D. AUDITION DE MME MARIE-JOSÉE NICOLI, PRÉSIDENTE DE L'UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS
M. Charles DESCOURS, président - La Commission des
Affaires Sociales du Sénat s'interroge sur les conditions du
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la
sécurité des produits thérapeutiques en France. Il nous
paraît difficile de nous limiter aux produits thérapeutiques et de
ne pas évoquer ceux alimentaires ou autres. En tant que
présidente de l'Union fédérale des consommateurs, il nous
a paru bon de vous auditionner pour avoir votre sentiment.
Mme Marie-Josée NICOLI - Sur l'alimentation je n'ai rien
préparé parce que je connais assez bien le sujet. Par contre, sur
la partie qui concerne les contrôles des produits thérapeutiques,
j'ai un document écrit.
Le sujet de la veille sanitaire dans le domaine alimentaire est à
l'ordre du jour, avec les problèmes de l'ESB ainsi que les prochains
projets de loi sur l'hygiène alimentaire et le contrôle. Des
grands débats ont lieu sur la loi d'orientation agricole et les nouveaux
produits qui arrivent sur le marché comme les EGM. Une veille sanitaire
en matière alimentaire va devenir de plus en plus importante. Cela doit
se traduire par une information du consommateur sur tous les produits mis sur
le marché.
M. Charles DESCOURS, président - Qui doit la faire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Aujourd'hui elle est faite par nous, mais
partiellement seulement, dans la mesure où le consommateur en
matière alimentaire n'est pas informé par exemple de la
composition des produits.
M. Charles DESCOURS, président - Vous n'avez pas de laboratoire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Nous faisons de plus en plus des analyses et
des essais comparatifs, puisque ce sera un sujet important au XXIème
siècle, mais il faut que nous soyons aussi informés.
Des débats ont lieu actuellement avec le ministère de
l'Agriculture, sur l'étiquetage des viandes par exemple.
Les filières aiment bien garder une certaine opacité, en
particulier en province, et nous n'avons aucune information sur la viande ou
sur des EGM. Il n'y a aucune obligation d'étiqueter la présence
de produits transgéniques dans tout aliment composé ou pas.
S'il y a des problèmes d'allergie ou de toxicologie, on n'a aucun
recours, parce qu'on ne sait pas si ces produits les ont provoqués ou
pas, les experts étant très partagés sur les
conséquences éventuelles.
Il y a la partie " veille sanitaire " relative aux animaux
que nous
mangeons.Les services de contrôle d'Etat ont à peu près la
traçabilité et les outils d'identification des cheptels.
M. Charles DESCOURS, président - Un veau arrive d'Italie, il passe
quinze jours dans le Charolais et il a une autre appellation.
Mme Marie-Josée NICOLI - Je parle surtout du cheptel français. En
matière de viande bovine, la traçabilité est obligatoire,
les professionnels en ont besoin entre eux. Ils doivent être certains que
la carcasse au bout de la chaîne d'abattoir est celle qu'ils ont
apportée. La traçabilité s'arrête au distributeur.
Après elle n'est pas répercutée jusqu'au consommateur.
Les outils d'identification n'ont jamais été prévus pour
informer les consommateurs ; ils règlent les problèmes des
professionnels et des services de contrôle, mais en rien ceux des
consommateurs.
Pour faire une veille sanitaire, il faut savoir comment circule un produit afