existe donc un système d'anticipation fondé sur des travaux de
laboratoire, la surveillance de la littérature scientifique mondiale et
la veille scientifique. A cet effet, le CNEVA est relié à
Internet.
C'est un autre sujet de débat sur la veille technologique et
scientifique, dans le cadre ce qu'on appelle " l'intelligence
économique ", dont je pourrais vous parler des heures, faisant
partie du comité de pilotage de l'intelligence économique,
dirigé par M. Jean Picq, secrétaire général de la
défense nationale. C'est un sujet passionnant, et pour lequel il y a
beaucoup à faire...
V. SÉANCE DU MARDI 12 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DU PROFESSEUR JEAN-MICHEL ALEXANDRE, DIRECTEUR DE L'ÉVALUATION À L'AGENCE DU MÉDICAMENT
M. Claude HURIET, rapporteur - Monsieur le Professeur, au nom
de la mission, j'ai grand plaisir à vous accueillir pour cette audition.
Je vous propose de nous dire d'abord quelles sont vos responsabilités
aux plans national et européen, ainsi que l'état de vos
réflexions sur le sujet qui intéresse la mission de la commission
des affaires sociales.
Je voudrais également excuser le président Descours, qui
prépare une conférence de presse sur le projet de loi de
financement de la Sécurité sociale.
Monsieur le Professeur, vous avez la parole...
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Je suis actuellement directeur de
l'évaluation à l'Agence du médicament, qui comprend cinq
directions correspondant aux trois activités de base, et portant
essentiellement sur le médicament.
La direction de l'évaluation, dans laquelle je travaille, procède
à l'évaluation des médicaments avant l'autorisation de
mise sur le marché. La deuxième direction est celle des
études et de l'information pharmaco-économique. Il s'agit aussi
d'évaluation, mais avec une composante économique pour la
publicité et la transparence du médicament. La direction des
laboratoires et des contrôles a pour objet de contrôler, dans des
laboratoires d'analyse, les produits pharmaceutiques et les
spécialités. La quatrième direction est celle des
établissements et de l'inspection, celle-ci pouvant être
diligentée dans des établissements pour vérifier et
contrôler les modes de production et de fabrication, faire des
prélèvements qui sont envoyés au laboratoire de
contrôle. Enfin, la direction des affaires générales
s'occupe du budget des personnels, de l'informatique et de toute la logistique.
Je suis entré dans cette administration dès sa création,
en 1993. Précédemment, j'étais l'un des experts de la
direction de la pharmacie et du médicament. J'avais commencé
à collaborer avec le ministère de la santé en 1976, en
tant que pharmacologue à l'hôpital Broussais, où je suis
actuellement chef de service, pour encore 25 % de mes activités.
Mme Veil avait demandé la création d'une commission de
contrôle des dictionnaires de spécialités pharmaceutiques,
et, de 1976 à 1985, nous avons refait le dictionnaire Vidal.
En 1985, j'ai pris la présidence de la commission d'autorisation de mise
sur le marché. J'étais à ce titre expert externe à
l'administration. Parallèlement, j'étais membre de la
représentation française du médicament à Bruxelles,
au comité pharmaceutique et, progressivement, je suis devenu
vice-président puis président de ce comité.
Du fait de cet ancrage européen et de la création, en 1993, de
l'Agence du médicament, mon choix a été de consacrer
l'essentiel de mes activités aux tâches administratives, à
la fois françaises et européennes, dans la mesure où
démarrait en même temps l'Agence française du
médicament et, en 1995, le nouveau système européen du
médicament.
Il s'agit donc d'un passage dans l'administration, et je retournerai
très certainement pour un certain nombre de mois ou d'années
à mes activités initiales hospitalo-universitaires...
L'Agence du médicament est considérée au niveau
international comme l'une des plus performantes. Sur les quinze Etats membres
de l'Union européenne, trois à quatre agences tiennent
actuellement le haut du pavé grâce à leurs performances
dans tous les domaines, et essentiellement dans les domaines indissociables de
l'autorisation de mise sur le marché et de la pharmaco-vigilance.
Il s'agit du Royaume-Uni, de la Suède, de la France. La
République fédérale allemande a d'énormes moyens,
mais des performances très médiocres, qui ont valu une visite de
parlementaires au ministère de la santé et à l'Agence du
médicament, pour savoir comment améliorer le système
allemand, qui est malheureusement scindé en deux entités, l'une
traitant des médicaments d'origine chimique et des dispositifs
médicaux, et l'autre s'occupant des produits biologiques.
Certains pays, disposant de moyens plus réduits, sont néanmoins
considérés comme efficaces (les Pays-Bas, le Danemark et
l'Irlande sont dotés de moyens nouveaux...).
L'Agence du médicament construit la sécurité sanitaire, la
surveille et corrige s'il y a lieu. Ce sont des activités
indissociables. La sécurité se construit dès lors qu'il
est demandé aux firmes pharmaceutiques désirant mettre un
médicament sur le marché de répondre à des
exigences, tant en termes de qualité que d'efficacité et de
sécurité.
Le dispositif d'évaluation et d'autorisation de mise sur le
marché, qui comprend la commission d'autorisation de mise sur le
marché, s'attache à vérifier que ces exigences sont
satisfaites dans les trois domaines, comme par exemple, pour un produit
biologique, la sécurité virale : quels sont les tissus d'origine
humaine ou animale qui ont servi à préparer un médicament,
leur origine -par exemple bovine ? Quelles sont les garanties sur le cheptel de
départ, les tissus utilisés ? Quelles sont les modalités
de production ? Comment vérifie-t-on la sécurité virale ?
Quels sont les tests utilisés ? Comment suit-on cette
sécurité virale ? Ceci touche au dossier pharmaceutique...
Les études chez l'animal et chez l'homme précèdent ensuite
l'autorisation de mise sur le marché. Les produits ne peuvent être
commercialisés qu'après une autorisation, qui repose sur une
évaluation technique très poussée des meilleurs experts
français dans les différents domaines.
Bien entendu, il est dès lors mis sous surveillance sanitaire ou
pharmaco-vigilance. Cela consiste à suivre le médicament dans le
domaine de la sécurité, de la collecte des effets
indésirables, de leur évaluation, à des fins pratiques, et
à prendre des décisions, chaque fois qu'il en est besoin,
veillant, qui consistent dans les cas les plus simples, à modifier une
information -la rubrique des effets indésirables, le mode d'utilisation-
ou à attirer l'attention sur les précautions d'utilisation, ou
mettre en garde contre tel et tel facteur de risque, ou aussi à
contre-indiquer.
S'il en est besoin, les indications sont restreintes en fonction du rapport
bénéfice-risque, et s'il en est toujours besoin, le
médicament est suspendu ou retiré du marché. De plus en
plus, ces actions réglementaires initiées au niveau national sont
poursuivies au niveau communautaire et international.
Nous avons grossièrement les mêmes médicaments dans les
différents Etats membres. Dès lors qu'un problème de
santé publique est apparent dans l'un des Etats, le même
problème existe donc dans les Etats voisins. Une démarche
harmonisée vers le même processus de décision est de plus
en plus nécessaire.
Le système français est loin d'être parfait, mais cependant
tout à fait efficace pour la collecte des effets indésirables.
Ainsi, l'année dernière, nous avons dû avoir 30.000 effets
indésirables pour les 5.000 principes actifs, 8.000
spécialités et 12.000 présentations. Dix mille effets
indésirables plus ou moins liés aux médicaments, dans le
cadre des essais cliniques, ont été considérés
comme graves. Les effets indésirables graves nous sont notifiés
dans le cadre des autorisations temporaires d'utilisation, qui correspondent
à l'usage compassionnel ou à une utilisation relativement large
de cohortes faites avant l'autorisation de mise sur le marché, comme
pour les inhibiteurs dans le traitement du sida.
On a en effet traité en France, avant l'autorisation de mise sur le
marché, selon des protocoles thérapeutiques, 13.000 à
15.000 malades. A partir de l'expérience française, des effets
hémorragiques accrus ont été mis en évidence chez
les hémophiles, et toute la Communauté internationale a
bénéficié de ces observations.
Bien entendu, ces données ne sont pas exhaustives et ne peuvent jamais
l'être.
Au Royaume-Uni, la pharmaco-vigilance a une efficacité comparable. Les
autres pays sont loin derrière. La liste de la moitié des effets
indésirables émane directement des médecins prescripteurs,
par l'intermédiaire des centres régionaux. L'autre moitié
provient des industriels. On vérifie qu'il n'existe pas de
recoupements...
Ce recueil des effets indésirables performant, même s'il n'est pas
exhaustif, est lié en France à l'existence de 31 centres. C'est
un exemple de décentralisation. Nous recevons parfois la visite de
collègues étrangers qui veulent monter leur système et
prennent la décentralisation et les centres régionaux en exemple.
Ce réseau à larges mailles -chaque centre doit couvrir 2 millions
d'habitants- permet de faire remonter à l'Agence du médicament le
plus rapidement possible les effets indésirables graves, sur lesquels il
est nécessaire de prendre des mesures.
L'expérience montre que lorsqu'un médicament nouveau est mis sur
le marché, les effets qui ne pouvaient apparaître dans le dossier
d'autorisation de mise sur le marché, lorsqu'ils sont très
graves, sont mis en évidence par le système dans les 6 à
12 mois.
Certes, ce réseau peut être amélioré. On peut,
à l'intérieur de chaque maille, envisager des
sous-réseaux, avec des pharmaciens d'officine, ou un réseau plus
fin de généralistes, permettant de recueillir des informations
sur le mode d'utilisation de certains médicaments et les posologies
ainsi que des informations sur tel et tel type de médicament.
Il s'agit de signaux, et ces signaux sont de nature à déclencher
une alerte. Ils ne nécessitent pas l'exhaustivité. On ne pourra
de toute façon jamais forcer les médecins prescripteurs à
notifier. Il faut les sensibiliser... Le système fonctionne dès
lors qu'une partie significative des prescripteurs, par l'intermédiaire
des centres régionaux ou des firmes pharmaceutiques, nous font remonter
les effets indésirables.
Ce sont là les données de base. Beaucoup de pays ne les ont pas,
et je crois qu'on peut être tout à fait satisfait de ce
système de recueil, même s'il peut être
amélioré.
Par ailleurs, si l'on tarde à évaluer ou si l'on évalue
mal, le système ne fonctionne pas.
Enfin, le plus difficile est le processus de prise de décision. Lorsque
la décision n'est pas bonne, on arrive à des catastrophes !
Ainsi, l'année dernière, trois publications correspondant
à des études épidémiologiques ont montré une
augmentation des thromboses veineuses des membres inférieurs -des
phlébites- chez les femmes prenant des contraceptifs oraux incluant des
progestérones de troisième génération, par rapport
à d'autres pilules contenant des progestatifs plus anciens de
première et seconde génération.
L'augmentation du risque était faible -facteur 2. On passait de 15
incidents sur 100.000 à 30, sachant que ces accidents ne sont mortels
que dans 1 % des cas, soit une augmentation faible du risque, le risque
était lui-même relativement modéré au départ.
La décision, au Royaume-Uni, a été pratiquement de
contre-indiquer du jour au lendemain les pilules de troisième
génération, malgré les biais qui peuvent expliquer les
différences. Cette décision a déclenché une panique
dans le public : des centaines de milliers de femmes ont arrêté la
prise de contraceptifs. Le nombre d'interruptions volontaires de grossesse a
augmenté de façon drastique et, 9 mois après, on a
assisté à une poussée de natalité.
La même chose s'est produite en Allemagne, où 700.000 femmes ont
arrêté leur contraception, avec malheureusement des avortements et
aussi des naissances. Les autres pays n'ont pas bougé. Nous avons fourni
l'information la plus précise possible en expliquant ce qui avait
été observé, précisant que, pour l'instant, il n'y
avait pas de réponse et que le niveau de risques, même si on
pouvait lier les éléments observés à la pilule, ne
méritait pas de prendre des mesures draconiennes.
La vigilance ne se résume donc pas seulement à la collecte des
effets indésirables et à leur évaluation, mais consiste
aussi en une prise de décision. J'ai personnellement assisté
assez souvent au comité des spécialités pharmaceutiques
où, à partie de la même évaluation, on arrive
à des prises de décisions différentes.
J'ajoute que ces prises de décision reposent sur une évaluation
du risque par rapport au bénéfice. De toute façon, les
modifications réglementaires se font par le biais de l'autorisation de
mise sur le marché, qu'il s'agisse de l'information contenue dans les
dictionnaires de spécialités ou sur les notices de
conditionnement, de restrictions du domaine d'utilisation ou de mises en garde.
Cette fonction d'observatoire un peu statique n'est toutefois pas suffisante en
elle-même. Il existe certains domaines ou les signaux permettent de
déclencher une alerte, mais en aucune façon de conclure. Pour
pouvoir avancer dans le domaine de la connaissance et en matière de
sécurité sanitaire, il convient de démarrer des
études épidémiologiques, complément de la
notification spontanée.
Second exemple : les substances dites anorexigènes ou coupes-faims.
Depuis dix ans au moins, nous possédons des notifications d'hypertension
artérielle pulmonaire associée à la prise
d'anorexigènes. L'association dans le temps ne suffit pas à
démontrer totalement la relation de cause à effet, d'autres
facteurs pouvant intervenir, d'autant que la tension artérielle
pulmonaire est une pathologie mal connue. De plus, le niveau d'observation
était modeste, puisqu'on dénombre deux cas d'hypertension
artérielle pulmonaire par million d'habitants. Même en multipliant
le risque par cinq, cela ne fait que peu d'observations...
Il a fallu une étude épidémiologique pour démontrer
que le risque relatif était augmenté de cinq à dix fois
-quelquefois plus. La veille sanitaire doit donc être
complétée chaque fois que de besoin par des études
épidémiologiques.
Ceci pour dire qu'en matière de médicament, la
sécurité sanitaire se construit par la bonne maîtrise d'un
produit biologique en aval. Sauf accident ou incident non prévisible, il
ne doit pas y avoir de transmission de maladies virales.
Par ailleurs, la vigilance doit être intégrée à
l'évaluation permanente du médicament pour une meilleure
définition du rapport bénéfice-risque.
La séparation entre l'évaluation d'une part et la vigilance de
l'autre ne paraît donc pas justifiée. Je pense que ceci n'existe
dans aucun pays au monde, bien au contraire, puisqu'on a besoin à tout
moment de connaître les effets indésirables pour adapter
l'information et réguler le statut du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur - Certes, les deux démarches sont
très liées, mais le champ de notre réflexion doit-il
être le même pour ce qui est sécurité sanitaire des
produits et pour ce qui est veille sanitaire ?
En effet, certains incidents ou événements pathologiques peuvent
être liés à autre chose qu'à un produit à
finalité thérapeutique. Si l'on établit un système
de plus en plus performant en ce qui concerne la veille sanitaire pour les
produits à finalité thérapeutique, qu'adviendra-t-il
d'autres domaines comme l'alimentation ou les produits industriels ? ... Le
système de veille peut donc avoir un champ plus large que le champ dans
lequel doit se situer principalement la réflexion quant à la
sécurité sanitaire des produits...
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Il existe des coordinations avec
l'hémo-vigilance, la matério-vigilance, et celles-ci fonctionnent
très bien.
La toxico-vigilance, par contre, est une catastrophe ! Elle devrait être
gérée par la DGS. Nous n'y avons pas accès. Les
comités ne se réunissent pas. L'Agence a demandé à
en faire partie, mais on lui a répondu que cela ne la regardait pas. La
gestion des centres anti-poison par la DGS n'est pas la meilleure possible. La
DGS nous renvoie sur les centres anti-poison, que l'on connaît pour
travailler avec eux, mais on rencontre des problèmes de ce
côté là !
Des structures spécifiques, telle la DGS, qui ont en charge beaucoup
d'activités, sans spécialisations poussées ni moyens
adéquats, paraissent donc -à tort peut-être- à
moitié fonctionnelles...
Quant à la bio-vigilance, celle-ci va probablement se monter. Nous
sommes tout à fait au départ. Pour ce qui concerne l'Agence, tout
ce qu'on applique déjà aux produits biologiques s'appliquera
rigoureusement de la même façon aux vaccins.
Aux Etats-Unis, l'administration a en charge les retraites, les aides, les
enfants et la famille, les personnes âgés. Il existe
également des centres pour le contrôle et la prévention des
maladies -dont je ne suis pas persuadé qu'on a l'équivalent en
France- des instituts de recherche sur différentes pathologies, sorte
d'INSERM à vocation de recherche plus appliquée, ainsi qu'une
agence sur l'hygiène de l'environnement et sur la médecine du
travail...
A l'intérieur de la "food and drug administration", on trouve une
direction chargée des produits chimiques, une direction chargée
des produits incluant la thérapie génique et cellulaire, un
centre de médecine vétérinaire. Il existe également
un centre pour la sécurité des aliments et la nutrition
appliquée, un centre pour les dispositifs médicaux et les
produits de radiologie, un centre pour la toxicologie de recherche et, enfin,
un centre pour les médicaments orphelins.
Des réunions d'évaluation communes sont organisées entre
centres traitant des médicaments chimiques, des produits biologiques,
vétérinaires, aliments et dispositifs médicaux. Tout ceci
a été fait au sein d'un même organisme qui avait tous les
moyens de recueil et de collecte des informations, d'évaluation, de
contrôle et d'inspection. Cela a constitué une force de frappe
considérable...
Même si on a toujours reproché à la "food and drug
administration" un dispositif atrocement lourd, doté de milliers de
fonctionnaires, il faut reconnaître que ces structures sont quelquefois
fort efficaces et composées de professionnels de la
sécurité pharmaceutique, médicale et scientifique. On sort
là des agents d'administration centrale, qui ont une culture plus
réglementaire et de gestion : il s'agit de structures très
techniques, très scientifiques, qui peuvent d'emblée
déclencher l'alerte, procéder à l'évaluation et
préparer les instances décisionnelles à la décision.
La prise de décision est d'autant plus facile que l'on trouve en aval
des structures techniques relevant du service public et faisant appel à
des experts externes tout à fait performants, sachant que le processus
de décision est l'étape la plus contraignante, la plus difficile
et la plus dangereuse.
Je crois qu'il avait été envisagé dans le rapport de M.
Serrou qu'une coordination soit établie à la DGS... Je ne suis
pas sûr qu'une structure supplémentaire permette
d'améliorer les choses ! Il faut en fait des structures
spécialisées destinées à évaluer les
bénéfices et les risques.
Ainsi, si l'on est prêt à accepter certains effets
indésirables de la chimiothérapie, en revanche, lorsqu'on veut
traiter une affection bénigne, le niveau d'effets indésirables
est très bas. On ne peut se couper de tout effet indésirable -il
en existe toujours avec les médicaments- mais ils doivent être
ramenés au niveau du bénéfice. Dès lors que le
rapport bénéfice-risque apparaît contestable, ou
négatif, des mesures réglementaires s'imposent.
Je crois donc que ce serait une erreur profonde de dissocier la vigilance de
l'évaluation qui doit être menée au quotidien...
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS - Je suis préoccupée par
l'indépendance de l'Agence du médicament. Quels sont aujourd'hui
les règles qui vous permettent de porter l'appréciation la plus
objective possible et de prendre des décisions en dehors de pressions
d'ordre économique ?
D'autre part, devrait-on selon vous créer des structures performantes,
comme celles du sang, dans le domaine de la toxico-vigilance ou plutôt
vous confier un champ plus large dans ce domaine ? Pourriez-vous
l'intégrer ? Revendiquez-vous un élargissement de vos
compétences, et dans quels domaines ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - La pression économique ne s'exerce pas. La
direction de l'évaluation et de l'information pharmaco-économique
intègre une composante économique, mais il est demandé
à la commission de la transparence de donner un avis aussi objectif que
possible sur le service médical rendu et amélioration de celui-ci.
Depuis 1978, aucune pression n'a jamais été exercée -sauf
peut-être dans deux cas tout à fait exceptionnels.
L'évaluation porte en effet uniquement sur trois critères :
qualité, efficacité, sécurité. La notion
économique intervient en aval, mais à chacun sa
responsabilité, car, dès lors qu'on mélange les genres, il
n'y a aucune façon de s'en sortir !
Bien entendu, c'est le directeur général de l'Agence qui prend la
décision d'autoriser la mise sur le marché, mais les
autorisations doivent être adressées au ministère de la
santé quinze jours avant, et le ministre peut s'y opposer en cas de
problème de santé publique.
Dans le dispositif précédent, c'était le ministre qui
prenait la décision de mise sur le marché. En tant qu'individu,
il me paraîtrait déplacé qu'une structure -même
indépendante- soit totalement coupée du ministre de la
santé...
Par ailleurs, pour ce qui concerne la thérapie cellulaire et
génique, la coordination entre les établissements de transfusion
sanguine, l'Etablissement français des greffes et l'Agence
française du sang se mettra en place progressivement. On ne peut faire
autrement que de travailler avec eux. En matière de
sécurité virale, l'Agence du médicament a
déjà aidé à résoudre un certain nombre de
problèmes... Ceci continuera, car il ne peut en être autrement.
S'agissant de la toxico-vigilance, je ne pense pas que le directeur de l'Agence
a des revendications en la matière... Nous avons un domaine
d'activités et notre objectif est d'y répondre le mieux possible,
mais nous ne sommes pas encore dans une situation totalement stabilisée.
Par ailleurs, nous commençons à consacrés de plus en plus
d'efforts en fonction des moyens qui nous sont alloués aux
activités de fond touchant à la formation et à la
validation des produits...
Je ne pense pas que l'Agence a atteint un palier de fonctionnement, car des
activités nouvelles nous sont confiées -RMO, thérapie
cellulaire et génique. Or, nous manquons toujours d'outils, en
particulier informatiques...
Il n'y a pas encore une pleine synergie entre l'évaluation, le
contrôle et l'inspection, et l'on peut faire beaucoup mieux ensemble,
l'Agence ayant continué sur la même voie que celle de la direction
du médicament et amplifié le système.
En revanche, l'inspection est actuellement en croissance, et je pense que dans
quelque mois, elle sera efficace.
La direction des laboratoires et des contrôles, elle, a
hérité d'une situation foncièrement mauvaise...
Je crois que c'est à vous d'orienter les choses vers la mise en place de
structures performantes et autonomes, dotées de réels moyens
d'actions. Savoir si elles doivent exister séparément ou
être placées dans la même enveloppe est un problème
d'opportunité et de gestion.
Certes, on peut faire des économies de gestion en regroupant les
activités dans la même entité, mais quelle structure sera
capable de coordonner "n" activités de la façon la plus efficace
et la plus rapide ? ... Je ne dis pas qu'on ne pourra relever le pari, mais ce
sera difficile. Peut-être faut-il le faire progressivement -si vous
envisagez de l'ajouter aux activités de l'Agence- pour les
métiers que nous connaissons le mieux, ou du moins pour lesquels nous
avons quelques compétences.
M. François AUTAIN - Concernant la matério-vigilance, nous avons
une communication impressionnante sur le peu de contrôles auxquels
étaient soumis les dispositifs médicaux.
Quel rôle jouez-vous dans ce domaine ? Ne peut-on améliorer les
choses et, si oui, de quelle façon ?
D'autre part, quelle forme revêt le réseau d'informations
chargé de vous communiquer les effets indésirables des produits ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - S'agissant du médicament, on peut tout
envisager pour collecter les informations sur les effets indésirables :
ce qui compte, c'est l'efficacité ! Cela se fait par les réseaux,
les prescripteurs, les pharmaciens. On peut parfaitement imaginer qu'un certain
nombre d'acteurs de santé s'investissent dans une remontée
d'informations de façon plus systématique. L'important serait
qu'ils soient sensibilisés à l'intérêt du
problème et aient une information en retour...
Le système de pharmaco-vigilance est certes performant, mais l'on doit
progresser et conduire plus d'études qu'actuellement. Il faut
également systématiser la collecte d'informations. Cela peut
être fait à l'intérieur d'un département ou d'une
région, sous la forme de réseaux : un centre régional de
pharmaco-vigilance intégré dans un hôpital peut
étendre son domaine d'activités en ville et avoir son
réseau de médecins généralistes, de pharmaciens.
Enfin, on peut améliorer le retour d'informations.
Nous informons mal car l'information, une fois que le problème est
réglé, ne sollicite pas l'attention. Il est difficile, dans une
administration décentralisée, de faire sortir une information. En
effet, une fois l'autorisation obtenue, l'information est
dépassée, mais je crois que notre rôle est d'informer de
façon continuelle et adaptée.
Quant aux dispositifs médicaux, dans certains pays, ceux-ci se trouvent
dans la même structure que l'évaluation du médicament,
comme en Allemagne. Dans certains cas frontières, on a beaucoup de
difficultés à dire ce qui revient au médicament et ce qui
revient aux dispositifs médicaux : ainsi, dans certains problèmes
liés à la qualité et la sécurité virale,
l'élimination des effets indésirables sont très proches.
Certains dispositifs médicaux font appel à des
médicaments, notamment comme produits auxiliaires. De façon
générale, on va, par la certification, vers une garantie de plus
en plus grande de ces dispositifs, et cette évolution se fait dans le
bon sens. Il ne s'agit pas d'une autorisation, mais rien n'empêche de
procéder à une évaluation complexe et sophistiquée
des produits qui le méritent !
Ces évaluations peuvent être réalisées dans une
structure particulière, mais l'on peut également envisager,
immédiatement ou à terme, de prendre les dispositifs
médicaux en charge. C'est une question d'opportunité...
M. François AUTAIN - Cette structure existe-t-elle ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Actuellement, c'est la direction des hôpitaux.
Je ne connais pas les moyens mis en oeuvre, ni comment elle fonctionne... Pour
les contacts et la coopération, les choses se passent actuellement bien,
dans la mesure où l'on a des correspondants et où l'on travaille
ensemble. Je ne sais si la structure actuelle est suffisamment performante,
mais nous ne fonctionnons pas en aveugle.
M. Claude HURIET, rapporteur - La Suisse peut-elle servir d'exemple dans le
domaine du médicament ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Je suis incapable de répondre : en effet, la
Suisse n'étant pas dans l'Union, elle ne se trouve pas à Londres
chaque mois.
M. Claude HURIET, rapporteur - Que proposeriez-vous -en dehors des suggestions
que vous avez déjà émises- pour optimiser les structures
existantes et de celles qui sont agréées ?
M. Jean-Michel ALEXANDRE - Ce serait une erreur que de dissocier la vigilance
du reste des activités.
Par ailleurs, l'évaluation des techniques doit se faire avec les
meilleures compétences, et il faut donc des structures adaptées,
très techniques, ce qui pose pour les services relevant du domaine
public des problèmes de recrutement : la grille des fonctionnaires
ignore en effet ce qu'est un chef de clinique, qui est recruté au
même niveau salarial qu'un médecin qui n'est pas passé par
l'internat et qui n'a pas été chef de clinique !
Enfin, il est nécessaire d'établir un contrôle, de disposer
d'une transparence et d'une coordination. On peut, pour ce faire, soit
structurer les coordinations -chose qui se fait en général tout
seul, car on ne peut fonctionner de manière isolée- soit
prévoir des structures communes. C'est à vous d'en voir
l'opportunité. Je suis mal placé pour le faire...
VI. SÉANCE DU MERCREDI 20 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. BERNARD MESURÉ, PRÉSIDENT ET DE M. BERNARD LEMOINE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE (SNIP)
M. Claude HURIET, rapporteur - Je vous remercie d'avoir
répondu à la mission, vous en connaissez les thèmes.
A l'occasion des auditions et du travail effectués par la Commission,
nous nous sommes rendu compte qu'il était utile d'analyser les
conditions dans lesquelles actuellement, la sécurité sanitaire
des produits était assurée en France, de faire une analyse
critique qui pouvait conduire à constater, sans préjuger de son
résultat, ce qui marchait bien et les domaines dans lesquels les
procédures de sécurité sanitaire étaient
insatisfaisantes.
Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment vous analysez dans le
domaine qui est le vôtre essentiellement -le médicament- les
procédures assurant la sécurité sanitaire des produits
thérapeutiques. Mais si vous avez quelques idées concernant un
champ proche mais distinct de celui des produits thérapeutiques, nous
sommes preneurs de vos réflexions.
M. Bernard MESURÉ - Je pense que dans l'échelle que vous venez
brièvement de rappeler, le médicament est probablement un des
produits sur lesquels l'organisation et le fonctionnement sont les meilleurs.
Il existe à la fois des systèmes de pharmacovigilance
déjà en place avec, je crois, un accroissement du réflexe
du médecin qui est tout à fait notable sur les dernières
années, un système de traçabilité du suivi de nos
lots qui est en ordre, et un système de rappel, quand il y a un
problème, extrêmement rapide, assorti des relations entre les
firmes et l'Agence qui sont fluides et habituelles.
M. Bernard LEMOINE - Il y a les procédures -elles sont en place et
fonctionnent convenablement- mais il y a aussi la capacité de l'Agence
du médicament à les faire fonctionner. On n'a pas optimisé
cette efficacité dans la mesure où l'Agence du médicament,
qui fonctionne globalement bien dans toutes ses missions, n'est pas toujours au
maximum de ses performances, en particulier dans le domaine de la
pharmacovigilance.
Les débats que l'on a à travers la Commission de l'Agence donnent
des options différentes ; il y a même des conflits entre la
position prise par l'Agence et celles du Comité des
spécialités pharmaceutiques de l'Agence européenne du
médicament. Mais, en matière de procédure, l'ensemble des
éléments propres à assurer une sécurité dans
le domaine de la thérapeutique médicamenteuse sont en
place : il convient de les optimiser.
L'autre sujet de discussion était de savoir s'il y avait lieu
d'intégrer ou de coordonner les procédures applicables à
la sécurité du médicament dans un ensemble plus vaste :
c'est un sujet qui mérite réflexion et sur lequel nous
émettons quelques réserves par prudence.
M. Claude HURIET, rapporteur - Concernant les conflits que vous venez
d'évoquer, pourriez-vous aller plus loin et dire, exemples à
l'appui, en quoi ils consistent et comment ils sont réglés, que
ce soit au niveau de l'Agence française du médicament ou à
celui de l'Agence européenne ?
M. Bernard LEMOINE - Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, il ne
s'agit pas de conflits sur les règles du jeu propres à assurer
une bonne pharmacovigilance entre la France et les autres pays de la C.E.E. Les
experts scientifiques s'accordent en France, avec leurs collègues
européens, pour déterminer les contours d'une bonne
pharmacovigilance dans le domaine du médicament.
Les conflits portent sur les appréciations portées par la
Commission de pharmacovigilance en France, qui relève de l'Agence du
médicament française, et le Comité de
spécialités pharmaceutiques sur l'appréciation de ce que
le droit communautaire permet en matière de pharmacovigilance.
Il y a des conflits d'ordre juridique sur l'appréciation de ce qui est
susceptible d'être étendu en termes d'interdiction à
l'ensemble de la CEE à partir de cas relevés dans tel ou tel
pays. Il convient qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, il ne s'agit pas
de conflits, de contestations ou de divergences sur une politique de
pharmacovigilance.
M. Claude HURIET, rapporteur - Le Président et le Directeur
général portent une appréciation assez positive sur
l'ensemble des conditions de sécurité concernant le
médicament en France et M. Lemoine a évoqué dans son
propos l'apparition de conflits en termes de pharmacovigilance beaucoup plus
qu'en matière de sécurité et de procédure d'amont,
conflits avec une dimension européenne et beaucoup plus juridiques
qu'organisationnelles.
Il faudra que vous développiez l'aspect juridique car au fond, cela peut
nous concerner, soit au niveau de la législation nationale, soit au
niveau européen.
M. Bernard LEMOINE - Ces dernières années, on a observé
dans la construction du droit communautaire du médicament un certain
nombre d'ambitions contraires.
On constate, au fur à mesure de la construction du droit communautaire,
des appréciations différentes d'un pays à un autre sur les
décisions à prendre à partir d'une même
appréciation scientifique des cas relevés. En aval de
l'autorisation de mise sur le marché, il y a des décisions qui
sont prises de façons différentes et pas toujours de façon
coordonnée, d'une part entre les différents pays de la CEE et
d'autre part entre tel et tel pays de la CEE et les structures communautaires
de l'Agence européenne de Londres.
Pour revenir à la pharmacovigilance, il existe différentes
appréciations entre le Comité pharmaceutique à Londres,
qui dépend de l'Agence Européenne, et telle ou telle agence
nationale ou administration nationale d'un pays statuant sur le
médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quand on a eu les cas de Creutzfeld-Jakob,
l'hormone de croissance était-elle un médicament ou
c'était expérimental ?
M. Bernard LEMOINE - A l'époque ce n'était pas un
médicament !
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous pensez que quand un produit a un label
" médicament ", on est à l'abri de ce genre de
chose ?
M. Bernard LEMOINE - La question était de savoir si, en France, il y
avait dans le domaine du médicament des procédures et une
organisation suffisamment performantes pour prévenir des accidents. La
réponse est oui, les procédures et l'organisation à
travers l'Agence du médicament sont aujourd'hui en place. Même
s'il y a sans doute une marge d'extension et d'amélioration possible, il
est clair que les procédures sont en place.
Nous en sommes arrivés à parler des relations entre l'Agence
française et les institutions communautaires et du contexte de la
sécurité thérapeutique médicamenteuse en France
dans le cadre communautaire. C'est là que j'ai dit qu'il existait
quelques conflits d'appréciation, notamment sur les décisions
à prendre.
Je voudrais revenir sur la pharmacovigilance. Une décision de l'Agence
européenne concernant les anorexigènes a été prise.
Elle était relativement flexible et pas très rigide, pas
très contraignante. Elle demandait aux Etats membres de prendre des
dispositions en termes de pharmacovigilance, mais la recommandation du
Comité des spécialités pharmaceutiques a été
d'indiquer aux Etats membres : "Surveillez la prescription et les
conditions de
délivrance de ces produits, mais vous pouvez les laisser en
médecine ambulatoire".
Or, la France a pris une mesure d'interdiction de ces produits en
médecine ambulatoire. Ce n'est pas une mauvaise décision, mais
cela montre les différences d'appréciation d'un Etat à un
autre. On fait la même appréciation scientifique, les experts
français ont relevé également des cas d'hypertension, mais
on ne prend pas le même type de décision.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez évoqué aussi les
réserves que vous seriez amené à faire en matière
d'organisation plus globale : c'est un des points importants du rapport sur
lequel travaille la mission.
M. Bernard MESURE - Nous pensons très clairement que, pour l'instant,
l'Agence du médicament -dont on a dit tout à l'heure qu'elle
avait encore pas mal de progrès à faire dans pas mal de
domaines-, n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Il y a
notamment énormément de progrès à faire, au niveau
des délais pour lesquels nous sommes très loin de ceux
imposés par la Communauté européenne.
Actuellement, le délai de délivrance d'une autorisation de mise
sur le marché qui doit être de 180 jours selon les règles
européennes est de 240 jours en France. Dans bien des domaines, on est
encore en phase de montée en puissance de l'Agence. Je crois qu'avant
d'élargir éventuellement les missions de l'Agence, il faudrait
d'abord qu'elle commence par être performante dans ses missions
initiales. Or, elle ne l'est pas.
Par ailleurs, pour quelqu'un comme moi qui a fait une partie importante de sa
carrière dans les rapports avec les Etats-Unis en contact avec à
la fois le monde politique américain et la FDA, il n'est pas sûr
que l'on puisse transposer, des Etats-Unis à la France, le
système américain et que l'on aurait intérêt
à avoir une espèce d'énorme chose car avec notre
tempérament procédurier, nos lenteurs, etc., on va paralyser le
système.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les parlementaires américains se
plaignent de la lenteur de la FDA.
M. Bernard MESURÉ - Le décalage entre les Etats-Unis et la France
provient du fait que l'on copie trop souvent des procédures ou des
institutions qui n'existent plus dans le pays que l'on veut copier. On revit
cela régulièrement sur tous nos dossiers. Je crois qu'une
espèce d'énorme organisme englobant trop d'activités n'est
pas souhaitable.
Concernant l'Agence, il y a aussi l'important problème de la remise
à plat complète du financement d'une agence qui verrait ses
missions élargies. Les ordonnances ont déjà
considérablement élargi sa mission. Elle a en effet
désormais la charge de mettre en place des références
médicales opposables. Au total, il n'y a pas eu une seule
référence médicale opposable nouvelle cette année.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je ne sais pas si c'est la raison...
M. Bernard MESURÉ - ...peut-être ne sont-ils pas organisés
pour le faire, mais la structure n'est pas en place. L'Agence du
médicament n'a strictement rien fait, même pas installé une
structure pour accomplir cette mission.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est très important.
M. Bernard MESURÉ - En tant qu'administrateur de l'Agence, je suis la
mise en place de cette Agence ; il y a des choses qui se sont faites vite et
bien, mais on peut reconnaître, et le directeur général le
reconnaît avec moi qu'en 1997, on va à peine démarrer
l'activité correspondant aux missions nouvelles.
Par ailleurs, il y a le financement de l'Agence. On y ajoute des missions, donc
des dépenses...
M. Claude HURIET, rapporteur - ...et vous ne voulez pas financer.
M. Bernard MESURÉ - Ce n'est pas que les industriels ne veulent pas,
mais est-il normal qu'une Agence qui est une institution parapublique soit
totalement financée et placée sous le contrôle de
sociétés privées ? On peut se poser la question. Au
moment de la mise en place de l'Agence, le financement devait être de
50/50 quand l'Agence atteindrait sa vitesse de croisière : aujourd'hui
on n'est pas loin de 20/80. Ce sont les laboratoires qui payent quasiment le
fonctionnement de l'Agence ; il y a quelques temps encore, toujours avec
l'argent des firmes, on achetait de l'immobilier 60 % plus cher que
ce qu'il ne vaut !
On a arrêté ce processus mais il faut d'abord que cette Agence
atteigne son rythme de croisière sur les missions initiales pour
laquelle elle a été créée, avant de lui ajouter
sans arrêt un plan de charge supplémentaire. A chaque Conseil, on
est obligé de prévoir des budgets modificatifs compte tenu de
plans de charge non prévus à l'origine et qui s'accumulent.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce que vous dites est très
important ; on a déploré hier encore en Commission mixte
paritaire sur la loi de financement de sécurité sociale qu'il n'y
ait pas eu de RMO. Vous dites qu'il n'y en a pas en 1996 car l'Agence n'a pas
les moyens...
M. Bernard MESURÉ - ...elle n'avait pas mis en place de structure
adéquate.
M. Bernard LEMOINE. - Il est vrai qu'il y a eu, au moment des ordonnances, un
atermoiement politique qui a joué aussi.
Déterminer de nouvelles RMO est complexe, mais ce que les syndicats
médicaux ne contestaient pas et ce que l 'on demandait, c'était
un meilleur ciblage des RMO déjà sorties en 1994 et 1995, en les
retoilettant pour une plus grande efficacité économique, avant de
se pencher sur l'élaboration de nouvelles. Même cela n'a pas
été fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Votre position ne me surprend pas concernant la
sécurité sanitaire des produits thérapeutiques, mais
concernant la démarche veille sanitaire, adhérez-vous à
mon point de vue, qui est de dire qu'autant on peut verticaliser tout ce qui
concerne la sécurité sanitaire du produit thérapeutique,
autant l'observation et la veille sanitaire ne peuvent pas se raccrocher
exclusivement à un système vertical. En effet, quand un incident
de santé survient, qu'il soit individuel ou collectif, on ne sait pas
s'il met en cause un produit thérapeutique ou tout autre chose.
Depuis que l'on a commencé les travaux de cette mission, très
rapidement, quels que soient nos interlocuteurs, on en arrive à
évoquer -eux ou nous- à titre d'exemple la vache folle ou
l'amiante. Or, dans une démarche verticale, je ne vois pas comment on
aurait pu répondre à ces deux situations.
C'est ce qui me met un peu mal à l'aise, car ce n'est pas seulement
l'actualité qui fait qu'en matière de sécurité
sanitaire, les deux exemples sont la vache folle et l'amiante. Si on est dans
un système que j'appelle vertical -en espérant me faire
comprendre- je ne suis pas certain que l'on puisse répondre rapidement
à tous les problèmes qui touchent à la
sécurité sanitaire. Lorsque des éléments
pathologiques nouveaux surviennent -le dernier cas dont on parle moins est la
maladie de Kawasaki- quand on voit apparaître une éruption
cutanée, sans parler de phénomène digestif ou autres, leur
origine peut être liée à des produits ou aux milieux. Si on
a un système de sécurité sanitaire qui concerne
l'alimentation, les produits thérapeutiques, les médicaments, les
radiations ionisantes...
M. Bernard MESURÉ - Les peintures, les plastiques, où
arrêtez-vous votre transversalité ? Vous parlez du
problème de l'amiante, il a été repéré
depuis un certain temps.
M. Claude HURIET, rapporteur - Justement, on a tous appris les cancers de
l'amiante il y a 30 ans, hélas !
M. Bernard MESURÉ - Avant d'envisager une sorte d'organisation
tentaculaire du type FDA, ne faut-il pas commencer par avoir des
stratégies de veille avec la mise en place, par domaine, d'un certain
nombre de procédures ? Car, à mon avis, il faut commencer
par les procédures. Si on est plus performant dans le domaine du
médicament c'est que, depuis plusieurs décennies, des
procédures sont en place. Dans les cas que vous citez, elles n'existent
pas ou pas assez.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Peut-on en déduire que l'Agence du
médicament est déjà une trop grosse machine ?
M. Bernard MESURÉ - On n'en est pas très loin.
M. Bernard LEMOINE - En France, on a du mal à gérer les grands
ensembles, les grandes entreprises industrielles. Il est clair que l'Agence du
médicament française est loin d'avoir optimisé l'ensemble
de ses activités.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Ces manques de performance affectent-ils la
sécurité du médicament ?
M. Bernard LEMOINE - Non, c'est plus en amont, les autorisations de mise sur le
marché, les délais, les confusions dans la gestion
administrative.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - C'est gênant, mais cela ne crée
pas de problèmes de sécurité.
M. Bernard LEMOINE - Tout à fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je me dis : pourquoi pendant dix ans, alors
que nous mangeons du boeuf tous les jours, et que l'on savait qu'il
était atteint d'une épidémie inquiétante, les
pouvoirs publics n'ont-ils pas dégagé de l'argent pour voir si la
maladie était transmissible ? C'est effrayant !
M. Bernard MESURÉ - N'est-ce pas une absence de politique ?
M. Bernard LEMOINE - On a continué à donner de l'alimentation au
bétail dont on savait qu'elle contenait les farines animales.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pourquoi ? A part M. Dormont et un
autre médecin généraliste qui ont travaillé chacun
dans leur coin, ils n'ont eu le soutien de personne. Pourquoi n'y a-t-il pas eu
d'étincelle, alors qu'il nous semble que les structures existent ?
M. Bernard MESURÉ - Les procédures ne sont peut-être pas
non plus très claires. On n'a pas été plus mauvais que les
autres.
B. AUDITION DE M. JEAN PARROT, PRÉSIDENT DU CONSEIL DE L'ORDRE DES PHARMACIENS
M. Claude HURIET, rapporteur - La mission qui a
souhaité vous auditionner procède du constat fait lors des
travaux parlementaires sur la thérapie génique et cellulaire. Ils
avaient fait apparaître que des questions méritaient d'être
posées quant à l'organisation actuelle de la
sécurité sanitaire des produits.
Cela nous intéresse beaucoup de savoir quelle est la perception du
Conseil de l'ordre des pharmaciens que vous présidez.
M. Jean PARROT - Je vous remercie. Je vais m'efforcer de vous donner le point
de vue des pharmaciens.
La première chose à laquelle nous sommes attachés, c'est
bien entendu la chaîne de la sécurité du médicament.
Vous savez que le pharmacien intervient à tous les stades de cette
chaîne pharmaceutique, de la recherche à la conception du
médicament, ensuite lors de son acheminement vers les officines, enfin
à la commercialisation.
Le rôle du pharmacien est un élément essentiel de cette
sécurité sanitaire et, en France, on a fait porter une grande
responsabilité au pharmacien responsable, d'abord dans l'industrie
pharmaceutique, et ensuite dans la chaîne pharmaceutique. Cela a
été renforcé récemment au niveau de la
pharmacovigilance et de l'extension de la responsabilité du pharmacien
qui est obligé, maintenant, de communiquer lorsqu'il relève un
incident, même au stade de l'officine.
Pour revenir à l'industrie qui est le premier volet, il y a une
spécificité française qu concourt efficacement à la
sécurité sanitaire, et le pharmacien est la personne responsable
à la fois des BPF et surtout de tout le montage des dossiers, aussi bien
au niveau des essais thérapeutiques qu'au niveau des bonnes conditions
de mise sur le marché de libération des lots.
Ce pharmacien responsable est une spécialité un peu
française, et nous nous sommes livrés récemment à
une enquête sur la qualification du pharmacien responsable par rapport
à celle de ses homologues européens. L'enquête que je vous
donne vous montrera selon les pays, la qualification, le niveau des
responsabilités, et le contrat avec les autorités de tutelle par
à rapport à cette personne responsable dans les différents
pays de l'Europe, tout cela étant une transcription plus ou moins
conforme de la norme issue de la directive n° 75-319.
Une petite remarque à ce propos : en Europe, on voit souvent
à la place du pharmacien ce que l'on appelle la " personne
qualifiée ". Quand on fait une analyse plus fine de la formation
nécessaire à cette personne dite qualifiée (dans la
plupart des pays européens qui ne reconnaissent pas
ipso facto
comme personne qualifiée le pharmacien responsable), on
s'aperçoit que, pour que cette personne qualifiée ait cette
qualification, il faut qu'elle ait des notions étendues de chimie, de
biologie, en pharmaco-dynamique, en pharmacocinétique, en
galénique. Bref, quand on fait l'inventaire des compétences
nécessaires pour acquérir cette fonction, on s'aperçoit
que la seule réponse qu'il convient de donner -et pourtant les pays
européens ne la disent pas tous- c'est que cela suppose la formation
d'un pharmacien.
Heureusement, nous ne sommes pas les seuls à avoir le pharmacien comme
personne qualifiée, la plupart des pays de l'Europe l'ont
déjà.
Pour compléter mon propos, nous nous sommes aperçus
récemment qu'il était nécessaire de renforcer encore plus
cette formation du pharmacien responsable et nous avons été
amenés, au niveau de la section B de l'Ordre, qui regroupe les
pharmaciens responsables, à mettre en place des tuteurs. Maintenant,
lorsqu'un pharmacien responsable qui s'est déjà formé dans
l'industrie pharmaceutique pendant 6 mois auprès d'un de ses pairs, dans
un secteur de contrôle qui lui a déjà permis d'approcher
toutes les responsabilités du pharmacien industriel en tant que
pharmacien responsable, prend la responsabilité d'un poste et qu'il
s'inscrit pour la première fois en section B, la section lui affecte
pendant un an -ce n'est pas quelque chose de codifié dans les textes-,
deux tuteurs auxquels il peut demander toute aide et assistance par rapport aux
difficultés particulières qu'il rencontrerait dans son entreprise
ou dans l'exercice de ses responsabilités.
Nous avons fait cela car nous avons eu à instruire disciplinairement
quelques affaires qui nous ont montré que de jeunes pharmaciens
responsables, qui n'avaient pas de statut dans l'entreprise dans laquelle ils
venaient de rentrer, ont parfois été obligés, soumis
à des pressions de la part des industriels commerçants, de
libérer des lots alors qu'ils n'auraient pas souhaité le faire.
Cela nous a conduit à monter cette aide particulière
destinée aux jeunes confrères afin de leur permettre de bien
résister aux pressions de leur hiérarchie d'entreprise. Nous
avons également à avancer avec cette dernière.
Concernant la traçabilité des lots, dès l'instant
où le produit sort de l'industrie pharmaceutique, il faut être
sûr de pouvoir assurer son devenir, et surtout savoir ce qui se passe
à tous les stades de la dispensation. Nous avons monté une
procédure avec les grossistes répartiteurs et surtout avec tous
les produits sensibles pour les suivre et maintenant, dans un certain nombre de
domaines, les produits dérivés du sang, par exemple, nous sommes
amenés, y compris au niveau des officines pour les quelques produits
stables dérivés du sang, à mettre en place un cahier
permettant à chaque pharmacien d'officine de garder la trace de la
personne à qui il a vendu à un moment donné un produit
dérivé du sang : ce cahier doit normalement être
conservé à l'officine pendant une durée légale de
40 ans.
Nous avons fait des notes écrites au niveau du Conseil de l'Ordre pour
alerter les pharmaciens sur cette nouvelle procédure. Pour le moment,
les textes officiels d'application ne sont pas parus, et nous savons que, si
nos recommandations ont été suivies par un certain nombre de
pharmaciens, elle ne l'ont peut-être pas été par tous.
Il y a une petite faille dans la vigilance au niveau des produits stables
dérivés du sang dispensés à l'officine. Par contre,
cette traçabilité est mieux faite au niveau des produits
dérivés du sang dans les hôpitaux, où nous avons mis
en place des procédures avec les pharmaciens hospitaliers.
Les traçabilités mises en place semblent donner satisfaction
même si, actuellement, leur codification a souvent été
prise en charge par les pharmaciens hospitaliers eux-mêmes.
Or, le passé nous a montré que, quand nous voulions remonter dans
les dossiers des patients pour retrouver ce qui s'était fait concernant
la consommation de sang, c'était quasiment impossible en milieu
hospitalier.
Pour en rester à l'hôpital, je dirai quelques mots de la
dispensation hospitalière des médicaments. Telle que
réalisée actuellement, elle est faite en utilisant la pharmacie
comme une espèce de plateau central qui amène la plupart du temps
tous les services à formuler leurs besoins sous forme de liste, et le
pharmacien hospitalier n'a pas le retour d'informations sur qui consomme quoi
par rapport à ce qu'il délivre. La loi a prévu que nous
passions d'une distribution de masse à une dispensation unitaire, avec
formulation d'ordonnances au niveau des services hospitaliers, le tout
descendant à la pharmacie centrale qui doit, ensuite, préparer
des plateaux adaptés à chaque malade avec les médicaments
à prendre et les heures de prise.
Cela génère des coûts de fonctionnement supérieurs
pour les pharmacies hospitalières. Cependant, cela conduit à de
grandes économies dans la consommation, cela empêche les
dépôts dans les services et cela évite également des
erreurs liées à la dispensation hospitalière telle que
formulée lorsqu'elle est uniquement faite dans les services par
l'intermédiaire d'une infirmière qui en est responsable, voire de
quelqu'un d'autre qui prend le relais.
Des expériences ont été faites, en particulier dans des
hôpitaux parisiens, de mise en place de cette dispensation individuelle.
Cela ne se fait pas forcément avec un grand surcoût et cela permet
de redéployer des personnels auparavant uniquement utilisés dans
les services afin qu'ils soient maintenant utilisés en partie par les
pharmacies hospitalières pour favoriser la mise en place de traitements
unitaires à l'hôpital.
Cela permet également une réduction de consommation des
médicaments, car comme il y a affectation dès la pharmacie des
médicaments pour un malade donné, il y a moins de dispersion de
produits dans les services. Et cela permet une bien meilleure observance des
traitements. Cela présente de grands avantages.
Il y a a un an, un rapport fait par la Direction Régionale des Affaires
Sanitaires et Sociales a très bien expliqué tout le gain que l'on
peut retirer de cette meilleure qualité d'exercice, et surtout les
économies qui en découlent. Cela nécessite des adaptations
particulières. Certains services de l'Assistance publique ont
déjà franchi le pas, l'hôpital Rothschild l'a fait, la
pharmacie hospitalière de Lariboisière, l'hôpital Cochin
également. J'espère que, dans le cadre de l'hôpital
Pompidou, on arrivera à le faire, c'est un " plus " et une
sécurité supplémentaire offerte au malade.
Une enquête réalisée à l'Assistance publique
montrait que, si les chiffres de cette enquête sont valides -car c'est
une enquête faite dans un seul hôpital, il est donc difficile de la
transposer à d'autres- qu'il y avait environ 30 % d'erreurs
diverses commises dans la consommation des médicaments à
l'hôpital pendant l'hospitalisation d'un malade donné. C'est
considérable.
Cela ne veut pas dire que 30 % des médicaments consommés
dans l'hôpital le sont mal. Cela veut dire que, pour un malade
donné, au cours de son séjour hospitalier, il y a un risque de
30 % d'erreurs pour qu'à un moment donné son
médicament ne lui soit pas donné correctement par rapport au
traitement prévu. Il faut bien faire attention à la façon
d'analyser, mais cela prouve que le risque est fort.
Une expérience tout à fait personnelle liée à
l'hospitalisation de mon père, pharmacien qui est très
attaché à consommer le moins possible de
médicaments : au cours d'un séjour à la
Salpétrière, en 15 jours, il a relevé 7 erreurs de
dispensation par rapport à ce qui lui était prescrit. Il a
dû intervenir pour qu'on corrige ces erreurs.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Vous pensez que c'est lié à
l'organisation de la dispensation ?
M. Jean PARROT - Oui, car elle n'est pas réalisée à
l'hôpital par des personnes formées pour manipuler le
médicament. A l'hôpital, il est logique que le médecin
prescrive, mais il ne va pas s'attacher particulièrement à la
dispensation du médicament ; il le délègue à
une infirmière. Or, dans la chaîne de soins pour assurer la
plénitude horaire des 24 heures de présence à
l'hôpital et des horaires de prise, vous avez automatiquement des
transmissions de données qui se font au cours de la journée entre
les infirmières. Et entre l'infirmière responsable du
médicament dans le service et les autres qui, sous sa
responsabilité, à des horaires précis, sont amenés
à prendre la suite de la chaîne, on sait qu'il y a des failles.
Un moyen qui améliorerait considérablement les choses, serait de
réaliser cette fameuse dispensation journalière pour chaque
malade avec la préparation à la pharmacie hospitalière de
la dose journalière pour le malade en mettant "chambres numéro
tant, malade numéro tant" et en indiquant les heures de prise, auquel
cas chacun sait ce qu'il doit faire.
Je voudrais parler également du décret pharmacovigilance. On a
étendu au pharmacien d'officine la responsabilité
déclarative de tout incident dont il aurait connaissance. Pour le
moment, cela n'a pas encore pris son plein effet mais déjà, les
remontées de communication au niveau de l'Agence du médicament
sont très encourageantes, même si le malade ne dit pas tout
à son pharmacien.
Maintenant, parce qu'il est demandé au pharmacien de faire
lui-même les pré-déclarations, même
incomplètes, et de les renvoyer à la connaissance de l'Agence, il
peut y avoir ensuite, au niveau régional, interrogatoire du
médecin même si lui-même n'a pas fait de déclaration.
On a ainsi considérablement renforcé le maillage.
Autre élément sur lequel nous essayons d'intervenir au niveau de
l'Ordre, nous pensons que la chaîne pharmaceutique est relativement mal
utilisée par le système de sécurité sanitaire alors
qu'elle pourrait être un vecteur essentiel de transmission. Je pense par
exemple au nouveau calendrier vaccinal : on vient d'en changer et on n'a pas
utilisé le pharmacien pour vendre ce changement de calendrier vaccinal.
Or, on devrait le faire, car le pharmacien est totalement intégré
à la population et il pourrait avoir un rôle très actif.
Avec les pouvoirs publics, nous sommes en train de renforcer le rôle du
pharmacien qui va, dans les officines, dans les semaines qui viennent, avoir un
présentoir pour la présentation du carnet de santé. Il y
aura 15 millions de brochures distribuées par les officines.
Quelques mots sur le dossier de l'oxygène : le législateur
s'était attaché à essayer d'avoir un chaînage clair
de l'oxygène-médicament, pour assurer une sécurité
jusqu'au lit du malade de la dispensation de ce gaz. Or, des pressions diverses
des sociétés qui actuellement dispensent le gaz au domicile du
malade visent à faire en sorte que le décret à venir soit
rédigé de telle sorte qu'il y ait une présence
pharmaceutique pour à peu près 40 employés dans ces
sociétés.
La présence effective du pharmacien au lit du malade sera totalement
détournée si ce texte voit le jour de cette façon. Le
pharmacien ne sera qu'un porte-tampon dans un bureau ; il ne fera qu'une
validation des dossiers et n'aura aucun rôle au lit du malade. Notre
souci est de revenir à l'esprit du texte en disant que ce soit un
pharmacien de proximité inscrit à l'Ordre qui, effectivement,
joue un rôle en matière de dispensation de l'oxygène au lit
du malade.
Concernant la thérapie génique, nous sommes aussi très
inquiets de possibles dérives pour des pratiques nouvelles que l'on peut
difficilement encadrer aujourd'hui de façon parfaite, car on ne les
connaît pas toutes. Il n'empêche que, sous couvert de quelques
modernités ou innovations, il ne faudrait pas appauvrir la
sécurité que l'on peut offrir dans une chaîne
contrôlée par l'Agence.
Je pense qu'il n'est pas question pour le pharmacien de revendiquer un
monopole, mais qu'il faut simplement utiliser le pharmacien par rapport
à cette nouvelle thérapie pour lui confier des
responsabilités, même si nous savons que c'est un domaine
partagé.
Deux mots sur les pseudo-spécialités pharmaceutiques : à
l'autre bout de la génétique, on a des médicaments qui
sont présentés comme tels mais qui n'en ont pas forcément
la qualité et qui envahissent la chaîne pharmaceutique ; ils
représentent une véritable pollution. Parfois, ils
détournent les malades de consommations utiles pour des pathologies
lourdes. C'est une préoccupation que nous avons au niveau du Conseil
national de l'Ordre ; un arrêt très récent obtenu à
la Cour des droits de l'homme -l'arrêt Cantoni, qui date de vendredi
dernier-, remet les choses clairement au point en précisant qu'il ne
peut pas y avoir de frontière floue au niveau du médicament, cela
doit être des frontières parfaitement précises. Ceux qui
prétendent que le flou existe ont été purement et
simplement déboutés, puisque l'Etat français a vu toutes
les prérogatives qu'il avait mises en place et surtout les procès
intentés et les décisions de justice prises par la Cour de
cassation parfaitement confirmés par la Cour des droits de l'homme.
J'en viens au système d'alerte. C'est une procédure qui
était déclenchée par l'intermédiaire d'un
système mis en place avec, autrefois, la DPHM, le Conseil de l'Ordre et
les laboratoires pharmaceutique, quand il y avait un incident sur un
médicament, pour en assurer le retrait dans les 24 heures.
Nous avons progressé et établi un projet de convention entre
l'Agence du médicament et le Conseil national de l'Ordre. Le Conseil de
l'Ordre s'engage à fournir un fichier clair et à jour de tous les
pharmaciens, pour que l'on puisse les joindre, soit par fax, soit directement
par les grossistes répartiteurs qui livrent les officines plusieurs fois
par jour lorsqu'une décision de retrait intervient.
Dans ce projet de convention que nous sommes sur le point de signer,
grâce, soit au fax avec un contrat que nous allons réaliser avec
France Télécom, soit avec les grossistes répartiteurs, la
totalité des médicaments d'un lot donné, en cas de
responsabilité particulière d'un lot -ou si c'est plus large tous
les lots- pourront faire l'objet d'un retrait automatique en quelques heures.
Au lieu d'être soumis aux délais postaux, il faudra seulement
attendre 2 ou 3 heures après l'envoi du fax.
Cela a un coût, qui sera assumé par les industriels, mais je crois
que l'on ne peut plus tolérer de vivre des retraits comme celui que l'on
a vécu avec l'affaire de la Josacine, médicament pris en otage
puisqu'il n'était en réalité pas à l'origine d'un
drame quelconque, tout en étant lié indirectement à
l'intoxication d'un enfant. C'est le journal de 20 heures qui a
déclenché une panique monstre. Si on fait l'analyse de ce qui
s'est passé ce jour là, nous sommes quasi certains que les
conditions du retrait ont entraîné la paralysie d'un certain
nombre de services d'urgence essentiels en France, et le décès de
malades qui n'ont pas pu être traités à ce
moment-là, car tous les services étaient
" embolisés " par l'information qui venait d'être
donnée sur la Josacine. En particulier les urgences cardiaques n'ont pas
pu fonctionner, car pendant deux heures, tous les services étaient
débordés par les parents qui amenaient des enfants dans les
services hospitaliers en disant : "Il a pris de la Josacine, c'est le sirop
toxique, faites quelque chose".
On ne peut pas essayer d'expliquer et de gérer cela publiquement, car ce
ne serait pas gérable, mais il nous appartient de mettre en place des
outils afin d'éviter des débordements de cette nature qui ont des
effets pervers au niveau de la sécurité sanitaire, et de
permettre de gérer les incidents autrement.
Enfin, nous sommes quelque part orphelins d'une administration de tutelle. Nous
avions autrefois la Direction de la pharmacie et du médicament. Elle
présentait beaucoup de défauts, car elle n'avait pas suffisamment
de moyens, mais elle constituait une sécurité, car il y avait une
continuité dans la chaîne du médicament.
Quel que soit le stade que je vous décrivais tout à l'heure, il y
avait toujours un pharmacien. Or maintenant, avec la création de
l'Agence du médicament qui est une excellente chose, et qui constitue
certainement un outil de qualité, on opère une coupure entre
production et dispensation.
Au sein de la Direction Générale de la Santé, vous n'avez
pas un pharmacien responsable ou un inspecteur qui ait rang quelconque -comme
cela existait autrefois- et qui puisse agir sur la hiérarchie
pharmaceutique. Nous pensons que nous courons de véritables risques, car
ces gens n'ont pas aujourd'hui de rôle utile stratégiquement. Ils
font tous leur " petit boulot " dans leur " petite
région ", avec leur DRASS, ils gèrent avec leur
préfet le " petit travail " administratif qu'on leur demande
au quotidien, mais il n'y a plus de stratégie de santé publique
concernant le médicament à la DGS.
C'est une véritable faille, je l'ai dit à M. Gaymard,
à M. Barrot, ils m'ont promis d'y remédier en temps utiles.
Il est de mon devoir de vous le dire aussi.
Le seul élément que je souhaiterais ajouter est que je pense
qu'il sera nécessaire de réfléchir à la veille
sanitaire, surtout en ce qui concerne l'alimentaire et l'environnement. Or, je
pense que l'on ne fera pas l'économie de regrouper sous un seul
ministère tout ce qui concerne la veille sanitaire alimentaire, car nous
aurons d'autres crises que la BSE ; il y a eu l'environnement avec le
problème de l'amiante et la DGS n'a pas été très
heureuse dans ses premières communications sur ce sujet, pas plus que
l'Académie de médecine et je le regrette beaucoup. Je pense que
l'on a un véritable facteur de risques, il faudrait que ce pays
considère qu'il a une réelle responsabilité de
santé publique pour tout ce que les gens consomment.
On a un problème qui va survenir, celui des poissons ou des
métaux lourds. Qui travaille sur les problèmes des
huîtres ? Tant qu'on laissera une partie de la veille sanitaire
à un Ministère de l'agriculture qui a une vision
économique des choses, que l'on laissera des importations ou des
fabrications extérieures entrer sur le marché sans aucune
transparence, on prendra de vrais risques.
C. AUDITION DE M. CHARLES PERINETTI, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL ET DE MME DANIÈLE HANNAIRE, RESPONSABLE DES AFFAIRES TECHNIQUES DU SYNDICAT NATIONAL DE L'INDUSTRIE DES TECHNOLOGIES MÉDICALES (SNITEM)
M. Charles PERINETTI - Je suis le délégué
général du SNITEM et Danièle Hannaire est la responsable
des affaires techniques et est membre de la Commission de
matério-vigilance.
Le SNITEM a été créé le 1er janvier 1987, il est
relativement neuf pour identifier, ce que l'on appelle à travers les
directives européennes, les dispositifs médicaux. C'était
un monde non identifié jusqu'alors, une foule de segments
d'activités diverses allant des matériels consommables -sutures,
sondes, seringues etc.- jusqu'aux scanners et équipements lourds.
C'est tout cet ensemble de produits et matériels qui ne sont pas des
produits pharmaceutiques, même s'il peut y avoir au niveau des seringues
préremplies des zones d'interface, c'est tout ce matériel qui
n'était pas identifié que nous avons isolé pour lui donner
une unité qui s'ordonne autour du système hospitalier public et
privé. Il est régi de plus en plus par une série de
données financières, budgétaires, administratives et
autres qui en font un secteur d'activités bien à part.
Il est clair que ce monde était relativement peu connu. Un moment
important, pour ce secteur d'activité, a été celui de la
publication des directives européennes. Pourquoi était-ce
important ? Car elles ont posé le principe de l'identification des
dispositifs médicaux.
Cependant, lorsque l'on parle des dispositifs médicaux, il faut savoir
qu'ils englobent, de par les directives européennes, un monde
très complexe que l'on ne peut pas unifier du seul regard et sur lequel
on ne peut pas projeter les mêmes types de préoccupations.
C'est pourquoi il y a plusieurs classes dans ces directives. Les deux
directives qui nous concernent au premier chef offrent ceci de particulier,
qu'elles introduisent des principes, d'une part de mise sur le marché,
d'autre part de sécurité, qui n'existaient pas il y a quelques
années.
Il faut songer que de 1985 à 1988, on pouvait mettre des
prothèses de hanches sur le marché sans homologation et sans
autre garantie que la bonne volonté des expérimentateurs de
mettre des matériels de qualité sur le marché. Or, depuis
nous avons largement participé à un processus d'homologation de
ces produits de prothèse de hanches.
Nous sommes entrés dans des phases qui n'existaient pas. La directive
européenne oblige ainsi les entreprises à effectuer des essais
cliniques.
Un élément tout à fait important qu'il faut retenir de ce
secteur d'activité, c'est qu'il est composé dans certains de ses
pôles de très grandes sociétés multinationales.
C'est vrai pour les produits consommables. C'est vrai également dans le
domaine de l'imagerie des équipements lourds. Mais, à
côté, une foule de très petites sociétés qui
emploient existe souvent entre 50 et 150 personnes. Elles n'ont, ni les
séries, ni les volumes de la pharmacie. Il ne faut jamais oublier cela
quand on fait des comparaisons dans ces segments d'activité : on ne
travaille pas du tout à la même échelle. Appliquer et
décalquer purement et simplement les méthodes de la pharmacie
à des segments d'activité du médical, c'est prendre un
marteau-pilon pour tuer une toute petite noisette.
Le SNITEM regroupe 180 sociétés, 25 milliards de chiffre
d'affaires en France, dont 20 à 25 % à l'exportation,
moyenne qui ne veut strictement rien dire car vous avez deux ou
trois catégories de sociétés : celles qui exportent
50 % de leur activité, certaines qui n'exportent rien et certaines
petites sociétés locales qui ont un taux d'exportation
très limité. Donc le chiffre de 20 à 25 % est purement
indicatif.
Caractéristique de ce secteur : c'est vrai que les capitaux
étrangers en France se sont largement implantés,
développés. Pour la France qui représente 4,5 à 5 %
du marché mondial dans ce segment d'activité, cette importance
des capitaux étrangers tient au délai de mise sur le
marché. Pour une société
" franco-française " qui développe des produits sur son
marché de référence, ce délai est beaucoup trop
long, et même devient réellement illisible car il existe toute une
série de procédures qui sont très mal coordonnées.
Le gros problème pour les sociétés aujourd'hui est de
connaître le temps du développement, le temps de la mise sur le
marché. Lorsque l'on est une PME ou PMI, on ne peut pas ne pas savoir si
on en a pour 2, 3 ou 4 ans. Alors que si on est un gros groupe multinational,
on répartit le risque à travers les marchés mondiaux de la
compagnie.
Ce gros problème explique le fait qu'il est difficile de partir du sol
français pour développer de nouveaux segments d'activité,
sauf à repenser la manière dont on coordonne l'ensemble des
données du problème, car il y a des données tarifaires.
M. Claude HURIET, rapporteur - Concernant la sécurité, c'est vous
madame qui allez en parler. Sur le point que vous évoquez, en
conclusion, cela n'entre pas dans le champ de notre réflexion du jour
mais personnellement, je suis sûr que d'autres membres de la Commission
des affaires sociales et son président seraient d'accord pour que l'on
se voie pour parler du devenir de nos entreprises. Pour nous, cet
élément n'est pas mineur.
M. Charles PERINETTI - Nous vous en remercions et nous reprendrons rapidement
contact avec vous.
Mme Danièle HANNAIRE - Comme l'a dit M. Perinetti, la grande
nouveauté du marquage CE est qu'il couvre l'ensemble du dispositif.
C'est une priorité sécuritaire qui s'applique à la
fonction : on veut être sûr que le matériel mis sur le
marché n'induit pas d'effets indirects inacceptables face au
bénéfice que le patient va en attendre et en même temps,
que le produit offre toutes les garanties pour répondre à sa
fonction attendue.
Ce marquage CE est basé sur des études techniques puisqu'un des
avantages de ce type de produit, c'est que l'on peut simuler en laboratoire un
certain nombre de comportements en termes dynamiques, mécaniques, de
matériaux. On va pouvoir, pour tout ce qui est implantable, regarder
l'aspect toxicologique et la biocompatibilité, soit dans des
laboratoires, soit avec des essais sur animaux. Dans certains cas, on
vérifiera sur l'homme, en particulier pour les matériaux
innovants auquel cas le patient sera protégé puisque ces
investigations seront faites dans le cadre de la loi qui porte votre nom,
Monsieur le sénateur. C'est une garantie pour le patient.
Sur l'ensemble du matériel il faut regarder deux aspects, l'aspect
équipement et l'aspect implant. L'aspect équipement sera
examiné à travers le comportement technique. L'aspect implant,
outre le comportement technique, nécessitera des investigations
cliniques et des études plus poussées. C'est peut-être
là qu'il y aura quelques progrès à faire ou qu'il faudra
engager une réflexion.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pourriez-vous définir ce qu'est le
marquage CE.
Mme Danièle HANNAIRE - Le marquage CE est basé, comme toutes les
directives " nouvelle approche ", sur les exigences
essentielles. Un
industriel qui met un produit sur le marché doit prouver que celui-ci
répond aux exigences essentielles de la directive qui sont des exigences
de sécurité et de fonctionnalité.
Ce marquage est basé sur des essais techniques, ou un dossier technique,
des essais cliniques, ou un dossier clinique, obligatoire pour tout ce qui est
implantable et tout ce qui appartient à une classe à hauts
risques, tout ce qui comporte un médicament ou qui est en contact avec
le système nerveux central, ou le système cardio-vasculaire, car
ce sont des points vitaux. La procédure est complétée par
l'organisation d'un système d'assurance qualité de l'entreprise :
elle doit faire la preuve qu'elle est organisée de telle manière
qu'elle peut fabriquer toujours conformément aux données de base
qu'elle s'est données, avec une traçabilité des produits
qui va jusque chez le client, en l'occurrence l'hôpital.
La limite du système est qu'une fois que le produit arrive à
l'hôpital, l'industriel est incapable d'avoir une
traçabilité pour retrouver le patient dans le cadre de l'implant.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - La biocompatibilité, ce n'est pas vous
qui pouvez la vérifier.
Mme Danièle HANNAIRE - L'industriel va faire des essais en laboratoire
sur tout ce qui et toxico, biocompatibilité, il y aura ensuite une
vérification
in vivo
d'abord chez l'animal pour l'implant et
ensuite, dans un cadre très particulier, sur certains patients, dans le
cadre d'expérimentations cliniques très organisées.
Mme Annick BOCANDE - Qui vous finance ?
Mme Danièle HANNAIRE - C'est l'industriel qui fait la démarche et
c'est financé par les frais de développement d'une entreprise.
Mme Annick BOCANDE - Faut-il comprendre qu'effectivement, tout produit mis sur
le marché dans la gamme très large que vous avez
évoquée, doit avoir ce marquage CE ? C'est contradictoire
avec ce que l'on a entendu lors d'une précédente audition
où nous avions d'ailleurs entendu des informations qui nous avaient
effrayés. Ce que l'on entend aujourd'hui est plutôt rassurant.
M. Charles PERINETTI - Tous les dispositifs médicaux doivent, pour
être mis sur le marché, avoir le marquage CE. Il y a trois classes
: une classe dans laquelle les gens doivent se contenter de faire de l'auto
certification pour des matériels qui ne sont pas trop dangereux pour le
corps humain ; puis vous avez la classe 2 et la classe 3.
Mme Danièle HANNAIRE - La classe 2 A est un peu plus
sévère, c'est l'imagerie ; en 2 B les dispositifs comportent un
risque plus important, je pense aux implants. Et la classe 3, sont
rassemblés les produits qui présentent le plus de risques, ceux
dont un dysfonctionnement ou un mauvais fonctionnement ou un
inconvénient agit directement sur les fonctions vitales du corps humain,
c'est tout ce qui est en contact avec le système nerveux central, le
système cardio-vasculaire autour du coeur et tout ce qui comporte un
médicament.
Dans les classes 2 B et 3 il y a une investigation clinique. Dans tous les cas
de figure, l'industriel, dans son dossier de conception, doit inclure une
analyse des risques. Il doit regarder tous les dysfonctionnements ou les
inconvénients de son produit qui peuvent arriver avec l'utilisation de
son produit, et regarder quel est le bénéfice du patient. A
chaque étape, il vérifie si le risque est acceptable ou non au
regard du bénéfice, si oui il passe à l'étape
supérieure, sinon il prend des directives.
M. Charles PERINETTI - J'ajoute que des matériels qui, hier, en France,
échappaient totalement à l'homologation, sont couverts
aujourd'hui par le champ de la directive.
Mme Danièle HANNAIRE - Mais ce marquage CE ne sera obligatoire qu'au 14
juin 1998.
M. Charles PERINETTI - Nous sommes dans une période transitoire, mais,
pour plusieurs raisons -y compris des problèmes tarifaires- les gens
sont pratiquement obligés de passer au marquage CE et d'anticiper.
M. LE RAPPORTEUR - Quel est votre interlocuteur pour le contrôle,
l'inspection et quelle autorité vous accorde l'homologation ?
Mme Danièle HANNAIRE - L'homologation française est
accordée par le Ministre de la santé à travers la division
technologie médicale de la direction des hôpitaux. La
décision est prise sur avis favorable à la Commission nationale
d'homologation. Mais ce n'est valable qu'en France et pour à peu
près 80 matériels, c'est donc un panel très limité.
En France, l'autorité habilitée à accorder le marquage CE
est aussi le GMED qui est l'organisme notifié par le ministère de
la santé.
M. Charles PERINETTI - Le GMED est un GIE à quatre têtes
composé notamment du Ministère de la santé et du
Ministère de l'industrie.
Cela pose des problèmes car les PME qui doivent obtenir le marquage CE
peuvent le faire partout en Europe où il existe des organismes
notifiés par le gouvernement ; en France, un seul organisme a
été notifié, le GMED. D'autres pays en ont
désigné plusieurs.
Mme Annick BOCANDE - Et au niveau des normes d'un pays à l'autre ?
M. Charles PERINETTI - Les directives CEE sont communes à tout le monde.
C'est stabilisé, c'est traduit en droit national et le guide
général du marquage CE a été approuvé par
tous les Etats.
La question qui peut poser problème aux uns et aux autres est de savoir
si les pratiques des différents organismes notifiés seront
exactement les mêmes. Il peut y avoir des distorsions, car ils sont issus
de traditions différentes. C'est pourquoi est organisée au niveau
de la Commission une réunion des différents organismes
notifiés pour essayer de voir s'il n'y a pas des comportements
divergents.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je connais les grandes lignes de cette
procédure administrative, mais concernant les missions de contrôle
et d'inspection, j'ai le sentiment que la direction des hôpitaux n'avait
pas vocation à les prendre en charge et qu'elle n'a pas les moyens
nécessaires. Le GMED est une réponse mais, quand on voit la
nécessité d'avoir une inspection et un contrôle d'un bout
à l'autre de la chaîne de fabrication pour les dispositifs qui
sont dans vos attributions, comment cela se passe-t-il ? Est-ce la
direction des hôpitaux, est-ce quelqu'un d'autre, et est-ce que votre
satisfaction sur les procédures actuelles concerne aussi les
biomatériaux ?
On a été alerté ; il peut y avoir des dispositifs bien
fabriqués avec des matières premières qui ne sont pas
adaptées et qui entraîneront des incidents ou des accidents.
M. Charles PERINETTI - Il y a aussi un élément important c'est la
mise en place récente de la Commission de matério-vigilance, dont
la première réunion a eu lieu hier. Pour vous répondre, le
problème que vous posez va relever de structures ; nous parlions de la
direction des hôpitaux qui s'est mise un peu en retrait avec la
création du GMED, mais nous avons aussi l'intervention de la Direction
générale de la santé dans un certain nombre de domaines.
Un élément de la réflexion va être la
matério-vigilance qui vient de se mettre en place.
Mme Danièle HANNAIRE - Dont la vigilance a pour objectif d'analyser les
quasi incidents ou incidents et de faire en sorte qu'ils ne se reproduisent
pas. En analysant les incidents sur le terrain, cela permettra d'étayer
un dossier d'épidémiologie sur certains produits pour les faire
évoluer. C'est un des bouclages...
M. Claude HURIET, rapporteur - ...et en amont ?
Mme Danièle HANNAIRE - Si vous parlez d'inspection de l'organisation du
système de l'entreprise pour fabriquer conformément, cela est vu
par l'organisme notifié et c'est audité tous les ans : c'est le
GMED.
M. Charles PERINETTI - Lorsque l'entreprise est ISO 9001, cela inclut tout le
processus de fabrication, y compris la conception. La manière dont elle
acquiert sa matière première par rapport au type
d'activité qui est la sienne est auditée et entre dans le cadre
du descriptif de l'entreprise.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Mais sur la nature même du
matériau, la matière dont on s'approvisionne, à quel
moment est-ce homologué ?
Mme Danièle HANNAIRE - Le choix du matériau est de la
responsabilité du concepteur. Quand vous consommez un produit, c'est
à la fois la forme, les caractéristiques, mais aussi le
matériau puisque c'est lui qui va définir le reste. C'est
là que se place l'analyse de risques qui est étayée sur un
certain nombre de dossiers -en l'occurrence pour les implants toxicologiques,
la biocompatibilité- puisque l'on va regarder comment les
échantillons du matériau se comportent dans ces différents
domaines. Une fois qu'il est façonné, fabriqué, c'est
toute la phase clinique -qu'elle soit animale et humaine sous contrôle-
qui va permettre de vérifier qu'y compris
in vivo
, dans sa phase
finale, il a le même comportement et n'entraîne pas, à la
connaissance actuelle des incidents.
M. Charles PERINETTI - Un autre aspect du sujet est de savoir comment l'Agence
Nationale d'Accréditation et d'Evaluation va se comporter. Est-ce que ce
sera, en dehors des hôpitaux, une agence d'évaluation des
matériels et techniques ? On ne le sait pas encore, nous sommes dans un
puzzle où se mettent en place différents éléments
qui n'ont pas encore totalement établi comment ils joueront.
D. AUDITION DE M. MAURICE GUÉNIOT, PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE NATIONALE DE MÉDECINE
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous avons
étudié, à la commission des Affaires sociales, bon nombre
de structures qui avaient vocation à assurer la sécurité
sanitaire des différents produits utilisés chez l'homme, que ce
soit l'Agence du médicament, l'Agence du sang et l'Etablissement
Français des Greffes.
A travers ces travaux législatifs, la Commission des affaires sociales
s'est toujours préoccupée à la fois de l'efficacité
des structures et de la sécurité. La Commission a
également travaillé sur les thérapies géniques et
cellulaires et a pu établir une sorte d'inventaire des dispositions qui
existent actuellement en France, et qui ont pour vocation la
sécurité des produits.
Nous nous sommes rendu compte qu'il y avait parfois des superpositions entre
les conséquences des structures existantes, mais qu'il y avait aussi des
domaines dans lesquels nous n'étions pas convaincus que la
sécurité sanitaire était garantie.
Notre mission doit établir un état de l'organisation
sécurité sanitaire en France, et voir s'il subsiste, comme on le
pense, des domaines qui sont ou non couverts ou insuffisamment couverts, et si
l'organisation existante peut gagner en efficacité en étant mieux
coordonnée, avec des démarches mieux harmonisées.
M. Maurice GUENIOT - Je commence par me présenter : je suis
Président de l'Académie de médecine à laquelle
j'appartiens depuis 14 ans. Pour ma carrière antérieure, je suis
un clinicien nutritionniste et diabétologue et un universitaire, puisque
j'ai fait toute ma carrière à la faculté de
médecine de Paris comme professeur de médecine et, jusqu'à
ma retraite, j'ai été à la faculté de
médecine de Paris et à celle de Necker quand elle a
été subdivisée.
Je m'occupe d'économie de la santé depuis fort longtemps, puisque
ma première publication date de 1950. Actuellement, je suis
l'économiste français sur la santé visiblement le plus
ancien. J'organise depuis 25 ans la journée d'économie
médicale et de sécurité sociale de Necker, qui est la
principale organisation de ce type.
Vous me posez une question très difficile pour laquelle j'ai
réfléchi, à savoir la surveillance des produits
thérapeutiques.
Vous avez énuméré diverses catégories, je ne suis
pas compétent en matière de sang ou de matériel
prothétique ; par contre, je connais extrêmement bien le
problème du médicament, d'autant que j'ai fait partie pendant une
bonne quinzaine d'années de la Commission dite de la transparence,
chargée de conseiller le Ministre sur le remboursement des
médicaments par les caisses d'assurance maladie.
J'ai vécu ce mécanisme, ce fonctionnement de très
près, je l'ai vu évoluer et le système est un
système boiteux. Vous savez que, pour qu'un médicament soit
accepté, il doit faire la preuve de son efficacité et de son
innocuité. Pour cela, il doit obtenir l'autorisation de mise sur le
marché et la Commission d'AMM donne son acceptation. Cela veut dire que
le médicament n'est pas dangereux et qu'il a une efficacité.
On s'est dit : pourquoi y a-t-il ensuite une deuxième commission qui dit
si, oui ou non, il peut être remboursé par la
sécurité sociale ?
Premièrement, un médicament peut avoir un intérêt
avec un prix absolument rédhibitoire. Si un médicament
très coûteux traite une maladie que l'on n'arrive pas à
soigner, même s'il coûte très cher, il faudra bien le
prendre. Mais s'il s'agit d'un nouveau bétabloquant en matière
d'hypertension, alors il existe déjà une bonne douzaine, ou un
anti-inflammatoire, alors qu'il existe en quantité, le médicament
ne peut pas être refusé, mais la Commission de transparence peut
très bien dire : "Etant donné qu'il n'est pas meilleur que
les autres et qu'il coûte une fois et demi plus cher, il n'y a pas de
raison".
Il y a donc un élément économique qui se glisse, bien que
la Commission n'ait pas le droit de statuer sur les prix et de prendre en
considération le prix. C'est une hypocrisie totale étant
donné que, si on refuse un nouveau bétabloquant ou
anti-inflammatoire, il est clair que la raison du refus est son coût.
Bien entendu, on donne un avis défavorable avec des motivations plus ou
moins biscornues, mais il est certain que c'est la raison principale.
Deuxièmement, il est incontestable qu'il est utile qu'il y ait un filtre
car l'AMM ne fonctionne pas très bien -en général-
l'Agence du médicament également. Je donnerai un exemple :
il y a quelques années, l'Institut Pasteur proposait un sérum
antigangrèneux, produit qui a eu son heure de gloire, notamment pendant
la guerre de 14-18 où la gangrène était un fléau.
Déjà, pendant la guerre de 1939-1945, cela avait moins
d'intérêt et à la fin de la guerre, quand la
pénicilline est arrivée, cela en avait encore moins.
Maintenant qu'il existe de nombreux antibiotiques, le sérum
antigangrèneux a vu son heure de gloire dépassée et a
décliné de façon considérable. Mais il reste des
cas avec des germes qui résistent et ce sérum
antigangrèneux reste utile. Pasteur a donc décidé d'en
faire, l'AMM a donné son accord et c'est arrivé chez nous dans
des conditions assez pittoresques...
M. Claude HURIET, rapporteur - ...mais qui concernent la sécurité
du pays.
M. Maurice GUENIOT - Vous allez voir. Il était 13 heures 15 de
l'après-midi, il restait 3 membres en séance et le
Président a dit : "C'est un produit de l'Institut Pasteur, il est
déjà tard, tout le monde est d'accord". J'ai dit : "Non" car
j'avais regardé le dossier avec attention et il s'avérait que le
produit en question était de fabrication soviétique, chacun sait
que la pharmacie soviétique ne jouit pas d'une très grande
réputation et Pasteur n'en était que le concessionnaire.
On a levé les bras au ciel, le produit a été refusé
alors que, sous l'étiquette prestigieuse de Pasteur, on
présentait un produit soviétique des plus douteux, sur lequel il
n'y avait pas beaucoup d'essais -et pour cause, car les grangrènes
traumatiques il n'y en a plus beaucoup.
Le système de ces deux commissions n'est pas si mal que cela, puisque
cela permet de rattraper au " deuxième round " une boulette
faite au " premier round ". Ceci étant, comment fonctionnent
les Commissions en question ?
J'ai gardé un souvenir très critique de la manière dont
cela a fonctionné. J'en parle d'autant plus facilement que j'y suis
depuis une quinzaine d'années et je n'ai pas été
l'opposant systématique dont on se serait volontiers
débarrassé, au contraire. Cela fonctionnait mal car
premièrement, Mme Veil s'était étonnée à
l'époque où elle était Ministre que ces Commissions ne
comportent que des parisiens. Elle voulait des provinciaux, elle en a
désigné et après, elle a constaté que ces
Commissions coûtaient très cher. Evidemment, car les parisiens
venaient en voiture ou en métro, mais on remboursait aux provinciaux
leurs billets d'avion ou de chemin de fer.
Comment réduire les frais de fonctionnement ? On n'a pas
supprimé les provinciaux mais on a espacé les réunions des
Commissions. Elles étaient hebdomadaires, puis tous les quinze jours. On
tombe dans du Courteline...
On allongeait donc les séances qui commençaient à
8 heures 30 et se terminaient à 14 heures et on terminait l'ordre
du jour sans le reporter. Le résultat est qu'à 13 heures 30 de
l'après-midi, plus d'une fois, il restait le Président, le
vice-président et un ou deux commissaire dont votre serviteur.
J'avais prévu la chose depuis longtemps et je m'arrangeais pour ne pas
avoir d'autres occupations cet après-midi là, si ce n'est
l'extrême fin d'après-midi en sortant de la Commission. En plus,
ils ont déplacé l'Agence du médicament du Ministère
à Saint-Denis. Au total, il y avait un absentéisme important des
commissaires provinciaux, ce que je ne leur reproche pas...
M. Claude HURIET, rapporteur - ...et maintenant ?
M. Maurice GUENIOT - Maintenant, c'est pareil, l'ordre du jour est
extrêmement chargé, le système est assez boiteux et
l'Agence du médicament incontestablement aurait dû repenser tout
cela. Je ne fais qu'une confiance limitée à l'Agence du
médicament pour avoir participé bénévolement
à ces Commissions pendant une bonne quinzaine d'années.
Actuellement, concernant l'AMM cela a changé ; il peut y avoir une AMM
européenne et un laboratoire peut demander uniquement l'AMM nationale ;
mais s'il demande l'AMM européenne à Bruxelles -système
qui marche assez bien, dirigé par un fonctionnaire français-,
l'AMM européenne est valable partout sur un médicament et il n'y
a plus besoin de la demander ici. Cela a été une simplification
et une commodité incontestable pour les fabricants et les usagers, car
un médicament ne traîne pas pour obtenir son AMM au bout d'un
temps considérable.
Par ailleurs, les cafouillages éventuels qu'il peut y avoir sur l'AMM
ont du se réduire, mais cela ne fonctionnait pas si mal que cela. De
toute façon, comme le remboursement par la sécurité
sociale reste soumis à une Commission, le barrage peut être fait
par la Commission de transparence.
Le médicament passe en même temps au Comité
économique du médicament qui est présidé par le
président Marmot. Voilà les raisons pour lesquelles j'estime
qu'il faudrait revoir cela de plus près et l'Agence du médicament
aurait certainement besoin d'être renforcée.
Je vais vous donner un autre exemple typique : le Président de
l'Agence du médicament est un professeur à la faculté de
médecine de Bordeaux. A la Commission de la transparence, je l'ai vu une
seule fois alors que je n'ai pratiquement jamais manqué une
séance en 6 ou 7 ans, et ce pendant la période où il
était directeur du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'était avant l'Agence du
médicament. Il préside le Conseil d'administration, c'est
là où il faut le voir.
M. Maurice GUENIOT - Oui, mais il est certain qu'il n'avait pas marqué
au fonctionnement de sa direction une attention extrêmement pointue. Il
faudrait voir comment l'Agence du médicament fonctionne car elle a
besoin d'être renforcée et d'avoir un fonctionnement plus
satisfaisant.
M. Claude HURIET, rapporteur - En termes de sécurité,
considérez-vous que l'Agence du médicament ou d'autres structures
pour d'autres produits que le médicament, avec les
éléments dont vous disposez à travers l'Académie,
garantissent une bonne sécurité ; sinon, en quoi peut-elle
être améliorée ? C'est le coeur de la mission.
M. Maurice GUENIOT - La mission de surveillance est assurée
essentiellement par les fabricants qui n'ont pas intérêt à
ce qu'il y ait un problème énorme sur un médicament, car
ce serait pour eux un désastre gigantesque. Pour une entreprise de
petite importance, ce serait la ruine et un scandale dont la presse se ferait
l'écho. Si c'est un géant de la chimie internationale, il y
laisserait des plumes considérables et, même s'il ne faisait pas
faillite, cela lui coûterait infiniment plus cher que d'avoir commis une
négligence dans sa fabrication.
Qui fait les médicaments ? Il y a 2 catégories de
médicaments, des choses extrêmement simples, des
médicaments anciens que n'importe qui peut faire, même dans des
pays peu évolués. Et puis, il y a les molécules
extrêmement complexes de la plupart des thérapeutiques actuelles.
Là, qui est capable de les faire ? Il y a très peu de pays
qui aient des industries, des ingénieurs, des chimistes capables de
faire ce travail extrêmement sophistiqué. C'est la
différence entre fabriquer un U.L.M. et un avion à
réaction. Qui fait cela ? Les américains, les canadiens
étant en partie de l'industrie américaine, il y a les
français, les anglais, les allemands, les suisses, déjà
moins les italiens, dans quelques cas particulier le Danemark, et vous avez le
Japon.
En plus, s'il y a un scandale à la suite d'une fabrication mal faite ou
dangereuse, les concurrents ne le manqueront pas. C'est la base, mais il est
évident que les gouvernements ne peuvent pas s'en contenter et dans ces
conditions, il est nécessaire qu'il y ait un organisme, tel que l'Agence
du médicament.
Le problème va toutefois être posé par les
génériques. Il y en a de deux sortes : ceux fabriqués
par les géants eux-mêmes ou par des industries de moindre
importance, mais dans les grands pays de l'industrie chimique et
médicamenteuse. Et puis, vous aurez des produits
génériques venant d'industries plus ou moins douteuses, je pense
notamment à l'industrie polonaise qui se lance dans ce domaine. Il est
évident qu'il faudra surveiller cela de très près.
Comment va se passer cette surveillance ? Bien entendu, vous avez sans
doute vu le voeu de l'Académie de médecine, et l'avis qu'elle a
donné au gouvernement qui a demandé notre avis sur les
génériques. Cet avis a été donné par
l'Académie début novembre et cela a été
envoyé au Ministre intéressé et également à
la presse. Il est évident que nous avons mis des conditions très
strictes. L'Agence du médicament va vérifier mais a-t-elle les
moyens de continuer les surveillances, car pour les médicaments faits
par les géants, ils continuent à faire la surveillance
eux-mêmes.
Il y a quelques années, le National Health Service en Angleterre
s'inquiétait de la dépense considérable occasionnée
par la ciclyne, qui est un antibiotique extrêmement répandu. Ils
ont fait une espèce d'appel d'offres officieux et ont eu une offre de
l'industrie polonaise pour leur fabriquer des ciclynes à un prix
défiant toute concurrence. Ils se sont retournés vers le
fournisseur officiel qui était anglais et lui ont demandé de le
faire au même prix que celui proposé par les Polonais. Les Anglais
ont dit que c'était impossible.
Moralité, le NHS a cessé d'en fabriquer et les Polonais ont eu le
monopole du marché anglais. Les anglais se sont demandé comment
il se faisait qu'ils arrivent à cela, ils ont regardé de
très près les produits fournis par les Polonais dont la
pureté était impeccable.
Ils ont trouvé la solution, c'était l'oeuf de Christophe
Colomb : dans les capsules d'un gramme, les Polonais ne mettaient que 75
centigrammes, ce qui réduisait le prix de revient de façon
considérable. La chose a été publiée, le NHS s'est
aperçu qu'il se faisait rouler dans la farine par les Polonais et il a
interrompu cela. C'est pour dire que la surveillance du médicament, ce
n'est pas rien.
E. AUDITION DE M. MARC DEBY, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET DE M. CHRISTIAN DE THUIN, ADJOINT AU CHEF DU SERVICE TECHNIQUE DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA CONSOMMATION (INC)
M. Claude HURIET, rapporteur - Comment
fonctionnez-vous ?
Quel est votre sentiment concernant l'objet de notre mission ?
M. Marc DEBY - Je voulais vous remercier d'entendre l'INC ; nous avons
essayé de borner notre champ mais nous pensons que, vis-à-vis des
consommateurs, l'aspect grand public de ces questions sur la veille sanitaire
et sur le contrôle des médicaments nous a limités à
un certain nombre de questions plus proprement techniques.
Nous avons proposé également d'ouvrir sur un certain nombre de
thèmes pour nous éloigner de l'aspect proprement alimentaire des
questions, tout en abordant l'alcoolisme, le tabagisme, la consommation des
médicaments psychotropes.
Nous avons l'impression que nous sommes bien dans le champ d'investigation qui
est celui de votre mission mais en même temps, nous avons souhaité
le limiter à l'aspect grand public.
Nous avons souhaité traiter les questions de veille, les questions de
pharmacovigilance, plus accessoirement de réactovigilance, et les
questions de matério-vigilance.
J'aborderai quelques questions de santé publique dans mon introduction,
qui me paraissent tout à fait importantes pour les consommateurs. Nous
en viendrons ensuite aux contrôles des produits thérapeutiques.
L'INC est un établissement public national dont les deux tiers du
financement proviennent de la vente de son journal. Nous avons constaté
une forte diminution de l'engagement des pouvoirs publics que nous regrettons,
car nous pensons être un intermédiaire très important entre
les producteurs et les distributeurs qui se livrent d'âpres batailles et
les consommateurs dont nous cherchons à préserver au maximum les
intérêts. Nous pensons que les pouvoirs publics pourraient
envisager un retrait plus lent de leur financement, ce qui nous permettrait de
mieux remplir nos missions.
Le premier point concerne la veille accident. Il nous apparaît que le
dispositif législatif et réglementaire répond actuellement
aux exigences de santé publique en termes de préventions
d'accidents et, en conséquence, que l'organisation de l'Agence du
médicament répond à ce dispositif.
Cependant, l'alerte sur les produits est souvent quelque chose d'inopiné
et elle devrait être systématiquement effectuée en temps
réel. Maintenant que des moyens électroniques existent, il
devrait y avoir une obligation d'équipement des officines pour chacun de
ces moyens d'alerte. Nous avons constaté une hausse dans le signalement
de ces accidents. Bien sûr, il y a un renforcement de la
réglementation, qui peut constituer un facteur incitatif au signalement
des laboratoires, mais il y a aussi une certaine hausse du nombre des
décisions de retrait de lots. Or, si cette hausse démontre que
les risques sont bien réels, en revanche, nous nous interrogeons sur les
raisons pour lesquelles ces hausses de signalement interviennent. De ce point
de vue, nous constatons une certaine opacité des causes sur les
accidents survenus. On ne donne pas actuellement les motivations du retrait des
lots de médicaments ; or, il faut savoir que 2 à 3 fois par
semaine, nous constatons sur le Minitel approprié un rythme de 2
à 3 retraits.
On peut peut-être aussi se demander si les pharmaciens inspecteurs du
corps de la santé font des contrôles suffisants. C'est un point
que nous laissons à votre appréciation sachant que nous sommes
attachés au rôle que jouent ces contrôles en termes de
prévention des accidents.
Sur la pharmacovigilance, nous avons un fondement juridique qui est tout
à fait opérationnel et le système français nous
paraît tout à fait excellent. Le problème réside
plus dans l'application des textes qui n'est pas toujours effective sur le
terrain. Je développerai deux points, d'une part la sensibilisation des
professionnels de santé à la pharmacovigilance, qui nous
paraît vraiment insuffisante ; d'autre part, l'information
générale des consommateurs sur le système d'information
qui n'existe pas.
Concernant le premier point, vous constaterez que la sensibilisation des
professionnels à la pharmacovigilance est purement anecdotique, en
dépit des efforts des pouvoirs publics qui ont édité un
guide de bonne pratique et un guide de pharmacovigilance qui n'a pas
suscité suffisamment d'intérêt.
Là aussi, faut-il incriminer la pratique quotidienne des
médecins ? Je ne sais pas, mais il y aurait aussi un effort
à faire dans la pratique quotidienne des médecins. La plupart du
temps, les professionnels de la santé ont estimé que les effets
secondaires déjà connus ou répertoriés ne
présentaient pas d'intérêt pour la pharmacovigilance, son
but étant plutôt perçu comme un moyen de dépister
des effets et uniquement cela.
On nous explique que le temps de consultation ne permet pas de faire allusion
au système de pharmacovigilance. Peut-être la procédure
est-elle synonyme de paperasserie et il y aurait des efforts de communication
à faire. L'INC propose que nous en arrivions à une
rémunération forfaitaire du signalement. Peut-être
faudrait-il prévoir des stages de formation sur le sujet. On constate
que les cours de pharmaco-thérapeutique ne sont pas suffisamment
dispensés.
Concernant l'absence d'information des patients, c'est absolument patent. Elle
engendre une passivité complète du consommateur qui ne pense pas
signaler les effets secondaires de ces spécialités. C'est quelque
chose de préoccupant et pourtant, cela devrait permettre de favoriser
l'observance thérapeutique, mais il n'y a pas identification des effets
secondaires par les malades, du moins nous ne l'avons pas constaté dans
les courriers nombreux que nous recevons sur les questions d'utilisation des
médicaments.
D'une certaine façon aussi, les informations elles-mêmes ne sont
pas transparentes. Il est impossible de connaître aujourd'hui les risques
quantifiés ou réels de tel ou tel principe actif, de disposer
même d'une valeur comparative. Nous aimons bien faire des tests
comparatifs à l'INC mais nous ne disposons pas de valeurs comparatives
de certains principes actifs par rapport à certains équivalents
thérapeutiques.
Nous constatons aussi que beaucoup de principes anciens sont parfois
utilisés dans certaines spécialités pharmaceutiques et
perdurent alors même qu'ils ne sont probablement plus nécessaires
au fonctionnement du médicament.
Nous pourrions également améliorer la transparence par une
représentation accrue des usagers -peut-être de l'INC- dans la
Commission nationale de pharmacovigilance, c'est un point organique à
signaler également.
J'en viens à la phytovigilance, c'est le problème des produits
à base de plantes qui disposent d'une autorisation sur le marché
et qui relèvent, pour la veille sanitaire, de ce système de
pharmacovigilance. Personne ne reparlera du douloureux épisode du Germe
André qui a montré que la communication entre les systèmes
de pharmacovigilance des Etats membre de l'union devrait être fortement
améliorée.
On peut dire également que les produits qui sont actuellement sur le
marché français sont vendus avec des livrets d'informations ou
des dépliants, mais ces produits, alors que ce ne sont pas des
médicaments, sont considérés souvent comme tels par les
consommateurs en raison de la présentation de ces produits. Des
gélules, des comprimés, une posologie indiquée etc. font
penser à des médicaments. Il était d'ailleurs question
d'un décret qui devait en venir à réglementer ces
compléments alimentaires, mais ce décret n'a pas
été publié. Je pense qu'il faudrait envisager qu'il soit
pris.
Concernant la réactovigilance, on envisage qu'un simple enregistrement.
Je pense qu'il y a une nuance et que peut-être demande-t-on moins
d'exigences de la part de ces réactifs, alors qu'on prévoit pour
les médicaments une autorisation de mise sur le marché. C'est un
point qu'il faudrait peut-être soulever.
J'en viens à la matério-vigilance qui concerne essentiellement
les dispositifs médicaux. Nous pourrions renforcer la veille sanitaire
en élargissant la notion de dispositifs médicaux. Certains
équipements n'entrent pas dans la classification des dispositifs
médicaux, par exemple, les lentilles colorées présentent
des risques pour les utilisateurs. Il y aurait, d'après les
renseignements que nous avons du Conseil national de la consommation, un risque
significatif d'accidents oculaires non répertoriés, car aucune
structure ne s'occupe de centraliser ces problèmes sanitaires.
On pourrait également améliorer la matério-vigilance en
rendant obligatoires toutes les procédures quelle que soit la cause des
accidents. En effet, les textes réglementaires indiquent que les
signalements mettant en cause un dispositif médical doivent être
faits. Or, le signalement n'est que facultatif dans certaines
hypothèses, comme par exemple tout dysfonctionnement ou toute
altération des caractéristiques ou des performances d'un
dispositif médical, ou tout indication erronée, toute omission
dans la notice d'instruction d'emploi ou le manuel de maintenance. Je pense
qu'il faudrait rendre obligatoires toutes ces procédures.
Concernant le tabagisme, l'alcoolisme, nous avons demandé et nous
continuons de demander l'application la plus stricte de la loi Evin. Nous
pensons qu'une réflexion devrait être développée sur
l'accoutumance induite par la nicotine, et sur une amélioration de
l'étiquetage des cigarettes.
Sur la consommation des psychotropes, la France est un des pays où on en
consomme le plus ; il n'est que de rappeler les rapports divers. De ce point de
vue, il y a vraiment un effort très important à faire et il faut
améliorer tout ce qui concerne l'information dans les notices. Le fait
simplement, pour des produits qui ne sont pas forcément psychotropes,
mais pour des produits qui mettent en danger les conducteurs automobiles ou de
machines, il faut être encore plus net que dans une simple notice
d'emploi. Ce n'est pas suffisant.
Je voudrais également attirer votre attention sur
l'hépatite C, pour laquelle nous regrettions qu'il n'y ait pas de
dépistage. Sur une estimation de 600 000 personnes
contaminées, il y aurait actuellement 30 000
dépistés. Ce problème de l'hépatite C risque
de nous exploser à la figure dans quelques années.
M. Claude HURIET, rapporteur - On le sait.
M. Marc DEBY - Je n'entre pas plus dans le détail. Pour les maladies
sexuellement transmissibles, nous souhaitons attirer votre attention sur le
fait qu'il n'est plus prévu à partir de juin 1998 de
contrôle des préservatifs masculins par un organisme tiers.
Actuellement, le travail est fait par le LNE et le contrôle s'effectue
sur chaque lot.
C'est notamment à la suite des demandes de l'INC et de certains de ses
partenaires comme l'AFNOR que nous avons obtenu de la DGCCRF qu'elle prolonge
les systèmes de contrôle sur des lots et cela nous paraît
essentiel. Le climat de confiance que nous avons pu créer en rendant
hommage aux distributeurs/producteurs lorsque ceux-ci avaient
amélioré leurs produits -je rappelle que l'INC a fait des
contrôles sur les préservatifs depuis 1989, que ce contrôle
a donné lieu à la constatation que les produits n'étaient
pas au point et ensuite, nous avons pu obliger les producteurs à
remonter le niveau de qualité des préservatifs et le
problème de la porosité qui est maintenant bien
réglé- ; donc le niveau de confiance dans lequel nous sommes
pour ces produits n'exclut absolument pas le contrôle par lots, il faut
continuer. Or en juin 1998, il n'y en aura plus. Il faut donc absolument qu'une
instance indépendante continue à effectuer ces contrôles
par lots.
J'en viens au contrôle des produits thérapeutiques. Je traiterai
la question des autorisations de mise sur le marché. Pour l'INC, le
fondement juridique et les procédures de mise sur le marché des
médicaments actuels permettent d'assurer un bon contrôle de ces
produits, et en théorie, nous avons tous les éléments pour
assurer ce contrôle.
Cela dit, nous avons un écart important entre la théorie et la
pratique. D'abord, on sait que de très nombreuses
spécialités ont des autorisations de mise sur le marché
qui révèlent que l'efficacité de nombre de ces produits
est peu probante. Or, si ces autorisations de mise sur le marché sont
souvent accordées, en revanche il n'est jamais prononcé de
retrait des autorisations de mise sur le marché.
Il en découle que des spécialités anciennes demeurent sur
le marché national alors que le rapport entre le bénéfice
et le risque du produit n'est plus aussi satisfaisant que par le passé.
On citera le cas des fortifiants qui ont conservé une autorisation de
mise sur le marché et dont les effets sont souvent proches du placebo.
Au cours de ses nombreuses études sur les médicaments, l'INC a
souvent évoqué le problème des spécialités
qui changent de nom mais pas de composition. Les consommateurs, probablement du
fait de ce changement de nom, continuent d'utiliser ces médicaments
auxquels ils sont accoutumés. Peut-être faudrait-il changer la
dénomination commerciale, écrire plus clairement "nouvelle
formule" car "nouveau principe actif" c'est plus difficile car
le consommateur
n'est pas habitué à cette terminologie.
Sur les procédures européennes d'AMM, il faut être
vigilant, en particulier sur la procédure non centralisée qui
risque de niveler par le bas ces autorisations si les laboratoires formulent
leurs demandes auprès des Etat membre les moins exigeants. Il y a un
problème de niveau général et de normes
générales à maintenir.
Sur l'évaluation pharmaco économique, on touche au
problème très important du caractère remboursable des
produits. A partir du moment où une spécialité
pharmaceutique dispose d'une autorisation de mise sur le marché, l'INC
considère que la spécialité doit pouvoir être
remboursable, et elle ne souhaite pas que les niveaux de remboursement varient
selon les médicaments. Il faut voir l'aspect désastreux que peut
avoir la notion de médicaments de confort dans l'esprit des
consommateurs pour ce que l'on peut appeler un principe très important,
celui de l'observance médicamenteuse. Si on vous prescrit un
médicament -même s'il est de confort- encore faut-il l'observer et
en suivre normalement les prescriptions. De ce point de vue, nous attirons
l'attention du Sénat.
Je voudrais également dire un mot de la publicité. Nous avons une
vision peut-être restrictive des choses, mais c'est dû à
notre prudence et à notre effort pour chercher à protéger
les consommateurs et leurs intérêts. Pour nous, la
publicité des médicaments auprès du grand public ne
devrait pas être autorisée. Je sais que c'est un débat
difficile qui met en jeu d'importants intérêts, mais je voudrais
quand même vous sensibiliser -je pense que vous l'êtes-, sur le
fait que cette publicité développe surtout notre réflexe
à consommer, et introduit d'une certaine façon une banalisation
du médicament.
Nous parlions du triste record dont nous sommes les titulaires qui est celui de
la consommation des psychotropes, je crois que c'est notamment dû
à ce développement du réflexe à consommer. Je dirai
même que cela peut aller aussi à l'encontre de la simple auto
médication quand elle est faite rationnellement.
Je voudrais demander à M. de Thuin, pour ce qui concerne la
publicité auprès des professionnels, de vous en montrer le
caractère extrêmement ambigu, même auprès des
professionnels. Un certain nombre de mentions obligatoires doivent figurer sur
ces publicités. Je vous défie, en les regardant, de lire les
mentions obligatoires ; on a l'impression de revenir aux vieilles
questions des contrats d'assurance avec les textes écrits en tout petit.
Je vous ai apporté des exemples de publicité, il y en a un dont
les mentions obligatoires sont tellement peu lisibles -elles ont
été imprimées dans un gris- que je n'arrive pas à
les lire. Voici ce que l'on appelle de la publicité pour des
professionnels. Faut-il vraiment maintenir cela ? Il y a une certaine
inadéquation d'ensemble du système.
Je voudrais plaider pour le bon usage des produits par le public et
développer trois points rapidement et de façon
générale : le problème de l'information qui doit
être donnée au public ; le problème de l'observance
médicale ; et le problème de l'automédication.
Sur l'information au public, nous regrettons que les notices d'instruction
d'emploi ne soient pas complètes et, parfois même, très
largement insuffisantes ; en tout état de cause, elles ne respectent pas
le texte de l'annexe 2 de l'AMM. Il y a eu un groupe de travail
présidé par le professeur Colin au début des années
90 qui avait favorisé les recherches et les réflexions sur ce
point. Ces travaux ont été interrompus faute de moyens ;
c'est dommage car de tels travaux avaient leur importance pour l'information du
public.
Sur l'observance médicale, cela nous paraît absolument insuffisant
mais il faut dire que la sensibilisation des consommateurs n'est pas, elle
aussi, facile à réaliser. Les comportements sont
influencés par des aspects psychologiques ou sociaux. Nous serions tout
à fait d'accord pour participer à un travail d'éducation
du consommateur, car c'est une des voies à mettre en place. Pour cela,
il faut une information adéquate sur les résultats cliniques des
produits en fonction de l'observance.
M. Christian de THUIN - Aux Etats-Unis, dans certaines notices d'emploi, il y a
des indications sur le pourcentage d'efficacité du produit
thérapeutique en fonction du respect de l'observance
médicamenteuse. Si le produit doit être utilisé tous les
jours, on peut s'attendre à tel pourcentage d'efficacité ;
par contre si on l'utilise très irrégulièrement on n'aura
que 10 % d'efficacité. Tout cela est tout à fait
pédagogique par rapport à une amélioration de l'observance
médicamenteuse.
Malgré le sérieux des études, on est dans le flou sur des
pourcentages exacts de respect des traitements thérapeutiques, mais des
initiatives très intéressantes ont eu lieu aux Etats-Unis avec
des patients notamment sous polymédication qui utilisaient un genre de
semainier : chaque fois qu'ils ouvraient ou fermaient la boite de
médicaments, un compteur permettait de savoir quand ils l'avaient
ouverte et fermée, afin d'évaluer de façon plus
chiffrée les résultats de ces observances médicamenteuses.
On s'est aperçu que tout ce que l'on jugeait à peu près
par des enquêtes faites auprès des patients se
révélait exact à savoir que, suivant les catégories
de médicaments ou de patients, entre 30 et 70 % des patients ne
respectent pas les traitements prescrits. Il y a un problème entre
l'intérêt de la prescription et l'efficacité réelle,
l'effet thérapeutique attendu.
M. Marc DEBY - Dernier point, la question de la distribution des
médicaments. Nous sommes favorables à l'existence d'un droit de
substitution des pharmaciens, mais dans des conditions précises
d'existence de listes positives des médicaments génériques
qui devront avoir les mêmes qualités
pharmaco-thérapeutiques que les molécules originales.
Enfin sur la distribution, nous sommes très préoccupés par
le développement des achats de médicaments par le système
Internet qui nous préoccupe considérablement avec l'achat de ces
produits sans contrôle dans des pays : rappelons l'affaire de la
mélatonine, tout ceci nous paraît absolument dommageable.
M. Claude HURIET, rapporteur - Merci de votre rapport extrêmement
intéressant sous un point de vue que nous n'avions pas toujours
envisagé.
Très peu de questions, car votre présentation a été
exhaustive. Cependant, puisque dans les deux volets que vous avez
abordés, celui de la vigilance et celui de la sécurité des
produits, vous avez parlé d'absence d'information des patients et
d'absence de transparence, je vois une certaine difficulté
d'adéquation entre ce souhait d'avoir une meilleure information et une
information plus transparente, et la densité des mentions obligatoires
dont vous nous avez montré des exemples assez spectaculaires.
Comment concilier les deux avec la sécurité des usagers, puisque
c'est le point essentiel de la mission de la Commission des affaires
sociales ?
Vous avez évoqué à titre de suggestion une
rémunération pour les professionnels de santé pour
favoriser la vigilance. Je ne suis pas du tout d'accord. Cela me choquerait que
l'on soit amené à envisager une indemnisation pour la
déclaration des événements. J'attache plus d'importance
à la formation initiale et continue des professionnels de santé
pour attirer leur attention sur une vigilance qui doit être une attitude
constante et en comptant davantage sur eux que sur les patients
eux-mêmes. En effet, l'évocation d'effets secondaires risque chez
certains patients de susciter des effets secondaires ; c'est un
phénomène sûr mais cette partie de votre exposé m'a
beaucoup intéressé, tout comme ce que vous avez dit de la
matério-vigilance, car au point où nous en sommes, nous
considérons que c'est un domaine qui n'est pas bien traité, tant
pour les dispositifs que pour les biomatériaux.
M. Marc DEBY - Sur le problème de l'indemnisation, c'était une
simple suggestion et j'ai commis le petit péché de vous proposer
cette solution sans imaginer qui pourrait en être le payeur. J'ai
davantage insisté sur la nécessaire formation des professionnels
de la santé : il faut, dans le cursus universitaire des
médecins, des professionnels de santé, insister davantage sur la
pharmacothérapeutie et la pharmacovigilance. Il y a une piste de fond
à privilégier.
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans quelles conditions est
réalisée la publicité grand public pour les
médicaments ?
M. Marc DEBY - A mon avis, elle n'est pas bien fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quels médicaments ?
M. Marc DEBY - Tous ceux qui ne sont pas soumis à prescription,
remboursable ou non remboursable. J'insisterai sur le risque en termes
d'hygiène de vie ; il y a un risque important et le dernier exemple
que nous avons est une publicité où on voit un élu qui
visite sa circonscription. Il vient serrer les mains et comme il est sur un
marché, on lui offre des fruits, à boire, une choucroute, puis
des aliments sucrés etc. Il est d'ailleurs suivi par un jeune conseiller
technique qui n'a pas les mêmes capacités ...
M. Claude HURIET, rapporteur - ...c'est pourquoi il est conseiller technique et
pas élu !
M. Marc DEBY - Absolument ! Le jeune est malade mais heureusement,
l'élu a pris un médicament qui lui permet de ne respecter aucune
hygiène de vie. Or, ce n'est pas bon de prendre des produits à
n'importe quelle heure pour faire plaisir. Nous pensons que certains produits
et publicités peuvent entraîner un manque d'hygiène de vie.
La publicité pourrait dire que certains médicaments peuvent
aider, mais qu'il faut commencer par bien manger et bien dormir.
VII. SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. DIDIER LOMBART, DIRECTEUR GÉNÉRAL DES STRATÉGIES INDUSTRIELLES
M. Charles DESCOURS, président - Vous connaissez les
termes de notre mission. En fait, nous avons eu deux démarches
parallèles qui se rejoignent. M. Huriet a travaillé beaucoup sur
les nouvelles thérapeutiques comme la thérapie génique et
cellulaire. Ensuite, l'apparition de phénomènes comme la maladie
de la vache folle ou la panique qui a entouré le problème de
l'amiante (alors qu'on connaissait bien ses aspects depuis longtemps) nous a
fait réfléchir à la question suivante : est-ce que, dans
notre pays, la sécurité des produits thérapeutiques est
convenablement assurée tout au long de la chaîne, et, en cas
d'épidémies ou de pathologies nouvelles, y a-t-il quelqu'un qui
est susceptible de dire que c'est une pathologie qui peut devenir humaine ?
Est-ce qu'il y a quelqu'un ou une structure disposant d'une ouverture d'esprit
permanente en se disant : "voilà une nouvelle affaire qui va
apparaître" ?
Voilà le cadre de notre travail. Maintenant, en ce qui concerne la
Direction générale des stratégies industrielles, Claude
Huriet va vous expliquer ce que nous attendons de vous.
M. Claude HURIET, rapporteur - Comme vient de le dire Charles Descours, il y a
une logique et une continuité dans la démarche de la Commission
des affaires sociales du Sénat, puisque, au départ, la Commission
s'était particulièrement impliquée dans la mise en place
d'un certain nombre de structures qui avaient pour vocation première la
sécurité des produits. Je citerai comme points de repère,
car ce sont les premiers dans la chronologie, l'Agence française du
sang, qui nous a amené, nous, sénateurs, à faire sortir du
tiroir le projet de création de l'Agence du médicament
(sécurité transfusionnelle et sécurité du
médicament), puis l'Etablissement français des greffes et, dans
un laps de temps très court le Laboratoire français du
fractionnement.
Quand on évoque ces quatre institutions, on voit qu'il y a une dimension
industrielle et qu'il s'agit d'assurer la sécurité non seulement
en amont (encore qu'on puisse se demander où est l'amont et où
est l'aval) mais également au départ, en ce qui concerne les
conditions d'expérimentation et de fabrication. Il y a ainsi un lien
continu jusqu'au moment où on passe à la phase
d'industrialisation des produits.
Nous avons donc cette approche linéaire qui nous a amenés,
à partir des thérapies géniques et cellulaires (qui sont
loin de passer à la phase industrielle), à nous rendre compte que
cette réflexion sur la sécurité sanitaire des produits ne
pouvait pas faire l'économie d'un inventaire des structures existantes
avec cette finalité de la sécurité des produits, non pas
tant pour voir les conditions dans lesquelles elles fonctionnent mais pour
savoir s'il existe, entre ces différents secteurs bien ciblés,
des domaines dans lesquels ces considérations en matière de
sécurité sanitaire ne sont pas satisfaites.
Notre deuxième démarche consiste à savoir si, entre ce qui
existe et ce qu'il faudra sans doute mettre en place, la coordination et les
échanges se font bien ou s'ils se font insuffisamment, avec le risque
d'avoir des doublons qu'on avait vu apparaître à propos de la
thérapie génique et de la thérapie cellulaire. Donc la
deuxième démarche, après l'analyse par fonction et par
structure, est celle de la cohérence et des liens.
Enfin, la troisième et dernière démarche est celle de la
veille sanitaire. Pour le moment, je m'implique personnellement parce que la
Mission ne s'est pas prononcée sur ce point, mais il me semble que la
réflexion sur la veille sanitaire doit être nécessairement
une réflexion globale.
Voilà le schéma général, le point de départ
de la mission et les orientations actuelles. Je pense que maintenant, vous
pourrez trouver plus facilement votre place et que votre audition peut nous
apprendre bien des choses.
M. Didier LOMBARD - La naïveté de la question liminaire que je vous
ai posée dans le couloir tient au fait que nous ne sommes pas vraiment
centraux dans le dispositif mais que nous sommes effectivement amenés
à intervenir dans différentes choses.
Tout d'abord, pour clarifier les choses par rapport à certains
éléments du passé, quels que soient nos objectifs de
politique industrielle, il est évident que les problèmes de
santé de l'individu sont au premier rang de nos préoccupations et
que la politique industrielle passe au deuxième rang par rapport
à ce qui concerne la santé de la personne humaine.
Je rappelle donc ce principe qui va sans dire mais pour lequel j'ai souvent des
petites affaires qui arrivent. Il y a toujours des choix qui ne sont pas aussi
typiques que dans des affaires qui défrayent le chronique, mais il ne
faut pas l'oublier.
Cela dit, nous participons activement aux délibérations de
l'Agence du médicament, puisque nous sommes au conseil de cet
établissement, qui est en fait une première du dispositif que
vous avez mis en place il y a trois ans.
Nous l'avons perçu comme un élément assez positif, parce
que le débat entre les industriels et les professionnels de la
santé se passait à l'intérieur au lieu d'être
à l'extérieur du dispositif. Au lieu d'avoir une petite
opération avec l'ensemble de la procédure d'autorisation de mise
sur le marché, qui se passait un peu en dehors de nous (sachant
qu'ensuite, les industriels expliquaient pourquoi cela ne les arrangeait pas),
les préoccupations sont prises en compte dès ce stade et
finalement, je trouve que cela permet de donner à l'aspect industriel sa
juste mesure dans les discussions au moment où cela va bien.
Cela a donc été une amélioration du système,
surtout en ajoutant l'élément économique, même si
son existence n'a pas un support de texte très fort.
M. Claude HURIET, rapporteur - Depuis quelques mois. C'est différent.
M. Didier LOMBARD - C'est vrai, mais il y a eu une période un peu
difficile. Avoir un comité qui ne dépend que de la qualité
d'un homme, même si elle est grande, cela pose problème...
(rires).
Le système a donc été bien
amélioré.
Ensuite, je crois que là où les choses se compliquent
énormément, c'est quand on passe du stade du contrôle des
produits qu'on met sur le marché, ce qui est un sujet relativement
cadré et organisé, au stade plus compliqué de la veille
sanitaire, c'est-à-dire le contrôle de tout ce qui peut arriver
sur le marché qui environne nos concitoyens et qui peut impliquer leur
santé. On s'aperçoit (et vous avez donné quelques exemples
dans votre introduction) qu'il peut se passer à tout moment, sur des
créneaux qu'on n'attend pas, des phénomènes absolument
imprévisibles.
Maintenant, par rapport à ce que vous avez dit dans votre introduction,
je me permets d'ajouter une dimension : le fait que nous ne sommes pas seuls
sur cette planète et que nous sommes dans le système OMC
(Organisation mondiale du commerce). Je vous parle de l'OMC, parce que je vois
poindre à l'horizon un certain nombre de problèmes concrets qui
vont être exactement à la frontière, voire dans les travaux
de l'Organisation mondiale du commerce.
En ce qui concerne par exemple les produits biotechnologiques qui sont à
nos frontières, l'industrie de notre pays ne s'est pas vraiment
développée sur ces créneaux alors qu'elle s'est
développée de façon intense aux Etats-Unis. Il y a donc un
certain nombre de produits de consommation courante qui sont à nos
frontières et pour lesquels on peut se retrouver dans une période
d'interrogation profonde car premièrement, on ne sait pas vraiment si
cela a le moindre effet sur la santé de nos concitoyens et
deuxièmement, si on venait à se poser des questions et à y
mettre des freins, on se retrouverait certainement mis en accusation devant
l'OMC.
Cela paraît un petit sujet, mais il me semble que par rapport à
une conception un peu " organisationnelle " de la République
dans laquelle on se dit qu'en matière de veille sanitaire, on va essayer
de mettre tous les systèmes en cohérence, il ne faut pas oublier
cette direction internationale, parce qu'on n'a pas le degré de
liberté qui convient, à moins de faire préalablement
toutes les vérifications qui conviennent avec les organismes
internationaux ou d'utiliser une procédure d'alerte avec des arguments
suffisamment étayés.
A contrario
, il y a évidemment l'argument industriel. Si on en
fait trop, c'est-à-dire si on se met à prendre des
précautions sur des produits du genre de ceux que j'ai cités
parce qu'on ne sait pas bien ce qui va se passer, on peut aussi handicaper une
partie importante de notre industrie. Sur le sujet dont je viens de parler,
Rhône-Poulenc est l'un des acteurs possibles. Que va-t-il se passer dans
ce secteur et comment cela va-t-il se jouer sur le plan réglementaire
ici, à Bruxelles ou aux Etats-Unis ? Je n'en sais rien, mais c'est un
sujet que l'on voit poindre à très court terme.
Voilà la dimension internationale que j'ajoute à vos
préoccupations pour compliquer vos réflexions.
En ce qui concerne le sujet de la veille sanitaire, en dehors de la partie
"autorisation de mise sur le marché", on a actuellement une
multiplicité d'organismes qui interviennent, dont une modeste partie
dépend de nous (vous en avez trouvé effectivement quelques-uns),
d'autres du ministère de l'Economie et d'autres encore du
ministère de la Santé ainsi que quelques-uns du ministère
de l'Agriculture.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez une liste de tous ces
organismes ?
Mme Anne ROUBAN, chargée de mission pour la réglementation
à la sous-direction des produits de santé - On peut vous la
communiquer.
M. Didier LOMBARD - Nous pouvons vous communiquer ceux que nous connaissons. Si
vous posez la question à d'autres interlocuteurs, vous aurez
peut-être une liste complète.
M. Charles DESCOURS, président - C'est bien notre volonté.
M. Didier LOMBARD - Ce qui est positif, c'est que, sauf vraiment des failles
accidentelles, sur pratiquement tous les secteurs possibles, il y a toujours en
face un organisme quelque part qui fait quelque chose. Je crois que notre
République est finalement mieux organisée qu'on ne le pense, ou
plutôt qu'elle est plus complète qu'on ne le pense.
Ce qui, en revanche, ne fonctionne pas ou n'existe pas, c'est la mise en
réseau de tout cela. A l'heure actuelle, quand le L.N.E. détecte
quelque chose sur tel ou tel produit, je ne suis pas sûr qu'il diffuse
l'information à l'ensemble du système.
M. Charles DESCOURS, président - Même pas au réseau de la
Santé publique ?
M. Didier LOMBARD - Cela dépend du type d'information, mais je pense que
pour des informations qu'il juge bénignes, il ne doit pas faire une
édition spécifique.
M. Gérard MATHIEU, chargé de la sous-direction des produits de
santé, chimie fine et bio-industries - Sur l'exemple du
préservatif, il l'a fait, quand même.
M. Didier LOMBARD - Sur les préservatifs, compte tenu de l'attention
qu'il y a sur le sujet du sida, il n'y a pas de problème.
M. Charles DESCOURS, président - De toute façon, même si le
laboratoire ne le faisait pas,
Libération
le ferait !
M. Didier LOMBARD - Pour les sujets à la mode, cela fonctionne
forcément, parce que les gens ont l'attention très
polarisée. Ce qui est dangereux, c'est le sujet apparemment anodin,
comme l'étaient les affaires de sang contaminé avant qu'on les
découvre. Ces malheureuses affaires du sang contaminé sont aussi
liées au fait que, dans une certaine phase, les gens n'ont pas
alerté et ne pensaient pas que cela avait une telle gravité. Il
s'agit d'une présentation atténuée des choses, mais pour
la plupart des acteurs, c'est ainsi que cela s'est passé. Le danger que
nous avons, c'est que s'il se produit un phénomène que nous ne
pouvons pas imaginer aujourd'hui d'apparence bénigne, le fait qu'il ne
soit pas répercuté sur l'ensemble du réseau est une chose
qui peut être handicapante. A l'inverse, la mise sur le réseau
peut accélérer la procédure d'alerte de façon
exceptionnelle.
Il me semble que dans la société dans laquelle nous sommes,
à l'heure actuelle, où, effectivement, la création de
banques de données et de réseaux et les échanges
d'informations instantanées sont des choses qui sont vécues tous
les jours, c'est probablement l'une des voies permettant d'améliorer le
fonctionnement du système de façon importante. C'est une chose
qui a besoin d'être organisée et qui n'est ni compliquée en
ce qui concerne les structures, ni traumatisante en ce qui concerne les
organisations. En effet, personne ne perd ses prérogatives, et la mise
en commun des informations est une chose qui peut être
considérée comme valorisante pour tel ou tel organisme. Il me
semble que c'est une direction vers laquelle il faudrait regarder.
A l'autre extrémité (mais je ne sais pas si c'est ce que vous
avez en tête), on pourrait imaginer qu'on fabrique un organisme qui soit
responsable de l'ensemble. Le problème, c'est qu'on entrerait alors dans
une lutte de chapelle sans fin au moment de la création de cet
organisme. J'en parle en étant très à l'aise, puisque je
suis un peu marginal par rapport à l'ensemble et que je ne serai pas
dans la mêlée, mais je vois bien qu'en ce moment, entre nos
collègues de l'Agriculture et ceux des Finances, pour la simple partie
du contrôle des produits alimentaires, il y a une lutte qui est
déjà assez homérique.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quand vous dites "déjà", c'est
parce que c'est la Mission sénatoriale qui l'a déclenchée
ou parce qu'elle existait avant ?
M. Didier LOMBARD - Elle existait avant. Elle existe à chaque fois que
se met en place un nouveau gouvernement. Je vis à chaque fois au niveau
interministériel les décrets d'attribution et il y a à
chaque fois des tentatives de perdre l'un ou l'autre...
Historiquement, le contrôle des produits alimentaires était
à l'Agriculture, puis il est passé à la DGCCRF. Au
début du premier gouvernement de M. JUPPE, il y avait une
ambiguïté dans l'intitulé du ministère qui faisait
qu'il y avait une tendance à rapatrier les choses au ministère de
l'Agriculture. Si j'ai bien compris, à la DGCCRF, il y a eu quelques
mouvements de foule, parce que les gens préféraient être au
ministère de l'Economie qu'au ministère de l'Agriculture. Je dis
cela bien que ce ne soit pas à la hauteur de vos réflexions...
(rires).
Mon expérience dans les réorganisations de
ministères, c'est que je préfère travailler par fonction,
donner à différents sous-ensembles des missions et les mettre en
cohérence par tous les systèmes que je peux imaginer pour les
faire travailler ensemble plutôt que de casser les structures, parce
qu'à chaque fois que vous le faites, vous perdez six mois. Vous pouvez
éventuellement avoir un gain à faire en organisation, parce que
vous dites : "il y a 200 personnes et je vais en mettre 150", mais si
ce n'est
pas le cas, je suis plus pour une gestion par fonction que pour une
modification des frontières des services.
En fait, la discussion est bien entre les trois pôles que sont la
Santé, l'Agriculture et l'Economie. En ce qui concerne la partie qui est
faite dans nos laboratoires, nous sommes un peu sous-traitants dans ce
système, parce que lorsque nous contrôlons tel ou tel
matériel ou tel ou tel équipement qui vise la santé, on le
fait sur des spécifications sur la santé.
Dans la salle - Le L.N.E., par exemple, travaille sur commande ?
M. Didier LOMBARD - Il est sous-traitant.
M. Gérard MATHIEU - Les essais sont en partie commandés par ces
organismes et en partie faits par lui et d'autres organismes aussi.
M. Didier LOMBARD - Le LNE a un savoir-faire en matière de tests et au
point de vue de la fiabilité et du coût du test, il a une grande
réputation. Donc il est sous-traitant pour effectuer ces tests dans les
meilleures conditions, parce que ce genre d'opération peut être
très coûteux et ne pas être fiable. En fait, il
répond à ces deux questions.
M. Charles DESCOURS, président - Dans les dispositifs médicaux,
c'est le LNE qui fait les essais, par exemple en pacemakers ou valves
cardiaques ?
M. Didier LOMBARD - Il regarde les aspects techniques des choses. Pour tester
un pacemaker, il vérifie qu'il résiste à des milliards
d'oscillations, il fait des tests par rapport à la composition chimique,
etc.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et cela se fait sur la commande ou la demande de
qui ?
M. Gérard MATHIEU - Sur ce type de produits, c'est-à-dire les
pacemakers, cela passe par le ministère de la Santé. C'est la
procédure d'homologation.
M. Claude HURIET, rapporteur - Santé et Direction des hôpitaux, si
je comprends bien.
Comme je le disais tout à l'heure, on a découvert des
insuffisances concernant les biomatériaux. Donc ce que vous dites
à propos des dispositifs est un élément qui confirme qu'il
y a une recherche de la sécurité. On a parlé hier, et
également dans d'autres circonstances, du marquage "CE". Or je
percevais
davantage ce marquage comme une garantie de bonne fabrication et pour moi, la
sécurité et la viabilité n'étaient pas la
finalité première. Depuis, on m'a dit que c'était le cas.
M. Gérard MATHIEU - Il y a les deux. Il y a à la fois une
assurance qualité de type industriel normale à laquelle s'ajoute
des qualités de sécurité d'objectif médical.
M. Claude HURIET, rapporteur - Si nous en avions parlé avant,
c'était à propos de la loi du 20 décembre 1988, au sujet
de laquelle on m'avait dit que pour les dispositifs, il n'y avait pas
d'équivalent pour ce qui est des essais opérés en
différentes phases pour les médicaments et que finalement, les
essais pratiqués chez l'homme, avant l'homologation, n'étaient
pas soumis à des conditions aussi rigoureuses et
contrôlées.
C'est ce qui m'a amené à m'interroger sur les conditions dans
lesquelles on pouvait, par le marquage CE, garantir la sécurité
s'il n'y a pas une phase d'essai chez l'homme correspondant à des
conditions très strictes. Que pouvez-vous me répondre sur ce
point ?
M. Gérard MATHIEU - Je vous répondrai que les choses
évoluent, parce que les préoccupations qui sont exprimées
ici sont partagées en définitive au niveau à la fois
européen et français. Donc il est vrai qu'il y a
déjà une dizaine d'années, les produits étaient
homologués, ce qui est à peu près équivalent
à l'autorisation de mise sur le marché, mais cela se faisait avec
une démarche technique d'assurance et de vérification des
qualités de matériaux et des matériels qui
répondait à une réglementation incomplète.
Maintenant, on s'est aperçu que des problèmes se posaient
à cet égard et que cela nécessitait des essais. Donc les
exigences vis-à-vis des produits et des industriels qui les mettent sur
le marché se sont mises pratiquement au niveau. L'apport du marquage CE
par rapport à l'homologation, c'est que les essais ont été
améliorés avec comme objectif la sécurité pour
l'homme des produits quels qu'ils soient, et qu'en même temps, puisque
c'était l'objectif de la nouvelle approche, on jumelait cela à
une sorte d'assurance qualité dans le cadre de la fabrication dont
l'industriel était responsable, sans que ce soit contrôlé
de l'extérieur par un organisme étatique. C'est
contrôlé maintenant par un organisme tiers qui dit : "oui,
l'entreprise vérifie bien les différents cahiers des charges qui
permettent de dire qu'ils fabriquent correctement" et, en même temps, les
essais sont assurés pour que le produit soit compatible avec une
utilisation humaine.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je termine ma question. Quand nous avons
auditionné à propos des biomatériaux, on nous a
donné quelques exemples qui montrent qu'on peut fabriquer une
prothèse, par exemple, avec une substance dont on pense qu'elle est
inerte et qu'avec le temps, on se rend compte qu'elle ne l'est pas. Cela pose
un vrai problème qui prouve qu'au moins sur les dernières
années, cette sécurité n'était pas correctement
assurée.
L'autre critique que l'on nous a faite, c'est qu'on peut fabriquer avec des
matériaux inertes des pièces qui, du point de vue de leur
conception mécanique, ne sont pas acceptables. Nous avons
auditionné un ingénieur qui fait partie de l'équipe du
centre de recherche sur les biomatériaux à Nancy, et il nous a
dit qu'il y avait eu par exemple des ruptures de pièces dont il aurait
pu dire, en tant qu'ingénieur, qu'il y aurait des problèmes
à tous les coups. Il nous a dit qu'on prenait parfois plus de
précautions pour réaliser des pièces mécaniques ou
industrielles, comme dans le secteur automobile, que pour concevoir et
réaliser des prothèses.
Est-ce que c'est dans votre champ et est-ce qu'il y a une réponse ? Il y
a les deux éléments : la matière première, d'une
part, et la conception et l'utilisation qu'on en fait, d'autre part.
M. Charles DESCOURS, président - Pour moi, c'est une découverte
aussi, car dans la mission que m'avait confiée le Premier ministre sur
les problèmes de radioactivité chez les personnels travaillant
dans les hôpitaux, le marquage CE, pour le matériel de radiologie,
était une garantie au moment de la vente (ensuite, cela se
dégrade). Donc j'avoue que ce que nous avons découvert là
m'a surpris.
M. Claude HURIET, rapporteur - Actuellement, de qui cela dépend-il
théoriquement ?
M. Gérard MATHIEU - Encore maintenant, les dispositifs médicaux
peuvent être homologués. Le marquage CE ne date que d'un an et
demi. En ce qui concerne l'homologation, normalement, l'aptitude du produit
à satisfaire la fonction qu'on lui demande est une chose qui doit
être prouvée. Donc il y a des essais. Il n'y a pas vraiment
d'équivalent des essais cliniques pour le médicament, mais il y a
des essais de type physique qui ont été faits. Donc en ce qui
concerne des problèmes de rupture comme ce que vous citiez, je suis
vraiment étonné que cela puisse se produire.
M. Claude HURIET, rapporteur - On nous a parlé des électrodes des
stimulateurs cardiaques. Il y a eu des incidents et même des accidents
avec des ruptures de certains éléments, et cet ingénieur
nous a dit qu'en tant que connaisseur des matériaux, il aurait pu
très bien dire que le choix du matériau n'avait pas
été bon et que dans les conditions d'utilisation chez l'homme, on
risquait des pépins. C'est quand même un point assez grave.
M. Gérard MATHIEU - J'ai essayé de répondre à vos
préoccupations. Nous avons les mêmes soucis, et nous essayons
justement, d'une part, d'aider à préparer la réalisation
d'essais cliniques en liaison avec le ministère de la Santé, non
pas seulement sur les produits implantables mais aussi sur les produits
médico-chirurgicaux. Il y a toute une procédure de tests
industriels et scientifiques avec l'ANVAR qui ont été mis au
point depuis de nombreuses années.
Nous essayons également, dans le cadre du programme d'essais cliniques
du ministère de la Santé, d'introduire de plus en plus des essais
cliniques sur les matériaux et sur les dispositif médicaux. Donc
nous avons aussi cette préoccupation. Mais je suis étonné
par les exemples que vous citez. En ce qui concerne les électrodes, je
reconnais qu'il y a eu des problèmes, mais théoriquement,
l'assurance qualité y répond.
M. Charles DESCOURS, président - Sur certains pacemakers, j'ai
rencontré des problèmes d'électrodes, mais c'était
à une époque où le risque zéro n'était pas
considéré comme atteignable.
M. Didier LOMBARD - Je ne crois toujours pas au risque zéro.
Scientifiquement, il est impossible
M. Charles DESCOURS, président - Tout à fait. Nos concitoyens
sont dans une douce rêverie à cet égard.
M. Didier LOMBARD - Il faut tout faire pour améliorer les choses, mais
au fur et à mesure qu'on va vers zéro, c'est de plus en plus
compliqué.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Cet ingénieur de l'Ecole des Mines
disait que l'analyse du produit était peut-être un autre volet du
problème mais que ce qui était fort inquiétant,
c'était l'essaimage incroyable de petites entreprises qui travaillaient
autour des prothèses et des éléments implantables et qui
n'avaient pas du tout de contrôle de fabrication pour ce type de
matériel spécifique.
M. Didier LOMBARD - C'est l'élément auquel je pensais pendant que
le sénateur parlait tout à l'heure. Effectivement, c'est un
domaine dans lequel on a favorisé beaucoup de
start-up.
M. Charles DESCOURS, président - Il faut le faire.
M. Didier LOMBARD - Ce sont en effet les petites entreprises qui font des
pacemakers. Donc effectivement, derrière cela, il y a la
difficulté que dans une petite structure, on n'a pas forcément
tous les éléments nécessaires pour vérifier tous
les aspects. Pour avoir un chimiste, un spécialiste de mécanique
et tous les spécialistes présents, c'est pratiquement impossible
et c'est économiquement peu viable. En revanche, on doit pouvoir, en ce
qui concerne les essais obligatoires et la filière qui est
derrière, les aiguiller sur les experts qui conviennent pour
vérifier certains aspects de la chose.
M. Charles DESCOURS, président - Est-ce que les conservateurs, les
colorants et tous les adjuvants aux aliments dépendent de vous ?
Mme Anne ROUBAN - Absolument pas. Cela ne dépend pas de nous. Les
initiatives dépendent du ministère de l'Economie et des Finances,
à la DGCCRF. Nous sommes dans un système totalement
harmonisé de droit communautaire, dans lequel un certain nombre de
directives communautaires fixent de longues listes positives de
molécules ayant fonction d'additifs, de colorants, édulcorants
etc., avec la déclinaison des catégories de molécules, de
leur emploi et des catégories d'aliments dans lesquelles elles peuvent
entrer ainsi que des quantités compensatrices ou non, selon une
évaluation toxicologique qui en est faite.
M. Charles DESCOURS, président - C'est une directive européenne
qui est fondée sur les travaux de quels laboratoires ?
Mme Anne ROUBAN - C'est toute une filiation d'expertises. Il y a toute une
harmonisation du droit alimentaire qui est en train de se faire. Il y a bien
entendu le Conseil supérieur de l'alimentation humaine (C.S.A.H.),
auprès de la Commission européenne, qui émet des
directives toxicologiques ; les Etats-membres y sont
représentés et la France y est représentée par
M. Pascal et M. Rey (M. Pascal étant le Président du
C.S.A.H.), et bien entendu, chez les Français, il y a le Conseil
supérieur qui statue sur le rapport d'expert et l'évaluation
toxicologique. Je ne donne pas tous les détails techniques, mais cela va
très loin, pour le simple motif qu'un additif alimentaire est
susceptible de rentrer dans la ration alimentaire et de concerner l'ensemble de
la population. De ce fait, les négligences sont très importantes,
parce que l'alimentation peut concerner un nourrisson, une femme enceinte, une
personne malade, etc. Il faut donc faire très attention à la
ration alimentaire et à la quantité précise qui peut
être ajoutée. Sur ce plan, il y a donc des recommandations
multilatérales et de très nombreux travaux d'harmonisation.
M. Charles DESCOURS, président - Comment expliquez-vous que tous ces
remarquables organismes internationaux aient laissé se développer
sans bouger l'épidémie de la vache folle, sans se poser la
question de savoir si elle était transmissible ou non ? Il y a quand
même dix ans que cela existe en Angleterre. Tous les jours, pour la
plupart d'entre nous, nous mangeons de la viande et la libre circulation des
bovins est une religion absolue jusqu'à ces derniers mois. Donc pourquoi
tous ces gens n'ont pas dit : "c'est peut-être transmissible à
l'homme ; on va mettre 500 millions d'écus là-dedans" ?
Mme Anne ROUBAN - Je ne peux que vous répondre d'après les
éléments scientifiques dont je dispose, parce que la recherche
fondamentale est sur plusieurs scénarios.
Dans un premier temps, nous entendions les experts nous dire qu'a priori, la
barrière des espèces devrait marcher. Ce qu'il faut savoir, c'est
que la recherche fondamentale est en cours là-dessus. C'est un point
qu'il faut bien avoir dans l'esprit. Nous ne sommes pas sur des acquis
scientifiques établis et confirmés. Nous sommes sur une
construction liée totalement à l'avancée de la recherche
fondamentale. Evidemment, elle avance d'autant plus vite que des efforts
considérables ont été faits en la matière, mais on
ne peut pas refaire l'histoire. A un moment donné, l'état de la
science était tel qu'une fois de plus, les experts concernés ne
pouvaient pas apporter des réponses très avancées.
M. Charles DESCOURS, président - En ce qui concerne l'état de la
science, on nous a expliqué cela pour le sang contaminé. Mais sur
cette affaire, s'il n'y avait pas eu M. Dormont , personne n'aurait
travaillé. On n'a pas donné d'argent au CNRS ni à
l'INSERM. C'est cela que je ne comprends pas. Nous allons les auditionner dans
les jours à venir.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quand nous aurons réfléchi
à l'harmonisation du système de vieille, il faudra aussi avoir
quelques idées quant aux conditions dans lesquelles on sonne l'alerte.
Il y a le feu rouge et le feu orange, et le problème qui se pose, c'est
de savoir à quel moment on a une suspicion suffisante pour passer du feu
orange au feu rouge. Même si cela va être très difficile, je
ne crois pas qu'on pourra en faire l'économie.
On nous a dit hier que le contrôle des préservatifs
effectué par le LNE allait disparaître à partir de 1998.
M. Didier LOMBARD - Tiens. Je ne le savais pas. Vous m'inquiétez.
J'apprends des choses en venant ici...
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est l'INC qui nous l'a dit. Cela ne
m'inquiète plus, mais si vous pouviez nous donner un
élément là-dessus, ce serait intéressant, car c'est
l'un des points qui est apparu et qui va évidemment en sens contraire de
nos préoccupations.
M. Didier LOMBARD - Je le ferai vérifier et on vous communiquera la
réponse.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il reste un autre point par rapport au CDC. La
Commission a envoyé une mission aux Etats-Unis, notamment pour aller
voir le CDC, et nous avons eu hier, Charles Descours et moi, le rapport de nos
collègues qui y étaient. Or, d'après ce qu'ils ont pu
apprendre, le CDC apparaît comme une sorte non pas de mini OMS mais de
substitut. Puisque vous parliez tout à l'heure de l'Organisation
générale du commerce, je voudrais savoir si vous estimez que le
CDC peut apparaître aux yeux des partenaires commerciaux comme un
élément qui va à l'encontre de la libre circulation. On ne
peut pas nous faire grief si nous avons une organisation qui, au nom de la
sécurité, peut édicter certaines normes ou certaines
interdictions alors que le CDC, semble-t-il, jouerait ce rôle pour le
marché américain.
M. Gérard MATHIEU - Il édicte des choses ou il alerte ?
M. Charles DESCOURS, président - Il alerte. On nous a expliqué
qu'il était tellement indiscutable que dès qu'il alerte, tout le
monde suit.
M. Didier LOMBARD - Nous pourrons vous donner des éléments plus
précis. L'image que j'en ai, c'est que c'est un outil de politique
commerciale. Je l'ai vu alerter sur des sujets où il n'y avait rien
alors qu'il s'agissait de produits venant d'Europe. J'ai des exemples à
ce sujet.
M. Charles DESCOURS, président - C'est très intéressant.
M. Didier LOMBARD - On vous fera une petite note là-dessus.
M. Charles DESCOURS, président - Tout à l'heure, vous avez
parlé de la F.D.A. sans la nommer. Cela ne vous fait pas vibrer, si j'ai
bien compris...
(rires).
M. Didier LOMBARD - Je n'ai pas été clair ? La FDA
règne y compris dans nos laboratoires ici. Il est intéressant
d'aller dans une usine pharmaceutique française pour voir ce qui s'y
passe : les gens y sont beaucoup plus terrorisés par les contrôles
de la FDA que par ceux de l'Agence du médicament.
La FDA ne correspond pas à notre Agence du médicament. Elle a
compétence sur beaucoup de choses. Dans les habitudes de notre pays et
dans le cadre juridique français et européen, c'est le genre de
chose auquel on aura du mal à s'accoutumer facilement. Le système
qui se déplacerait vers un système de type FDA aurait du mal
à fonctionner. Je suis plus dans une FDA virtuelle ou un réseau
que sur la fabrication d'un gros "machin".
M. Charles DESCOURS, président - Disons une FDA sur Internet.
M. Didier LOMBARD - Ou plutôt sur intranet pour que cela ne sorte pas.
M. Gérard MATHIEU - Et avec un noyau central d'intelligence sanitaire,
qui coordonne et qui joue ce rôle de décider d'alerter ou non.
M. Didier LOMBARD - Dans le débat que vous avez eu il y a un instant sur
la vache folle, le problème du risque zéro et du point à
partir duquel vous devez alerter est difficile à déterminer.
Aujourd'hui, on a peut-être des phénomènes sur lesquels on
doit alerter, mais on ne le sait pas toujours. Donc si le petit noyau central
du réseau jouait ce rôle, ce serait intéressant.
C'est là qu'est le problème. En fait, ce n'est pas la toile
d'araignée qu'il faut tisser : on a les noeuds de la toile
d'araignée, mais il faut mettre les fils et surtout le coeur, qui est
une chose très difficile à définir parce qu'on est entre
le risque zéro et l'alerte sans cause.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Le coeur est en fait un concentré de
tout ce qui vient de ce maillage et de tout ce réseau. On peut parler
des agences, par exemple.
M. Didier LOMBARD - On pourra remonter des agences.
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous allons devoir nous arrêter pour
passer à l'audition suivante. Vous vous demandiez ce que vous alliez
pouvoir nous dire et vous nous avez beaucoup dit. Merci madame et merci
messieurs.
B. AUDITION DE M. GUÉNAËL RODIER, ÉPIDÉMIOLOGISTE, SPÉCIALISTE DES MALADIES INFECTIEUSES (ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ)
M. Charles DESCOURS, président - Merci de venir
à notre rendez-vous
.
Quelles sont vos méthodes à l'OMS, particulièrement en ce
qui concerne la veille sanitaire (nous ne parlons pas de la diffusion des
thérapeutiques) ? Pour les nouvelles maladies infectieuses, comment
remplissez-vous votre rôle de veille sanitaire ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Comme vient de le dire Charles Descours, le
volet que nous souhaitons surtout aborder avec vous (sachant que celui de la
sécurité thérapeutique nous intéresse aussi) est
celui de la veille sanitaire. Nous nous intéressons à la fois aux
structures qui sont censées assurer la veille sanitaire et à la
coordination qui peut exister entre ces structures, pour savoir si elles sont
efficaces ou non.
De même, en matière d'épidémiologie et de
méthodologie, quelles sont les conditions dans lesquelles on doit
déclencher l'alerte ? Est-ce que vous avez une idée à ce
sujet, sachant que si on la déclenche trop tôt, on affole les
populations et que si on la déclenche trop tard, on voit les
dégâts que cela peut produire ? Est-ce qu'en tant
qu'épidémiologiste, vous avez des idées là-dessus ?
M. Guénaël RODIER - C'est un vaste sujet. Je tiens à
préciser mon domaine : je m'occupe de la surveillance des maladies
infectieuses, qui est un sous-ensemble de la veille sanitaire. J'ai
également une perspective internationale, ce qui cadre bien avec le
sujet puisque, en ce qui concerne les maladies infectieuses en particulier, ce
qui se passe ailleurs concerne en fait tout le monde.
Ce que vous appelez "veille sanitaire" est appelé
"surveillance" dans le
monde anglo-saxon. Donc nous essayons de ne pas séparer cette
surveillance du contrôle, c'est-à-dire de la lutte contre les
maladies. Dans une perspective internationale, au niveau de l'OMS, nous jouons
un rôle d'information et de législation dans le cadre du
règlement sanitaire international.
L'OMS s'est intéressée à ce problème
parallèlement au retour des maladies émergentes bien connues.
L'une de ses tâches est bien entendu de beaucoup s'intéresser
à ce qui se passe dans les pays en développement, puisque c'est
là qu'il existe le plus de problèmes.
Le rôle de l'OMS, qui n'a pas de laboratoire, contrairement au CDC, c'est
tout l'aspect réglementaire. Pour cela, la législation sanitaire
internationale est en train d'être précisée pour essayer
d'englober le problème des nouvelles maladies. Elle ne gère que
trois maladies : le choléra, la peste et la fièvre jaune, qui
sont des maladies à déclaration obligatoire au plan
international. Nous essayons maintenant de modifier cela pour prendre en compte
d'autres maladies avec une approche par symptôme.
Quant à la surveillance au plan international, c'est un problème
de partenaires. Vous avez mentionné le CDC qui en fait partie (nous
avons des personnes du CDC qui travaillent chez nous dans le cadre des maladies
émergentes), mais ce n'est pas le seul, bien sûr. Nous avons
beaucoup d'autres partenaires. Je répète que l'OMS n'a pas de
laboratoires en propre et qu'elle travaille avec des centres collaborateurs qui
ont les expertises requises dans les domaines concernés : le CDC, mais
aussi le PHLS à Londres, qui est très bon en matière de
maladies infectieuses, notamment pour la surveillance de la salmonelle,
l'Institut Pasteur, en France, et beaucoup d'autres. Rien que dans le domaine
de l'infectieux, il y en a plus de 200.
Notre effort, vis-à-vis de ces centres, sachant que certains sont assez
anciens, est de les réexaminer vis-à-vis de leurs infrastructures
et de leurs savoir-faire, afin de les remettre à jour, si je puis dire,
et de développer de nouveaux centres collaborateurs, notamment dans le
domaine de l'épidémiologie (c'est le cas d'Epicentre, à
Paris, qui est une émanation de Médecins sans Frontière).
Je précise que MSF, en ce qui concerne la surveillance des maladies
infectieuses, joue de plus en plus un rôle important dans le cadre des
Organisations non gouvernementales humanitaires. La structure de beaucoup de
pays s'étant de plus en plus dégradée, les ONG sont
devenues des partenaires. Tous les jours, je suis en contact avec des gens de
MSF ou des autres ONG.
Il faut savoir aussi qu'en ce qui concerne la surveillance (et je parle surtout
des pays de l'Afrique sub-saharienne), les missions jouent un rôle
important à chaque fois qu'il se passe un événement
important.
Voilà ce que je peux dire sur les grandes lignes. Je vous apporté
une plaquette qui vous présente notre division, qui est relativement
jeune encore. Cela vous permettra d'avoir plus de détails sur la
manière dont nous sommes structurés. Je suis moi-même
responsable de l'unité qui s'occupe de la surveillance des maladies
infectieuses, maisil faut savoir que notre division n'est pas la seule à
s'occuper des maladies infectieuses, puisque dans l'OMS, traditionnellement, il
y a un programme de lutte contre les maladies infectieuses (par exemple la
tuberculose).
M. Charles DESCOURS, président - Vous nous avez parlé de maladies
dans les pays en voie de développement. Mais quel est le rôle de
l'OMS dans les pays développés dans le domaine des maladies
infectieuses ?
M. Guénaël RODIER - Elle a principalement un rôle
d'information, notamment entre ce qui se passe dans les pays en
développement et les pays développés. Nous sommes par
exemple en lien direct avec l'Agence internationale pour les transports
aériens, dont les activités viennent pour l'essentiel des pays
développés qui ont des contacts avec les pays en
développement et qui s'intéresse, dans le domaine des maladies
infectieuses, au problème qui consiste à faire passer des
produits d'un point à un autre.
Le rôle de l'OMS concerne donc beaucoup l'information. Il y a
également tout un aspect normatif pour lequel il y a toujours un
très gros travail à faire. L'OMS a développé la
classification internationale des maladies, qui vient d'avoir sa dixième
révision : il y a des éléments de souplesse qui permettent
d'intégrer de nouvelles maladies sans avoir à tout réviser
(c'est ce qui s'est passé pour le VIH). On n'avait pas prévu dans
les premières révisions qu'il y aurait de nouveaux agents
infectieux, mais c'est fait maintenant.
Pour l'essentiel, cette classification est prise en compte par beaucoup de
gens. Vous connaissez sans doute les initiatives qui sont prises en
matière de surveillance du côté des pays
développés, du G 7, de la Communauté européenne,
des Etats-Unis et du Japon. Ce sont des projets en formation.
Cela dit, la classification internationale des maladies ne répond pas
forcément aux besoins de tout le monde. Les pays
développés produisent beaucoup en matière de
classifications, et il y a un vrai problème de terminologie pour que
tout le monde se comprenne. Il faut savoir qu'au niveau national, il y a des
classifications de maladies, mais que ce n'est pas le cas partout : les
Etats-Unis, par exemple, n'ont pas de classification fédérale
mais certains Etats en ont une. Celle des Anglais existe par ailleurs et les
Espagnols en ont une également, mais elles ne sont pas forcément
les mêmes.
En fait, nous n'avons quasiment plus de difficultés, parce que nous
avons des solutions sur la partie système. Grâce à
l'informatique, il y a énormément de solutions qui sont mises sur
pied. Nous n'avons pas beaucoup de problèmes majeurs sur l'aspect
technique pour communiquer entre la France, les Etats-Unis, le Canada ou
l'Angleterre. Simplement, il se pose un problème de terminologie.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quelle relation établissez-vous entre le
Réseau national de santé publique, qui commence à se
mettre en place, et la méthodologie appliquée par l'OMS ?
M. Guénaël RODIER - Vous parlez du RNSP, qui est assez nouveau en
France mais qui fait partie d'une tradition plus ancienne. L'OMS est en avance
par rapport à cela, en ce sens qu'elle a depuis longtemps des bureaux
régionaux et des bureaux nationaux pour tous les pays en
développement ainsi qu'un réseau de centres collaborateurs. Donc
il est difficile de comparer, en ce sens que nous ne faisons pas de choses
concrètes au niveau national en France, puisque la France se
débrouille très bien avec le RNSP. Simplement, nous pouvons
repérer des initiatives qui marchent bien dans un pays pour les
promouvoir dans un autre.
Par exemple, les pays d'Europe de l'Est récemment indépendants
ont des besoins et cherchent à faire des choses. Parallèlement,
il y a des choses en France qui marchent bien, comme le réseau
"Sentinelle", pour la grippe, qui utilise beaucoup des
généralistes du secteur privé, et il s'agit de savoir
comment un système comme celui-ci, qui a le mérite d'être
simple et peu coûteux et de fournir des informations de grande
utilité, peut être promu ailleurs. Il s'agit de mettre en contact
les Géorgiens ou les Arméniens, par exemple, avec les gens de
l'INSERM qui ont développé cela. C'est un peu ce rôle que
nous jouons.
Il est évident que l'OMS n'a pas les moyens financiers de faire des
choses à la place des pays et qu'elle est obligée de tenir compte
des infrastructures de chaque pays. Il y a actuellement beaucoup d'initiatives
qui sont prises sur l'Afrique : il y a eu récemment une
conférence au Burkina-Fasso, à Ouagadougou, qui a
été organisée par le bureau régional de l'OMS
à Brazzaville et à laquelle ont participé le Siège,
le CDC, etc. Cela bouge beaucoup de ce côté-là et on va
vers des choses très pratiques qui concernent surtout la formation. En
effet, en matière d'épidémiologie, il y a un état
d'esprit, que tout le monde n'a pas, et il y a beaucoup de formation à
faire, pays par pays et district par district. Tout cela prend du temps. L'OMS
n'a pas de baguette magique pour le faire et l'idéal est que les pays le
fassent eux-mêmes.
Il faut savoir aussi que la surveillance des maladies infectieuses
dépend beaucoup des infrastructures sur place.
M. Charles DESCOURS, président - Dans la structure de l'OMS, si le
start-up
n'est pas dans un pays, j'ai l'impression que l'OMS peut
difficilement agir. Si je prends l'exemple du sang contaminé, l'exemple
de la vache folle ou un troisième exemple qui n'est pas une maladie
infectieuse, l'amiante, dans ces trois domaines, quelle a été
l'attitude de l'OMS non pas dans votre département mais en
général ? L'amiante a été utilisée dans
beaucoup de pays. Or l'OMS n'a jamais fait de recommandations
particulières.
M. Guénaël RODIER - Cela m'étonnerait, en effet, mais je
n'en sais rien en ce qui concerne l'amiante.
M. Charles DESCOURS, président - Sur la vache folle ou le sang
contaminé, je suppose que vous avez suivi le CDC, qui a
été l'un des premiers laboratoires à alerter la
communauté internationale.
M. Guénaël RODIER - Je reviens sur un point important : l'OMS n'a
pas de laboratoire. Nous sommes donc dépendants de Pasteur, par exemple,
en France, qui découvre le VIH, et nous le faisons savoir à la
communauté internationale, c'est-à-dire qu'à travers des
réunions d'experts venant de différents pays, on met sur pied des
directives.
Pour la vache folle, par exemple, l'OMS, dès 1991, a organisé une
réunion sur ce sujet. A l'époque, nous n'avions pas encore les
variantes de l'ESB, mais il y a eu une réunion en 1991 sur le sujet pour
alerter la communauté scientifique. Il faut savoir qu'on n'en parlait
pas dans les médias. Depuis, il y a eu trois ou quatre réunions
d'experts...
M. Charles DESCOURS, président - ..qui n'ont pas été
suivies de prises de conscience suffisantes.
M. Guénaël RODIER - L'OMS émet des recommandations mais n'a
aucun pouvoir de les mettre en oeuvre. Elle est au service de ses
Etats-membres. Elle ne va pas dire à la France demain de faire quelque
chose ; elle va simplement lui dire : "voilà nos recommandations
vis-à-vis des maladies à déclarer, que ce soit l'amiante
ou autres". C'est tout ce qu'on peut faire. De ce point de vue, l'OMS ne se
substitue pas aux gouvernements ou aux ministères de la Santé des
pays.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Est-ce que l'OMS, avec son organisation et
ses compétences, aujourd'hui (c'est peut-être une question qui va
vous paraître ingénue), serait en capacité d'intervenir
valablement en termes d'alerte ? A un moment où on pressent qu'il peut y
avoir problème, est-ce que l'OMS serait qualifiée ou aurait
compétence pour le faire ? Ce que je ressens à travers ce
que vous dites, c'est qu'il s'agit plus d'une OMS "observatoire" qui
intervient
en matière d'alerte une fois que sont développés un
certain nombre d'éléments de maladies et
d'épidémies. Par exemple, en ce qui concerne la vache folle ou le
sang contaminé, est-ce que l'OMS aurait été
qualifiée pour dire avant même que les problèmes se
manifestent : "attention, il peut y avoir problème" ?
M. Guénaël RODIER - Tout à fait. Il faut d'abord savoir que
l'OMS n'est pas aussi grande que cela. Son siège est à
Genève et son budget équivaut à celui de l'hôpital
communal de Genève. Donc nous ne sommes pas une énorme
organisation en nombre, compte tenu de la vaste palette des problèmes de
santé dans le monde. Si elle voulait s'intéresser à tous
les problèmes, il faudrait beaucoup plus de monde. Le CDC est beaucoup
plus gros, il a l'avantage d'avoir des laboratoires et ses décisions
sont forcément efficaces. C'est plus compliqué quand on est un
organisme international.
En revanche, nous avons des atouts qui sont liés au fait que nous ayons
un niveau international, qui nous permet d'intervenir à droite et
à gauche, c'est-à-dire que nous sommes une autorité
neutre. Quand le CDC change sa définition du HIV ou veut faire une
enquête sur une maladie émergente, il peut ne pas être le
bienvenu parce qu'il est américain. Pour cela, l'OMS est unique et on ne
pourra pas la remplacer.
Maintenant, en ce qui concerne nos capacités d'intervention, nous avons
une équipe capable d'intervenir, c'est-à-dire de faire le
pompier, comme nous venons de le faire au Gabon il y a trois ou quatre
semaines. Mais si nous utilisons nos ressources propres, nous ne pouvons pas
intervenir sur d'énormes problèmes. Pour cela, nous devons faire
appel aux Etats qui ont des ressources propres. En revanche, nous jouons
souvent un rôle de coordination entre ces Etats.
En termes de maladies infectieuses, la plus grande menace, même si cela
peut paraître curieux, c'est la grippe. Ce n'est pas très exotique
(encore que cela vienne du sud-est asiatique), mais les gens n'ont pas toujours
conscience que c'est la plus grande menace du fait de la
pénétration du virus qui peut changer très rapidement, vu
les références historiques dont on dispose. Quand on regarde la
courbe démographique américaine, on s'aperçoit que la
grippe espagnole a fait entre 20 et 25 millions de morts en moins d'un an, vers
1919, c'est-à-dire beaucoup plus que tous les cas de sida connus
jusqu'à maintenant.
Dans ce domaine, nous travaillons à un plan et nous nous demandons ce
que la communauté internationale va faire demain si on a - ce qui ne
manquera pas d'arriver - une épidémie de grippe avec un virus
très pathogène. Il est bien évident que ce n'est pas nous,
OMS, petit organisme, qui allons vacciner tous les gens susceptibles de
l'être ou prendre les mesures qui s'imposent. Simplement, nous
préparons un plan qui est approuvé par tous les experts de la
communauté scientifique internationale et qu'on peut sortir des tiroirs
au moment où il le faut, c'est-à-dire un élément de
référence.
Mais c'est une action complètement différente du fait d'envoyer
une petite équipe sur l'épidémie d'Ebola limitée au
fin fond de la planète. Ce sont deux types d'intervention tout à
fait différents. Et encore une fois, le rôle du règlement
sanitaire international sera très important. Nous travaillons beaucoup
à réviser ce règlement sanitaire international en liaison
très proche avec les gens qui s'occupent de voyages, les compagnies
d'aviation, de nombreux experts, des gouvernements, des juristes, etc. Le jour
où il y a un problème, il n'est pas souvent technique.
Si vous regardez bien ce qui se passe, même dans les
épidémies (et vous parliez des alertes), le problème n'est
pas celui de l'alerte. Je me suis occupé de la peste en Inde et je peux
vous dire qu'il y avait eu une alerte : six mois avant, des gens qui
s'occupaient des rongeurs sauvages et qui avaient vu une augmentation de
l'activité de la peste chez ces animaux s'étaient réunis
pour dénoncer le problème, et la réunion avait conclu que
des cas humains étaient à prévoir. C'est une petite alerte
qui n'a pas été du tout prise en compte.
Au moment de l'épidémie d'Ebola, il y a eu aussi un
médecin sur place qui a fait un beau rapport qu'il a envoyé
à Kinshasa un mois avant la grosse épidémie
hospitalière, mais personne n'en a tenu compte. Or cela n'est pas
envoyé à l'OMS mais aux Etats membres. Tout ce que peut faire
l'OMS, c'est encourager les Etats à s'intéresser à ce qui
se passe chez eux en matière de santé, parce que ce sont eux qui
font le retour de l'information ensuite.
Mme Marie-Madeleine DIEULANGARD - Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir vos
propres collaborateurs ?
M. Guénaël RODIER - Personnellement, oui. Je travaillais auparavant
dans la marine et j'avais des laboratoires et des gens du terrain, parce que
les équipes sont multidisciplinaires et parce qu'on maîtrise toute
la chaîne des événements. Donc le fait de ne pas avoir des
laboratoires est un peu une gêne, mais nous avons les centres
collaborateurs. Cela dit, pour reprendre l'exemple précédemment
cité, le CDC était loin du Gabon alors que Pasteur était
beaucoup plus proche, de même que le Centre des maladies infectieuses au
Gabon même, qui est sur place. Donc nous souhaitons plutôt
renforcer ce genre de centre ou l'Institut Pasteur ici, qui n'a pas de vrai P4.
Il est en effet question que Pasteur ait ici, sur le plan technique, un
laboratoire qui permette de manipuler des agents infectieux comme ceux
d'Ebola...
M. Charles DESCOURS, président - On en revient aux films
d'épouvante.
M. Guénaël RODIER - Pour le moment, on n'a pas de vrai P4. La
grippe est très transmissible car il s'agit d'un virus qui bouge
très vite, et si on a une souche comme celle de la grippe espagnole, il
faut un laboratoire P4 pour le manipuler de façon correcte. Nous n'avons
pas ce genre de structure en France. Nous n'avons que des boîtes en
plastique dans lesquelles on met des éléments, mais ce n'est pas
un vrai laboratoire, comme ceux dont dispose le CDC et dans lesquels on entre
avec un scaphandre. Les Anglais sont un peu mieux équipés. Nous
sommes donc un peu limités. Je sais que Grenoble devrait s'y mettre...
Il est vrai que de ce côté-là, l'Europe est en retard par
rapport aux Etats-Unis quant à ce genre d'infrastructure.
De notre côté, nous essayons donc d'améliorer, à
travers un grand nombre de projets plus ou moins importants, sur la base de la
la formation, les laboratoires qui sont au plus près des zones qui
posent classiquement problème. Mais encore une fois, nous sommes
dépendants de l'infrastructure du pays. Ce n'est pas la peine d'avoir
une bulle technique qui va bien marcher si, tout autour, les infrastructures
sont limitées.
M. Charles DESCOURS, président - Merci beaucoup, Monsieur Rodier. Tout
ce que vous avez dit est très intéressant. Malheureusement, nous
sommes pris par le temps car nous avons d'autres auditions après vous.
Nous avons mieux compris comment fonctionnait l'OMS, dont je connaissais peu de
choses.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce qui est très intéressant, c'est
de voir, en termes de méthode et d'efficacité, les satisfactions
que vous pouvez avoir en matière de réseaux. Il s'agit pour nous
de réfléchir sur cette question, mais au fond, nous nous
apercevons que la qualité d'un réseau ne vaut que par les
possibilités d'exécution.
M. Guénaël RODIER - Tout à fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a un décalage entre la satisfaction
d'avoir détecté un problème et d'agir tout à fait
à temps et le fait de se rendre compte qu'au moment fatidique, la
décision ne vient pas ou les moyens de l'appliquer ne sont pas
réunis. Le cas de la peste en Inde est intéressant à cet
égard.
M. Guénaël RODIER - Il ne se pose pas tellement de problèmes
techniques. En fait, tous ces petits signes d'alarme existent ; ils sont dans
la communauté scientifique mais personne ne les attrape. Un
médecin, à Ebola, fait un rapport sur ce qu'on appelle la
diarrhée rouge en faisant état de 60 % de mortalité et sur
la base de son rapport, il demande de l'aide, mais personne ne vient parce
qu'en fait, il envoie cela à très peu de gens. Il l'envoie
à son ministère et à des gens sur place,
c'est-à-dire à très peu de gens. En fait, avec des
systèmes de réseaux d'information, on pourrait diffuser cette
information à beaucoup de gens. Pour la majorité de ces gens, ce
ne serait pas important, mais la personne qui sait, qui a du flair, pourrait
dire : "c'est assez important ; c'est peut-être de l'Ebola, parce que je
sais que cela s'est présenté comme cela la fois d'avant".
Le seul moyen que la bonne personne capte l'information, c'est en fait d'avoir
une diffusion. Les systèmes d'information le permettent maintenant,
même si, avec l'Afrique, il est vrai que c'est toujours compliqué.
Je viens de passer quinze jours à Brazzaville pour connecter tous les
professionnels du bureau OMS, et ils ont maintenant le courrier
électronique. Quand on travaille avec d'autres régions, par
exemple pour la Méditerranée orientale, on a des problèmes
régionaux entre le bureau d'Alexandrie, l'Ethiopie, le Soudan, la
Somalie, etc., mais quand le bureau d'Alexandrie tient quelque chose, les
autres sont systématiquement au courant. Le courrier électronique
s'y prête très bien. Donc l'information en matière de
surveillance est l'élément clé de l'infrastructure
aujourd'hui.
Je termine simplement en disant que le problème de la lutte contre les
maladies infectieuses qui émergent est lié évidemment
à la surveillance, mais aussi à la recherche appliquée.
Chaque maladie est très spécifique et il n'y a pas une solution
qui peut s'appliquer partout. Enfin, il y a la prévention, avec les
problèmes de résistance aux médicaments. Tout peut se
prévenir.
M. Charles DESCOURS, président - Merci, monsieur.
C. AUDITION DE M. FERNAND PELLERIN, PRÉSIDENT ET DE M. FRANÇOIS BOURILLET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ACADÉMIE DE PHARMACIE
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le
Président. Vous connaissez les deux objets de la mission que notre
Commission des affaires sociales a mise en place : la veille sanitaire et la
sécurité des produits thérapeutiques. Je vais laisser
notre ami Claude Huriet, rapporteur, vous expliquer cela. Compte tenu de vos
compétences qui sont multiples à l'Académie de pharmacie,
il s'agit surtout de parler de médicaments, et c'est évidemment
Claude Huriet qui connaît le mieux ce domaine.
M. Claude HURIET, rapporteur - Si je les connaissais bien, nous n'aurions pas
vu la nécessité de mettre en place une mission dont je vais vous
donner les origines. Le Sénat a largement contribué à la
mise en place, de 1991 à 1993, d'un certain nombre de structures qui
visent à assurer la sécurité sanitaire dans des domaines
aussi sensibles que celui du sang, des médicaments ou des greffes. Donc
à la suite de ces travaux parlementaires, nous nous sommes
engagés plus récemment dans un travail concernant les
thérapies géniques et cellulaires et à l'occasion de ce
travail, nous avons mieux perçu à la fois les avantages de
l'organisation actuelle en France, mais aussi les insuffisances, soit parce
qu'il peut y avoir des superpositions de compétences, soit parce qu'il
peut y avoir des lacunes entre les compétences de chacune de ces
structures.
Donc le point de départ de la mission est d'établir un inventaire
de ce qui existe et de ce qui devrait exister et de voir à partir de
là comment améliorer ou établir des liaisons, qui sont
sans doute parfois insuffisantes, entre ces organisations qui ont des champs
d'attribution bien limités. Il s'agit donc de savoir comment
améliorer les relations entre les organisations et les structures
existantes, quel que soit leur statut juridique.
Il s'agit enfin de voir comment fonctionne le système de veille
sanitaire qui peut être lié à ces structures
spécifiques (veille sanitaire concernant le sang ou le
médicament), mais avec une dimension plus large, parce que lorsqu'un
incident ou un accident survient, on peut rarement connaître
immédiatement son origine. Donc on peut là aussi établir
un inventaire de ce qui se fait dans notre pays, voir les conditions dans
lesquelles le système actuel fonctionne et voir dans quelles conditions
il peut être amélioré.
Voilà le point de départ de la mission qui a été
mise en place par la Commission des affaires sociales et dont on espère
qu'elle pourra rendre son rapport avant la fin de l'année. Tout ce que
vous pourrez nous dire sur ces deux aspects nous intéressera, notamment
quant à l'appréciation que porte l'Académie sur
l'organisation existante et quant aux possibilités d'améliorer
son efficacité.
M. Fernand PELLERIN - Je suis actuellement Président de
l'Académie de pharmacie et j'étais pharmacien des hôpitaux
et professeur de chimie analytique à la faculté. Par
conséquent, j'ai ce profil purement pharmaceutique, sachant que la
position de l'Académie est à la fois scientifique et technique.
Cela ne veut pas dire que nous sommes des sages, mais nous avons une certaine
réflexion avec des jeunes ou des moins jeunes, bien sûr, et nous
avons surtout pour but de considérer les problèmes sur leur plan
scientifique, technique et éthique.
Nous ne sommes pas des économistes et nous sommes différents en
cela à la fois des instances ordinales ou syndicales. Ce qui nous
préoccupe surtout, sur le plan sanitaire, ce sont un peu les trois
volets du médicament qui sont repris dans les directives
européennes, c'est-à-dire la qualité, qui concerne les
matières premières, la fabrication, tous les problèmes
liés à la sécurité et à la toxicologie et
l'efficacité, c'est-à-dire l'aspect clinique. L'aspect clinique
dans la pharmacie n'intervient que sous un angle secondaire parce que
l'efficacité est un problème de clinicien, mais nous pouvons
intervenir particulièrement sur le plan de la qualité et sur le
plan de la sécurité, et donc de la toxicité. Vous
connaissez aussi bien que nous les problèmes qui peuvent se poser
actuellement : je veux parler des thérapies géniques et d'un
autre problème qui a fait couler beaucoup d'encre, celui des
médicaments génériques, sur lequel nous avons
été consultés par les deux ministres de tutelle, M. Barrot
et M. Gaymard, et nous avons fourni une opinion.
Il y a actuellement une chose dont on n'a pas toujours conscience dans
l'administration et les instances réglementaires, c'est le
problème qui se pose quant à la qualité des
médicaments et des matières premières. Nous avons
maintenant une circulation des produits qui est telle qu'ils peuvent venir de
n'importe où mais qu'en fait, ce sont des matières
premières pour médicaments (soit principes actifs, soit
excipients) qui peuvent servir dans d'autres domaines et d'autres usages. Ces
produits ont des qualités valables pour leur usage mais pas pour autant
pour un médicament sur le plan de la qualité physique, chimique
etc. C'est une chose que nous voyons parfois parce qu'on nous dit que cela
passe directement à la commission de l'AMM.
Ce problème des matières premières, comme celui des
additifs, conservateurs, colorants ou même polyvitamines, dont on ne sait
pas trop si c'est un aliment, un nutriment ou un médicament (c'est une
question de doses), sont des problèmes pour lesquels les instances
pharmaceutiques, dont l'Académie de pharmacie, sont concernées.
Nous avons eu en particulier (cela va paraître dans un mois ou deux) une
séance commune avec l'Académie de l'agriculture et
l'Académie vétérinaire sur le plan de la qualité
des matières premières. C'est un problème qui se joue sur
les médicaments en général et sur les médicaments
génériques.
Il y a un autre problème que les instances réglementaires,
à notre avis, peuvent prendre en compte, c'est celui de la
bio-équivalence, lorsque vous utilisez des matières
premières et des médicaments différents.
Enfin, il y a le problème de la traçabilité. Lorsque vous
avez un produit ou un médicament, qu'il s'agisse d'un produit du sang ou
d'un produit quelconque à usage thérapeutique, la question de la
traçabilité est primordiale, depuis son origine jusqu'à sa
dispensation. Cela fait partie des choses qui sont particulièrement
importantes.
Il y a un deuxième point que l'on peut peut-être envisager, c'est
celui qui jouxte la thérapie cellulaire et également, sous une
autre forme, les dispositifs médicaux. La thérapie cellulaire est
un problème (M. Bourillet vous en parlera mieux que moi tout à
l'heure parce qu'il est particulièrement versé dans ce sujet) qui
joue à la fois sur les Académies de médecine et de
pharmacie. On peut dire qu'il est très bien d'utiliser des substances
vivantes telles que des ovocytes ou des spermatozoïdes, mais il ne faut
pas oublier que ces produits sont dilués avant d'être
injectés dans des produits secondaires et, là aussi, dans des
excipients. Il y a donc des précautions particulières à
prendre. Je ne dis pas que ce sont des médicaments (ce n'est pas mon
rôle), mais ils doivent être traités comme tels avec une
réglementation dans ce sens.
Nous avons un peu la même chose dans ce qu'on appelle les dispositifs
médicaux. Autrefois, le matériel médico-chirurgical
dépendait principalement de la pharmacopée et il a
été repris, en quelque sorte, du fait de nombreux
problèmes de fabrication, par l'AFNOR et l'ISO international, parce
qu'il y avait des questions technologiques à régler qui
dépassaient le cadre de la pharmacopée. Il faut dire qu'on ne
fabrique pas une tubulure intracardiaque comme on fait des tuyaux d'arrosage.
Il y a une qualité pour l'usage médical qu'il faut absolument
maîtriser et qui doit faire l'objet d'essais.
On en arrive à des dérives. Lorsque vous avez une poche pour
dialyse dans un matériau à base de polychlorure de vinyle (c'est
aussi du polychlorure de vinyle qui sert pour le sang), il ne faut pas oublier
qu'il renferme des solutions. Pour le dispositif médical, il faut un
traitement analogue à celui du médicament si on ne veut pas qu'il
soit mis n'importe quelle solution dans le produit. Il y a peut-être une
définition plus précise du dispositif médical à
donner afin de garantir la sécurité de l'emploi.
M. Charles DESCOURS, président - Est-ce qu'elle est garantie, cette
sécurité de l'emploi ? C'est la question que nous nous posons.
Sur le plan du principe actif, nous comprenons bien le problème mais
nous suivons aussi tout à fait votre réflexion sur les
excipients, les adjuvants et les matériaux. Il nous semble que ce sont
des domaines sur lesquels on est moins sûr de la qualité. Je
voudrais avoir votre sentiment là-dessus.
M. Fernand PELLERIN - C'est exact. Pour ce qui est des excipients, des additifs
ou des matériaux plastiques à usage pharmaceutique et
médico-chirurgical, il faut un contrôle rigoureux calqué
sur le même type qu'une matière première à usage
pharmaceutique.
M. Charles DESCOURS, président - Actuellement, il vous semble que ce
n'est pas le cas ?
M. Fernand PELLERIN - Non, ce n'est pas le cas. Sur ces additifs, nous en avons
beaucoup qui sont utilisés dans l'alimentation, dans le cadre de listes
positives. Ces listes positives sont déjà une chose importante,
mais quand il s'agit de médicaments, on ne peut pas dire : "c'est sur la
liste positive, donc je l'emploie". Pour l'alimentation, ils sont
interchangeables, mais il n'est pas question de le faire dans nos domaines
parce qu'ils peuvent être à la source d'incompatibilités.
Donc sur le plan de l'utilisation en général (et ne parlons pas
de pharmacie), nous avons besoin d'avoir des règles beaucoup plus
strictes qu'actuellement.
Je connais un peu le problème parce que j'ai fait partie fort longtemps
d'un groupe à la FAO où on étudiait les additifs. Or on
s'aperçoit que ces produits qui sont utilisés pour des usages
très variés, très souvent, ne répondent pas. On a
été obligé de définir des qualités
très rigoureuses pour éviter des pépins. Sur les
matières premières, il y a une définition qui doit
être d'autant plus vérifiée que souvent, on n'en est plus
à l'époque où, lorsqu'on faisait une monographie pour la
pharmacopée française, on demandait à Roussel ou à
Rhône-Poulenc de nous donner leurs normes. Maintenant, on ne le sait
plus, car il y a plusieurs firmes dans le monde, et notamment en Europe. Bien
sûr, si cela vient de chez Euxte ou de chez Bayer, il n'y a pas de
problème, mais vous avez ce qu'on appelle des revendeurs, ou des
"brokers", comme diraient nos collègues anglais, qui achètent le
produit à moindre prix et qui le revendent après sans savoir
comment il a été fait ni à quoi il va servir.
Vous voyez que la qualité des matières premières est une
chose absolument rigoureuse. Elle est définie par la directive
européenne sur le médicament, mais je pense qu'il serait
nécessaire pour tous ces produits d'avoir le même suivi.
Vous en avez un autre pour les excipients. La pharmacopée ne peut pas
tout traiter. Il y a une instance internationale sur les excipients qui fournit
la FAO ou l'OMS, qui étudie les produits et qui peut donner des normes,
mais il faut que ce contrôle soit effectué. Je crois donc que ce
problème des matières premières est absolument primordial
actuellement.
M. Charles DESCOURS, président - Très bien. Monsieur Bourillet,
voulez-vous ajouter quelque chose ?
M. François BOURILLET - Sur le plan réglementaire, les
problèmes de vigilance et de sécurité des produits
à l'échelon thérapeutique, dans le cas du
médicament, sont très encadrés. Nous avons une
réglementation extrêmement précise qui, dans la mesure
où elle est totalement respectée, doit apporter toute
sécurité dans la conception, la production et l'utilisation, ce
qui rejoint la vigilance. Cette structure a fait ses preuves. Nous avons ce
souci et c'est une question que tout professionnel a en tête.
Sur le plan de la sécurité, il y a deux aspects. Le premier est
celui de la conception des produits (la qualité des matières
premières, la qualité des excipients, l'efficacité du
principe actif), qui est matérialisée par le dossier de l'AMM qui
fait la preuve que tout est bien surveillé.
Le deuxième aspect est celui de la sécurité de production
de chaque lot : il s'agit de vérifier que les conditions de
fabrication et la pureté des lots de matières premières
reçues correspondent tout à fait à ce qui a
été précisé dans le dossier d'AMM. Il y a donc
l'aspect de la qualité sur le plan du concept du médicament et la
qualité de chaque lot fabriqué, qui est pour nous le
problème le plus grave. Tous les ennuis qui surviennent sur des
médicaments sont des problèmes de lots ; il y a rarement des
ennuis de molécules : on les voit à long terme.
Il y a donc ces deux aspects qui ont chacun leur responsabilité dans la
sécurité d'un produit livré au public.
En ce qui concerne la vigilance et la veille, là aussi, sur le plan
pharmaceutique, il y a tout un réseau de pharmaco-vigilance que vous
devez bien connaître et qui fonctionne, du moins sur le plan
réglementaire. L'inspection pharmaceutique a été
coupée en deux et pour nous, c'est une très mauvaise chose, et
même une erreur, car il y avait cette vigilance de l'inspection
pharmaceutique sur le plan du médicament qui permettait de
détecter un problème en moins de 24 heures. Il y avait un
inspecteur sur place, on relevait tous les indices si on était dans un
hôpital, on prenait contact avec le fabricant, etc. Il y avait tout un
réseau organisé via l'inspection.
M. Charles DESCOURS, président - L'Institut national de la consommation
nous disait hier qu'il y avait de plus en plus de lots rappelés et il ne
savait pas pourquoi.
M. François BOURILLET - Je ne pense pas qu'il y en a de plus en plus.
Les rappels de lots peuvent avoir deux origines (et il y a une structure
organisée pour le rappel des lots) : ou bien c'est un pépin
d'utilisation (soit en clinique de ville, soit à l'hôpital), ou
bien c'est un pépin qui est détecté après coup chez
le fabricant qui, lui, rappelle son lot. Mais je pense que ce rappel de lots
est une sagesse de sécurité.
M. Charles DESCOURS, président.- Bien sûr, mais l'INC dit qu'il ne
sait pas pourquoi.
M. François BOURILLET - On sait toujours pourquoi.
M. Fernand PELLERIN - Maintenant, les médicaments sont de plus en plus
actifs, mais les effets secondaires sont aussi de plus en plus actifs. Les
rappels de lots proviennent parfois d'intolérances ou d'allergies
beaucoup plus que de problèmes directs.
M. François BOURILLET - Au départ, sur le plan pharmaceutique,
pour ce qui est des rappels de lots, il y a toujours un facteur
déclenchant qui vient d'un service hospitalier ou du fabricant lui
même par le réseau de pharmaco-vigilance.
Je pense que sur le plan du médicament lui-même, toute la
structure en place, si elle est bien respectée, apporte une
sécurité quand on a fait la preuve de cette
sécurité. Le grand problème qui se pose concerne des
produits à la limite, des produits qui se situent dans les lacunes de la
réglementation. Il y en a un certain nombre, et je ne vous cache pas que
cela nous préoccupe. Je sais que vous avez beaucoup travaillé sur
la thérapie génique et cellulaire. Nous avons créé
un groupe de travail bi-académique, en commun avec l'Académie de
médecine, qui va proposer un voeu d'ici quelques jours concernant les
substances, matières premières et préparations
utilisées lors de la fécondation assistée. C'est un tout
petit marché, bien sûr, mais il y a quelque chose d'ahurissant
dans la phase de procréation médicalement assistée.
Il y a une phase médicale pour le prélèvement des cellules
germinales, il y a une phase médicale, à la fin, de
réintroduction de l'oeuf, mais entre ces deux phases, il y a une phase
biologique
in vitro
au cours de laquelle les biologistes, bien
qu'étant des gens compétents et sérieux, font encore un
peu de la cuisine (ils le reconnaissent eux-mêmes). Ils peuvent acheter
un réactif aux Etats-Unis ou ailleurs alors que les fabricants de ces
réactifs, pour ne pas être ennuyés, mettent : "ne pas
employer à usage humain". Or ces produits qui servent à favoriser
des milieux de conservation des spermatozoïdes ou de l'oeuf donnent lieu
à des milieux de cultures et il y a des réactifs qui sont
ajoutés.
M. Claude HURIET, rapporteur - Cela m'intéresse beaucoup, parce qu'en
tant que Président de l'association CECOS à Nancy, lors de la
dernière réunion, il y a quinze jours, j'avais été
très alerté, en tant que rapporteur de la mission, sur les
garanties de sécurité des CECOS.
Mme Marie-Madelaine DIEULANGARD - Pourriez-vous nous donner d'autres produits
que vous estimez à la marge ?
M. François BOURILLET - Il y a donc ce problème que nous avons
appelé "substances et préparations utilisés en Assistance
médicale de procréation (AMP)".
Nous avons d'autres produits qui sont à la limite. M. le
Président Pellerin a évoqué tout à l'heure la
question des poches de perfusion et de dialyse. Ce sont des dispositifs
médicaux qui ont leur réglementation, mais nous estimons que
cette réglementation n'offre pas la sécurité qu'offrait la
sécurité du médicament.
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que nous cherchons. Ce qui
nous intéresse, ce sont les failles du système, parce que c'est
nous qui avons fait l'Agence du médicament, en essayant de la faire
aussi sérieusement que possible. Donc avez-vous une liste de produits ?
M. François BOURILLET - Tout à fait. Il y a une chose que je
trouve inacceptable et qui vient un peu de l'Europe, du fait de l'ISO et du
(CEN) : les solutions concentrées pour hémodialyse, dont le
problème de la pureté est extrêmement important. Or ces
solutions pour hémodialyse, qui étaient inscrites à la
pharmacopée, ont été mises dans les dispositifs
médicaux du fait qu'on employait un dispositif pour les utiliser. Une
solution concentrée pour hémodialyse n'est pas un dispositif
médical. Je trouve cela inepte !
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez fait des communications
à l'Académie de pharmacie sur ces choses-là ?
M. François BOURILLET - Sur les dispositifs médicaux, oui, mais
nous pourrions vous donner une liste là-dessus.
M. Charles DESCOURS, président - La faille est là. Claude Huriet
a montré qu'en matière de thérapie génique, on
n'était pas sûr que les sérums de veaux utilisés
n'étaient pas indemnes de prions.
M. François BOURILLET - Vous êtes tout à fait dans le
problème, et nous y sommes extrêmement sensibles étant
donné nos habitudes professionnelles déjà très
anciennes sur le plan de la qualité. Nous avons été les
premiers, parmi toutes les activités professionnelles, à
respecter cela. Nous avons une culture de cela.
M. Fernand PELLERIN - L'Académie peut vous aider sur les
thérapies géniques et cellulaires, les médicaments
génériques et les dispositifs médicaux que nous avons tous
étudiés à chaque fois qu'il y a un problème de
frontières.
Il y a aussi un autre problème sur lequel on peut vous aider et sur
lequel on travaille en liaison avec l'Académie de l'agriculture, c'est
le problème de ces produits dont on ne sait pas trop si c'est un
aliment, un nutriment ou un médicament.
M. Charles DESCOURS, président - Nous sommes tous les trois
médecins. Donc pour nous, le problème pratique est de savoir
où s'arrête notre mission.
M. Fernand PELLERIN - Quand on vous dit qu'un supplément nutritif est
à base de 800 milligrammes de vitamine C par jour et qu'on doit le
prendre pendant trois mois, alors qu'une vitamine se joue au niveau du
centigramme et qu'il y a des effets toxiques à craindre -il faut savoir
que maintenant, on prend de la vitamine A alors qu'on sait que c'est toxique-,
on se dit qu'il y a quelque chose à faire et des frontières
à déterminer. C'est là-dessus que, sur le plan technique,
nous pouvons vous aider.
D. AUDITION DE M. PATRICE DEBRÉ, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ PARIS VI, DIRECTEUR DU LABORATOIRE CNRS D'IMMUNOLOGIE CELLULAIRE ET TISSULAIRE À LA PITIÉ SALPÊTRIÈRE
M. Patrice DEBRE - Je dois me présenter. En dehors de
mon unité de recherche d'immunologie cellulaire et tissulaire à
la Pitié Salpétrière, j'ai été conseiller
pour les affaires biomédicales au CNRS, à la Direction des
sciences de la vie, puis j'ai pris la direction de ce qu'on a appelé la
Mission des sciences du vivant au secrétariat d'Etat à la
Recherche, et je suis maintenant aux côtés du Comité (SEDI)
que l'INSERM est en train de mettre au point.
En fait, je suis mandaté par Pierre Tambourin et vous me voyez au titre
du CNRS...
M. Charles DESCOURS, président - Mais en fait, vous êtes à
l'INSERM. Je pense que nous allons recevoir M. Tambourin, de toute
façon.
M. Patrice DEBRE - Je viens plus spécialement à son titre. M.
Huriet vient de me dire une chose un peu différente, puisqu'on m'avait
essentiellement parlé du problème du contrôle sanitaire.
Cela dit, vous m'avez cité tout à l'heure, dans le couloir, un
certain nombre d'agences et d'institutions qui couvrent des domaines
très différents (l'Agence française du sang ou l'Agence
pour les greffes), mais également de grandes institutions comme l'INSERM
ou le CNRS, et vous faites entrer aussi l'Université, l'hôpital,
etc.. Il est exact qu'il y a, dans le domaine que vous êtes en train
d'expertiser, une multiplicité d'opérateurs et qu'il est
certainement nécessaire d'intervenir à cet égard. Je
m'étais effectivement placé du côté du domaine de la
santé, mais je ne sais pas si vous prenez également en compte le
problème de l'environnement.
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous prenons en compte tout ce qui peut toucher
indirectement à la sécurité et à la veille
sanitaire.
M. Patrice DEBRE - L'impression que l'on ressent, c'est que les scientifiques
sont capables de faire remonter les facteurs de risques à partir de ce
qu'ils trouvent dans leurs laboratoires. Ensuite, vous remontez en
général aux directions des institutions concernées et
puis, souvent, la formule risque ensuite de s'arrêter. C'est ce qui s'est
passé pour l'amiante et en partie pour la vache folle.
M. Charles DESCOURS, président - Est-ce que vous avez fait remonter
quelque chose à ce sujet ?
M. Patrice DEBRE - Il y avait des travaux. Ce n'est pas un problème de
manque de travaux. Simplement, il semble qu'il n'y ait pas eu de concertation
ou de coordination ni une redescente de décision politique. Autrement
dit, je pense que le plus important serait de trouver une sorte de conseil de
veille sanitaire qui soit en partie formé de représentants du
monde politique, qui soit donc à même d'imposer des
décisions, qui soit averti par la base de tel ou tel problème
existant et qui puisse s'appuyer, pour toute expertise, sur ce qu'on appelle
l'expertise collective.
Je ne sais pas si vous connaissez ce principe de l'expertise collective qui
existe à l'INSERM et au CNRS. Il consiste, sur un sujet donné,
à réunir des experts de toutes tendances qui sont mandatés
pour une expertise collective. Il s'agit par exemple de dire : "faites-moi
le
point sur l'encéphalopathie spongiforme bovine". Si on avait posé
la question, on aurait fait le tour de la question. C'est ainsi que, toutes
tendances confondues, l'INSERM ou le CNRS peuvent faire ce type d'expertise,
à condition qu'ils soient mandatés et qu'on le leur demande.
Autrement dit, j'aurais vu personnellement un comité de veille qui
puisse à la fois recevoir des informations (on pourrait lui dire :
"attention, il y a un problème posé par l'amiante ou par la vache
folle"), faire une demande à l'une ou l'autre des institutions d'une
expertise collective dans tel sujet et, enfin, ayant reçu cette
expertise, prendre des mesures d'incitation à un niveau politique.
M. Charles DESCOURS, président - Qui dit au CNRS ou à l'INSERM :
"la vache folle ou l'amiante, c'est un problème ?
M. Patrice DEBRE - Personne, ou seulement le chercheur. Si le chercheur qui
travaille sur les maladies des prions (en l'occurrence, c'est plus du domaine
de l'INSERM que du CNRS) s'aperçoit d'un problème, il en parle
à sa direction scientifique. Mais que peut-elle faire ? Elle peut
pousser ce domaine parce qu'elle pense que c'est intéressant
scientifiquement, mais pour faire remonter une notion du genre :
"attention, il
y a un risque sanitaire et des précautions à prendre", je ne vois
pas bien à qui elle va s'adresser au-dessus, parce qu'elle va partir
dans tous les sens.
Si vous prenez le CNRS, son ministère de tutelle est le ministère
de la Recherche. Donc on va le renvoyer à ce ministère. Ensuite,
cela part dans l'un ou l'autre des services, cela remonte à la Mission
scientifique et technique, cela atterrit à la DGRT et la DGRT avertit
éventuellement le secrétariat d'Etat à la Santé.
Donc c'est un réseau très compliqué.
M. Charles DESCOURS, président - Et le Réseau national de la
santé publique ?
M. Patrice DEBRE - Là encore, vous n'aurez pas un responsable politique
qui dira : "moi, je pense que cette affaire est importante" et qui
incitera un
ministère ou un autre à agir.
M. Claude HURIET, rapporteur - Cela rejoint un peu l'idée qu'on peut
avoir un excellent système de veille dont l'effectivité n'est pas
bonne.
M. Charles DESCOURS, président - C'est effrayant.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS - Nous n'avons qu'un morceau de la chaîne.
M. Patrice DEBRE - L'effectivité, c'est le domaine du politique. Je
pense qu'il faut un comité de veille qui soit constitué, comme
pour les comités habituels, de scientifiques, de grands sages
représentant la société et de politiques. Ils seraient
susceptibles de recevoir des informations d'amont qui viendraient du monde de
la recherche mais aussi d'autres milieux (industriels ou autres) pour les
avertir d'un problème et ils devraient le faire redescendre.
M. Charles DESCOURS, président - Vous voulez dire que ce serait un
comité interministériel : cela concernerait aussi bien
l'Agriculture que l'Industrie ou la Santé, c'est-à-dire que tous
les ministères pourraient lui envoyer des informations ?
M. Patrice DEBRE - Ce serait un comité de veille sanitaire à
l'échelle nationale. Au lieu d'avoir un comité national
d'éthique, vous auriez un comité national de veille sanitaire qui
recevrait des informations qui peuvent venir d'un peu partout, soit directement
des institutions, soit d'un ministère, etc. Ce comité pourrait
décider d'abord d'un approfondissement des informations, et à cet
égard, je propose qu'il s'appuie sur ce qu'on appelle l'expertise
collective plutôt que de s'adresser à l'Académie des
sciences. L'expertise collective consiste à confier à un
organisme ou à un autre la responsabilité de faire une expertise
collective, ce qui veut dire qu'on fait venir des gens de tous les domaines et
qu'en un mois ou deux, on doit débrouiller le problème.
Donc le problème aurait été soulevé, le
comité aurait une expertise entre les mains et il serait alors capable,
parce qu'il est composé de politiques, de proposer des mesures
incitatives aux différents ministères compétents. Si cela
intéresse la recherche, ce sera le ministère de la Recherche ; si
cela intéresse la recherche et l'environnement, ce seront les deux
ministères ; si cela intéresse la santé, on y ajoutera le
ministère de la Santé, etc.
M. Claude HURIET, rapporteur - Cela rejoint ce que disait tout à l'heure
le représentant de l'OMS au sujet des éléments
annonciateurs de l'épidémie de peste en Inde. J'avais tendance
jusqu'à ce matin à voir le comité de veille se situant
beaucoup plus en aval, sans inclure suffisamment dans cette démarche les
chercheurs, qu'il s'agisse de la recherche fondamentale ou non, qui peuvent
détecter des faits scientifiques avant qu'il y ait des
conséquences visibles sur la santé.
M. Patrice DEBRE - Ils peuvent être des détecteurs.
M. Charles DESCOURS, président - Pour l'épidémie de peste
en Inde, il y a eu des alertes et des communications, mais personne n'a
bougé jusqu'à ce qu'il y ait l'épidémie.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est très important, parce que cela
donne une dimension nouvelle à notre réflexion sur le
système de veille.
M. Charles DESCOURS, président - En l'occurrence, les politiques
seraient responsables et coupables.
M. Patrice DEBRE - Je pense également que la veille doit se coupler avec
une notion d'information et de communication. Le grand public, à l'heure
actuelle, est extrêmement mal informé de tout ce qui concerne les
dangers et les risques sanitaires au sens large. C'était beaucoup mieux
au XIXème siècle qu'actuellement, finalement. Je pense que ce
comité aurait à préconiser différentes formules, ne
serait-ce que dans les domaines de la prévention et de
l'éducation des jeunes (je crois qu'il y a beaucoup à faire
à cet égard pour les jeunes lycéens), en ce qui concerne
l'information du grand public.
D'une certaine manière, je pense que la France est l'un des pays qui
comprend le plus mal la science. Or qui comprend mal la science est incapable
de comprendre pourquoi il faut des mesures sanitaires et des mesures
d'hygiène. Parlez à quelqu'un d'un microbe : il sait à
peine ce que c'est. J'exagère, mais il y a quelque part une forme de
mauvaise information et de mauvaise communication vis-à-vis du monde
social qui fait que la société dirige avec des à-coups les
sources de financement. Tantôt on montre le sida, tantôt on montre
le prion, et tout cela n'est pas pris dans une réelle
compréhension de ce qui est en train de se passer.
M. Charles DESCOURS, président - A mon avis, c'est surtout la
prévention qui n'est pas comprise. Qui se lave les mains avant de passer
à table aujourd'hui dans les jeunes générations ? Nous qui
sommes médecins, cela nous choque. On ne l'apprend jamais à
l'école.
M. Patrice DEBRE - Faites expliquer les travaux de Semmelweis et Dister ou
relisez la thèse de Céline qui était médecin. Or il
a fait une thèse sur (Semmelweis) et le lavage des mains. C'est
Semmelweis qui a introduit le premier le lavage des mains, et vous savez que
Pasteur ne se lavait jamais les mains (c'est pourquoi je raconte qu'il a
toujours raté sa carrière politique) parce qu'il ne supportait
pas de détruire des microbes. Il n'y a que lorsqu'il les touchait qu'il
se lavait les mains dix fois par jour. Ces notions sont simples, mais les gens
ne les comprennent pas bien.
Donc je pense que ce comité devrait également avoir un rôle
d'éducation du pays. Au fond, au-delà d'un rôle
d'éducation, il devrait avoir un rôle d'instruction, afin de mieux
faire passer des messages scientifiques de base sur ce qu'est l'environnement,
la pollution, la transmission des microbes, les risques liés aux
radiations, toute une série de domaines... Il n'aurait donc pas qu'une
notion de veille ; je lui ajouterais une notion d'information et de
communication dans le domaine de la veille et dans le domaine sanitaire (le mot
"sanitaire" n'étant d'ailleurs pas très joli : il faudrait
trouver autre chose).
Il s'agit d'une articulation transversale au niveau national.
Il y a une deuxième chose qui manque dans ce pays, à mon sens.
Vous avez multiplié les agences qui doublent les choses. Quand
j'étais au secrétariat d'Etat à la Recherche, pour la
simple coordination dans le domaine des sciences du vivant, je devais
m'adresser à un nombre de partenaires invraisemblable. Nous sommes un
pays complètement éclaté avec des rôles très
mal distribués. Si je ne prends que l'INSERM et le CNRS, ils travaillent
tous les deux dans le domaine du biomédical. Il en est de même
pour le CEA, l'INRA, etc. Donc il y a clairement une nécessité de
coordination.
Sur le thème qui vous intéresse, c'est-à-dire la
coordination de la veille à une échelle opérationnelle,
nous en sommes au stade de dire : "vous avez donné les ordres ; essayez
maintenant de vous mettre d'accord". Il faut que les partenaires qui ont
à agir dans le système (l'INSERM, le CNRS, l'Agence
française du sang, l'Agence des greffes, etc.), soient capables de se
coordonner. Or elles n'ont aujourd'hui aucune instruction particulière
pour le faire. Ce n'est que du ressort de leur bonne volonté.
Vous le voyez dans les appels d'offres. En ce qui concerne la thérapie
cellulaire, j'en suis, depuis le printemps, au sixième appel d'offres
sur le même sujet avec des réponses des ligues anti
cancéreuses (non pas une mais deux), du ministère de la
Santé, du secrétariat d'Etat à la Recherche, de l'Agence
française du sang, de l'INSERM lui-même, de l'Assistance publique
en particulier. C'est fou ! Donc ce pays n'a pas été capable de
se coordonner.
En ce qui concerne la partie sanitaire, car je ne vais pas prendre tous les
problèmes, je pense qu'il faudrait confier à l'INSERM (puisqu'il
est là pour cela) une mission de coordination dans l'action. Il
s'agirait de le mandater pour être capable de réunir de
manière coordonnée les différents partenaires. Cela me
semblerait sain.
M. Charles DESCOURS, président - C'est le deuxième niveau.
M. Patrice DEBRE - C'est le niveau action. Ensuite, quand le politique aura
décidé qu'il faut intervenir dans tel ou tel domaine, encore
faut-il que vous ne fassiez pas retomber des informations qui vont aller dans
cinquante endroits dont les actions ne seront pas coordonnées. Il faut
donc qu'au niveau de l'action, il y ait une sorte de coordination, et il me
semble que le coordinateur, en matière de risques sanitaires, devrait
être l'INSERM. Il devrait coordonner les actions qui sont faites par
chacun des partenaires, c'est-à-dire qu'il s'occuperait de la
coordination de l'action. Sinon, vous aurez des décisions qui vont
descendre d'un côté au CNRS, d'un autre côté au
ministère, etc., c'est-à-dire qu'on risque de retomber sur ce que
j'ai cité tout à l'heure : des appels d'offres et des
dispositions qui seront lancés sans coordination les uns avec les
autres, avec des individus qui ne seront pas forcément mandatés
par les mêmes institutions.
En revanche, si on se mettait d'accord, il existerait au moins une coordination
dans l'action.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et la DGS ?
M. Patrice DEBRE - Il est vrai que je me plaçais du côté de
la coordination dans l'action au niveau de la recherche en santé, mais
c'est peut-être à un mélange des genres qu'il faudrait
parvenir, encore que l'INSERM ait une double tutelle. Mais peut-être
faudrait-il une association INSERM/DGS.
M. Claude HURIET, rapporteur - Une DGS qui ne serait pas forcément celle
d'aujourd'hui !
M. Patrice DEBRE - ... Vous n'aurez pas par la DGS des retombées dans le
monde de la recherche, d'autant plus qu'elle n'est pas écoutée.
Maintenant, il est vrai qu'elle agit dans les hôpitaux. Donc
peut-être faut-il avoir les deux systèmes.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a l'efficacité d'action sur laquelle
on réfléchit en partant d'une structure de veille qui serait
beaucoup plus large que la simple addition d'un certain nombre d'organismes
existants, mais il peut avoir des décisions à prendre dans des
domaines qui sont très larges et qui concernent la vie des individus.
Cela peut être des décisions aussi bien dans le domaine de
l'industrie que dans le domaine de la santé ou dans le domaine de la
recherche.
M. Patrice DEBRE - Il est vrai que je ne peux pas m'arrêter à ma
vision "recherche" car elle est insuffisante. Il faut qu'elle soit
intégrée, mais il faut que ce soit opérationnel, car vous
vous adressez à la fois à l'homme malade, à l'homme sain
ou aux animaux. Donc il faut une association des deux.
M. Charles DESCOURS, président - Il faut que ce comité ait
autorité.
M. Patrice DEBRE - Le comité supérieur doit avoir
autorité, effectivement.
M. Charles DESCOURS, président - Donc il faut qu'il soit
coordonné par le ministre, avec des parlementaires et des hommes
politiques, pour qu'il ait autorité.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce serait une attribution du ministre en charge
de la Santé.
M. Patrice DEBRE - Ensuite, en-dessous, il faut que l'efficacité des
actions soit coordonnée.
M. Charles DESCOURS, président - On n'échappera pas à une
DGS nouvelle formule.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je vais citer un exemple que je ne reprends pas
souvent, celui de la vache folle. Qui aurait dû agir, puisque chacun est
bien d'accord pour dire qu'il y avait des informations qui ont
été données et que d'après des données
scientifiques et médicales, et non pas forcément
épidémiologiques, on aurait dû donner l'alerte ? On
débouche sur un comité de veille. Donc si ce comité de
veille donne l'alerte, qui prend les décisions, sachant qu'on est bien
d'accord pour dire qu'elles ont été tardives en l'occurrence ?
M. Patrice DEBRE - Une fois que le comité a dit : "je suis
alerté", il faut qu'en-dessous, il indique quel type de décision
doit être pris. On l'a alerté et son expertise collective lui a
dit : "cela peut être dangereux". Ensuite, quel type de décision
doit-on prendre ? C'est là qu'à mon avis, il faut qu'il y ait
cette coordination qui doit dire : "en matière de recherche,
voilà ce qu'il faudrait faire ; en matière de législation
sur l'industrie et le traitement des aliments d'origine bovine, voilà ce
qu'il faudrait faire ; en matière de risques sanitaires pour ce qui est
de l'introduction des animaux aux frontières, voilà ce qu'il
faudrait faire..." Donc il faudrait avoir en amont la prise en
considération de tous les domaines.
M. Claude HURIET, rapporteur - En termes politique, c'est un problème
interministériel, et celui qui a en charge la santé, c'est bien
le ministre de la Santé.
M. Charles DESCOURS, président - Le problème est de savoir
pourquoi ce serait remonté ou non. Quand on préparait l'internat,
on avait des mésotélium de la plèvre qui étaient
dus à l'amiante. On le savait bien. Pourquoi a-t-on attendu vingt ans
pour en parler ?
Mme Jacqueline FRAYSSE CAZALYS - On pensait que l'amiante dans les plafond ne
gênait pas.
M. Patrice DEBRE - A terme, il s'agit de la santé de l'homme. C'est bien
ce qu'on souhaite. Je reprends donc la chaîne. Ce comité a
alerté, il a fait son expertise et il a besoin de savoir ce qu'il faut
faire. Je reviens donc à mon idée. Il s'agirait de confier
à un opérateur (qui peut être l'INSERM, la DGS ou ce que
vous voulez) le soin de vous faire toutes les propositions indispensables pour
la santé de l'homme dans ce domaine, sachant que ce serait à lui
de réunir les partenaires qu'il juge intéressants pour vous faire
toutes les propositions : l'AFS, les Douanes, etc.. Il dirait en gros :
"vous
m'avez posé une question en me demandant ce que je peux proposer. Donc
je propose des textes législatifs, d'augmenter les recherches dans tel
domaine et de faire ceci ou cela". Ensuite, il reste à répercuter
la décision au niveau du ministère. Je réfléchis au
moment où je vous en parle, mais je pense que pour ce comité
opérateur, la DGS n'est pas assez forte.
M. Charles DESCOURS, président - Il s'agirait d'une DGS " nouvelle
formule ".
M. Patrice DEBRE - Alors il faudrait sacrément la bouger. Par contre,
les scientifiques savent s'adapter et ils ont des relations industrielles. Donc
si on confiait à deux opérateurs, la DGS et l'INSERM, le soin de
vous fournir ces éléments, cela leur permettrait de réunir
qui ils veulent et de vous faire un rapport contenant des propositions.
Autrement dit, il y aurait trois étages. Vos chercheurs, votre
industriel, votre voyageur ont fait remonter à ce comité de
veille l'éventualité d'un problème quelque part. Ce
comité de veille (toute information n'étant pas bonne à
prendre), pour asseoir son dossier, se sert essentiellement de l'expertise
collective qui lui dit effectivement : "vous êtes en face d'un
problème important" ou "ce n'est qu'un problème anecdotique".
S'il est important, il l'envoie à un opérateur (INSERM plus DGS
associés) qui dit : "voilà les mesures à prendre" et qui
vous les renvoie. Il vous reste à les prendre en motivant les
ministères concernés.
M. Claude HURIET, rapporteur - D'accord. Il faut éviter qu'il y ait une
dilution et que suivant les mesures à prendre, on doive s'adresser au
ministère de l'Agriculture ou à d'autres ministres. C'est le
ministre en charge de la Santé qui doit voir cela. Grâce à
vous, nous avons creusé beaucoup de choses.
M. Charles DESCOURS, président - C'est bien dans ce sens qu'on doit
aller.
M. Patrice DEBRE - J'insiste également sur le rôle d'information
et de prévention. Ce comité a cette vocation de veille, mais je
crois qu'il est très important que la société soit
informée de ce qu'est la santé. On ne s'informe de la
santé que lorsqu'on se rend compte des risques. Par conséquent,
une bonne information me paraît importante.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS - Nous sommes beaucoup sous la pression des
informations diffusées n'importe comment dans le grand public, puis
répercutées très fortement. C'est le cas du sida, par
exemple.
M. Patrice DEBRE - Je vais vous donner un petit exemple de la vie d'un
laboratoire aujourd'hui. Pour ce qu'on appelle la recherche cognitive,
c'est-à-dire le fait d'aller vers la connaissance, un laboratoire ne
reçoit quasiment rien en crédits du CNRS. Donc un laboratoire ne
vit qu'à partir des lancements d'appel d'offres. Or quelque part, c'est
la société qui fait ces lancements d'appel d'offres. Il y a
énormément d'argent dégagé sur le sida ou sur les
prions. Donc les chercheurs vont aller là où il y a de l'argent.
Par conséquent, on est en train de désarmer le tissu de fond pour
le lancer sur des pistes. Elles sont parfois intelligentes et importantes, mais
il faut faire attention à ne pas désorganiser les choses. Une
société qui serait mieux informée serait à
même de comprendre l'importance à donner à chacun des
différents secteurs.
M. Claude HURIET, rapporteur - Cela rejoint une audition que j'avais
proposé d'inscrire au sujet du rôle des médias,
c'est-à-dire l'aspect médiatique.
M. Patrice DEBRE - Dans ce domaine, c'est une catastrophe. Qui va vous dire
aujourd'hui qu'il ne faut pas continuer à donner autant d'argent sur le
sida ? La France est le premier pays du monde à cet égard. Ce
comité-là pourrait avoir une sorte de régulation des flux
d'importance.
M. Claude HURIET, rapporteur - Hier, le Président du Conseil de l'ordre
des pharmaciens nous a parlé de la Josacine. Il nous a dit qu'à
son avis, il y avait eu des morts du fait de l'explosion de l'angoisse des
parents suite à l'annonce à TF1, un soir, de l'accident
lié à la Josacine (dont on a su après la cause). Il nous a
dit que les médecins et les services d'urgence et de réanimation
avaient été submergés de parents qui venaient avec leurs
gosses en disant : "mon gamin a pris de la Josacine, il va être
intoxiqué !" Il y a eu un tel encombrement de certains services que cela
aurait eu des conséquences. Donc je ne sens pas bien les attributions
dont vous parlez dans une instance de veille sanitaire, mais le volet
information me paraît tout à fait indispensable.
M. Charles DESCOURS, président.- On sait que pour le sida, on donne 6
milliards, parce que c'est individualisé à travers les
réseaux départementaux. Mais aujourd'hui, le ministre de la
Santé est incapable de savoir ce qu'on donne pour le cancer et les
maladies cardio-vasculaires.
M. Patrice DEBRE - Beaucoup d'argent qui passe par les fondations. La lutte
contre le cancer est prise en charge par les fondations.
M. Charles DESCOURS, président - Le sida aussi, mais c'est
regroupé. C'est ce que dit le ministre.
M. Patrice DEBRE - C'est vrai.
VIII. SÉANCE DU MARDI 26 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR JEAN-YVES LE HEUZEY, MEMBRE DE LA COMMISSION D'AUTORISATION DE MISE SUR LE MARCHÉ, HÔPITAL BROUSSAIS
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Je suis professeur de cardiologie
à l'université Paris VI, hôpital Broussais, et je voudrais
vous faire part d'un problème qui me préoccupe et que je pense
pouvoir appréhender dans sa globalité de par mes fonctions...
Mon souci est celui de la sécurité de certains appareillages
utilisés à titre thérapeutique, que l'on peut appeler
"dispositifs", comme le défibrillateur implantable, certains
systèmes de pace makers, le coeur artificiel, etc.
Or, ces dispositifs n'ont pas de procédures d'autorisation de mise sur
le marché comparable à celle du médicament. En effet,
quand la commission d'AMM évalue un médicament, elle essaie
d'évaluer le rapport bénéfice-risque ou
efficacité-risque. Dans ce rapport, l'efficacité est le
numérateur et occupe donc une grande place.
Cependant, si l'utilisateur a le sentiment que le risque, dans ces dispositifs,
est bien évalué par la commission d'homologation ou,
éventuellement, le marquage CE, il existe à mon avis un
défaut dans l'évaluation de l'efficacité. Il est bien
évident que si l'on met sur le marché un produit dont
l'efficacité est limitée, même avec un risque faible, ce
produit n'est pas sûr.
Selon moi, ces dispositifs devraient être évalués de la
même façon que le médicament, car ils sont de plus en plus
souvent en compétition avec ce dernier. Dans ma spécialité
notamment, on a une compétition entre les défibrillateurs
implantables et les médicaments anti-arythmie, entre les
médicaments traitant l'insuffisance cardiaque et les systèmes de
coeur artificiels, etc.
Il ne s'agit donc plus de deux problèmes séparés, mais
d'un problème global, et l'on comprend mal pourquoi l'un est
évalué de façon plus large que l'autre !
De plus, quand une firme pharmaceutique a développé un
médicament, elle réalise des études pour vérifier
que celui-ci est efficace. Si c'est le cas, il se retrouve sur le
marché, sinon, il n'est pas autorisé à être mis sur
le marché.
Or, pour les dispositifs, c'est la collectivité qui paye ces essais. Ce
n'est peut-être pas le problème qui nous concerne aujourd'hui,
mais cela compte aussi, surtout dans la mesure où ces dispositifs -comme
le coeur artificiel- vont avoir des coûts colossaux pour la
collectivité.
Cette différence de traitement a aussi des effets pervers. Ainsi, le
défibrillateur implantable, qui n'a jamais obtenu d'autorisation de mise
sur le marché et n'est donc jamais passé devant une commission de
transparence, qui décide des remboursements, n'est-il pas
remboursé ! Ceci pose un problème car, dix ans après le
début de son développement, on sait qu'il peut être utile...
Je sais que tout cela est complexe et qu'il ne s'agit pas d'un problème
spécifiquement français, mais aux Etats-Unis, la FDA prend des
décisions d'autorisation de mise sur le marché de ce genre de
dispositifs, ce qui n'est pas le cas en Europe.
En tout état de cause, je vois mal pourquoi l'Agence française du
médicament -ou l'Agence européenne du médicament, à
Londres- n'a pas en charge ce genre d'autorisation de mise sur le
marché, comme aux Etats-Unis.
D'après ce que je sais, ce n'est pas dans les compétences de
l'Agence du médicament, mais il faut que le problème soit pris
dans sa globalité et appréhendé de la même
façon que le médicament, d'autant que les dispositifs mixtes,
comprenant à la fois un appareillage et une délivrance de
médicaments, vont se développer de plus en plus. Ainsi, les
ressorts que l'on place dans les coronaires, vont être capables de
délivrer des médicaments...
Les deux problèmes vont donc être impliqués, et la
séparation me paraît d'autant moins logique que cela me
paraît être dans certains cas un problème de
sécurité.
M. Charles DESCOURS, président - La parole est au rapporteur...
M. Claude HURIET, rapporteur - On voit apparaître trois dimensions
à travers votre propos : la sécurité, mais aussi la
démarche d'évaluation et l'approche économique.
Au terme de votre exposé, vous suggérez qu'entre le
médicament et certains dispositifs, il n'existe pas de solution de
continuité...
M. Jean-Yves LE HEUZEY - ... Et il y en aura de moins en moins !
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous nous sommes trouvés devant une
démarche assez comparable lorsqu'on s'est intéressé aux
thérapies génique et cellulaire, où l'on passe du
cellulaire au génique, et vice-versa. Il est extrêmement difficile
d'établir d'établir une frontière, ne serait-ce qu'en
termes d'organisation des structures.
Comment faire pour éviter un amalgame auquel personne ne comprendrait
plus rien entre dispositifs actifs et inactifs, alors qu'on est amené
à dresser un inventaire de ce qui existe et de ce qui va exister, et
à faire des propositions en termes d'organisation et de structures ?
A travers ce que vous dites, j'en perçois encore mieux
l'impérieuse nécessité, mais aussi l'extrême
difficulté !
M. Charles DESCOURS, président - Je voudrais savoir si les
défibrillateurs sont ou non au TIPS ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Pour ce qui concerne les défibrillateurs,
personne n'a demandé qu'ils le soient !
M. Charles DESCOURS, président - Pas même les industriels ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - ... A part les industriels, mais il y a eu ensuite
blocage. Par contre, le ressort est au TIPS depuis le Journal Officiel d'hier
soir, suite à une démarche du milieu cardiologique.
Le défibrillateur est actuellement payé sur le budget
"prothèses" des hôpitaux...
M. Charles DESCOURS, président - ... Et les valves ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Les valves également. Par contre, elles sont
remboursées par la Sécurité sociale dans le secteur
privé, mais le défibrillateur n'étant pas au TIPS, il ne
peut être posé que dans le secteur public, ce qui fait protester
nos collègues du secteur privé et qui pose des problèmes
difficiles pour les patients qui veulent subir une intervention de ce type dans
le privé.
M. Charles DESCOURS, président - Pour autant, ce n'est pas plus
sûr sur le plan de la sécurité sanitaire ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Non, cela ne change rien.
M. Charles DESCOURS, président - Existe-t-il beaucoup de dispositifs
implantés sans qu'on ait mené une évaluation de
l'efficacité convenable ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Dans mon domaine, il y en en beaucoup :
défibrillateurs implantables, coeurs artificiels, pompes d'assistance
circulatoire.
Cinq cent trente de ces pompes ont été posées dans le
monde, dont vingt en France, pour un coût d'appareillage de base de
600.000 francs et 376.000 francs par patient.
M. Charles DESCOURS, président - Et on ne sait pas si c'est vraiment
efficace ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Non, car il n'existe pas de réelle
évaluation, au moins en Europe. Pour le moment, il n'y a que des
implantations qui servent à l'évaluation, prises en charge par la
collectivité et le budget des hôpitaux...
On peut également ajouter à la liste les ressorts et les
stimulateurs cardiaques. D'ailleurs, lorsque vous autorisez la mise sur le
marché d'un médicament, vous le faites avec une indication. Les
médecins peuvent le prescrire pour une indication hors AMM, mais cela
peut éventuellement avoir des conséquences
médico-légales : cela fait partie de notre responsabilité
de médecin.
Or, tous ces dispositifs sont mis sur le marché sans indication. Ainsi,
l'indication de pose des stimulateurs cardiaques évolue et certains
cardiologues ont proposé des stimulations à quatre chambres dans
l'insuffisance cardiaque.
C'est une problématique complètement différente du simple
stimulateur placé dans le ventricule. Personne n'est là pour
donner l'indication ou même l'état de l'art, et chacun fait ce
qu'il veut. Je pense que, de temps en temps, cela peut causer quelques
problèmes de sécurité...
M. Claude HURIET, rapporteur - De coût et sécurité !
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Tout à fait...
M. Claude HURIET, rapporteur - Quelle est la procédure suivie en
matière de sécurité ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - A ma connaissance, les choses sont en train de changer
du fait de la mise en place de normes européennes...
M. Charles DESCOURS, président - Le marquage CE est-il une bonne chose ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - A mon avis, c'est une très bonne chose, mais
dans ma problématique, il évalue surtout les
spécifications techniques d'un produit, les techniques de fabrication,
et non l'efficacité.
Jusqu'ici, les opérations étaient essentiellement conduites par
la commission d'homologation, et un collègue m'a confirmé que les
spécifications techniques sont largement évaluées, mais
qu'il est exceptionnel que l'on ait besoin d'aller plus loin en termes
d'efficacité.
M. Charles DESCOURS, président - Quelle est la démarche ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Il faut que le constructeur obtienne l'homologation et
le marquage CE. Certes, auparavant, le dispositif est évalué en
termes d'efficacité, mais sans aucune obligation légale ni
contrôle de qui que ce soit.
Cela doit se faire théoriquement dans le cadre de la loi Huriet, mais
une fois l'homologation et le marquage CE obtenus, il y a un grand vide quant
à la prise en charge par les organismes de sécurité
sociale...
M. Charles DESCOURS, président - On évalue cependant bien le
bénéfice thérapeutique avant la mise sur le marché ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui, mais il n'existe aucun enregistrement
légal comme pour le médicament.
Dans le cadre de la stimulation quatre à chambres, on ne précise
pas les indications dans lesquelles vous pouvez utiliser les stimulateurs. Si
vous rajoutez des sondes, vous le ferez sans réel contrôle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Qui pourrait établir les indications, du
fait même du caractère très pointu de techniques et du
nombre d'indications qui peuvent être limitées ? Peut-on envisager
la démarche évaluative à travers des conférences de
consensus ? Par ailleurs, pourrait-on inclure la vigilance concernant les
dispositifs dont vous parlez dans la démarche de
matério-vigilance ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Il me paraîtrait souhaitable de réaliser
une évaluation du même type que celle que réalise l'Agence
du médicament -sans pour autant qu'il s'agisse de la même
structure- une procédure basée sur l'expertise externe, qui
permette de savoir s'il est concevable qu'un dispositif soit utilisé de
telle ou telle façon.
Quant à la conférence de consensus, il s'agit de quelque chose de
très lourd à mettre en place. Autant on imagine bien des
conférences de consensus sur de grands problèmes nationaux de
santé publique, autant cela me paraît difficile pour des
problèmes plus spécifiques...
M. Claude HURIET, rapporteur - Les techniques de stimulation quatre chambres
dont vous parliez sont-elles au stade expérimental ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui...
M. Charles DESCOURS, président - ... Et les dispositifs ventriculaires ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - C'est maintenant de la routine. La majeure partie des
pace makers sont maintenant double champ. On garde les simples champs pour les
patients vraiment très âgés, dont l'espérance de vie
est plus basse, mais dès que les gens ont besoin d'une activité,
on leur implante des pace makers double champ.
Les quatre champs sont complètement différents ! Même les
promoteurs disent qu'il faudrait faire un essai, alors qu'on les a
implantés sans véritable méthode rigoureuse.
M. Paul BLANC - Au départ, c'est toujours comme cela...
M. Jean-Yves Le Heuzey - Tout à fait : on ne peut empêcher un
chirurgien d'innover. Si on met en place un carcan trop rigoureux, il n'y aura
plus jamais d'innovation chirurgicale. Je ne veux pas pousser le bouchon trop
loin, mais on ne peut nier qu'en l'absence de réelle évaluation
d'efficacité réglementaire, il peut y avoir parfois des
problèmes de sécurité.
M. Charles DESCOURS, président - Il faut une évaluation
comparative des appareillages par rapport à la thérapeutique
médicamenteuse...
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Tout à fait. Ce n'est peut-être pas un
problème majeur aujourd'hui, mais je suis persuadé que cela va le
devenir de plus en plus. J'ai d'ailleurs lu un article d'un collègue de
Rotterdam à propos des ressorts qui allait en ce sens...
M. Charles DESCOURS, président - Les ressorts délivreraient donc
des médicaments qui empêcheraient la sténose locale ?
M. Jean-Yves LE HEUZEY - Oui, ces ressorts feront probablement aussi partie un
jour de la thérapie génique, car c'est la seule façon
d'être efficace en cardiologie...
M. Claude HURIET, rapporteur - On en parle aussi en dialyse pour éviter
les resténoses...
M. Charles DESCOURS, président - Ce n'est pas de la thérapie
génique !
M. Claude HURIET, rapporteur - Si : on peut mettre en place des gênes qui
évitent la prolifération cellulaire.
M. Charles DESCOURS, président - Ce ne serait donc pas pour contrer une
malformation génétique, mais pour empêcher une fonction
génétique...
B. AUDITION DE M. CHRISTIAN BABUSIAUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA RÉPRESSION DES FRAUDES
M. Christian BABUSIAUX - Il convient tout d'abord de
préciser que nous ne constituons pas à proprement parler une
autorité sanitaire. Nous n'avons pas de responsabilité sur les
maladies directement transmissibles entre humains ou par l'environnement. Notre
rôle est la surveillance des marchés, des produits et des
services. C'est dans ce cadre que s'inscrivent les problèmes de
sécurité des produits.
Ceux-ci peuvent soit représenter des accidents qui sont peut-être
différents du sanitaire proprement dit. Ils peuvent être
également la traduction ou le vecteur de problèmes plus
proprement sanitaires. Notre action s'exerce par exemple dans le domaine de la
sécurité des produits alimentaires.
Nous menons donc non seulement des enquêtes ponctuelles, mais aussi des
plans de surveillance, pour étudier s'il n'existe pas dans les aliments
des contaminants, des résidus de pesticides. Pour ce faire, nous mettons
en place un certain nombre d'instruments. Ainsi avons-nous créé,
avec les ministères de la santé et de l'agriculture, un
observatoire des consommations alimentaires qui nous permet de savoir, par
tranche d'âge, par type de consommateurs, de manière très
précise, le total des consommations d'un ingrédient donné
ou les risques d'ingestion d'additifs ou de résidus de contaminants.
Nous sommes donc capables de savoir par ce biais quelle est la dose de
substitut du sucre ou de tel additif consommé par les enfants de 5
à 10 ans ou de 10 ans à 12 ans. A partir de là, nous
proposons des règles ou effectuons des contrôles.
Quant aux produits industriels, nous avons des démarches de même
type. Cela suppose que l'on soit attentif à l'utilisation des nouvelles
technologies dans les produits de consommation -par exemple les
téléphones mobiles. A la suite d'accidents, nous avons
été également amenés à intervenir sur les
lampes à bronzer, estimant qu'elles étaient à l'origine de
brûlures par expositions inconsidérées, insuffisance de
l'affichage sur les conditions d'emploi, etc.
D'une manière plus générale, nous nous préoccupons
des produits industriels comme vecteurs potentiels d'accidents, qu'il s'agisse
des téléviseurs, des lampes halogènes, des jouets, des
textiles, qui peuvent être aussi à l'origine d'allergies. Nous
sommes d'ailleurs en train de préparer un décret sur ce
thème...
Nos compétences sont fondées sur deux lois, la loi de 1905 sur la
répression des fraudes, qui est codifiée dans le code de la
consommation, et la loi de 1983 sur la sécurité des
consommateurs, codifiée depuis 1993.
Ces textes nous autorisent à prendre, en liaison avec les autres
ministères considérés, soit des décrets pour fixer
les conditions générales d'utilisation des produits quand ils
peuvent poser des problèmes de sécurité, soit des
arrêtés d'urgence quand un problème urgent se pose sur le
marché et qu'il faut suspendre la commercialisation de produits, voire
procéder à leur rappel ou à leur retrait...
Ainsi, en 1991, nous avons pris un arrêté pour suspendre la
fabrication et la mise sur le marché d'une substance utilisée
dans un certain nombre de compléments alimentaires.
Nous avons, en 1995, interdit également la mise sur le marché de
certains préservatifs masculins -arrêté co-signé
avec le ministère de la santé. A cette même époque,
nous avons suspendu la mise sur le marché de certaines prothèses
mammaires, interdit la mise sur le marché et organisé le retrait
des dures-mères d'origine humaine, vecteurs de la maladie de
Creutzfeld-Jakob. Enfin, le dernier texte que nous ayons pris était
destiné à interdire l'utilisation de certains
dérivés bovins dans des cosmétiques. Bruxelles tardant
à décider, nous avons fini par prendre, avec le ministère
de la santé, un arrêté d'urgence.
Il existe également des textes permanents, que l'on utilise soit pour
consolider des dispositions d'urgence, soit de manière
générale. En juillet 1996, nous avons pris un texte pour
interdire certaines utilisations de l'amiante dans les produits de
consommation. Dès 1989, en effet, nous avons interdit l'utilisation de
l'amiante dans les filtres pour le vin.
Par ailleurs, des directions départementales sont chargées de
surveiller en permanence les produits et les services commercialisés,
sur le plan de la loyauté, de la qualité, du caractère
éventuellement trompeur des publicités ou de la
sécurité.
En cas de danger, nous avons des pouvoirs de consignation et de saisie,
après en avoir informé l'autorité judiciaire.
Bien entendu, nous surveillons les dispositions que nous prenons. Cela peut
nous amener à prendre des mesures plus ponctuelles. Ainsi, nous avons
interdit certains types de produits anti-rides injectés d'origine bovine.
Nous travaillons en étroite liaison avec les autres ministères,
tous ces domaines sanitaires étant nécessairement multiples et
imbriqués, car le produit est complexe : il y a non seulement le produit
alimentaire lui-même, mais aussi son emballage, les matériaux en
contact, le transport, les vitrines réfrigérées...
Cela suppose donc de se tenir en permanence au contact des professionnels, des
scientifiques et des autres administrations. Dans la plupart des
départements, nous avons essayé de constituer des sortes de
réseaux d'alerte, en liaison avec les SAMU, les CHU, la DDASS, pour
recueillir des informations.
Lorsque nous élaborons nos programmes trimestriels de contrôle,
nous consultons systématiquement les autres ministères en leur
demandant quels sont les domaines dans lesquels ils souhaitent que nous
intervenions. C'est ainsi qu'à la demande de la direction des
hôpitaux, nous enquêtons sur la réutilisation des
matériels à usage unique. Ces enquêtes ont surpris et
quelque peu inquiété les milieux hospitaliers, mais nous avons
trouvé énormément de problèmes -plus que la
direction des hôpitaux ne le pensait peut-être- et nous lui avons
transmis aussitôt les résultats de nos enquêtes.
J'ajoute que, d'un point de vue juridique, nous sommes notamment à la
disposition des ministres de l'industrie, de l'agriculture, et du commerce.
En 1994 et 1995, nous avons également mené une enquête sur
les greffons osseux d'origine humaine. Nous avons pu constater que des greffons
non-stérilisés étaient utilisés dans un certain
nombre de cliniques ou d'hôpitaux, et nous avons engagé des
procédures devant les juridictions.
La connaissance globale des marchés et des produits nous paraît
importante en termes de méthodologie. En effet, dans le monde actuel, un
produit peut être utilisé à des fins qui n'étaient
pas prévues au départ. Il faut donc toujours avoir une vue
globale d'un marché et essayer de repérer les fluctuations des
cours des produits et des matières premières. Les farines
animales, par exemple, ne relevaient pas de notre domaine, mais de celui des
vétérinaires : une observation attentive des cours suffisait
à montrer qu'il allait y avoir un problème ! En effet, les cours
du soja montant, les professionnels ont utilisé les farines animales
comme substitut...
Nous nous sommes également aperçus que les sous-produits de
tannage étaient récupérés pour la fabrication des
gélatines éventuellement destinées à l'alimentation
humaine. Cela montre bien qu'il existe dans le monde actuel, avec les
possibilités de la chimie et les processus de transformation ou de
retransformation une nécessité de connaissance globale : on ne
peut jamais isoler une filière ou un type de problème par rapport
aux autres.
Autre exemple : les additifs alimentaires... A certaines doses, ces produits
posent un problème de qualité et de loyauté.
Au-delà de certaines doses, cela devient un problème de
sécurité ou de santé...
Les problèmes eux-mêmes sont transectoriels. Par exemple, les
allergies peuvent venir de l'alimentation, mais aussi des textiles :
vêtements, moquettes, etc. Il faut donc avoir une vue d'ensemble des
produits de consommation.
D'autre part, tous ces sujets étant extrêmement sensibles, il faut
être impartial et indépendant. Il faut également
s'éclairer d'avis scientifiques et d'une suffisante veille sanitaire.
Je conseillerai donc quatre pistes en matière d'améliorations...
La première est celle d'une base de données et de formatage
unique des informations, de manière à ce que les
différents acteurs puissent les croiser et les échanger
aisément.
En second lieu, il convient de tenir compte des services autant que des
produits. Dans l'économie actuelle, le pourcentage des produits dans le
PIB diminue, alors que le pourcentage des services augmente
considérablement. Si les veilles sont, par tradition, plus
tournées vers les produits que vers les services, il peut cependant y
avoir des pratiques de services dangereuses. Nous le voyons par exemple dans
les centres de chirurgie esthétique, mais peut-être est-ce aussi
le cas en matière de kinésithérapie, où certains
types de massages pourraient être néfastes pour la santé
des individus.
Le troisième point concerne le retour des informations vers les
professionnels. Très souvent, le sanitaire est confiné dans le
sanitaire et s'adresse aux médecins et à l'univers sanitaire,
alors qu'on sait de par notre expérience qu'il est extrêmement
important qu'il y ait un retour de l'information pour les professionnels. Nous
y passons beaucoup de temps. Nous tenons des réunions fréquentes
avec beaucoup de fédérations professionnelles et ce retour
d'informations est extrêmement important. Beaucoup de professionnels sont
de bonne volonté : ce ne sont pas des gens qui travaillent dans la
clandestinité, et ils attendent que l'autorité publique
répercute un certain nombre d'informations et trace des chemins.
Enfin, ma quatrième et dernière remarque portera sur l'expertise.
En effet, l'information n'est pas toujours interprétable de
manière brute. Or, si, en France, nous avons beaucoup
développé la veille proprement dite, nous avons moins
développé l'expertise, et nous avons du mal à trouver des
experts. L'expertise ne figure pas dans le cursus universitaire des chercheurs
et des secteurs entiers de la toxicologie manquent d'experts. Il faut donc
rechercher des voies pour valoriser et développer l'expertise.
Vraisemblablement, des instances comme le Conseil supérieur de
l'hygiène n'ont pas tous les moyens nécessaires pour une
expertise suffisamment solide !
Ainsi, il existe 4.000 types d'additifs utilisés dans les cigarettes.
Seules quelques-unes ont été expertisées en
réalité, et de plus à froid, sans processus de combustion
! Nous avons mis plusieurs années pour obtenir quelques travaux
d'experts sur ce sujet. Ce n'était pas par mauvaise volonté mais
réelle difficulté de trouver une expertise, de surcroît
indépendante, des intérêts économiques en cause.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pouvez-vous nous préciser les conditions
historiques dans lesquelles le ou les laboratoires sur lesquels vous vous
appuyez ont été créés ? Disposez-vous d'un
corps d'inspection chargé de la sécurité ?
J'aimerais aussi que vous précisiez la nature des relations
fonctionnelles qui existent entre les ministères que vous avez
évoqués, les moyens dont ils disposent et les conditions dans
lesquelles vous intervenez, même lorsqu'il n'y a pas fraude
démontrée...
Enfin, je suis surpris qu'il n'existe aucun formatage ni mise en forme commune
de l'information. Cette proposition pouvant être prise à son
compte par la mission, vous serait-il possible de préciser, exemples
à l'appui, ce qui existe actuellement et ce qui devrait exister ?
M. Christian BABUSIAUX - Nous sommes plus de 4.000 agents de la DGCCRF : c'est
la plus grande institution de contrôle en Europe, étant entendu
que beaucoup de pays évoluent en ce sens : Portugais, Belges,
Hollandais...
Nous sommes à la fois une administration centrale, qui comprend des
directions départementales constituées uniquement
d'enquêteurs et des laboratoires.
L'administration centrale traite la réglementation. Nous siégeons
également dans toutes les instances internationales de normalisation,
à Bruxelles ou plan mondial. Elle gère bien entendu aussi nos
services déconcentrés, qui représentent en moyenne, dans
chaque département, une trentaine d'enquêteurs, chargés,
entre autres, de contrôler les 12.000 plus importantes entreprises de
France et de vérifier si le processus de production est sûr,
simple et loyal.
M. Claude HURIET, rapporteur - Comment agissez-vous par rapport au
ministère de l'industrie ?
M. Christian BABUSIAUX - ... Le ministère de l'industrie n'a aucune
activité de contrôle des produits. En effet, il s'est
progressivement rendu compte que son rôle n'était pas
celui-là, mais qu'il lui revenait plutôt de s'occuper de
l'impulsion économique industrielle, et nous réalisons donc les
contrôles sur la sécurité des jouets. Le ministère
ne s'occupe plus que de la sécurité des établissements
classés au titre de l'environnement.
Nos laboratoires, qui comptent aujourd'hui 350 personnes au total, sont au
nombre de sept. Ce sont des unités de 50 personnes en moyenne. A mon
avis, un laboratoire opérationnel doit compter entre 40 et 70
personnes...
Il ne s'agit pas de laboratoires de recherches, mais d'analyses, dont la
mission est de détecter la présence d'additifs, de contaminants,
de polluants, de résidus de pesticides, etc., dans les produits
alimentaires.
Notre organisation repose donc sur des liens forts entre enquêteurs,
laboratoires et réglementation, mais il faut que cet ensemble communique
avec l'extérieur. Nous nous sommes donc entourés de conseils
scientifiques tels qu'une commission de technologie alimentaire, une commission
de la sécurité des consommateurs pour les produits industriels,
ou un observatoire de consommation alimentaire.
Il faut également travailler très étroitement avec les
autres ministères. Chaque trimestre, au moment d'élaborer nos
programmes, nous interrogeons quatre ou cinq ministères sur leurs
demandes.
Dans le cas de la réutilisation des matériels à usage
unique, par exemple, c'est la direction des hôpitaux qui nous a
alertés.
Nous croyons beaucoup au travail en réseaux. Notre technique consiste
à avoir sur chaque sujet un petit nombre de spécialistes, qui
sont susceptibles de mobiliser éventuellement autour d'eux, en cas de
problème intense, 10, 20, 30, 50, 100, 200, voire 300 agents moindrement
spécialisés ou ayant d'autres spécialisés, mais qui
mettent la main à la pâte...
D'autre part, l'expression "répression des fraudes" est trompeuse. Ce
vocable remonte à 1905, époque de l'agitation dans le midi
viticole. En réalité, la fraude est extrêmement
réduite dans nos fonctions.
Dans le cas des greffons d'origine humaine, il existait une simulation sur les
facteurs, qui couvraient à la fois des fraudes à la
Sécurité sociale et une atteinte à la santé.
En fait, il y a un continuum
loyauté-qualité-sécurité-fraude...
Quant au formatage, celui n'existe pas, mais je pense que, dans l'état
actuel des moyens de traitement et d'échanges de l'information, c'est
une chose très importante. Pour notre part d'ailleurs, nous sommes en
train de nous en doter...
Nous mettons en place un schéma informatique entre nos 136
implantations, qui sera effectif dès 1997. Il nous permettra de savoir
à tout moment, en tout point du territoire, ce qui est
contrôlé, pour ne pas contrôler deux fois le même
yaourt ou le même jouet, et mémoriser toutes les informations.
Ceci n'a l'air de rien, il a fallu néanmoins trois ans pour y parvenir !
En tout état de cause, formater des informations
épidémiologiques de manière commune est un travail
considérable, mais que la technique actuelle permet tout à fait...
M. Claude HURIET, rapporteur - ... Et les autres ministères ?
M. Christian BABUSIAUX - ... Ils sont très loin et leur
responsabilité n'a pas le caractère global de la nôtre.
J'ai néanmoins soumis l'idée au ministère de la
santé...
M. Charles DESCOURS, président - Vous n'êtes pas un service
interministériel...
M. Christian BABUSIAUX - Nous sommes rattachés au ministre chargé
de la consommation et de la concurrence, qui a normalement une vue
interministérielle, et nous sommes à la disposition de
l'agriculture, de l'industrie et du commerce. Nous ne sommes pas encore
à la disposition de la santé, mais nous n'avons aucun obstacle
à y être, car nous avons un aspect nécessairement
interministériel...
M. Claude HURIET, rapporteur - Existe-t-il des relations avec l'Union
européenne en matière de normes, ou celles-ci sont-elles
uniquement nationales ?
Par ailleurs, nos partenaires européens pourraient-ils nous accuser
d'établir des normes à des fins protectionnistes ?
M. Christian BABUSIAUX - Lorsque nous fixons des doses limites, c'est
après consultation du Conseil d'hygiène -dont nous assurons
d'ailleurs le secrétariat de l'un des groupes de travail. Un cadre
européen existe effectivement concernant les additifs, les
matériaux au contact en matière alimentaire et en matière
de produits industriels. Il existe neuf domaines où des directives
fixent un certain nombre d'exigences essentielles : jouets,
compatibilité électromagnétique, etc.
C'est pourquoi nous travaillons beaucoup dans les comités bruxellois qui
élaborent tout cela, mais ce n'est pas complet et, contrairement
à ce que dit Bruxelles, le marché intérieur n'est pas
réalisé à 95 % ! Il reste en effet beaucoup d'additifs
dont les conditions d'emploi ne sont pas encore harmonisées...
En outre, les caractéristiques de consommation ne sont pas
nécessairement les mêmes entre les différents pays : les
français boivent moins de soda que d'autres pays, mais plus d'un certain
nombre d'autres boissons -y compris des eaux minérales, pas seulement du
vin ! Les habitudes alimentaires en Europe demeurent assez différentes,
et cela peut justifier un certain nombre de différence.
Surtout, les règles européennes ne sont pas toujours suffisantes,
soit qu'elles n'ont pas été fixées de manière
suffisamment stricte, soit qu'elles n'avaient pas prévu un cas de figure
qui, brusquement, se révèle.
Ainsi, la maladie de Creutzfeld-Jakob constituant un processus lent, nous avons
commencé par interdire l'utilisation de cervelle dans certains produits,
comme les petits pots pour bébés. Nous avons donc pris un texte,
conjointement avec le ministre de la santé. Bruxelles nous a
envoyé un avis motivé nous accusant de mesure protectionniste.
Nous avons décidé de passer outre, et je m'en réjouis !
Bruxelles, jusqu'à une époque récente -bien que cela
change un peu- pensait que toute réglementation en matière de
sécurité visait à une entrave aux échanges. C'est
parfois vrai de la part de certains pays, mais les mesures que l'on a prises
étaient dictées par la sécurité !
De même, en matière de préservatifs, nous avons fixé
des normes de sécurité plus sévères que la norme
européenne, qui avait été établie dans une optique
contraceptive et non prophylactique. Nous avons donc pris un
arrêté particulier, et nous avons eu un contentieux avec Bruxelles
! Il a fallu palabrer pendant trois ans, mais nous avons tenu bon, et je crois
que nous avions, là aussi, raison !
M. Claude HURIET, rapporteur - Avez-vous des expériences concernant les
biomatériaux, qu'il s'agisse de ciments pour prothèses ou de
métaux ?
M. Christian BABUSIAUX - Je ne peux pas vous dire exactement... Je sais que
nous nous sommes posé la question à propos de certains
matériaux, mais je ne peux dire de tête ce que nous avons en cours
ou ce que nous avons trouvé. Je pourrais au besoin le retrouver...
Pour compléter ce que je disais à propos de la consommation et de
la fraude, je ne connais pas d'exemples de distributeurs qui n'ait
retiré instantanément un produit du marché lorsque nous
émettons un avis.
Nous sommes dans une économie où la fonction de régulation
est très importante. Malgré la concentration de la production, il
est possible d'avoir une maîtrise du marché...
Pour que les choses soient claires, j'ajoute que notre rôle n'est pas de
nous substituer au ministère de la santé, car c'est à lui
seul que revient la politique sanitaire.
En revanche, nous sommes un instrument de connaissance du marché, de
réglementation et de contrôle, grâce à la vue globale
que nous avons.
Quant à la pluralité des organismes, j'ai toujours
souhaité ne rien signer seul : en effet, cela permet d'avoir un droit de
regard...
C. AUDITION DE MME CLAIRE BAZY-MALAURIE, DIRECTEUR DES HÔPITAUX ET M. JACQUES GRISONI, RESPONSABLE DE DIVISION À LA DIRECTION DES HÔPITAUX
M. Charles DESCOURS, président - Madame, nous vous
écoutons...
Mme Claire BAZY-MALAURIE - Dans un premier temps, je limiterai mon propos au
secteur des dispositifs médicaux, non que la direction des
hôpitaux soit le seul intervenant -loin de là- mais c'est en fait
cette direction qui coordonne les procédures en ce domaine.
Nous avons d'abord dû gérer la substitution de la procédure
de marquage CE à la procédure d'homologation laquelle, je crois,
sera achevée en juin 1998.
Nous avons commencé la mise en place du dispositif de
matério-vigilance depuis 1994, époque à laquelle il a
commencé à prendre une forme et une ampleur significatives.
Enfin, nous sommes en même temps le lieu de coordination de la
procédure du TIPS -tarif interministériel des prestations
sanitaires- au sein duquel existent des procédures d'évaluation
indifférenciées de ces dispositifs médicaux, dans des
cadres au demeurant bien déterminés, contrairement à ce
qui se passe dans le domaine du médicament.
Nous avons donc un rôle important à jouer dans la chaîne du
processus de sécurité, qui a tenté de répondre du
mieux possible à la montée des préoccupations de
sécurité sanitaire.
Par ailleurs, toute la procédure de contrôle sur le marché
repose essentiellement sur la DGCCRF, et sur nos médecins et pharmaciens
inspecteurs, qui ont un rôle important à jouer dans les
établissements hospitaliers ou au titre de leur mission
générale de sécurité et de police sanitaire,
puisqu'ils peuvent être en effet amenés à constater des
dysfonctionnements et à alerter l'administration.
La difficulté tient en deux mots : tout d'abord, nous avons affaire
à des partenaires assez dispersés, et, ensuite, l'ampleur des
moyens est trop limitée, bien qu'elle soit très différente
de ce qu'elle était encore il y a quelques années.
Les directives de 1994 nous ont amenés à construire un
système très différent de celui de l'Agence du
médicament. En effet, celles-ci reposent sur la procédure du
marquage CE, et l'on applique aux dispositifs médicaux à peu
près le même système de sécurité que celui
qui a été mis en place pour les jouets.
Cette procédure repose sur les industriels au gré de
déclarations mises en place par les organismes notifiés, reposant
eux-mêmes sur des procédures d'assurance-qualité de type
industriel.
Quelles que soient les exigences qu'on peut avoir en termes de
sécurité, on est bien dans une nouvelle approche faite pour les
industriels, et qui repose sur un auto-contrôle.
Certes, le contrôle des organismes notifiés doit avoir lieu, mais
nous avons mis en place en France, au travers du GMED, un système qui,
à ce jour, n'est pas un véritable organisme notifié,
puisqu'il n'a pas été notifié en tant que tel à
Bruxelles. Il repose sur le laboratoire national d'essais et le laboratoire de
contrôle des industries électriques, fédérés
dans un GIE dans lequel les ministères de l'industrie et de la
santé sont parties prenantes. Ce GIE fait office d'organisme
notifié, la France n'en ayant choisi qu'un seul à ce jour.
L'industrie des dispositifs médicaux est très
éclatée et essentiellement constituée, à part
quelques gros intervenants en équipements matériels lourds, de
petites PME travaillant sur la base d'innovations technologiques très
intéressantes ou de processus de base anciens. Il existe une tentative
de fédération du SNITEM, qui est notre interlocuteur, mais qui ne
regroupe pas la totalité des fabricants et des dispositifs
médicaux.
Les industriels français occupent une part de marché restreinte,
et les étrangers arrivent sur le marché français avec
comme seul sésame le marquage CE, seule obligation qui leur est faite.
Ce marquage CE n'assure pas non plus un monopole du GMED, puisque les
industriels étrangers peuvent recourir à un organisme
notifié allemand, britannique, grec ou n'importe quel marquage CE.
Or, si le marquage CE a bien reconnu des classes de dispositifs médicaux
en fonction de leur dangerosité potentielle, et si les exigences sont
plus fortes en fonction des différentes classes de dispositifs, la
procédure demeure toutefois la même, et il suffit que ces
dispositifs disposent du marquage CE d'un organisme notifié pour pouvoir
être utilisés sur le territoire français.
M. Charles DESCOURS, président - Ce marquage évalue-t-il
l'efficacité ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - La notion de bénéfice-risque n'est pas
véritablement au coeur de la procédure du marquage CE.
Nous avons institué par les ordonnances l'insertion de la future ANAES
dans cette chaîne de décisions. Il est prévu que celle-ci
interviendra pour juger du service rendu dans le cadre de l'accès au
remboursement par la Sécurité sociale et,
in fine
,
à la tarification, mais certainement pas avant le marquage CE.
D'où les difficultés récemment rencontrées avec les
prothèses mammaires, pour lesquelles nous avons été
amenés à faire jouer la clause de sauvegarde et à mandater
un groupe d'experts qui doivent déterminer les conditions
d'évaluation clinique permettant de lever la clause de sauvegarde et de
remettre des prothèses en gel de silicone sur le marché.
Il ne faut pas non plus nécessairement crier définitivement haro
sur la procédure dite marquage CE, qui présente l'avantage de
garantir la démarche d'assurance-qualité dans le processus
industriel. Toutefois, on voit bien qu'elle ne répond pas non plus
à la totalité des préoccupations. Le problème est
donc de savoir si c'est un pur défaut de jeunesse du système, ou
si cela va plus loin. Il faut dire que nous nous sentons un peu isolés
dans la Communauté face à cette préoccupation de
sécurité sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Aucun pays ne devrait être satisfait ni
considérer que la procédure de marquage CE répond une fois
pour toutes à l'objectif de sécurité.
Y a-t-il, à travers la position française et
éventuellement celle d'autres partenaires, une évolution possible
? La France peut-elle y contribuer ou non ? Nos partenaires ne risquent-ils pas
d'y voir une distorsion de concurrence ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - Certaines prescriptions de la Commission touchent
à la fois à la matério-vigilance et au contrôle du
marché. C'est ce système qui doit nous permettre de faire face,
peu à peu, aux préoccupations de sécurité sanitaire.
Par ailleurs, la Commission reconnaît qu'il lui faut pousser les feux sur
la mise en oeuvre d'une banque de données européenne sur les
dispositifs médicaux.
Les directives de 1994 ne se résument donc pas seulement au marquage CE,
et il existe toute une politique avec laquelle nous sommes d'accord et sur
laquelle nous avions commencé à travailler.
Curieusement, les industriels européens et l'ensemble de la
Communauté donnent l'impression de se satisfaire de la démarche
industrielle sur les dispositifs médicaux, alors que
parallèlement les Américains ont une approche plus conforme
à celle que nous imaginons en matière de contrôle.
La Commission, pour l'instant, a répondu aux quelques interrogations que
nous lui avions adressées sur les prothèses mammaires, les
préservatifs et les produits d'origine bovine.
Jusqu'à présent, cela s'est résumé à des
débats d'experts. Nous leur avons également fait part de notre
préoccupation vis-à-vis de la lenteur de mise en place des
banques de données, dont ils sont en train de s'en occuper...
Par ailleurs, nous leur avons signifié, notamment après l'affaire
des prothèses mammaires, que nous nous interrogions sur
l'efficacité du dispositif communautaire.
Le soutien des autres pays est pour l'instant minime. C'est un succès
d'estime auprès de certains partenaires, notamment latins !
Un récent rapport américain -certains membres du Congrès
considérant la FDA comme un système très lourd- soulignait
que la politique communautaire était intéressante dans son
principe, mais qu'elle souffrait d'un tel défaut de jeunesse qu'il
n'était pas possible de la transposer aux Etats-Unis.
D'une certaine manière, c'est un peu l'impression que nous avons, car ce
mécanisme ne répond pas à nos exigences par rapport
à des produits qui peuvent aller du préservatif aux
prothèses mammaires.
M. Bernard SEILLIER - Pensez-vous aujourd'hui pouvoir influencer
l'évolution du processus européen ? En avez-vous les moyens et
que pourrions-nous faire pour vous aider dans cette démarche ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - La question a été posée
très explicitement à la Communauté... Encore une fois, je
crois que nous sommes assez isolés.
M. Bernard SEILLIER - C'est aussi un peu le sentiment que l'on a eu lors de
notre voyage aux Etats-Unis : le Congrès juge la FDA trop lourde, mais
déplore qu'en Europe, rien ne soit encore organisé...
M. Claude HURIET, rapporteur - La raison principale ne réside-t-elle pas
dans le fait que l'Union européenne n'a pas compétence dans le
domaine de la santé ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - C'est un choix explicite des autorités
communautaires. Il faut bien avoir présent à l'esprit que l'on
parle de choses extrêmement variées et que, sous le vocable de
"dispositifs médicaux", on traite d'éléments qui
relèvent parfois de procédures d'assurance-qualité, mais
aussi de dispositifs implantables ou de produits d'origine animale.
Il conviendrait donc peut-être d'être plus exigeant
vis-à-vis des dispositifs médicaux sensibles, soit avant le
marquage CE, soit après.
Les gens de la Commission comprennent ce type d'interrogations, mais sont en
même temps les " gardiens du temple ", et tant qu'il n'y
aura
pas de majorité à l'intérieur de la Communauté pour
compléter les directives de 1994, ils auront du mal à
évoluer.
M. Bernard SEILLIER - Quelle est l'origine professionnelle de vos
interlocuteurs au sein de la Commission ?
M. Jacques GRISONI - Ce sont des gens qui viennent du monde de la fonction
publique -on a un Allemand- du monde des ingénieurs médicaux -on
a un Français. Au-dessus, on trouve des ingénieurs
européens, assistés en tant que de besoin d'experts
médicaux travaillant dans le milieu pharmaceutique ou d'experts des
hôpitaux ou encore auprès de ministères. Il s'agit d'une
palette de compétences d'origine diverse. L'appareil lui-même
regroupe des fonctionnaires avec quelques compétences d'expertise.
La Commission de Bruxelles demande aujourd'hui aux Etats membres de marcher
davantage au pas. Leur premier souci est l'extension de la nouvelle approche
des produits in-vitro aux tissus d'origine humaine et animale. Le second souci
est la reconnaissance mutuelle du modèle européen en Australie et
en Nouvelle-Zélande.
Les discussions sont plus compliquées avec les Etats-Unis. Le Japon,
quant à lui, attend la fin des discussions avec les Etats-Unis pour
prendre position.
En tout état de cause, notre sensibilité en matière de
sécurité sanitaire n'est pas la même que celle de la
Commission, et si nous émettons des doutes, Bruxelles nous demande de
prouver que ceux-ci sont avérés. C'est précisément
là que réside la difficulté...
Mme Claire BAZY-MALAURIE - C'est bien l'ambiguïté fondamentale :
nous pensons que nous ne devons pas courir de risques, alors que la Commission
nous demande de prouver qu'il peut y en avoir !
M. Bernard SEILLIER - C'est la culture scientifique contre la culture purement
juridique !
Mme Claire BAZY-MALAURIE - ... Et économique !
M. Claude HURIET, rapporteur - Il serait intéressant pour le rapport que
puissent figurer la nature et les dates des interventions que la France a pu
faire en direction de la Commission ou des instances européennes, afin
de montrer notre détermination et, à travers un rapport
parlementaire, attirer l'attention sur une politique européenne en
retrait par rapport aux préoccupations françaises en
matière de sécurité...
Historiquement, pourquoi est-ce à la direction des hôpitaux qu'ont
été confiées les attributions relatives aux
biomatériaux ?
En effet, lors de nos précédentes auditions, l'un de nos
interlocuteurs, Michel Gantois, qui travaille au centre de recherches des
biomatériaux de Nancy, et qui est ingénieur de formation, nous a
dit crûment que certaines prothèses, sur lesquelles on avait
observé des ruptures, auraient dû choquer tous ingénieurs
de fabrication, la conception de la pièce étant
mécaniquement très mauvaise et les effets de surface
prévisibles !
De quels moyens dispose donc la direction des hôpitaux pour faire face
à un domaine en expansion soutenue ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - Historiquement, le fait que la direction des
hôpitaux soit appelée à intervenir dans le domaine des
dispositifs médicaux se conçoit d'autant mieux que ceux-ci sont
utilisés majoritairement dans les établissements hospitaliers. La
matério-vigilance, du fait de la pyramide des intervenants, se situe
donc dans les établissements hospitaliers.
Cela tient aussi au fait que la planification, notamment à travers les
équipements en matériels lourds, se situe à la direction
des hôpitaux.
Enfin, lorsqu'il a fallu créer un guichet unique, en particulier
à travers la procédure du TIPS, notre capacité assez
grande à gérer de telles procédures et notre implication
ont fini par conduire à créer un pôle à
l'intérieur de la direction.
Au demeurant, le problème de la localisation est secondaire, dans la
mesure où, pratiquement, aucune de ces procédures n'est
gérée par la seule direction des hôpitaux. Ces
procédures mettent en oeuvre -notamment concernant les problèmes
de sécurité sanitaire- la direction générale de la
santé, avec laquelle nous travaillons en binôme de manière
permanente, la DGCCRF et le ministère de l'industrie.
Nous jouons un rôle de pivot central, afin d'assurer une
continuité en matière de dispositifs médicaux,
gérons des procédures et assurons la coordination administrative,
mais nous ne sommes jamais seuls face aux industriels.
Par ailleurs, nous ne travaillons qu'avec des experts, et nombreux et divers
sont les comités qui collaborent avec nous...
Quant à la description des moyens et des procédures, Jacques
Grisoni, qui est responsable de la division des équipements,
matériels médicaux et innovations technologiques, va vous
expliquer où nous en sommes...
M. Jacques GRISONI - Nous disposons, pour animer l'ensemble des groupes
d'experts et suivre les travaux, de deux permanents médecins, l'un
chargé de mission auprès de moi, et l'autre qui
bénéficie d'une double casquette de médecin et
d'ingénieur. Nous avons également un pharmacien et quatre
ingénieurs.
Nous avons constitué une panoplie de métiers autour de la
matério-vigilance, à partir d'un rapport de l'IGAS de 1994, et
également conservé des compétences pour tout ce qui
concerne la partie "autorités compétentes", qui s'étend
des travaux de suivi de la loi " Huriet " aux travaux de
normalisation, en passant par la négociation à Bruxelles.
Les compétences de nos permanents couvrent les besoins qui sont les
nôtres, à la seule difficulté près que, l'ensemble
du secteur se structurant, de plus en plus de sujets doivent être
traités et le volume de dossiers est de plus en plus important. On peut
donc se poser la question de savoir si, à un moment donné, cette
équipe d'une vingtaine de personnes sera toujours suffisante ou s'il
faudra redéfinir les moyens...
Pour ce qui est des biomatériaux, je sais qu'il existe à Nancy un
projet de fédération des laboratoires universitaires et que la
capacité de propositions et d'innovations y est très forte.
On peut approcher les biomatériaux de deux façons : soit l'on
considère qu'il faut des compétences spécifiques, et il
faut alors suivre 60 % du total des quelques milliers dispositifs
médicaux en Europe, soit l'on considère -et c'est ainsi que
travaillent nos partenaires- que tout problème particulier doit
être traité en tant que tel lors de l'évaluation du
produit. Le débat est le même pour un organisme notifié,
qu'il s'agisse du GMED ou de l'un des 55 autres organismes européens.
Quant à la question de la compatibilité des biomatériaux
avec le corps humain, il conviendra également de la justifier lorsqu'une
autorité compétente en demandera les preuves...
Pour moi, les biomatériaux ne constituent pas un problème en soi
: on retrouve la même problématique pour chaque produit...
M. Claude HURIET, rapporteur - Quel était l'objet du rapport de l'IGAS
de 1994 ?
M. Jacques GRISONI - Il s'agissait d'une mission d'appui demandée par le
ministre de l'époque sur la manière de mettre en place un
système français de matério-vigilance, sachant que les
directives européennes n'imposent pas de modèle.
L'option choisie consistait à avoir une équipe de permanents au
sein du ministère, assistée par une commission nationale de
matério-vigilance et un correspondant dans chaque établissement
de soins, sauf les plus petits, qui ont été autorisés
à se regrouper. L'échelon régional n'a donc pas
été retenu comme système de démarrage...
M. Claude HURIET, rapporteur - Michel Gantois nous a dit que les ruptures
d'électrodes des stimulateurs implantables étaient
prévisibles, et il nous a donné d'autres exemples aussi frappants
qui démontrent bien que le problème n'est pas bien résolu.
Les fabricants ont d'ailleurs leur part de responsabilités...
Existe-t-il quelque chose de comparable, au moins en théorie, à
l'étude des conditions de fabrication d'un médicament ou d'une
molécule pour la procédure d'homologation ?
Quel est le champ auquel s'intéresse la direction des hôpitaux ?
Remonte-t-on très loin en arrière ou, avec la
responsabilité du fabricant, le contrôle en vue de l'homologation
s'exerce-t-il davantage sur le produit fini ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - La procédure d'homologation -qui n'existe
plus, puisqu'elle est remplacée par le marquage CE- s'intéressait
aux dispositifs terminés...
M. Claude HURIET, rapporteur - Par rapport à la procédure
d'homologation qui n'existe plus, le marquage CE représente-t-il quelque
chose de mieux ou de moins bien ?
Mme Claire BAZY-MALAURIE - ... Il représente quelque chose de mieux dans
la mesure où il s'adresse à tous les dispositifs médicaux.
J'aurais tendance à dire que la procédure de marquage CE apporte
le même type de sécurité que celui apporté par la
procédure d'homologation.
L'avantage de la procédure d'homologation était que nous en
étions complètement maîtres. On pouvait augmenter la liste,
la diminuer, être plus sévère ou pas, alors qu'on a
maintenant une règle de mise sur le marché communautaire et que
nous n'avons plus la même latitude.
En 1994, je pense que le marquage CE a pu être considéré,
à juste titre, comme un progrès par rapport à la
procédure d'homologation, qui concernait un nombre relativement faible
de dispositifs, et qui n'avait peut-être pas les mêmes exigences en
matière d'assurance-qualité pour des industriels.
Les sondes dont vous parliez à l'instant avaient reçu le marquage
CE et l'agrément de la FDA, ce qui prouve bien que l'on vit dans un
monde où la demande de sécurité est plus importante
qu'à l'époque !
Par ailleurs, le problème est, en amont du processus industriel, de
repérer les produits qui peuvent être néfastes pour la
santé ou les techniques qui ne sont pas bonnes compte tenu de leur
utilisation dans le corps humain.
C'est un problème extraordinairement compliqué, dans lequel le
réseau national de santé publique joue un certain rôle.
Dans le fond, on a bien utilisé l'amiante dans les bâtiments
durant des années, sans se préoccuper du fait que ce
matériau était néfaste pour la santé ! On
s'aperçoit que l'aluminium, considéré pendant des
années comme parfaitement utilisable dans le corps humain, peut
provoquer des méningites en cas de contact avec le liquide
céphalo-rachidien. Mais qui l'a dit ? ... Personne !
Il faudrait pratiquement que chaque composant utilisé dans un dispositif
implantable fasse l'objet de tests, de façon à cibler les points
sur lesquels on pense qu'il existe des risques majeurs. Ceci est très
difficile à faire, parce que cela se situe en amont...
M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a très longtemps que les
néphrologues connaissent l'encéphalopathie à l'aluminium,
à travers certains systèmes de traitement des os !
Mme Claire BAZY-MALAURIE - C'est pour cela qu'il existe un travail
d'information extrêmement important sur lequel nous avons, tous ensemble,
un certain retard...
M. Bernard SEILLIER - C'est un problème de transfert de connaissances !
Mme Claire BAZY-MALAURIE - C'est vraiment tout ce travail d'information, de
mise en place des normes européennes et de contrôle des organismes
notifiés qui doit être accompli. Il est vrai qu'on en est encore
aux balbutiements...
En fait, beaucoup de dispositifs utilisés sont le produit d'un contact
entre médecins et industriels. Il faut donc mettre en oeuvre une
information entre médecins, industriels et organismes notifiés.
C'est une tâche gigantesque, qui porte sur un domaine extrêmement
mouvant.
M. Bernard SEILLIER - M. Gantois mettait en cause la connaissance d'industriels
qui n'étaient même pas des spécialistes de la
mécanique...
Mme Claire BAZY-MALAURIE - Toute la difficulté à laquelle nous
allons être confrontés dans le domaine des dispositifs
médicaux réside dans la notion de bénéfice-risque,
qui est très nouvelle et éminemment subjective. Qui va
réaliser la balance bénéfice-risque et déterminer
quel est le bon rapport ? Quel nombre d'incidents est-on capable de
supporter en regard des progrès en matière de survie, etc. ?
Ce sont des notions qui doivent être prises en compte, mais dans
lesquelles l'éthique joue peut-être plus encore que
l'appréciation de la qualité d'une technique. Encore faut-il la
connaître au départ !
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est l'application de la démarche des
protocoles et de la nécessité des essais avant la mise sur le
marché à un domaine d'une nature différente. Or,
actuellement, pour différentes raisons, cette procédure est
beaucoup moins rigoureuse pour les dispositifs qu'elle ne l'est pour les
médicaments !
Mme Claire BAZY-MALAURIE - Elle est moins répandue : quand elle existe,
elle peut être rigoureuse. Elle est probablement moins exigeante...
M. Claude HURIET, rapporteur - ... Pour des raisons qui tiennent à un
effet de nombre ! Il n'est d'ailleurs pas possible de faire des essais sans
bénéfice individuel direct. De plus, quand il existe un protocole
d'essais, celui-ci porte sur un nombre de patients plus restreint. Il est
également plus coûteux à l'unité.
La matière est différente, mais ce n'est pas pour autant qu'on
doit être moins rigoureux dans la méthodologie. De plus, la notion
d'essais doit également s'appliquer aux dispositifs !
Mme Claire BAZY-MALAURIE - S'agissant des essais, nous avons confié
à l'ANDEM de nouvelles expertises, afin de pouvoir implanter à
nouveau des prothèses en gel de silicone. Les référentiels
et les démarches en la matière devraient pouvoir être
utilisés pour l'ensemble des autres biomatériaux.
Par ailleurs, la réalisation des normes, notamment européennes,
est très en retard, puisqu'au moins une centaine de dossiers sont
à l'étude, si ce n'est plus. Or, nous en sortons à peine
dix par an ! Il faudra donc vraisemblablement pousser les feux et obliger le
monde industriel et le monde de la normalisation à intensifier leur
travail !
Enfin, dans le domaine des dispositifs médicaux, nous n'avons pas la
possibilité de mesurer l'effet placebo !
M. Claude HURIET, rapporteur - On mesure la difficulté du chantier !
D. AUDITION DE M. LE PROFESSEUR DIDIER HOUSSIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ÉTABLISSEMENT FRANÇAIS DES GREFFES
M. Charles DESCOURS, président. - Nous
en sommes encore au stade des auditions, mais, d'ores et déjà, il
nous semble que beaucoup d'organismes en France s'occupent à la fois du
contrôle de la sécurité pour les produits sanitaires et
thérapeutiques et de la veille sanitaire. Mais leur mise en
réseau, en tout cas leurs échanges d'informations ou leur
coordination, ne nous semble pas tout à fait évidente. Cette
absence de coordination nous paraît de nature à affaiblir cette
veille sanitaire ou cette sécurité des produits.
Vous-même, en tant que président de l'Etablissement
français des greffes, comment le vivez-vous ? Que pouvez-vous nous
dire sur ces deux thèmes ?
M. Claude HURIET, rapporteur. - Puisque nous avons
déjà travaillé à l'occasion de la mission que la
commission des Affaires sociales avait mise en place sur les thérapies
géniques et cellulaires, cela nous a donné l'occasion de voir
comment fonctionnaient les différents organismes que le
législateur avait créés. Cela nous a permis d'examiner
également quelles étaient les relations existant entre ces
organismes, tout en nous interrogeant sur les lacunes que pouvait comporter le
système actuel parce que des domaines semblent non ou insuffisamment
couverts et de voir comment s'établissent les circuits.
Mon sentiment, en tant que rapporteur, sans engager la mission en cours, est
qu'un organisme comme la Direction générale de la concurrence, de
la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) joue un
rôle important en matière de sécurité sanitaire,
voire même de veille, alors qu'à l'égard de certaines
structures existantes, les échanges d'informations -cela nous a
été dit- ne paraissent pas assez performants.
Il est toutefois très utile que l'on procède, dans un premier
temps, à un état des lieux et que l'on examine ce qui est
performant, ce qui l'est moins et quels sont les organismes dont la performance
peut être encore améliorée.
M. Didier HOUSSIN. - L'Etablissement français des greffes
se caractérise par un champ constitué de 20.000 à 25.000
greffes de tissus. Par tissus, j'entends les os, les plus nombreux, vaisseaux,
valves cardiaques, cornées, la peau pour les grands brûlés.
C'est le champ le plus important, qui se fait dans les hôpitaux publics,
établissements de santé publics et privés.
Un deuxième champ est celui des greffes d'organes, à peu
près 3 000 par an, exclusivement dans les CHU. Vous avez les
greffes de moelle osseuse ou de cellules souches
hématopoïétiques qui se font essentiellement dans les CHU
pour les allogreffes, en partie dans les CHU, centres anticancéreux ou
centres hospitaliers de gros volume, pour les autogreffes. Au total, environ
une trentaine de milliers de greffes par an. Voilà le champ d'action de
l'Etablissement français des greffes, des prélèvements
étant faits pour la plupart dans des établissements publics de
santé, centres hospitaliers universitaires ou centres hospitaliers.
L'Etablissement se caractérise par un certain nombre de missions
prioritaires. Ces missions, que je ne rappellerai pas puisqu'elles sont
précisées dans le décret, sont très
opérationnelles :
- gestion de listes d'attente, de répartition des greffons, de
coordination ;
- contribution à l'amélioration du secteur des greffes de
tissus, secteur encore mal connu ;
- évaluation des résultats des greffes, tâche de
santé publique qui vise à définir les véritables
résultats obtenus et, au bout du compte, la place de la greffe dans le
domaine de la thérapeutique et de la santé publique ;
- action d'information et de promotion afin que les patients en attente de
greffe puissent obtenir le greffon qu'ils attendent.
Sur l'aspect veille sanitaire et l'aspect sécurité, je ferai
trois remarques préliminaires.
Premièrement, la greffe s'adresse, dans la grande majorité des
cas, à des gens fort malades et la notion de sécurité
sanitaire doit donc être conçue comme une balance entre le risque
de voir la maladie évoluer sans greffe et le risque encouru si le
greffon n'est pas d'une qualité idéale. Cette notion de balance
est extrêmement importante. Elle est radicalement différente de la
conception de la sécurité d'un produit alimentaire ou même
d'un médicament où, là, effectivement, il s'agit d'obtenir
un produit qui soit dénué de toute toxicité.
En matière de greffe, face à une hépatite fulgurante,
mortelle dans les vingt-quatre heures, lorsque l'on vous greffe un greffon qui
serait susceptible d'évoluer vingt ans plus tard par des lésions
liées à un virus de l'hépatite C, la notion de
sécurité sanitaire s'envisage dans un contexte radicalement
différent. Au bout du compte, certaines mesures dites
sécuritaires peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves
que celles qu'elles cherchent à éviter.
J'en donnerai un exemple. Le décret sécurité sanitaire de
1992, modifié en mai 1994, instituant la nécessité de
la recherche de l'HTLV, a " cisaillé " totalement la
capacité d'importer des greffons pulmonaires d'Allemagne, d'Autriche ou
de Suisse et a probablement contribué au décès d'un
certain nombre de personnes, en voulant éviter, finalement, une
contamination fort rare.
Donc la notion de sécurité sanitaire en matière de greffes
ne peut être dissociée de l'usage thérapeutique de
l'élément du corps humain. Je crois qu'il doit conduire à
un certain discernement et, en pratique, à une balance, en faisant en
sorte que, dans certaines situations, le médecin puisse justement
exercer ce choix qu'il est le seul à même de faire, naturellement
au prix d'une information, dans certains cas, du patient. C'est la
première remarque.
La deuxième concerne la notion de lacune que vous avez
évoquée. Effectivement, dans un paysage qui est celui des agences
actuelles, on peut craindre qu'il y ait des trous dans le dispositif, ou des
lacunes, au travers desquels le risque pourrait s'infiltrer.
Ayant pris conscience du travail qui était conduit ici -et même
préalablement puisque, dès la création de l'Etablissement,
nous avons été en contact avec l'Agence française du sang,
l'Agence du médicament et la Direction générale de la
santé-, nous avons essayé d'identifier nos zones de contact, de
recouvrement, et nous nous sommes interrogés en particulier sur
l'existence d'espaces entre nous, qui pourraient constituer des zones de
risques.
Si nous n'avons pas résolu la question, du moins avons-nous
essayé de l'aborder de manière responsable, en essayant de
créer un peu " d'overlaps ", c'est-à-dire des zones de
superposition, quitte à ce qu'il y ait quelques redondances. Nous
perdons un peu de temps pour établir des contacts, mais en superposant
les passoires, on finit, si on prend des surfaces rondes, par éviter les
interstices.
Je crois qu'aujourd'hui, quand j'essaie de réfléchir à
cette notion de zones à risques qui existeraient entre les agences, en
particulier l'Agence du médicament, l'Agence du sang et nous, j'aurais
tendance à dire que la xénogreffe -qui va être un champ de
grand développement- est un problème. Elle est actuellement sous
la responsabilité de la Direction des hôpitaux parce
qu'assimilée à un dispositif médical.
De notre point de vue et, dès à présent, compte tenu des
risques qui y sont associés, j'aurais tendance à dire que
l'Etablissement français des greffes devrait être, sinon
chargé de cette activité, du moins avoir au moins un œil
dessus. A mon avis, la xénogreffe relève des domaines où
il va falloir rapidement indiquer qui s'en occupe et de quelle manière.
Cela me paraît un point important.
D'ailleurs, dans la loi portant DMOS sur la thérapie cellulaire et la
thérapie génique, l'un des aspects très positif est
justement que figure la mention " cellules d'origine humaine et
animale ". C'est un point très important.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Parce que, dans les dispositions du
Code de la santé publique qui vous concerne, ce sont des greffons
d'origine humaine ?
M. Didier HOUSSIN. - Humaine, oui. Ce problème aujourd'hui,
malheureusement, n'est résolu que dans un secteur, qui n'est pas celui
de la thérapeutique de tous les jours, j'ai cité les produits de
thérapie cellulaire ou génique.
Aujourd'hui, le véritable petit souci que j'ai en tête, c'est le
développement des xénogreffes... Imaginez-vous que
69 éléments tissulaires sur le marché sont des
éléments xénogéniques !
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et vous n'avez pas l'oeil sur les
valves cardiaques ?
M. Didier HOUSSIN. - Nous avons l'œil, mais, de par les
missions qui nous sont confiées, ce n'est pas un champ que nous avons
pour mission de surveiller véritablement. Toutefois, soucieux de cela,
nous avons créé une commission qui a d'abord contribué
à les recenser. Dans le cadre de l'affaire de l'encéphalopathie
spongiforme bovine, nous avons participé à l'analyse de ce
secteur. Nous avons un groupe qui travaille en jonction avec l'INSERM sur les
risques liés aux xénogreffes et la recherche dans ce domaine,
mais nous n'avons pas, officiellement, de mission dans ce domaine.
Enfin, troisième point, vous avez évoqué la coordination
dans le domaine de la vigilance. Un décret est actuellement en cours de
préparation dans le cadre de la bioéthique. Cette question est
abordée en dernier parce qu'il fallait d'abord faire le plus urgent,
c'est-à-dire établir les règles de bonne pratique et tout
ce qui concerne les autorisations de prélèvement, de
conservation, etc. Nous en sommes maintenant à la phase où ce
décret est en préparation au sein de la Direction
générale de la santé.
On distingue plusieurs niveaux :
1) la mise en place d'un système d'alerte qui nous permet de
réagir sur des événements déjà
identifiés. Cela concerne les risques d'incompatibilité dans le
domaine des greffes, au même titre qu'en transfusion, le risque de
transmission d'une maladie infectieuse connue ou d'un cancer. On
prélève sur une personne et on s'aperçoit qu'il y a une
tumeur sur le greffon. Il faut alors avoir un système d'alerte et de
réaction rapides. C'est très lié à notre dispositif
opérationnel. C'est un premier mode de vigilance : le
système d'alerte en fonction de certains événements
déjà identifiés ;
2) la surveillance des populations : c'est un peu ce dont il s'agit quand
on évoque la question de la veille sanitaire, c'est-à-dire la
surveillance des populations, qu'elles soient greffées ou non
greffées. En effet, on doit tenir compte de l'existence d'un revers de
la médaille ; dans ce cas précis, il consiste en l'obligation de
considérer le danger qui survient pour ceux qui n'ont pas pu être
greffés.
Actuellement -j'ignore si vous poserez la question à Laurent Vachey- si
l'on se focalise beaucoup sur la question de transmission par la maladie, on
évoque plus rarement le fait que des patients meurent parce qu'ils n'ont
pas pu être transfusés. C'est aussi un aspect de la
sécurité.
En matière de surveillance des populations, la surveillance des
populations greffées d'organes et de moelle osseuse se superpose
quasiment à notre mission d'évaluation. Il nous appartient de
suivre une cohorte de patients greffés et il est vrai que
l'évaluation des résultats de la survie et de la morbidité
inclut cette notion de veille sanitaire vis-à-vis de la population
greffée.
Dans le domaine de la greffe tissulaire, c'est plus délicat. Les
patients sont beaucoup plus nombreux et, de plus, ce sont souvent des
éléments aujourd'hui considérés comme peu vecteurs
de maladies transmissibles. Il y a une interrogation qui est de savoir :
jusqu'où doit-on et peut-on aller dans la surveillance de la population
des patients greffés de petits éléments osseux.
Là, l'élément essentiel est la mise en place d'un
dispositif de traçabilité, lequel s'appuie d'abord sur un
arrêté qui définit les conditions d'étiquetage et de
repérage. Il faut s'adosser sur un dispositif qui n'est pas simple
à mettre en place, celui des biothèques et
sérothèques. C'est certainement l'un des aspects sur lequel la
coordination serait la plus importante.
Pour terminer, je dirai qu'en matière de coordination, il y a un gros
effort à faire sur le terrain hospitalier, qui se trouve un peu
éclaté. Il faut qu'il y ait une personne pivot qui sache que,
dans telle situation, elle doit alerter telle structure et informer les autres
et, dans une autre circonstance, alerter telle autre structure et informer les
autres. Certains hôpitaux ont déjà engagé cette
réflexion sur la coordination et la vigilance sur le terrain hospitalier
: je peux vous mentionner le CHU de Rennes.
Deuxième niveau de coordination : celle de l'analyse des
données. L'Agence du sang s'est adressée à un organisme
qui assure cette analyse. Il est certain que, là aussi, la coordination
devrait se faire.
Je ne suis pas sûr d'en avoir beaucoup plus à dire.
M. Charles DESCOURS, président. - Très bien. En
tout cas, c'était déjà très intéressant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je retiens notamment ce constat que
vous faites quant au rattachement à la Direction des hôpitaux des
xénogreffes.
M. Didier HOUSSIN. - Elles sont considérées comme des
dispositifs médicaux alors qu'elles ressemblent beaucoup à des
greffes. Il y a là une orientation à prendre certainement.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Peut-être faudrait-il
établir une note détaillée sur les xénogreffes,
pour savoir ce que cela représente actuellement en France ?
M. Didier HOUSSIN. - Volontiers, oui. J'établirai une note de
synthèse.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Pourriez-vous aussi préciser
les références du décret de 1992 dont vous avez
parlé, puis les conséquences en matière d'échanges
d'organes, parce que j'en suis resté à l'époque
d'Euro-Transplants, en particulier pour les reins.
Actuellement, en se référant à ce décret s'il a une
portée générale, ou en faisant abstraction de celui-ci,
est-ce que les exigences de sécurité que l'on pose en France sont
comparables à celles des autres pays de l'Union européenne ?
Peut-on penser que, soit dans l'immédiat, soit à terme, des
exigences plus fortes en France ne limitent les possibilités
d'utilisation d'organes venant de l'étranger, auquel cas les
échanges internationaux risquent de s'établir sur des bases
différentes ? Est-ce qu'il y a une réflexion à ce
propos ?
M. Didier HOUSSIN. - Tout d'abord, le décret de 1992,
modifié en mai 1994, sera modifié à nouveau l'an prochain
car nous avons essayé de convaincre -et je crois que nous y sommes
parvenus- la Direction générale de la santé qu'il fallait
introduire la notion de discernement et de balance entre
bénéfices et risques dans le domaine de la sécurité
pour ce qui est des greffes. Je ne parle que des greffes.
Pourquoi ? Aujourd'hui, en France, les exigences en matière de
sécurité sanitaire au niveau " produits " sont telles
qu'elles ont totalement bloqué toute possibilité d'importation,
dans des conditions d'urgence, empêchant la réalisation de tests
des greffons cardiaques, hépatiques et pulmonaires. Les
réglementations allemande et suisse n'imposent pas ces tests. C'est
pourquoi j'expliquais que des patients mouraient actuellement par défaut
d'importation.
M. Charles DESCOURS, président. - La pénurie de
greffons que l'on connaît dans notre pays n'existe pas dans les
autres pays ?
M. Didier HOUSSIN. - Si, mais il y a toujours des greffons qui ne
trouvent pas preneurs pour des raisons diverses.
M. Charles DESCOURS, président. - C'est à la
marge ?
M. Didier HOUSSIN. - C'est à la marge, mais dans la mesure
où la greffe pulmonaire peut ne pas être très
développée dans certains pays... Je pourrai vous donner des
chiffres précis, mais l'année dernière on aurait
probablement pu importer une cinquantaine de greffons pulmonaires ou
cardio-pulmonaires, ce qu'on n'a pas pu faire. Certains patients sont sans
doute morts à cause de cela.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Ce bénéfice/risque est
un volet à faire apparaître.
M. Didier HOUSSIN. - Cela apparaîtra dans le décret en
préparation, qui est une modification du décret de 1992
modifié en 1994. On y introduit la notion de
bénéfice/risque. On laisse au médecin, s'il est face
à un patient dans un état extrêmement grave et si on n'a
pas le temps de faire le test, la possibilité de faire la greffe, quitte
à informer le patient du fait qu'on n'a pas pu faire le test.
Pour ce qui est des échanges d'organes, je crois avoir répondu
à votre question.
La question est radicalement différente en ce qui concerne les tissus
puisque le problème de temps n'intervient plus. Le fait qu'il y ait une
réglementation très stricte en France, au contraire, est une
bonne chose.
M. Charles DESCOURS, président. - Est-ce que les
frontières entre les différentes agences -Agence du sang, Agence
française des greffes et Agence du médicament- vous paraissent
correctement établies ?
M. Didier HOUSSIN. - Je ne suis pas un professionnel du
" méccano administratif ". J'avoue que je n'ai pas une
expérience suffisante pour porter un véritable jugement. J'avais
mené une réflexion personnelle et je vous l'avais, je crois,
adressée sous la forme d'un petit document où j'évoquais
les arguments pour et contre une fusion avec l'Agence française du sang.
Sur cette question, j'aurais tendance à dire que nous avons
identifié clairement nos points de contact avec l'Agence du
médicament et l'Agence française du sang.
Premièrement, avec l'Agence du médicament, notre
préoccupation commune est le contrôle de qualité des
laboratoires d'histo-compatibilité. C'est un point qui a
été évoqué. Il a été demandé
-je suis allé aussi à la Commission de contrôle de
qualité des laboratoires- que pour les laboratoires
d'histo-compatibilité marqués greffes, il puisse y avoir un
contrôle d'un niveau particulier.
Deuxièmement, s'ajoute le problème des produits ensilaires que
l'on rajoute dans les cultures de cellule. Dans ce domaine, nous aimerions -et
nous travaillons avec l'Agence du médicament là-dessus- pouvoir
faire en sorte que ces produits aient des spécifications reconnues, qui
ne soient pas conçues dans le vide.
Le troisième point concerne les problèmes d'articulation avec le
monde de l'industrie du médicament, pour essayer de coordonner la
recherche dans le domaine des greffes, mais cela est un peu hors sujet.
En ce qui concerne l'Agence française du sang, se pose la question de la
vigilance. Je suis convaincu que le responsable de l'hémovigilance sur
le site hospitalier pourrait être en charge du domaine des greffes, avoir
une mission élargie, quitte à ce que s'il identifie un
événement éventuellement imputable à la greffe, il
informe l'Etablissement français des greffes et, éventuellement,
l'Agence française du sang. Il importe qu'il y ait, surtout sur le
terrain hospitalier, une personne dont la mission ne se limite pas à...
M. Charles DESCOURS, président. - Vous l'avez dit
à plusieurs reprises : la coordination des vigilances...
M. Didier HOUSSIN. - Sur le terrain hospitalier. C'est important.
Bien sûr, il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas de duplications. On
peut laisser la responsabilité à cette personne chargée de
la vigilance de discerner si elle a affaire à un événement
type sang, matériau, ou à un événement greffe. Elle
pourrait en quelque sorte avoir une mission de transmission de l'information.
Il y a un point que je n'ai pas évoqué, mais qui concerne
l'Etablissement français des greffes, c'est qu'il n'a pas de corps
d'inspection. Quand nous identifions un élément, nous nous
adressons aux services déconcentrés de l'Etat,
c'est-à-dire au médecin-inspecteur, quitte à ce qu'il
aille faire son examen avec un coordinateur de l'Etablissement français
des greffes.
En matière de coordination avec l'Agence du sang, j'ai
évoqué la question de la vigilance. Nous avons aussi en commun
toute la problématique du don. Nous nous sommes souvent demandé
s'il fallait rassembler nos forces sur le don de greffes et le don de sang. Ce
n'est pas évident.
Puis, troisième aspect, tout ce qui relève de la question des
cellules souches hématopoïétiques. Nous avons
travaillé pendant des mois ensemble.
Quatrième point : beaucoup de banques de tissus se trouvent dans
des établissements de transfusion sanguine. J'ajoute que, sur environ la
moitié des banques de tissus, nous sommes en liaison avec l'Agence
française du sang puisque ces banques sont en quelque sorte sous sa
houlette.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et cela vous paraît une bonne
chose ? Cela ne vous gêne pas ?
M. Didier HOUSSIN. - Cela ne pose pas de problème. Quand on
s'adresse aux établissements de transfusion sanguine pour leur poser la
question spécifique de la banque du sang, qui est une petite
activité, nous le faisons en jonction avec l'AFS.
En m'appuyant sur mon vécu, je crois pouvoir dire que nous n'avons aucun
problème avec l'Agence du médicament et l'Agence française
du sang.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Avez-vous une réflexion sur
les CECOS ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui, j'ai une réflexion sur les CECOS. Je
suis heureux que vous me posiez cette question parce que cela correspond
à l'un de mes soucis.
J'ai été sollicité par les CECOS qui m'ont dit être
abandonnés et se retrouver dans un statut d'association et, au bout du
compte, finir par être les seuls à s'occuper
d'éléments du corps humain pour lesquels il n'y a pas
d'encadrement. Leur souhait est d'être rattachés à une
instance, et à l'Etablissement français des greffes sur le plan
général.
J'en avais parlé avec la Direction générale de la
santé. L'Etablissement venait d'être créé, la barque
était assez chargée et on avait bien sûr des choses
prioritaires. Mais j'ai gardé en tête la question des CECOS. Il
serait important de leur donner le même niveau d'encadrement plutôt
qu'une simple commission. En effet, ils sont actuellement sous le
contrôle d'une commission, ce qui n'est peut-être pas suffisant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Ils sont rattachés maintenant
aux établissements. Ils conservent leur statut d'association, mais en
termes administratifs, ils sont maintenant inclus, intégrés dans
les établissements de santé.
M. Didier HOUSSIN. - Oui, mais je ne suis pas sûr qu'ils aient
tout ce qui a pu être fait en matière de greffe et de sang,
c'est-à-dire sur des bonnes pratiques, etc. Vous pourriez interroger
M. le Professeur Jallebert qui est maintenant le président des
CECOS. C'est lui qui m'avait sollicité sur cette question.
M. Claude HURIET, rapporteur. - J'ignore qui nous pourrions
auditionner, mais nous ne pouvons pas ne pas réfléchir aux
conditions de fonctionnement actuel des CECOS, en termes de
sécurité.
M. Didier HOUSSIN. - Tout à fait. Ils se posent beaucoup de
questions, en particulier sur toute la problématique du
cyto-mégalo virus, qui est actuellement un impératif de
sécurité sanitaire qui met en cause l'approvisionnement, en
quelque sorte. Je crois que c'est un domaine qui effectivement est un peu
laissé de côté, à tort.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Là, je vois un peu plus
clair. Il y a longtemps que je m'interroge sur les xénogreffes. Je suis
surprise d'apprendre ce que vous dites, mais je pense que la xénogreffe
étaient pratiquée avant même que l'agence soit
créée. On peut se demander pourquoi elle a échappé
à votre responsabilité.
M. Didier HOUSSIN. - Il y a deux xénogreffes : la
xénogreffe antique et solennelle, qui est le début de la greffe,
à savoir la greffe de tissu...
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - On dit que c'est inerte.
M. Didier HOUSSIN. - On dit que c'est inerte, que c'est
sécurisable, que cela peut être, pour certaines, inactivé,
etc. Mais en fait cela peut poser des problèmes : exemple, la
dure-mère. C'est un domaine qui n'est pas négligeable :
69 produits actuellement sur le marché, peut-être un peu plus
ou un peu moins. Je parlais donc de la xénogreffe tissulaire, domaine
mal connu, qui mérite que l'on s'y penche.
Puis, il y a un domaine plus en devenir, à savoir la xénogreffe
d'organe, qui a focalisé l'attention alors qu'aujourd'hui elle n'est pas
véritablement dans la pratique, mais qui va un peu poser les mêmes
questions.
En tout état de cause, je crois que la réflexion ne peut pas
négliger ces xénogreffes.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Par exemple, vous parliez des
produits dans lesquels on conserve, etc. Je suppose que, là, c'est
vraiment le milieu hospitalier qui s'en occupe, y compris la conservation ?
M. Didier HOUSSIN. - Vous parler des xénogreffes d'organes ou
de tissus ?
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Je pense beaucoup aux valves
cardiaques. On greffe couramment des valves de porc, par exemple ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - C'est placé sous la
responsabilité des services de chirurgie cardiaque ?
M. Didier HOUSSIN. - Oui, lesquels s'interrogent maintenant sur
l'origine de ces valves. Cela dit, ils ont un encadrement concernant l'origine
des animaux et cela passe devant le groupe de sécurité
microbiologique de la DGS, ce qui est un filtre important pour l'utilisation de
ces éléments. Mais il y a toute la question des produits
ensilaires* qui sont utilisés, comme les vaisseaux, la
glycéramide* qui servent à conserver ces produits. On rejoint
alors le problème des produits ensilaires* qu'on met dans les cultures
de cellules.
Il est évident qu'il faudrait qu'il y ait des spécifications sur
ces produits. C'est tout à fait analogue à ce que
j'évoquais avec l'Agence du médicament. Il est vrai
qu'aujourd'hui ces produits sont assimilés à des dispositifs
médicaux.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - On pourrait éventuellement
proposer que cela soit mis sous la responsabilité de l'Agence...
M. Charles DESCOURS, président. - On ne conclut pas
encore, madame Fraysse-Cazalis !
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Non, mais nous pouvons toutefois
réfléchir sur la conclusion possible. Sinon, sous la
responsabilité de qui pourrions-nous la mettre ?
M. Didier HOUSSIN. - Dans le cadre de la matério-vigilance, il
y a tout le secteur des implants. C'est effectivement toute la question. On
pourrait considérer ces éléments comme des produits
inertes. Cela a des inconvénients, notamment psychologiques. Il est vrai
que les assimiler à des éléments clairement vivants et
disons comme des produits d'origine humaine, c'est quand même par nature
plus proche -de mon point de vue-, mais cela peut se discuter.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - L'exemple de la vache folle montre
qu'il y a des contaminations possibles par voie animale.
M. Claude HURIET, rapporteur. - On voit qu'il y a en fait trois
catégories de dispositifs :
- les dispositifs implantables actifs,
- les dispositifs implantables non actifs,
- les dispositifs implantables biologiques, enfin, vivants.
C'est là une autre catégorie. Une fois de plus, on voit la
difficulté de cerner des problèmes alors qu'il y a de plus en
plus d'états intermédiaires. Le dernier en date, qu'on nous a
cité ce matin, ce sont les " stamps " qui sont un support de
médicaments.
J'ai une question connexe à évoquer avec vous. Lors les deux
journées de promotion des dons, j'avais été convié
dans une clinique privée à Nancy, centre de
prélèvements agréé. On m'a appris que les
établissements privés agréés ne percevaient pas de
forfait salle d'opérations. Autrement dit, les
prélèvements qu'ils effectuent seraient faits gratis pro deo.
Premièrement, est-ce exact ? Deuxièmement, est-ce que la
question mérite d'être posée ?
M. Didier HOUSSIN. - La question mérite d'être
posée, peut-être dans un contexte un peu différent. Elle
est tout à fait importante.
Il est prévu un décret sur les frais de
prélèvements. Ce projet de décret est entre les mains de
la Direction des hôpitaux. Je sais qu'ils y travaillent, mais je pense
qu'il y a eu des priorités qui sont venues assez récemment. C'est
pour nous un décret extrêmement important, justement parce qu'il y
a actuellement des situations, comme celles que vous évoquez, qui ne
sont pas suffisamment claires. Si on veut motiver dans le domaine du
prélèvement, il conviendrait déjà que la question
de l'argent soit bien définie.
M. Charles DESCOURS, président. - Ce qui ne devrait pas
être difficile.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Vous n'avez pas vos moyens propres
d'inspection. Pensez-vous qu'il serait souhaitable que l'Agence ait ses propres
moyens ?
M. Didier HOUSSIN. - C'est une question très importante.
L'Etablissement français des greffes est effectivement un
établissement public de l'Etat, mais il s'occupe d'une activité
thérapeutique. Cela le met en contact très étroit avec le
monde hospitalier et le monde médical. Le fait de lui donner un corps
d'inspection va le transformer en organisme de police sanitaire. Or, compte
tenu du rôle très opérationnel, de jonction très
étroite qu'il joue avec le monde hospitalier et les équipes
médicales, je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose.
Finalement, je pense qu'il est préférable que, lorsqu'on
identifie un problème, on active la police sanitaire dont c'est le
métier -je pense aux médecins-inspecteurs et
pharmaciens-inspecteurs.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Mais comment vous rendez-vous
compte des problèmes ?
M. Didier HOUSSIN. - Pour nous, les problèmes sont tellement
liés à l'activité opérationnelle dont nous avons la
charge que, en temps réel, nous identifions les problèmes graves,
ceux qui sont du domaine de l'alerte, c'est-à-dire la
compatibilité, la transmission d'un cancer, le fait qu'on a dit que
c'était HIV + au lieu de HIV - ou l'inverse, etc.
La deuxième question que vous évoquez, celle de la surveillance
des populations en aval, relève du corps médical, mais c'est
tellement lié à notre activité d'évaluation,
surtout pour les organes et la moelle osseuse, que nous sommes en mesure
d'identifier, par exemple, une équipe dont tous les malades
décéderaient Pour les greffes de tissus, c'est autre chose parce
que, jusqu'à présent, on n'a pas prévu une
évaluation par type de greffe et par équipe, compte tenu du
nombre de patients impliqués. Mais cela peut se discuter.
E. AUDITION DE M. LAURENT VACHEY, PRÉSIDENT DE L'AGENCE FRANÇAISE DU SANG
M. Claude HURIET, rapporteur. - Je voulais vous
situer le cadre dans lequel la mission de la Commission des Affaires sociales a
engagé cette réflexion sur le renforcement de la veille sanitaire
et la sécurité des produits thérapeutiques.
Dans un premier temps, nous avons observé le secteur des
thérapies géniques et cellulaires. Nous avons vu apparaître
non seulement la qualité du travail des différentes instances,
que le Sénat d'ailleurs avait contribué à mettre en place
il y a quelques années, mais aussi des questions qui se posaient quant
aux domaines de compétence de chacune de ces structures, avec une
interrogation sur les superpositions qui pouvaient intervenir -ce qui n'est pas
forcément un inconvénient-, mais aussi d'éventuelles
lacunes qui, dans un système performant -qui assure la
sécurité sanitaire, j'allais dire produit par produit ou
catégorie de produits par catégorie de produits, le sang, les
organes et les tissus, le médicament-, pouvaient laisser des domaines
hors champ.
Mais notre réflexion vise à établir l'inventaire de ce qui
est en place et de ce qui fonctionne apparemment d'une façon
satisfaisante. Elle consiste également à voir comment combler les
lacunes là où elles existent et, enfin, comment établir la
meilleure coordination possible entre des structures qui sont plutôt
verticales.
M. Laurent VACHEY. - Premièrement, je voudrais souligner
un point : à mon avis, les problèmes sont assez différents
et peut-être pas tout à fait de la même priorité pour
ce qui concerne les vigilances et les autorités sanitaires. J'ai
l'impression que le système qui, aujourd'hui, est le moins
structuré et sur lequel on a donc sans doute le plus de progrès
à faire est celui des vigilances.
Dans ce domaine, il est vrai que les systèmes sont beaucoup plus jeunes.
Si la pharmacovigilance existe depuis déjà pas mal
d'années, l'hémovigilance a démarré avec l'Agence
française du sang. Quant à la matério-vigilance, vous
savez que la Commission nationale de matério-vigilance vient
d'être installée. Ce sont des systèmes encore relativement
jeunes qui, j'ai l'impression, ont des logiques actuellement trop verticales,
ce qui ne veut pas dire que la vigilance puisse être radicalement
séparée du domaine qui, par la suite, est confié à
une autorité sanitaire.
Pour rester dans le domaine de la transfusion sanguine, il est vrai que nous
avons besoin de l'hémovigilance pour en améliorer la
sécurité. C'est un outil et un mode d'intervention
nécessaire et très directement lié au problème de
la sécurité transfusionnelle.
En revanche, selon des échos venant des établissements de
santé et des DRASS, il semble qu'avoir un raisonnement de système
de vigilance qui, surtout au niveau local, se structure sur des logiques
sectorielles, n'est sans doute pas la meilleure chose. Peut-être
faudrait-il arriver assez rapidement à les faire exister en symbiose.
De ce point de vue, j'étais assez convaincu par les propositions faites
par la mission de M. Serrou (député de l'Hérault)
consistant à trouver, au sein des établissements de santé,
un système qui permette aux différentes vigilances de fonctionner
en synergie. En effet, aujourd'hui, en s'appuyant sur des exemples, on peut
tout à fait imaginer qu'un accident imprévu à l'issue
d'une transfusion sanguine ait pour cause le produit sanguin lui-même. Ce
peut être un matériau directement transfusionnel -la poche de sang
qui a un défaut ou une fissure- ou un matériel qu'on a
utilisé à l'occasion de l'intervention chirurgicale ou un
médicament utilisé également à la sortie de la
transfusion sanguine.
Donc, si les systèmes de vigilance ne trouvent pas un moyen de
s'harmoniser à la base au niveau des établissements de
santé, on peut très bien avoir deux, trois ou quatre signalements
pour le même incident advenu après un acte médical, auquel
cas il sera difficile de structurer les résultats des systèmes de
vigilance.
Au niveau central, on a besoin de l'hémovigilance pour que la
transfusion sanguine marche mieux. Mais il est évident que les
données de l'hémovigilance elles-mêmes ont un
intérêt supérieur si elles peuvent être
rapprochées des autres données des systèmes de vigilance.
Aujourd'hui, il est vrai que chaque système a tendance à
raisonner dans son propre cadre, avec son propre mode de déclaration,
son propre mode de définition des données de la fiche de
déclaration, sa propre organisation de l'information statistique. On n'a
sans doute pas encore suffisamment de synergies au niveau national pour
permettre aux données épidémiologiques qui nous remontent
au travers des différents systèmes de vigilance de se parler
entre elles.
De ce point de vue, j'avoue espérer beaucoup du changement de statut et
du renforcement de moyens qui a été annoncé pour le
réseau national de santé publique. En effet, il y a grand besoin
d'une instance nationale qui permette aux différents systèmes de
vigilance de trouver des définitions communes, de faire parler entre
elles les données statistiques et épidémiologiques.
Par ailleurs, cela permettrait quelquefois d'attirer notre attention sur un
phénomène qui, pris dans le cadre d'un seul système, ne
serait pas mis en lumière, mais qui, par contre, en recoupant les
données des différents systèmes de veille sanitaire,
deviendrait pertinent. On s'apercevrait alors de la nécessité de
conduire des études transversales sur les différents
systèmes.
J'ai l'impression que c'est davantage sur ce problème des vigilances
qu'aujourd'hui nous avons besoin de trouver une structuration qui permette
à la base, dans les établissements de santé et au niveau
national, en termes épidémiologiques, à ces
systèmes de vigilance de se parler.
S'agissant des autorités sanitaires elles mêmes, nous avons, c'est
vrai, un certain nombre de domaines de recoupement -et c'est heureux-,
notamment avec l'établissement que dirige le professeur Houssin, pour
lesquels j'avoue ne pas avoir énormément de soucis. Il existe des
champs de recoupement avec l'Etablissement français des greffes parce
qu'il y a des domaines relativement communs, plus particulièrement ceux
de l'éthique. D'ailleurs, le tout se retrouve dans le Livre VI du
Code de la santé. Nous avons également en commun la question de
mettre en place ou pas le test de l'antigène pour le VIH. On ne peut pas
avoir un protocole en matière de transfusions sans se préoccuper,
dans le même temps, de savoir si ce test sera ou non pratiqué
à l'occasion d'une greffe d'organe.
En pratique, vous avez peut-être noté d'ailleurs qu'après
que nous en ayons discuté ensemble et avec la Direction
générale de la santé, la stratégie a
été différente pour les greffes et pour la transfusion. En
effet, le test de l'antigène étant demandé pour une greffe
d'organe, il n'était pas requis pour les transfusions sanguines. Il est
donc nécessaire que nous ayons ce genre d'échanges entre l'agence
et l'Etablissement français des greffes.
Nous avons également un champ de travail en commun avec l'Agence du
médicament, principalement dans trois domaines.
Premier domaine, une logique purement de sous-traitance opérationnelle :
plutôt que de monter nous-mêmes nos propres laboratoires de
contrôle de qualité pour les produits sanguins labiles, nous avons
passé une convention avec l'Agence du médicament pour le
contrôle de qualité des poches de sang afin de vérifier que
les produits préparés par les établissements sont bien
conformes aux normes, ce qui évite de dupliquer les moyens.
Nous avons coordonné les deux systèmes d'hémovigilance et
de pharmacovigilance puisque, pour le plasma matière première,
pour les médicaments dérivés du plasma, c'est le
système d'hémovigilance qui permet de s'apercevoir qu'il y a eu
une contamination sur un donneur particulier de plasma. Il faut
évidemment répercuter ce problème sur l'Agence du
médicament en vue des éventuelles décisions de retrait de
lots.
M. Charles DESCOURS, président. - Existe-t-il un
protocole ?
M. Laurent VACHEY. - Il existe un protocole. Dans le secteur de la
pharmacovigilance et de l'hémovigilance, il est nécessaire pour
le retrait éventuel de lots. Nous avons le même système de
coordination sur les réactifs pour lesquels nous participons à la
commission d'enregistrement des réactifs de l'Agence du
médicament. Nous travaillons avec eux sur les spécifications de
réactifs utilisés, utilisables en transfusion sanguine.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Concrètement, comment se passe
cette coopération ? Pour nous, elle peut avoir finalement valeur
d'exemple.
M. Laurent VACHEY. - Sur un exemple très opérationnel,
celui du contrôle de qualité des produits sanguins labiles, le
constat de départ a été celui-ci : il était
insensé que l'Agence française du sang se dote de ses propres
laboratoires pour effectuer les contrôles de conformité des
produits sanguins labiles, par exemple vérifier que le taux
d'hémoglobine annoncé est bien celui qui correspond au type de
produit sanguin en cause. Nous avons donc passé une convention avec
l'Agence du médicament. Ainsi, tous les établissements de
transfusion sanguine envoient une fois par mois un listing à l'Agence du
médicament avec les produits sanguins qu'ils ont en stock.
Les laboratoires de l'Agence du médicament tirent au sort un certain
nombre de ces produits, demandent aux établissements de la France
entière de les leur envoyer. Ils vérifient que le produit
envoyé est bien conforme à la description des produits sanguins
labiles et ils procèdent à une exploitation statistique qui est
répercutée ensuite sur les établissements de transfusion
et sur nous. C'est donc très opérationnel.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est coûteux cela ?
M. Laurent VACHEY. - Non. Le laboratoire de l'Agence du
médicament travaille gratuitement pour nous au nom de la
communauté des autorités sanitaires et l'Agence prend en charge
les frais d'acheminement. Nous avons une convention avec Chronopost et nous
gérons l'acheminement des produits sanguins.
M. Charles DESCOURS, président. - Avez-vous des contacts
réguliers avec le réseau national de la santé
publique ? Comment cela se passe-t-il ?
M. Laurent VACHEY. - Avec le RNSP, notre principal point de
travail en commun porte sur le suivi des donneurs de sang, c'est-à-dire
la vérification des maladies à déclaration obligatoire,
à dépistage obligatoire chez les donneurs de sang. Depuis le
début de l'agence, le RNSP réalise avec nous l'enquête sur
le nombre de donneurs qui auront été découverts VIH
positifs ou VHC positifs à l'occasion d'un don de sang. L'exploitation
épidémiologique de ces données est faite en commun entre
l'agence et le RNSP.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Avez-vous un système
informatique qui soit compatible avec vos interlocuteurs, en particulier
l'Agence du médicament, voire le RNSP ? Y êtes-vous parvenus
dans la mesure où vous vous y êtes pris très
tôt ?
M. Laurent VACHEY. - Non. Cela fait partie sans doute des
problèmes dont je parlais au début de mon intervention sur la
coordination dans les systèmes de vigilance, chaque système
s'étant structuré par lui-même. A titre d'exemple,
aujourd'hui, la fiche d'incidents transfusionnels a sa propre structure interne
avec une certaine codification, par exemple par niveau de gravité. Il
n'y a pas eu de confrontation entre les différents systèmes de
vigilance, notamment pour définir que, pour l'hémovigilance, il y
aurait quatre niveaux de gravité dans les incidents. Il n'y a pas
obligatoirement le même nombre de niveaux de gravité dans un
système de matério-vigilance.
Ce n'est pas le même réseau informatique qui est utilisé.
En fait, ce sont des systèmes cloisonnés, sauf la
pharmacovigilance et maintenant l'hémovigilance qui en fait,
aujourd'hui, n'ont pas de support informatique. Pour la
matério-vigilance, on est en train de discuter de la fiche de
déclaration de l'incident ; il y a encore moins de support informatique.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Ce que vous venez de dire est plus
qu'un exemple. C'est très récent ?
M. Laurent VACHEY. - Oui.
M. Charles DESCOURS, président. - Avez-vous
l'expérience de pays étrangers ?
M. Laurent VACHEY. - Pour ce que j'en sais, les pays étrangers
ont des systèmes très divers. Il existe soit des systèmes
avec une seule agence de sécurité sanitaire qui, à
l'intérieur, a généralement une division des produits
biologiques d'origine humaine, quelquefois une division également des
produits d'origine animale. C'est le modèle FDA. Je crois que la
Hollande est organisée sur ce schéma et l'Allemagne l'est plus ou
moins.
Il existe d'autres systèmes qui ont effectivement des autorités
sanitaires distinctes. Je suis allé récemment au Portugal. Nos
collègues ont à peu près le même système que
nous avec un institut portugais du sang et une agence du médicament. Je
ne saurais pas dire s'il y a une dominante dans les systèmes.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Vous avez parlé des moyens
nouveaux qui seraient donnés au Réseau national de santé
publique. Est-ce imminent ou est-ce à l'état de projet ?
M. Laurent VACHEY - Je pense que M. Drucker sera plus à
même d'en parler que moi. Ce que j'en sais, par les discussions
auxquelles j'ai assisté, c'est qu'il s'agit d'un changement de statut du
RNSP.
M. Charles DESCOURS, président. - Nous l'auditionnons
juste après vous.
M. Laurent VACHEY. - Monsieur Drucker pourra vous en dire
beaucoup plus. J'ai cru comprendre qu'il s'agissait d'en faire un
établissement public, alors que, jusqu'à présent, c'est un
G.I.P. Les arbitrages budgétaires de la récente loi de finances
ont été rendus en faveur d'un renforcement des moyens
budgétaires du RNSP.
M. Laurent VACHEY. - Je pense que les trois agences de
création récente sont coordonnées sous l'égide de
la DGS. On le voit par exemple pour le suivi de la maladie de
Creutzfeldt-Jacob. Les problèmes étant transversaux et ne
concernant pas uniquement les trois agences, un groupe de travail
régulier sous l'égide de M. Girard fait le point à la
fois sur l'avancée des connaissances scientifiques et des mesures
à prendre dans les trois établissements.
A l'intérieur du ministère de la Santé et du champ de la
DGS, depuis dix-huit mois que j'ai pris mes fonctions, je n'ai pas senti de
grosses difficultés de coordination entre les trois
établissements. Par contre, il est vrai que ce qui relève par
exemple de la sécurité alimentaire, clairement, n'est pas dans le
champ du ministère de la Santé. Donc là, il n'y a pas de
vraie coordination sauf au moment des réunions
interministérielles auxquelles participent la Direction de l'agriculture
et le ministère de la Santé.
M. Claude HURIET, rapporteur. - J'ai deux dernières questions
à poser. D'abord, quelles sont vos relations avec le Laboratoire
français du fractionnement et des biotechnologies ?
Ensuite, une dernière question à laquelle vous ne pourrez
peut-être pas répondre immédiatement, mais cela
m'intéressera d'avoir des éléments plus tard, c'est le
coût de la sécurité. Par rapport à l'unité de
sang, quelle a été l'évolution sur trois ou quatre ans du
prix de revient de l'unité de sang par rapport aux exigences croissantes
de sécurité. Je pense que vous n'aurez pas les chiffres tout de
suite, mais il est sans doute possible de les avoir ultérieurement ?
M. Laurent VACHEY. - Je suis membre du conseil d'administration du
laboratoire français du fractionnement puisque l'agence détient
1 % de son capital. Opérationnellement, nous avons beaucoup de
contacts avec le LFB puisque nous sommes les fournisseurs de sa matière
première.
Le plasma matière première est un produit sanguin labile.
Surtout, l'adéquation entre les quantités et les
spécificités des plasmas disponibles dans les ETS par rapport aux
besoins du LFB n'est pas facile. Il n'y a aucune raison pour que le plasma
naturellement collecté par les ETS corresponde parfaitement aux besoins
et au marché industriels du LFB.
Nous avons des réunions toutes les six semaines avec les équipes
de l'agence et du LFB pour coordonner ces problèmes d'approvisionnement
et de définition de la sécurité de la matière
première pour le plasma.
La principale difficulté est qu'aujourd'hui, la France est loin
d'être autosuffisante pour certains plasmas très
spécifiques pour lesquels les donneurs sont rares. Dès lors que
nous ne sommes pas autosuffisants, nous sommes obligés d'importer du
plasma principalement d'origine américaine, donc issu de donneurs
rémunérés, ce qui est contraire à ce qui est
souhaité en matière d'autosuffisance.
Ensuite, arriver à trouver les donneurs, à organiser un protocole
de " restimulation " de donneurs volontaires pour faire en
sorte que
l'on ait la quantité de plasma nécessaire pour répondre
aux besoins du LFB, est une opération très complexe dans la
mesure où le don est gratuit.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Qui est le garant de la
sécurité du produit importé ? Est-ce l'Agence
française du sang ?
M. Laurent VACHEY. - Sur les produits importés, c'est l'Agence
du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Bien qu'il s'agisse d'un produit
labile ?
M. Laurent VACHEY. - Non. C'est le produit fini que l'on enregistre
à l'Agence du médicament.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Les albumines entrent-elles dans les
produits stables ?
M. Laurent VACHEY. - Ce sont des produits stables. On importe des
produits stables notamment parce que le LFB n'a pas les licences de fabrication
de certains d'entre eux, par exemple le facteur 8 immuno-purifié.
Ce sont des produits importés, principalement des Etats-Unis. Il y a
évidemment les recombinants, mais là on sort du champ de la
matière première humaine.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Donc il n'y a pas de
difficultés particulières puisque c'est considéré
comme un médicament importé et, par là même, sous le
contrôle de l'agence.
M. Laurent VACHEY. - Quant à la deuxième question, je
ne peux pas répondre directement sur le coût de la
sécurité pour les produits sanguins. Ceci pourrait être
reconstitué avec une approximation raisonnable, notamment sur tout ce
qui concerne spécifiquement la mise en place du contrôle
qualité, du système d'assurance qualité, les fonctions
directement d'inspection de l'agence, etc. La structure même du
système de garantie de la qualité des produits sanguins labiles
pourrait être chiffrée et ramenée à la poche de sang.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Utilise-t-on actuellement la
protéine C réactive (PCR), ou pas ?
M. Laurent VACHEY. - On utilise la PCR en confirmation seulement.
Quand on découvre par exemple
a posteriori
qu'un donneur se
révèle positif, on remonte, s'il avait fait un don
antérieur, à l'échantillon de sérum de son don
précédent et on teste par PCR afin de détecter une
éventuelle présence du virus qui était indétectable
par le test des anticorps. C'est actuellement quelque chose d'infaisable en
routine. Donc, quand il est utile de savoir si le don précédent
était potentiellement contaminant ou pas, on le fait par PCR puisque
c'est la seule façon de procéder aujourd'hui.
M. Claude HURIET, rapporteur. - On m'avait expliqué que
c'était une réaction qui pouvait réduire la durée
de la fenêtre de séro-conversion, le laps de temps pendant lequel
un donneur de sang est contaminé et contagieux par le VIH. Cela
demande...
M. Laurent VACHEY. - ...Vingt-deux à vingt-cinq jours
maintenant.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Environ un mois. Avec la PCR, on peut
réduire cette durée et augmenter la sécurité. Mais
cela coûte très cher et il paraît impensable d'en faire une
mesure de routine ?
M. Laurent VACHEY. - C'est trop compliqué à mettre en
œuvre en routine. On nous dit qu'il s'agit d'un progrès
technologique à horizon de cinq ans. Nous devrions arriver à un
stade de test de PCR en routine dans les cinq ans ou un peu plus.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Comment faites-vous la PCR ?
M. Laurent VACHEY. - Je ne suis pas médecin, vous seriez sans
doute plus compétente que moi. Le test se fait en détectant la
présence d'anticorps dans le sang. Les anticorps eux-mêmes ne sont
présents à un taux détectable qu'une vingtaine de jours
après la contamination pour le VIH et trente cinq à quarante
jours après pour les hépatites. Pendant cette fenêtre
muette, on peut malheureusement avoir collecté un don de sang qui, au
test des anticorps, s'avère négatif alors qu'il est en fait
déjà porteur du virus.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Quand cette nouvelle technologie
sera disponible en routine, on réduira vraisemblablement la
fenêtre muette.
M. Laurent VACHEY. - Et l'on s'apercevra plus tôt du fait qu'un
don est contaminé. De plus, c'est une technique qui s'applique
échantillon par échantillon et donc qui ne serait pas applicable
dans un automate qui traite plusieurs centaines de dons de sang à la
fois.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Merci. Pourriez-vous nous donner une
tendance, une évolution ? On ne peut pas se préoccuper de la
sécurité sans se poser à un moment donné la
question du coût/avantage.
M. Laurent VACHEY. - Aujourd'hui, la transfusion sanguine,
malgré la réforme, ne coûte pas plus cher aux
hôpitaux qu'il y a cinq ans car il y a eu une forte réduction de
la consommation des produits sanguins. Le produit sanguin unitaire coûte
plus cher parce que plus qualifié et préparé de
façon plus sûre. Cependant, étant plus prudent dans
l'utilisation des produits sanguins, on en consomme beaucoup moins à
l'hôpital. De mémoire, la consommation des produits sanguins sur
les dix dernières années a été réduite de
27 %. C'est beaucoup.
Comme le volume consommé est moindre, l'augmentation de prix unitaire
est compensée par la baisse en volume. C'est l'un des secteurs qui ne
coûte pas plus cher à l'assurance maladie.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Oui, mais cela met en
difficulté les établissements de transfusion. Ils vendent et
produisent moins à un coût plus élevé.
F. AUDITION DE M. JACQUES DRUCKER, DIRECTEUR DU RÉSEAU NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQIUE
M. Charles DESCOURS, président. - Monsieur le
président, nous sommes très intéressés par
l'organisme que vous dirigez, le Réseau national de santé
publique, organisme jeune qui, au regard des missions que la Mission
d'information souhaite voir jouer, nous semble un organisme tout à fait
pivot.
Vous connaissez notre Mission. Parlez-nous un peu du réseau. Où
en est-il, quels sont ses espoirs de grandir ?
M. Jacques DRUCKER. - Importants ! Le Réseau national de santé
publique est un organisme a été créé fin 1992.
Il est devenu opérationnel au début de 1993, lorsqu'il s'est
installé au sein de l'hôpital national de Saint-Maurice.
C'est un groupement d'intérêt public associant trois
partenaires : le ministère de la santé, l'INSERM et l'ENSP
(Ecole nationale de la santé publique). Les fondateurs du Réseau
ont souhaité associer, parmi les partenaires fondateurs, les
responsables de l'action sanitaire, de la recherche en santé publique et
de la formation.
En fait, le réseau s'inscrit dans le dispositif de protection sanitaire.
Il a pour mission spécifique la surveillance
épidémiologique et ce, dans deux domaines jusqu'à
présent : celui des maladies transmissibles et celui des risques
liés à des expositions environnementales.
En matière de surveillance épidémiologique, on distingue
deux objectifs prioritaires :
- l'alerte, c'est-à-dire la détection précoce de
l'émergence ou de la réémergence d'un certain nombre de
problème ou la détection de situations épidémiques,
- le recueil permanent d'informations destinées à
évaluer les stratégies et politiques de prévention dans
les domaines de compétence du Réseau.
La spécificité de la surveillance épidémiologique
est d'être orientée vers l'aide à la décision, vers
l'action. La mission du Réseau de santé publique est de
coordonner et de gérer des systèmes d'information qui soient
suffisamment réactifs pour apporter des informations précises et
rapides aux décideurs, afin qu'ils interviennent notamment en situation
d'urgence.
La mission de surveillance est une mission de puissance publique. La question
qui a présidé à la création du Réseau de
santé publique est : pourquoi finalement ne pas avoir
renforcé au sein même de l'administration de la santé
notamment cette mission ?
En fait, le Réseau national de santé publique a été
créé sur un double constat :
- le constat que les activités opérationnelles liées
à cette mission de surveillance seraient probablement, plus
réactives et plus opérationnelles dans une structure extraite de
l'administration de la santé, certes très liée à
elle et sous tutelle, mais en dehors des activités de routine de
l'administration de la santé,
- le constat que la surveillance épidémiologique, par
définition, nécessite de coordonner des sources d'information
extrêmement diverses, éparpillées et dispersées, qui
mettent en cause des institutions très diverses et qu'une structure
là encore un peu différente de l'administration de la
santé serait plus ouverte à ces partenariats multiples.
Que fait le Réseau national de santé publique au quotidien ?
Ses activités principales, prioritaires, sont les suivantes :
- coordonner un réseau de systèmes d'information sur les
maladies transmissibles et ce qu'on appelle la santé environnementale.
Par exemple, le ministère de la santé a confié au
Réseau national de santé publique toute la coordination de la
surveillance des maladies dites à déclaration obligatoire (sida,
tuberculose et autres maladies de ce type) ;
- en cas d'alerte sur une situation épidémique, mettre en
place le plus rapidement possible une enquête, une investigation
destinée à préciser, en liaison avec les services du
ministère de la santé, l'origine et le mode de transmission de
l'épidémie ;
- mettre en place des programmes d'étude prospectifs dans les
domaines insuffisamment ou pas couverts par les réseaux d'information
traditionnels et notamment dans le domaine des maladies transmissibles qui ne
sont pas couvertes par le système des maladies à
déclaration obligatoire. Dans ce cadre, le Réseau de santé
publique a coordonné l'an passé une action concertée sur
l'hépatite C, destinée à faire le point sur la
situation épidémiologique et sur les modes de transmission de
cette maladie et à faire des propositions en matière de
réseau de surveillance de cette pathologie.
Nous avons discuté ce matin, avec la Direction Générale de
la Santé, de l'implication du Réseau de Santé Publique
dans la surveillance des risques pour la santé liés à
l'amiante.
Le Réseau National de Santé Publique comporte ce que l'on
pourrait appeler un centre de coordination, basé à Saint-Maurice
qui comprend maintenant une quarantaine de personnes, pour la plupart des
épidémiologistes (médecins, pharmaciens,
vétérinaires), auxquel s'associent des techniciens,
biostatisticiens ou informaticiens.
A côté du centre de coordination de Saint-Maurice se
développe depuis dix-huit mois un réseau de ce que l'on appelle
les cellules régionales d'épidémiologie, petites
structures légères mises en place de façon
simultanée par le ministère de la santé et le
Réseau National de Santé Publique, implantées au sein de
certaines directions régionales de la santé (DRASS) et qui sont
à l'interface entre le Centre de coordination de Saint-Maurice et les
services déconcentrés du ministère de la santé,
c'est-à-dire les DDASS. Quatre sont opérationnelles à ce
jour, à Lille, Lyon, Marseille et Toulouse. Deux viennent d'être
créées, qui ne seront opérationnelles qu'en janvier,
à Rennes et à Nancy, et il est envisagé d'en créer
deux autres, l'une à Paris, pour les besoins de la région
Ile-de-France, l'autre en Antilles-Guyane.
Ce sont des structures légères, composées d'un
médecin épidémiologiste, d'un ingénieur du
génie sanitaire, d'un technicien et d'une secrétaire, et qui sont
chargées de démultiplier et de déconcentrer l'action du
Réseau National de Santé Publique pour la rendre plus proche des
préoccupations et des besoins notamment des services
déconcentrés du ministère de la santé au niveau des
départements.
A côté du centre de coordination et de ce réseau de
cellules, l'action du Réseau s'appuie sur tout un réseau
d'experts ou d'informateurs, si je peux utiliser ce mot, réseau à
géométrie variable selon les sujets étudiés. Par
exemple, pour les maladies à déclaration obligatoire, nous nous
appuyons sur les DDASS puisque leur mission est de collecter et de faire
remonter les informations sur les déclarations obligatoires de certaines
maladies. Sur d'autres thématiques comme la surveillance des maladies
d'origine alimentaire (les salmonelloses ou la listériose), on se repose
sur le réseau des centres nationaux de référence, pour la
plupart laboratoires de microbiologie. La moitié d'entre eux sont
situés à l'Institut Pasteur de Paris. Ce sont des centres
d'expertise sur certaines bactéries ou maladies, sur lesquels repose
l'action du Réseau en matière de détection de
phénomènes épidémiques ou de surveillance sur le
long cours de certaines pathologies.
Il existe aussi des réseaux de surveillance qui reposent sur des
informateurs différents : nous avons mis en place, parce que le
sujet n'était pas couvert jusqu'à présent, un
réseau de pédiatrie hospitalière pour surveiller la
coqueluche, maladie qui n'était plus à déclaration
obligatoire, mais qui est plus surveillée depuis une douzaine
d'années et dont on a observé la résurgence depuis trois
ou quatre ans. C'est au travers des réseaux de pédiatres
hospitaliers que la coqueluche est maintenant surveillée.
Depuis dix-huit mois, nous avons mis en place un réseau de
néphrologues hospitaliers pour surveiller une maladie infectieuse
d'origine alimentaire qui n'est pas couverte par la déclaration
obligatoire et qui est une affection apparemment en croissance.
Ces illustrations montrent que le Réseau National de Santé
Publique repose sur un noyau dur qui est le centre de Saint-Maurice, les
cellules régionales et les services des DDASS et qu'ensuite, selon les
besoins, les sujets et les thématiques, il active un certain nombre de
réseaux de professionnels.
Je citerai pour terminer le réseau des médecins sentinelles. Il
s'agit d'un réseau d'environ 500 praticiens libéraux qui
surveillent, par exemple, la grippe, la varicelle, la rougeole en France.
Il s'agit donc de structures d'information souples, réactives,
adaptables à différents sujets et susceptibles d'être
activées ou réactivées selon les besoins.
Un dernier mot en ce qui concerne notre mode de fonctionnement : le
Réseau National de Santé Publique, avec sa structure de
Saint-Maurice, n'a pas été créé pour se substituer
à des activités déjà opérationnelles
notamment au niveau des DDASS, mais pour les coordonner et les mettre en
cohérence. Coordonner, cela veut dire les animer, leur donner un appui
méthodologique, harmoniser, standardiser les méthodes de recueil
de l'information, renforcer sur le terrain, lorsque le besoin s'en fait sentir
et notamment en situation épidémique, l'action des
médecins-inspecteurs de santé publique des DDASS, puis faire une
analyse et une synthèse nationales d'un certain nombre de données
sanitaires pour les rendre disponibles auprès des pouvoirs publics.
A titre d'exemple, je vous ai apporté -c'est notre publication la plus
récente- le document que nous venons d'éditer dans la perspective
de la Journée mondiale sur le sida. C'est une synthèse sur
l'infection VIH en France qui illustre la façon dont on fonctionne,
puisque c'est la synthèse de sources d'information diverses et
variées dont le Réseau National de Santé Publique
coordonne l'activité et l'action.
M. Charles DESCOURS, président. - Mais on a l'impression que, pour
le VIH, cela "marche bien", si je puis dire. Le problème, c'est ce
dont
on ne parle pas. D'abord, vous n'êtes pas en charge des
épidémies qui pourraient relever de la surveillance alimentaire.
M. Jacques DRUCKER. - Partiellement. Nous sommes en charge de la surveillance
des problèmes épidémiques d'origine alimentaire, tout ce
qui est toxi-infections alimentaires collectives, par exemple, est
surveillé par les DDASS, et donc par le Réseau de santé
publique puisqu'il s'agit de maladies à déclaration obligatoire.
Lorsque les DDASS nous demandent de les appuyer dans des enquêtes sur ces
épidémies, nous le faisons. S'il s'agit d'épidémies
de dimension nationale, nous avons un mandat de la Direction nationale de la
santé pour faire ces investigations.
Plus récemment, le Réseau National de Santé Publique a
mandat de coordonner la surveillance de la maladie de Creutzfeld-Jacob, par
exemple depuis qu'elle est devenue à déclaration obligatoire.
M. François AUTAIN. - Et pour la tuberculose ?
M. Jacques DRUCKER. - La tuberculose est une maladie à
déclaration obligatoire qui est dans l'escarcelle du Réseau, si
j'ose dire. Nous avons la coordination et la gestion des données
nationales sur la tuberculose.
M. François AUTAIN. - Et pour le saturnisme ?
M. Jacques DRUCKER. - Pour le saturnisme, la situation est plus complexe. La
surveillance du saturnisme a été confiée avant la
création du Réseau à des centres régionaux de
toxicovigilance et les passerelles entre ce réseau et le Réseau
de santé publique ne se sont pas faites.
En revanche, nous coordonnons une étude nationale sur
l'évaluation de l'imprégnation par le plomb de la population
générale française. C'est une enquête sur un
échantillon représentatif de la population française, que
nous conduisons avec l'aide de l'INSERM, sur la prévalence du saturnisme
dans la population française. Mais le saturnisme, notamment le
saturnisme infantile, n'est pas -pour l'instant en tout cas- dans les missions
du Réseau National de Santé Publique.
M. François AUTAIN. - C'est la toxicovigilance.
M. Jacques DRUCKER. - Oui, en liaison avec les Conseils généraux.
Je terminerai cet exposé en disant que le Réseau National de
Santé Publique a quatre ans de fonctionnement à peine, il est
loin de remplir toutes ses missions et de répondre à tous les
besoins en matière de surveillance. Il est vrai qu'il y a des choses qui
ne marchent pas ou pas encore.
Si je devais identifier les deux ou trois éléments importants
qu'il me paraît nécessaire de renforcer ou de corriger, le premier
serait de renforcer les passerelles entre la surveillance
épidémiologique de santé publique et d'autres intervenants
comme, par exemple, ceux qui s'occupent de la santé animale. Nous avons
peu de contacts avec l'épidémiologie vétérinaire en
dehors des situations d'urgence. En dehors des enquêtes en cas
d'épidémie où la coordination entre les DDASS, la
Direction des services vétérinaires et, au niveau national, le
Réseau de santé publique et la Direction générale
de l'alimentation se fait assez bien ; en routine, les passerelles ont
effectivement besoin d'être renforcées.
Passerelles à renforcer aussi avec le ministère de
l'Environnement et le ministère du Travail sur des thématiques de
santé environnementale. Là encore, sur des actions ponctuelles ou
des études, des collaborations se sont déjà
établies, mais elles ne sont pas encore formalisées,
légitimées si j'ose dire.
Le deuxième point qui nécessite probablement une réflexion
et un renforcement concerne les passerelles et les relations de la fonction de
surveillance, que le Réseau assure avec les autres intervenants du
dispositif de protection sanitaire ; par exemple, avec ceux qui ont la
responsabilité de la sécurité des produits ou de la
sécurité alimentaire, de la mise sur le marché de certains
produits ou de certains dispositifs. Actuellement, il n'y a pas encore de liens
formels et même fonctionnels entre cette responsabilité et la
fonction de surveillance.
Nous n'avons pas vraiment accès aux données de la
pharmacovigilance et de l'hémovigilance, par exemple, et pas de
façon organisée et structurée.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Et vous le souhaiteriez ?
M. Jacques DRUCKER. - Absolument. Si on veut une organisation efficiente de la
protection et de la sécurité sanitaires dans ces domaines, tout
en ayant conscience qu'il y a des métiers et des fonctions
différentes, il faut une coordination et des passerelles entre ces
fonctions.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Il est question de vous transformer en
établissement public et de vous accorder plus de moyens. Pouvez-vous
nous dire si cela va être rapidement mis en oeuvre ?
M. Jacques DRUCKER. - Actuellement, c'est une réflexion. Je pense que le
Réseau National de Santé Publique est à un tournant de son
développement. La phase de démonstration est en train de se
terminer. Le ministère de la Santé pense que c'est un outil qu'il
faut pérenniser et renforcer.
Maintenant, pour la suite, la réflexion doit tourner autour de
l'élargissement de ses missions, et notamment d'une réflexion
plus globale sur la protection sanitaire. Une fois qu'on a
répété qu'il y a des fonctions différentes dans ce
dispositif de sécurité sanitaire, encore faut-il
réfléchir à la manière de coordonner ces
différentes fonctions et de clarifier les responsabilités de
chacun car, à l'évidence, les frontières entre la
surveillance et la vigilance ne sont pas très nettes. Au demeurant, il
n'est pas souhaitable qu'elles soient cloisonnées.
Par exemple, nous n'avons pas accès aux données relatives aux
vaccinations alors que nous surveillons les maladies à prévention
vaccinale et que les deux sont indissociables. Nous avons nous-mêmes mis
en évidence des problèmes d'effets secondaires de vaccins au
travers de la surveillance de maladies. Par exemple, il y a deux ans, nous
avons mis en évidence que le vaccin contre les oreillons n'était
pas aussi anodin qu'on voulait bien le penser, sans parler de
l'hépatite B.
Donc, à l'évidence, il y a là une frontière qui
n'est pas simple et une réflexion à mener sur les
responsabilités respectives des structures responsables de vigilance et
des structures responsables de surveillance. Il y a des méthodologies
communes et aussi une économie de moyens à trouver en termes de
systèmes d'information.
Pour répondre à votre question, nous en sommes au stade de la
réflexion. Au ministère de la santé -j'espère que
le directeur de la santé ne me contredira pas tout à l'heure-, il
existe une volonté de renforcer le dispositif de surveillance
épidémiologique, mais cela passe par une réflexion sur
l'harmonisation, la cohérence et l'élargissement des missions
avec d'autres systèmes d'information comme la vigilance.
Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS. - Donc notre Mission sera utile y compris dans
la perspective des modifications que vous évoquez ?...
M. Jacques DRUCKER. - Je pense.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est la réflexion en ce qui concerne la
veille sanitaire finalement.
M. Jacques DRUCKER. - Absolument.
Un dernier point que je ne voudrais pas oublier parce que c'est une dimension
qu'il me paraît important de prendre en considération dans la
réflexion nationale, c'est la dimension maintenant européenne et
internationale des problèmes de surveillance
épidémiologique, notamment dans le domaine des maladies
transmissibles. Le projet de création d'un réseau européen
des maladies transmissibles est bien avancé, la proposition est soumise
actuellement au Parlement européen. De ce fait, depuis deux ou trois
ans, dans le cadre de la préparation de ce réseau, les
institutions comme le Réseau de santé publique et les
institutions européennes d'épidémiologie et de
santé publique ont déjà beaucoup travaillé sur
l'harmonisation de leurs systèmes de recueil d'information et sur le
partage de l'information. A l'évidence, dans la réflexion sur
l'organisation ou le renforcement de la veille sanitaire ou des systèmes
de surveillance ou de vigilance, la dimension internationale -en particulier
européenne- doit intervenir, car il serait très pénalisant
pour un pays d'avoir une réflexion sur le développement de son
système d'information en matière de veille sanitaire sans prendre
en compte ce qui est déjà en cours au niveau européen en
matière d'harmonisation des systèmes, de définition et
d'homogénéisation de la définition des maladies
surveillées, des méthodes de surveillance. C'est aussi un
élément important à prendre en compte dans cette
réflexion.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Vous avez souligné à plusieurs
reprises, y compris dans la réflexion prospective, que le Réseau
tel qu'il a été conçu initialement était un
réseau surveillance épidémiologique très axé
sur les maladies transmissibles. Vous avez évoqué aussi, à
l'instant, la nécessité d'élargir ses compétences.
Pouvez-vous nous préciser jusqu'où vous verriez cet
élargissement ?
M. Jacques DRUCKER. - L'élargissement de l'action et des missions du
réseau peut se concevoir en deux directions :
- d'une part, les thématiques de santé publique. On a
parlé ce matin de l'amiante, cela couvrirait tous les risques d'origine
professionnelle, les maladies non transmissibles, le cancer et les maladies
cardio-vasculaires ;
- d'autre part, les fonctions de veille sanitaire -la vigilance en est une- et
l'observation de la santé. Il y a des passerelles, là encore,
avec le recueil de statistiques sanitaires, etc.
G. AUDITION DE M. HERVÉ GAYMARD, SECRÉTAIRE D'ETAT À LA SANTÉ ET À LA SÉCURITÉ SOCIALE
M. Claude HURIET, rapporteur. - Monsieur le ministre, je
pense qu'il n'est pas nécessaire de développer longuement les
conditions dans lesquelles la Commission des affaires sociales a
décidé de créer cette mission.
Le point de départ, et vous êtes parfaitement bien placé
pour le connaître, c'est le travail que nous avions mené -dans un
climat de coopération que j'ai beaucoup apprécié- sur les
thérapies géniques et cellulaires. On avait vu apparaître
à la fois la performance des outils tels qu'ils avaient
été créés, le Sénat ayant apporté une
large contribution, mais aussi quelles pouvaient être les superpositions
dans les attributions de chacun et éventuellement les lacunes,
d'où cette réflexion qui peut comporter trois étapes,
simultanées d'ailleurs : la définition du champ de notre
travail, l'inventaire des structures existantes, quel que soit leur statut
juridique, quelles que soient leurs tutelles, les relations existant entre ces
différents organismes et, ayant procédé à cet
état des lieux, faire une analyse critique des structures et de leur
fonctionnement et voir si cette analyse critique pourrait aboutir à des
propositions visant à optimiser le système.
M. Charles DESCOURS, président. - Je rebondis sur ce qu'a dit que
Claude Huriet à la fin. Nous nous intéressons aux relations
entre différents organismes dont certains ont des fonctions plus ou
moins de santé publique, même si ce n'est pas affiché comme
cela, et qui n'ont aucunes relations officielles avec le ministère de la
santé.
On a l'impression aujourd'hui d'un éparpillement de beaucoup
d'organismes dont on ne voit pas bien la coordination.
Monsieur le ministre, vous, à votre poste, que percevez-vous ?
M. Hervé GAYMARD. - Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de
m'accueillir pour que nous évoquions le plus franchement possible les
questions liées à la sécurité sanitaire. Il n'est
pas inhabituel que l'on parle de ces questions au Sénat puisque, comme
l'a rappelé Claude Huriet à l'instant, c'est effectivement ici
qu'un certain nombre d'initiatives ont été prises au cours des
années écoulées pour créer certaines agences ou
institutions dont une des fonctions est la sécurité sanitaire.
Nous avons encore travaillé l'hiver dernier sur la
sécurité sanitaire des thérapies géniques et
cellulaires. Je voudrais remercier le Sénat d'avoir pris l'initiative de
créer cette mission d'information puisqu'il est vrai que, sur ce sujet
important, nous avons besoin de réfléchir et, après la
réflexion, me semble-t-il, d'agir pour mieux organiser l'action des
pouvoirs publics en la matière.
Je voudrais en quelques minutes faire devant vous d'abord un état des
lieux institutionnels, puis vous dire, selon nous, avec Jacques Barrot, quels
doivent être les principes directeurs qui doivent guider une meilleure
organisation de l'Etat en la matière.
Tout d'abord, il faut opérer une première distinction entre les
différents types de produits ou de milieux dont on parle, puisque
l'intitulé de votre mission d'information, si je ne me trompe pas,
concerne les produits biologiques et médicaux et qu'à l'instant
le président Descours vient d'élargir un peu le spectre...
M. Charles DESCOURS, président. - Monsieur le ministre, si je peux
vous interrompre, la sécurité, ce sont les produits
thérapeutiques, mais la veille sanitaire ne porte pas seulement sur les
produits thérapeutiques.
M. Hervé GAYMARD. - Puisque le Sénat a une vision large qui me
semble la bonne en ce domaine, je voudrais faire un point d'information sur les
choses telles qu'elles existent actuellement.
Nous avons d'abord les produits biologiques et médicaux qui
dépendent du ministère de la santé. Nous avons ensuite les
cosmétiques qui dépendent conjointement du ministère de la
santé et du ministère des finances avec la DGCCRF. Enfin, nous
avons les produits alimentaires dont je dirai, en étant peut-être
caricatural, qu'en gros, avant transformation, ils dépendent du
ministère de l'agriculture et, après transformation, du
ministère de l'économie et des finances, toujours la DGCCRF.
Voilà pour les produits.
Ensuite, nous avons les milieux, notamment l'air et l'eau. L'air dépend
d'un peu tous les ministères et notamment de celui de l'environnement
qui finance en partie et en particulier les réseaux d'alerte sur la
pollution atmosphérique. Quant à l'eau, elle dépend de
beaucoup d'administrations dont le ministère de la santé pour les
eaux thermales ou les eaux à consommer. Je signale d'ailleurs que le
ministère de la santé délivre un agrément sur les
bouteilles qui contiennent l'eau minérale. Quant aux autres aspects de
la gestion de l'eau, ils dépendent de beaucoup d'autres
ministères tels le ministère de l'environnement, le
ministère de l'agriculture, le ministère de l'industrie à
des titres divers. Donc notre paysage administratif se caractérise par
un assez grand émiettement.
Cet émiettement, qui est indubitable, doit d'ailleurs être
relativisé dans la mesure, d'une part, où il y a un excellent
travail interministériel en continu et où, d'autre part, dans nos
départements, ce sont bien évidemment les préfets qui sont
les patrons de tous les services qui travaillent sur les sujets
considérés.
Je reviens en deux mots sur la coopération interministérielle.
Nous n'avons pas -comme vous l'avez souligné, monsieur le
président- de travail institutionnalisé entre les services de la
consommation, la DGCCRF et le ministère de la santé.
Dans le décret de répartition de compétences, les services
de la DGCCRF ne sont pas mis à la disposition du ministre de la
santé. Je n'ai absolument aucune autorité sur les services de la
DGCCRF, mais au quotidien -tout ceci est empirique, j'en conviens volontiers-,
il y a quand même de bonnes relations de travail entre l'administration
de la santé et l'administration de la consommation et de la
répression des fraudes. Le professeur Girard, qui est ici, pourrait le
dire.
Voilà l'état des lieux. Donc une très grande
diversité administrative, avec des tutelles différentes,
éclatement des tutelles qui est partiellement compensé par un
travail interministériel au niveau national ou départemental.
Je pense, ceci étant, qu'on ne peut pas se satisfaire de la situation
telle qu'elle existe aujourd'hui. C'est pourquoi j'accueille avec faveur la
mission d'information qui est la vôtre et le gouvernement tiendra compte
avec beaucoup d'intérêt des conclusions qui seront les
vôtres. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a engagé une
réflexion interministérielle sur ce sujet. Avec Jacques Barrot,
nous sommes en train de faire des propositions au Premier ministre. Le travail
interministériel se déroulera dans les semaines et les mois qui
viennent et il donnera lieu à des décisions.
Je voudrais vous dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur,
messieurs les sénateurs, l'état d'esprit dans lequel nous
travaillons sur ce dossier.
Je voudrais d'abord cerner ce que l'on entend par sécurité
sanitaire, car je crois que c'est une notion qu'il convient d'affiner et de
délimiter. C'est un mot générique qui regroupe plusieurs
problématiques.
Première problématique : la surveillance de l'état de
santé de la population. Vous venez d'auditionner le directeur du
Réseau National de Santé Publique. Je n'ai pas besoin de
m'étendre là-dessus. C'est la fonction surveillance, veille
sanitaire qui est exercée à la fois par le Réseau National
de Santé Publique et par la sous-direction de la veille sanitaire de la
direction générale de la santé.
Deuxième problématique : la sécurité des
produits. Je m'étendrai plus particulièrement sur ce sujet devant
vous ce soir.
Troisième problématique : la sécurité des
installations. Dans le cadre de la réforme de l'hôpital, en
particulier, nous réfléchissons également sur les
procédures et les moyens de renforcer la sécurité des
installations sanitaires. En effet, là aussi nous avons de quoi faire en
matière de meilleure organisation.
Quatrième champ de la sécurité sanitaire :
l'évaluation des pratiques, qui sera dévolue à la future
Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
Les termes "sécurité sanitaire" recouvrent en
réalité ces quatre thèmes.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur l'approche globale et
unifiée de la sécurité des produits, parce que l'on
constate actuellement que le médicament dépend de l'Agence du
médicament, le sang de l'Agence française du sang, les greffons
de l'Etablissement français des greffes, les dispositifs médicaux
de la Direction des hôpitaux, donc de l'administration centrale, mais que
cette organisation j'allais dire verticale, un peu en tuyaux d'orgue, a le
désavantage de laisser des angles morts.
Notamment grâce à la proposition de loi de Claude Huriet, nous
avons comblé un angle mort sur les thérapies géniques et
cellulaires en matière de réglementation et de
sécurité sanitaire, en confiant pour l'essentiel à
l'Agence du médicament la mission de traiter ces nouvelles
thérapies géniques et cellulaires.
Il me semble donc que, à tout le moins, il faut introduire davantage de
visibilité et de lisibilité par une conception globale de la
sécurité sanitaire pour les produits biologiques et
médicaux qui sont sous la responsabilité du ministère de
la santé.
Différentes agences ont été créées. Chacune
d'elles a son histoire. D'ailleurs, l'existence de certaines d'entre elles est
extrêmement liée à l'histoire du Sénat, puisque pour
l'Agence du médicament c'est ici que les choses se sont passées.
Mais je voudrais ici parler de l'Agence française du sang. Comme vous le
savez, l'AFS est issue d'une loi récente, qui a trois ans, sur la
réorganisation de la transfusion sanguine. La structure qui a
été retenue à l'époque correspondait à
certaines préoccupations du moment, mais sans avoir à ce stade
d'idée définitive, j'avoue que je m'interroge sur la façon
dont les choses sont organisées actuellement.
En réalité l'Agence française du sang exerce deux
missions : une mission qui est l'organisation, le financement du
réseau de transfusion sanguine et une fonction de contrôle. Je me
demande à la faveur de cette réflexion sur la
sécurité sanitaire dans notre pays, s'il n'est pas opportun de
distinguer la fonction de financement, d'animation, d'organisation territoriale
de notre transfusion sanguine de la fonction de contrôle sanitaire.
Notre pays a beaucoup progressé depuis quelques années dans
l'approche de la sécurité sanitaire. La création des
agences, à laquelle le Sénat n'est pas étranger,
l'amélioration des conditions de sécurité des produits
sont à saluer, mais il me semble que nous sommes à un moment
où il faut peut-être revisiter cette organisation, y introduire
plus de cohérence et notamment introduire, là où ce n'est
pas le cas, la distinction entre la fonction de contrôle et la fonction
de gestion. Je crois que c'est un point extrêmement important, le premier
que je voulais souligner.
Je voudrais souligner également d'autres considérations qui sont
le fruit de la courte expérience que j'ai dans ce ministère,
mais, si j'ose dire, nous avons été " servis ", avec le
directeur général de la santé ici présent, en
termes de crises sanitaires. Nous avons connu la vache folle, l'amiante, le
problème de tests Abbott défectueux sur le sida, pour m'en tenir
aux incidents majeurs les plus connus auxquels nous avons eu à faire
face depuis un an.
Ce qui me frappe dans les situations de crise sanitaire, c'est qu'il faut que
nous ayons une parole scientifique institutionnellement établie avec,
à la fois, une légitimité interne et une
légitimité externe, notamment vis-à-vis de la
communauté scientifique, de la presse, de l'opinion publique, pour que
ces questions liées à la sécurité sanitaire soient
traitées de manière incontestable et incontestée et que
nous puissions avoir ainsi un pôle référent stable et
reconnu dans notre paysage institutionnel.
Les questions de santé publique, à juste titre, prennent de plus
en plus d'importance ; elles sont au premier rang des préoccupations de
nos compatriotes. Aussi je crois que, dans le cadre des fonctions
régaliennes qu'il exerce dans ce domaine, l'Etat doit avoir plusieurs
obsessions, la première étant évidemment la
sécurité sanitaire maximale, la deuxième que la gestion de
cette sécurité sanitaire soit impeccable et que, dans les
situations de crise, il existe un pôle référent stable et
reconnu.
Je crois que ce pôle fait actuellement défaut dans notre pays et
j'ai bon espoir qu'avec le travail de votre mission d'information et le travail
interministériel qui va débuter, nous puissions avoir une
meilleure organisation sanitaire dans notre pays.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Monsieur le ministre, ce qui est tout à
fait précieux pour les membres de la mission, en tout cas pour leur
rapporteur, c'est de voir, à la suite de l'analyse que vous venez de
nous présenter, la convergence, qui ne me surprend pas, entre nos
préoccupations respectives.
Dans l'analyse que vous faites -d'ailleurs, nous utilisons quelquefois les
mêmes termes puisque vous avez parlé d'une structure verticale, je
n'avais pas jusqu'à maintenant utilisé l'image des tuyaux
d'orgue, mais je la reprendrai-, vous considérez que chacune de ces
structures verticales semble bien fonctionner, mais qu'on ne peut pas les
assimiler les unes aux autres parce qu'elles ont des fonctions, des
attributions quelque peu différentes.
C'est vrai, on ne peut pas rapprocher dans cette organisation verticale
l'Agence du médicament et l'Agence française du sang, bien
qu'elles soient nées dans les mêmes circonstances et que le texte
du projet gouvernemental était initialement intitulé "projet de
loi relatif à la sécurité transfusionnelle et à
l'Agence française du sang" et que c'est à l'occasion de ce
projet que le Sénat avait raccroché la sécurité du
médicament à l'Agence du médicament.
La gestation a été plus longue pour l'Agence du médicament
que pour l'Agence de française du sang, mais les conditions dans
lesquelles elles sont nées sont très comparables du point de vue
du législateur. Or les attributions, de fait, sont quelque peu
différentes. Nous avons auditionné cet après-midi le
président de l'Agence française du sang et le président de
l'Etablissement français des greffes. Il était très
intéressant de voir par exemple qu'en matière de contrôle,
les conditions dans lesquelles ils envisagent d'exercer cette mission sont
notablement divergentes de celles de l'Agence du médicament.
M. Charles DESCOURS, président. - Totalement.
M. Claude HURIET, rapporteur. - Pour des raisons qu'on peut comprendre. En
particulier pour les greffes, imaginez qu'un même établissement,
les mêmes hommes auraient pour attribution première le
développement du don et la promotion et une mission de contrôle.
M. Charles DESCOURS, président. - En tout cas, il répondait
clairement qu'il manquait un contrôle.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est tout à fait intéressant.
Ma première question concerne les limites du champ de votre
réflexion.
Se pose, par exemple, la très grande difficulté de l'alimentaire,
difficulté du fait non pas seulement de la matière, mais de la
multiplicité des intervenants et, permettez-moi de le dire, des
ministres ou des ministères concernés.
M. Dominique LECLERC. - Je voudrais simplement faire référence
aux articles de presse qui paraissent actuellement sur les premiers sojas
transgéniques. Quel est l'organisme de référence qui va
rassurer aujourd'hui la population alertée par rapport à une
nourriture de bétail, et donc à l'alimentaire ?
M. Charles DESCOURS, président. - Dominique Leclerc a posé
une très bonne question. Aujourd'hui, la sensibilité du public
est extrême dans toutes ces questions, la vache folle n'est pas faite
pour les rassurer et voilà qu'apparaît un soja
transgénique ! Et "transgénique", dans l'esprit du public,
c'est inquiétant. Aujourd'hui, qui peut rassurer la population sur ce
soja transgénique avec une compétence scientifique
indiscutable ?
M. Hervé GAYMARD. - Sur la question qui est posée, je vais vous
répondre très franchement, je n'ai pas l'habitude de parler la
langue de bois.
A la question de Claude Huriet -et les interventions de Charles Descours,
Dominique Leclerc et Bernard Seillier vont dans le même sens-, "Quel
champ ?", je fais une réponse politique, au sens noble du terme. Je
considère que la santé publique, c'est un bloc, à l'instar
de Clémenceau qui disait que la Révolution est un bloc et que
cela ne se saucissonne pas.
Je constate que, compte tenu de l'histoire de notre organisation
administrative, pour beaucoup de questions qui touchent à la
santé publique, on se retourne vers un ministre ou un secrétaire
d'Etat à la santé qui, sur certains des sujets, n'est pas
juridiquement et administrativement compétent. Il y a un hiatus entre la
fonction d'évocation générale et l'étendard ou
l'emblème qui est la notion de santé publique et la
compétence réelle du ministre de la santé dans
l'organisation administrative actuelle.
Sur la vache folle : nous avons eu un travail interministériel
impeccable, sous l'autorité du Premier ministre avec le ministre de
l'agriculture. Bien entendu, il était de bonne guerre de la part de
certains organes de presse, dans un premier temps d'avoir voulu tenter de nous
opposer : "Mais quoi ? On entend beaucoup le ministre de
l'agriculture. On n'entend pas beaucoup le ministre de la santé", etc.
Je tiens à dire que nous avons travaillé en étroite
relation avec le ministère de l'agriculture, le ministère de la
recherche et le ministère chargé de la concurrence et de la
consommation, que la décision d'embargo a été prise
immédiatement après concertation entre les ministres et que, dans
le concert interministériel sur toute la postérité de la
gestion de cette crise -et le directeur général de la
santé peut en témoigner lui-même-, nous avons mis au coeur
les préoccupations de santé publique pour fonder les
décisions qui ont été prises suite aux résultats
des expertises que nous avons demandées tout au long de la gestion de
cette crise.
On a su le faire parce qu'on a fait un travail interministériel
extrêmement précis, et non seulement au niveau des ministres, mais
à celui des directions générales et de nos cabinets.
Mais quand on s'adressait à moi pour évoquer, par exemple, la
question des farines animales, je n'étais pas compétent. Avais-je
vocation à m'exprimer sur les farines animales ? Juridiquement,
non. Mais politiquement, on ne comprend pas que le ministre de la santé
ne s'exprime pas sur ce sujet.
Voilà pourquoi je disais que nous avons la nécessité
d'avoir une approche globale de la santé et que le ministère de
la santé doit connaître, d'une manière ou d'une autre, de
l'ensemble des déterminants de la santé. Car lorsqu'il y a un
problème, quand il y a doute, quand il y a interrogation, on se tourne
naturellement vers lui. Cela, c'est la réponse politique que je fais
à cette question. Je dis : oui, il faut avoir une approche globale
de ces questions et, en tout cas au stade de la réflexion, ne pas
segmenter à l'excès la réflexion. C'est la première
réponse que je fais.
Je ferai une deuxième réponse : à l'évidence,
on a une ligne de partage qui passe, en gros, entre l'alimentaire et le
non-alimentaire. Dans le non-alimentaire, je mets les produits biologiques et
médicaux, plus les cosmétiques qui y ressemblent dans une
certaine mesure. A côté, il y a l'alimentaire.
A ce stade, je ne suis pas capable de vous dire ce que le Premier ministre
retiendra dans le cadre du travail interministériel qui est en cours. Je
ne vous apprendrai pas que bien évidemment, quand on raisonne sur ces
problèmes, on ne raisonne pas en état d'apesanteur et qu'il y a
des administrations qui ont leur identité et qui y tiennent.
Je peux d'ailleurs faire un retour en arrière sur mes six premiers mois
au gouvernement, de mai à novembre 1995, où j'étais
secrétaire d'Etat aux finances et où j'avais la DGCCRF sous ma
tutelle puisque c'était une de mes attributions principales. Il y a eu
un débat intéressant au moment de la rédaction des
décrets de répartition de compétences entre le
secrétaire d'Etat aux finances de l'époque et le ministre de
l'agriculture de l'époque, qui n'a pas changé d'ailleurs,
puisque, comme vous le savez, la répression des fraudes agricoles en
1985 a été rebasculée du ministère de l'agriculture
vers Bercy et qu'il y a eu un débat au printemps 1995, dix ans
après, pour la refaire basculer au ministère de l'agriculture.
Finalement, les choses sont restées en l'état et j'avais à
l'époque signé, avec Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture,
un mois ou un mois et demi après la constitution du gouvernement, une
sorte de protocole d'accord entre les deux administrations pour que la
collaboration se passe bien sur le terrain au quotidien entre les services de
l'agriculture et la DGCCRF. J'ai vu aussi le sujet de l'autre
côté, donc j'ai fait ce retour en arrière.
De même, quand j'étais secrétaire d'Etat aux finances, il
n'était pas de mois ou même de semaine que la DGCCRF n'alerte la
Direction Générale de la Santé. J'ai un souvenir
précis d'avoir appelé ma collègue de l'époque -sans
savoir qu'un jour je succéderais à Mme Hubert- sur une
affaire de prothèses mammaires. Les inspecteurs de la DGCCRF avaient
trouvé des prothèses mammaires qui n'étaient pas valables,
et même dangereuses pour la santé.
Tout ceci pour vous dire qu'il faut avoir une vision globale de l'organisation
de notre sécurité sanitaire. Je crois qu'il ne faut pas limiter
le champ de la réflexion et, dans le cadre du travail
interministériel auquel je participe, je n'ai pas limité le champ
de ma réflexion. Après, il faut voir les
modus operandi
.
Je ne suis pas apte à m'exprimer sur ce sujet aujourd'hui puisque le
Premier ministre n'a pas rendu ses arbitrages et que le travail
interministériel se poursuit.
Quand on regarde les
modus operandi
-et je sais que vous avez fait une
mission aux Etats-Unis où je suis moi-même allé quelques
semaines avant vous- on constate que la Food & Drug Administration a une
omnicompétence, à l'exception de la volaille et de la viande,
avec une structure assez verticale à l'intérieur de ce
regroupement fonctionnel des questions de sécurité
sanitaire ; les Américains ont opté pour une approche
intégrée de la sécurité sanitaire. D'autres pays,
notamment nos voisins européens, n'ont pas cette approche d'une
sécurité sanitaire intégrée.
Puisqu'on parle d'Europe, j'en profite pour dire que la Communauté
européenne est bien timide en matière de sécurité
sanitaire. De ce point de vue, le dernier Conseil des ministres de la
santé à Bruxelles a été assez affligeant, je le dis
comme je le pense, et j'ai été frappé de la pudeur, de la
retenue, non seulement de la Commission, mais de beaucoup de mes
collègues ministres de la santé d'Etats européens, j'ai le
regret de le dire, sur les questions de sécurité sanitaire.
Il y a notamment une question en plein dans le sujet, celle des dispositifs
médicaux. Je crois pouvoir dire, sous le contrôle du
Professeur Girard, que la France est un pays d'Europe des plus
sévères en matière de dispositifs médicaux,
même si on ne l'est peut-être pas encore assez et que l'on peut
mieux faire sur le sujet, c'est ma conviction profonde.
On a une échéance en 1998 avec le marquage CE, lequel est parfois
uniquement fondé sur un test de résistance aux matériaux,
sans essais cliniques. En 1998, je ne sais pas ce que mon successeur fera quand
la question se posera, mais -je le dis de manière très libre
devant vous et je n'use pas d'un langage diplomatique- je crois qu'en
matière de sécurité sanitaire, il ne faut pas baisser la
garde. Il faut que notre pays garde ses normes, ses dispositifs de protection
surtout s'ils sont plus élevés que le marquage CE. Un des
objectifs de politique européenne serait que, pour les dispositifs
médicaux, par le marquage CE ou tout autre procédé
à inventer, il y ait un renforcement du niveau de la
sécurité sanitaire.
Voilà les quelques éléments de réflexion que je
voulais vous livrer.
M. Charles DESCOURS, président. - C'est très
intéressant.
M. Hervé GAYMARD. - Sur les produits, il me semble que le clivage, ce
sont les produits qui peuvent être absorbés, ingérés
ou utilisés dans le corps humain. Je fais allusion aux dispositifs
médicaux. Dans ce cas, les aliments sont des produits qui sont
ingérés et qui peuvent poser un problème en matière
de santé. On peut se retourner vers l'administration de la santé
et lui demander des explications. Et l'administration de la santé se
tourne et dit : c'est pas moi, c'est derrière. Là est le
problème.
Si on tourne autour de ce sujet complexe, ce n'est pas par hasard. Je ne suis
animé ni par la volonté de faire du mécano administratif,
de grandes machines ingérables et contre-productives, ni par la
volonté de "puissance pour la puissance " du ministère de la
santé. Ce serait stupide.
Je pars d'un constat qui est celui de l'importance des questions de
santé publique en cette fin de siècle, de la
nécessité d'avoir une sécurité sanitaire impeccable
et d'avoir la vision globale qui fait défaut.
On voit assez bien -après, il faut l'organiser et se donner les moyens
de le faire- ce que cela peut donner sur les produits biologiques et
médicaux et sur les cosmétiques. Je ne pense pas que ce soit hors
de portée, j'ai même la faiblesse de croire que c'est assez
facilement faisable et que cela ne demande pas un chamboulement de notre
organisation tel qu'on recule devant la prise en charge du problème. Au
contraire, nous voulons prolonger, parachever ce qui s'est fait depuis
maintenant cinq ans -et je voudrais saluer encore une fois le Sénat pour
son travail et ce qu'ont fait mes prédécesseurs en mettant en
place les différentes institutions auxquelles nous avons fait allusion.
Il nous faut faire oeuvre de parachèvement, de rationalisation et de
distinction intellectuelle entre la gestion et le contrôle, comme on l'a
dit tout à l'heure à propos de deux établissements publics
qui sont concernés par cette problématique.
S'agissant de l'alimentation, je ne suis pas aujourd'hui, comme je vous l'ai
dit, en mesure d'inférer sur les conclusions qui seront celles du
Premier ministre sur ce sujet, sur les modes organisationnels que nous aurons,
mais je suis convaincu que la situation actuelle n'est pas satisfaisante car en
matière d'alimentation -c'est le secrétaire d'Etat à la
santé qui s'exprime-, nous n'avons pas une parole scientifique
incontestable sur qui ne pèse pas le soupçon de connivence, parce
que c'est aussi de cela qu'il s'agit.
Dans la réflexion du Sénat au sein de la Mission d'information et
dans celle, parallèle, du gouvernement, les deux se nourrissant
mutuellement, il nous faut trouver le mode opératoire. Je ne suis pas un
faiseur de systèmes et je ne suis pas en mesure de vous dire aujourd'hui
ce que le gouvernement fera ou ne fera pas sur le sujet, mais je sais que le
mode d'organisation actuel n'est pas le bon parce qu'il n'est pas
labélisé "santé publique". Le raisonnement est
peut-être un peu court, mais il faut partir de choses simples
d'évidences. Pour avoir rencontré beaucoup d'organisations de
producteurs agricoles depuis maintenant trois mois, je crois que l'ensemble de
mes interlocuteurs, à une exception près, étaient tout
à fait favorables à une meilleure lisibilité et à
une meilleure identification de la sécurité sanitaire pour les
produits alimentaires.
M. François AUTAIN. - J'ai bien compris et suis tout à fait
d'accord avec vous quand vous dites qu'il faut bien dissocier la mission de
gestion de la mission de contrôle. Dans ce domaine, je vois assez bien,
par exemple, l'extension des compétences de l'Agence du
médicament qui pourrait assurer ce contrôle tant en ce qui
concerne les greffes que le sang et les cosmétiques. C'est assez simple
à concevoir, je crois.
Par contre, en ce qui concerne les aliments -en particulier, vous avez pu le
constater comme nous, même aux Etats-Unis où tout est bien
intégré, il reste la viande et la volaille-, peut-être
pourrions-nous faire ce que n'ont pas pu faire les Américains, mais j'ai
quand même quelques doutes car il y a des " pesanteurs ",
voire
plus. Il y a donc une difficulté.
En ce qui concerne la veille sanitaire, il existe actuellement quelques
structures qui m'ont l'air de fonctionner. Malheureusement, chacune est dans
son coin et, tout à l'heure, M. Drucker insistait sur le manque de
coordination qui existe entre ceux qui assurent la toxicovigilance et la
pharmacovigilance. Il y a là des éléments qui existent,
qu'il serait sans doute nécessaire de rassembler pour former une
structure susceptible de vous donner les moyens, à vous, de
répondre lorsque des questions se trouveraient posées.
Le champ n'est pas dévasté, au contraire...
M. Hervé GAYMARD. - Non, non, non.
M. François AUTAIN. - ... des structures existent. Il s'agirait de
formaliser cette coordination qui quelquefois existe, mais qui souvent fait
défaut.
M. Hervé GAYMARD. - La création, en 1992, du Réseau
National de Santé Publique a été un très grand
progrès en matière de veille sanitaire. Il faut dire qu'on
revenait de loin. Nous allons dégager des moyens budgétaires
supplémentaires en 1997 pour le renforcer. Au-delà du
renforcement du RNSP, nous devons, me semble-t-il, mener une réflexion
plus large en matière de veille sanitaire et de veille
épidémiologique, car il faut que tout ceci soit mis en
cohérence avec notamment un dossier qu'on a peu abordé sous cet
angle, mais que j'aborde toujours sous cet angle, qui est celui de
l'informatisation des médecins.
Avec Jacques Barrot, l'an dernier, sur ce dossier de l'informatique
médicale, nous avons voulu avoir une approche plus large. D'ailleurs, on
ne parle pas d'informatique médicale mais d'information de santé.
L'aspect transmission électronique de la feuille de soins et suivi de
l'activité est indispensable, mais existe une troisième fonction,
tout aussi importante, qui est l'aspect épidémiologique, veille
sanitaire, interactivité. Ainsi, nous avons confié à
M. Rozmaryn cette mission de préfiguration globale sur les
systèmes d'information de santé, pour que ce troisième
pilier -la veille sanitaire et l'épidémiologie- soit pris en
compte dans l'information de santé.
Actuellement, en matière d'épidémiologie, notre pays a
beaucoup de retard -même s'il ne faut pas toujours battre sa coulpe car
on a fait des progrès dans ce domaine-, malgré des efforts
publics -et privés- je pense aux laboratoires Mérieux qui font
beaucoup en matière d'épidémiologie. On ne sait pas trop
ce qui se passe dans tous les cabinets de médecins libéraux de
France et de Navarre et un peu mieux, mais à peine, ce qui se passe
à l'hôpital.
Je rebondis sur ce que vous dites : nous devons avoir une approche globale en
matière de veille sanitaire et d'épidémiosurveillance. On
y travaille beaucoup actuellement et on aura sûrement l'occasion d'en
reparler parce que je voudrais que, l'année prochaine, on prenne
également des initiatives sur ce terrain.
M. Claude HURIET, rapporteur. - On voit bien que la globalisation de la veille
ne se compartimente pas.
M. Charles DESCOURS, président. - Nous avons une réflexion
parallèle.
M. Bernard SEILLIER. - A l'occasion -ce n'est pas dans le domaine de la
sécurité alimentaire- d'une rencontre que j'avais
provoquée entre les services de recherche du laboratoire Fabre et la
Société des caves de Roquefort, car j'essaie de faire germer des
idées de création d'entreprises dans le Sud-Ouest, est venu en
débat le problème de la digestibilité du lait de vache par
rapport au lait de brebis. On a une expérience d'enfants qui
digèrent beaucoup plus facilement le lait de brebis que le lait de
vache.
Je vois apparaître, à un moment où nous cherchons à
différencier nos produits alimentaires les uns par rapport aux autres
afin de dépasser la notion d'AOC et d'aller jusqu'à des
certifications de qualité ou de digestibilité, par exemple, que
le jour où l'on mettra sur la bouteille de lait "digestibilité
supérieure", on posera la question à des médecins de
savoir si c'est vrai ou faux. Je crois qu'il y aura une évolution
naturelle, parce que les industries alimentaires essayeront de prétendre
que leurs produits ont des qualités thérapeutiques ou curatives.
Il y aura une évolution dans ce sens je crois assez spontanée et
naturelle.
Ce qui me préoccupe beaucoup plus, c'est le problème que le
ministre vient de soulever : dans le cadre européen, il y a une
approche de méthodologie tout à fait différente. Si j'ai
bien compris, nous sommes assez calés, et cela me réjouit, sur
une exigence scientifique classique qui consiste à dire que quand on
n'est pas sûr, on ne permet pas, tandis que, de l'autre
côté, on a une culture économique ou juridique qui consiste
à dire : si l'erreur n'est pas prouvée, c'est
autorisé.
M. Claude HURIET, rapporteur. - C'est ce que l'on nous a dit ce matin.
M. Charles DESCOURS, président. - Ce qu'a dit la Direction des
hôpitaux était impressionnant.
M. Bernard SEILLIER. - Cela suscite un effort important et qui doit
être fait par l'autorité la plus compétente. En la
matière, l'expérience acquise par le ministère de la
santé avec les agences impose de faire développer en Europe cette
culture scientifique, cette exigence scientifique. Il faut constituer un
réseau de référence, parce que je retiens de
l'expérience américaine le souci d'avoir développé
l'authenticité -cela a été rappelé tout à
l'heure-, l'authentification, l'expertise incontestable.
M. Charles DESCOURS, président. - Je voudrais encore dire un mot.
Ce matin, quand on a auditionné le Pr Le Heuzey, qui est
membre de la Commission d'AMM, il a mis l'accent, quasiment en termes
mathématiques, sur le rapport efficacité/risque, l'un
étant au dénominateur et l'autre au numérateur en
déclarant : le marquage CE veut dire qu'il n'y a pas de grands
risques, mais comme le risque zéro n'existe pas, si le dispositif est
inefficace, il y aura un risque considérable. Or le marquage CE ne juge
pas l'efficacité.
Si on ne juge pas l'efficacité, tout est un risque. Un risque qu'on ne
doit pas courir si un matériel n'est pas efficace. Par contre, si on
fait une greffe de foie, ce n'est pas le moment de se demander si le patient ne
fera pas une cirrhose dans vingt-trois ans parce que, en l'absence de greffe,
le patient sera mort dans trois jours.
M. Hervé GAYMARD. - Ce que nous disons montre la nécessité
d'avoir une politique globale, une vision globale, mais que les sujets sont
à géométrie variable. On ne traite pas un
médicament comme on traite un cosmétique, c'est évident.
Sous le bénéfice de cette géométrie variable, trois
fonctions me semblent devoir, en toute hypothèse, être prises en
charge par cette institution quelle qu'elle soit et quel que soit son spectre
de compétence : tout d'abord l'alerte, ensuite le contrôle
et/où l'autorisation, le cas échéant, et enfin -je
rebondis sur ce que disait le président Descours à l'instant -
l'évaluation du bénéfice/risques. Il faut bien que ces
trois fonctions soient assumées par l'institution en question. C'est en
tout cas dans cette optique que nous travaillons.
M. Charles DESCOURS, président. - Très bien, monsieur le
ministre, merci beaucoup.
M. François AUTAIN. - Je constate que vous voulez mettre dans la
même institution la veille et le contrôle.
M. Hervé GAYMARD. - Pas forcément la même institution. Mais
j'ai identifié les fonctions.
Dans cette affaire, je suis parti dans une démarche non pas
institutionnelle mais fonctionnelle. Ma langue a peut-être
fourché. Ensuite, on adapte les institutions et l'organisation
administrative en fonction des objectifs que l'on veut poursuivre. C'est parce
que ces questions sont extrêmement sensibles qu'il faut être
extrêmement minutieux. On est plein d'humilité sur un sujet comme
celui-là parce qu'on se rend compte de la difficulté dès
qu'on entre dans les détails. Le diable se niche toujours dans les
détails. Il faut bien visiter le sujet dans tous ses prolongements.
IX. SÉANCE DU MERCREDI 27 NOVEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. JACQUES BOISSEAU, DIRECTEUR DE L'AGENCE NATIONALE DU MÉDICAMENT VÉTÉRINAIRE
M. Jacques BOISSEAU.- Je dirige l'Agence nationale du
médicament vétérinaire sise près de
Fougères, opérationnelle depuis janvier 1995. Je limiterai bien
sûr mes réponses à ce que je connais. Mon domaine de
compétence a trait à l'autorisation de mise sur le marché
ainsi qu'aux autorisations d'essais cliniques.
Toute procédure, tout produit qui ne relèveraient pas
d'autorisation de mise sur le marché est en dehors de mon domaine de
compétence.
La seule chose qui existe, à l'heure actuelle, c'est la mise sur le
marché de vaccins incluant des organismes génétiquement
vérifiés, des bactéries ou des virus.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Dans quelles conditions les médicaments
vétérinaires sont-ils mis sur le marché, sont-ils
prescrits et, pour ce qui nous intéresse, peut-il y avoir des incidences
sur la santé humaine ? Si la réponse est oui, comment des
relations s'établissent-elles entre vous-même et l'Agence du
Médicament, par exemple, ou bien vous-même et tous les
systèmes de vigilance, en particulier pharmacovigilance ?
M. Jacques BOISSEAU.- Vous savez sans doute qu'il n'y a pas
d'originalité française dans ce domaine dans la mesure où
la législation pharmaceutique vétérinaire est très
fortement harmonisée au niveau communautaire depuis 1982, point de
départ d'une directive cadre ayant pour but d'harmoniser les
législations nationales. Et depuis, l'arsenal législatif ne fait
que se compléter à travers des directives cadre, directives
indiquant les exigences techniques ; on a ensuite décliné cela
à travers d'autres textes prenant en charge les vaccins, les produits
homéopathiques.
Aujourd'hui, le système est parfaitement harmonisé au niveau
communautaire. Il n'existe pas de législation nationale qui s'en soit
départie.
Au niveau national, cette Agence du médicament vétérinaire
est, depuis 1995, opérationnelle et fonctionne sur les mêmes bases
que l'agence du médicament humain. Les autorisations de mise sur le
marché sont obligatoires, il n'y a pas de dérogation. Tout
produit doit, pour être mis sur le marché, recevoir une
autorisation administrative préalable sur la base de critères de
qualité, d'efficacité, d'innocuité.
Une fois que l'autorisation a été donnée, dans la mesure
où les critères ont été satisfaits, les conditions
d'utilisation du médicament vétérinaire ne sont pas de
nature à porter préjudice à la santé animale ni
à la santé humaine, le tout étant rassemblé sous le
vocable général de santé publique.
Il faut le vérifier. C'est une chose que de l'avoir établi sur la
base du dossier fourni mais un dossier est toujours limité. Comment le
vérifie-t-on sur le terrain ? De deux manières : par le
biais de la pharmacovigilance tout d'abord.
Pour l'instant la pharmacovigilance vétérinaire est un peu
pragmatique, à l'image du monde vétérinaire, en ce sens
qu'elle existe. Elle n'est pas, pour l'instant, fondée par un texte
réglementaire, ce qui est le cas pour le médicament humain. Un
projet de décret est en train de voir le jour à l'heure actuelle,
préparé par les ministères de tutelle de la Santé
et de l'Agriculture. J'en ai eu une première version. On peut penser
que, pour un texte technique de cette nature, il pourrait voir le jour courant
1997, permettant de structurer ce qui existe pour l'instant par le biais d'un
réseau d'écoles nationales vétérinaires.
Le système français est certainement l'un des plus
opérationnels qui soit. Il est un peu en apesanteur, n'étant
fondé sur aucun texte réglementaire.
Par rapport à la pharmacovigilance humaine, que peut-on dire de cette
pharmacovigilance vétérinaire qui existe et de celle qui va
exister ?
C'est tout le problème de la confusion générale
générée par le terme médicament. Beaucoup de
personnes sont fondées à penser que, quand on traite du
médicament, qu'il soit humain ou vétérinaire, c'est un peu
la même chose. A mes yeux c'est de moins en moins la même chose. On
en a un exemple au niveau de la pharmacovigilance.
La pharmacovigilance humaine est en gros chargée d'identifier les effets
adverses qui sont observés sur le terrain lorsqu'un médicament
humain autorisé est utilisé conformément aux dispositions
d'autorisation de mise sur le marché. Néanmoins la grande
diversité de patients rencontrés fait que des cas peuvent
émerger qui n'étaient pas identifiés dans le cadre du
dossier.
La pharmacovigilance vétérinaire pragmatique fonctionne sur les
mêmes bases, si ce n'est que cette identification se produit chez
l'animal auquel les médicaments ont été destinés.
C'est, à mes yeux, un peu court. Dans les recommandations que je suis en
train d'adresser au ministère de tutelle, je leur ai demandé de
prendre un peu plus de liberté par rapport à la pharmacovigilance
humaine en prenant en compte les spécificités
vétérinaires qui sont au nombre de deux.
La notion de résidu pour le médicament vétérinaire
et la notion de protection de la santé humaine sont importantes, car il
ne faut pas oublier que l'objectif premier de la législation
pharmaceutique vétérinaire n'est pas la protection de la
santé animale, mais de la santé humaine par le biais des
résidus de médicaments vétérinaires.
Il y a un certain paradoxe à ce que la pharmacovigilance
vétérinaire fasse fi de cet aspect, de la protection de la
santé humaine exposée aux résidus susceptibles de
contaminer les denrées alimentaires d'origine animale.
Ce n'est pas prévu par les textes européens. De la même
manière, au niveau européen, la tendance est, beaucoup trop
souvent, de partir du médicament humain parce que le marché est
plus important donc en général, les textes sortent d'abord pour
le médicament humain et ensuite, on note une tendance très forte
à appliquer bêtement, sans réflexion, au médicament
vétérinaire au motif que, dans les deux cas, il s'agit d'un
médicament. C'est un peu court.
M. Claude HURIET, rapporteur.- On est vraiment au coeur de notre sujet. Ma
proposition est de prendre en compte, dans la définition de la
pharmacovigilance, l'identification de ces résidus qui sont susceptibles
de poser des problèmes de santé publique.
M. Jacques BOISSEAU - C'est d'autant plus facile que le ministère de
l'agriculture est responsable des plans de surveillance de la qualité
hygiénique des denrées alimentaires. Dans ces plans de
surveillance, il y a le contrôle des résidus.
Dans la procédure qui débouche sur une autorisation de mise sur
le marché, on définit les conditions d'utilisation de ce
médicament et les limites maximales de résidus, les teneurs qui
seront à ne pas dépasser dans les diverses denrées
alimentaires d'origine animale.
Les plans de surveillance pilotés par le Ministère de
l'Agriculture ont pour objet de vérifier que ces limites maximales ne
sont pas dépassées.
Deuxième point, la protection de l'environnement. Le médicament
humain, autant que je sache, ne semble pas avoir d'impact particulier sur
l'environnement. En revanche, les médicaments
vétérinaires, surtout pour ceux qui font l'objet de
thérapies de masse, peuvent avoir un impact sur l'environnement.
Exemple évident : les médicaments destinés à la
pisciculture sont déversés dans les bassins. Une fois que les
animaux sont traités, il y a un renouvellement de l'eau des bassins et
cela s'écoule dans les rivières.
Il faut savoir ce que cela peut, éventuellement, donner. Vous avez
également tous les pesticides externes, destinés à traiter
les animaux tels que les puces. Ils sont très largement utilisés.
Vous trouvez également les bains pour animaux, je pense aux moutons.
Quand vous avez des troupeaux de moutons, on a une grande baignoire, les
animaux passent les uns après les autres et ensuite, on vide la
baignoire. Dans un écosystème, comme celui de la montagne, qui
est assez fermé, le ruisseau va collecter la ou les baignoires et
risque, éventuellement, d'être très fortement
contaminé. Je vous donne les exemples les plus caricaturaux.
J'ai souhaité que cet aspect de la pharmacovigilance
vétérinaire soit pris en compte. Il n'est, évidemment pas,
identifié au niveau du médicament humain.
Voilà, au titre de la pharmacovigilance, les réflexions en cours.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Quelles sont les conséquences possibles
sur la santé humaine ?
M. Jacques BOISSEAU.- Pour les résidus, le système est bien
calé. La procédure qui permet de déterminer les limites
maximales de résidus est internationalement reconnue. Elle offre toute
garantie vis-à-vis de la santé publique, quand ces limites
maximales de résidus sont respectées.
L'intérêt de la pharmacovigilance qui intégrerait ces
données erratiques qui sont au-dessus des limites acceptées
serait de savoir pourquoi les données existent. Si elles sont
marginales, erratiques et si, finalement, elles n'ont pas d'impact
vraisemblable sur la santé publique, on peut essayer, au cas par cas,
par une bonne formation, de faire en sorte que les utilisateurs respectent ce
qui est inscrit sur l'étiquetage ou la prescription
vétérinaire. Sinon il faut connaître les raisons de
l'impact sur la santé humaine. Il faut pouvoir, le cas
échéant, modifier les conditions d'AMM pour faire
disparaître l'anomalie.
Le système résidu est déjà bien en place, bien
calé depuis longtemps et n'est pas de nature à
générer des préoccupations de santé publique.
M. Charles DESCOURS, président.- Votre domaine concerne les pollutions
d'origine médicamenteuse.
M. Jacques BOISSEAU.- Oui. Pour l'environnement, l'impact sur la santé
humaine est indirect. C'est une préoccupation plus récente dans
l'évaluation de la sécurité du médicament
vétérinaire. C'est à faire.
M. Charles DESCOURS, président.- Quand des substances d'origine
médicamenteuse sont données aux animaux, pas forcément
dans un but thérapeutique, je pense aux veaux aux hormones, est-ce vous
qui intervenez ou la DGCCRF ?
M. Jacques BOISSEAU.- Nous n'intervenons pas ou plus. Ces produits étant
interdits à des fins d'augmentation de la croissance, ils n'ont plus
d'AMM.
M. Charles DESCOURS, président.- Cela n'existe pas comme
médicament ?
M. Jacques BOISSEAU.- C'est très limité. Vous trouvez quatre
indications thérapeutiques extrêmement limitées et, pour
les hormones naturelles, il n'y a pas de problème de santé
publique. En revanche, pour l'utilisation illégale, en dehors des
conditions régies par l'Etat, cela nous échappe. C'est un
problème de répression des fraudes.
M. François AUTAIN.- Vous avez indiqué qu'il n'y avait pas de
thérapie génique en matière vétérinaire. n'y
a-t-il pas des manipulations génétiques pour obtenir des veaux ou
des races qui soient particulières au niveau de la
fécondation ?
M. Jacques BOISSEAU.- Pas qui aient dépassé, à ma
connaissance, le secret des laboratoires. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des
essais, ici et là, au niveau de ce que l'on peut appeler la recherche et
développement, mais si cela existe, je n'en suis pas informé
parce que ceux qui travaillent dessus ne s'en vantent peut-être pas, non
pas pour des problèmes d'éthique, mais d'exploitation commerciale.
Je ne connais pas les programmes confidentiels des grandes firmes, mais on peut
imaginer que plutôt d'utiliser des anabolisants, déjà
marqués du sceau de l'infamie, on essaie d'avoir une approche par le
biais de la manipulation génique. Si cela existe, cela ne dépasse
pas le domaine du laboratoire recherche et développement.
M. François AUTAIN.- Je croyais qu'il y avait de la sélection.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Et le clonage ?
M. Jacques BOISSEAU.- La sélection est licite. La production
laitière n'arrête pas d'augmenter depuis un certain nombre
d'années par le biais de la sélection génétique.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Une question qui sort aussi de votre domaine
propre de compétence. Quand vous avez parlé pisciculture, une
question m'est venue portant sur le rôle des poissons dans l'alimentation
humaine parce que les effluents déversés en rivière ou en
mer, m'a-t-on dit, qui peuvent contenir de plus en plus des toxiques. De fait,
des métaux lourds ou autres, seraient concentrés dans les
poissons.
L'organisme du poisson pourrait donc avoir une charge en substances
potentiellement toxiques, qui serait due à ce phénomène de
concentration. Voyez-vous plus clairement que moi ce dont il s'agit et y a-t-il
un risque réel ?
M. Charles DESCOURS, président.- C'est le mercure.
M. Claude HURIET, rapporteur.- On a l'impression que la mer peut recevoir tout
et n'importe quoi et il y a, à travers l'organisme du poisson, des
phénomènes d'amplification qu'il ne faut pas négliger.
Est-ce un raisonnement d'écologiste poète ou d'écologiste
scientifique ?
M. Jacques BOISSEAU.- Ce que vous avez dit est parfaitement exact et je ne
pense pas que cela relève des vues éthérées
d'écologiste poète. La mer est beaucoup plus fragile que l'on
pourrait l'imaginer au vu des étendues d'eau.
Tout dépend du système. Si on veut comparer l'océan
Pacifique et la mer Méditerranée, ce sont deux choses totalement
différentes. On va prendre l'exemple de la Méditerranée,
on parlait de Seveso, c'est le cas où la chaîne alimentaire qui
passe du plancton au crustacé et du crustacé au poisson, est
l'occasion d'une concentration. Chaque animal filtre une quantité d'eau
et retient ce qui l'intéresse. Il peut y avoir des contaminants. En
remontant l'échelle phylogénique de l'algue au poisson, chacun
concentre.
Sur des contaminants qui ne sont pas les médicaments
vétérinaires, on peut avoir des concentrations tout à fait
spectaculaires. Dans ce cas, comment faire ?
Ce sont tous les problèmes de la maîtrise des contaminants de
l'environnement. L'avantage du médicament est que l'on maîtrise
tout : on autorise ou pas. Un médicament vétérinaire est
un outil d'aide à la production. Cela s'intègre dans un ensemble.
Il y a moins de problème d'éthique que pour le médicament
lui-même.
Si on autorise, on définit très précisément les
conditions d'utilisation. Le médicament vétérinaire n'est
pas réellement une source inquiétante de pollution.
Le pesticide l'est davantage. Il est potentiellement toxique et on en met un
peu partout. Pour les contaminants de l'environnement, il faut régler
tous les problèmes d'effluents d'usine, des villes. Vous connaissez
mieux que moi les difficultés qu'il y a à gérer ce genre
de relargage dans l'atmosphère. Vous l'avez au niveau des poissons, mais
aussi au niveau de certains animaux, je pense aux métaux lourds dans les
abats de chevaux des pays de l'Est où l'environnement a
été quelque peu malmené pendant très longtemps.
Vous avez exactement le même type de concentration quand vous avez des
prairies qui reçoivent les fumées d'usine. Vous avez des
métaux lourds, le kalium, qui se fixent sélectivement sur
certains organes consommables, d'où des quantités faramineuses de
contaminants.
Comment arriver à une défense de la santé publique ?
Par les plans de surveillance qui doivent, par le biais d'un
échantillonnage adéquat, vérifier que ce qui est mis
à la disposition de la consommation est compatible avec les normes.
M. François AUTAIN.- Qui vérifie cela ?
M. Jacques BOISSEAU.- Le ministère de l'agriculture, la DGA, Direction
générale de l'alimentation. Elle est chargée de piloter et
de tout vérifier.
B. AUDITION DE M. HENRI LACOSTE, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU LABORATOIRE CENTRAL DES INDUSTRIES ÉLECTRIQUES ET DE M. EMMANUEL GRIMAUD, DIRECTEUR DU GROUPEMENT POUR L'ÉVALUATION DES DISPOSITIFS MÉDICAUX (GMED)
M. Henri LACOSTE.- Avant même de parler du fond du
sujet, qu'est-ce-que le GMED ? C'est un Groupement d'Intérêt
Economique dont les quatre membres sont, le Ministère de la
Santé, celui de l'Industrie, le Laboratoire national d'essais et le
Laboratoire central des industries électriques. Je ne suis jamais que
l'un des quatre membres.
Les trois autres auraient pu être là. Sur la plupart des
questions, si on veut entrer dans les détails techniques, M. Emmanuel
Grimaud vous en parlera, car il est Directeur du GMED.
Nous allons exposer comment nous nous situons, aujourd'hui, à la
charnière entre l'ancien système, avec la formule
franco-française et une formule européenne appuyée sur les
directives et les organisme européens.
M. Emmanuel GRIMAUD.- En quelques mots, j'ai été, avant
d'être Directeur du GMED, chef de bureau des matériels
médicaux au Ministère de la Santé. Je connais bien les
deux systèmes. J'ai quitté le Ministère en 1994 pour
prendre la direction du GMED en restant proche du ministère puisque la
fonction du GMED est relative à la mise sur le marché des
dispositifs médicaux.
M. François AUTAIN.- Les matériels médicaux incluent-ils
les dispositifs ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Le terme français de dispositifs médicaux
est traduit des directives européennes.
M. Henri LACOSTE.- C'est synonyme.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Ces termes recouvrent à peu près les
mêmes fonctions.
Jusqu'à l'arrivée des directives européennes sur les
dispositifs médicaux, il y avait, en France pour certains de ces
dispositifs, une procédure d'homologation. Elle était
accordée par une décision ministérielle. Le ministre ou,
par délégation, le directeur des hôpitaux signait des
arrêtés d'homologation. Cet homologation visait environ
soixante-dix catégories de dispositifs médicaux.
M. Henri LACOSTE.- On peut indiquer quel genre de matériel on visait.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Je vais citer quelques exemples principaux. En
mécanique, vous aviez les prothèses totales de hanches, mais pas
les prothèses de genoux, ni de coudes.
M. Henri LACOSTE.- C'était limité. Le Ministère
décidait des listes de dispositifs soumis à homologation. Au
départ, elles étaient très limitées, puis elles ont
été progressivement étoffées.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Il n'y avait pas un chapitre prothèse ?
M. François AUTAIN.- Certaines prothèses et pas d'autres ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- L'homologation est née dans les années
1950. Elle visait à l'époque des matériels
électrochirurgicaux et les matériels de radiologie. Les bistouris
de fréquence et la radiologie. Petit à petit, l'homologation
s'est étendue. Dans un premier temps, elle ne visait que les achats
publics, puis, au début des années 80 elle a aussi
concerné les achats privés.
Elle s'est étendue jusqu'à la loi de 1987, loi qui en a fait une
condition de la mise sur le marché.
M. Henri LACOSTE.- Jusqu'à cette fameuse loi, la liste des dispositifs
médicaux homologués s'appliquait uniquement aux hôpitaux
qui ne pouvaient choisir que sur cette liste alors que les cliniques
privées achetaient ce qu'elles voulaient. La loi en question a
homogénéisé cela et, désormais, tout le monde est
sur le même plan.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Le décret d'application a été
signé en 1990.
M. Charles DESCOURS, président.- Cela n'a pas été vite.
M. Emmanuel GRIMAUD.- On se rapproche des dates actuelles. Les premiers
arrêtés portant sur la liste datent de la fin 1990 et de 1991.
Petit à petit, les listes ont été augmentées.
La limitation de ces listes est due essentiellement à un problème
de moyens au niveau du Ministère de la Santé.
On peut dire que l'inscription de nouveaux matériels s'est faite en
fonction de l'évolution des moyens humains et matériels.
M. Henri LACOSTE.- Le Ministère délivrait ces homologations
après que les matériels en question eurent été
soumis à des essais techniques et cliniques. Le LNE et le NCIE avaient
mis en place des équipes techniques qui contrôlaient la
conformité technique des matériels que l'on présentait.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Le LNE dépendant du Ministère de
l'Industrie.
M. Henri LACOSTE.- C'est un EPIC placé sous le contrôle du
ministère alors que le NCIE est un organisme privé. Nous avions
mis en place une équipe commune qui est la préfiguration du GIE.
Nous faisions, sous le contrôle du Ministère de la santé,
des essais techniques et nous remettions les résultats des essais au
Ministère de la Santé.
M. François AUTAIN.- Le Ministre de la santé homologuait ou
c'était la direction des hôpitaux ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- La décision était ministérielle et
par délégation, le délégataire était le
directeur des hôpitaux.
M. François AUTAIN.- Au nom du ministre ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- L'arrêté est signé par la direction
des hôpitaux et publié au JO ou au BO suivant les cas.
M. Henri LACOSTE.- C'est la procédure qui a vécu et qui, à
ce jour, est en voie d'extinction parce que les dispositions européennes
entrent en application.
M. Emmanuel GRIMAUD.- L'homologation est mort-née, puisqu'elle aurait
atteint un bon rythme au moment où elle a été
remplacée par une nouvelle procédure fixée par une
directive européenne.
La première directive européenne date de 1990 ; elle visait les
stimulateurs cardiaques et les pompes implantables pour la
chimiothérapie.
M. Charles DESCOURS, président.- Il n'y avait rien avant 1990 pour les
stimulateurs ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Non.
M. Henri LACOSTE.- Quand on dit 1990, cela ne veut pas dire qu'elle
était applicable dès 1990.
M. Emmanuel GRIMAUD.- La directive est publiée, puis il y a une
période transitoire : elle est devenue obligatoire en 1995.
M. Henri LACOSTE.- Celle dont nous parlons a été applicable en
1993.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Applicable en 1993, mais obligatoire en 1995. Cette
directive visait cinq ou six catégories de matériels ; une autre
directive de juin 1993 est intervenue pour environ 4.000 catégories de
dispositifs. Cette directive est beaucoup plus large que les premières
et que ne l'était la réglementation française.
Cette directive de 1993 est applicable depuis le 1er janvier 1995 et sera
obligatoire le 14 juin 1998, soit dans un an et demi.
M. Henri LACOSTE.- On couvre énormément de dispositifs, beaucoup
plus largement que l'homologation. Pratiquement tous les dispositifs
médicaux sont désormais concernés.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Sauf les diagnostics
in vitro
.
M. Charles DESCOURS, président.- Est-il vrai qu'on a été
empêché de modifier la liste des produits soumis à
homologation alors même que l'on savait que certains produits
étaient dangereux parce que l'on était en période
transitoire et que, dans l'attente du marquage CE, on pouvait avoir des retours
défavorables de Bruxelles si on soumettait à homologation des
dispositifs considérés comme dangereux pendant cette
période transitoire ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- C'est vrai, mais si vous le permettez, je vais un peu
préciser ma réponse. Il est vrai que la période
transitoire entraîne le
statu quo
sur la réglementation
nationale. Durant la période transitoire, un état membre qui veut
faire évoluer sa réglementation nationale doit notifier à
la Commission qui informe les autres Etats membres de l'Union européenne
par le biais de sa représentation à Bruxelles. Les autres Etats
membres ont trois mois pour se prononcer sur la nouvelle réglementation.
Si, dans cette période de trois mois, l'un des Etats membres s'est
prononcé contre cette évolution, on a un nouveau délai de
trois mois durant lequel un échange d'arguments a lieu.
M. Henri LACOSTE.- On a mis en place une procédure très
compliquée pour empêcher les Etats de faire des
" galipettes ".
M. Charles DESCOURS, président.- C'est comme pour les normes techniques.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Tout à fait. Cela dit, lorsqu'un argument de
santé publique peut être invoqué, il est possible de faire
évoluer la réglementation.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Et si l'accident survient, on a une
procédure accélérée ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- C'est un risque politique.
M. Henri LACOSTE.- C'est une procédure intentionnellement lourde, mais
on peut passer au travers si quelque chose se passe.
M. Charles DESCOURS, président.- Vérifiez-vous la non
nocivité de ces appareils ?
M. Henri LACOSTE.- Dans le nouveau système.
M. Emmanuel GRIMAUD.- En période transitoire, un fabricant de
matériel, ou de dispositif, a le choix entre appliquer la
réglementation nationale et appliquer la réglementation
européenne.
Ce choix est biaisé parce que la réglementation nationale ne
visait qu'un nombre restreint de dispositifs.
Appliquer la réglementation nationale préexistante quand il n'y a
pas de réglementation signifie continuer à vendre sans conditions
particulières.
M. Charles DESCOURS, président.- On est donc en période de
d'écoulement des stocks non soumis à homologation...
M. Henri LACOSTE.- On ne peut pas imposer du jour au lendemain. Il y a des
stocks qui existent.
M. François AUTAIN.- Tant pis pour les malades !!!
M. Emmanuel GRIMAUD.- Certains Etats membres avaient réfléchi
à la capacité de faire évoluer la réglementation
nationale en rendant obligatoire la directive, en anticipant sur l'application
de la directive. Cela n'a pas été le cas en France.
M. François AUTAIN.- Des pays ont-ils anticipé ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- L'Allemagne voulait anticiper. Je ne sais pas si elle l'a
effectivement fait.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Pouvez-vous nous dire si la directive offre
davantage de garanties en termes de sécurité par rapport aux
procédures d'homologation que vous évoquez et nous expliquer les
conditions d'application de mise en oeuvre de la matério-vigilance.
M. Charles DESCOURS, président.- Teste-t-on l'efficacité ?
Que cela ne fasse pas de mal, c'est bien, mais si cela ne sert à rien
!...
M. Emmanuel GRIMAUD.- Dans les exigences des directives européennes, il
y en a une qui est le respect des performances annoncées par le
fabricant (que ce soit dans une notice technique ou dans une brochure
commerciale, tous supports).
M. Charles DESCOURS, président.- Cela ne veut pas dire que cela soutient
le malade. Personne ne teste cela. La faille est là !
M. Emmanuel GRIMAUD.- Elle peut être compensée par le fait que les
Etats membres ont la possibilité d'adopter toute mesure à leur
convenance dans le cadre de la maîtrise des dépenses de
santé.
M. Henri LACOSTE.- Il y a une deuxième question, à savoir :
quelle est la mécanique actuelle des directives ? Elles sont faites pour
permettre aux produits de circuler sur le marché européen.
On vérifie si les performances sont atteintes. Le fait que les produits
circulent ne vous oblige pas à les acheter. L'acheteur de ces produits
peut avoir des règles propres pour fixer son choix.
Le problème que nous avons est qu'effectivement, dans ce système,
il est convenu que les Etats membres désignent des organismes en
lesquels ils ont confiance, selon des critères qui sont les leurs. Je
reconnais que ce n'est pas bien clair. Il n'y a pas
d'homogénéité en Europe sur la façon dont chaque
Etat désigne ces organismes. Certains Etats sont assez sourcilleux,
d'autres non.
Il y a aujourd'hui, sur l'espace européen, une quarantaine d'organismes
dits notifiés
En France, il y en a un seul, qui s'appelle le GMED. Dans d'autres pays, il y
en a plusieurs. Ces organismes sont chargés de procéder aux
contrôles requis.
En cas de conformité aux normes, le constructeur peut apposer le
marquage CE et faire circuler son produit librement : on ne peut pas
l'interdire aux frontières.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Ils vérifient la qualité des
essais cliniques. C'est un des points essentiels.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Je vais y venir. Pour répondre à votre
question, de savoir si la procédure européenne est plus ou moins
sûre que la française, il faut d'abord dire qu'elle vise beaucoup
plus de dispositifs. Ceux qui n'étaient pas soumis à
réglementation, avant, le sont maintenant. Ils échappaient
à tous les contrôles et sont maintenant contrôlés.
Regardons maintenant quelles sont les modalités de contrôle
appliquées dans le cadre de la nouvelle réglementation par
rapport à l'ancienne.
Dans l'ancienne, M. Henri Lacoste disait qu'il y avait les essais techniques et
les essais cliniques, réalisés sur deux sites
agréés par le ministère.
Dans le cadre du marquage CE, il y a différents modules. Les produits
sont répartis en quatre classes de risques qui vont du risque le moins
élevé au plus élevé, qui sont
numérotés 1, 2a, 2b, 3, puisqu'il est plus simple, à
Bruxelles, de compter jusqu'à trois pour faire quatre classes...
Suivant la classe, les modes de preuve de conformité auxquels on fait
appel s'appuient sur l'assurance qualité et/ou sur les essais techniques
ou cliniques. L'assurance qualité, c'est le contrôle de
l'organisation des fabricants.
M. Henri LACOSTE.- C'est ce qu'il y a de plus simple. On vérifie que le
constructeur a un bon système.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Les BPF ou les BPL sont orientés vers les
produits. Certains organismes en Europe sont spécialistes de l'assurance
qualité et ne regardent que l'organisation.
M. Henri LACOSTE.- On peut caricaturer cela en disant qu'un système de
qualité vérifie que le constructeur construit toujours les choses
de la même façon. Si c'est un mauvais produit, il construit
toujours un mauvais produit.
M. Claude HURIET, rapporteur.- On peut bien fabriquer un produit qui n'est pas
sûr.
M. Henri LACOSTE.- Ce n'est vrai que pour les produits les plus simples,
heureusement. Pour l'assurance qualité, on vérifie que le
constructeur a des règles du jeu très précises pour
construire les choses de la même façon. S'il le fait mal, il le
fait toujours mal, mais alors il ne va pas rester très longtemps sur le
marché.
M. François AUTAIN.- Ce n'est pas sûr.
M. Charles DESCOURS, président.- Est-ce au marché de
réguler ce genre de chose ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Au-delà de la fabrication, la conception du
matériel est également étudiée. Dans les BPF, il
n'y a que la partie fabrication. Là, il y a aussi la conception.
Un organisme comme le GMED ne travaille que dans le domaine du médical.
On regarde la conception de manière précise et on s'assure que la
conception est bien réalisée. Des organismes plus
généralistes, dans des pays voisins, regardent uniquement
l'aspect organisation.
M. Claude HURIET, rapporteur.- En Allemagne ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Oui.
M. Henri LACOSTE.- Il n'y a guère qu'en France où il y a un
organisme spécialisé pour les aspects médicaux.
M. Emmanuel GRIMAUD.- En France et au Danemark.
M. Henri LACOSTE.- Partout ailleurs, ce sont des laboratoires de
contrôles généraux qui ont un petit département pour
le secteur médical.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Que signifie GMED ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Groupement pour l'évaluation des dispositifs
médicaux. Le GMED ne fait pas appel à des ressources
extérieures, contrairement à d'autres organismes, en particulier
allemands. Le plus important d'entre eux emploie une vingtaine de personnes
dans le domaine médical, mais fait appel à toutes ses autres
ressources pour aller contrôler les fabricants de dispositifs
médicaux.
M. Henri LACOSTE.- C'est le contrôle le plus simple.
M. Emmanuel GRIMAUD.- C'est le contrôle de qualité.
M. Henri LACOSTE.- On vérifie si le produit est bon.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Bien conçu ou bien fabriqué.
M. Emmanuel GRIMAUD.- Pour les produits de classe 3, la classe de risque la
plus élevée, un examen systématique du dossier de
conception du dispositif est effectué, en dehors de l'examen mené
chez le fabricant, et des essais sont réalisés. On analyse le
dossier de la même manière qu'un dossier d'autorisation de mise
sur le marché de médicament. C'est pour les produits
classe 3, les plus risqués. Cela comprend tout ce qui est
implantable en lien avec le coeur.
M. François AUTAIN.- L'une des personnes que nous avons
auditionnées a été très critique sur la
qualité des dispositifs médicaux et des biomatériaux. Il
semblerait que quelques prothèses sont scandaleusement fragiles,
puisqu'elles ne répondent pas à certains critères
mécaniques élémentaires. Elles ne sont pas bien faites, il
y a des vis qui ne résistent pas.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Le choix des matériaux ne serait pas bon.
M. François AUTAIN.- Il semblerait qu'il n'y a pas de contrôle ou
que les contrôles sont mal effectués. Est-ce vrai ou pas ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Pour les vis dans le domaine de l'orthopédie, je
ne parle pas des prothèses de hanches pour lesquelles nous avons
l'homologation -ou le marquage CE- des dispositifs peuvent très bien se
vendre sans aucun contrôle.
M. Henri LACOSTE.- Tant que la directive n'est pas obligatoire.
M. Charles DESCOURS, président.- L'Europe accepte-t-elle que le
contrôle du rapport bénéfice/risque soit effectué
par la sécurité sociale ?
L'acheteur Sécurité sociale peut-il dire : "Vous avez le marquage
CE qui permet la mise sur le marché, mais moi, Sécurité
sociale, je n'achète que ce dont le rapport
bénéfice/risque me convient" ?
M. Emmanuel GRIMAUD.- Le rapport bénéfice/risque est
évoqué dans la directive. Bénéfice/risque, c'est
positif. Cela peut très bien être nul. Cela peut être
inefficace du moment que ce n'est pas dangereux.
C'est la philosophie anglo-saxonne. Sécurité d'abord et le reste,
c'est le client qui voit.
L'Europe accepte qu'au niveau du remboursement, par exemple, au niveau des
organisations publiques, on impose des critères de performance pour
accepter la prise en charge. On peut prévoir, par exemple, que les
pousse-seringues sont pris en charge s'ils sont assez performants.
M. Henri LACOSTE.- Dans cette logique anglo-saxonne on distingue l'Etat,
puissance publique, et les acheteurs, y compris l'Etat acheteur.
L'Etat puissance publique ne peut pas interdire à un produit de circuler
sur le marché s'il a le marquage CE. Il doit être garant de cette
circulation. En tant qu'acheteur, tout acheteur fait ce qu'il veut. C'est la
logique.
Deuxième point, ce n'est pas parce qu'un produit arrive sur le
marché et semble présenter toutes les garanties, que vous n'avez
pas le droit de faire une contre-expertise. Cela commence déjà.
Quand les laboratoires reçoivent des produits d'autres pays, on a des
doutes, on refait des essais et on découvre parfois que l'on a un avis
contraire. Autrement dit, c'est expert contre expert.
L'Etat français est parfaitement en droit de dire : "Mon expert dit que
le produit n'est pas bon, j'attaque Bruxelles et le pays qui a mis le produit
sur le marché". Je pense que l'on aura de plus en plus ce genre de
chose. Le marquage CE est uniquement un permis de produire de base. On
vérifie que ce n'est pas nocif.
Quand le marché sera un peu informé, les clients exigeants diront
: "Je veux avoir le marquage CE, cela prouve que ce n'est pas dangereux,
mais
je veux en plus la marque de qualité".
M. Charles DESCOURS, président.- En médecine, cela me semble
indispensable.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Qu'en est-il des intervenants en matière
de matério-vigilance.
M. Emmanuel GRIMAUD.- En matière de matério-vigilance,
l'organisme modifié n'est pas intervenant, il n'a pas de place
officielle dans le système.
Cela nous pose une difficulté pour une raison simple : on fait un
contrôle
a priori
.
On a besoin de tous les enseignements sur ce qui se passe sur le marché
pour pouvoir faire évoluer le contrôle
a priori
. Avant
même que la matério-vigilance soit en place, le GMED était
impliqué de manière informelle sous différentes formes :
il réalise des expertises après incidents ou accidents.
Le GMED a eu des contacts avec les collègues hospitaliers qui permettent
d'être au courant de ce qui se passe dans les hôpitaux. On l'a
formalisé au travers de notre comité scientifique et
médical constitué de cliniciens et d'intervenants hospitaliers.
Le troisième niveau sur lequel le GMED intervient est la comparaison
entre les matériels. Quand un fabricant vient nous voir, et nous dit :
" je sais que le produit de mon concurrent tombe en panne,
pouvez-vous le
tester ? ", on n'a pas de place officielle.
C. AUDITION DE MM. BERNARD CAPDEVILLE, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES SYNDICATS PHARMACEUTIQUES DE FRANCE ET PIERRE BERAS, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES PHARMACIENS DE FRANCE
M. Pierre BERAS.- Dans le domaine de la pharmacie, nous
sommes
sur un sujet qui est assez bien " bordé " et où le
législateur ne devrait pas avoir à oeuvrer de façon lourde.
Il s'est intéressé à nous historiquement depuis une
vingtaine d'années, ce qui fait que nous sommes concernés dans la
veille sanitaire pour les médicaments ainsi que pour un certain nombre
de matériels.
S'agissant du médicament, une distinction doit être faite entre
deux types de médicaments, les spécialités pharmaceutiques
classiques et les médicaments issus du sang.
Nous avons des centres de pharmacovigilance régionaux auxquels nous
devons, de par la loi, transmettre les incidents dont nous avons connaissance.
Le sujet est bordé dans notre profession au même titre que chez
les médecins, et bien sûr que pour l'industrie.
Actuellement, la compétence du recueil de toutes ces informations a
été déférée à l'Agence du
médicament et nous pouvons dire que cela fonctionne bien, voire
même un peu trop bien.
Je vous citerai un exemple qui a été largement diffusé par
la presse, celui de la JOSACINE. Une confusion entre une affaire criminelle et
l'éventualité d'une faute pharmaceutique a vraiment, en
l'occurrence, complètement détruit un produit.
J'ai repris cet exemple, parce que je crois qu'il est bon de border les cas
où l'on doit intervenir de façon lourde au niveau du pays.
Toutes ces pratiques doivent être, selon moi, analysées au travers
d'un certain nombre de critères. Je crois qu'il y a le problème
de la maladie transmissible, qui est un critère qui concerne tout
particulièrement les produits sanguins, l'aspect " risques
environnementaux " que nous avons résolu entre l'industrie et
l'officine au travers de l'association CYCLAMED, (récupération de
tous les déchets liés à la consommation pharmaceutique).
Vous avez, enfin, les problèmes de toxicité intrinsèque
des produits qui concernent la toxicovigilance et les maladies
iatrogènes. J'évoque ce thème parce que la
conférence nationale de la santé l'a très largement
souligné.
Sur ces problèmes de toxicité interne, on arrive vraiment au
coeur de ce qui est soumis à votre appréciation en tant que
législateur. Les structures existent. Le gros problème, pour que
cela fonctionne mieux, est celui de l'information. Celle-ci ne circule pas bien
: certes, elle remonte, mais les professionnels n'ont, en général
pas d'information en retour, ce qui nuit au dynamisme de la structure.
Une autre chose perturbe également cette affaire : nous avons un
certain nombre de médicaments dont les effets indésirables sont
connus. Professionnellement parlant, les médecins ont le même
problème : quand nous savons qu'une molécule a tel ou tel
inconvénient, on n'y fait pas attention et on ne le signale pas
forcément. Ne passons-nous pas, justement, du fait de la connaissance,
à côté de choses qui devraient être suivies de
façon plus intense ?
Il y a un problème qu'il faut évoquer et qui rejoindrait
peut-être l'aspect des maladies iatrogènes.
Dès le moment où on parle d'information, je pense qu'il y a
quatre chapitres à étudier. Je m'inspire du rapport
déposé.
M. François AUTAIN.- Quel rapport ?
M. Pierre BERAS.- ... par M. Seron. C'est un rapport très bien fait et
très étoffé. Il traite très longuement de
l'information en disant qu'il y a, d'une part, l'obligation d'informer, le
problème de la validation de l'information, celui de la transmission des
informations et enfin pour les centres de pharmacovigilance, les mesures
d'enquête que l'on peut conduire.
Je vous signale que les conversations que nous avons avec le Gouvernement
concernant les ateliers d'officine et le remodelage de notre profession ont
évoqué ces problèmes de façon assez lourde puisque
l'informatisation des professionnels prévue dans les ordonnances
permettra, à terme, aux professionnels, de relever des incidents et de
mieux les cerner.
Nous pourrons ainsi faire un progrès en termes de qualité de
service auprès du public. Cela s'inscrit tout à fait dans votre
projet. Voilà tout ce que je voulais vous dire.
M. Charles DESCOURS, président.- Qu'en est-il des maladies
iatrogènes ?
M. Pierre BERAS.- Vous êtes médecin, vous connaissez comme moi la
difficulté que l'on a en cette matière. La plupart du temps, les
maladies iatrogènes sont découvertes de façon urgente et
souvent dramatique et il est très difficile de conduire une vigilance.
L'idéal serait de recueillir systématiquement les incidents
à propos de la consommation médicamenteuse. Au bout d'un certain
temps, on constatera que l'association de plusieurs principes actifs ou
l'utilisation systématique de produits actifs sur certaines maladies
conduit à des incidents iatrogènes. C'est un travail de fourmi
que nous n'avons pas effectué à ce jour. Je ne suis pas sûr
que les centres de pharmacovigilance aient les moyens suffisants pour
recueillir ces informations, mais ce sera la technique pour les maladies
iatrogènes sur lesquelles il a été dit beaucoup de
bêtises, de mon point de vue, par des gens qui, en réalité,
voudraient détruire l'industrie pharmaceutique.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Je ferai un point sur la veille sanitaire à la
fin, mais je vais commencer par la vigilance. En fait, la vigilance appartient
au médecin. C'est lui qui se rend au chevet du malade et quand il y a un
problème, il est le premier à recueillir l'information sur un
problème de réactivité aux produits qui mériterait
d'être signalé.
Il arrive aussi que le pharmacien soit le destinataire de cette information en
provenance du patient. Deux choses à faire : la recueillir, l'analyser,
la confier au médecin prescripteur. Cela me semble être la bonne
solution. Quand on se mêle de faire de la pharmacovigilance à
l'officine, 80 % des informations -si j'en crois ce qui s'est passé
à Bordeaux au colloque sur la pharmacovigilance- qui sont issues des
pharmaciens, soit sont des artefacts, soit n'auraient pas dû arriver au
centre de pharmacovigilance en l'état et doivent être
retraitées. Il faut, pour le pharmacien, en amont, une formation
spécifique à la pharmacovigilance dès les études
initiales.
M. François AUTAIN.- Il n'y a pas de formation ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Non, pas en tant que telle. Pourquoi ? Non pas
pour leur apprendre les effets pervers des produits et les effets cumulatifs ou
contradictoires des molécules -ils les connaissent déjà-
mais pour les préparer à une méthodologie d'enquête
qui soit utile aux centres de pharmacovigilance et éviter de saturer les
centres de pharmacovigilance de quantités d'artefacts qui ne les
intéressent pas.
Cela fait partie de la formation initiale. L'effet rebond que l'on va avoir va
être le suivant : si on dit à mes collègues que 80 % des
informations sont destinées " à la poubelle ", ils vont
être démotivés. Il faut donc retenir une approche pratique
et psychologique.
Il faudrait dire à nos " chers professeurs " qu'il serait
bon
de s'intéresser à la détection de ce qu'est la vraie
vigilance, de ce qu'est un vrai problème, comment on communique,
à qui et sur quels documents. Cela semble primordial.
Qu'avons-nous pour l'avenir pour être bien vigilants ? Nous avons
d'abord une formation continue qui va devenir obligatoire, ce qui est normal.
Ce n'est peut-être pas un sujet primordial, mais il faudra bien remettre
tous mes confrères à niveau sur ce sujet.
Si votre rapport incite nos chers maîtres à
" aérer " un peu les études, ce serait parfait.
Ensuite, il faudra mettre ce sujet dans la formation continue.
Pour autant, comment optimiser, ensuite, les outils informatiques qui vont se
développer à l'officine ? Que peut faire le
pharmacien ? Il est aujourd'hui capable de se doter d'instruments qui vont
lui donner deux ans d'historique par patient, au minimum.
Cela signifie qu'il aura en mémoire, dans le cadre du secret
professionnel, les prescriptions concernant un patient sur deux ans. Cela ne
suffit pas. Le patient n'est pas uniquement forcément resté chez
ce pharmacien. Le disque dur du pharmacien et son fichier, augmenté du
carnet de santé, peuvent effectivement, s'il est vigilant, constituer
des instruments de recueil d'informations qui permettront d'intervenir, si
nécessaire, à juste titre et avec un historique du patient.
Pour les produits sanguins, le problème est que l'on compte sur nous
pour la traçabilité des produits sanguins sur trente ans.
Je veux bien ; j'ai chez moi de vieux grimoires qui datent de plus d'un
siècle ; pour autant, si des modifications des produits sanguins
faisaient que les volumes croissent, on ne pourra pas les traiter
" à la main " dans les pharmacies, mais de manière
informatique.
Or, nous ne savons pas, aujourd'hui, si nous sommes autorisés à
les stocker sur un support informatique. Lequel des supports informatiques
permet de rester valides pendant trente ans ? Aucun, même pas les
CD-ROM. Cela signifie qu'il va falloir stocker sur informatique, avoir un
fichier qu'il va falloir éditer sur papier et garder ce papier au
même titre que l'ordonnancier. Il faut une mesure réglementaire
pour y pourvoir.
On a eu une lourde réunion sur ce sujet, à l'Agence du
Médicament, il y a quelques semaines et on est arrivé à
cette conclusion.
Le pharmacien a des outils qui lui permettent de détecter les
problèmes, mais il n'est pas formé à ce métier. Il
est formé à dire : " j'ai un surdosage, une
incompatibilité, je me rapproche du prescripteur ", mais
après, il en fait trop ou pas assez.
La vigilance pharmaceutique ne sera que secondaire, éternellement, par
rapport à la vigilance primaire qui est celle du médecin, mais il
peut y avoir une vigilance complémentaire par le pharmacien,
fût-ce pour alerter le médecin, et cela ne pourra se faire que
lorsque l'on aura appris des centres de pharmacovigilance ce qu'ils attendent
vraiment de nous.
Pour ce qui est de la veille sanitaire, elle est avant tout médicale
avant d'être pharmaceutique. Il faut qu'il en soit ainsi.
Nous pouvons participer à la veille sanitaire, cela se fait au niveau du
réseau, c'est rampant. Lors de la dernière épidémie
de méningites cérébro-spinales qui a eu lieu dans mon
village, il y a dix ans, on a téléphoné à tous les
médecins, la puissance publique s'en est mêlée, on est
allé chercher des " coffres " entiers de produits et on en a
distribué dans toutes les écoles à tout le monde. Il
n'était pas utile, de mon point de vue et de celui des médecins,
d'agir ainsi.
Pour autant, la veille sanitaire est avant tout, pour nous, un problème
de médecin, le pharmacien pouvant intervenir en second rang et en
remontant immédiatement au médecin. Car c'est à lui que
revient la charge d'alerter les autorités sanitaires.
Le pharmacien peut, à travers le codage des prescriptions, leur
expédition aux caisses -si ces dernières ont des systèmes
qui leur permettent des analyses de flux des classes thérapeutiques-
détecter ici ou là des phénomènes
épidémiologiques curieux. Par le pilotage des prescriptions de
certaines classes thérapeutiques pour des populations données, il
sera peut-être capable de détecter, quelque part, la raison pour
laquelle il y a plus de diabétiques à tel endroit plutôt
qu'à tel autre, à partir de la thérapeutique et pas du
diagnostic. Le codage des actes permettrait, s'il était intelligemment
interprété au niveau des caisses, soit de détecter un
phénomène épidémiologique, soit d'en confirmer un,
en aval des prescripteurs, si ces derniers ne l'avaient pas eux-mêmes
perçu. Les médecins sont individualistes et ils communiquent
assez peu entre eux.
Ce recueil d'informations, grâce au codage des actes, à la
transmission des données et surtout à leur interprétation
va être un outil de suivi épidémiologique et de
détection. Au-delà de cela, je voudrais bien être ambitieux
pour ma profession, mais il faut être réaliste.
M. Charles DESCOURS, président.- Qui est à la tête des
centres de pharmacovigilance régionaux ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Les médecins, les polypharmacologues. Les
centres sont implantés au sein des CHU. En général, c'est
le pharmacologue du CHU qui construit son système de pharmacovigilance,
mais il est aussi sous l'autorité de la DRASS.
M. Charles DESCOURS, président.- CYCLAMED, cela fonctionne ?
M. Pierre BERAS.- Oui.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Cela monte en puissance.
M. Charles DESCOURS, président.- Vous pensez qu'il n'y aura plus rien de
périmé dans les pharmacies des ménages ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Pas plus que je ne crois au tri sélectif dans ma
commune.
M. Pierre BERAS.- Nous récupérons aussi les déchets.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Nous en avons récupéré 15 000
tonnes dont 90 % de poids d'emballage. Ce n'est pas mal.
M. François AUTAIN.- Le réflexe est-il d'envoyer en Afrique ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- Simplement, les médecins africains nous disent :
"On en a assez de vos poubelles, ne pourriez-vous pas nous envoyer des
génériques, s'il vous plaît ? "
M. François AUTAIN.- Je crois qu'ils ont raison.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Ils ont raison !
M. Pierre BERAS.- Pour en revenir à l'Afrique, il faut aussi se
méfier des génériques. On a failli mettre une pagaille
épouvantable au travers de l'aide humanitaire avec des
génériques qui n'en était pas. C'étaient de faux
médicaments. Il faut aussi se méfier de cela.
M. Bernard CAPDEVILLE.- CYCLAMED a pour but de vider les armoires et de faire
en sorte que l'automédication ne devienne pas n'importe quoi. On n'a pas
encore assez de recul pour juger des résultats, mais cela fonctionne.
M. Charles DESCOURS, président.- On voit bien une circulation de
l'information montante que vous faites en direction des centres
régionaux. Mais vous n'avez pas de retour ?
M. Bernard CAPDEVILLE.- De temps en temps. A Bordeaux, on a eu un retour. Il
est vrai que j'avais dit que l'on participait aux enquêtes, on a
aidé à les mener et on a eu des retours d'informations
impeccables.
M. Dominique LECLERC.- Je voudrais vous interroger sur la cohésion avec
l'Agence du médicament en cas d'anomalie. Comment cela se
passe-t-il ?
M. Pierre BERAS.- Cela se passe très rapidement. J'avais presque
l'impression d'un phénomène un peu " totalitaire ".
Tout d'un coup, arrive sur nos écrans, une note comminatoire de l'Agence
du médicament disant de retirer un produit, ce qui est une très
bonne chose et qui prouve que cela va très vite et que cela fonctionne.
Je pense que le gros problème que nous avons à l'Agence du
médicament est le suivant : il n'y a pas suffisamment de pharmaciens
d'officine dans l'Agence. Le lien avec l'officine est trop faible. L'Agence ne
connaît que l'industrie : c'est elle qui la paie.
M. Bernard CAPDEVILLE.- Je fais de mon mieux auprès du Conseil
d'Administration pour que cela change.
M. Pierre BERAS.- Il faut le répéter au législateur. Quand
on a fait l'Agence, personne n'avait pensé à cette situation,
à ce lien avec l'industrie. Nous devrions être présents
dans l'Agence, pour qu'elle fonctionne mieux.
M. Bernard CAPDEVILLE.- On n'est pas mal vu dans l'Agence, mais on n'est pas
présents dans l'institution. On ne peut pas continuer à avoir des
services de santé publique sans qu'il y ait de pharmacien. Cela me
semble évident. Pas pour qu'ils prennent le pouvoir, mais pour qu'ils
puissent devenir les interfaces intelligents entre une politique sanitaire et
des professionnels.
M. Pierre BERAS.- La disparition de la direction de la pharmacie n'est pas une
bonne chose. Il y avait une cohérence dans la direction de la pharmacie.
Une sous-direction n'est pas une direction. Le pouvoir de ses dirigeants n'est
pas le même.
D. AUDITION DE M. GÉRARD PASCAL, DIRECTEUR DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECOMMANDATIONS SUR LA NUTRITION ET L'ALIMENTATION ET DE M. JEAN-MARIE AYNAUD, DIRECTEUR DE RECHERCHE À LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DES PRODUCTIONS ANIMALES, REPRÉSENTANTS DE L'INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE AGRONOMIQUE (INRA)
M. Jean-Marie AYNAUD.- M. Gérard Pascal est
plutôt tourné vers les problèmes d'alimentation et de
sécurité alimentaire et moi vers les maladies animales, les
recherches vétérinaires.
Au niveau des productions animales, nous avons une structuration en
départements de recherche et nous avons un département que nous
appelions auparavant " recherches vétérinaires " et qui
s'appelle désormais " pathologie animale ".
Ce département a pour mission de développer des recherches
concernant la protection des productions animales et d'assurer la
salubrité des matières premières qui vont servir pour les
industries agro-alimentaires et la protection du consommateur. On agit
très en amont au niveau de l'animal vivant.
J'ai dirigé ce département pendant six ans et demi, et j'ai
été remplacé, à ma demande, par Jean-Pierre Lafond
qui a pris ma suite au mois de septembre. Il est le nouveau chef du
département et a été intronisé par le Conseil
scientifique de l'INRA hier après-midi.
Je pensais attirer votre attention sur des problèmes de santé
animale qui ont des répercussions en santé publique et voir en
quoi nous avons un dispositif qui est opérationnel sur certains points,
moins pour d'autres, etc.
J'ai repris, dans cette optique, un document présenté à
nos conférences budgétaires à l'INRA en septembre, avec
Jean-Pierre Lafond, pour attirer l'attention de notre Direction
générale sur des problèmes de santé animale qui
peuvent avoir des répercussions pour l'avenir, des sujets
potentiellement chauds, comme l'ont été, dans les années
1990-1991, les encéphalites spongiformes qui sont devenues, depuis mars
1996, une véritable crise. On a des problèmes que j'ai
listés sur lesquels je pourrai très rapidement faire des
commentaires.
Il y a trois rubriques, d'une part, les problèmes de santé
animale ayant une incidence en santé publique, d'autre part, le
problème des résidus de médicaments dans les aliments pour
le consommateur -je laisserai peut-être M. Gérard Pascal en
parler, c'est son problème surtout- et un troisième
problème, les mycotoxines dans les aliments.
Ces problèmes sont mal connus mais peuvent nous réserver des
surprises pour l'avenir dans le lait, les céréales, les fromages,
les problèmes de santé animale ayant une incidence en
santé publique.
Tout d'abord, les toxi-infections, les autres infections humaines d'origine
animale ou que l'on suspecte d'être d'origine animale, la
résistance des bactéries aux antibiotiques, gros problème
qui surexcite nos collègues médecins hospitaliers, certaines
maladies parasitaires et les maladies à virus.
Je reprends les toxi-infections d'origine animale.
Un gros problème actuellement, est celui des salmonelloses : vous savez
qu'un oeuf sur dix mille est contaminé par les salmonelles
pathogènes pour l'homme. Quand cet oeuf est mal cuit ou sert à
faire une mayonnaise, on a un problème. C'est un sujet difficile.
Autre problème, les infections à salmonelle en élevage
bovin laitier. On a des vaches porteuses de salmonelles au niveau du tube
digestif et qui les éliminent dans les matières fécales.
Ces salmonelles peuvent être pathogènes pour l'homme. C'est un
problème préoccupant. Des recherches sont
développées à l'INRA à Rennes et à Tours.
Enfin, vous avez les salmonelles félines avec des risques pour l'enfant,
par les animaux de compagnie. C'est un problème sur lequel il n'y a pas
grand monde qui travaille. C'est un problème qui est pour l'instant
secondaire mais potentiel.
S'agissant des salmonelles en filière agricole ou bovine, il y a des
équipes structurées à l'INRA. C'est une priorité en
hygiène des aliments. Les équipes structurées sont dans
plusieurs départements. Il y a également le CNEVA qui est partie
prenante ; un groupe permanent hygiène se réunit
fréquemment, chargé de la veille scientifique, de la veille
sanitaire et qui a créé un réseau entre le CNEVA et
l'INRA. C'est un outil fortement structuré et je pense que nous avons un
dispositif qui permet de maîtriser la situation.
Enfin, les campylobactères. Des recherches sont conduites à
l'INRA à Nantes dans le secteur de Gérard Pascal. C'est une
bactérie que l'on retrouve dans le tube digestif des volailles et des
porcs. Dans la mesure où ces viandes sont consommées très
cuites, le danger est bien maîtrisé.
Autre problème qui est en train de monter en puissance, les colibacilles
entérohémorragiques.
On a eu des cas chez les enfants avec mortalité en Allemagne et beaucoup
au Japon. 9.000 personnes ont été contaminées au Japon.
Pour l'instant, en France, le problème est actuellement
maîtrisé ou absent, mais il y a une veille extrêmement
active par deux équipes, l'une à l'INRA, à l'école
vétérinaire de Toulouse et l'autre à l'Institut Pasteur.
C'est un problème sérieux. Ces colibacilles sont
hébergés par les bovins et on les retrouve dans les viandes
hachées en particulier.
Puis, les colibacilles systémiques des enfants nouveau-nés dont
l'origine animale n'est pas encore prouvée. C'est un problème
sous-jacent pour le moment.
Enfin, les listérioses des ruminants, vous connaissez tous les accidents
qui ont eu lieu. Les listérioses chez l'homme sont une maladie rare,
mais quand elle sévit chez un individu, elle est
généralement mortelle alors que les salmonelloses sont
fréquentes, mais sont généralement très bien
soignées par les antibiotiques. Cela provoque des diarrhées
spectaculaires, qui durent deux ou trois jours, mais il n'y a
généralement pas de mortalité.
Voilà le tableau général dès toxi-infection. Pour
les listérioses, un groupe de recherche est très actif à
l'INRA de Tours, à l'Institut Pasteur et à l'Hôpital Necker.
Il y a là un réseau épidémiologique, de bons
spécialistes, le problème est bien maîtrisé, mais on
n'est jamais à l'abri d'une contamination dans la chaîne
alimentaire de la part d'un atelier de fabrication dont l'hygiène est
mal maîtrisée.
Les listérias concernent les fromages, la charcuterie, les
pâtés, etc.
C'est un problème difficile à résoudre car il survient
à la fois chez l'animal et dans l'environnement. Les ruminants se
contaminent au niveau du sol, par des aliments tels que l'ensilage de
maïs. Il y a un problème d'environnement lié à ces
infections de l'animal et de l'homme, ce qui nécessite des recherches
assez complexes.
Une autre infection humaine d'origine animale, la brucellose, est
éradiquée en France en matière bovine. En revanche, la
brucellose des petits ruminants nous pose encore des problèmes dans tous
les pays du pourtour méditerranéen : la Corse, l'Espagne,
l'Italie, etc., avec des risques de contamination des fromages de chèvre.
On sait très bien qu'il y a toujours une augmentation du nombre de cas
de brucellose au retour des vacances, quand les gens reviennent d'Espagne,
parce qu'ils ont consommé des fromages crus à partir du lait de
chèvre sans précaution.
La chlamydiose des petits ruminants est un problème moins important.
C'est fréquent chez les petits ruminants en France et dans toute
l'Europe. Il y a des vaccins et on maîtrise bien chez l'homme.
La fièvre Q est un problème sporadique. On en rencontre de temps
en temps chez les vétérinaires. C'est une bactérie qui se
transmet à l'homme par manipulation des viandes ou par contamination
respiratoire dans les bergeries.
La tuberculose, éradiquée en France chez les ruminants
d'élevage, sévit à nouveau chez les cervidés
sauvages ou d'élevage en raison d'importations mal
maîtrisées au point de vue sanitaire. Dès que l'animal est
en liberté, on n'arrive pas à faire une veille sanitaire
correcte. Il y a un problème potentiel.
Autre problème, la résistance des bactéries
pathogènes aux antibiotiques. C'est un sujet qui surexcite les
bactériologiques hospitaliers car ils cherchent un bouc émissaire
et l'animal en élevage intensif, les porcs et les volailles, pour
lesquels les antibiotiques sont utilisés à grande échelle
pour certaines maladies, sont des responsables tout désignés.
Ceci dit, un réseau est en place entre le CNEVA et l'INRA pour
surveiller la circulation des bactéries antibiorésistantes dans
les élevages de ruminants.
Rapidement, j'évoquerai aussi les maladies parasitaires contagieuses de
l'animal à l'homme, la cryptosporidiose, avec le problème de
l'eau de boisson dans les villes. La cryptosporidiose des ruminants, en
particulier des veaux, est éliminée par les matières
fécales et les effluents. C'est un protozoaire mal contrôlé
et mal stérilisé actuellement. La cible, chez l'homme, est
constituée des immunodéprimés, les sidéens en
particulier.
En ce qui concerne la toxoplasmose des ruminants et des chats, les
immunodéprimés en sont également la cible. La viande mal
cuite des ruminants est une source de problèmes pour l'homme et le chat
est un réservoir très important. Tous les jeunes chats
éliminent des toxoplasmes dans leurs matières fécales.
Les parasitoses du chien sont un problème secondaire. Pour les
toxoplasmes et les cryptosporidioses, deux équipes très fortement
structurées s'intéressent à la maîtrise au niveau
immunité, vaccins et produits thérapeutiques comme des
sérums pour traiter les sidéens.
Je voudrais aussi mentionner les maladies à virus : le rétrovirus
du porc contaminant potentiel des xénogreffes, avec les prions en
particulier. Les possibilités de xénogreffes du porc à
l'homme ont connu, en 1991-1995, beaucoup de publicité. La
priorité est de contrôler qu'il n'y a pas de possibilité de
contamination à partir des tissus de l'animal pour l'homme. L'exemple
des prions a alerté l'opinion publique. On essaie de voir si le porc n'a
pas de rétrovirus. Le porc et le chien sont les deux animaux où
il n'y a pas de rétrovirus connu.
Le problème des lentivirus des petits ruminants est qu'ils sont
très répandus dans les populations d'ovins, en France et en
Europe en particulier. Ils ont une parenté avec le HIV. Des
chèvres transgéniques étant utilisées par
l'industrie pharmaceutique pour produire des molécules à vocation
thérapeutique humaine, il faudra bien contrôler que les
chèvres sont indemnes de lentivirus pour qu'il n'y ait pas de
contamination.
Les Américains utilisent la BSD, de l'hormone de croissance qui a fait
l'objet d'un gros dossier au niveau européen.
Ils souhaiteraient que l'Europe accepte d'utiliser ces hormones de croissance
qui augmentent la production de lait de 15 à 20 %. Or l'INRA a bien
montré depuis deux ans que ces hormones de croissance favorisent
l'expression de pathogènes au niveau de la glande mammaire des
ruminants, en particulier des lentivirus. Pour les animaux chroniquement
infectés traités massivement pour augmenter leur production de
lait par la BSS, pour ne pas la nommer, on a bien montré que cela
stimule l'expression du pathogène. Nous voulons absolument
expérimenter plus avant et voir si tous les pathogènes
excrétés par la mamelle des vaches laitières
traitées par un certain nombre de combinants ne pourraient pas
excréter d'autres pathogènes, je pense notamment aux
listérias.
Il y a là un problème extrêmement intéressant ; nous
essayons de fournir aux autorités de Bruxelles des arguments pour nous
opposer, sur le plan scientifique, à ce que l'on donne le feu vert aux
Américains pour l'utiliser.
M. Gérard PASCAL.- J'opère dans un domaine tout à fait
différent, mais tout à fait complémentaire de mon
collègue Aynaud.
Je vais, en deux mots, resituer mes activités. J'ai créé,
à l'INRA, le département de sécurité alimentaire en
1989, je l'ai dirigé jusque fin 1992. J'ai ensuite pris la direction du
centre national d'étude et de recommandations sur la nutrition et
l'alimentation qui est à la fois une unité du CNRS et un
groupement scientifique auquel adhèrent cinq organismes de recherche, le
CNRS, l'INRA, l'INSERM, le CNEVA et l'ACTIA et les trois directions
concernées par l'alimentation, à savoir la DGS, la DGA et la
DGCCRF. Le CNERNA est l'interface entre les organismes de recherche
concernés par les problèmes d'alimentation et de santé, et
les départements ministériels qui ont à réglementer
en matière de qualité de l'alimentation, la Santé,
l'Agriculture et la Répression des Fraudes.
J'ai abandonné ce département nutrition dont je viens de
reprendre la Direction hier pour des raisons conjoncturelles. J'ai
abandonné cette activité parce que, depuis dix ans, je
siège au comité scientifique d'alimentation humaine à
Bruxelles, qui dépend de la Direction générale 3 de
l'Industrie. Il s'agit d'un comité qui a conseillé la commission
sur les relations entre l'alimentation et la santé, les
conséquences des nouvelles technologies ou des nouvelles méthodes
de production, sur la qualité ou la sécurité des aliments,
ce qui était une responsabilité importante. En 1992, j'ai
été élu Président de ce Comité, je le suis
encore, ce qui m'avait obligé, à l'époque, à
quitter le département à l'INRA.
J'ai aussi présidé la section de nutrition et d'alimentation du
conseil supérieur de l'hygiène publique en France
-équivalent du Comité bruxellois. Dans tous ces comités,
nous sont soumis tous les problèmes de sécurité
alimentaire et de qualité des aliments qui ne ressortent pas de ceux qui
ont été exposés par M. Jean-Marie Aynaud. C'est le
reste.
De quoi s'agit-il ?
Il faut commencer par les problèmes qui nous préoccupent en ce
moment. On va retrouver l'ESB et les maladies à prions. Je pense que
vous allez rencontrer M. Dormont qui, sur le plan scientifique et de son
engagement national et international est plus directement impliqué que
nous.
Je pense que c'est une expérience intéressante de manque
d'intégration des réflexions entre les différents
organismes.
M. Charles DESCOURS, président.- C'est bien notre sentiment.
M. Gérard PASCAL.- Dans les comités dans lesquels j'ai
été amené à siéger, où que j'ai
présidés, nous n'avons jamais été consultés
sur les affaires d'ESB que lorsqu'il s'agissait de produits transformés,
industriels. 75 % aujourd'hui de notre alimentation a subi une
transformation. Ils sont passés dans les mains de l'industrie depuis
plus ou moins longtemps. On ne nous a consulté que lorsque s'est
posé un problème d'utilisation de certains abats bovins dans les
aliments pour bébé, les petits pots, et dans certains
compléments alimentaires.
Cela a eu lieu relativement tardivement, en 1992 pour la France et en 1993,
voire 1994 pour Bruxelles.
Nous avons été de nouveau consultés sur la même
question parce que les Allemands avaient trouvé que la France avait
pris la bonne décision de fermeté et de prudence en
matière d'utilisation des abats pour les aliments pour
bébé. Très rapidement, toujours cette année, nous
avons été consultés sur les problèmes de
gélatine, de suif, de phosphates, qui sont des produits industriels,
mais jamais sur les produits d'origine animale non transformés.
Il n'y a jamais eu de rencontre, avant cette année, entre des
comités scientifiques qui s'intéressent aux mêmes
problèmes.
Ceci est vrai à Bruxelles, c'est plus ou moins aussi vrai en France. Il
y a des secteurs qui sont bien séparés.
Il y a eu des incompréhensions. Vous avez dû suivre d'assez
près ce qui s'est dit et écrit à Bruxelles, les
résultats, les enquêtes du Parlement européen, les
déclarations des uns et des autres. Il y a manifestement eu un manque de
coordination entre les uns et les autres.
Prenons l'exemple français -on trouverait la même chose au plan
européen en matière de sécurité alimentaire ou de
veille sanitaire-, trois ministères sont plus directement
impliqués, l'Agriculture, la Santé et les Finances par le biais
de la Répression des Fraudes.
J'assiste depuis dix ans à une lutte d'influence de ces trois
départements ministériels avec des alliances tournantes, mais
cela conduit en permanence à un manque de concertation assez
évident, même si les directeurs généraux se
rencontrent assez fréquemment. Mais cela repose sur des relations
humaines qui sont bonnes ou pas bonnes. De toute façon, les directeurs
généraux défendent leur département
ministériel.
Depuis plus de dix ans, mes prédécesseurs s'étaient
déjà battus pour cela ; les responsables, à
différents niveaux, ont essayé d'obtenir une meilleure
concertation sans succès, sans jamais obtenir l'arbitrage du Premier
ministre. Plusieurs gouvernements se sont succédés sans jamais se
prononcer.
J'ai une analyse très critique et je comprends que ces trois
départements ministériels tiennent à assumer ces
responsabilités.
M. Charles DESCOURS, président.- Que préconisez-vous ? Cette
situation est intolérable.
M. Gérard PASCAL.- Le président du Conseil national de
l'alimentation, plusieurs médecins nutritionnistes, le professeur
Louisot qui est maintenant le Président de l'INSERM, ont, avec nous,
plaidé pour une agence nationale de l'alimentation française.
Nous nous apercevons que c'est trop ambitieux, donc il y a trop d'obstacles
politiques, il faudrait donc plaider pour une agence scientifique,
administrative.
Il existe une Agence du médicament. Elle a été un
progrès par rapport à la situation précédente, mais
nous nous imaginions, sans doute un peu naïvement, que l'on pouvait
proposer une agence nationale d'alimentation, comme cela existe en
Suède, au Danemark, comme il existe des structures centralisées
aux Pays-Bas qui sont des pays extrêmement influents au plan de l'Union
européenne dans les domaines de la veille sanitaire et de la
qualité de l'alimentation.
Peut-être pourrait-on proposer quelque chose qui ne dépasse pas le
niveau scientifique, sinon on va se heurter à des difficultés
politiques majeures.
M. Charles DESCOURS, président.- L'administration suivra-t-elle ?
M. Gérard PASCAL.- J'ai passé pas mal de temps à discuter
avec les différents directeurs généraux. Chacun est
d'accord pour reconnaître qu'il faudrait une coordination, un certain
regroupement, à la condition que ce soit rattaché à son
ministère. Si ce n'est pas le cas, ils sont contre. C'est une situation
claire.
M. Charles DESCOURS, président.- C'est le coeur de notre
problème. On ne peut pas tolérer cela.
M. Gérard PASCAL.- Ceci nous met dans une situation de faiblesse au plan
international qui n'est pas justifiée par les moyens qui existent en
France en matière de recherche, d'expertise et de compétences
scientifiques.
Je participe en ce moment à des comités scientifiques plus
largement internationaux à l'OMS, sur, en particulier, le génie
génétique. Il faut évaluer les conséquences en
matière de sécurité alimentaire.
On voit que les petits pays que j'ai évoqués tout à
l'heure, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, les Anglais bien
sûr, ont une influence considérable sur ces comités
internationaux et que la France n'en a pas.
Je pense que ce n'est pas dû à un manque de compétence mais
à un manque de moyens investis dans différents endroits. On
n'arrive jamais à regrouper les efforts et à obtenir une position
nationale forte pour se battre à l'extérieur contre les
Américains ou les partenaires européens. C'est le constat que je
fais après dix ans d'activité.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Votre critique porte-t-elle surtout sur la
dispersion des moyens et des informations en matière de veille sanitaire
ou pour l'ensemble des problèmes auxquels la mission est amenée
à s'intéresser ?
M. Gérard PASCAL.- Je ne peux pas me prononcer sur tous les points
évoqués par M. Jean-Marie Aynaud, mais pour tous les autres
problèmes, les problèmes de contaminants en
général, il est très difficile de faire de la prospective
; faire de la veille, c'est possible.
Un rapport de l'Académie des sciences va paraître avant la fin de
l'année ou début janvier. Il apparaît que le
problème de l'expertise est crucial, on a des intérêts
à défendre, et ce sont les experts qui les défendent au
plan scientifique et politique.
Ces experts ne peuvent faire correctement leur travail que s'ils s'appuient sur
des structures, une logistique et des laboratoires, des scientifiques avec
lesquels dialoguer pour définir une position scientifique qui sera
définie par la suite.
Il n'y a pas d'appui, pas de structure, cela apparaît très
clairement dans le rapport, mais on peut faire le même constat dans
d'autres domaines, alors que des gens existent. Il y a trop d'organismes, trop
de dispersion.
M. Jean-Marie AYNAUD.- Pour les maladies à prions, un effort
considérable a été effectué depuis la
création du programme de mobilisation interorganismes mis en place par
les ministères.
M. Charles DESCOURS, président.- Quand ?
M. Jean-Marie AYNAUD.- Je fais partie du comité d'experts de
M. Dormont, de la cellule exécutive de coordination
interorganismes. C'est le premier programme interorganismes et
interministériel qui se met en place.
M. Charles DESCOURS, président.- Vous êtes au coeur du
problème.
M. Jean-Marie AYNAUD.- On attend cela depuis des années. Il est plus
facile de fédérer les scientifiques des différents
organismes. C'est long à faire, mais cela se met en place, avec le
programme ESB. Les personnes du CEA, de l'INSERM, du CNEVA, de l'INRA et
d'autres travaillent ensemble, se réunissent, créent des
réseaux.
Cela fonctionne bien parce qu'il y a un appel d'offre avec de l'argent à
la clef et une volonté des gens de travailler ensemble. La
problématique existe pour tout le monde.
M. Charles DESCOURS, président.- L'administration suit ?
M. Jean-Marie AYNAUD.- Le problème, c'est l'Administration. Ce sont les
directeurs généraux qui ne veulent absolument pas se
fédérer.
M. Charles DESCOURS, président.- Ce que vous avez dit est très
intéressant, mais pourquoi cela et pas autre chose ? Qui doit prendre
les décisions ?
Il y a sûrement d'autres problèmes. On a attendu dix ans de
maladie de vache folle en Angleterre pour s'en inquiéter.
M. Jean-Marie AYNAUD.- Jusque fin 1995, le problème français
était médical, essentiellement avec la maladie de Creutzfeld
Jacob, les enfants contaminés.
L'autre problème portait sur la biosécurité dans les
cliniques de neurochirurgie. Tous les chirurgiens avaient la crainte de ne pas
pouvoir stériliser leurs instruments correctement quand ils
opéraient le cerveau d'un patient.
C'étaient les deux grands problèmes, mais l'ESB n'était
pas présente en France en termes d'épidémie. Il n'y avait
pas d'ESB. Il n'y avait que la tremblante que tout le monde connaît et
nous vivons avec. Le problème de l'ESB se posait en Angleterre.
M. Gérard PASCAL.- Il y avait un principe de non transmissibilité
de l'animal à l'homme.
M. Jean-Marie AYNAUD.- Cela explique pourquoi on ne s'est pas beaucoup
mobilisé.
M. Gérard PASCAL.- Dans les problèmes dont je m'occupe, combien
de personnes s'en occupent au ministère de la santé ? Il y a
une sous-direction de la veille sanitaire. Combien de personnes se
préoccupent-elles des problèmes d'alimentation ? Deux !
M. Jean-Marie AYNAUD.- Nous avons un message très clair à vous
faire passer. On ne peut pas tout faire en même temps pour
fédérer tout le monde, mais il faut profiter du fait que l'ESB
provoque une crise et qu'il y a un programme mobilisateur interorganismes pour
que les scientifiques se mettent ensemble pour obliger toutes les
administrations à travailler ensemble. Si on réussi cela, ils
seront obligés d'y aller. Les gens sont traumatisés
M. Charles DESCOURS, président.- Il n'y a pas que cela. On sort du sang
contaminé, on est dans l'amiante, il y a l'ESB, l'hépatite C
arrive, le génie génétique, plus tout le reste. On ne peut
plus fonctionner ainsi.
M. Gérard PASCAL.- Il y a d'autres problèmes sous-jacents qui
risquent d'exploser.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Je souhaiterais vous poser une question en
prenant la listériose comme exemple. J'ai appris, à l'occasion du
début de cette mission, que la listériose avait été
largement pris en charge par la DGCCRF. Existe-t-il des relations
fonctionnelles et pas seulement humaines qui permettraient d'optimiser les
moyens en laboratoires et de coordonner les recherches ou bien pratique-t-on le
chacun pour soi avec des laboratoires qui fonctionnent exclusivement pour
eux-mêmes, ne serait-ce que pour se garder des avantages en termes de
publications scientifiques et d'effets d'annonce ?
Le système lui-même est-il sclérosé au point d'en
faire table rase ou est-il optimisable à travers des dispositions
contractuelles ?
M. Charles DESCOURS, président.- Au-delà des laboratoires, les
directions dépendant des différents ministères ou les
laboratoires dépendant des ministères ne sont-ils pas
figés en raison de leurs appartenances administratives ?
Il faudrait qu'il y ait des protocoles, des check lists, que cela fonctionne,
comme cela se passe en matière de sécurité
nucléaire.
M. Jean-Marie AYNAUD.- Pour l'ESB, cela se met en place. Il y a une convention
interorganismes que les directeurs généraux de l'administration
ont signée.
M. Gérard PASCAL.- C'est le seul cas. Sinon, les liens entre les trois
départements ministériels ne consistent qu'en des réunions
des directeurs généraux.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Il n'y a pas d'optimisation des moyens.
M. Gérard PASCAL.- Concernant les contaminants, il n'y a même pas
d'information mutuelle entre les laboratoires qui sont rattachés
à la même direction générale. Toutes les actions,
toutes les enquêtes déclenchées -ce n'est pas une critique
sur la qualité du travail des laboratoires- le sont avec des objectifs
différents, selon des méthodologies différentes et on ne
peut pas agréger les données, les informations, parce que ce
n'est pas possible, y compris à l'intérieur d'un même
ministère.
M. Jean-Marie AYNAUD.- Il faut les obliger à travailler en
réseau. Pour l'ESB, cela se met en place.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Faut-il modifier fondamentalement l'organisation
des structures administratives ?
M. Jean-Marie AYNAUD.- Il faut peut-être commencer par une étape
exemplaire comme l'ESB, puis passer ensuite à autre chose ?
M. Gérard PASCAL.- On sera toujours en retard d'une guerre.
M. Dominique LECLERC.- On vient de cerner le problème. Je crois que se
pose une question assez difficile à trancher, à savoir
désigner un chef.
M. Gérard PASCAL.- C'est le problème du " chef " que
l'on n'arrive pas à régler depuis 20 ans.
M. Charles DESCOURS, président.- La gestion de l'énergie atomique
a été pendant des années rattachée au Premier
ministre.
M. Gérard PASCAL.- C'est la proposition que nous avions faite d'une
agence de l'alimentation rattachée au Premier Ministre. Je ne suis pas
sûr qu'un Premier Ministre soit partant pour ajouter une telle
institution à ses services.
M. Jean-Marie AYNAUD.- La mise en réseau fonctionnera d'autant mieux
s'il y a des moyens incitatifs. Pour l'ESB, cela fonctionne parce qu'il y a une
volonté commune.
E. AUDITION DE MME LAURENCE SCHAFFAR, EN REMPLACEMENT DE M. GRISCELLI, DIRECTEUR GÉNÉRAL A L'INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE (INSERM)
Mme Laurence SCHAFFAR.- Je tiens d'abord à
présenter les excuses de M. Griscelli.
Je suis responsable d'un service : "Incitation et coordination pour les
actions
de recherches directes". Nous sommes rattachés à la Direction
générale chargée de la définition de la
stratégie de l'INSERM, pour la mise en place des programmes incitatifs
et nous avons également une activité concernant la recherche
clinique et la réglementation.
Nous aidons les chercheurs à appliquer la réglementation en
vigueur dans la recherche clinique.
M. Charles DESCOURS, président.- Vous connaissez l'objet de la mission :
" conditions du renforcement de la veille sanitaire et du contrôle
de la sécurité des produits thérapeutiques en
France ".
Comment agit l'INSERM dans cette optique ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Je pense que l'on pourrait définir trois niveaux
d'activité de l'INSERM. Le premier consiste en une réflexion sur
la veille médicale, la veille scientifique en santé publique.
Elle va être renforcée au mois de janvier par la mise en place de
la mission scientifique de l'INSERM, qui sera constituée d'une petite
dizaine de chargés de mission chargés de conseiller les
directeurs scientifiques.
Cette mission va s'appuyer sur des instances qui existent déjà au
sein de l'INSERM, telles que les commissions statutaires ou les commissions
scientifiques spécialisées dans ces questions.
Le deuxième niveau d'activité concerne l'expertise collective,
dont vous avez probablement entendu parler pour l'amiante, et qui consiste
à faire un état des lieux tout à fait critique et
contradictoire dans un cadre professionnel, animé par des
professionnels, sur des problèmes sanitaires internationaux ou nationaux.
Le troisième niveau concerne les activités de recherche autour de
la veille sanitaire, les réseaux sentinelles qui sont montés avec
le réseau national de la santé publique.
M. Charles DESCOURS, président.- Pouvez-vous nous parler des relations
que l'INSERM entretient avec d'autres organismes qui travaillent dans le
même domaine ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Avec les organismes finalisés tels que l'INRA ou
le CNRS, nous avons une coordination par les comités de suivi entre les
directions générales des deux organismes qui nous permettent
d'aborder tous les problèmes, sanitaires ou de veille. Dans certains
cas, des programmes scientifiques peuvent être décidés. Il
en est ainsi au sujet des prions avec un programme qui vient juste de
démarrer.
M. Charles DESCOURS, président.- Tout le monde nous cite cet exemple.
Or, il existait des maladies avant les prions.
Mme Laurence SCHAFFAR.- En effet, ce sujet a cristallisé les choses.
M. Charles DESCOURS, président.- Expliquez-nous pourquoi ce n'est pas
ainsi dans d'autres domaines.
Mme Laurence SCHAFFAR.- Quand on regarde la politique incitative de l'INSERM,
tout ceci est tout de même lié. Il y a un affichage de
priorités par l'INSERM. Il est certain qu'une politique incitative est
en cours de développement. Cela n'existait pas tant que cela il y a
quelques mois ou quelques années.
M. Charles DESCOURS, président.- Qu'est-ce qui a mené cette
politique ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- La Direction générale avec ses tutelles.
Les tutelles nous indiquent les thèmes prioritaires. Actuellement, ce
sont le cancer, la génétique, les maladies neurosensorielles.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Pouvez-vous développer l'idée
d'incitation ? A quoi cela correspond-il ? Quel est le rôle
effectif de l'INSERM ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Au niveau national, il s'agit de coordonner des
programmes, des actions dans une direction privilégiée, vers un
thème privilégié, ou pour répondre à une
question posée. Le cas des prions est facile à comprendre encore
que cette question soit très complexe sur le plan scientifique.
Chacun des organismes peut avoir un rôle particulier de coordination qui
lui est confié. Mais cette coordination s'entend aussi avec d'autres
organismes, qui sont des partenaires dans ce cas. Par exemple, nous
réfléchissons à un programme de pathologies infectieuses
dont la réflexion nous a été confiée par le
Ministère de la recherche. Dans le cadre de cette réflexion, nous
allons nous pencher sur les aspects qui peuvent être
développés par le CNRS, l'INRA. La coordination que nous
assurerons se fera avec les partenaires.
M. Charles DESCOURS, président.- Existe-t-il des liaisons fonctionnelles
établies et officielles qui ne dépendraient pas de la nature des
rapports entre les directeurs ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Il peut y avoir deux sortes de liaisons directes :
d'une part des liaisons directes entre les laboratoires qui peuvent être
intéressés à collaborer entre eux ; d'autre part, des
équipes de l'INRA travaillent avec l'INSERM.
M. Charles DESCOURS, président.- Connaissez-vous les travaux que font
les laboratoires ? Nous avons auditionné les représentants
de l'INRA ; êtes-vous au courant des travaux qu'ils mènent et des
résultats qu'ils ont obtenus ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Nous sommes au courant des travaux qu'ils mènent
et, au cours des réunions de direction auxquelles sont invités
des experts scientifiques, nous échangeons nos préoccupations
dans les domaines qui peuvent donner lieu à une action
particulière.
Nous l'avons fait avec l'IFREMER sur des domaines tels que les risques de
contamination des coquillages pour lesquels nous allons préparer des
ateliers parce que le thème est apparu au cours de nos rencontres. Pour
les résultats, l'accès se fait via la littérature
scientifique.
Pour l'utilisation de certains produits thérapeutiques, nous avons
créé une intercommission qui s'appelle " Utilisation de
produits humains et de substitution ". Elle se penche sur
l'utilisation
thérapeutique de ce que l'on appelle les greffes, les
xénogreffes, etc.
Cette réflexion associe statutairement un représentant de
l'établissement français des greffes, de l'Agence
française du sang, du CNRS.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Par rapport aux missions de
l'établissement français des greffes, comment se situe cette
intercommission ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Une des réflexions premières a
été de regarder la place qu'elle pouvait avoir par rapport
à l'établissement français des greffes. On s'est rendu
compte qu'elle était en situation privilégiée de
partenariat avec l'établissement français des greffes, car il
s'agissait de susciter des recherches sur les risques liés aux greffes,
des recherches qui pouvaient se faire dans les laboratoires INSERM ou dans
d'autres laboratoires.
Nous avons deux sujets : les risques infectieux liés aux
xénogreffes, qui sont une véritable préoccupation, et les
modalités d'évaluation des thérapeutiques.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Dans les laboratoires INSERM, vous avez une
seule unité par domaine ou plusieurs ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Sur le même site, il peut y avoir plusieurs
unités pour le même domaine.
Il y a une politique de site qui est celle des instituts
fédératifs de recherche et qui visent, sur un même site,
à permettre les échanges entre les unités de recherche,
avec les autres organismes, les unités de recherche du CNRS, de
l'INSERM, de l'INRA et l'hôpital.
M. Charles DESCOURS, président.- Pensez-vous que la coordination marche
bien dans le domaine de la santé ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Il y a certainement des progrès à faire.
M. Charles DESCOURS, président.- Existe-t-il des cloisonnements ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Notre sentiment est peut-être que cette
coordination se met en place lentement, mais qu'elle existait beaucoup moins
auparavant. Il y a certainement encore des progrès à faire.
M. Charles DESCOURS, président.- Le fait que des directions
administratives soient rattachées à plusieurs ministères
n'empêche-t-il pas la mise en réseau des résultats, des
laboratoires ? Quels contacts avez-vous avec la DGCCRF ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Il est vrai que nous avons extrêmement peu de
contacts et avec eux.
M. Charles DESCOURS, président.- Et les écoles
vétérinaires ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- On commence à les connaître grâce au
programme sur l'ESB.
M. Charles DESCOURS, président.- Elles dépendent du
Ministère de l'Agriculture.
Mme Laurence SCHAFFAR.- Avec le CNEVA, nous n'avons pas de relations. C'est
exact.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Votre première partie concerne la
sécurité des produits. Vous avez évoqué le
rôle de l'INSERM en matière de veille. Pouvez-vous aller plus loin
?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Je peux reparler de l'expertise et, par ailleurs, de ce
qui existe en relation avec le RNSP.
L'expertise peut être réalisée, soit sur une demande propre
interne à l'INSERM, soit sur une demande de partenaires
extérieurs, soit encore sur demande de la tutelle.
Il s'agit de rassembler, pendant une durée relativement courte, un
certain nombre d'experts qui peuvent avoir des visions très
contradictoires d'un sujet pour qu'ils en fassent une revue complète. Il
ne s'agit pas d'arriver à un consensus.
Cet état des lieux est ensuite publié ou conservé par
celui qui nous l'a demandé. Nous avons ainsi été
sollicités par la direction générale de la santé
sur l'amiante.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Une fois que vous avez fait cet état des
lieux en matière de veille, en montrant les incidents ou les accidents
sûrement imputables à telle ou telle substance, c'est le
ministère de la santé qui en est destinataire quel que soit le
commanditaire ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- L'industriel peut passer commande à titre
confidentiel. On lui remet le rapport. Si le rapport peut être plus
largement diffusé, il l'est auprès des tutelles.
M. Claude HURIET, rapporteur.- On peut considérer que cela peut
fonctionner ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- On connaît tous les inconvénients des
études que l'on demande à des équipes isolées et
pour lesquelles on n'est pas sûr de la qualité du débat.
Je pense que c'est très efficace au niveau de la procédure
elle-même. Je crois que l'on aimerait bien être sollicité
davantage par le ministère de tutelle. On est à l'écoute
de leurs demandes.
M. Charles DESCOURS, président.- Que se passe-t-il en matière de
nutrition ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Dans le cadre de la convention générale,
le thème nutrition est mentionné. Il réapparaît au
niveau de l'intercommission qui s'appelle " comportement en matière
de consommation " et qui fait l'objet d'un partenariat ponctuel avec
l'INRA. L'INRA est représentée. Par ailleurs, on devrait
normalement trouver des programmes incitatifs communs sur ces thèmes.
M. Claude HURIET, rapporteur.- Au niveau des relations entre CNRS et INSERM en
matière de recherche, pouvez-vous avoir des programmes qui sont
très proches les uns des autres ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Nous avons des échanges entre les Directions
générales et entre chercheurs. Nous avons ainsi
énormément de chercheurs qui sont dans nos laboratoires et dans
ceux du CNRS. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas améliorer la
coordination. Il y a une interpénétration entre les deux
organismes.
M. Charles DESCOURS, président.- Il n'y a pas de mise en réseau
avec tous ceux avec qui vous pourriez l'être ?
Mme Laurence SCHAFFAR.- Non. Ce serait une très bonne idée.
M. Claude HURIET, rapporteur.- On a constaté le rôle mobilisateur
extraordinaire du prion, de la vache folle : se met en place une organisation
que certains souhaitaient depuis longtemps.
Mme Laurence SCHAFFAR.- C'est souvent le cas. C'est un exemple particulier qui
permet de cristalliser.
X. SÉANCE DU MERCREDI 4 DÉCEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. PIERRE-LOUIS TOUTAIN, DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE PHYSIOLOGIE ET TOXICOLOGIE EXPÉRIMENTALES À L'ECOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Je vais d'abord présenter la
façon dont je conçois la sécurité des aliments par
rapport à la sécurité des médicaments...
Autrefois, les gens se soignaient avec des remèdes, des herbes. Ce
n'était pas efficace, mais cela ne posait pas de problèmes de
sécurité. Puis, l'industrie pharmaceutique nous a offert des
médicaments de plus en plus efficaces, et son histoire a
été ponctuée par des événements dramatiques.
Le premier a eu lieu dans les années 1930, aux Etats-Unis, avec un
produit intellectuellement conçu comme efficace pour faire maigrir les
gens. Ce produit n'ayant pas subi d'évaluations toxicologiques, on s'est
retrouvé avec quelques milliers de cataractes ! De là est
née la législation sur l'évaluation toxicologique.
Puis, il y a eu la thalidomide, et, plus récemment les
génériques, avec les bioéquivalences.
Cette histoire est intéressante, car elle montre qu'une décision
parfaitement anecdotique, qui a consisté à remplacer un excipient
par un autre a conduit à un drame.
Toute l'histoire de l'industrie pharmaceutique est marquée par un
progrès constant, mais ponctué par des drames, qui ont
immédiatement conduit à réglementer et à
légiférer. Les problèmes sont donc aujourd'hui assez bien
réglés en matière de sécurité des
médicaments...
M. Charles DESCOURS, président - Je ne pense pas que le problème
des génériques et des bioéquivalences soit parfaitement
réglé...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Je veux simplement dire que cette anecdote a
obligé à développer une réglementation et qu'il
existe à l'heure actuelle de nombreuses procédures pour mettre un
générique sur le marché.
L'histoire de l'alimentation est à peu près la même. Dans
l'imaginaire des gens, l'aliment est quelque chose de simple, avec un circuit
court. C'est un mélange de produits, de savoir-faire, de circuits, etc.
Comme un médicament, cela devient un produit de très haute
technologie, infiniment meilleur qu'il y a cinquante ans, mais avec
potentiellement des risques majeurs.
L'histoire de la vache folle est à cet égard exemplaire. Les
gens qui ont décidé de changer la fabrication des
protéines ont pris une décision anecdotique. Ils l'ont fait avec
de bonnes raisons, mais ils ont néanmoins causé une catastrophe
généralisée...
M. Charles DESCOURS, président - C'était peut-être aussi
dû au fait que les tourteaux de soja étaient devenus chers... ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Il y a certes des raisons économiques, mais
ils n'ont pas pensé mal faire...
En d'autres termes, l'histoire de la vache folle et des protéines, c'est
l'histoire de la thalidomide pour le médicament. Il va falloir profiter
de cet événement pour remettre à plat tout le
problème de la sécurité alimentaire et adopter les
méthodes de l'industrie pharmaceutique.
M. Charles DESCOURS, président - Vous pensez donc que la démarche
doit être parallèle ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Oui !
M. Charles DESCOURS, président - Selon vous, il serait artificiel de
s'inquiéter de la veille sanitaire et de la sécurité des
produits thérapeutiques sans parler des aliments ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - L'histoire de l'aliment, c'est celle du
médicament : on est en train de revivre la même chose ! On n'a
jamais aussi bien mangé qu'aujourd'hui, cela n'a jamais
été aussi varié et aussi peu cher, mais il n'y a jamais eu
potentiellement autant de risques, un peu comme pour le médicament. Or,
à chaque fois, ce sont des événements dramatiques qui ont
conduit le législateur à prendre des mesures en la matière
! Je pense donc que l'histoire de la vache folle doit être l'occasion de
légiférer.
Que doit-on prendre dans la filière du médicament pour
l'appliquer à l'agro-alimentaire ? ... A mon avis, il faut imiter la
démarche "qualité". Certains ont déjà
réfléchi à tout cela. Il faut que cela se fasse en trois
étapes.
A l'heure actuelle, la répression des fraudes consiste en une
démarche répressive, largement en aval. Il faut changer la
mentalité de nos contrôles et les faire réaliser beaucoup
plus en amont, par les acteurs des filières eux-mêmes.
Il faut que les concepts qui ont fait leurs preuves dans le domaine du
médicament passent dans l'agro-alimentaire. C'est peut-être plus
difficile, car les masses critiques ne sont pas celles des grandes firmes
pharmaceutiques, mais on peut néanmoins réaliser en amont des
choses extrêmement simples...
M. Charles DESCOURS, président - Il y a quelques laboratoires mais des
milliers de fermes !
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Certes, mais les éleveurs eux-mêmes
peuvent améliorer la situation ! Ainsi, il n'existe pas de cahiers
d'élevage, et donc aucune traçabilité. Ne pourrait-on
éduquer l'éleveur en exigeant de connaître l'histoire de
son produit sur le plan thérapeutique et pathologique ? Cela fait partie
de la démarche "qualité"...
M. Charles DESCOURS, président - Les éleveurs commencent à
en parler !
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Par ailleurs, il faut une seconde étape, qui
correspond à ce que font les services vétérinaires, qui
sont là pour assister les filières et les aider, dans un esprit
de partenariat et non de répression.
Ce n'est qu'alors qu'intervient la répression, pour vérifier que
le produit ne va pas se trouver dénaturé par la distribution, les
restaurants, mais je ne pense pas que la bataille de la sécurité
alimentaire sera gagnée par la répression ! Elle ne sera
remportée que par les acteurs eux-mêmes, grâce à des
auto-contrôles, dont ils écriront les normes et les
procédures.
A l'heure actuelle, dans l'alimentation, il existe des maillons où
personne ne contrôle quoi que ce soit !
Il existe également une distorsion entre la filière
végétale et la filière animale. Or, la filière
végétale pose autant de problèmes.
Le ministère de la consommation a été créé
en 1981, et rattaché au ministère des finances. Il a alors
accueilli la répression des fraudes, ainsi que nombre d'agents
libérés du contrôle des changes et habitués à
contrôler les prix. Par ailleurs, un certain nombre de douaniers ont
intégré le ministère. Or, je ne pense pas que la bataille
de la sécurité se gagnera grâce à la
répression. Le dispositif doit au contraire s'établir autour de
la formation des hommes et permettre l'arrivée d'intellectuels dans le
circuit...
M. Charles DESCOURS, président - De qui cela doit-il dépendre ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - C'est le ministère de l'agriculture qui doit
être leader. Ce sont eux les spécialistes !
Il existe trois étapes. La première est réalisée
par des acteurs, dont je ne sais pas à quel ministère ils
appartiennent -beaucoup sont au ministère de l'agriculture, mais,
après tout, il y a aussi des transformateurs et des industriels. La
deuxième étape est constituée par ceux qui travaillent en
partenariat avec les premiers, qui les forment : c'est typiquement
l'agriculture. Par contre, l'interface consommateurs-produits est plus
oecuménique, et l'on peut imaginer que les finances interviennent
à ce niveau, mais en dernier lieu.
Enfin, l'alimentation peut être parfaite, mais si le consommateur a le
sentiment qu'elle ne l'est pas, cela ne passera pas ! Je me donc demande si
l'on a assez de sociologues et d'ethnologues pour étudier nos
comportements vis-à-vis de notre alimentation. Le sentiment
général de la population est qu'on mange très mal
aujourd'hui, alors qu'on mange infiniment mieux qu'autrefois. Il n'y a
pratiquement plus de toxi-infections en France...
La situation d'avant-guerre était dramatique par rapport à celle
d'aujourd'hui, et pourtant les gens sont insatisfaits ! Je me demande si l'on
connaît suffisamment le comportement alimentaire de nos concitoyens !
Il faudrait donc des gens pour faire fonctionner toute la filière et
éviter les manipulations journalistiques, car l'opinion des gens n'est
pas forcément fondée sur des réalités, mais
plutôt sur ce qu'ils croient être la réalité !
Pourtant, les aliments n'ont jamais été aussi bons et aussi peu
chers. Or, la réduction des coûts a permis le développement
de la Sécurité sociale, des loisirs, etc. Si on revenait au
système ancien, il faudrait faire des sacrifices ailleurs !
La démarche scientifique devrait donc établir plus objectivement
la situation, afin que l'opinion publique n'aille pas à l'encontre d'un
réel progrès, bien qu'une gestion des risques s'impose, pour
éviter précisément des problèmes comme celui de la
vache folle.
Le second point que j'aimerais maintenant aborder concerne l'Organisation
Mondiale du Commerce et les conséquences que celui-ci va avoir sur nos
échanges. Dans le cadre du GATT, le comité chargé des
mesures sanitaires et phytosanitaires a décidé, dans le but de
favoriser les échanges, que les seuls obstacles possibles aux
échanges seraient fondés sur la sécurité, à
l'exclusion de tout autre critère. L'idée est que l'on ne pourra
s'opposer à l'entrée ou au commerce de produits que s'ils posent
un problème de sécurité.
Le cas des anabolisants est, de ce point de vue, exemplaire. Comme vous le
savez, ceux-ci sont interdits en Europe. Or, la décision politique n'a
pas été prise pour des raisons scientifiques, mais parce que les
consommateurs n'en voulaient pas, sans que l'on se préoccupe de savoir
si c'était dangereux ou non !
Cependant, on a signé les accords de l'OMS, où il est
indiqué qu'on ne tient plus compte des critères sociaux,
culturels, religieux, etc., ceux-ci n'étant pas universels. La preuve :
ils sont propres à l'Europe et les Américains ne les partagent
pas. Eux prétendent que seuls les critères de
sécurité doivent intervenir. Or, aucun expert au monde n'a
été capable de démontrer que les anabolisants
étaient dangereux...
M. Bernard SEILLIER - J'ai lu quelque part qu'il faudrait manger un boeuf par
jour pour trouver une trace d'hormones dans l'organisme...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - La quantité journalière
supplémentaire pour un anabolisant représente un centième
de la production d'hormones d'un jeune garçon impubère !
Les anabolisants ne sont donc pas dangereux, mais, bien que l'on ait
signé le GATT, l'Europe, pour des raisons culturelles, n'en veut pas.
Les Américains, quant à eux, estiment qu'il n'y a aucune raison
que nous nous opposions à l'arrivée de viandes anabolisées
-et ils ont raison sur le plan réglementaire.
Toutes ces normes sont fixées par trois grands organismes. Tout d'abord,
l'OIE, à Paris, qui est traditionnellement dirigé par un
Français.
A priori
, la France a une présence réelle
en la matière, et l'on ne se laisse pas dépasser par les
événements...
Les deux grands autres organismes connaissent de grandes défaillances en
termes de présence française. Il s'agit du Codex alimentarius,
qui comprend des sous-sections pour les résidus d'aliments. Les
Américains sont d'ailleurs arrivés à faire voter des
limites maximales de résidus pour les anabolisants, la présence
européenne -ou française- n'étant peut-être pas
suffisante. Cela a été parfaitement analysé par le quai de
Bercy : absence de professionnalisme, absence d'experts, absence de
scientifiques.
Le ministère devait prendre des mesures à cet égard, afin
que nos scientifiques soient capables d'investir tous ces grands organismes et
fassent prévaloir nos positions. A l'heure actuelle, les
Américains sont les plus forts. Il faut reconnaître que, sur le
plan scientifique, ils sont particulièrement bons et extrêmement
organisés : ils viennent avec leur scientifiques et leurs juristes. A
côté, nous sommes des amateurs !
Le troisième organisme est la convention internationale pour la
protection des végétaux. Il s'agit de comités mixtes
FAO-OMS...
M. Charles DESCOURS, président - Depuis quelques jours, on nous parle
beaucoup du maïs trangénique...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - C'est encore autre chose. Je connais moins bien le
sujet : je suis vétérinaire...
Tout va donc se décider en matière de normes de
sécurité dans ces trois organismes. Il faut que nos pays
européens -et plus particulièrement la France- soient
présents dans ces organismes pour faire prévaloir nos positions.
M. Charles DESCOURS, président - Vous dites que cela concerne le
ministère de l'agriculture. Mais cela soulève quand même
des problèmes de santé...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Le ministère de la santé va être
impliqué dans de telles affaires. Effectivement, il existe des luttes
entre ministères. Cela a été très bien
exposé dans un document du COPERCI. Ce rapport a d'ailleurs
été examiné par le conseil scientifique du
ministère de l'agriculture, dont je fais partie, et nous avons
adhéré à leur analyse, qui préconise que nos
organismes de recherches valorisent les activités des experts. Or, ce
n'est pas le cas à l'heure actuelle. L'INRA, par exemple, n'a jusqu'ici
envoyé que très peu d'experts, car l'expertise n'est pas
valorisée dans le déroulement des carrières.
Voilà le type de dispositions qu'il faudrait prendre pour que nos pays
envoient des experts à Rome, etc.
M. Charles DESCOURS, président - Pourquoi est-ce suicidaire pour
quelqu'un de l'INRA d'avoir une activité d'expertise ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - ... Lorsque vous êtes scientifique, votre
carrière va se faire uniquement sur votre notoriété
scientifique et vos publications. L'activité d'expertise est très
peu valorisée dans les grands organismes de recherches.
De fait, il serait bon qu'à partir d'un certain âge, un
scientifique sache quitter son emploi et aille -ce que font d'ailleurs les
anglo-saxons- dans l'administration et les grands organismes.
M. Bernard SEILLIER - Le ministère de l'industrie reconnaît un
tiers-temps pour les enseignants chercheurs de l'école des mines : un
tiers recherche, un tiers enseignement et un tiers expertise. Ils sont
jugés aussi dans leur carrière par rapport à ce qu'ils
font à ce titre.
Il faut le généraliser à d'autres filières,
notamment l'agriculture et la santé...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Les experts agissent à titre
indépendant dans ces grands organismes. On exige d'eux qu'ils aient une
notoriété scientifique, et cela constitue un handicap pour
certains fonctionnaires.
Il faut engager les scientifiques dans ces filières et les
professionnaliser dans l'expertise. Or, pour l'instant, les gens y vont
à titre individuel, sans billet d'avion, ni secrétariat.
D'autre part, il faut qu'il existe également des cellules de veille
technologique dans les ministères...
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce que l'on veut faire ! En tout
état de cause, s'il existe des tas d'organismes, il se confirme qu'ils
s'ignorent les uns des autres...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Une coordination et des arbitrages sont manifestement
nécessaires.
M. Charles DESCOURS, président - Que pensez-vous du réseau
national de santé publique ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Je suis allé les voir à propos de la
morphine dans la chaîne alimentaire. On a récemment emblavé
6.000 hectares d'oeillettes pour produire notre propre morphine. Or, on a un
jour découvert de la morphine dans l'urine des chevaux. En remontant la
filière, on s'est aperçu que les machines qui coupaient la
luzerne destinée à l'alimentation des chevaux n'étaient
pas convenablement nettoyées après la fauche des oeillettes,
provoquant ainsi une pollution par la morphine plus ou moins bien
maîtrisée.
J'ai donc proposé au réseau national de santé publique
d'utiliser l'urine de cheval comme témoin des pollutions possibles et
imaginables par cette filière. Malheureusement, ils n'en ont pas les
moyens, et je n'en ai plus jamais entendu parler !
Quant aux hommes et à la formation, à l'heure actuelle, il y a un
prestige considérable de la biologie au détriment de toutes les
disciplines intégrées. Nous manquons de bactériologistes.
On n'a plus de toxicologues, de botanistes ou de physiologistes, car ce n'est
pas suffisamment prestigieux !
Or, les véritables experts doivent avoir une culture transversale, et je
plaide pour des formations par la recherche dans des disciplines plus
intégrées, permettant à ces gens de rejoindre le monde de
l'entreprise ou l'administration. On a une machine extraordinaire à
fabriquer des chômeurs, notamment en biologie, et je crois qu'il faudrait
une réflexion à ce niveau.
On a besoin de cadres de très haut niveau pour régler tous les
problèmes de société qui se posent en matière de
sécurité, et cela nécessite une formation par la recherche
et non exclusivement pour la recherche !
Je voudrais encore faire passer un message sur le rôle des scientifiques.
On a essayé de faire dire aux scientifiques que les anabolisants
étaient dangereux... Il faut que les scientifiques restent dans leur
rôle et que les politiques assument leurs décisions ! Vous trouvez
toujours un faux expert pour dire que les anabolisants sont dangereux, mais ce
faisant, on décrédibilise totalement la parole du scientifique !
A l'heure actuelle, en matière de vache folle, certaines personnes
feraient mieux de se taire !
M. Bernard SEILLIER - Comment organiser la coopération de tous les
organismes qui existent au sein du ministère de l'agriculture, avec les
compétences qui existent également au ministère de la
santé ?
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Je ne sais s'il faut créer une agence ou une
superstructure pour mobiliser tout ce monde-là et les faire agir.
M. Bernard SEILLIER - Lorsque survient un problème de
sécurité alimentaire, la population interroge le ministère
de la santé, alors que le ministère technique, c'est
l'agriculture...
M. Pierre-Louis TOUTAIN - Il y a peut-être une réflexion à
avoir pour coordonner l'effort de tous ces gens... Profitez de la vache folle :
dans deux ans, on n'en parlera peut-être plus ! Vous avez là une
occasion unique de faire passer un message en matière de qualité.
L'agro-alimentaire est stratégique pour notre pays !
B. AUDITION DE M. DOMINIQUE DORMONT, PRÉSIDENT DU COMITÉ SUR LES ENCÉPHALOPATHIES SUBAIGUËS SPONGIFORMES TRANSMISSIBLES ET LES PRIONS.
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le
Président, un certain nombre d'événements, dont la vache
folle, l'amiante, et les extraits hypophysaires, nous ont amenés
à penser que la veille sanitaire, dans notre pays, devait probablement
manquer de coordination.
Pourquoi la communauté scientifique française -en dehors de vous
et de votre prédécesseur- n'a-t-elle pas été
alertée sur le problème de la vache folle ? Selon vous, qu'elles
sont les mécanismes qui n'ont pas fonctionné ? Que faudrait-il
faire pour que cela fonctionne ?
M. Dominique DORMONT - Je ne partage pas du tout l'analyse que vous faites, en
ce sens que s'il y a bien un pays où, précisément, ces
problèmes ont été pris en considération au sein de
l'Union européenne, en dehors de la Grande-Bretagne, c'est bien la
France !
M. Charles DESCOURS, président - C'est ce qu'on nous dit, mais nous,
nous ne l'avons pas su !
M. Dominique DORMONT - Votre analyse, si je puis me permettre, est pertinente
sur le plan général de l'action des pouvoirs publics. En
revanche, pour ce qui est de l'administration de la veille sanitaire et de la
direction générale de la santé, elle est un peu
sévère.
En d'autres termes, si une même autorité avait été
en charge de l'alimentation, des maladies et des prospectives -comme la FDA
américaine- probablement les choses auraient-elles été
plus précoces et plus visibles dans leur traduction pour le public et
les élus.
Le problème de l'apparente opacité vient du fait que les diverses
autorités qui ont à intervenir dans la crise de la vache folle
sont multiples : agriculture, éleveurs, alimentation, répression
des fraudes, santé, etc.
Cependant, dès 1989 les autorités de santé, au niveau de
la direction de la veille sanitaire, se sont interrogées sur la possible
transmission de l'agent bovin à l'homme, au travers de conversations
informelles avec les scientifiques et ont appris que ce que savaient tous les
scientifiques qui travaillaient sur le sujet -peu nombreux certes, mais
identifiables à savoir que ces agents pouvaient changer d'espèce.
Dès 1990-1991, la direction de la pharmacie et du médicament,
devenue depuis l'Agence du médicament a traité la question du
passage à l'homme de l'agent bovin au travers des actes
thérapeutiques, à un moment où l'on commençait
seulement à prévoir une catastrophe économique -et
uniquement économique- en Grande-Bretagne.
La veille sanitaire a donc fait son travail et pris en compte un risque
hypothétique. Tous les médicaments d'origine biologique -y
compris bovine- ont été réexaminés. Ils ont
dès lors éliminé systématiquement tous les
médicaments n'ayant pas fait la preuve de leur efficacité et,
lorsqu'il y avait une efficacité démontrée ou
suspectée, tous les dossiers de production des médicaments ont
été revus par un groupe de virologues. Ce groupe a émis un
avis quant au rapport bénéfice-risque du médicament, et
tous ceux dont le risque l'emportait sur le bénéfice ont
été interdits.
Ceci remonte à 1991-1992. Cela démontre bien que, pour ce qui est
du médicament et de la veille sanitaire au sens large, les
schémas mentaux intégraient bien le fait que l'agent pouvait
passer à l'homme...
M. Charles DESCOURS, président - Mais la veille sanitaire devrait aussi
se traduire par des recommandations alimentaires...
M. Dominique DORMONT - Là s'arrêtent mes compétences. Je
suis médecin et chercheur, et je ne connais par l'articulation des
diverses administrations. Je ne sais pas quel est le pouvoir d'interaction de
la direction générale de la santé avec la direction
générale de l'alimentation. Je ne puis donc vous fournir autre
chose qu'un sentiment épidermique et un avis de citoyen, qui n'a pas
d'importance ici !
M. Charles DESCOURS, président - C'est pire que ce que je croyais,
alors ! L'Agence du médicament a fait son travail, mais personne
n'a dit que cela pouvait passer à l'homme et interdit d'en manger ! Il a
fallu attendre plusieurs années...
M. Dominique DORMONT - Je présenterai peut-être les choses
différemment...
J'interagissais avec la direction générale de la santé et
l'Agence du médicament, et j'étais l'"expert", entre autres, que
l'Agence consultait sur ce point, mais, comme vous le savez, le
ministère de l'agriculture devait lui aussi avoir ses experts. Je pense
que l'agriculture n'a pas vécu ce problème sans demander l'avis
à des experts scientifiques, le ministre de l'agriculture ayant
participé, ès-qualité, à des réunions au
niveau européen sur ce sujet avant le déclenchement de la crise
de la vache folle...
M. Charles DESCOURS, président - Vous ne connaissez pas, vous,
spécialiste du prion, les spécialistes du ministère de
l'agriculture ?
M. Dominique DORMONT - Je ne savais pas qui était spécialiste au
ministère de l'agriculture à cette époque. Je sais
aujourd'hui qui a des contacts avec le ministère, grâce au
comité interministériel.
Ce comité est constitué de 24 membres, 8 désignés
par la santé, 8 par la recherche, 8 par l'agriculture. Il est
régulièrement interrogé par quatre directeurs de
l'administration : les directeurs généraux de l'alimentation, de
la répression des fraudes, de la santé et de la recherche et de
la technologie...
Depuis le 17 avril, date de la création de ce comité, ces quatre
grandes directions posent directement des questions, auxquelles nous
répondons, mais, avant cela, chaque administration s'était
entourée d'avis scientifiques qui ne passaient pas nécessairement
par les mêmes têtes -et c'est normal. Qui plus est, les hommes ne
sont que des hommes -même les scientifiques- et peuvent se tromper. Il
est donc sain que plusieurs experts soient interrogés.
M. Charles DESCOURS, président - Qui sont ces experts qui travaillent
pour le ministère de l'agriculture ?
M. Dominique DORMONT - Il s'agit, entre autres, du professeur Marc Savey,
professeur à l'école vétérinaire à
Maisons-Alfort, qui, dès 1990, a évoqué le problème
du passage de l'agent bovin à l'homme.
M. Charles DESCOURS, président - Les scientifiques ont donc
alerté les pouvoirs publics dès 1990...
M. Dominique DORMONT - En 1992, les mesures relatives aux médicaments
étaient prises. La réflexion qui a conduit à envisager ces
mesures, puis le déroulement des procédures et la mise en place
des mesures ont demandé environ 18 mois...
De même, les outils thérapeutiques, du type thérapie
génique ou thérapie cellulaire, sont autorisés par
l'Agence du médicament et suivent donc la même procédure.
Tout essai clinique devant passer par l'Agence du médicament, les
dossiers de préparation des procédés thérapeutiques
étaient donc examinés, les sérums de veau en particulier...
M. Claude HURIET, rapporteur - ... Pour la thérapie génique, mais
pas pour la thérapie cellulaire...
M. Dominique DORMONT - ... Aussi : j'ai moi-même revu des dossiers de
thérapie cellulaire...
M. Claude HURIET, rapporteur - Hors compétence de l'agence du
médicament...
M. Dominique DORMONT - ... Pas pour les essais cliniques ! Il ne peut y avoir
essai clinique si le groupe de sécurité virale ne donne pas son
aval avant, y compris pour les milieux de culture ! Si l'on suit la
procédure légale, depuis plusieurs années maintenant, rien
de biologique ne peut être injecté à quelqu'un sans qu'il y
ait eu avis d'un groupe de virologie.
M. Charles DESCOURS, président - A partir des années 1990, il
existait donc des présomptions scientifiques sérieuses quant au
passage inter-espèces, du fait de l'épisode de l'hormone de
croissance...
M. Dominique DORMONT - Je me suis mal exprimé : c'est parce que leur
attention a été attirée sur ces agents que les pouvoirs
publics y ont été sensibles...
M. Charles DESCOURS, président - Des décisions définitives
ont été prises en 1992, le temps de les mettre en place pour le
médicament. De quand datent les premières décisions
alimentaires ?
M. Dominique DORMONT - Il existe, au niveau de la CEE, un embargo remontant
à juillet 1989 sur les bovins nés en Angleterre avant le 18
juillet 1988, et sur les veaux issus de vaches atteintes de
d'encéphalopathie bovine.
M. Charles DESCOURS, président - Cela a-t-il été
appliqué ou non ?
M. Dominique DORMONT - Je suis médecin et chercheur, et je ne peux pas
le dire...
M. Charles DESCOURS, président - Il n'y aurait pas eu de crise si cela
avait été appliqué !
M. Dominique DORMONT - ... 12 juin 1990 : déclaration obligatoire de
l'encéphalopathie bovine...
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous menons une réflexion qui,
vraisemblablement, débouchera sur des propositions relatives à
l'organisation générale qui, en France, pourra assurer une
meilleure sécurité sanitaire des produits destinés
à l'homme et un renforcement de la veille sanitaire.
C'est à travers l'encéphalopathie subaiguë spongiforme que
votre expérience nous intéresse. La question qui vous concerne de
plus près porte davantage sur l'histoire de l'hormone de croissance. Or,
on est là dans un domaine qui nous touche, qui est celui de la
sécurité sanitaire des produits thérapeutiques.
Concernant les pathologies liées au prion, y a-t-il des
conséquences que vous pouvez percevoir en tant qu'expert scientifique
quant à la continuité de la filière ? Peut-on être
amené à dissocier la démarche sécuritaire des
produits thérapeutiques de la sécurité sanitaire des
produits alimentaires ?
L'exemple de l'hormone de croissance me paraît pouvoir préciser le
sens de ma question : où cela commence-t-il, où cela
s'arrête-t-il et pourquoi certaines certitudes, ou certaines
présomptions, émanant des scientifiques, ne sont-elles pas
forcément reprises ?
M. Charles DESCOURS, président - Pour prendre un autre exemple, il y a
trente-cinq ans -peut-être même plus- que l'on parle des cancers
dus à l'amiante. Pendant des années cependant, les pouvoirs
publics n'ont pas interdit l'amiante : pourquoi ?
M. Dominique DORMONT - ... Parce que c'est un risque théorique, et tant
qu'il n'est pas directement appréhendé par les gens qui
décident, vous n'avez pas prise de décision !
M. Charles DESCOURS, président - Le mésothélium
n'était pas un risque théorique !
M. Dominique DORMONT - Pas pour nous, médecins, mais le problème
ne s'était pas posé en termes de santé publique. Pour
l'épidémie bovine, c'est pareil !
M. Charles DESCOURS, président - Pourquoi n'était-ce pas
posé en termes de santé publique ?
M. Dominique DORMONT - ... Parce que cela n'avait pas mis en cause une
structure ou une responsabilité de la puissance publique, politique,
juridique.
C'est ainsi que s'effectue la démarche, d'autant que se greffent des
influences non médicales. Par ailleurs, dans un nombre restreint de cas,
il est vrai que les chercheurs peuvent avoir des craintes qui ne se
vérifient jamais.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pour les décideurs, il s'agit d'un risque
possible mais inchiffrable et de conséquences politiques et
économiques extraordinaires...
M. Dominique DORMONT - Selon moi -mais je connais mal les rouages
administratifs- le problème est amplifié par le fait que la
santé publique n'est pas une compétence européenne, alors
que l'agriculture en est une. Beaucoup de choses qui ont trait à la
santé publique, à travers l'alimentation, se règlent ainsi
à Bruxelles, par le biais des experts en agriculture. Par ailleurs, en
France surtout, il existe un éclatement assez important des
administrations en charge de ce problème.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez dit qu'il fallait une
autorité unique...
M. Dominique DORMONT - Il s'agit d'une définition des priorités :
ou bien celle-ci est économique, mais on l'affiche et on accepte d'en
payer le coût humain...
M. Charles DESCOURS, président - Politiquement, c'est impossible !
M. Dominique DORMONT - ... Ou bien la priorité est la protection de la
santé publique, et alors il faut s'en donner les moyens. Je ne connais
toutefois pas d'exemple de coopération entre administrations qui puisse
se dégager totalement de tout impératif économique !
Tant qu'une autorité ne couvrira pas ès-qualité l'ensemble
des domaines de la santé publique, vous risquez de vous retrouver devant
des problèmes de cet ordre !
M. Claude HURIET, rapporteur - Voyez-vous cette autorité unique
intervenir à la fois sur la sécurité sanitaire des
produits thérapeutiques et la veille sanitaire, ou
considérez-vous indispensable que le ministère de la santé
intervienne d'un bout à l'autre de la chaîne ?
M. Dominique DORMONT - Aujourd'hui, le médicament est effectivement
totalement sous la responsabilité du ministère de la
santé. D'ailleurs, on ne déplore aucun problème majeur
depuis la mise en place de l'Agence du médicament, de l'Etablissement
français des greffes et de l'Agence française du sang...
M. Charles DESCOURS, président - Ces trois agences vous paraissent-elles
pertinentes ?
M. Dominique DORMONT - Je n'ai pas les moyens de vous le dire : il faut avoir
une vision plus globale que la mienne. Pour ce que je peux en juger, chacun,
dans son domaine, travaille bien. Néanmoins, cette réforme a
quand même apporté une rigueur qui était
nécessaire...
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est largement grâce à la
commission des affaires sociales du Sénat !
M. Charles DESCOURS, président - ... Et à Claude Huriet !
M. Dominique DORMONT - La tutelle du ministère de la santé sur
ces agences fait qu'il existe une cohérence, et ce qui est
réclamée par l'Agence du médicament n'est pas
fondamentalement différent de ce que demandent l'Agence du sang ou
l'Etablissement français des greffes. La méthodologie et la
philosophie de la sécurité du produit que l'on réinjecte
à l'homme sont communes. Tout le problème est de savoir si
l'alimentation doit entrer dans cette filière.
M. Claude HURIET, rapporteur - ... Et pas seulement l'alimentation !
M. Dominique DORMONT - ... Ou la cosmétologie ou autres ! Soit vous
adoptez une attitude anglo-saxonne et vous créez une FDA, soit vous
considérez -et je ne suis pas loin de le penser- que les blocages
structurels en cas de disparition et de rattachement de l'alimentation à
la tutelle du ministère de la santé seraient trop importants,
auquel cas il faut mettre en place un système d'alerte constant
auprès des deux ministères.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous êtes donc d'accord sur le fait que
l'idée d'une autorité unique doit être défendue avec
plus de vigueur pour tout ce qui touche à la veille sanitaire ?
M. Dominique DORMONT - Je le pense.
M. Charles DESCOURS, président - Le problème est de savoir sous
quelle tutelle le placer...
M. Dominique DORMONT - Vous ne pouvez y échapper, et c'est là que
sera le blocage...
M. Charles DESCOURS, président - Les responsables
vétérinaires, même scientifiques, estiment faire partie de
l'agriculture...
M. Claude HURIET, rapporteur - ... Et la DGCCRF estime faire partie du
ministère des finances !
M. Dominique DORMONT - On sait que ce sont les crises qui font évoluer
le poids des structures trop importantes !
M. Charles DESCOURS, président - Il faudrait faire évoluer les
choses avant un nouveau drame !
M. Dominique DORMONT - Il faudrait obtenir les mêmes principes de
décision et faire en sorte que l'Union européenne les adopte. Il
existe par exemple un principe très simple, qui consiste à ne pas
faire entrer dans la chaîne alimentaire quelque chose qui n'est pas bon,
et ne pas donner à manger à un animal quelque chose qui n'est pas
reconnu apte à la consommation !
Ce principe de base, probablement élémentaire pour vous,
médecins, on a du mal à le faire passer en France, ainsi qu'au
niveau européen !
M. Charles DESCOURS, président - Que pensez-vous du réseau
national de la santé publique ?
M. Dominique DORMONT - Je n'ai pas beaucoup d'idées... A chaque fois
qu'on lui a demandé quelque chose, il l'a fait très bien. Un des
médecins du réseau national de santé publique fait
d'ailleurs partie du comité sur les encéphalopathies
spongiformes, et l'on a jusqu'à présent travaillé en bonne
coordination...
M. Charles DESCOURS, président - Est-ce qu'il a les moyens de sa
politique et de remplir sa mission ?
M. Dominique DORMONT - Je ne puis vous répondre sur ce point, mais je
peux faire une remarque d'ordre général, et en tant que citoyen :
je n'ai pas l'impression que la direction générale de la
santé et l'administration de la santé, dans sa globalité,
soient particulièrement choyées au plan des moyens et des
personnels !
On a l'impression d'une grande pauvreté ! Il paraît que c'est
encore pire pour la justice, mais la santé semble quand même le
parent pauvre dans l'histoire !
M. Claude HURIET, rapporteur - Le RNSP est tout jeune, mais on a quand
même augmenté ses crédits de 50 % !
M. Charles DESCOURS, président - ... On est parti de très bas !
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est d'ailleurs une constante...
M. Charles DESCOURS, président - Selon vous, dans la crise de la vache
folle, la décision relative au médicament a été
prise au bon moment par l'administration de la santé. Si on a un jour
des cas de maladie de Creutzfeld-Jacob, on ne dira pas qu'on a pris la
décision trop tard du côté de la santé...
M. Dominique DORMONT - J'espère que ce ne sera jamais le cas, mais si
l'on avait une épidémie de maladie de Creutzfeld-Jacob en France,
il se trouvera toujours quelqu'un pour demander pourquoi, le lendemain de la
parution du premier article sur l'encéphalopathie bovine, le ministre de
la santé n'a pas interdit tous les médicaments bovins.
Mais, pour reprendre une expression célèbre dans le monde
politique, "le bilan est globalement positif" !
M. Charles DESCOURS, président - La question que l'on peut se poser est
de savoir si c'est bien pareil du côté de l'agriculture...
M. Claude HURIET, rapporteur - Notre réflexion, vous le comprenez sans
doute mieux maintenant, consiste à réfléchir à ce
qui existe et aux conditions dans lesquelles nous pouvons, nous,
législateurs, contribuer à la mise en place d'un dispositif qui
ne soit pas créé sous le coup de l'émotion...
M. Dominique DORMONT - Je pense que vous avez un rôle important à
jouer. Les principes de raisonnement doivent être les mêmes
dès lors qu'on s'intéresse à la santé publique.
Vous devrez peut-être également faire porter votre action sur la
nature des contrôles qui doivent être mis en place, afin de
permettre une vision globale du problème...
M. Charles DESCOURS, président - A la différence qu'il existe une
démarche d'auto-contrôle dans les laboratoires pharmaceutiques,
alors qu'actuellement, les agriculteurs ne connaissent pas la
traçabilité...
M. Dominique DORMONT - Vous faisiez tout à l'heure allusion à
l'hormone de croissance. Trois pays ont eu des problèmes avec l'hormone
de croissance et ont contaminé les enfants avec l'agent de la maladie de
Creutzfeld-Jacob : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Dans ces trois
pays, les structures qui fabriquaient l'hormone de croissance étaient
des structures universitaires ou de recherche publique, où les gens,
bien qu'ils aient été pleins de bonne volonté et aient
réalisé un travail extrêmement important, n'étaient
pas des professionnels de la sécurité du médicament !
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est ce que l'on disait à propos de la
thérapie génique et cellulaire !
M. Dominique DORMONT - ... A l'inverse, les pays dont les firmes
pharmaceutiques ont une véritable culture en matière de
sécurité du médicament et qui produisaient l'hormone
n'ont, à ce jour, enregistré aucun cas de contamination !
M. Claude HURIET, rapporteur - C'était un argument très fort pour
défendre l'idée de légiférer en matière de
thérapie génique et cellulaire.
XI. SÉANCE DU MARDI 10 DÉCEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. NORBERT ANSELMANN, CHEF DU SECTEUR DISPOSITIFS MÉDICAUX, COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
M. Norbert ANSELMANN - Je tiens tout d'abord à dire que
je suis très honoré d'être entendu par votre commission.
Je m'occupe des dispositifs médicaux à la Commission
européenne, secteur que j'ai créé et où je
travaille depuis sept ans maintenant. Je me suis occupé de la
première directive sur les dispositifs implantables actifs et de la
seconde directive concernant les dispositifs médicaux. Je suis
maintenant en charge de la troisième directive concernant les
dispositifs de diagnostic
in vitro
.
Pour nous, un dispositif médical n'est pas seulement un produit
thérapeutique : il peut s'agir d'appareils -implants ou autres- à
destination thérapeutique ou diagnostique ou même de dispositifs
utilisés par les handicapés. Le secteur est extrêmement
large.
Les directives sont fondées sur l'article 100 A du Traité. Dans
ce domaine, la situation était auparavant extrêmement
hétérogène, et de larges gammes de produits demeurent non
réglementées, aussi bien en France que dans les autres pays.
Ainsi, les valves cardiaques ou les implants mammaires -produits relativement
délicats- n'étaient-ils pas réglementés.
Bien entendu, notre législation vise d'une façon homogène
à protéger les aspects de santé et à favoriser la
libre circulation des produits.
De ce point de vue, notre objectif est la protection de la santé des
patients, mais également du personnel médical ainsi que des tiers
qui peuvent être concernés, lorsqu'il y a radiations par exemple.
Il s'agit là d'une nouvelle approche, destinée à
protéger la santé et la sécurité des citoyens
européens. Ce me semble l'instrument approprié destiné
à la gamme de produits dont nous parlons.
Nos exigences essentielles portent sur la fabrication et la construction des
produits. Nous disposons également de procédures
d'évaluation de conformité. Le fabricant travaille sous sa propre
responsabilité ou recourt à un organisme de certification qui
doit établir la conformité grâce au marquage CE.
Les aspects bénéfice/risque sont suffisamment
élaborés. Les préconisations essentielles sont
développées dans deux chapitres, un chapitre
général et un chapitre plus spécifique. Dans le chapitre
général, la première clause précise qu'un
dispositif ne doit pas compromettre la santé ni la
sécurité des patients, et stipule que les risques doivent
être acceptables par rapport aux avantages que l'on attend du dispositif.
La sécurité absolue n'existe pas, mais nous réduisons les
risques au maximum, et le fabricant doit procéder à une analyse
des risques de façon systématique.
Une autre clause générale précise que le fabricant doit
tenir compte de la sécurité en essayant d'abord de réduire
les risques inhérents à la conception même du produit. Ce
n'est pas toujours faisable, comme dans le cas des émissions
électromagnétiques...
Cependant, il restera toujours des risques. Il faudrait par exemple trouver des
moyens de protection contre les rayons X.
En outre, il faudrait informer le patient et l'utilisateur des risques
résiduels.
Il existe enfin, en termes d'analyse des risques, un projet de norme
européenne.
Il existe d'autres étapes, comme la maîtrise et le management des
risques, et l'on tente d'élaborer à ce sujet des normes qui
tiennent compte des différentes approches scientifiques.
On trouve ainsi quatre classes de produits, répartis selon la
gravité des conséquences en cas de défaut. Ainsi, pour une
valve cardiaque, celles-ci peuvent être bien sûr plus graves que
pour une lentille de contact.
Pour les classes II A, II B et III, la construction, ainsi que toute la
fabrication, font l'objet d'une vérification par un organisme de
certification, que nous appelons organisme notifié...
M. Claude HURIET, rapporteur - Les objectifs que vous venez d'évoquer
répondent à mes interrogations, mais on est cependant
confronté à l'extrême
hétérogénéité des dispositifs.
Quelles garanties les organismes notifiés peuvent-ils avoir en
matière de bénéfice/risque ? Pour nous, c'est un
problème extrêmement important !
Est-on dans un dispositif d'auto-contrôle décentralisé ?
... Dans ce cas, on peut s'interroger sur l'efficacité de structures
qui, une fois leur notification obtenue, échapperaient à
l'autorité de l'Union européenne...
M. Norbert ANSELMANN - Nous disposons actuellement de cinquante normes
harmonisées. Deux cent cinquante à trois cents sont par ailleurs
en élaboration.
Depuis sept à huit ans, nous avons réussi à mettre en
place des référentiels qui permettent une meilleure
appréciation des risques que par le passé.
Vous avez dit par ailleurs que les organismes notifiés assumaient des
fonctions déléguées. Selon moi, ils assument toujours des
fonctions publiques, même si leur caractère peut être
privé ou public. Ils doivent refuser les certificats si les conditions
ne sont pas réunies et être sous le contrôle permanent des
autorités compétentes. Nous avons ainsi une dizaine de groupes au
sein desquels l'application est plus ou moins homogène.
Je dois admettre que la nouveauté du système nous cause encore
quelques problèmes, mais on doit le laisser mûrir avec le temps.
L'évolution est d'ailleurs relativement rapide...
Afin d'obtenir une application homogène, nous avons formé
différents groupes de travail, dont un groupe d'organismes
notifiés, à l'intérieur duquel une "task force" s'est
occupée de la certification des implants mammaires, du fait d'une clause
de sauvegarde française, et a élaboré certaines
recommandations.
L'enquête publique relative à certains projets de normes qui n'ont
pas été adoptés à ce stade circule
également. Ces projets existent et sont déjà
utilisés...
M. Claude HURIET, rapporteur - On reste là dans la procédure
d'instruction administrative. Pour le médicament, il existe, en termes
de conditions de fabrication, des possibilités d'inspection, des normes
pour les laboratoires, dont une autorité s'assure qu'elles sont bien
respectées. Par la suite, toute une démarche d'inspection se met
en place.
Le rôle de l'instance communautaire s'arrête-t-il à la
définition des normes imposées aux organismes notifiés, du
fait de la subsidiarité, ou existe-t-il une évaluation et un
contrôle et, si oui, dans quelles conditions ? Est-ce du pouvoir des
Etats ?
M. Norbert ANSELMANN - Notre rôle n'est pas comparable à celui de
l'Agence du médicament. Nous ne faisons pas d'évaluation
nous-mêmes. Nous organisons une simple mise en oeuvre, en faisant en
sorte qu'elle soit la plus uniforme et la plus correcte possible.
Toutefois, il existe deux phases, avant et après la mise sur le
marché. Il existe différentes façons d'obtenir le marquage
CE. Pour les valves cardiaques, par exemple, on pratique une
vérification scientifique de la construction et de la fabrication du
produit, qu'il soit fabriqué aux Etats-Unis ou en Europe, y compris en
termes de bilan bénéfice/risque...
M. Charles DESCOURS, président - Qui pratique cette vérification ?
M. Norbert ANSELMANN - Ce sont les organismes notifiés.
Pour les produits présentant un risque élevé, les deux
éléments principaux sont la vérification de la
construction du design, ainsi que des procédés de fabrication
-les principes de l'assurance-qualité.
Dans la seconde phase, celle de la vigilance, interviennent les
autorités compétentes. On relève donc une dichotomie :
d'un côté, l'organisme notifié prend une décision
pour la Communauté tout entière ; de l'autre, les
autorités compétentes, en tant que gestionnaires de la
procédure, exercent leur contrôle. Cette procédure est la
même que celle qui existe dans le domaine des médicaments.
Chaque Etat membre doit posséder une unité centralisée
organisée de façon à pouvoir recevoir des notifications du
fabricant, afin de prendre le cas échéant les mesures qui
s'imposent.
Plusieurs groupements assurent donc le suivi des directives. D'autre part, nous
sommes aussi dotés d'un groupe de vigilance. Un "guide-lines"
précise la procédure à suivre en cas d'incident.
Nous avons déjà eu plusieurs réunions où les
unités centrales des différents Etats membres ont abordé
des cas précis de vigilance. Nous avons recensé plusieurs
centaines de cas de vigilance selon la nouvelle procédure.
Selon moi, cette dichotomie assure un certain équilibre, et le
rôle des autorités compétentes est pratiquement un
rôle de police. Elles s'assurent en effet que les produits comportent
bien le marquage CE, si ceci est justifié et, en cas de
problèmes, interviennent pour les résoudre.
Nous avons ainsi constaté que certains produits mis sur le marché
n'avaient pas respecté toutes les procédures. Dans ce cas, les
autorités sont intervenues pour demander au fabricant de suivre la
procédure et de fournir les informations, sous peine de retrait du
marché.
M. Bernard SEILLIER - Quels sont les critères imposés pour
pouvoir bénéficier du label d'organisme notifié ?
M. Norbert ANSELMANN - L'organisme notifié doit être
compétent du point de vue de la technologie concernée et des
fonctions médicales attendues des produits. Il doit être
également capable d'apprécier l'évidence clinique pour les
implants en termes de bénéfice/risque. Dans ce domaine, il doit
être capable de juger un dossier clinique. Il doit aussi avoir la
capacité d'analyse et la capacité administrative
d'apprécier les exigences de la directive, même en l'absence de
normes.
Ces éléments sont -de façon relativement abstraite-
indiqués dans la directive. Il appartient à chaque Etat membre de
vérifier la présence de ces critères et de prendre la
décision de notification, ce à quoi aucun Etat membre n'est tenu.
Enfin, un dernier groupe est en charge de la désignation et de la
surveillance des organismes notifiés. Du fait de la différence de
toutes ces structures, il existe toutefois certaines divergences dans les
procédures, et nous devons donc parvenir à un véritable
système de structures européen.
M. Claude HURIET, rapporteur - Au terme de cette audition, vous
considérez donc que toutes les mesures mises en place pour les
dispositifs dans le cadre de l'Union européenne sont susceptibles
d'apporter des garanties en termes de qualité de fabrication et de
sécurité, dans la mesure où les organismes notifiés
l'ont été sur des critères très exigeants, et qu'il
leur appartient de procéder aux contrôles et aux inspections, y
compris à travers des essais cliniques préalables à la
mise sur le marché ?
M. Norbert ANSELMANN - En effet. Je crois qu'on devrait accorder quelque
crédit à notre système, en ce sens qu'on est parti de
zéro. Or, il reste beaucoup de cartes à jouer dans ce secteur. On
a développé progressivement les termes de
référence, mais les instruments sont là. Il revient aussi
aux Etats membres de mettre en place les infrastructures -et là, il y a
encore des choses à améliorer...
M. Claude HURIET, rapporteur - Peut-on faire mieux, et à quelles
conditions ? Quand la réflexion sur la mise en place de la
procédure de marquage CE a-t-elle débuté ?
M. Norbert ANSELMANN - La première proposition sur les dispositifs
implantables actifs a été introduite en 1989.
La conception du système est bonne. Notre priorité porte sur le
contrôle des produits. Je suis en effet confronté à des
procédures de clauses de sauvegarde ainsi qu'à une certaine
méfiance vis-à-vis du travail de vérification. Cela nuit
un peu au système.
D'autre part, il existe des défauts de communication et d'organisation.
Ceci est encore à mettre en place. Les inerties sont également
dues au problème linguistique. Enfin, les ressources ne sont pas partout
disponibles et la disponibilité et la capacité à
communiquer constituent aussi parfois un problème.
XII. SÉANCE DU MERCREDI 18 DÉCEMBRE 1996
A. AUDITION DE M. WILLIAM HUNTER, DIRECTEUR DU SERVICE " SANTÉ PUBLIQUE ET SÉCURITÉ DU TRAVAIL ", COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
M. Charles DESCOURS, président - Votre Direction
s'appelle " Santé Publique et Sécurité du
Travail ".
Nous voulons évoquer le contrôle des produits
thérapeutiques en France, y compris la thérapie génique et
cellulaire.
Votre Direction est-elle concernée, et comment est-elle attentive aux
nouvelles pathologies qui pourraient apparaître ?
Est-ce que des organismes sont prévus à Bruxelles pour veiller
à cette sécurité ? Si oui, comment fonctionnent-ils ?
pourquoi pour la vache folle ont-ils attendu dix ans avant de s'émouvoir
? Y a-t-il des directives prévues ou prévisibles émanant
de Bruxelles ?
M. William HUNTER - Puis-je commencer par la santé et la
sécurité dans le travail ?
C'était le premier programme d'action en 1978. Depuis, il y a eu
énormément de directives couvrant l'ensemble des activités.
J'ai apporté quelques documents. Toute la législation
communautaire sur la santé et la sécurité figure dans
celui-ci, je vous le remets. Il couvre également les agents biologiques
protégeant la santé et la sécurité des
travailleurs. C'est la pierre angulaire de toute l'activité.
Puis il y a eu des directives particulières sur cette base.
Nous avons un projet de programme communautaire jusqu'à l'an 2000, pour
poursuivre la tâche et renforcer notre action dans les différents
domaines.
L'évaluation des risques pose question en France, mais aussi ailleurs.
Nous avons publié un mémento sur l'évaluation des risques
professionnels. Il est également applicable à l'ensemble des
risques.
Ce schéma montre comment faire cette évaluation. (Il le remet.)
C'est assez important dans les Etats membres.
Voilà pour la partie santé et sécurité dans le
travail. Maintenant je passe à la partie santé publique qui vous
intéresse plus particulièrement.
La santé publique n'existait pas avant 1993. Il y a eu une proposition
du Président Mitterrand en 1985 pour le cancer.
L'idée a été acceptée, et en 1987 il y a eu le
premier programme. Il y a eu aussi des actions sur le sida et la toxicomanie,
mais c'est seulement en 1993, avec la mise en oeuvre du Traité de
Maastricht, que nous avons eu un mandat pour commencer le travail dans le
domaine.
M. Charles DESCOURS, président - En 1993 vous l'avez fait sans fondement
juridique...
M. William HUNTER - ...Sans aucune compétence. C'étaient
plutôt des instructions des Etats membres, et de l'argent du Parlement,
pour des petites actions dans le domaine du cancer, du sida, etc. Nous n'avions
pas de possibilité de prendre des initiatives nous-mêmes.
En 1993 tout a changé. Trois semaines après la mise en oeuvre de
l'Acte unique, nous avons envoyé au Conseil une communication sur la
problématique dans le domaine de la santé publique.
Nous avons proposé huit programmes :
1) la poursuite du programme cancer ,
2) un programme sur le sida, en allant plus loin et en indiquant
" sida et
certaines autres maladies transmissibles ",
3) un programme sur la toxicomanie,
4) un programme sur la promotion de la santé, l'information et la
formation,
5) un programme sur les données et les indicateurs de la santé,
la surveillance.
Nous avons proposé trois autres programmes, également importants,
mais le Conseil a préféré les cinq premiers :
1) les maladies rares,
2) les accidents et blessures, première cause de mortalité chez
les personnes de moins de 35 ans,
3) les maladies liées à des pollutions.
M. Charles DESCOURS, président - Pour les premiers programmes
existait-il une ligne de crédits avec des subventions pour des actions
de recherche, de surveillance, etc. ?
M. William HUNTER - Oui, j'ai ici le Journal Officiel qui contient les trois
premiers programmes sur la promotion de la santé, le cancer, et le sida
et les maladies transmissibles.
M. Charles DESCOURS, président - Faites-vous des bilans de ces actions ?
M. William HUNTER - Ces programmes ont été publiés en mars
96, on a créé les comités, on commence à financer
des actions.
M. Charles DESCOURS, président - L'Acte unique concerne la santé
publique ?
M. William HUNTER - Deux articles, le 3O et le 129...
Je vous remets la communication et les trois premiers programmes.
M. Charles DESCOURS, président - Vous prévoyez de les
évaluer ?
M. William HUNTER - Bien sûr. Nous avons un document concernant
l'évaluation de tous les programmes.
Le quatrième programme va commencer l'année prochaine. Il vient
d'être adopté par le Parlement, il porte sur la toxicomanie. Il en
existe quatre maintenant.
Pour le cinquième sur la surveillance de la santé, nous devons
négocier avec le Conseil et le Parlement afin de trouver un accord dans
les prochaines semaines.
Il se pose aussi le problème des maladies transmissibles, pas seulement
celle de la vache folle. Personnellement j'étais assez inquiet depuis
plusieurs années à ce sujet.
Il y a eu la peste, il y a deux ans, le virus d'Ebola l'année
dernière, et maintenant la maladie de la vache folle. A mon avis, on
n'est pas à l'abri d'épidémies en Europe. Il faut ajouter
que des bactéries commencent à être résistantes aux
antibiotiques, surtout la tuberculose.
Il y a deux ans nous avons commencé un travail sur ces maladies
transmissibles pour mettre en place un réseau de surveillance.
M. Charles DESCOURS, président - Votre but est d'avoir un réseau
de surveillance européen en liaison avec ceux de santé publique
nationaux.
M. William HUNTER - Tout à fait, pour actuellement renforcer ceux qui
existent, mieux connaître la situation des différentes maladies
transmissibles ou les épidémies en Europe.
Nous avons soumis ce projet au Conseil en mars 96, environ dix jours avant
l'annonce britannique. Nous avons prévu dans ce document une
surveillance de la maladie.
M. Charles DESCOURS, président - Le réseau de surveillance
existe-t-il déjà au niveau européen ?
M. William HUNTER - Non.
M. Charles DESCOURS, président - Il y a des communications. Dans le
bulletin épidémiologique que publie le ministère, des
chiffres souvent émanent de Bruxelles.
M. William HUNTER - Pour l'agriculture.
M. Charles DESCOURS, président - Non, pour les maladies !
M. William HUNTER - Depuis quand ?
M. Charles DESCOURS, président - Un ou deux ans.
M. William HUNTER - Ils ne viennent pas de chez nous. Nous avons maintenant un
réseau pour l'ensemble des maladies transmissibles avec deux parties,
une surveillance et un contrôle. Au Conseil de Venise en décembre
il y a eu un accord de tous les ministres sur le réseau.
M. Charles DESCOURS, président - Des ministres de la Santé ?
M. William HUNTER - Oui. Egalement sur la surveillance, mais pas sur les
mesures de contrôle. Il y aura un grand débat.
Instaurer un contrôle à l'aéroport, par exemple, pour
éviter que les gens infectés entrent, n'apparaît pas
possible légalement, d'où une opposition sur cet aspect de notre
proposition.
M. Charles DESCOURS, président - Contrôle veut dire
réglementation ?
M. William HUNTER - Absolument. Si tous les Etats membres sont d'accord pour
mettre en place des mesures aux aéroports...
M. Charles DESCOURS, président - Comme Schengen ?
M. William HUNTER - Oui.
M. Charles DESCOURS, président - Les maladies de l'environnement, dues
à la pollution de l'air, à l'amiante, etc., vous envisagez de les
étudier ?
M. William HUNTER - Je vous ai apporté une communication soumise au
Conseil en janvier ou février de cette année.
M. Charles DESCOURS, président - Il n'y a pas de conflit entre les
différents ministres de l'Agriculture, de la Santé ? On a
l'impression qu'en France comme à Bruxelles, tout a été
piloté depuis le ministère de l'Agriculture.
M. William HUNTER - Tout à fait.
M. Charles DESCOURS, président - Que dit votre Direction ?
M. William HUNTER - On n'était pas intégré à la
réflexion en 1993 parce que le dossier était conduit par
l'Agriculture.
Depuis on a regardé un peu de loin ce problème jusqu'en mars 96,
c'est avec la population britannique que nous avons décidé que
nous devions être inclus.
M. Charles DESCOURS, président - C'est le cas ?
M. William HUNTER - Oui. Nous avons envoyé deux documents au Conseil, un
du mois de mai, et l'autre du mois de novembre, pour les deux Conseils de
Santé. Ils résument la situation sur la maladie de la vache folle
et celle de Creutzfeldt Jakob.
M. Charles DESCOURS, président - Comment vous êtes-vous saisis du
problème de la vache folle, par exemple ?
M. William HUNTER - La maladie a été toujours
contrôlée par la Direction de l'Agriculture.
Cette année j'étais par hasard dans le sud-ouest de la France,
j'ai entendu la télé annoncer cette affaire, j'ai passé le
message à mes collaborateurs d'insister pour que nous assistions au
comité, parce qu'il y avait vraiment un risque pour la santé
publique.
Jean-François Girard nous a téléphoné pour nous
dire qu'il mettait au point une réunion des Directeurs
Généraux de la Santé. Nous avons contacté nos
Directions à Bruxelles pour savoir ce qu'elles avaient l'intention de
faire. Elles avaient prévu une séance pour considérer tous
les avis scientifiques.
La semaine suivante, une réunion était prévue à
l'OMS, et nous en avons tenu une de deux groupes, des Directeurs
Généraux de la Santé, et d'un comité informel,
à un haut niveau sur la santé publique.
Nous les avons tous réunis pour avoir une discussion.
M. Charles DESCOURS, président - C'est à votre initiative, il n'y
a pas de procédure automatique ?
M. William HUNTER - Non, c'est pourquoi nous proposons des programmes.
Les années précédentes, avec la peste et le virus Ebola,
nous avions été obligés d'agir avec le Conseil, c'est lui
qui a réuni les gens.
Pour assurer un mécanisme communautaire, on a créé un
comité ; maintenant on peut le réunir pour étudier un
problème déterminé en cas d'accord.
Par exemple, il y a une semaine, il y a eu une réunion de nos experts
sur la vache folle, pour examiner les mesures à inclure dans le document
transmis au Conseil.
M. Charles DESCOURS, président - Jusqu'à Maastricht il n'y avait
pas de compétences sanitaires. Depuis deux ans la Commission en a. A
l'aide de plusieurs documents elle met au point des procédures
automatiques.
M. William HUNTER - Tout à fait. On publie maintenant un petit
résumé de la situation en Europe, sur les différentes
épidémies.
On finance également la formation des épidémiologues entre
les différents Etats membres.
M. Charles DESCOURS, président - Sur l'amiante, existe-t-il des
directives européennes ?
M. William HUNTER - Oui : une directive de 1983 pour la protection des
travailleurs, modifiée depuis, et la directive de 1967 pour
l'interdiction de l'amiante sur le marché.
Mais ce n'est pas une interdiction totale ; il est très difficile de
trouver un accord sur une interdiction au-delà de la proposition de la
directive à l'époque.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ceci en matière de veille sanitaire.
M. Charles DESCOURS, président - Un commissaire a proposé de
créer un organisme au niveau européen. Pouvez-vous en parler ?
M. William HUNTER - Il existe une agence à Londres. Il y a une certaine
résistance au Parlement vis-à-vis des agences car il n'a pas de
contrôle absolu sur leurs dépenses.
J'ai entendu dire -mais ce ne sont pas les dernières informations- que
les Etats membres n'étaient pas tellement partisans non plus.
Une agence était prévue pour permettre à un organisme
indépendant de donner un avis scientifique.
M. Claude HURIET, rapporteur - Sur quoi ?
M. William HUNTER - Sur les maladies liées aux denrées
alimentaires.
M. Claude HURIET, rapporteur - Là encore dans une démarche de
veille sanitaire.
M. William HUNTER - Je crois qu'éventuellement, tôt ou tard, nous
serons obligés de mettre en place une unité pour
l'épidémiologie, la surveillance des maladies transmissibles, et
surtout les maladies nouvelles.
M. Claude HURIET, rapporteur - Tôt ou tard, c'est-à-dire ? Dans
six mois ou dans six ans ?
M. William HUNTER - La Commission d'enquête sur la vache folle va
déboucher sur une proposition, à mon avis.
M. Charles DESCOURS, président - Sur la sécurité des
produits thérapeutiques destinés à l'homme, vous
considérez que l'Agence du Médicament européenne est
compétente pour la thérapie génique et cellulaire, par
exemple ?
M. William HUNTER - C'est une bonne question. Pour le moment oui.
M. Charles DESCOURS, président - Allez-vous étendre la
réflexion aux cosmétiques, parce que l'Agence européenne
ne s'en occupe pas.
M. William HUNTER - Le Service Consommateurs en est chargé et il y a une
directive pour les fabricants de cosmétiques. Les ministres de la
Santé sont assez inquiets du fait que chez eux, par exemple, ils ont la
responsabilité pour les produits pharmaceutiques, et qu'au niveau
communautaire c'est un autre collègue qui s'en occupe.
M. Charles DESCOURS, président - Au sein d'un pays membre ?
M. William HUNTER - Dans un Etat membre, c'est le ministre de la Santé
qui a la responsabilité, mais au niveau communautaire, c'est un autre
ministre qui s'en occupe. A plusieurs reprises des questions ont
été posées. Nous avons mené une enquête. Deux
sujets sont traités au niveau national par le ministre de la
Santé, mais au niveau européen par d'autres ministres, d'abord
les produits pharmaceutiques, ensuite les professions de la santé.
J'ai prévu de me concerter avec les autres services qui s'en occupent,
c'est-à-dire la DG III pour les produits pharmaceutiques, et la DG XV
pour les professions de la santé, afin d'essayer de définir la
différence entre leur politique et la nôtre.
M. Claude HURIET, rapporteur - En ce qui concerne la première
démarche de la mission, la sécurité sanitaire des produits
dans leur ensemble ou des produits thérapeutiques, est-ce une des
priorités de l'Union européenne ou non ? Jusque-là on a
surtout évoqué le volet veille sanitaire.
M. William HUNTER - L'article 129 nous donne une certaine responsabilité
pour la santé publique, mais également retient l'idée que
la santé est une composante des autres politiques.
Maintenant nous avons commencé un rapport annuel sur la question de la
santé publique dans les autres politiques, pour essayer de savoir ce qui
se passe partout. Presque chaque Direction Générale à la
Commission a une activité dans le domaine de la santé publique.
Nous essayons de renforcer notre surveillance. Chaque Direction
Générale doit regarder la santé publique dans chaque
proposition communautaire ; mais nous avons aussi un rôle à jouer
pour nous assurer de la prise en compte de la santé.
Ce sont les deux aspects que nous étudions attentivement, nous avons
demandé au Secrétariat Général de la Commission de
garantir que nous serons consultés sur chaque proposition relative
à la santé. Il y en a des centaines. Le travail est
énorme.
M. Charles DESCOURS, président - Avez-vous l'espoir de voir cette
demande aboutir ?
M. William HUNTER - Nous avons commencé les rapports qui dressent
plutôt un état des lieux, mais nous devons aller au-delà,
essayer de surveiller de près, c'est un deuxième aspect.
M. Claude HURIET, rapporteur - En matière de veille sanitaire, y a-t-il
en perspective une Agence européenne de veille sanitaire ?
M. William HUNTER - Pas à ma connaissance.
M. Charles DESCOURS, président - Existe-t-il de bonnes relations entre
les Directions, avec l'Agriculture, l'Industrie, l'Environnement pour la
santé ?
M. William HUNTER - Oui et non. Il y a de bonnes relations entre les individus,
mais parfois aussi des conflits.
Je préside un comité inter-services de toutes les Directions
Générales pour la santé publique
M. Charles DESCOURS, président - Il y a donc déjà un
embryon. Depuis quand ?
M. William HUNTER - ... Depuis 1993.
La Commission a décidé trois différentes actions : d'abord
le comité inter-services, ensuite le rapport annuel qui nous donne un
outil pour avancer, enfin le Secrétariat Général qui doit
garantir que nous serons consultés.
Par exemple il y a eu un inventaire la semaine dernière des propositions
qui seront présentées à la Commission l'année
prochaine. Beaucoup pourront avoir un impact sur la santé.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et le médicament ? C'est l'Agence
européenne du médicament qui s'en préoccupe ?
M. William HUNTER - Nous sommes évidemment consultés, nous avons
notre mot à dire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Nous sommes quand même encore loin d'une
FDA à l'européenne et d'un organisme européen de veille
sanitaire ?
M. William HUNTER - Oui.
M. Charles DESCOURS, président - Avec des avis indépendants et
faisant autorité.
M. Claude HURIET, rapporteur - Est-ce que cela peut signifier que les
propositions sur lesquelles on travaille avec cette mission sénatoriale
peuvent être prises en considération par les instances de l'Union
européenne ?
M. William HUNTER - Tout à fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Savez-vous si dans d'autres pays de l'Union
européenne une démarche comme celle du Sénat est
engagée ?
M. William HUNTER - Plusieurs initiatives ont été prises, par
exemple aux Pays-Bas. L'idée de prévention est perçue par
d'autres Etats membres comme un volet important, l'Irlande par exemple.
A mon avis, il y a une réflexion à conduire sur le sujet. Nous
avons demandé à notre comité son idée sur l'avenir
après l'an 2000. Il a fait des propositions, mais il faut maintenant que
nous rédigions un texte, et que nous en discutions avec lui en mars.
Nous allons clarifier le chemin à suivre. Il n'y a pratiquement rien de
concret pour le moment.
M. Charles DESCOURS, président - Nous allons étudier les
documents que vous nous avez communiqués.
M. William HUNTER - Je vous en remets un sur la prévention. Nous l'avons
envoyé à quelques centaines de personnes, mais nous avons des
milliers de demandes, surtout dans le contexte de la maladie de la vache folle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Mais le volet santé dans le Traité
de Maastricht...
M. Charles DESCOURS, président - Avant la Commission n'avait pas de
compétence, maintenant elle en a une. Elle finance la lutte contre le
cancer, l'excès de soleil, la toxicomanie, le tabagisme, mais sans
pouvoir de réglementation.
M. William HUNTER - Je n'ai pas dit cela. La santé figure dans les
autres politiques. Avec l'article 101 il y a toutes les possibilités,
par le biais des autres politiques.
Quand on parle de la santé publique, il n'y a que les articles 3O et 129.
Ce qui se passe pour la vache folle relève de la politique de
l'Agriculture. La première priorité est plutôt le
marché de l'Agriculture. Il en est de même pour l'article 101.
M. Claude HURIET, rapporteur - L'Agence européenne du médicament
a été créée avant Maastricht, en fonction de la
dimension économique du médicament...
M. William HUNTER - ...Tout à fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Maintenant il y a aussi, depuis le Traité
de Maastricht, une dimension santé.
M. William HUNTER - Oui. C'est pourquoi, dans le domaine de la santé
publique on se demande où se trouve la frontière.
M. Charles DESCOURS, président - L'industrie alimentaire ne veut pas du
tout passer sous l'autorité du ministère de la Santé, mais
rester au ministère de l'Agriculture. Y a-t-il un débat interne
à la Commission ?
M. William HUNTER - Oui. Personnellement je pense que les parlementaires vont
pousser dans cette direction.
M. Charles DESCOURS, président - A propos du maïs, il a
été question des réunions qui se sont tenues avant-hier
à Bruxelles, mais toujours dans le cadre du ministère de
l'Agriculture.
J'ai dit que cela pouvait intéresser aussi le ministère de la
Santé, mais...
M. William HUNTER - Cette situation est également abordée en
Angleterre. Le ministre couvre l'aspect production et celui de la santé,
avec le problème de la vache folle. Mais maintenant ils ont
intérêt à séparer les deux.
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur le Directeur, nous allons lire
vos documents avec beaucoup d'intérêt.
Nous verrons ce que fera l'Europe dans les prochaines années, la
réflexion que vous menez va dans le même sens que la nôtre.
B. AUDITION DE M. FLORIAN HORAUD, PROFESSEUR, CONSEIL SCIENTIFIQUE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'INSTITUT PASTEUR
M. Florian HORAUD - Il n'existe pas de politique
européenne de santé publique.
M. Charles DESCOURS, président - Depuis trois ans cette
compétence figure dans le Traité de Maastricht. Le service
compétent se développe très vite.
Il y a des communications de la Commission portant sur la création d'un
réseau de surveillance épidémiologique et de
contrôle des maladies transmissibles dans la Communauté
européenne.
M. Florian HORAUD - J'ai l'expérience d'une réussite de l'Agence
européenne du médicament. Elle donne une cohésion entre
tous les systèmes.
Je m'occupe de la sécurité à l'Agence du
médicament, c'est une création des années 90, j'ai
dû me battre pour l'obtenir. Il m'a fallu six mois pour convaincre qu'il
était nécessaire d'avoir un groupe d'experts externes à
l'administration.
Les différents avis et décisions de Bruxelles à propos de
la vache folle n'ont pas été du tout concordants. Les politiques
ont pris la décision sans aucune coordination. J'ai été
convoqué à l'OMS, j'ai participé à plusieurs
Commissions sur la vache folle. On m'a dit à l'OMS " en Europe on
ne connaît pas notre interlocuteur ". Il faut une structure car la
bonne volonté ne suffit pas.
Quand a été créée l'Agence du médicament
avec un organigramme clair et des responsabilités, nous avons eu de
véritables interlocuteurs.
M. Charles DESCOURS, président - L'Agence du médicament concerne
les produits.
Nous partageons votre remarque sur l'Europe, mais quel regard portez-vous
aujourd'hui sur le réseau de surveillance en France ? Il existe des
organismes, ceux qui dépendent de l'Agriculture, des Finances, de
l'Environnement, de la Santé, mais comment fonctionnent-ils ?
M. Florian HORAUD - Ils sont nombreux. Existe-t-il une coordination ? Je ne la
ressens pas.
M. Charles DESCOURS, président - C'est notre sentiment.
M. Florian HORAUD - On a de grands débats sur la gélatine, par
exemple. Je n'ai jamais eu la moindre information sur l'activité des
autres Commissions.
Pour la Commission sur l'EBS, un de mes experts est président du groupe,
il en est membre par l'Agence du médicament. Je peux ainsi communiquer,
sinon je n'ai aucune idée de ce qui se passe à la DG.
Par contre, je suis informé de ce qui se passe en matière de
médicament, en Allemagne ou ailleurs. Un expert soulève dans ce
pays beaucoup de questions qui font preuve d'incompétence, elles vont
nous retarder, mais je les ai.
Cependant je ne connais pas la situation en France. Pour la vache folle je suis
au courant grâce à Dominique Dormont.
Je crois que l'idée de la création d'une Agence en matière
de santé publique est tout à fait justifiée.
M. Charles DESCOURS, président - Comment voyez-vous cette Agence de
santé publique par rapport à celle du sang, à celle du
médicament, ou à l'Etablissement public des greffes ?
M. Florian HORAUD - A l'Etablissement des greffes je suis dans un groupe qui
s'occupe des xénogreffes. L'INSERM en a créé un
également. Je n'ai aucune ambition personnelle, je fais mon devoir de
scientifique. Comme je suis Français d'adoption, je suis plus patriote
que d'autres. Nous avons des informations, mais de bouche à oreille.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quelles sont les attributions de cette
Commission INSERM ?
M. Florian HORAUD - Elle s'occupe des xénogreffes.
Quand l'Etablissement français des greffes nous a demandé de
venir, nous avons dit à l'Agence du médicament : "
nous
avons l'habitude d'avoir une responsabilité
.
A quel titre
sommes-nous convoqués ? J'aimerais que vous annonciez nos
fonctions
". Cela a été compris et fait.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a les mêmes experts dans les deux
organismes ?
M. Florian HORAUD - Il n'est pas bon de tout centraliser. En 1981, quand M.
Chevènement a voulu concentrer tous les financements de la recherche
scientifique au ministère de la Recherche, nous étions
défavorables, parce qu'interviennent des sentiments humains.
Je crois que la diversité doit être harmonisée,
dirigée, ordonnée d'une certaine manière, sinon c'est le
désordre.
Je suis favorable à une Agence de santé publique, mais avec un
correspondant au niveau européen.
D'abord quelle santé publique ?
Prenons un exemple trivial : pour les programmes de vaccination il n'y a aucune
coordination en Europe, le coût est considérable ; chacun agit
seul, ce qui est inquiétant à cause des virus émergents.
J'ai organisé une réunion à ce sujet en juin à
l'Institut Pasteur. Malheureusement mes collègues de la santé
publique n'étaient pas présents. L'activité humaine peut
changer du jour au lendemain le champ des maladies transmissibles. Je suis
Roumain d'origine. La Roumanie a connu une épidémie
d'encéphalite. Finalement on a découvert que cette
encéphalite provenait d'un virus se trouvant dans les grandes
concentrations des oiseaux africains. Comment ce virus est-il arrivé en
Roumanie avec 28 cas mortels ? Il a été transmis par le moustique.
De même, personne n'avait prévu l'épidémie de vache
folle. C'est pourquoi un système de surveillance doit exister : c'est le
cas avec le MSP, mais il est tout petit. J'étais la semaine
dernière à Atlanta. Nous voulons organiser en 1998 une
réunion sur le risque de transmission virale des produits
dérivés des animaux. La France ne peut prétendre avoir
tous les moyens, mais l'Europe le peut.
La grande défaillance de la France est, selon moi, l'absence d'un
institut de santé publique. Elle n'a pas de laboratoires capables
d'assumer leur rôle dans un système de santé publique. Le
Laboratoire national est une structure non pas scientifique, mais d'Etat. On
l'a rattaché à l'Agence. Je n'ai aucun contact avec lui.
L'Agence travaille beaucoup, mais comment faire de la santé publique
à l'écart d'un réseau de laboratoire ? L'Institut Pasteur
étudie les aspects fondamentaux, mais la santé publique, c'est
aussi un travail d'épidémiologie, de statistiques, etc et qui
n'existe pas aujourd'hui.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce que vous dites est intéressant et
apporte de l'eau à mon moulin quant à la multiplicité, la
diversité des organismes et l'absence de liens autres que personnels.
Mais l'objet de notre mission est la sécurité sanitaire des
produits, que vous avez évoquée à partir du projet de
colloque sur les virus émergents, puisque cela touche à
l'alimentation animale et aux répercussions sur les pathologies humaines.
Si on prend l'approche que vous évoquez, par exemple un institut de
santé publique, on risque de se fourvoyer, parce qu'on
réfléchit sur la sécurité sanitaire des produits
thérapeutiques, et la veille sanitaire.
M. Florian HORAUD - Expliquez-moi ce qu'est la veille sanitaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Un institut de santé publique correspond
à une vision très longitudinale. Dans la santé publique il
y a les mesures d'hygiène, d'éducation sanitaire, de politique
préventive des caries dentaires, etc., alors que notre démarche
s'inscrit dans une politique de santé publique.
M. Florian HORAUD - Je ne vois pas très bien la différence entre
la veille sanitaire et la pharmacovigilance.
M. Claude HURIET, rapporteur - Une des composantes de la veille sanitaire est
la pharmacovigilance, mais il y en a cinq ou six de plus.
M. Florian HORAUD - La veille sanitaire me fait penser à quelqu'un qui
essaie de détecter une défaillance et qui peut compromettre
l'équilibre de la santé publique. Or je crois qu'il ne suffit pas
de détecter les défaillances, mais de créer un
système qui les évite. Pour cela je ne vois pas autre chose qu'un
système de santé publique intégré.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez une bonne pratique des conditions ?
M. Florian HORAUD - Oui, du fait de mon âge. Il faut créer un
Etablissement de greffes. Il y a un service de sécurité virale
à l'Agence du sang, je ne l'ai jamais vu, mais on juge les
dérivés plasmatiques du sang.
M. Charles DESCOURS, président - Où ?
M. Florian HORAUD - A l'Agence du médicament.
Ma Commission de sécurité virale juge chaque dérivé
du sang avant la mise sur le marché. Avec l'hépatite C on a eu du
mal.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il y a une convention à l'Agence du
médicament et l'Agence française du sang. Elle ne concerne pas la
sécurité virale ?
M. Florian HORAUD - C'est pour les laboratoires.
Dans le groupe de sécurité virale il m'a fallu huit mois pour
arriver à un équilibre et avoir un jugement homogène. J'ai
commencé ce travail en 1987. Jean-Michel Alexandre m'a demandé
d'aller avec lui à Bruxelles. Avec mes collègues, il nous a fallu
un an et demi pour apprendre à travailler ensemble. Un expert de
santé publique engage sa responsabilité juridique.
M. Charles DESCOURS, président - Il faut qu'il soit crédible
scientifiquement.
M. Florian HORAUD - Absolument. Mais il ne doit pas dire "
je suis
le
plus grand expert en matière du virus du sida, écoutez-moi et
appliquez ce que je fais
". Non, il faut qu'il accepte de
travailler
avec nous.
Il n'existe pas un système cohérent nous permettant de faire
réellement une veille sanitaire. D'après moi, elle ne peut pas
exister en dehors d'un environnement scientifique et de laboratoires, que nous
n'avons pas.
Les Allemands ont créé et modernisé un institut, les
Anglais ont mis 200 millions de francs dans un institut, et en France les
laboratoires de santé sont dispersés.
M. Claude HURIET, rapporteur - L'Institut était dans un coma
dépassé quand a été créée l'Agence.
M. Florian HORAUD - M. Cano a fait un grand effort, mais il n'a pas obtenu le
résultat voulu.
Un des anciens directeurs de la DPHM estimait qu'il fallait des laboratoires de
contrôle, où la recherche n'avait pas de place. C'est faux. Si de
tels laboratoires n'ont pas de cadre scientifique, alors qu'ils font 40 % de
travail scientifique et 60 % de travail de contrôle, ils ne pourront
fonctionner.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez gardé des fonctions et un
laboratoire à l'Institut Pasteur ?
M. Florian HORAUD - Je suis pratiquement retraité, mais je suis
resté à Pasteur comme directeur. J'ai créé un
laboratoire avec un service payant. Il fait l'évaluation de risques de
transmission virale. Les industriels présentent leurs produits, et vingt
personnes travaillent avec des moyens modernes de biologie moléculaires,
font tous les tests et sont capables de produire un dossier disant si un
médicament est bon ou pas.
M. Claude HURIET, rapporteur - Sur quels produits êtes-vous
consultés par exemple ?
M. Florian HORAUD - Tous les dérivés du sang.
M. Claude HURIET, rapporteur - et par rapport à l'Agence
française du sang ou à l'Agence du médicament qui ont leur
propre structure ?
M. Florian HORAUD - L'Agence du médicament ne s'occupe pas de
l'industrie. Si la société Baxter veut vendre en France le
facteur VIII, elle est obligée de présenter un dossier pour l'AMM.
Les tests de sécurité virale coûtent de 1 à 2
millions de francs pour avoir l'AMM.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et Pasteur s'en charge ?
M. Florian HORAUD - Oui. Ce service doit exister. Le dossier arrive en
Angleterre dans un laboratoire, où il y a des spécialistes, et
à l'Agence du médicament dans le groupe de sécurité
virale qui juge la valeur des tests effectués.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il est normal qu'il y ait deux expertises.
M. Florian HORAUD - Je trouve lamentable une telle dispersion en France.
M. Claude HURIET, rapporteur - Avez-vous des relations avec le domaine
vétérinaire ?
M. Florian HORAUD - Non. La santé publique est influencée
énormément par quelqu'un comme M. Jean-Yves Nau. Certes, c'est un
bon journaliste.
En France il y a 300.000 personnes qui meurent chaque année
d'alcoolisme- je ne parle pas du tabagisme où la campagne d'information
a échoué par rapport à celle faite aux Etats-Unis,
où fumer est considéré comme un acte honteux. Les derniers
résultats montrent que 60 % des cancers avant 60 ans aux Etats-Unis sont
associés au tabagisme.
En France, la loi interdisant de fumer dans des lieux publics, n'est pas
respectée et il n'y a aucune communication forte sur les dangers
potentiels du tabac.
Sans un système cohérent avec une collaboration et des
échanges, il n'est pas possible d'avoir une politique efficace.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez expliqué clairement pourquoi il
était utile d'avoir au moins deux structures expertes en matière
de sécurité virale pour l'alimentation humaine ou animale. En
tant qu'expert, connaissez-vous des laboratoires, en dehors de Pasteur et de
l'Agence du médicament ?
M. Florian HORAUD - Spécialisés, non. De temps en temps le
directeur du service de Pasteur me dit que des gens de l'industrie
laitière viennent le voir, mais...
M. Jean-Yves Nau a raison d'écrire sur la vache folle tous les jours
mais il y a eu un cas en France et 300.000 morts par alcoolisme.
On n'a pas de preuve définitive du passage chez l'homme du virus de la
maladie. Mais la réaction émotionnelle est gigantesque et les
médias en profitent. Il y a un amalgame horrible.
M. Charles DESCOURS, président - Les écoles
vétérinaires ont des laboratoires virologiques.
M. Florian HORAUD - Oui, mais ils travaillent dans l'épizootie.
M. Claude HURIET, rapporteur - J'évoque volontiers un exemple
donné par l'OMS qui concerne une épidémie de peste
indienne.
Avant qu'elle ne se propage à l'homme, les vétérinaires
avaient analysé les cadavres de rongeurs et avaient pu constater une
montée en fréquence de la mise en évidence d'un virus.
Donc chez l'animal on avait vu des signes prémonitoires qui pouvaient
laisser prévoir une poussée épidémique chez
l'homme. Dans ce cas particulier, faute d'une liaison, on est resté
à un constat fait sur le rat, sans en tirer les conséquences.
Il s'agit là d'une démarche préventive.
M. Florian HORAUD - Les grands réservoirs de virus sont les animaux,
surtout les rongeurs, parce que leurs espèces sont nombreuses. Ce sont
des animaux intelligents, qui mangent beaucoup, ils vivent dans l'ombre de
l'homme.
Le passage du virus chez l'homme s'effectue en deux étapes : dans la
première il se diffuse à l'intérieur de l'espèce
à l'horizontale, dans la deuxième il fait un saut dans une
espèce supérieure, par exemple les vaches, puis arrive chez
l'homme, à quelques exceptions près.
Dans certains cas, si on commence à voir le virus parmi les rats
d'égouts parisiens, c'est un signal. Je donne l'exemple de la
fièvre aphteuse, qui pendant des années a été
enregistrée dans des foyers en Europe. En 1978 je suis allé en
Turquie pour faire une station de vaccin contre la fièvre aphteuse,
parce qu'on présumait que la souche exotique venait
d'Extrême-Orient avant d'arriver en Europe. Elle n'a pas
fonctionné. En 1981 il y a eu une épidémie de
fièvre aphteuse. A ce moment-là, il y a eu un test
moléculaire. Le vaccin utilisé pour prévenir la
fièvre aphteuse était incomplètement inactivé,
d'où la création de ces foyers. Il faut vraiment des experts.
Comment est-on arrivé à cette conclusion ? Parce que
l'épidémie de fièvre aphteuse était importante. Sur
place il y avait des laboratoires extraordinaires.
Sans moyens de laboratoires et sans un encadrement scientifique important, la
veille sanitaire est impossible. Il faut que l'INSERM joue un rôle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ces laboratoires équipés pour ce
genre de recherche existent-ils en France ?
M. Florian HORAUD - On agit de façon ponctuelle, du fait de relations
personnelles.
M. Charles DESCOURS, président - Il faudrait que cela devienne
institutionnel et qu'il y ait un protocole...
M. Florian HORAUD - Une procédure !
M. Charles DESCOURS, président - Il est curieux qu'on ait du mal
à mettre au point des procédures en santé publique. Dans
le domaine nucléaire cela a été possible.
M. Florian HORAUD - La France n'a pas un grand institut de santé
publique, parce que tout le monde disait "
il existe l'Institut
Pasteur, il n'y a rien de mieux
". L'hygiène sans la science
moderne, sans la biologie moléculaire, ce n'est rien.
M. Charles DESCOURS, président - Votre réflexion est très
intéressante. La solution est un peu compliquée.
M. Florian HORAUD - Si elle était simple...
M. Charles DESCOURS, président - Par rapport aux pesanteurs.
M. Florian HORAUD - D'abord il faut beaucoup d'argent. Sur un plan
général je m'imagine qu'en France il y a de l'argent. Mais il n'y
a pas un investissement important dans la santé publique.
M. Charles DESCOURS, président - Et l'administration veut toujours la
coiffer, d'où une notion de pouvoir.
C. AUDITION DE M. BERNARD GLORION, PRÉSIDENT DU CONSEIL NATIONAL DE L'ORDRE DES MÉDECINS
M. Bernard GLORION - J'ai essayé de
réfléchir, puisque je savais sur quel sujet vous vouliez
m'interroger, à ce qui s'est passé depuis que j'ai
été élu président de l'Ordre, car avant je ne m'en
préoccupais pas, comme beaucoup.
Quel était l'état des lieux quand j'ai pris mes fonctions ? La
situation a beaucoup évolué. Je citerai trois documents.
Le premier est celui des produits thérapeutiques.
Il existait une Commission de pharmacovigilance dont l'Ordre des
Médecins était responsable ; elle se réunissait une fois
par an avec le président de l'Ordre des Pharmaciens, quelques
personnalités, et on avait établi des fiches de pharmacovigilance
que les médecins devaient remplir lorsqu'ils constataient des effets
pervers ou secondaires d'une thérapeutique, donc contraires à
ceux qu'ils souhaitaient.
L'Agence du médicament a repris à son compte la pharmacovigilance.
Si bien que dans une conception plus large de tout ce qui a été
repris par l'Etat, à la suite des tristes événements de
l'affaire du sang contaminé, il y a maintenant un dispositif
extrêmement contraignant.
J'en veux pour preuve que déjà à deux reprises j'ai
été saisi par la Direction du Médicament pour retirer du
commerce dans des délais très rapides un produit, ou pour
modifier des AMM ou des dispositions de prescriptions concernant un produit qui
entraînait des conséquences et des effets pervers ou
indésirables.
On peut très bien dire que dans le domaine du médicament
l'affaire est réglée par le dispositif officiel de la
pharmacovigilance, qui n'est plus du ressort de l'Ordre et qui est
entièrement entre les mains de l'Agence et de la Direction du
médicament.
Mais les produits thérapeutiques englobent les produits sanguins.
L'Agence du sang s'est également préoccupée de
l'hémovigilance. Une Commission extrêmement rigoureuse a
défini les critères d'utilisation des produits sanguins qui sont
thérapeutiques.
Un domaine, à mon avis, mérite d'être approfondi. Je ne
sais pas s'il peut entrer dans le cadre de votre définition. Il s'agit
des dispositifs.
J'ai participé à plusieurs Commissions à la Direction
Générale de la Santé, et en particulier pour tous les
dispositifs concernant la médecine esthétique et les appareils
utilisés dans certains établissements sans aucun contrôle,
et qui ont entraîné d'ailleurs des accidents.
Ce sont les dispositifs à visée thérapeutique. J'ai
cité la médecine ou la chirurgie esthétique, mais il peut
s'agir d'autres dispositifs comme le laser, les ultrasons, les méthodes
physiques, relevant de matériaux qui ont besoin aussi d'être
contrôlés.
Si je pouvais faire une suggestion, je dirais que ce domaine est mal
contrôlé. Je ne vais pas affirmer que les gens du
médicament sont sérieux et que les autres ne le sont pas, mais
j'ai l'impression que les procédures en matière de
médicament et d'hémovigilance sont extrêmement rigoureuses,
et que les dispositifs le sont moins.
M. Charles DESCOURS, président - Et les matériaux ?
M. Bernard GLORION - Je peux vous en parler plus savamment puisque c'est mon
domaine.
Nous avons nous-mêmes pris l'initiative d'instituer une
matériovigilance.
Les implants inertes utilisés chez l'homme doivent avoir une
traçabilité, un numéro, et être
répertoriés quand il y a des défauts, non au niveau d'une
institution qui est en train de se mettre en place, qui s'appellerait la
Commission de matériovigilance, avec des responsables dans chaque
département ; en plus il devait y avoir une répercussion au
niveau des industriels.
Pour les prothèses, les pace makers, on doit retrouver, à partir
du matériel implanté, les lots défectueux et faire les
modifications nécessaires.
J'ai l'impression que la matériovigilance est en bonne voie, mais je
fais des réserves sur les dispositifs.
M. Charles DESCOURS, président - Pensez-vous que la
matériovigilance est en route ?
M. Bernard GLORION - Le ministère est saisi. L'institution de la
matériovigilance qui concerne les implants inertes chez l'homme de
façon interne, est sur la bonne voie.
Pour les dispositifs j'ai peut-être un peu perdu le contact avec cette
Commission, parce qu'elle n'a pas été convoquée depuis
longtemps ; cela faisait référence au marquage CE et à sa
rigueur.
M. Claude HURIET, rapporteur - Qu'en pensez-vous ?
M. Bernard GLORION - Je pense que c'est sérieux. Le marquage CE est
peut-être venu un peu au secours de la matériovigilance. A partir
du moment où il s'agit d'une obligation européenne, cela
contraint les Etats, y compris le nôtre, à progresser dans
certains domaines.
En ce qui concerne les dispositifs et les matériels, j'ai vu
récemment les gens du Syndicat national des technologies
médicales qui savent qu'ils ont des contraintes extrêmement
sévères pour le marquage CE, et qu'à partir de 1998 ils
n'auront plus d'autorisation de mise sur le marché sans celui-ci.
Je ne sais pas si sur le plan du médicament, il existe aussi des
dispositions européennes, mais selon moi c'est une modalité tout
à fait heureuse dans le domaine de la matériovigilance.
J'ai répondu à propos des produits sanguins,
thérapeutiques et des biomatériaux c'est-à-dire tout ce
qui est médical.
M. Claude HURIET, rapporteur - Ce qui est pour le moment le contenu de la
mission.
M. Bernard GLORION - Incluez-vous le matériel implantable ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Oui.
M. Bernard GLORION - Je partage totalement votre souci, en disant qu'il me
semble, d'après ce que je vois à travers les textes, que l'on est
sur la bonne voie.
M. Charles DESCOURS, président - La multiplication des Agences ne vous
gêne pas ?
M. Bernard GLORION - Non, parce que j'ai un état d'esprit un peu trop
carré. Je pense que lorsqu'il y a des institutions officielles aussi
sérieuses, il vaut mieux que leur soit confiée la tâche ;
leurs références me paraissent satisfaisantes.
M. Claude HURIET, rapporteur - Dans les deux domaines que vous avez
évoqués, ensemble ou séparément,
c'est-à-dire dispositifs et biomatériaux, qui pour le moment sont
du ressort de la Direction des Hôpitaux, est-ce que vous
considéreriez comme un avantage que ce qui fonctionne bien pour le
médicament, le sang et les organes puisse s'appliquer également
à ces deux domaines ?
M. Bernard GLORION - Je souhaite qu'on agisse de même pour le
matériel implantable. J'ai une expérience. Il est très
important, si on met sur le marché un produit dont certains lots
s'avèrent défectueux, qu'on ait le moyen rapidement de l'en
soustraire. C'est ce qu'on fait pour le médicament.
Qui dit veille dit sentinelle, d'après le dictionnaire, donc il y a
toujours quelqu'un pour " garder ".
La veille sanitaire, en matière de produits thérapeutiques ou
matériel implantable, suppose que des dispositifs se mettent en route
automatiquement, afin de permettre d'éviter d'autres accidents et de
préserver la population.
Je ne peux aller que dans ce sens-là. Je pense qu'il faut être
aussi rigoureux avec le matériel implantable et les dispositifs avec les
médicaments et les produits sanguins.
M. Charles DESCOURS, président - Et la vache folle ?
M. Bernard GLORION - C'est de l'agro-alimentaire.
M. Charles DESCOURS, président - Même, si c'est transmissible ?
M. Bernard GLORION - Oui, mais à partir des aliments. Vous abordez un
vaste sujet, il est même philosophique.
J'ai l'impression que, plus on va avancer dans le progrès, plus on va
générer des risques, et plus on essaiera d'être
sécuritaire.
Donc nous allons dans des directions qui vont nous obliger à
développer une veille sanitaire et un dispositif de
sécurité sans cesse grandissant.
Vous avez parlé de la vache folle, mais on peut évoquer aussi les
colorants, et...
M. Claude HURIET, rapporteur - Les additifs alimentaires.
M. Bernard GLORION - ...Régulièrement dans la presse on
dénonce que tel colorant est cancérigène, etc. Il faut en
revenir à la bonne vieille pratique de l'oeuf qu'on va chercher dans le
poulailler, du beurre fait par la fermière, et non pas industriellement,
et des fromages blancs naturels. A ce moment-là on attraperait la
tuberculose.
M. Charles DESCOURS, président - Ou la brucellose.
M. Bernard GLORION - Pour moi c'est un problème philosophique, je ne
sais pas si on arrivera à le maîtriser un jour, il faut savoir
où s'arrêter. Pourtant la société actuelle est
devenue sécuritaire, elle n'accepte plus que des risques ne soient pas
appréhendés, en particulier par les pouvoirs publics qui sont
là pour y veiller.
M. Charles DESCOURS, président - Vous dites que c'est un problème
agro-alimentaire, mais si demain on a 800 maladies de Creutzfeldt Jakob, on ne
pourra pas dire au ministère de la Santé que c'est à cause
du ministère de l'Agriculture.
M. Bernard GLORION - Quand on aborde ce chapitre il est évident qu'il
faut s'en mêler, mais il est sans fin.
Quand on aura soigné la maladie de Creutzfeldt Jakob, il y en aura une
autre. Qui aurait dit il y a dix ou vingt ans que cette maladie allait
apparaître ?
J'ai été interpellé dès mon arrivée à
l'Ordre par M. Job, sur la maladie induite par l'hormone de croissance.
Il m'a demandé s'il fallait informer les familles, car il y avait
28 morts. Il avait été distribué 1.500 doses
d'hormone de croissance susceptibles de déclencher la maladie.
Faut-il prévenir 1.500 familles d'une maladie hypothétique dont
la durée d'incubation était de dix ans à l'époque,
sans être sûr qu'elle se déclenche, ou rester muet, comme
pour le sang contaminé ?
Quelle attitude adopter ? On ne peut pas aller au-delà de ce qui est
possible. Personnellement je suis plutôt pour parler, parce que si
j'avais su sans rien dire, j'aurais une impression négative. Mais il
faut en mesurer les effets psychologiques.
M. Charles DESCOURS, président - Pour parler, il faut savoir...
M. Bernard GLORION - ...Là on savait.
M. Charles DESCOURS, président - Dans le domaine de la vache folle, on
parle de la transmission à l'homme depuis un an ou deux seulement.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pensez-vous que dans la mission on doit se
limiter à la sécurité sanitaire des produits
thérapeutiques ? Avec une seule autorité responsable, le ministre
de la Santé ? Pour le renforcement de la sécurité
sanitaire des produits, peut-on prendre comme point de repère les
produits thérapeutiques dans leur accession large, avec une
interrogation sur les additifs alimentaires et les cosmétiques ? Ou
faut-il une sécurité sanitaire des produits ?
Est-ce que le ministère de la Santé ne devrait pas être
regroupé avec celui de l'Agriculture ?
A partir du moment où dans l'Agriculture et la Pêche il y a des
produits de nutrition qui, absorbés par des individus, provoquent des
anomalies majeures comme les prions, et pourquoi pas des maladies induites par
les poissons dans les coraux. Cela concerne la veille sanitaire, donc
l'état de santé des Français.
Je crois qu'on entre dans un système sans fin, avec une très
légère utopie, parce qu'il ne faut pas se bercer d'illusions on
ne maîtrisera jamais la nature complètement. Par ailleurs, il faut
tout faire pour que le confort des individus soit assuré. On ne peut pas
laisser se développer sinon des épidémies, du moins des
maladies alors qu'elles pourraient être contrôlées.
Un renforcement du contrôle des produits alimentaires ? Oui, je crois
qu'il existe déjà, mais ne peut-on faire mieux ?
M. Charles DESCOURS, président - Les patrons des écoles
vétérinaires n'ont que des contacts épisodiques avec la
question de santé publique chez l'homme.
M. Bernard GLORION - Il faut peut-être une coordination des
différents services. Souvent des chercheurs qui travaillent à
Maisons-Alfort et n'ont aucun contact avec ceux de l'INSERM ou du CNRS
travaillant sur une maladie induite par des produits alimentaires. Il faut
peut-être là envisager une coordination. Je pense que le
rôle d'un médecin pour la santé de ses concitoyens est de
se préoccuper aussi de cet aspect.
M. Charles DESCOURS, président - Merci.
D. AUDITION DE MME MARIE-JOSÉE NICOLI, PRÉSIDENTE DE L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS
M. Charles DESCOURS, président - La Commission des
Affaires Sociales du Sénat s'interroge sur les conditions du
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité des produits thérapeutiques en France. Il nous
paraît difficile de nous limiter aux produits thérapeutiques et de
ne pas évoquer ceux alimentaires ou autres. En tant que
présidente de l'Union fédérale des consommateurs, il nous
a paru bon de vous auditionner pour avoir votre sentiment.
Mme Marie-Josée NICOLI - Sur l'alimentation je n'ai rien
préparé parce que je connais assez bien le sujet. Par contre, sur
la partie qui concerne les contrôles des produits thérapeutiques,
j'ai un document écrit.
Le sujet de la veille sanitaire dans le domaine alimentaire est à
l'ordre du jour, avec les problèmes de l'ESB ainsi que les prochains
projets de loi sur l'hygiène alimentaire et le contrôle. Des
grands débats ont lieu sur la loi d'orientation agricole et les nouveaux
produits qui arrivent sur le marché comme les EGM. Une veille sanitaire
en matière alimentaire va devenir de plus en plus importante. Cela doit
se traduire par une information du consommateur sur tous les produits mis sur
le marché.
M. Charles DESCOURS, président - Qui doit la faire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Aujourd'hui elle est faite par nous, mais
partiellement seulement, dans la mesure où le consommateur en
matière alimentaire n'est pas informé par exemple de la
composition des produits.
M. Charles DESCOURS, président - Vous n'avez pas de laboratoire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Nous faisons de plus en plus des analyses et
des essais comparatifs, puisque ce sera un sujet important au XXIème
siècle, mais il faut que nous soyons aussi informés.
Des débats ont lieu actuellement avec le ministère de
l'Agriculture, sur l'étiquetage des viandes par exemple.
Les filières aiment bien garder une certaine opacité, en
particulier en province, et nous n'avons aucune information sur la viande ou
sur des EGM. Il n'y a aucune obligation d'étiqueter la présence
de produits transgéniques dans tout aliment composé ou pas.
S'il y a des problèmes d'allergie ou de toxicologie, on n'a aucun
recours, parce qu'on ne sait pas si ces produits les ont provoqués ou
pas, les experts étant très partagés sur les
conséquences éventuelles.
Il y a la partie " veille sanitaire " relative aux animaux
que nous
mangeons.Les services de contrôle d'Etat ont à peu près la
traçabilité et les outils d'identification des cheptels.
M. Charles DESCOURS, président - Un veau arrive d'Italie, il passe
quinze jours dans le Charolais et il a une autre appellation.
Mme Marie-Josée NICOLI - Je parle surtout du cheptel français. En
matière de viande bovine, la traçabilité est obligatoire,
les professionnels en ont besoin entre eux. Ils doivent être certains que
la carcasse au bout de la chaîne d'abattoir est celle qu'ils ont
apportée. La traçabilité s'arrête au distributeur.
Après elle n'est pas répercutée jusqu'au consommateur.
Les outils d'identification n'ont jamais été prévus pour
informer les consommateurs ; ils règlent les problèmes des
professionnels et des services de contrôle, mais en rien ceux des
consommateurs.
Pour faire une veille sanitaire, il faut savoir comment circule un produit afin
de pouvoir l'identifier.
M. Charles DESCOURS, président - L'Union fédérale des
consommateurs n'est pas responsable devant l'opinion, elle n'a pas
autorité, elle informe. Pensez-vous que cela suffit ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Nous avons d'autres moyens d'action que celui
d'informer, nous participons à certaines instances nationales.
Par exemple, je viens d'être rapporteur sur le dossier filière
bovine au Conseil national de la consommation, j'ai fourni le rapport avec un
étiquetage et une modification de la filière pour la
traçabilité.
Si tout se passe correctement et rapidement, cet avis devrait se transformer en
une réglementation obligatoire pour imposer l'étiquetage et
modifier la filière bovine.
Nous avons un rôle de groupe de pression, nous siégeons dans des
instances qui nous permettent d'agir et nous avons les moyens de nous exprimer
en achetant ou pas, donc en utilisant le boycott.
M. Charles DESCOURS, président - Et si ces moyens ne fonctionnent pas ?
Mme Marie-Josée NICOLI - C'est possible, mais jusqu'à maintenant
on a toujours atteint l'objectif quand on lance un boycott.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous exposez deux points très importants
aux yeux de votre Union : la traçabilité et la
nécessité d'avoir une information transparente. Mais en ce qui
concerne l'appréciation globale que vous, en tant qu'organisme
représentatif, vos portez sur la sécurité des produits en
France...
Mme Marie-Josée NICOLI - Globalement la France est sûrement un des
pays les plus avancés et rigoureux en matière de contrôle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Tout confondu ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pas seulement au point de vue alimentaire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Non, sauf qu'on assiste à une
accélération de l'alimentation sous forme d'industrie
agro-alimentaire. Et là, intervient une troisième notion
extrêmement importante, les contrôles, parce qu'il est
préférable de contrôler avant l'accident. Il s'agit de
contrôles sanitaires, mais aussi des process utilisés.
Les scientifiques disent " dans nos laboratoires nous avons fait ce
qu'il
fallait, nous avons expérimenté, les résultats sont
bons ". Seulement, dès qu'une semence sort, elle est
manipulée, elle est utilisée par des non scientifiques, et il
peut se produire des accidents comme celui de l'ESB, accidents de process, dans
un pays où il y a une certaine déréglementation et un
système d'autocontrôle non satisfaisant.
Ceci est valable pour faire évoluer la qualité des produits, mais
ne doit pas se substituer aux contrôles de l'Etat.
Bien souvent on l'oublie et les professionnels pensent qu'en certifiant de plus
en plus et en faisant un autocontrôle, les contrôles de l'Etat
diminueront, voire seront supprimés. Or, ce n'est vraiment pas ce que
nous espérons, parce qu'ils sont indispensables.
M. Charles DESCOURS, président - Il y a donc un rôle pour l'Etat ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui. Il y aura un renforcement avec le projet
de loi présenté par M. Vasseur à l'Assemblée
Nationale en février.
En tant qu'association UFC, nous constatons dans son contenu beaucoup
d'avancées pour la veille sanitaire, il pourra y avoir des saisies
à la ferme, ce n'est pas le cas actuellement. Quand il y a des cas
d'ESB, ils peuvent être déclarés par le
vétérinaire qui les constate ou par l'agriculteur lui-même.
S'il ne fait pas la déclaration, la bête sera malade et personne
ne le saura. Donc il y aura des progrès.
Ce projet de loi sera normalement sous la tutelle du ministère de
l'Agriculture, et cela nous gêne fortement, parce que malgré
toutes les déclarations actuelles de M. Vasseur -et nous n'avons pas
à les mettre en doute- le passé et les traditions sont là.
Le ministère de l'Agriculture est très attaché et
lié au lobby de l'agro-alimentaire. Le soutien de la production agricole
et des industries agro-alimentaires fait partie de ses missions. Nous pensons
que le travail sera accompli sans difficulté, tout à fait en aval
vis-à-vis de la grande distribution, s'il y a des sanctions, des
saisies, etc. Par contre, très en amont, plus on se rapprochera de
l'agriculteur et du monde agricole, plus on aura des problèmes
politiques, quand il faudra saisir, faire fermer une entreprise, etc.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez des idées pour lever
cet obstacle ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Dans les autres pays d'Europe -à part
l'Angleterre, mais il vaut mieux ne pas en parler vu le résultat pour
l'ESB- les contrôles sanitaires de l'alimentation sont souvent
rattachés au ministère de la Santé.
En France la perception du ministère de la Santé n'est pas
très favorable, dans la mesure où il a été
remarquablement absent dans l'affaire de l'ESB, problème de santé
publique. On n'imagine pas actuellement, tel qu'il est conçu et vu ses
moyens, le ministère de la Santé comme le mieux placé pour
avoir la tutelle des contrôles sanitaires en matière alimentaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous émettez une réserve en termes
d'expérience récente et d'attribution. Cette dernière
devrait plutôt relever du ministère de la Santé ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Non, je fais des réserves aussi bien
vis-à-vis de l'un que de l'autre, mais pas pour les mêmes motifs.
A la limite le ministère qui réellement remporterait
l'adhésion de toutes les associations serait un ministère de la
Consommation et de l'Alimentation. Il permettrait pour le consommateur de base
d'être rassuré sur les contrôles de l'alimentation d'un
ministère indépendant, mais il n'existe pas actuellement.
Il a existé en 1984. Mme Lalumière en avait la charge. Il lui a
été rattaché les fraudes en les retirant du
ministère de l'Agriculture. Il a été créé en
1985, je crois, la grande Direction de la concurrence, de la consommation et de
la répression des fraudes.
Nous ne sommes pas obligatoirement pour le ministère de l'Economie et
des Finances, mais si nous n'avons pas la possibilité d'avoir un
ministère de la Consommation et de l'Alimentation -qui pourrait se
justifier au XXIème siècle, et prendre toute sa dimension
économique- nous préférons rester au ministère de
l'Economie et des Finances où il y a une tradition de sanctions.
Le ministère de l'Agriculture, tel que je le perçois, je connais
un peu les DSV, fait des enquêtes, des analyses, etc., mais après
il en tire des statistiques. Il n'a pas les sanctions dans ses traditions.
Les coupables sont très rarement poursuivis au pénal, ce qui a
lieu régulièrement aux fraudes, où ils sont poursuivis. Au
ministère de l'Agriculture je pense qu'on ne poursuivra pas facilement
un agriculteur ou une entreprise de transformation.
M. Claude HURIET, rapporteur - N'y a-t-il pas une certaine contradiction dans
vos propos ? Vous évoquez une autre option faute de mieux, faute d'un
ministère de la Consommation, plutôt les Finances et le Budget que
l'Agriculture.
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui, mais ce n'est pas satisfaisant.
M. Claude HURIET, rapporteur - La dimension qui vous amène à
faire des réserves quant à des attributions en termes de
sécurité sanitaire des produits alimentaires par le
ministère de l'Agriculture est économique, qu'elle s'exprime
à travers les lobbies ou au nom de l'intérêt national,
contradiction entre la dimension économique agricole et les
éventuels problèmes de sécurité des produits.
Si vous retenez comme option seconde le ministère de l'Economie et des
Finances, on retrouve le même risque d'avoir des considérations
économiques fortes.
Mme Marie-Josée NICOLI - Il faut que les contrôles, s'ils ne sont
pas satisfaisants, débouchent sur des sanctions. Or je crains que le
ministère de l'Agriculture ne soit pas indépendant du monde
agricole et de celui agro-alimentaire, car il pense se développer
grâce à l'agro-alimentaire.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez dit que le ministère
de la Santé avait été tragiquement absent...
Mme Marie-Josée NICOLI - Je vous laisserai le document sur la partie
thérapeutique et nos propositions.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez dit que le ministère
de la Santé avait été tragiquement absent dans le
problème de l'ESB. C'est vrai, mais il n'y avait pas d'autre
possibilité. Comment pourrait-il intervenir ?
Mme Marie-Josée NICOLI - On ne peut faire qu'un constat. Quand on veut
prouver que quelqu'un est efficace, on regarde ce qu'il a fait avant, sinon on
a des doutes sur l'avenir.
La démarche est là. On veut essayer de rester objectif et ne pas
entrer dans la querelle des administrations et des ministères.
M. Vasseur dit " vous avez tort, parce que je fais partie d'un
gouvernement, c'est à lui de préserver la santé et la
veille sanitaire. Que ce soit le ministère de l'Agriculture ou un autre
qui agisse, il en est de même. "
Non, nous avons des traditions et des usages, une mémoire. A un certain
âge nous sommes obligés de faire un bilan.
Le ministère de l'Agriculture n'a pas une réputation
d'indépendance totale vis-à-vis des syndicats en place et des
agriculteurs. Dès qu'ils commencent à bouger, il frémit.
Il est annoncé qu'il sera partagé en deux Directions. J'ai
assisté à beaucoup de réunions pour essayer de faire
avancer la situation. M. Vasseur déclare qu'il existera une Direction
Production totalement indépendante de celle du Contrôle de la
Qualité, mais ce sera quand même sous l'autorité du
ministère de l'Agriculture.
Il est vrai qu'avec une succession de ministres ayant le profil de
M. Vasseur on pourrait y croire. Néanmoins on ne fait pas un projet
de loi pour une personne, mais pour qu'il ait une certaine
pérennité. On ne connaît pas son successeur. Une loi peut
être utilisée et interprétée différemment.
Les débats, les colloques, les tables rondes sont multiples. A chaque
fois je rencontre M. Vasseur, et son discours pourrait être très
convaincant, si on ne regardait pas en arrière. Mais il faut tenir
compte de ce qui existe déjà.
Ce projet de loi est très important, nous connaissons son contenu. Nous
l'avons analysé, je peux vous transmettre le document.
Nous développons surtout l'indépendance vis-à-vis des
ministères de tutelle.
Nous soulignons les points positifs, ce qui nous permet d'être plus
crédibles dans nos critiques.
M. Charles DESCOURS, président - Merci.
E. AUDITION DE M. MARC SAVEY, DIRECTEUR DE RECHERCHE DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES VÉTÉRINAIRES ET ALIMENTAIRES (CNEVA)
M. Charles DESCOURS, président - Vous connaissez
l'intitulé de notre mission, le renforcement de la veille sanitaire et
le contrôle de la sécurité des produits
thérapeutiques en France.
Il est possible de le lire de deux façons : conditions de renforcement
de la veille sanitaire ; contrôle de la sécurité des
produits thérapeutiques.
Vous êtes directeur de recherche au Centre national d'études
vétérinaires et alimentaires. Quel est votre sentiment sur la
veille sanitaire ?
M. Marc SAVEY - Vous avez déjà entendu le directeur
général du CNEVA, je vais évidemment partager son opinion.
La veille sanitaire concerne plus précisément les maladies
animales.
Il est évident que le système français comparé
à d'autres européens, ou à d'autres réputés
comme celui nord-américain, peut apparaître comme tout à
fait satisfaisant, essentiellement parce qu'il y a une longue tradition
incarnée par les services vétérinaires et leur action
vis-à-vis d'un certain nombre de maladies présentant une
importance économique extrême comme la fièvre aphteuse, ou
d'autres comme la brucellose ou la tuberculose.
La lutte contre ces maladies a finalement impliqué le
développement et la structuration d'une véritable veille au
travers de certaines actions systématiques pour contrôler ces
maladies.
Le réseau sanitaire de surveillance français est certainement
très bon, sinon un des meilleurs.
Néanmoins, tout système peut être perfectionné, en
particulier il nous manque certainement des outils de deux types.
Je qualifierai les premiers de généraux, ils pourraient
être constitués par des réseaux permanents qui essaieraient
comme dans d'autres catégories, par exemple la consommation, d'exercer
une veille continue sur les causes des pertes en élevage, et en
particulier en s'attaquant au problème des causes de mortalité.
Il y a eu des expériences régionales, notamment en
Haute-Normandie. Un réseau a associé les différents
établissements, les vétérinaires. Ceux-ci se sont
efforcés simplement suivant l'équarrissage de caractériser
les catégories d'animaux qui mouraient, de les quantifier, et d'en
déterminer les causes.
A la lumière de cette expérience on constate qu'il y aurait
là une source extraordinaire de renseignements. Et comme les pouvoirs
publics s'interrogent sur le devenir du système d'équarrissage,
qui est profondément réformé, il y a peut-être
là une voie à explorer.
Elle n'est pas tout à fait neuve, puisqu'un autre pays en Europe qui n'a
pas une très bonne image de marque, mais qui a réalisé
pourtant dans ce domaine des percées tout à fait novatrices, la
Grande-Bretagne, a commencé à le faire.
Il existe un réseau de ce type, il n'explore pas les
équarrissages...
M. Charles DESCOURS, président - Le réveil ne devait pas sonner
fort, car la veille n'a pas fonctionné dès la première
seconde.
M. Marc SAVEY - Je ne partage pas tout à fait cet avis.
En Angleterre, sont exploitées les informations issues d'un
réseau qui pourrait être comparable à celui qui existerait
en France dans les laboratoires vétérinaires
départementaux.
Une petite partie du travail de ces laboratoires est exploitée dans le
sens de la veille sanitaire, celui qui a trait aux maladies contagieuses.
Mais ces laboratoires collectionnent toute une série d'informations qui
ne sont pas exploitées.
Il y a là un modèle anglais, qui collecte tous ces renseignements
et qui en fait un système d'avertissement extrêmement
intéressant.
Historiquement les premiers cas d'ESB ont été
détectés grâce à ce réseau d'une vingtaine de
laboratoires au contact permanent de la réalité. Il a permis
d'identifier très précocement les premiers cas d'ESB, et de
disposer assez rapidement de chiffres, de faire des prévisions, etc.
Le début est assez intéressant.
M. Charles DESCOURS, président - On nous dit qu'on a masqué de
façon gigantesque le nombre de vaches contaminées. Le Professeur
Louisot disait qu'il y en avait 500.000 ou même un million.
M. Marc SAVEY - Il ne faut pas confondre le nombre de cas d'animaux malades
détectés au Royaume-Uni, actuellement 170.000 sur huit ans, et le
nombre d'animaux infectés, qui ne peut être identifié faute
d'instruments techniques et scientifiques permettant de le faire.
Le nombre de malades est globalement bien évalué, avec bien
sûr une incertitude, mais elle existe dans tout réseau, sauf dans
les pays totalitaires.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quelle différence faites-vous ?
M. Marc SAVEY - En termes d'EBS les seuls animaux qu'on puisse détecter
sont ceux qui présentent des symptômes, ils sont abattus, leur
cerveau est examiné et on dit " oui ou non ils ont une
maladie ". Mais on n'a pas de tests, comme pour la brucellose ou le
sida,
permettant de détecter un animal infecté.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les infectés ne sont pas tous promis
à la maladie ?
M. Marc SAVEY - Ils ont un énorme inconvénient. Etant apparemment
sains, ils entrent dans la chaîne alimentaire, c'est certainement un des
problèmes qu'ont eus à affronter les Britanniques, d'autant plus
qu'ils n'ont pas adopté la même solution qu'en France, celle de
l'abattage des troupeaux.
Mais j'ai appris hier qu'ils y étaient un peu contraints, après
huit ans de polémique. J'ai beaucoup défendu ce principe en
France et dans les enceintes scientifiques, mes collègues britanniques
disaient que c'était idiot.
Pour revenir aux réseaux de veille sanitaire, il serait certainement
utile d'essayer d'en structurer à partir de l'équarrissage, et de
mieux coordonner, au moins l'exploitation de l'information recueillie dans
l'ensemble des laboratoires vétérinaires, parce qu'il y a
là une source qui n'est absolument pas utilisée et qui serait un
excellent indicateur de l'évolution de certaines pathologies.
Lorsqu'une nouvelle maladie apparaît, qu'elle se développe de
façon significative, un gros effort est accompli. Il y a des
enquêtes pour repérer les causes, etc. Ensuite, en
général on trouve des solutions, on les met en oeuvre, et on
passe à un autre centre d'intérêt.
Or ces pathologies continuent d'évoluer ; en général il y
a une phase de contrôle, puis elles décroissent, mais elles ont
souvent tendance à réapparaître sous une autre forme. On
n'a pas d'instruments pour les suivre vraiment.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pourrait-on concevoir que ce réseau des
laboratoires vétérinaires dans les départements
s'intègre dans le réseau national de santé publique ?
M. Marc SAVEY - C'est une question un peu difficile.
M. Claude HURIET, rapporteur - Au fond c'est la même démarche.
M. Marc SAVEY - C'est un problème de choix des décideurs.
Au Royaume-Uni, pour de nombreuses raisons, il est évident que
l'instrument qui a permis de voir l'évolution de la maladie n'a pas
été correctement connecté à une politique qui
aurait dû être un peu plus sévère et aussi beaucoup
plus coûteuse en termes de protection de la santé publique.
M. Charles DESCOURS, président - Comment cela fonctionne en France ?
M. Marc SAVEY - Je voudrais faire un point sur le problème de la
santé animale et de la garantie de la sécurité des
aliments.
Il y a une continuité. Si on est capable de contrôler la source
animale -c'est le cas de la brucellose, elle est pratiquement
éradiquée en France- ipso facto il n'y a plus de risque pour
l'homme. Dans certaines autres maladies il n'est pas possible de
contrôler la source animale de façon aussi drastique. C'est le cas
de l'EBS.
Il faut que les mesures croisées soient à peu près
cohérentes pour que le résultat final soit effectivement la
protection du consommateur.
Il y a toujours deux perspectives dans ce genre de débat. La
première est le modèle américain, celui de la FDA, d'un
grand organisme qui réunit l'ensemble des compétences en termes
de santé animale, d'hygiène et de sécurité des
aliments, et de détection des cas humains.
Quand les trois pôles sont cohérents, on est capable de prendre
des mesures. Après, quoi qu'il arrive, techniquement, scientifiquement
ceux-ci doivent exister et fonctionner correctement.
Faut-il les situer dans une même instance de type FDA, continuer la
tradition française qui confie au ministère de l'Agriculture la
sécurité alimentaire et le contrôle des sources animales,
ou laisser au ministère e la Santé Publique le contrôle... ?
M. Marc SAVEY - Lorsqu'il y a un problème particulier qui
intéresse une source animale, manifestement la cohérence au
niveau départemental entre les DAS et les DSV s'opère, et au
niveau central entre les deux Directions également.
M. Claude HURIET, rapporteur - Je pose la question du rapprochement des
réseaux.
Pensez-vous que vous allez plus vite que nous ? Si ce rapprochement
était envisagé, est-ce que se poserait inéluctablement la
question des structures de rattachement ?
Le RNSP avec sa jeunesse, ses attributions en matière
d'épidémiologie infectieuse, devrait naturellement se rapprocher
du réseau efficace que représentent les DSV. Les deux ne sont pas
forcément liés.
M. Marc SAVEY - Ce rapprochement existe déjà. Par exemple, le
CNEVA vient de signer une convention avec le RNSP, sur les problèmes de
salmonellose.
Le vrai problème de la cohérence de l'ensemble des réseaux
est malheureusement celui des moyens. Chacun d'entre nous est très
occupé. Les moyens disponibles compte tenu de la prochaine loi de
finances sont strictement limités.
En matière d'ESB, j'ai eu des contacts avec M. Girard ;
intellectuellement tout fonctionne parfaitement ; mais les équipes en
charge sont trop modestes eu égard à l'ampleur des
problèmes.
Le CNEVA a réalisé il y a exactement deux ans, à la
demande de la Direction Générale de l'Alimentation, un petit
dossier comportant 17 fiches de risques potentiels à moyen terme. Deux
se sont déjà réalisés à travers les
salmonelles et les eschérichia coli.
Pour améliorer la cohérence, il faudrait une volonté
très claire et, pour la traduire, donner des moyens aux réseaux
pour assurer une coordination entre eux.
Compte tenu de l'expérience d'autres pays, en particulier des
Etats-Unis, je ne pense pas que le fait de fusionner ces réseaux dans
des super structures en améliore réellement l'efficacité.
M. Charles DESCOURS, président - Nous ne parlons pas de fusion.
M. Marc SAVEY - En termes de rapprochement il y a deux étages et deux
niveaux. Celui régional et départemental est
représenté par les DSV et les DAS. Ces deux autorités
s'appuient sur des laboratoires. Le deuxième niveau est central.
Le deuxième aspect n'est pas facile à faire passer, mais
essentiel, c'est celui de la recherche appliquée ou finalisée.
Par exemple, au CNEVA nous mettons au point des méthodes. Par exemple,
une action est entreprise en collaboration avec l'Institut Pasteur pour
l'eschérichia coli, d'où une coordination des efforts de
recherche d'établissements nationaux, le CNEVA, l'Institut Pasteur de
Paris, de Lille, l'INSERM, etc.
Quand les équipes disponibles se réunissent pour examiner en face
un nouveau problème, la plupart du temps elles doivent se
débrouiller.
Dans le domaine strict de l'infectiologie ou de la parasitologie, la politique
sanitaire est liée au passé. Au cours des années 70, on a
contrôlé la plupart des maladies infectieuses, et on a vécu
longtemps avec l'idée que l'infectiologie était une discipline du
passé, qui allait disparaître.
Mais il y a toujours émergence de maladies nouvelles ou parasitaires.
" Tous les mois, à la surface de la terre on découvrait une
nouvelle maladie chez les bovins ", c'est ce que je disais à mes
élèves quand j'étais professeur. Il y a un
perpétuel mouvement d'émergence de maladies.
En termes de sécurité alimentaire, il est évident que
l'évolution des processus de fabrication, entre autres, comporte des
améliorations, mais il y a en même temps de nouvelles voies que
savent très bien emprunter certains germes.
M. Charles DESCOURS, président - On parle du ministère de
l'Agriculture et de celui de la Santé, mais il y a aussi ceux de
l'Economie et des Finances, de l'Industrie, de l'Environnement.
M. Marc SAVEY - Je dis souvent que la santé publique, par construction
intellectuelle, est une discipline fondamentalement multidisciplinaire. Il faut
réunir des gens qui ont des formations et des métiers
différents pour progresser.
C'est relativement simple en termes de parasitologie, mais si on s'adresse aux
vrais problèmes du futur, très multifactoriels -par exemple 2 %
de la population attraperont une maladie alors que 100 % ont été
exposés, parce qu'ils ont des risques très particuliers, ce sera
encore plus compliqué.
Donc il faut repenser les enseignements et les formations en termes de
pathologie comparée. La France était le grand pays de la
pathologie comparée avant la Seconde guerre mondiale.
Cette tradition a disparu, elle est un peu rénovée à cause
de l'affaire de l'EBS. Mais il y aurait un effort énorme de mobilisation
à faire dans le but d'assurer la santé publique.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous avez évoqué des
réunions, des rencontres avec tel ou tel laboratoire, quelle que soit sa
structure d'appartenance.
C'est une des interrogations fortes de notre démarche. Avez-vous des
exemples précis récents, permettant de savoir qui initie ces
rencontres ? Y a-t-il une volonté de rapprocher et d'optimiser des
recherches de la part de chercheurs qui quelquefois ne communiquent
qu'accidentellement ?
Est-ce que la démarche est nouvelle ? Pouvez-vous développer avec
un exemple récent la façon dont la mise en commun de moyens peut
se réaliser ?
M. Marc SAVEY - Tous les cas de figure existent pour le moment. Des actions
sont initiées parce que les gens se rencontrent, partagent la même
problématique, essaient d'agir ensemble. Quelquefois il y a une crise et
les pouvoirs publics disent aux chercheurs " il faut vous réunir et
vous organiser pour être plus cohérents ".
Je pourrais citer plusieurs exemples de diverses origines. Il m'en vient
spontanément un à l'esprit, celui des salmonelloses aviaires.
Il montre bien les différents niveaux dans l'espace et dans le temps de
coopérations possibles. Se sont installés dans l'ensemble de la
filière de production certains types de salmonelle.
Il existe en France un centre situé à l'Institut Pasteur de
Paris. C'est un très bon exemple de coopération avec des
laboratoires d'analyses médicales de ville. Il récupère
toutes les sources isolées dans les hôpitaux, il les identifie
très précisément.
Il devrait normalement s'occuper de toutes les souches se trouvant dans les
denrées d'origine animale. Le laboratoire d'hygiène alimentaire
du CNEVA à Paris s'occupe aussi pour des raisons historiques de ces
souches.
Pragmatiquement l'Institut Pasteur s'occupe des souches humaines, notre centre
des autres souches, et ils croisent leurs informations.
Parfois ils constatent qu'un problème se cristallise, par exemple celui
de salmonellose dans la filière aviaire.
A partir de là les gens essaient de se rapprocher. Actuellement un
groupe est monté à la Direction Générale pour
essayer, dans la filière aviaire, de couper la source, de la
contrôler, et de remonter avec des procédures d'assurance
qualité dans la fabrication des différents dérivés
aviaires.
Cela est complété par un réseau
d'antibiorésistants, aussi bien en pathologie animale qu'humaine.
Les gens se rencontrent, croisent leurs informations et arrivent à
lancer une action, parce qu'ils ont une véritable perception de la
nécessité de s'en préoccuper sérieusement.
Au CNEVA nous avons un laboratoire entièrement dédié
à la filière aviaire, depuis l'animal jusqu'au poulet dans sa
barquette, et au RNSP.
C'est le cas typique de gens qui ont d'abord commencé à penser ce
problème en termes scientifiques, qui ont transmis l'information
à leurs autorités de tutelle, lesquelles ont demandé une
action.
M. Charles DESCOURS, président - Cette démarche ne vous semble
pas pouvoir être généralisée ?
M. Marc SAVEY - Je pense qu'il n'y a aucun obstacle à la
généralisation de cette démarche, sauf celui des moyens.
En épidémiologie et en microbiologie, pour avoir des
réseaux opérationnels, il faut assurer la formation très
spécifique des gens ; ils doivent être capables sur le terrain de
surveiller, de détecter des indices.
Il n'est pas facile de trouver sur le marché du travail des
scientifiques formés.
M. Claude HURIET, rapporteur - Est-ce que dans la démarche à
laquelle on espère pouvoir contribuer, la mobilisation de moyens accrus
serait efficace ?
M. Marc SAVEY - Je partage tout à fait votre opinion, d'autant plus que
j'ai fait, au sujet de l'EBS précisément, une note à mon
Directeur Général il y a quelques mois, en lui disant " j'ai
établi deux colonnes, dans l'une ce qui nous est demandé, et les
raisons en face. " Les deux n'ont pas la même hauteur. On
pourra s'associer avec n'importe qui aussi pauvre que nous, il y aura toujours
une différence.
Un des noeuds gordiens est le suivant : dans une période de
pénurie les gens pensent qu'un rapprochement va entraîner une
fusion et des économies.
Mais si on leur disait "
en vous rapprochant vous aurez des moyens
supplémentaires, et vous allez en tirer les
bénéfices
", la situation serait améliorée.
M. Charles DESCOURS, président - Quelqu'un nous a raconté qu'il
avait mis un échantillon d'urine de chevaux et que le RNSP lui a dit
" je ne peux pas le traiter ".
M. Marc SAVEY - Cette problématique se retrouve à tous les
niveaux. Nous avons, les uns et les autres, des collections assez
extraordinaires. Nous n'avons pas les moyens de les traiter souvent.
M. Claude HURIET, rapporteur - Alors qu'en termes de santé publique ce
serait intéressant.
M. Marc SAVEY - Evidemment !
J'ai un autre exemple précis en tête. Un laboratoire de Paris
identifie des souches, il a des répertoires avec les origines, les
années, etc. Pour exploiter l'information il faudrait quelqu'un à
plein temps, mais on n'a qu'un " tiers de temps ". Au lieu
de sortir
ces informations tous les trimestres ou tous les semestres, elles paraissent
tous les trois ans. Pasteur agit de même.
Les résultats existent, mais il faut les exploiter et pouvoir les
éditer de façon plus régulière. Mais dans
l'état actuel, ni Pasteur, ni le vieux laboratoire abrité par la
préfecture de police, ne sont en mesure de le faire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Est-ce de la recherche fondamentale ou
appliquée ?
M. Marc SAVEY - Appliquée.
Je pense que la distinction entre le fondamental et l'appliqué, compte
tenu du développement de la science moderne, est de plus en plus faible
en termes de connaissances et de temps.
Entre les premières cultures de cellules qui ont permis de faire des
virus dans les années 30 et leur passage dans le quotidien, il s'est
écoulé quarante ans.
Maintenant la PCR a été mise au point il y a une quinzaine
d'années. Sans le problème de licence, elle serait dans tous les
laboratoires.
La distinction entre le fondamental et l'appliqué est mauvaise pour les
problèmes concrets quotidiens comme celui de la non-intoxication
alimentaire par de la mayonnaise, par exemple.
Le délai au lieu de cinquante ans tourne maintenant sur quatre ou cinq
ans. Il est très enrichissant pour les chercheurs d'avoir à
résoudre des problèmes très concrets.
Par exemple, on a une unité qui s'occupe de mycoplasme. On lui a
posé une question très ponctuelle : il y a un foyer infectieux
à la frontière espagnole et quelques-uns en France. Elle a
commencé à développer des méthodes, a entrepris un
travail absolument fantastique, elle est maintenant à la pointe.
A mon avis, c'est un des grands problèmes pour la mise en oeuvre
opérationnelle. En France on est paralysé par l'idée qu'il
y a de la recherche fondamentale d'un côté, de la recherche
appliquée de l'autre.
La distinction est de plus en plus rétrécie dans le temps et
l'espace.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les fondamentalistes risquent d'avoir moins
d'argent que s'ils font de la recherche appliquée. C'est du moins ce
qu'ils craignent s'ils se reconnaissent comme fondamentalistes.
Plus sérieusement, les moyens sont toujours comptés. On ne peut
pas ne pas évoquer le coût/bénéfice.
On souhaite qu'il y ait des effets visibles en quelques mois. C'est en cela que
je maintiens la distinction entre recherche fondamentale et recherche
appliquée.
Le domaine de la sécurité sanitaire des produits alimentaires,
d'origine animale ou végétale, connaît une explosion
considérable- tous nos interlocuteurs le disent- du fait des exigences
de sécurité.
Pour les pouvoirs publics, l'enjeu est extraordinairement important. Il va
falloir mettre plus d'argent. Si on y parvient, on sera conduit à exiger
des effets, des résultats. Le nombre d'intoxications alimentaires pourra
diminuer de façon que l'opinion la perçoive.
M. Marc SAVEY - Je comprends ce type de raisonnement, parce que les deniers
publics sont comptés, mais il a une limite : il ne peut être que
global.
Si vous prenez dix problèmes, vous allez mettre quinze équipes en
face, il faut que dix au moins produisent des solutions avec des effets
mesurables à moyen terme.
On ne peut pas, parce qu'intellectuellement ce serait un mensonge, exiger d'une
équipe qui s'investit dans un problème nouveau, d'avoir des
résultats.
Les gens sont tous aussi intelligents, les sujets qu'ils étudient ne
permettent pas toujours de trouver des solutions.
Les organismes de recherche fondamentale ou appliquée craignent une
espèce de dirigisme, et même de quasi stakhanovisme, parce que ce
serait tout à fait contre-productif.
M. Claude HURIET, rapporteur - Avec l'exigence de rentabilité... ?
M. Marc SAVEY - On n'arriverait pas à consacrer des équipes sur
des sujets difficiles qui n'ont pas un intérêt au moment
présent.
Quand j'ai pris la direction du laboratoire de Lyon, on m'a dit " il
faut
mettre au point un réseau d'épidémiosurveillance et
générer une recherche ".
Dans le domaine de la BSE, le temps est très long. Entre la formation
des gens et la production de résultats il s'écoule de quatre
à six ans.
J'ai réussi à recruter des gens en me battant, ils commencent
maintenant à produire. Mais sans la crise, j'aurais toujours
été confronté aux mêmes questions.
M. Claude HURIET, rapporteur - Et à un risque de suppression des
crédits !
M. Marc SAVEY - En termes de prospective on sait que certains sujets vont
forcément sortir un jour ou l'autre. Il est évident que le
problème de l'EBS devait se poser, peut-être pas à ce
niveau bien sûr.
Il faut protéger les équipes pour ne pas tuer la poule aux oeufs
d'or.
M. Charles DESCOURS, président - Il existe des virus qui ne sont pas
dangereux pour le bétail, mais pour l'homme quand il le consomme. Est-ce
que le ministère de l'Agriculture se préoccupe de la santé
de l'homme quand la santé animale n'est pas en jeu ?
M. Marc SAVEY - Oui. Les exemples sont nombreux, entre autres celui des
hépatites véhiculées par des moules ou des huîtres,
gênantes pour la santé de l'homme. Il y a aussi des phytotoxines.
C'est l'Institut scientifique et technique des pêches maritimes qui s'en
occupe.
La santé publique est multidisciplinaire, mais aussi
" multimétier ".
Beaucoup d'éléments sont peu pathogènes pour les animaux,
mais très pathogènes pour l'homme. La brucellose est un excellent
exemple.
Dans les troupeaux il y avait beaucoup d'avortements, cela ne mettait pas en
péril la santé de la vache. Par contre, l'agriculteur et le
vétérinaire oui.
On n'a certainement pas assez insisté sur l'aspect protection de la
santé publique. On n'ose pas trop l'afficher, parce qu'on est à
l'agriculture et qu'il s'agit de la santé publique.
M. Charles DESCOURS, président - Les industriels de l'alimentaire m'ont
dit " nous ne voulons pas que le ministère de la Santé
intervienne ".
M. Claude HURIET, rapporteur - Si vous évoquiez l'impact sur la
santé publique de ce que vous faites, seriez-vous critiqués par
vos amis ?
M. Marc SAVEY - Le concept de santé publique en termes de
multimétier et multidiscipline a du mal à franchir un certain
nombre de cloisonnements intellectuels. C'est une affaire d'objectif clairement
affiché et d'évolution intellectuelle. Mais tout le monde le
comprend. Evidemment il y a derrière des enjeux de territoire, de
pouvoir, etc.
M. Claude HURIET, rapporteur - En termes de méthodologie et de moyens, y
a-t-il des méthodes mises en oeuvre par l'Institut de la pêche et
d'autres implications ?
Est-ce que les méthodes qui s'appliquent à la moule peuvent
s'appliquer à d'autres mollusques ou espèces ou non ?
M. Marc SAVEY - Quelqu'un a essayé de soutenir une idée
intéressante : distinguer pour unir. Sa formule correspond à la
réalité. Pour unir les gens, il faut quelque part que leur
personnalité soit protégée.
Si vous voulez protéger le consommateur des moules, il faut absolument
que les gens qui opèrent dans ce secteur le connaissent bien.
C'est la difficulté et l'intérêt à la fois. Pour
être opérationnel il faut avoir une culture.
Par exemple, ma collègue qui s'occupe de l'hygiène des
denrées alimentaires connaît par coeur le fonctionnement d'un
atelier de découpe, etc. Avant même d'être efficace, si vous
ne maîtrisez pas toute la technologie, vous ne pouvez pas commencer
à comprendre comment se posent les problèmes.
Il n'existe pas une méthode, mais des méthodologies,
c'est-à-dire des acquis intellectuels, en termes par exemple
d'échantillonnage, de méthodologie d'enquête, de
prélèvement, etc. Les Américains disent qu'ils n'ont pas
d'EBS chez eux, mais leur méthodologie ne leur permet pas d'en trouver.
C'est un message fort qu'il faudrait essayer de faire passer, parce que nos
collègues du réseau national de santé publique ont parfois
du mal à appréhender la complexité du problème.
Les industries agro-alimentaires ont aussi du mal à communiquer
l'essentiel de certaines technologies dans ce qu'elles ont de mécanique
et de rigoureux. Il faut affiner l'analyse pour arriver au moment
" cristallin " où vous dites " vous avez telles
contraintes, moi j'en ai d'autres, on les croise et on agit ".
M. Claude HURIET, rapporteur - L'Institut de la pêche est rattaché
au ministère de l'Agriculture ? Quel est son statut ?
M. Marc SAVEY - Il doit être rattaché au ministère de
l'Agriculture.
M. Charles DESCOURS, président - Quelquefois les instituts sont des
électrons libres par rapport à leur ministère de tutelle.
M. Marc SAVEY - C'est le problème de l'exercice de la tutelle, il
rejoint celui des résultats, etc. Les tutelles doivent fixer des
objectifs ; à partir de là, chaque institut doit se
débrouiller. Ensuite, elles jugent les résultats.
Actuellement il y a parfois des interférences entre les objectifs et la
mise en oeuvre. C'est très contre-productif.
M. Charles DESCOURS, président - Très bien. Merci.
XIII. SÉANCE DU MARDI 7 JANVIER 1997
A. AUDITION DE M. PIERRE LOUISOT, PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DU CENTRE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECOMMANDATIONS SUR LA NUTRITION ET L'ALIMENTATION (CNERNA)
M. Charles DESCOURS, président - Monsieur, j'aimerais
que vous redéfinissiez le CNERNA, vos fonctions à
l'Université de Lyon et que vous nous disiez ce que vous pensez de la
nutrition et de l'alimentation, sujets aujourd'hui à la mode.
M. Pierre LOUISOT - Je suis professeur de biochimie, biologie
moléculaire à la faculté de médecine de Lyon I. Je
dirige une unité de recherche de l'INSERM à Lyon, centrée
sur le métabolisme intermédiaire.
Je suis chef du service biochimie de l'hôpital de cardiologie de Lyon. Je
suis également président de la section Alimentation et Nutrition
du Conseil supérieur d'hygiène publique de France. Je
préside le Conseil national du cancer.
Je suis depuis quelques mois président du conseil d'administration de
l'INSERM et président du conseil d'administration du CNERNA.
Je préside l'Institut français pour la Nutrition. Ce n'est pas un
organisme d'Etat mais c'est un interface entre les milieux industriels
agro-alimentaires et le milieu scientifique. C'est un outil très
précieux. J'ai succédé à M. Pierre Boyer que vous
connaissez. C'est un des rares endroits où l'interface est
organisée.
En matière de nutrition et d'alimentation, il y a un problème
majeur, celui des allégations de santé. Nous nous trouvons devant
une situation ambiguë et nous allons avoir des problèmes à
moyen terme.
Il y a deux catégories d'allégations de santé :
- les allégations sérieuses et fondées : très rares
;
- les allégations peu sérieuses et peu fondées qui sont
relativement fréquentes et diffusées par tous les moyens des
médias.
Actuellement, je pense que le consommateur est trompé
régulièrement par des informations médiatisées sans
aucun fondement, qui viennent le plus souvent d'entreprises dont la
déontologie n'est pas le point fort.
N'importe qui revendique n'importe quoi à propos de n'importe quel
produit sans être le moins du monde inquiété sauf par la
DGCCRF qui passe beaucoup de temps à courir après ces petites
sociétés qui inventent des allégations de toute sorte.
C'est insaisissable. Cela envahit le marché. Ces gens ne se contentent
pas d'envahir le marché, ils ont des revendications précises sans
justification scientifique, et n'ont pas envie d'en avoir.
Le deuxième problème, c'est celui des grandes
sociétés qui voudraient revendiquer sur le plan scientifique et
qui sont prêtes à y mettre le prix, à condition qu'on leur
donne le droit de revendiquer de manière substantielle.
Il y a déjà eu des petits problèmes. Ces
sociétés sont très surveillées, sont à
même de fournir les preuves scientifiques de ce qu'elles avancent, bien
que cela soit difficile et coûteux, à condition qu'on leur accorde
des revendications fortes.
La situation de ces entreprises et de la science nutritionnelle en France est
délicate, car s'il n'y a pas de recherche nutritionnelle financée
par les entreprises, l'Etat ne parviendra pas à satisfaire à la
demande.
Nous avions créé les centres de recherche en nutrition, il y a
quelques années : l'idée était de créer des
équipements lourds groupant dans un même ensemble des lits
hospitaliers pour des malades et des sujets sains pour les observer sous
l'angle métabolique avec des méthodes non invasives.
C'est-à-dire la RMN, les isotopes stables... des moyens permettant
d'appliquer à l'homme la physiologie traditionnelle connue chez l'animal.
Ce sont des méthodes sécurisantes, j'y reviendrai.
Les entreprises qui, en coordination avec les services publics de recherche,
sont capables de financer de telles opérations, sont rares mais aptes
à le faire.
Il y a des débats dans les instances internationales sur ce sujet ; ils
ne sont pas très clairs car ces débats sont dominés par la
FAO, l'OMC, c'est-à-dire des structures dépendantes de l'ONU.
Or, sur les 184 pays appartenant au
Codex alimentarus
, plus de 100 ne
nourrissent pas leurs habitants sur les 80 restants, moins de 5 sont
capables ;de faire de la recherche nutritionnelle de haut niveau.
Par conséquent, on comprend très bien que ce problème ne
soit pas une des préoccupations fondamentales au niveau international.
Actuellement, je sens des difficultés au niveau des industriels et la
France, comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon... sont
hésitants. C'est l'avenir de la recherche nutritionnelle qui est en
cause.
Des maisons comme Nestlé, ont un budget annuel identique à celui
de l'INSERM, soit 2,5 milliards de francs. Elles veulent présenter sur
le marché des produits de qualité, vérifiés,
structurés, car elles jouent leur réputation.
Nos trois centres de recherche en nutrition humaine en France sont l'image du
centre de Lausanne mais
a minima
. L'idée est la même.
Les allégations conditionnent en grande partie l'avenir de la recherche
nutritionnelle en France. On peut distinguer trois niveaux : par exemple, si je
prends le calcium :
- le niveau analytique : vous revendiquez qu'il y a du calcium dans le
fromage, c'est un problème analytique et non une revendication ;
- vous revendiquez en deuxième étape que ce calcium est bon
pour la croissance osseuse. Déjà vous vous engagez vers une
procédure qui est celle de la reconnaissance d'une activité
physiologique traditionnelle ;
- " le calcium protège contre l'ostéoporose "
c'est déjà un engagement médical.
Actuellement, tout le monde est d'accord pour laisser tout dire lorsqu'il
s'agit du premier niveau ; sur l'aspect physiologique, c'est déjà
plus délicat, quant à l'aspect maladie, personne n'est d'accord
pour le faire.
Il y a des positions nationales et internationales qui vont devoir être
prises. Nous sommes dans une situation inégale avec d'un
côté des petites sociétés qui disent n'importe quoi
et de l'autre des grandes sociétés qui se sentent brimées
à l'heure actuelle parce qu'elles ne peuvent pas s'exprimer.
Nous avons eu un premier exemple, au Conseil supérieur d'hygiène
publique, celui des fructo-ligo-saccharides qui sont des préparations
ligo-saccharides, extraites par les sucriers qui revendiquaient une
première allégation : avoir un effet bifidogène. Cela
veut dire, par les méthodes traditionnelles du contrôle
microbiologique, donner un certain nombre de ces substances
fructo-ligo-saccharidiques à un volontaire sain, pendant tant de jours,
à raison de tant par jour, et constater si oui ou non le nombre de ces
bacilles bifides augmentent. Cela a été vérifié par
des méthodes incontestables. Mais est-ce que cela a un
intérêt médical ? Je n'en sais strictement rien du tout et
eux non plus. J'ai proposé à la section qu'on leur accorde
l'effet bifidogène. Si on n'avait pas donné à Beghin-Say
un premier label de reconnaissance d'un effet scientifiquement prouvé,
le directeur scientifique était prêt à continuer mais pas
le directeur financier. Vous voyez la difficulté.
M. Charles DESCOURS, Président - Pouvez-vous nous parler davantage des
pathologies et de la nutrition ?
M. Claude HURIET, rapporteur - Notre demande concerne davantage la
sécurité des produits.
M. Pierre LOUISOT - La sécurité des produits est
influencée par la notion de liste positive ; c'est-à-dire que
tout ce qui n'est pas explicitement autorisé est interdit ; c'est la
loi. Si vous voulez mettre un additif, un exhausteur d'arôme... ou bien
il figure sur une liste acceptée soit par l'Etat français, soit
par la CEE ; si telle n'est pas la situation vous déposez devant le
Conseil supérieur d'hygiène publique de France un dossier
d'habilitation. Ce n'est pas un dossier d'AMM, mais c'est la même
idée, il doit développer un argumentaire sécuritaire
(toxicologie, mutagenèse, cancérogenèse). Le Conseil donne
un avis consultatif positif ou négatif, la décision revenant
à la DGCCRF qui suit à 100 % l'avis de la section du Conseil
supérieur d'hygiène publique.
Ces dossiers concernent des additifs, des nouvelles méthodes de
préparation (ex. : préparation d'enzymes), les produits qui sont
fabriqués par les organismes génétiquement
modifiés. Nous voyons systématiquement les dossiers lorsqu'il y a
une incidence éventuelle sur la nutrition. C'est assez fréquent
actuellement.
M. Charles DESCOURS, Président - Qu'en est-il du maïs
transgénique ? Je crois que la Communauté européenne a
pris une décision récemment.
M. Pierre LOUISOT - Oui, une autorisation d'importation pour les produits issus
du génie génétique. Il y a une commission du génie
biomoléculaire avec laquelle nous travaillons et on nous fait passer les
dossiers dès qu'il y a risque de modification de la
consubtantialité. Cela n'alourdit pas le dispositif mais cela conduit
des gens à examiner un dossier sécurité en vision de
nutritionniste et non seulement de généticien. Je crois que la
méthodologie est positive.
La section " nutrition-alimentation " du conseil se réunit
tous les mois et a systématiquement une quinzaine de dossiers à
examiner.
M. Charles DESCOURS, président - Vous pensez que les procédures
en place sont satisfaisantes ?
M. Pierre LOUISOT - Oui, la manière de faire est bonne. Ce que l'on peut
discuter -mais ce n'est peut-être pas à moi à dire cela-
c'est la structure proprement dite. La section alimentation-nutrition du
Conseil supérieur est un des éléments fondamentaux du
système ; il y a une autre commission, la CEDAP pour les aliments
particuliers, qui travaille en étroite collaboration avec le conseil. On
peut s'économiser des structures.
Je serais tout à fait favorable à la création d'une Agence
de l'alimentation ou de l'aliment comme il y a une Agence du médicament.
M. Charles DESCOURS, président - Vous travaillez avec le réseau
national de santé publique ?
M. Pierre LOUISOT - Oui, parce que c'est lui qui fait la lettre d'autorisation.
Le Conseil supérieur d'hygiène publique a trois tutelles : les
finances, l'agriculture et la santé. Le secrétariat est
assuré par la Direction générale de la santé. Il y
a dans le conseil des représentants des trois ministères et
l'arbitrage se fait assez facilement, je dois dire.
Il y a une petite compétition entre les trois ministères sur la
tutelle de la commission destinée à l'alimentation
particulière, plutôt sous la coupe du ministère des
finances. Il y a des différences d'appréciation dans les dossiers
parfois.
M. Charles DESCOURS, président - Il nous a semblé qu'il y avait
presque une ignorance du travail du voisin...
M. Pierre LOUISOT - ... dans le cadre de la sécurité alimentaire
ce n'est pas le cas, je dois le dire très honnêtement, car toutes
les décisions importantes sont prises à la section
alimentation-nutrition du Conseil.
Il y a aussi le bureau de la vérification publicitaire qui est
impliqué dans la publicité agro-alimentaire et donc dans les
allégations santé dont je vous parlais tout à l'heure.
Si le président du BVP, celui de la CEDAP et celui du Conseil
supérieur de l'hygiène publique étaient des ennemis
notoires qui voulaient se nuire, ce serait la guerre à longueur de
journée.
Cela dit, politiquement, je pense que c'est quand même un
problème. Je ne crois pas à la bonne marche des structures qui
repose uniquement sur la bonne volonté des hommes.
Il vaudrait mieux mettre en place une structure unitaire avec une
administration cohérente et solide de nature pluri-ministérielle.
Mais ce système à trois volets me paraît porteur de
difficultés. Je pense à une Agence de l'alimentation humaine car
l'alimentation animale a des problèmes spécifiques quoique...
M. Charles DESCOURS, président - Dans le dossier de la vache folle, il y
a un problème d'alimentation animale.
M. Pierre LOUISOT - Tout à fait, et nous aurons peut-être des
problèmes avec les antibiotiques donnés aux animaux. Je pense
qu'il y a une mission sur le sujet. Quand on donne des antibiotiques dont on
retrouve des traces dans la viande, tout cela pour faire grossir l'animal, il y
a une certaine dérive. On pourrait effectivement prendre l'alimentation
animale mais je ne sais pas comment le prendrait le ministère de
l'agriculture.
La force de ce système, c'est que nous sommes tous consultatifs. La
décision appartient aux politiques. Encore une fois je sens qu'il y a un
risque à faire fonctionner ensemble des structures qui ne se justifient
pas sur le fond.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les trois organismes dont vous parlez ont les
mêmes tutelles ?
M. Pierre LOUISOT - Les mêmes tutelles, oui. Le visa PP est plutôt
centré sur le ministère de la santé.
Je vous donne un exemple de son rôle. Nestlé a eu des ennuis avec
le LC1, yaourt défendant l'immunité ; l'entreprise a fait une
publicité consistant à dire : " cette variété
de yaourt renforce les défenses de l'organisme ". Dans certaines
publicités avancées, ils avaient ajouté
" immunitaires " ; quand vous dites que vous renforcez les
défenses de l'organisme, cela veut dire quoi ? Que vous vous musclez ?...
M. Charles DESCOURS, président - C'est la même chose pour le
yaourt Bio ? Une charmante jeune femme nous explique que son transit intestinal
va bien...
M. Pierre LOUISOT - ... personne ne l'a prouvé. Cela fait partie des
revendications nutritionnelles que l'on avance comme cela, parce que c'est
sympathique.
M. Charles DESCOURS, président - Et c'est autorisé ?
M. Pierre LOUISOT - C'est autorisé par le visa PP, le problème
est de savoir où l'on s'arrête.
M. Claude HURIET, rapporteur - Mon collègue de Nancy, Gérard
Debry, m'a fait passer un rapport adopté par l'Académie de
médecine, sur ce genre de problèmes des produits
diététiques. Il était très offensif, mais il s'est
retrouvé isolé.
M. Pierre LOUISOT - Tout à fait. Je le connais bien et je partage
totalement son analyse. Le problème est de savoir où on
s'arrête.
Les textes actuels ne sont pas très clairs. Toute revendication
publicitaire passe devant le visa PP.
M. Charles DESCOURS, président - Et les produits et méthodes
présentés comme bénéfiques pour la santé,
c'est dans cette catégorie là ?
M. Pierre LOUISOT - Non, les produits ne passent devant personne. D'ailleurs,
le LC1 quand Nestlé l'a lancé, n'était passé devant
personne. C'est parce que la campagne de publicité avançait un
renforcement des défenses immunitaires de l'organisme que M. Babusiaux
l'a fait passer devant le visa PP.
M. Claude HURIET, rapporteur - Que dit l'Europe là-dessus ?
M. Pierre LOUISOT - Elle ne dit rien. Il y a un " joyeux "
désordre actuellement en Europe et nous en sommes partiellement victimes.
La législation européenne est très souple dans ce domaine
: dès qu'un produit est accepté par un pays de la CEE, il a le
droit de se vendre sans aucune difficulté à tous les autres pays,
sauf si le pays qui n'en veut pas, apporte la preuve de la toxicité.
Actuellement, nous avons un problème avec le Ferovital des belges. C'est
une boisson contenant de l'acide ascorbique avec un sel de fer. Or, tous les
chimistes savent que pour générer des radicaux libres, il y a
très peu de systèmes qui fonctionnent
in vitro,
sauf
celui-là. Au moment où on accuse les radicaux libres d'être
à l'origine du cancer, et de nombreuses maladies de vieillissement, on
ne peut pas laisser circuler librement ce produit dans la population
française.
La Belgique ayant autorisé cette boisson, le fabricant a diffusé
partout en Europe et a trouvé que le Conseil supérieur
d'hygiène publique était sévère. Nous sommes en
procès devant la Cour de justice européenne sur le produit
Ferovital.
On va avoir les mêmes problèmes avec les Premix. Ce sont des
produits excitants que l'on met sur le marché avec là un souci de
tromperie. C'est vrai que pour la Hollande " Narco-Etat ",
50 mg de
caféïne en plus ce n'est pas un problème. Mais en France
nous avons fait la preuve de leur dangerosité. C'est un gros dossier
scientifique pour les rapporteurs, dans le même esprit que l'AMM. Je
trouve que c'est scandaleux car c'est inciter les jeunes à boire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Les experts auxquels vous faites appel qui
sont-ils ?
Je cherche ce qu'il peut y avoir comme rapprochement fonctionnel en terme de
méthodologie. Je pars de l'idée d'un Institut national de
sécurité sanitaire des produits thérapeutiques.
Derrière cet habillage, il y a les agences telles qu'elles existent, et
des agences telles qu'elles n'existent pas.
Si on veut éviter que cela soit seulement une juxtaposition, il faut
trouver la valeur ajoutée, la fertilisation croisée.
Si les experts et les méthodes auxquels vous avez recours sont proches
de ceux de l'Agence française du médicament, l'Agence
française du sang, ... cela nous donne des éléments
concrets.
Quels sont les experts, leurs moyens, les structures auxquelles ils
appartiennent ?
M. Pierre LOUISOT - Ces experts viennent du corps hospitalo-universitaire, des
facultés de médecine, pharmacie, sciences, de l'INSERM, du CNRS
et de l'INRA. Vu du côté des industriels de l'agro-alimentaire,
ils perçoivent très mal d'être assimilés aux
médicaments.
M. Charles DESCOURS, président - En effet, ils ne veulent pas que la
Santé s'en mêle.
M. Pierre LOUISOT - Leur peur la plus terrible c'est effectivement le
ministère de la santé.
M. Charles DESCOURS, président - Sont-ils conscients qu'il y a un lien
entre la santé et l'alimentation ?
M. Pierre LOUISOT - Ils voudraient bien qu'il y ait un lien évident, et
c'est pour cela qu'ils s'intéressent tant aux allégations
santé. Mais ils ne sont pas sûrs que cela soit porteur si on les
assimile aux médicaments.
M. Charles DESCOURS, président - Je ne pense pas qu'au côté
positif.
M. Pierre LOUISOT - Ils ne veulent pas être assimilés aux
médicaments. Certains vous disent que trois instances c'est bien parce
que ça permet de naviguer (Conseil national d'hygiène publique,
la CEDAP, le visa PP).
M. Charles DESCOURS, président - Le Conseil national s'occupe-t-il aussi
des cosmétiques ?
M. Pierre LOUISOT - Quand ils sont en rapport avec la peau, mais pratiquement
pas. En tout cas, pas à la section alimentation, sauf en cas de
toxicité.
M. Claude HURIET, rapporteur - En cas de problème, comment cela se
passe-t-il ? Etes-vous saisi ?
M. Pierre LOUISOT - Nous sommes saisis et nous remettons
régulièrement des avis, des voeux sur tel ou tel problème
sur demande ou de notre propre initiative. Cela représente environ 1/3
de l'activité du Conseil. Parfois, c'est l'administration qui nous
sollicite : par exemple, lorsqu'il s'est agi d'éliminer un certain
nombre de produits dans la crise de la vache folle.
On nous soumet tous les décrets et arrêtés en
matière d'alimentation.
M. Charles DESCOURS, président - Sur la vache folle, on nous a dit qu'il
ne fallait pas croire que seul M. Dormont (CEA) travaillait sur la vache folle.
M. Pierre LOUISOT - C'est le contraire : le seul endroit où l'on s'est
occupé de la vache folle, c'est dans le service des armées, chez
Dormont.
M. Charles DESCOURS, président - Pourquoi les grands organismes comme
l'INSERM, le CNRS ne se saisissent pas ? Ce qui nous inquiète, c'est de
comprendre quelle est l'étincelle qui a manqué pour qu'on se
saisisse officiellement de ce problème et savoir s'il y a un risque ou
non de transmission chez l'homme.
M. Pierre LOUISOT - L'épidémie de la vache folle est, je pense,
venue comme l'épidémie du Sida, comme un phénomène
dominé plutôt par les médias que par la science.
Quand l'épizootie est née en Angleterre, il y a eu un mauvais
raisonnement. La tremblante du mouton reconnue depuis le XVIIème
siècle n'a jamais contaminé, à ce qu'on sache, le moindre
humain. Par conséquent, l'ESB ne devait pas ouvrir non plus cette
possibilité.
Ce ne sont pas les scientifiques qui ont été saisis dans cette
affaire : interrogés il y a cinq ans, l'INSERM, le CNRS, n'auraient
pas pu répondre sur ce sujet. Les rapports de prospectives de ces
organismes sont très nets.
La panique n'est venue que d'un article de mauvaise qualité du
" Lancet " dont la conclusion malheureuse a été de
dire, on ne sait rien, donc la seule chance possible et évocatrice,
c'est que cela soit venu du boeuf. Ce qui est d'une
légèreté incroyable parce que l'on ne sait toujours rien.
La seule encéphalopathie connue c'était le Kourov, dans une tribu
de Nouvelle-Guinée, aux moeurs anthropophagiques. En supprimant le
cannibalisme rituel, on a supprimé la maladie.
En matière de vache folle, je pense qu'aucun scientifique raisonnable ne
peut dire quelque chose de raisonnable. Nous sommes peut-être à la
veille d'une catastrophe avec une multiplication majeure des cas de
Creutzfeld-Jakob ; comme ce sont des maladies extrêmement longues ; on
n'en sait rien.
La virologie depuis 20 ans a été négligée : la
grippe, on n'y connaît rien, la polio a été
réglée, l'hépatite A était embêtante mais ne
traumatisait pas les foules, l'herpès n'est pas un problème
majeur, la variole, il y a la vaccination.
Il a fallu l'épidémie de Sida, qui heureusement n'est pas
contagieux, pour déceler un problème en virologie.
L'épidémie de vache folle est née d'un mauvais papier, au
mauvais moment, qui a réveillé d'un coup dix ans de non
inquiétude.
Je doute de la grande qualité de la recherche anglaise. Les anglais ont
laissé couver ce problème. Les agriculteurs prétendent que
s'il n'y a pas de problème, il ne faut pas s'exciter en ce moment. Mais
c'est un pari que l'on fait sur l'avenir.
Les prions ne correspondent pas à ce qu'on enseigne à la
faculté de médecine et de sciences depuis des années.
Ce que je crains c'est que nous n'ayons pas de vraies informations de si
tôt, en particulier dans les modes de transmission traditionnels. En
effet, si on démontre que l'on peut transmettre la maladie par une
injection intracérébrale du prion chez le primate, cela n'a pas
d'intérêt, nous ne consommons pas le beefsteack par le cerveau.
Tout ce que les scientifiques doivent faire de préférence en ce
moment, c'est se taire et travailler.
Sur la vache folle, mon sentiment actuel c'est une grande inquiétude
face à une évolution des choses qui nous échappe
totalement : ou on va vers une multiplication fondamentale des cas de maladie
en Europe dans l'avenir, ou ça va se finir dans l'absurdité la
plus totale.
M. Claude HURIET, rapporteur - Comme on ne sait pas, a-t-on eu raison de
prendre toutes ces mesures drastiques d'abattage... ?
M. Pierre LOUISOT - Si on avait pris ces mesures un peu plus tôt, surtout
en Angleterre où il existait des fermes regroupant les bêtes
malades et où les agriculteurs ont mis sur le marché des
bêtes malades en toute connaissance de cause, il y aurait moins de
problèmes.
On voit comment un problème mal structuré sur le plan
scientifique, considéré d'abord comme inexistant, s'est
révélé tout d'un coup porteur d'un effet de masse à
l'issue d'un simple papier du " Lancet ".
On a eu de la chance avec la maladie de la vache folle et des
équarrissages. Depuis trente ans, c'est payé sur le
cinquième quartier, avec la vente des farines... Si on n'avait pas
financé par des moyens locaux ou régionaux l'équarrissage,
on allait courir le risque de l'enfouissement sauvage avec des risques de
résurgence du charbon, de salmonellose qui avaient disparu grâce
à l'équarrissage. Heureusement, le monde politique a sagement
reconnu nécessaires les règles du jeu de l'équarrissage.
Il faut se méfier des effets pervers.
M. Charles DESCOURS, président - Merci beaucoup.
B. AUDITION DE M. GUY NICOLAS, RAPPORTEUR GÉNÉRAL, HAUT COMITÉ DE LA SANTÉ PUBLIQUE
M. Claude HURIET, rapporteur - M. Nicolas, pourriez-vous nous
donner la position du Haut Comité en matière de
sécurité des produits thérapeutiques et de veille
sanitaire.
M. Guy NICOLAS - Si vous me le permettez, je m'exprimerai moins en
qualité de membre du Haut comité qu'au titre de vieux clinicien
et de l'expérience acquise au cours des cinq années que j'ai
passées au sein du ministère des Affaires sociales.
J'étais le personnage qui intervenait pour régler tel ou tel
problème. Je me suis aperçu que si on savait gérer les
crises, on ne les anticipait jamais. Lorsque les affaires des valves cardiaques
ou des sondes de pacemakers défaillantes sont intervenues, il n'y avait
aucun dossier, aucune traçabilité des individus.
M. Charles DESCOURS, président - Il y en a une pour les pacemakers.
M. Guy NICOLAS - C'était il y a trois ans. Trouver en quelques heures
qui portait un pacemaker était difficile. Le mot " veille "
recouvrait une réalité inexistante. C'était de
l'à-peu-près. Il n'y avait pas de projection pour l'avenir.
Il y a parfois plus de crédibilité dans les articles de presse,
même s'ils vont chercher des situations extrêmes. Il y a eu
l'affaire du sang contaminé, celle de l'amiante. Quand cette
dernière a été révélée, le ministre
en charge du dossier était Mme Hubert. Nous avions connu tous deux en
1962, à St-Nazaire, le premier cas de mésotéliome. Nous
pensions la maladie connue, l'amiante interdite et que tout était
réglé. 25 ans plus tard, on s'aperçoit que l'amiante a
été diffusée partout. Un événement s'est
produit, puis a été oublié. Le dossier de la Direction
générale de la Santé était vide !
On apprend que les risques induits par l'amiante étaient
surveillés par des gens intéressés à son
développement. Elle a été remplacée par d'autres
produits. Personne ne peut dire s'ils sont dangereux pour l'homme. Quand les
premiers cas d'encéphalite spongiforme bovine se sont produits, on n'a
pas essayé d'en savoir beaucoup plus sur un éventuel passage
à l'homme.
M. Charles DESCOURS, président - Je partage votre sentiment. Que
préconisez-vous pour sortir de cette situation ?
M. Guy NICOLAS - Il faut développer la notion de connaissance du risque.
Quand un nouveau médicament est introduit, il y a deux
possibilités :
- soit il y a un risque connu. Dans ce cas, des barrières
d'utilisation sont instaurées, le produit est surveillé
régulièrement. C'est le rôle de l'Agence du
médicament. Elle doit également surveiller si le produit est fixe
dans sa composition.
Quand j'étais interne, on donnait du bismuth par wagon. Il ne provoquait
pas d'encéphalopathie. A partir d'une date, alors qu'on en
délivrait moins, il y en a eu. Etait-ce le même produit ? C'est le
rôle de la pharmacovigilance de s'en assurer.
Les médecins signalent-ils les accidents ? Souvent non ; parfois une
fois. Leur déclaration donne lieu à l'ouverture d'un dossier,
à une enquête inquisitoriale alors que les médecins ne sont
pas toujours sûrs que le médicament est en cause. Il faudrait une
procédure moins lourde, que le praticien soit aidé dans le retour
des informations.
- soit le risque n'est pas connu du tout ou apparaît parmi d'autres.
Il faut alors l'identifier, remonter l'information.
La traçabilité est très importante. Si on a un doute sur
un produit, il faut pouvoir remonter la chaîne et voir comment se portent
les autres patients.
Chaque événement doit être analysé. Certains
accidents sont évitables (non-respect des interactions, des contre
indications) ; d'autres résultent de réactions inattendues. On en
revient au débat sur les notions de faute ou de risque.
M. Charles DESCOURS, président - Dans le cas de la vache folle, pourquoi
personne ne s'est-il interrogé sur le passage à l'homme ? On
mange de la viande tous les jours.
M. Guy NICOLAS : Les chercheurs sont coupés de la réalité.
A l'INSERM, chacun regarde son objectif, sa priorité. Par exemple,
l'intérêt des fondamentalistes s'arrête dès qu'on
dépasse le stade de la cellule.
M. Claude HURIET, rapporteur - Si vous avez raison, une autre organisation, une
autre structure ne modifieront pas cette situation...
M. Guy NICOLAS - ... lLa recherche est trop fragmentée.
M. Claude HURIET, rapporteur - C'est un des éléments que nous
avons observé. C'est une forme de myopie intellectuelle. A l'INSERM, il
doit bien y avoir un organisme coordinateur, plus en prise avec la
réalité.
M. Guy NICOLAS - Sans être critique, la santé publique ne les a
jamais intéressés. Les laboratoires de l'INSERM ne
s'intéressent qu'à la recherche fondamentale. Ainsi, par exemple,
ils gèrent les certificats de décès, sans même
expliquer aux médecins à quoi ça sert. Ce qui fait que le
nombre de morts subites de l'adulte varie en France entre 3.200 et 3.500. Dans
les pays équivalents et après péréquation de la
population, il varie entre 60.000 et 70.000. En fait, sur les certificats de
décès, les médecins motivent le décès par un
arrêt cardiaque ou un infarctus, ce qui gonfle le nombre de ces
pathologies. Peu de médecins inscrivent : " mort subite ".
Il
aurait fallu leur expliquer.
M. Charles DESCOURS, président - Le réseau national de la
santé publique pourra-t-il s'imposer auprès de ces mandarins ?
M. Guy NICOLAS - Non. Le réseau fera de la veille infectieuse, mais pas
à un autre échelon. Chaque agence fonctionne comme un centre
autonome. Comme pour le sang, on retrouve des organismes qui fonctionnent en
autarcie. Il faut un organisme du type CSA au-dessus d'eux, transparent,
disposant d'un pouvoir d'investigation et pouvant voir les dossiers.
M. Claude HURIET, rapporteur - Existe-t-il des domaines où rien n'existe
ou d'une manière défaillante ?
M. Guy NICOLAS - Celui de la iatrogénie. On ramène tout aux
maladies nosocomiales. Les accidents devraient être vus globalement. Je
découvre ces dossiers à travers les dossiers de justice. Il y a
des choses horribles.
M. Claude HURIET, rapporteur - Avez-vous des statistiques ?
M. Guy NICOLAS - Il y a 10 à 12 % de pathologies iatrogènes. On
ne sais pas à quoi cela correspond. Il y a un partage entre les fautes
et les accidents. En majorité, les accidents mortels résultent de
fautes. Chaque événement devrait être analysé.
Dans le cadre de la préparation du projet de loi sur l'aléa
thérapeutique, nous avions bâti un schéma, avec un
comité qui aurait étudié chaque dossier.
M. Claude HURIET, rapporteur - En-dehors de la iatrogénie, y a-t-il
d'autres domaines défaillants ? Je pense aux dispositifs. Les valves
sont du ressort de la direction des hôpitaux.
M. Guy NICOLAS - A l'époque, la Direction des Hôpitaux
était incapable de fournir des informations. Depuis, un effort a
été produit.
Il ne faut pas laisser la matério-vigilance vivre en autarcie. Des gens
de l'extérieur doivent pouvoir intervenir. C'est également vrai
pour l'AMM.
M. Charles DESCOURS, président - Dès qu'elle concerne d'autres
ministères, que se passe-t-il ?
M. Guy NICOLAS - Il faudrait une mission interministérielle pour les
questions liées à l'environnement, la pollution et la
toxicomanie. Dans ce dernier cas, deux logiques s'opposent : la logique
sécuritaire et la logique de santé. C'est toujours le
ministère de l'intérieur qui gagne.
Les répercutions sur la santé viennent souvent
d'événements extérieurs au ministère de la
santé. C'est le cas pour la maladie de la vache folle.
M. Charles DESCOURS, président - Le ministère de la santé
ne dispose pas des moyens suffisants.
M. Guy NICOLAS :- Il faudrait le refaire, éliminer les doublons. Dans
les différentes directions, des bureaux font parfois la même chose
et ne s'entendent pas.
C. AUDITION DE M. BERNARD MONCELON, DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHE ET DE FORMATION DE L'INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE ET DE SÉCURITÉ (INRS).
M. Bernard MONCELON - Créé en 1968 par la Caisse
nationale d'assurance maladie (CNAM), à partir de la fusion d'un centre
parisien avec un centre de Nancy qui se proposait d'étudier l'homme au
travail, l'INRS a pour mission de mieux connaître les risques, d'analyser
leurs conséquences pour la santé de l'homme au travail. Il est
placé sous la tutelle du ministère du travail et des Affaires
sociales et suit les directives de la CNAM.
La CNAM et la direction de la sécurité sociale sont
représentées au sein de notre conseil d'administration,
géré paritairement : Il y a neuf représentants du
CNPF et de la CGPME et neuf représentants des organisations syndicales
représentatives des salariés. Dans le cadre de la
répartition des postes de direction entre les organisations
socio-professionnelles, le président du conseil d'administration est
toujours un représentant du patronat.
Notre budget est assuré par la cotisation due au titre des accidents du
travail et des maladies professionnelles. Nous reversons 95 % de cette somme
aux salariés qui en sont victimes, et consacrons 3 à 4 % aux
actions de prévention et de formation, au niveau des seize caisses
régionales d'assurance maladie et des quatre caisses de l'Outre-mer,
sous forme soit de prêts remboursables, soit de dons.
M. Charles DESCOURS, président - Je ne connaissais pas votre organisme.
Comment s'insère-t-il dans l'affaire de l'amiante ?
M. Bernard MONCELON - D'un strict point de vue des missions qui nous ont
été confiées, nous ne sommes pas habilités à
interdire l'amiante. Il nous revient de mettre en oeuvre une politique de
prévention, conformément à la législation en
vigueur.
Cependant, nous disposons d'un service de recherches, composé de
chercheurs et de médecins à temps plein, qui contribue à
l'amélioration des connaissances. Quand l'INRS a été
instauré, les pathologies liées à l'amiante étaient
connues depuis longtemps. Depuis 1968, l'INRS s'est fait l'écho des
connaissances en la matière.
Nous avons participé, en 1972-1974, à une expertise à
Jussieu, conjointement avec le laboratoire d'hygiène de la ville de
Paris. Un rapport d'expertise a été déposé.
Les progrès réalisés dans la comptabilité des
polluants ont permis, en quinze ans, d'affiner le calcul du nombre de fibres
d'amiante. Nous avons formé des laboratoires capables de faire ces
mesures, avec des circuits de comparaison.
Depuis sept ou huit ans, compte tenu de la toxicité de l'amiante, des
produits de remplacement ont été proposés. Les fibres de
céramique sont peut-être plus dangereuses encore que les fibres
d'amiante. Actuellement, nous participons à une étude
internationale, coordonnée par un institut britannique, l'IOM. Nous en
connaîtrons les résultats d'ici six mois à un an.
L'INRS n'a pas obtenu d'un prédécesseur de M. Barrot la
suppression de l'amiante, mais il n'avait pas l'autorité pour le faire.
Par contre, avons-nous envoyé assez de notes d'information ?
M. Charles DESCOURS, président - Vous y préconisiez
l'interdiction ?
M. Bernard MONCELON - Nous attirions l'attention sur le danger à
manipuler de l'amiante. N'oubliez pas que notre financement vient des
entreprises et que c'est notre conseil d'administration qui vote le programme
et le budget.
M. Claude HURIET, rapporteur - Quel est le rôle de l'INRS en
matière de veille sanitaire, de sécurité de produits ?
L'INRS est-il alerté quand intervient un événement
pathologique dans une entreprise ?
M. Bernard MONCELON - Nous sommes en prise directe avec les
préoccupations sur le terrain. Nous avons des liens avec les caisses de
prévention de l'assurance maladie. Les médecins conseils font
appel à nous quand ils estiment qu'un produit nouveau pourrait
être suspect. Nous sommes également proches des médecins du
travail qui savent que nous pouvons pénétrer dans les entreprises.
L'INRS est chargé du contrôle des produits chimiques nouveaux pour
le compte du ministre du travail, qui peut aussi demander l'avis du conseil
supérieur de la prévention des risques professionnels (CSPRP).
M. Charles DESCOURS - N'y a-t-il pas redondance ?
M. Bernard MONCELON - Le CSPRP, ce sont quinze personnes autour du ministre du
travail. Nous avons créé des passerelles, des liens
d'intérêts, avec les médecins du travail, les experts pour
les aider à comprendre ce qui se passe. Il n'y a pas de relations
institutionnelles. Le ministre du travail a toujours eu recours à l'INRS
pour ne pas créer un nouvel organisme. Depuis vingt ans, il s'appuie sur
nous pour le contrôle des produits chimiques et l'examen des machines.
Dans les discussions à Bruxelles, il nous demande de le
représenter.
Pour les produits chimiques, jusqu'en 1974, la règle était de
donner une AMM générale, sous réserve de quelques
interdictions. Depuis, le système est inversé.
On distingue les molécules et les substances nouvelles dont on peut
penser qu'elles peuvent générer des troubles et les substances
anciennes. Il y a de nombreuses substances qui existent depuis 100 ans qui
n'ont pas été contrôlées. Si, par exemple, une
nouvelle colle est mise sur le marché, il faut une AMM.
M. Claude HURIET, rapporteur - Il existe un système de vigilance. Si,
à la suite d'incidents, une substance ancienne est suspectée, que
se passe-t-il?
M. Bernard MONCELON - La vigilance repose sur l'INSERM. Je ne suis pas
sûr qu'elle soit bien exercée.
A l'INRS, nous nous considérons comme engagés dans la vigilance
à l'égard des salariés exposés, dans les
entreprises, aux risques induits par les produits. Je ne peux pas vous dire,
compte tenu du nombre de produits, si nous l'exerçons parfaitement. Nous
pouvons étudier deux à quatre produits par an. Quand un accident
du travail ou une maladie professionnelle intervient, il y a une enquête
de l'inspection du travail qui donne lieu à un procès-verbal et
à un rapport.
Les médecins du travail ne sont pas obligés de s'adresser
à nous. Cependant, ils le font de plus en plus souvent. Nous avons
constitué une banque de données pour exploiter les accidents du
travail.
M. Claude HURIET, rapporteur - La vigilance doit être exercée le
plus en amont possible. Le rôle de l'INRS devrait être de lever les
interrogations dès qu'un événement se produit. Il y a des
risques reconnus (usage des colles) et des risques que l'on peut
aisément identifier.
M. Bernard MONCELON - Ce problème dépasse les capacités
des organismes existants. Deux ou trois observations ne permettent pas de tirer
des conclusions. Une enquête épidémiologique convenable
doit porter sur une population importante.
Quand un risque est reconnu, les choses sont assez simples. Lorsqu'il s'agit
d'évaluer un risque susceptible d'intervenir dans un an ou dans dix ans,
c'est plus difficile.
M. Claude HURIET, rapporteur - Si trois ou quatre accidents interviennent en
France, l'INRS est-il alerté ?
M. Bernard MONCELON - L'INRS n'est pas obligatoirement saisi. Nous avons
constitué depuis 10 ans une banque de données pour rassembler les
résultats des prélèvements faits par les services de
prévention des caisses d'assurance maladie. Nous avons un
échantillon des entreprises où il s'est passé quelque
chose. Ce n'est pas représentatif de la situation globale. Nous avons
l'intention de bâtir une banque de données sur la situation de la
pollution dans différentes entreprises. Nous pourrions ainsi
connaître, dans les verreries, quels sont les produits utilisés,
leur concentration dans l'atmosphère....
M. Charles DESCOURS, président - Les relations avec les médecins
du travail sont-elles institutionnelles ?
M. Bernard MONCELON - Non. Nous avons la volonté de faire de l'INRS un
instrument technique de prévention au service des caisses de
prévention de l'assurance-maladie.
A Nancy, l'INRS dispose d'une population de gens qualifiés qui ne se
sont pas contentés de rester dans le domaine étroit qui leur
avait été confié. Nous avons repoussé les limites
de notre champ de compétences, mais les pouvoirs publics ne nous ont pas
confié une mission de vigilance.
Pendant des années, nous avons vécu sur la conception du risque
" zéro ". C'était aussi la revendication des syndicats.
Elle n'était pas tenable. Se croyant protégées, les
personnes ne faisaient pas attention. Nous avons fait prendre conscience que la
maîtrise du risque était la meilleure méthode de
prévention, avec une formation et une sensibilisation adéquates.
Il ne faut pas non plus que le principe de précaution devienne
paralysant. Je voudrais enfin attirer votre attention sur une chose : si le
risque d'exposition à l'amiante a été
maîtrisé dans les entreprises, il reste encore à informer
le public. Des ouvriers du second oeuvre peuvent parfois travailler sur des
métaux dont ils ne connaissent pas la composition.
Le directeur général de la santé, M. Girard, a
été préoccupé par la flambée de
mésotéliomes. On a " floqué " de 1962 à
1977. Des ouvriers ont été exposés. Compte tenu du temps
de latence, la flambée était prévisible depuis 1962. Nous
avons été choqués par les propos de MM. Kouchner et
Lalonde qui ont affirmé ne pas avoir entendu parler de l'amiante.
En s'appuyant sur l'INRS, il faut créer des réseaux d'information
afin que demain soit mieux qu'hier.
M. Charles DESCOURS, président - Nous vous remercions.
XIV. SÉANCE DU MARDI 28 JANVIER 1997 - ÉCHANGE DE VUES SUR LE PROJET DE RAPPORT
Sous la présidence de M. Charles Descours, président , la mission d'information a procédé à un échange de vues sur le projet de rapport présenté par M. Claude Huriet, rapporteur .
COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EFFECTUÉ AUX ETATS-UNIS DU 13 AU 21 SEPTEMBRE 1996
La réputation faite au système de
sécurité sanitaire américain, particulièrement
à la Food and Drug Administration (FDA), en charge presque exclusive du
contrôle des produits destinés à l'homme, a conduit la
mission à choisir d'y accomplir un déplacement du 13 au 21
septembre dernier.
La délégation, conduite par
M
.
Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des Affaires sociales
, était
composée de son président, M.
Charles Descours
, de
son rapporteur, M.
Claude Huriet
ainsi que de M.
François
Autain
, Mme
Jacqueline Fraysse-Cazalis
, MM.
Dominique
Leclerc
et
Bernard Seillier
.
Le système américain de sécurité sanitaire
s'organise autour de trois grandes missions :
- le contrôle et l'autorisation de la mise sur le marché des
produits, qui sont assurés pour l'essentiel par la FDA, à
l'exclusion de la viande, de la volaille et des oeufs dont la tutelle est
assurée, pour des raisons historiques, par le département du
ministère de l'agriculture ;
- la mission de veille sanitaire qui est assurée par les Centers for
disease control (CDC) établis principalement à Atlanta ;
- l'évaluation des activités médicales et
thérapeutiques qui est assurée par la Health policy agency (HPA),
établie à Washington.
Il appartient au secrétariat à la santé de définir
pour sa part la politique de santé. Les autorités
américaines ont récemment réduit fortement ses moyens pour
accroître parallèlement ceux des outils qui viennent d'être
décrits.
Les développements qui suivent ont pour objet :
- d'abord, de rendre compte des entretiens de la délégation dans
l'ordre chronologique de leur déroulement ;
- de décrire l'organisation générale du système de
santé américain ;
- de préciser enfin le rôle et les compétences respectives
de chacune des trois agences dont les missions ont été
brièvement décrites ci-dessus.
I. LES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION
Lundi 16 septembre 1996 Washington DC
10 heures
: Entretien avec
Terri Modley, administrator- Animal
Plant Health Inspection Service
Trois administrations concourent au contrôle des produits issus de la
biotechnologie végétale : le Food and Drug administration (FDA),
l'agence de l'environnement et les services d'inspection du ministère de
l'agriculture.
Trois concepts fondent l'organisation de ce contrôle :
- le concept de précaution : le risque est toujours présent ;
- le concept de familiarité : les informations sur le risque doivent
être recherchées et constamment entretenues ;
- le concept de transparence : le public doit être informé,
consulté et, le cas échéant, associé au processus
de décision.
Il a été précisé par ailleurs que les risques
induits par les produits issus de la biotechnologie végétale ne
présentent pas une différence de nature avec ceux nés des
produits agricoles traditionnels, mais seulement une différence de
niveau résultant de la complexité des techniques
utilisées
.
11 heures
: Entretien avec
M. Mike Taylor, secrétaire
d'Etat adjoint, Department of agriculture
Mike Taylor, responsable de la sécurité alimentaire du
département de l'agriculture, ancien agent de la FDA, a rang de
secrétaire d'Etat adjoint.
Pour des raisons historiques, le contrôle de la viande et des oeufs,
à l'exclusion de la volaille, échappe à la
compétence de la FDA et est assuré par le ministère de
l'agriculture. Les produits transformés ou les produits concourant
à cette transformation sont cependant de la compétence de droit
commun de la FDA.
Le contrôle des produits placés sous la juridiction du
département de l'agriculture est, du fait de leur nature, fondé
sur les concepts de prévention et d'accompagnement. Il s'agit moins, en
effet, de contrôler la qualité et la sécurité des
produits finis que de contrôler et d'inspecter les différents
stades de la production.
Le département affecte 10.000 agents à l'exercice de ces
contrôles, qui sont effectués sous la tutelle d'une commission de
sécurité alimentaire garantissant la transparence de son
activité et l'information du public.
14 heures 30
: Entretien avec
M. Carl Feldbaum, président
de l'association BIO et plusieurs de ses collaborateurs
L'association est chargée de défendre, auprès des
administrations fédérales, les intérêts des
entreprises de biotechnologie établies aux Etats-Unis.
L'association compte 650 membres, répartis dans 47 états :
- 70 % développent leurs activités dans le secteur
médical, qu'il s'agisse du génie génétique, de la
médecine moléculaire, ou des thérapies géniques et
cellulaires et sont contrôlés par la FDA ;
- 20 % appartiennent à la filière agricole et sont
contrôlés par la FDA ou le Ministère de l'agriculture ;
- 10 % produisent des organismes génétiquement
modifiés et sont contrôlés par l'agence de l'environnement.
L'Association s'assigne trois missions :
- adapter le droit des brevets aux exigences des technologies nouvelles ;
- adapter les instruments capitalistiques aux mêmes exigences ;
- favoriser l'élaboration de règles bioéthiques.
L'Association développe une action de communication auprès des
pouvoirs publics et de l'opinion. Elle dispose d'un système
d'informations sur l'environnement international.
Les reproches adressés par l'Association au fonctionnement de la FDA
tiennent essentiellement aux délais d'examen des dossiers qui lui sont
soumis.
16 heures 30
: Entretien avec
M. Philip Lee, Assistant secretary
for Health
Philip Lee, qui a été secrétaire d'Etat adjoint du
président Lyndon Johnson, est l'un des plus anciens responsables de la
politique de la santé pour le parti démocrate.
Selon lui, au-delà de sa complexité apparente, le système
de santé américain repose sur trois piliers importants :
- la FDA, en charge de l'autorisation et du contrôle de la
sécurité des produits ;
- les CDC, en charge de la veille sanitaire ;
- la HCPR Agency, en charge de l'évaluation médicale.
Ces trois piliers mettent à la disposition du secrétaire d'Etat
à la santé les instruments propres à définir la
politique de santé des Etats-Unis.
Les National Institut of Health sont, pour leur part, en charge de la recherche
publique médicale. Leur mission s'apparente à celles de l'INSERM.
Trois remarques sur cette organisation :
- si elle peut induire des chevauchements de compétences, elle garantit
qu'aucune activité n'échappe au contrôle d'une ou de
plusieurs agences ;
- le chevauchement de compétences n'entraîne aucune concurrence
entre les instances et conduit l'administration de la santé à
exercer un rôle de coordination ;
- le secrétariat d'Etat doit respecter l'indépendance des agences.
Trois remarques à propos de la compétence de la FDA :
- le congrès a récemment confirmé la compétence du
ministère de l'agriculture pour le contrôle de la viande et des
oeufs ;
- " si c'était à refaire ", Philip Lee distinguerait
le contrôle des produits thérapeutiques de celui des produits
alimentaires ;
- la FDA est critiquée moins pour ses méthodes et sa
compétence scientifique, unanimement reconnue, que pour la bureaucratie
de ses procédures et les délais excessifs que celle-ci induit.
Mardi 17 septembre 1996 Washington
Journée à la Food and Drug Administration
9 heures
: accueil par
Dr. Sharon Smith Holston
Deputy Commissioner for External Affairs
9 heures 15
:
Dr. Randolph Wykoff
Diane Thompson
Associate Commissioner for Legislative Affairs
Walter Batts
Director, Office of International Affairs
Office of External Affairs
Linda Horton, Esq
.
Director, international Policy Staff
Office of Policy
Patrick Wilson
Acting Associate Director
10 heures 30
:
Kathryn Zoon
Director, Center for Biologics Evaluation and Research
Elaine C. Esber, MD
Associate Director for Medical and International Affairs
13 heures 30
:
John Venderveen
, Director
Office of plant and Dairy Food ans Beverage, Center for Food
Safety and Applied Nutrition
James Maryanksi
Biotechnology Strategic Manager
Robert Teske
Deputy Director, Center for Veterinary Medicine
14 heures 30
:
Elizabeth Jacobson
Deputy Director
Center for Devices and Radiological Health
Steve Unger
Deputy Ombudsman
Office of the commissioner
15 heures 45
:
Michael Friedman
Deputy Commissioner for operations
La compétence générale d'autorisation et de
contrôle des produits thérapeutiques confiée à la
FDA ne reçoit qu'une seule exception, pour des raisons historiques. Elle
porte sur les produits naturels issus directement des filières de la
viande et des oeufs (à l'exclusion de... la volaille), qui sont
contrôlées par le ministère de l'agriculture.
La FDA emploie plus de 10.000 personnes et contrôle tous les produits
destinés à l'alimentation. Si chacune de ces catégories de
produits est contrôlée par un département
spécialisé, les procédures et la déontologie sont
définies par les instances dirigeantes de l'agence et sont
fondées sur des textes régulièrement
aménagés par le congrès des Etats-Unis.
La FDA définit les conditions de sa réussite autour de dix
commandements sans lesquels elle estime ne pas pouvoir s'assurer la confiance
du public :
1°) sa mission doit être définie et ses règles de
fonctionnement clairement codifiées ;
2°) l'indépendance de ses autorités de décision doit
être totale ;
3°) cette indépendance doit être justifiée par la
qualité scientifique incontestable des expertises ;
4°) toutes les données scientifiques doivent être connues par
l'agence qui doit partager tout son savoir ;
5°) le pouvoir scientifique doit s'adosser à une autorité
statutaire et réglementaire, fédératrice et
compétente ;
6°) le budget de l'agence ne doit pas contraindre la liberté et la
qualité de son expertise ;
7°) les produits semblables doivent être soumis à des
règles semblables ;
8°) le dialogue avec l'industrie doit être fondé sur le
respect des droits des personnes privées ;
9°) le processus d'expertise et de décision doit être
transparent et compris par l'opinion publique ;
10°) la réglementation doit être flexible et souple dans son
application.
Trois agents de l'agence sur quatre sont des scientifiques.
42 comités consultatifs contribuent à l'instruction
scientifique de ses dossiers.
Les critiques généralement adressées à la FDA ne
portent ni sur la qualité de son expertise, ni sur l'efficacité
de ses procédures, mais sur le caractère bureaucratique de ses
méthodes, qui allongent indûment les délais d'examen des
demandes qui lui sont adressées par les industriels. Or, ces
délais sont précisément, selon la FDA, la
conséquence du niveau d'exigence qu'elle s'est fixée.
L'intérêt d'une agence unique pour tous les produits
thérapeutiques tient à l'unité des principes et de la
méthode, qui n'interdit évidemment pas la diversité des
procédures pour tenir compte de la variété des produits.
Il ne faut pas, enfin, confondre le contrôle de l'autorisation des
produits avec la veille sanitaire, dont le champ est plus large et souvent
différent.
Les CDC sont en charge de cette veille, qui doit constituer le deuxième
pôle du système de santé.
Mercredi 18 septembre 1996 Washington DC
8 heures
:
Rencontre avec
M. Sam Gejdensen,
représentant républicain du Connecticut
M. Sam Gejdensen appartient manifestement au courant ultra-libéral de
son parti. Au-delà des critiques généralement
adressées à la bureaucratie de la FDA et aux délais
excessifs qu'elle induit, il a plaidé pour une forte
déréglementation du système d'autorisation et de
contrôle des produits commercialisés aux Etats-Unis.
9 heures
: Rencontre avec
M. Ron Wyden, sénateur
démocrate de l'Orégon
Délégué par le parti démocrate pour les
questions de sécurité sanitaire, Ron Wyden est à l'origine
de l'un des projets de réforme de la FDA. Son objectif est de renforcer
la mission de sécurité sanitaire confiée à l'agence
en incitant cette dernière à réduire ses délais par
une remise en cause de ses procédures, jugées trop
bureaucratiques.
Si aucune réforme n'a pu être votée avant les
élections, le débat sur les propositions déposées
par les membres du congrès a, par lui-même, permis d'exercer une
pression suffisante sur la FDA pour l'inciter à amender fortement ses
pratiques.
Le Sénateur Wyden estime ainsi que ses propositions ont, à 80 %,
été prises en compte par la FDA entre avril et novembre 1995.
Soucieux de respecter l'indépendance de la FDA, il a toutefois
rappelé que la nomination de ses principaux responsables
dépendait du bon vouloir du congrès, estimant que cet
équilibre était profitable au bon fonctionnement de l'agence.
Le sénateur Wyden a enfin plaidé pour une harmonisation des
procédures américaines et européennes.
10 heures
: Rencontre avec le
Docteur Paul Brown
,
spécialiste des prions et de la maladie de Creutzfeld-Jacob,
National
Institutes of Health
.
Cet entretien a permis d'apprécier concrètement l'implantation
des NIH et de mesurer ainsi physiquement l'importance de la recherche publique
américaine.
Paul Brown a principalement évoqué les problèmes
liés à l'encéphalite spongiforme bovine. Il a, pour
l'essentiel :
- estimé qu'il était difficile d'apprécier la
réalité américaine de la diffusion de l'infection, et
considéré que les Etats-Unis, comme la France, avaient su se
préserver d'une contamination à l'anglaise ;
- que les Etats-Unis avaient interdit les farines animales d'origine
britannique d'autant plus aisément qu'ils n'en importaient pas ;
- que la situation franco-américaine était en partie due
à la faible importance, dans ces deux pays, du cheptel ovin ;
- que l'hypothèse d'une transmission à l'homme
n'était pas confirmée.
12 heures
: Rencontre avec des représentants de
Meed,
Smiker, Show and Mc Clay,
cabinet de consultants spécialisés
en homologation auprès de la FDA et avec
JP Bartin
, fabricant
français, établi aux USA, de matériels endoscopiques et
orthopédiques.
19 heures
: Saint-Louis (Missouri)
Première rencontre avec une partie de l'équipe dirigeante de la
société MONSANTO
Hendrick
A. Verfaillie
, Corporate Executive Vice President
(Member of the Monsanto Corporate Management Board and responsible for all
Monsanto agriculture related business units)
Robert T. Frayley
, President, Ceregen
(Monsanto's plant sciences/biotechnology business unit)
Robert L. Harness
, V.P. Registration & Regulatory Sciences
(Responsible for corporate regulatory affairs)
Toby Moffett
, V.P. International Government Affairs
(Responsible for corporate relations with governments)
Jerry Knock
, President Europe (France), Benevia
(Responsible for the Benevia food additives and artificial sweetners business
unit in Europe)
Holly Vene
, Executive Director, Europe/Africa Operations
(Responsible for planning and development of pharmaceutical business in
Europe/Africa)
Herve Henaff
, President Europe/Africa, Searle (France)
(Responsible fort the G.D. Searle pharmaceutical business unit in Europe)
Michael Dykes
, Director, International Affairs
(Responsibilities include international registrations of bioengineered products)
James Enyart
, Director, International Affairs
(Responsibilities include international matters concerning the crop
agricultural business unit)
Le groupe Monsanto, né de l'industrie sucrière, fortement
implanté dans la région de Saint-Louis, développe de
très nombreux produits issus des biotechnologies végétales
et détient une part déterminante du marché mondial des
édulcorants (Canderel en France). Il commercialise enfin quelques
médicaments à travers sa filiale, Searle, établie en
France.
Jeudi 19 septembre 1996 Saint-Louis (Missouri)
9 heures 30
: Présentation des activités de Monsanto
-
David Stark
-
Philippe Castine
- (Hybritech Europe)
11 heures 30
: Entretien sur les systèmes
américains, japonais et européens de réglementation
-
Bob Harness
12 heures
: Débat
L'analyse des cadres dirigeants de la compagnie Monsanto sur les agences
d'autorisation et du contrôle de produits thérapeutiques est
sévère :
- le système américain d'autorisation des produits est flexible
mais ses délais sont excessifs ;
- le système japonais d'autorisation des produits est très
rigide, mais ses délais sont convenables ;
- la flexibilité de l'un tient à la qualité d'une
expertise scientifique qui manque cruellement à l'autre ;
- les systèmes européens empruntent au Japon la
rigidité des méthodes et aux Etats-Unis l'incertitude des
délais ;
- les procédures européennes étant ainsi
définies, l'expertise scientifique française se distingue par sa
qualité.
Ce jugement tranche avec les réactions de certains industriels
français.
En outre, pour cette compagnie, l'Europe constitue un tout et il n'y a pas de
législation nationale qui se distingue d'une autre.
Vendredi 20 septembre Atlanta (Georgie)
Journée aux Centers for disease control
9 h 30 - 10 h 00
: -
Elena Belansky
Chief, bilateral health agreements and international visitors activity
international health program office
10 h 00 - 11 h 00
: -
Richard Ehrenberg,
MD
Senior medical epidemiologist
Office of extramural activities national institute for occupational safety
and health
11 h 00 - 11 h 30
: -
Ronald Valdiseri,
MD
Deputy director, national center for HIV, STD and TB prevention
11 h 30 - 12 h 00
: -
Claire Broome
, MD
Deputy director, office of the director CDC
15 h 00 - 16 h 00
: -
David Ross
, ScD
Assistant director for information and communication services, public
health practice program office and director, information network for public
health officials
Il n'existait à l'origine qu'un seul centre chargé de
surveiller l'évolution des maladies transmissibles. Ce cadre initial a
été progressivement élargi à l'environnement,
à la promotion de la santé, à la médecine du
travail, aux maladies chroniques, et, d'une manière
générale, à tout ce qui peut contribuer à
l'amélioration de la santé des Américains.
Les CDC emploient 9.000 personnes, dont 3.800 sont établies à
Atlanta, et disposent d'un budget de 10 milliards de francs. Ils sont
considérés comme le modèle international dans le domaine
de la santé publique et de l'épidémiologie et sont, de
fait, le bras séculier de l'Organisation mondiale de la santé
(OMS).
Il est important de souligner que les CDC n'ont ni mission d'inspection, ni
fonction de contrôle. Ils ne réglementent pas davantage. Il
appartient aux administrations compétentes de l'Etat
fédéral ou le plus souvent à celles des Etats
fédérés de s'acquitter de ces missions.
Les CDC s'en tiennent seulement à des recommandations dont
l'autorité scientifique est telle que le secteur privé comme le
secteur public les mettent spontanément en oeuvre, sachant que, dans le
cas contraire, leur responsabilité serait engagée.
II. L'ORGANISATION GÉNÉRALE DU SYSTÈME DE SANTÉ AMÉRICAIN
Le département de la santé des Etats-Unis
comporte quatre grands services et était, jusqu'à une date
récente, placé sous l'autorité du secrétaire d'Etat
et celle du " Surgeon General ".
Une des originalités de ce Département était le rôle
du " Surgeon General ", sorte de Directeur Général de
la Santé hors hiérarchie, très indépendant,
chargé de donner des conseils d'orientation de la politique de
santé publique sans en avoir les pouvoirs opérationnels. Ses
principales responsabilités concernaient la lutte contre le tabagisme et
la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
La nomination du dernier " Surgeon General ", au printemps
1995, a
été l'objet d'un affrontement sévère entre
l'exécutif et le Sénat, à la suite de l'annonce faite par
le Président Clinton de nommer à ce poste le Dr Foster,
gynécologue afro-américain connu pour ses initiatives en
matière de prévention des grossesses d'adolescentes. Mais le fait
que le Dr Foster ait procédé lui-même à des
interruptions volontaires de grossesse l'a fait disqualifier par le
Congrès. Il n'y a donc pas actuellement de " Surgeon
General "
en titre, mais seulement un remplaçant. Les intentions du Congrès
républicain sont de supprimer cette fonction dans l'avenir.
1. L'organigramme du secrétariat d'Etat à la santé
L'organigramme ci-après permet de mieux préciser l'organisation générale du secrétariat d'Etat.
ORGANIGRAMME DE L'ADMINISTRATION DE LA SANTÉ
AUX
ETATS-UNIS
Les principales branches du Department
of Health and Human
Services
(HHS) sont le Public Health Service, la Health Care Financing
Administration (HCFA, prononcer " Hicfa "), le National
Center for
Healths Statistics.
Sont écartés du champ de la présente étude, le
service de l'administration générale et du budget ainsi que le
Health Care Financing Administration (HCFA).
HCFA est l'administration qui gère les budgets de deux grands programmes
fédéraux d'assurance maladie MEDICARE et MEDICAID. Medicare
assure les dépenses de maladie des personnes de plus de 65 ans, Medicaid
celles des indigents. Ces deux programmes, pris en charge par le budget
fédéral, représentent le tiers des dépenses totales
de santé.
Il convient en revanche de mieux définir les missions respectives du
" Public Health and Science " et du " Public
Health
Service ".
2. Le " Public Health and Science "
Le service " Public Health and Science ", dirigé par Philip Lee, était l'un des départements clés du Ministère, chargé d'élaborer la politique de " santé publique ". Il comprenait 1.500 personnes, et l'une de ses oeuvres les plus brillantes était le rapport " Healthy People 2000 ", sorte de plan stratégique nanti d'objectifs quantifiés, qui a servi de modèle à de très nombreux pays étrangers, dont la France. Ce service a été critiqué par le Congrès, qui a noté ses effectifs pléthoriques. Depuis quelques mois, il est en cours de réorganisation. Ce service ne comprend plus que 700 personnes en 1996. Le Dr Philip Lee a d'ailleurs lui-même admis qu'il ne servait pas à grand chose, dès lors que les agences spécialisées (FDA, NIH et surtout CDC), remplissaient bien leur rôle.
3. Le " Public Health Service "
Le Public Health Service (PHS) regroupe huit Agences.
Les trois plus importantes ont fait l'objet de l'étude de votre
délégation. Il s'agit :
- de la Food and Drug Administration (FDA), en charge du contrôle et de
l'autorisation des produits destinés à l'homme ;
- des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), en charge de la veille
sanitaire ;
- de l'Agency for Health Care Policy and Research (AHCPR), en charge de
l'évaluation des activités médicales et
thérapeutiques.
Les autres agences sont respectivement :
- Agency for Toxic Substance and Disease Registry (regroupée avec
le CDC), qui est en fait rattachée au CDC ;
- Alcohol, Drug Abuse and Mental Health Administration (ADAMAHA), en charge de
la lutte contre toutes les formes de toxicodépendance ;
- Indian Health Services, qui étudie particulièrement les
problèmes de santé ;
- les Health Resources and Services Administration, en charge de
l'administration générale du service.
- Enfin, les National Institutes of Health (NIH), qui sont en charge de la
recherche publique américaine ;
Pour ne pas entrer dans le champ strict de la présente étude, les
NIH constituent un élément déterminant du
développement du système de santé des Etats-Unis.
Telle est la raison pour laquelle est annexée au présent compte
rendu une fiche décrivant les missions et les principaux
éléments de leur organisation.
Ces indications étant apportées, il convient de présenter
les trois agences qui constituent le fondement du système de
sécurité sanitaire américain ; une précision :
l'Agency for Health Care Policy and Research (AHCPR) n'a pas été
visitée par la délégation qui en a seulement
rencontré le responsable lors de son entretien avec Philip Lee,
responsable du Public Health and Science.
III. LES TROIS PÔLES DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE
A. LE CONTRÔLE DES PRODUITS DESTINÉS À L'HOMME
Le contrôle des produits destinés à
l'homme est assuré, pour l'essentiel, par la Food and Drug
Administration (FDA), qui est sans doute l'agence américaine la plus
connue à l'étranger. La FDA détient une compétence
générale d'autorisation et de contrôle des produits
destinés à l'homme qui ne reçoit qu'une seule exception,
pour des raisons historiques, en ce qui concerne la viande, la volaille et les
oeufs.
Ce contrôle est effectué par la Food and Safety and Inspection
Service (FSIS), le département du ministère de l'agriculture
(USDA : United State Department of Agriculture), services qui assurent le
contrôle des oeufs, de la viande et de la volaille.
Il est important de noter que les autorités publiques américaines
ont bien envisagé récemment de revenir sur ce partage.
Elles y
ont finalement renoncé.
Il est surtout essentiel de rappeler ici la déclaration faite à
la délégation par M. Philip Lee qui considère que
" si c'était à refaire ", il instituerait deux agences
chargées du contrôle des produits destinés à
l'homme, l'une pour les produits sanitaires et l'autre, pour les produits
alimentaires.
Ce jugement est capital pour un pays comme la France qui serait appelée
à décider, si elle venait à faire ce choix, de se doter de
structures comparables.
Cette observation étant faite, il vous est proposé, pour ce qui
concerne la compétence du ministère de l'agriculture, de vous
reporter aux comptes rendus des entretiens de la délégation pour
réserver le présent chapitre à la seule
présentation de la FDA.
La FDA définit les conditions de sa réussite autour de dix
commandements
sans lesquels elle estime ne pas pouvoir s'assurer la
confiance du public.
1°) sa mission doit être définie et ses règles de
fonctionnement clairement codifiées ;
2°) l'indépendance de ses autorités de décision
doit être totale ;
3°) cette indépendance doit être justifiée par la
qualité scientifique incontestable des expertises ;
4°) toutes les données scientifiques doivent être
connues par l'agence qui doit partager tout son savoir ;
5°) le pouvoir scientifique doit s'adosser à une
autorité statutaire et réglementaire, fédératrice
et compétente ;
6°) le budget de l'agence ne doit pas contraindre la liberté
et la qualité de son expertise ;
7°) les produits semblables doivent être soumis à des
règles semblables ;
8°) le dialogue avec l'industrie doit être fondé sur le
respect des droits des personnes privées ;
9°) le processus d'expertise et de décision doit être
transparent et compris par l'opinion publique ;
10°) la réglementation doit être flexible et souple dans
son application.
1. les structures de la Food and Drug administration (FDA)
La Food and Drug Administration est sans doute l'Agence
américaine la plus connue à l'étranger, notamment des
industriels de la pharmacie, de l'alimentation ou de l'équipement
médical, qui doivent obligatoirement obtenir d'elle son autorisation
pour mettre leurs produits sur le marché américain.
La FDA est la principale et la plus ancienne des Agences de protection des
consommateurs. Plus du quart des produits consommés aux Etats-Unis sont
contrôlés par cet organisme.
Les lois qui fondent le domaine d'autorité de la FDA ont les objectifs
suivants :
· assurer la sécurité alimentaire dans son ensemble,
· vérifier à la fois la sécurité
d'emploi et l'efficacité des médicaments, des produits
biologiques et des dispositifs médicaux,
· veiller à l'innocuité des produits cosmétiques,
· éviter que l'usage de matériel radiologique
n'expose inutilement aux radiations ionisantes,
· contrôler l'honnêteté et la valeur informative de
l'étiquetage.
La FDA inspecte chaque année 107.000 établissements et
procède à plus de 57.000 analyses de prélèvements.
Elle effectue 65.000 enquêtes publiques et répond à plus de
45.000 demandes individuelles.
Le budget de la FDA est de
883 millions de dollars
en 1996. Elle emploie
9.000 personnes.
La philosophie générale d'intervention de la FDA est de laisser
à l'industriel la responsabilité primitive de l'assurance de
sécurité et d'efficacité.
L'administration de la FDA a considérablement accru ses effectifs dans
les dix dernières années, mais ses méthodes se sont aussi
tellement complexifiées que les délais d'instruction des dossiers
se sont considérablement allongés, jusqu'à près de
dix ans parfois. De ce fait, les industriels ont développé une
animosité très forte contre cet organisme, accusé de
freiner le progrès et le développement industriel.
Son Directeur (Commissioner) est un médecin,
David Kessler
, en
place depuis 1990, nommé par l'administration Bush.
Les principes d'action de la FDA reposent sur des auditions publiques, dans le
cadre de " Comités d'experts " (Advisory Commitee), des
études, des enquêtes. Ses décisions sont publiées
dans le " Federal Register " (Journal Officiel).
La FDA est structurée en six directions :
1. Center for food safety and applied nutrition
(direction de la
sécurité alimentaire et de la nutrition) ;
2. Center for veterinary medicine
(direction de la médecine
vétérinaire) ;
3. Center for biologics evaluation and research
(direction de
l'évaluation des produits biologiques) ;
4. Center for devices and radiological health
(direction des
dispositifs médicaux et des produits radiologiques) ;
5. National center for toxicological research
(direction nationale de la
recherche toxicologique) ;
6. Center for drug evaluation and research
(direction de la recherche et
de l'évaluation du médicament) proche de l'Agence.
Il existe par ailleurs des échelons décentralisés :
- un bureau régional dans chacune de ces six régions ;
- un bureau central et des bureaux d'inspection par district (21).
2. La coopération multilatérale
Lors d'une audition sur ce projet de réforme, le
docteur Kessler s'est prononcé contre les dispositions visant à
autoriser un médicament sur la base de son autorisation par une grande
agence européenne ou l'EMEA. Tout en étant favorable à
l'harmonisation en cours avec l'Union européenne et le Japon pour
standardiser les exigences, il estime que l'enregistrement d'un
médicament doit rester du ressort de chaque pays.
Un accord de coopération entre la FDA et les autorités
réglementaires du Mexique (SSA) et du Canada (HPB) a été
conclu en mars 1996 afin de renforcer les échanges d'informations entre
les trois pays :
- sur la sécurité des médicaments, les
cosmétiques, les appareils médicaux et les autres produits
réglementés ;
- sur leurs nouvelles lois, propositions de réglementation et
documents techniques en rapport avec les produits réglementés ;
- sur l'évaluation de la sécurité et de la
qualité nutritionnelle des aliments, sur l'efficacité, la
sécurité et la qualité des médicaments et
l'innocuité des produits cosmétiques (protocoles cliniques, AMM,
bioéquivalence).
La coopération portera également sur la recherche de positions
communes lors des réunions avec les organisations nationales et sur le
développement des programmes de protection du consommateur contre la
fraude dans le domaine de la santé ainsi que les programmes de recherche.
3. Les projets de réforme de la FDA
Les critiques généralement adressées
à la FDA ne portent ni sur la qualité de son expertise, ni sur
l'efficacité de ses procédures, mais sur le caractère
bureaucratique de ses méthodes, qui allongent indûment les
délais d'examen des demandes qui lui sont adressées par les
industriels.
A cet égard, les rencontres de la délégation ont
été fort instructives.
S'agissant du jugement des entreprises américaines, l'analyse des cadres
dirigeants de la compagnie Monsanto sur les agences d'autorisation et du
contrôle des produits thérapeutiques est sévère :
- le système américain d'autorisation des produits est flexible
mais ses délais sont excessifs ;
- le système japonais d'autorisation des produits est très
rigide, mais ses délais sont convenables ;
- la flexibilité de l'un tient à la qualité d'une
expertise scientifique qui manque cruellement à l'autre ;
- les systèmes européens empruntent au Japon la rigidité
des méthodes et aux Etats-Unis l'incertitude des délais ;
- les procédures européennes étant ainsi définies,
l'expertise scientifique française se distingue par sa qualité.
Ce jugement tranche avec les réactions de certains industriels
français.
Nos compatriotes sont en effet attachés à des rapports
très réglementés avec leur administration de tutelle ou de
contrôle.
Les méthodes américaines leur paraissent, à cet
égard, souvent surprenantes.
Lorsque la réussite est au bout de ces rapports, ils jugent
évidemm40nt l'agence américaine comme un modèle
d'organisation et de fonctionnement. Tel est le cas des Laboratoires Fabre, qui
ont obtenu récemment l'homologation de l'un de leurs produits de lutte
contre le cancer.
En revanche, lorsque l'échec est au bout des procédures, les
condamnations sont sévères. D'une manière
générale, il n'est pas besoin de rappeler ici le procès
inscrit contre la FDA, accusée de constituer l'un des instruments
essentiels du protectionnisme américain.
La délégation n'ayant pas d'autre objet que d'étudier la
qualité, du point de vue de la sécurité sanitaire, des
travaux de l'agence, n'a pas choisi d'instruire à son tour un tel
procès dans lequel elle n'entend pas prendre partie.
Compte tenu de ces critiques, le congrès a, à de multiples
reprises, tenté d'engager une réforme de l'agence. Ces tentatives
se sont faites plus pressantes dans la période récente, sous la
pression de la doctrine ultra libérale développée par
certaines tendances du Parti Républicain.
L'évolution interne de la FDA est marquée par des
restructurations fréquentes reflétant une volonté
d'assurer une adaptation constante face à un contexte industriel et
socio-économique évoluant avec une grande rapidité.
Les principales propositions ont visé notamment :
* à redéfinir le rôle de l'Agence :
- faciliter le développement rapide et la disponibilité de
produits efficaces et sans danger ;
- protéger le public contre la dissémination de produits
dangereux et inefficaces ;
- mettre en place des statuts et réglementations applicables en
temps utile, d'une manière juste, cohérente et catégorique.
* à favoriser un examen accéléré des dossiers
d'enregistrement :
Le dossier ne comprendrait que des données synthétiques
" certifiées exactes par le demandeur ".
* à permettre la promotion de produits hors indications :
La FDA ne pourrait interdire la promotion ou l'étiquetage d'indications
non approuvées que s'il était déterminé,
après audition, que cela entraîne une utilisation dangereuse ou
inefficace du produit.
* à simplifier des procédures pour débuter des essais
cliniques ;
* à simplifier des procédures en cas de changements dans le
processus de fabrication ;
* à l'utilisation d'organismes extérieurs à la FDA ;
* à l'harmonisation des réglementations concernant les
médicaments et les produits biologiques ;
* à la mise en place de structures de contrôle et
d'évaluation de la FDA.
*
* *
Quelles conclusions tirer, pour la France, de
l'activité de la FDA ?
La question du champ de compétences de l'agence est d'abord
décisive. A cet égard, le secrétaire d'Etat adjoint
à la santé, M. Philip Lee, qui a reçu la
délégation, estime que " si cela était à
refaire ", il distinguerait volontiers le contrôle des produits
alimentaires de celui des produits thérapeutiques. Il reste que les
produits " frontières " posent question, qu'il s'agisse, par
exemple, des produits cosmétiques ou encore des produits
diététiques. Il semble que l'efficacité et le
réalisme imposeront, au moins dans un premier temps, un champ de
compétences restreint aux seuls produits thérapeutiques.
L'intérêt d'une agence unique pour tous les produits
thérapeutiques tient, ensuite, à l'unité des principes et
de la méthode, qui n'interdit évidemment pas la diversité
des procédures pour tenir compte de la variété des
produits.
Il ne faut pas, enfin, confondre le contrôle de l'autorisation des
produits avec la veille sanitaire, dont le champ est plus large et souvent
différent.
B. LA VEILLE SANITAIRE
La mission de veille sanitaire est, aux Etats-Unis,
assurée par les Centers for disease control and prevention (CDC).
Les CDC sont nés d'une construction historique patiente, menée au
gré des crises sanitaires ou des besoins apparus aux Etats-Unis.
A l'origine, il n'existait qu'un seul centre chargé de surveiller
l'évolution des maladies transmissibles, dont la mission se confondait
avec celle récemment confiée, en France, au réseau
national de santé publique (RNSP) établi à Saint-Maurice.
Ce cadre initial a été progressivement élargi à la
promotion de la santé, à la médecine du travail, aux
maladies chroniques. Un département particulier se consacre à
l'évolution du Sida. Les CDC ont, d'une manière
générale, en charge de suivre et de veiller à tout ce qui
peut contribuer à protéger ou à améliorer la
santé des américains.
Ces missions doivent être, dès l'abord, précisées.
Les CDC ont seulement pour tâche de " débusquer " le
risque sanitaire et d'établir des recommandations. Il ne leur revient en
aucun cas de réglementer, de contrôler ou d'inspecter.
Ces trois dernières missions sont confiées aux administrations de
l'Etat fédéral et le plus souvent à celles des Etats
fédérés.
L'autorité des recommandations des CDC sont telles, compte tenu de leur
autorité scientifique, que les secteurs concernés, publics ou
privés, les mettent spontanément en oeuvre, sachant que, dans le
cas contraire, leur responsabilité serait engagée.
Ces observations sont capitales car de la définition de la mission
découle l'effectivité et l'efficacité de son
accomplissement.
Les CDC gèrent des activités de recherche, de formation et
financent directement un grand nombre de programmes de prévention,
incluant le dépistage des cancers de la femme, soit directement dans ses
propres services, dont la plupart sont situés dans la région
d'Atlanta en Georgie, ou dans des laboratoires et services des Etats.
Leur budget est de
2,2 milliards de dollars en 1996
. Le siège
d'Atlanta emploie 3.800 personnes environ, et autant sont sur le terrain.
Les sept " Centres " qui composent le CDC sont les suivants
:
· National Center for Chronic Disease Prevention and Health
Promotion (maladies chroniques),
· National Center for Environmental Health (environnement),
· National Center for Health Statistics (statistiques),
· National Center for Infectious Disease (maladies transmissibles),
· National Center for Injury Prevention and Control (violence et
accidents),
· National Center for Prevention Services (prévention et
éducation pour la santé),
· National Center for Occupational Safety and Health
(médecine du travail).
Ces sept centres contribuent, chacun dans leur secteur de compétences,
à la gestion de quatre programmes :
- épidémiologie,
- pratique de la santé publique,
- vaccination,
- environnement international.
C. L'ÉVALUATION DES ACTIVITÉS MÉDICALES ET THÉRAPEUTIQUES
Cette troisième mission du système de
sécurité sanitaire américain n'a pas été
étudiée par la délégation, lors de son
déplacement, autrement que par une brève discussion avec le
directeur de l'Agency for Health Care Policy and Research (AHCPR) qui en a la
charge.
L'Agency for Health Care Policy and Research (AHCPR) est la plus récente
et la plus petite des Agences fédérales : elle a
été créée en 1990. Elle joue aux Etats-Unis un
rôle voisin de celui que remplit en France, l'Agence Nationale pour le
Développement de l'Evaluation Médicale (ANDEM), avec laquelle
existe une convention de coopération et d'échange de documents.
Elle est composée de 12 Départements ou Centres, tous
localisés dans la région de Washington.
Son budget est de
123 millions de dollars en 1996.
Son directeur,
M. Clifton Gaus,
est un ancien de la Task Force du
Président Clinton pour la réforme de l'assurance maladie.
L'AHCPR anime aujourd'hui de nombreuses activités, dont les plus connues
sont les suivantes :
Les " guidelines "
: l'AHCPR s'était fait largement
reconnaître jusqu'ici par la qualité de ses
références médicales, qui étaient diffusées
à la totalité du corps médical américain, et au
" grand public ", qui permettaient de faire mieux accepter
par les
patients les raisonnements sur la limitation des choix thérapeutiques.
Mais l'édition de ces références et leur diffusion,
extrêmement coûteuse, est remise en cause : M. Gaus cherche
désormais à exploiter les nouvelles technologies de
l'information, notamment les CD-ROM et Internet, pour faire des
économies et échapper à l'animosité d'un
congrès désireux de supprimer plusieurs agences
fédérales.
Le partenariat avec le secteur privé :
l'AHCPR se transforme
désormais en " partenaire scientifique " pour les nombreuses
institutions professionnelles, les organismes de " managed
care " et
les sociétés d'assurance maladie. Cette transformation
répond au souhait du congrès de supprimer les redondances dans le
foisonnement des références médicales, notamment dans les
nombreux réseaux privés. L'AHCPR a conclu en mai 1996 un accord
de partenariat avec la firme pharmaceutique Dupont et Merck pour
l'évaluation de l'efficacité des thérapeutiques
anticoagulantes dans la prévention des accidents vasculaires
cérébraux, dont la partie scientifique est confiée
à l'Université Duke. Cet essai devrait inclure 2.500 malades de
plus de 65 ans, et les coûts en sont répartis entre l'AHCPR
(600.000 dollars) et MERCK (1,5 million de dollars).
L'AHCPR a aussi l'intention de créer un organisme national de
dissémination de l'information sur les références
(National Guidelines Clearinghouse).
L'AHCPR a pu préserver son rôle dans l'établissement des
statistiques de consommation médicale
(National Medical
Expenditures Survey).
Enfin, l'AHCPR entend jouer un rôle actif dans le contrôle de la
qualité des soins, et a lancé en mai 1996 le logiciel
" Conquest " (Computerized Needs-Oriented Quality
Measurement
Evaluation System), distribué gratuitement, dans cet objectif. Ce
logiciel recense et définit les 1.200 performances cliniques ayant
été utilisées dans le secteur public et privé pour
évaluer la qualité des soins.
*
* *
Le système de santé américain, souvent
critiqué, ne saurait être considéré dans toutes ses
dimensions comme un modèle irréprochable.
Le caractère bureaucratique de la FDA et les accusations de
protectionnisme qui sont portées contre elle, l'isolationnisme
" américain " qui l'a conduit à porter le drapeau de la
coopération en refusant de la concevoir autrement que comme l'un des
instruments de son impérialisme, ne peuvent qu'affaiblir
l'efficacité de l'action.
La complexité de certaines procédures de contrôle et
notamment le partage très complexe des compétences, en ce qui
concerne la viande, la volaille et les oeufs, entre la FDA et le
département de l'agriculture, sont autant de critiques qui s'ajoutent
à celles plus générales qui viennent d'être
formulées.
Il reste toutefois que ce système, fondé sur trois missions
principales, assumé par trois agences aussi indépendantes que
possible et coordonné par un secrétariat d'Etat à la
santé dont la seule mission n'est plus aujourd'hui que de définir
la politique de santé et les moyens de sa mise en oeuvre, mérite
que notre pays, dans la recherche de la définition de son modèle
propre, en tire les meilleurs enseignements.
ANNEXES
ANNEXE I :
LA RÉGLEMENTATION AMÉRICAINE DU MÉDICAMENT
ANNEXE II :
LE MARCHE PHARMACEUTIQUE AMÉRICAIN EN 1995
ANNEXE III :
LES " NATIONAL INSTITUTES OF HEALTH "
ANNEXE IV :
LES CHIFFRES REPERES DE LA SANTE AUX ETATS-UNIS
ANNEXE I
LA RÉGLEMENTATION AMÉRICAINE DU
MÉDICAMENT
1. Définition
Le Federal Food Drug and Cosmetics Act définit le médicament
comme
tout produit utilisé pour le diagnostic, le soin, le traitement
ou la prévention d'une maladie dont l'action affecte la structure ou le
fonctionnement du corps humain.
De par cette définition, certains aliments ou cosmétiques sont
considérés comme des médicaments (biscuits de
régime, crèmes solaires par exemple).
2. Statut légal
Les médicaments sont classés en deux catégories :
- produits de prescription
- produits en vente libre OTC (Over The Counter)
Par ailleurs, chaque Etat établit sa propre réglementation pour
les produits dits " substances contrôlées ".
3. Enregistrement
a) Procédure
* Médicaments OTC
Les médicaments OTC sont décrits dans le " Code of Federal
Regulation ". La FDA autorise la commercialisation d'un médicament
OTC s'il est " généralement reconnu sûr et
efficace " (Generaly Recognized As Safe and Effective : GRAE) pour
l'utilisation préconisée ou bien s'il a déjà
été utilisé couramment pendant une durée
" suffisante " (GRAS) ; dans le cas contraire, le produit
est
considéré comme un nouveau médicament et ne pourra
être utilisé et distribué sans avoir fait l'objet d'une
" New Drug Application " (NDA) qui demande la réalisation
d'essais cliniques longs et coûteux.
Les médicaments qui ont déjà été
utilisés couramment pendant une durée suffisante sont aussi
surnommés " grand father drugs " et ont été mis
sur le marché avant la promulgation du " Federal Food, Drug and
Cosmetics Acts " de 1938.
La FDA a mis en place en 1972 un programme d'analyse des différentes
catégories de médicaments OTC.
Les résultats de ces études sont rassemblés dans des
monographies qui précisent quels principes actifs sont
considérés comme sûrs et efficaces, à quelles doses,
pour quels symptômes, avec quelles consignes d'emploi et enfin dans
quelles combinaisons. Le recueil de ces monographies constitue le OTC Drug
Review.
Coopérant avec l'industrie, la FDA a mis près de dix ans pour
publier les deux premières monographies. Chaque monographie paraît
au Federal Register successivement sous trois formes : " proposed
monograph ", " tentative final monograph " et
" final
monograph ".
Lorsqu'un produit est conforme au texte de la monographie, il est
considéré comme sûr et efficace et ne nécessite pas
d'autorisation formelle. Une simple déclaration auprès de la FDA
suffit. Par ailleurs, le laboratoire s'engage à fabriquer le
médicament en respectant les BPF.
Les médicaments OTC sont classés en trois catégories :
- catégorie I : Médicament GRAE, GRAS
- catégorie II : Médicament dont l'efficacité et
l'innocuité ne sont pas reconnues par la FDA et dont la vente est
interdite
- catégorie III : Médicament dont l'efficacité et
l'innocuité ne sont pas complètement acquises mais dont la vente
est possible.
* Médicaments de prescription
La non-conformité à une seule ligne d'un formulaire suffit
à entraîner l'ajournement immédiat de l'examen d'un dossier.
La réglementation impose que chaque dossier soit cosigné par une
personne résidant aux Etats-Unis qui sera l'interlocuteur de la FDA.
· Les différentes étapes
1. IND : " Investigation New Drug "
Demande d'autorisation de pratiquer les examens cliniques nécessaires
pour justifier les indications qui peuvent être retenues pour ce nouveau
produit.
2. NDA : " New Drug Application "
Dossier qui apporte l'ensemble des études nécessaires lesquelles,
en principe, doivent avoir été réalisées en
territoire américain (exceptionnellement à l'étranger) et
démontrer que le médicament est " sûr " et
" efficace ". Il précise toutes les opérations de
fabrication, de contrôle, de conditionnement du médicament, les
indications, contre-indications, effets indésirables.
3. Approval letter
Elle constitue l'autorisation de commercialiser un produit de prescription sur
le territoire des Etats-Unis.
· Contenu du dossier
Tests précliniques
Le médicament étudié est d'abord testé en
laboratoire sur des animaux pour déterminer la réponse à
deux questions :
- le composé est-il biologiquement actif ?
- le composé est-il sûr ?
Si la réponse à ces deux questions est positive, le
médicament peut alors être testé sur l'homme.
Cette première étape dure généralement 1 à 2
ans et coûte en moyenne 2 à 3 millions de dollars.
Avant que des tests sur l'homme puissent être commencés, le
laboratoire pharmaceutique doit déposer, auprès de la FDA, un
dossier intitulé " Investigational New Drug " dans lequel il
fournit tous les résultats des tests précliniques et la
description du procédé de fabrication du médicament. La
" IND " est considérée comme acceptée si la FDA
ne signifie pas son désaccord dans les trente jours.
Tests cliniques
Les tests cliniques comprennent trois phases :
- phase I : Etude pharmacologique
Cette étape permet de déterminer les propriétés
pharmacologiques du médicament. Les tests de toxicité sont
effectués sur un petit nombre de volontaires sains. La durée de
cette phase est de 9 à 12 mois.
- phase II : Etude pilote de l'efficacité
Cette étape vise à mettre en évidence les valeurs
thérapeutiques du médicament et ses effets secondaires. Deux
cents à trois cents patients volontaires sont traités. La phase
dure environ 2 ans.
- phase III : Tests cliniques à grande échelle
Le même type de tests que précédemment sont conduits avec
une population beaucoup plus importante de patients volontaires (1.000 à
3.000) en milieu hospitalier. Ces études doivent confirmer les
résultats obtenus précédemment et identifier les effets
indésirables. Cette phase III dure généralement 3 ans.
Une NDA est alors déposée auprès de la FDA rassemblant,
notamment, tous les essais et leurs résultats.
· Procédure allégée
Une ANDA ou " Abbreviated New Drug Application " est
requise dans le
cas où le médicament en cause est équivalent à un
produit de prescription dont le brevet est tombé dans le domaine public.
Dans le cas d'une ANDA, il n'est pas nécessaire de refaire des
études de sécurité et d'efficacité. Seules sont
exigées des données relatives à la fabrication et à
la bioéquivalence.
· paper NDA
Il s'agit de dossiers du même type que les ANDA mais comportant des
références bibliographiques pour apporter la preuve de
l'innocuité et de l'efficacité.
· supplement to NDA
Ce type de dossier est requis pour demander une modification de la NDA sur la
base de laquelle une approval letter a été délivrée.
· médicaments orphelins
Une loi intitulée " the Orphan Drug Act " promulguée en
janvier 1983 définit un certain nombre de mesures incitatives pour
motiver le développement et la commercialisation des " Orphan
Drugs ". Lorsqu'un fabricant pense avoir développé un
médicament qui correspondrait à cette définition, il
demande à la FDA des directives sur les tests cliniques et
pré-cliniques qu'il doit effectuer afin d'obtenir l'enregistrement de
son produit.
En 1997, la FDA devrait accorder 12 M $ de subventions aux laboratoires
désirant développer des médicaments orphelins dont 8,5 M $
pour la poursuite des essais en cours et 3,5 M $ pour les nouvelles demandes.
b) Opération d'enregistrement
Lors de la soumission à la FDA d'un dossier, certaines procédures
d'enregistrement sont à accomplir :
- enregistrement du produit concerné à l'aide du formulaire FDA
2557.
Un numéro d'identification est donné : le National Drug Code
(NDC).
- enregistrement de la société (Form 2656) : cet enregistrement
pour les entreprises étrangères est facultatif mais fortement
recommandé.
L'enregistrement de l'établissement de fabrication doit être
renouvelé tous les ans.
La société peut également préparer un Drug Master
File (DMF), document de référence à constituer en
connexion avec une IND, NDA, ANDA, qui renferme des informations
détaillées sur :
- l'établissement de fabrication (personnel, modes
opératoires, localisation) ;
- les procédés techniques et équipements utilisés ;
- les types d'emballages.
La constitution d'un DMF est facultative. Cependant, on pourra y faire
référence chaque fois que cela est nécessaire. On
évite ainsi la répétition systématique des
mêmes informations.
c) Redevances
Type de dossier |
1996 ($) |
· NDA |
204.000 |
· ANDA |
102.000 |
· Supplement to NDA avec essais cliniques |
102.000 |
· Ouverture d'établissement |
135.300 |
4. Surveillance et contrôle
* Pharmacovigilance
Pendant les trois premières années de commercialisation d'un
produit, un rapport annuel sur ses effets secondaires doit être
adressé par le laboratoire à la FDA.
Ce rapport rassemble tous les effets survenus aux Etats-Unis ou à
l'étranger, quelle qu'en soit la source notificatrice.
* Contrôle
Les établissements de fabrication sont régulièrement
inspectés par les inspecteurs de la FDA.
5. Publicité
La publicité pour les médicaments est visée par la FDA. Le
matériel publicitaire doit avoir une vocation éducative.
La publicité comparative est autorisée si la preuve des
comparaisons est apportée.
En 1995, les dépenses totales de publicité et promotion ont
reculé de 10 % par rapport à 1994. Cependant la publicité
télévisuelle a progressé de 14,5 %.
6. Exportation de médicaments non enregistrés
Selon la Food and Drug Administration Export Reform and Enhancement Act of
1996, les fabricants peuvent exporter sans autorisation préalable de la
FDA des médicaments à usage humain ou des produits biologiques
non autorisés par la FDA, à condition que le produit soit
conforme aux lois du pays importateur et soit enregistré dans l'un des
24 pays de référence cités par la loi (dont Australie,
Canada, Israël, Japon, Nouvelle-Zélande, Suisse, Afrique du Sud,
Etats membres de l'Espace Economique Européen).
7. Prix
Il n'existe pas de système de réglementation des prix des
médicaments par l'administration. Cependant, les Etats peuvent limiter
le prix des médicaments entrant dans les programmes de protection
sociale MEDICAID ou MEDICARE.
8. Brevet
a) Système d'enregistrement
La législation américaine exige que chaque demande de brevet soit
soumise à un examen préalable de brevetabilité. Ce dossier
comporte une description très précise de l'invention et des
revendications. Ce sont les revendications qui définissent
l'étendue du monopole conféré par le brevet et qui sont
examinées avec rigueur par les spécialistes du " Patent
Attorney ".
Il est toujours possible de déposer de façon concomitante ou
ultérieure une série de brevets complémentaires mais il
est recommandé de présenter une demande initiale comportant un
grand nombre de revendications. Si le brevet a déjà
été déposé en France, une copie certifiée
conforme par l'INPI doit être jointe à la demande aux Etats-Unis.
Le coût du dépôt d'un brevet aux Etats-Unis est d'environ
2.000 $.
b) Critères d'obtention
Il faut qu'il s'agisse d'une véritable invention nouvelle, utile et non
évidente. La possibilité de faire valoir aux Etats-Unis un brevet
français dépend du délai entre sa délivrance en
France et son dépôt aux Etats-Unis. Le droit de priorité ne
peut être revendiqué aux Etats-Unis que si ce délai reste
inférieur à un an. Il est fortement conseillé d'utiliser
les services d'un avocat spécialisé, c'est-à-dire un
ingénieur conseil (" patent agent ") pour déposer un
dossier.
c) Durée
La période de protection de l'invention est de 17 ans à partir de
la date de délivrance du brevet. La loi américaine
intitulée " Drug Price Competition and Patent Term Restauration
Act " (Hatch-Waxman Act) du 24 septembre 1985 permet à la FDA
de prolonger la période d'exclusivité d'une durée pouvant
aller jusqu'à 5 ans, lorsque le traitement du dossier de l'autorisation
de mise sur le marché a été particulièrement long.
Suite aux accords du GATT, la durée des brevets américains est
passée au 8 juin 1995 de 17 ans à partir de l'octroi du brevet
à 20 ans à partir du dépôt de la demande.
Les demandes, pour les produits de biotechnologie, peuvent
bénéficier de la présomption d'utilité. Cela
signifie que les laboratoires n'ont plus à fournir avec leur demande de
brevet des essais cliniques prouvant que le produit proposé pourrait
devenir un médicament utile.
Dorénavant, un laboratoire pharmaceutique pourra utiliser " toute
sorte d'évidence " pour prouver l'utilité de son invention.
ANNEXE II
LE MARCHE PHARMACEUTIQUE AMÉRICAIN EN
1995
· Inflation : 1,9 %
· Taux de croissance du marché : 9,1 %
· R et D (estimation 1996) : 16 milliards USD
· CA global : 96,2 milliards USD
· Produits prescrits : 2 milliards USD
· Coût moyen (prescription : 18,8 USD)
1. Evolution des prix par distributeurs
Les prix chez les détaillants ont augmenté de 2,4 % et dans le
secteur de HMO de 4,9 %. Ce dernier chiffre pourrait refléter la
tendance des laboratoires à rationaliser leurs prix et remises.
Détaillants |
+ 2,4 % |
Hôpitaux non fédéraux |
- 0,2 % |
HMO |
+ 4,9 % |
Cliniques |
+ 1,9 % |
Etablissements de long séjour |
+ 2,2 % |
Organismes fédéraux |
- 3,6 % |
Inflation globale |
+ 1,9 % |
2. Automédication
Pour une affection courante, trois américains sur quatre ont recours
à l'automédication. Les principales classes thérapeutiques
auxquelles appartiennent les médicaments d'automédication sont :
analgésiques, toux, rhumes, allergies, vitamines, aides à la
digestion.
3. Génériques
· 1993 : 2,84 milliards USD
· 2000 : 5,89 milliards USD
Les génériques représentent déjà 40 % des
prescriptions médicales.
La majorité des professionnels de santé (hôpitaux, centres
de santé, pharmaciens et médecins), les consommateurs ainsi que
des agences gouvernementales sont favorables à une expansion des
produits génériques généralement vendus à un
prix 30 à 50 % inférieur à celui des produits de marque.
Génériques |
Part de marché 1993 |
Part de marché 1995 |
Gastro-intestinaux |
8 % |
17 % |
Cardio-vasculaires |
27 % |
24 % |
SNC |
24 % |
21 % |
Anti-infectieux |
22 % |
- |
Système respiratoire et anti-allergiques |
7 % |
- |
Hormones |
8 % |
- |
Produits ophtalmiques |
5 % |
- |
4. Dispensation en officine
Le choix de l'officine par le patient est libre à l'exception des
adhérents d'une PBM donnée qui ne peuvent se procurer leurs
prescriptions et bénéficier des tarifs
préférentiels que dans les pharmacies sélectionnées
par la PBM.
· Prix des médicaments
Avant l'apparition des PBM, le pharmacien fixait librement les prix de vente,
le médicament étant considéré comme un objet de
consommation courante répondant aux règles de la libre
concurrence.
Depuis l'apparition des PBM, les prix font l'objet de négociations entre
les laboratoires, les PBM et les MCO. Le pharmacien est alors contraint
d'appliquer les tarifs imposés par ses PBM partenaires.
Comme dans le système français, les prescriptions peuvent
être réglés de deux façons :
- par les patients au moment de l'achat des médicaments : cash,
- par l'assurance (cas le plus fréquent) qui rembourse directement au
pharmacien le montant des prescriptions restant à sa charge : third
party payer.
· Droit de substitution
- possibilité de substituer par un produit comparable : me-too ou
générique,
- si le patient adhère à une MCO, le pharmacien doit demander
l'autorisation au médecin prescripteur ou plus
généralement consulter électroniquement le formulaire de
la MCO.
· Mail Order Pharmacies
Pharmacies sous contrat avec les sociétés de Managed Care faisant
parvenir les prescriptions aux souscripteurs par voie postale.
· 53 000 officines : dispensation de 140 millions d'ordonnances/an.
5. Vente par correspondance
La vente par correspondance a explosé pendant les années 80.
Représentant un marché de 100 millions USD en 1980, ce secteur
est passé à 8,5 milliards USD et l'on prévoit 11 milliards
USD d'ici l'an 2000 sur un marché total de 100 milliards USD.
Actuellement, moins de 10 % des Américains ayant accès à
ce type de distribution y ont recours : 50 % des clients ont plus de 57 ans, 30
% sont retraités.
6. Médecines " naturelles "
De nombreuses organisations de la santé se tournent vers les
médecines parallèles qui devraient représenter un
marché d'ici 2001 de 6,5 milliards USD (1995 : 3,25 milliards USD).
Quelques compagnies d'assurance remboursent certains produits.
|
Part de marché 1994 |
Part de marché 2001 |
Vitamines, minéraux |
55 % |
40 % |
Produits d'origine naturelle |
16 % |
24 % |
Plantes |
23 % |
25 % |
Homéopathie |
4 % |
9 % |
7. L'industrie pharmaceutique
Les succès de l'industrie américaine sont attribués
principalement à trois facteurs :
- un niveau d'innovation élevé, lié à l'importance
des investissements de R et D et aux liens étroits entre les industries
et les universités,
- un marché intérieur d'une taille importante,
- un prix non contrôlé des médicaments.
L'industrie pharmaceutique américaine domine le marché mondial.
En 1992, les entreprises établies aux Etats-Unis représentaient
plus de 40 % des ventes mondiales de produits de prescription.
C'est également l'industrie la plus innovatrice. Entre 1940 et 1988,
l'industrie américaine a commercialisé 62 % des nouveaux
médicaments contre 27 % pour l'Europe de l'Ouest.
· Recherche et Développement
Face au recul très net des profits, les laboratoires ont corrigé
leur stratégie de R et D. Ainsi, la croissance des dépenses
annuelles dans ce domaine diminue-t-elle depuis 1992. D'une croissance annuelle
moyenne de 16 % entre 1980 et 1992, ce taux est tombé à 12 % en
1993 et 10 % en 1994.
Cependant, l'innovation reste la meilleure arme pour s'extraire d'un
marché devenu très concurrentiel avec la pression de plus en plus
forte des MCO et des PBM et le développement des médicaments
génériques.
Deux problèmes se posent alors :
1. Développer le plus rapidement possible des produits plus innovants.
2. Identifier les besoins des sociétés de Managed Care.
· Fusion-acquisitions
Pour contrer les MCO et les PBM, les laboratoires ont opéré de
très nombreuses fusions et acquisitions de manière à
augmenter leur taille critique et faire de considérables
économies d'échelle.
ex : Glaxo-Wellcome
Hoechst Roussel-Marion Merell Dow
Upjohn-Pharmacia
Plusieurs laboratoires ont préféré recourir à
l'achat de PBM plutôt qu'à l'acquisition d'autres entreprises
pharmaceutiques.
Ex : Mercks and Co + Medco
Smithkline Beecham + Diversified Pharmaceutical Services
Eli Lilly and Co + PCS
· Relations de l'industrie pharmaceutique en France et aux Etats-Unis
Les relations de l'industrie pharmaceutique en France et aux Etats-Unis sont
anciennes, denses et revêtent des formes multiples. Elles se sont
considérablement développées durant ces dernières
années.
Une enquête, menée par le syndicat national de l'industrie
pharmaceutique (SNIP) sur les parts de marché réalisées en
France et aux Etats-Unis, révèlent pour 1993, une part de :
- 20,6 % du marché français réalisée par des
filiales de firmes américaines,
- 1,5 % du marché américain réalisée par des
filiales des firmes françaises.
Transfert de technologies, exploitations locales sous licences
Si les firmes américaines procèdent le plus souvent par
implantations de filiales, la taille des sociétés
françaises et les moyens les plus limités dont elles disposent
pour assurer leur implantation aux Etats-Unis, amènent un certain nombre
d'entre elles, bien que performantes au plan de la Recherche, à
commercialiser leurs molécules en utilisant le relais de partenaires
locaux et à négocier des contrats d'exploitation sous licence de
leurs spécialités.
Les données de l'Institut National de la Propriété
Industrielle sur le solde des transferts de technologie ainsi
réalisées en 1994 permettent de constater :
|
Dépenses |
Recettes |
Taux de couverture |
Industrie française |
14 120 188 |
10 341 999 |
73,2 % |
dont Industrie pharmaceutique |
1 950 422 |
1 065 237 |
54,6 % |
dont Echanges avec les Etats-Unis |
541 898 |
412 000 |
76,0 % |
- l'importance des échanges entre les deux pays,
- la part significative des recettes de l'industrie pour ce chapitre,
- un taux de couverture - 76 % - supérieur aux résultats du
secteur, et de l'industrie française en général.
Exportations
Enfin, les statistiques de l'OCDE indiquent qu'avec un volume d'exportation de
181,6 millions de USD, soit 6 % des importations, la France se situe au
8ème rang des pays fournisseurs des Etats-Unis en matières
premières et spécialités pharmaceutiques.
La présence française aux Etats-Unis
Outre les implantations très significatives bien que de taille et de
nature différente de :
Rhône Poulenc Rorer, Sanofi, Lipha, Boiron, Pasteur Mérieux
Connaught,
pour lesquels le terme de filiales peut être utilisé, de nombreux
laboratoires y ont également implanté des bureaux de
représentations, prémices d'une implantation à terme plus
importante, Beaufour, Fournier, Synthélabo.
Par ailleurs, des laboratoires tels que Guerbet, Fabre, Servier, Jouveinal,
Negma et une dizaine d'autres entreprises y ont conclu des accords d'importance
avec des sociétés américaines.
Cet ensemble, toutes formes de présence confondues, amène
à considérer que le médicament français
représente environ 4 à 5 % du marché américain.
ANNEXE III
LES " NATIONAL INSTITUTES OF
HEALTH "
Les National Institutes of Health représentent la plus
grande institution de recherche médicale du monde. Son budget est de
11,4 milliards de dollars en 1996
.
Ils regroupent 21 " National Institutes " spécialisés,
ainsi que la " National Library of Medicine ", qui abrite
un grand
centre de documentation médicale, et le système
" MEDLINE ", aujourd'hui utilisé partout dans le monde.
L'administration générale des NIH est dirigée par le Pr
Harold Warmus, Prix Nobel.
Les principaux Instituts spécialisés sont les suivants :
- National Heart, Lung and Blood Institute (poumons, coeur et sang),
dirigé par le Dr Lenfant, d'origine française ;
- National Cancer Institute (Institut de recherche sur le cancer),
dirigé par le Dr Richard Klausner, nommé en octobre 1995 ;
- National Eye Institute (Institut d'ophtalmologie) ;
- National Institute of Allergy and Infectious Disease (Allergie et maladies
infectieuses, notamment le Sida), dirigé par Anthoni Fauci ;
- National Institute of Arthritis and Musculoskeletal and Skin disease (os,
articulations et peau) ;
- National Institute of Child Health and Human Development
(pédiatrie) ;
- National Institute of Dental Research (science dentaire) ;
- National Institute of Diabetes and Digestive and Kidney Diseases
(Diabète, gastro-entérologie, néphrologie) ;
- National Institute of General Medical Sciences (médecine
générale) ;
- National Institute of Mental Health (psychiatrie) ;
- National Institute of Neurological Disorders and Stroke (neurologie,
accidents vasculaires) ;
- National Institute of Nursing Research (soins infirmiers) ;
- National Institute of Alcohol Abuses and Alcoholism (alcoolisme) ;
- National Institute on Drug Abuse (toxicomanie) ;
- National Institute on Deafness and Other Communication Disorders
(surdité et autres infirmités de la communication).
Environ 150 chercheurs français travaillent dans les Instituts
spécialisés, représentant le plus important contingent
étranger (40 % des chercheurs des NIH sont étrangers).
ANNEXE IV
LES CHIFFRES REPÈRES DE LA
SANTÉ AUX ETATS-UNIS
· Les 270 millions d'Américains ont
consommé pour leur santé plus d'
un trillion de dollars
en
1995 :
(1050 milliards de $)
, soit environ 3560 $ par personne en
moyenne.
· L'effort budgétaire en faveur de la santé
représente environ
14 % du PIB.
· L'année 1995 marque la confirmation de la
décélération observée depuis 3 ans.
· Le rythme de croissance des dépenses de santé 1994/1993
est de l'ordre de
6,4 %
.
·
La dépense publique est de 44,3 % de la dépense
totale.
(1 point au-dessus de 93).
· Les deux programmes publics Medicaid et Medicare (ce dernier
couvrant les personnes âgées de plus de 65 ans)
représentent
290 milliards de $ de dépenses
,
c'est-à-dire 30 % du total, et 70 % de la dépense publique de
santé ;
· Les
organismes de couverture privés
(assurances et
mutuelles) ont en charge 57 % de la dépense totale ;
· Les
dépenses qui restent à la charge des usagers
représentent une fraction déclinante de la dépense
totale, passant de 20 % en 1990 à
17,8 % en 1993.
·
Les hôpitaux dépensent 37 % de la dépense
totale, les médecins 19 %.
· La croissance des dépenses s'est beaucoup ralentie entre 1992 et
1995 :
- Les
soins hospitaliers
sont passés d'un rythme de croissance
annuel de 10,7 % à
4,4 % ;
- Les
soins médicaux
de 10,3 à
4,6 % ;
-
Les
médicaments prescrits
de 14,5 à
4,5 % ;
- Seuls les
soins dentaires
montrent une augmentation de
7,7 %.
En négatif, les inégalités se sont elles-mêmes
accentuées :
· Le nombre de personnes qui ne bénéficient d'aucune
couverture continue de croître, notamment chez les personnes
âgées (18 % d'entre elles en sont totalement dépourvues,
contre 17 % en 1991) et dans les minorités ethniques. Elles sont plus de
50 millions, et les mal-assurés sont 20 millions de plus.
L'effort budgétaire en santé publique
(incluant la
recherche médicale) en 1996 (en million de dollars), malgré des
signes alarmants tenant à un Congrès plutôt méfiant
à l'égard de toutes dépenses publiques, reste maintenu
à un niveau élevé.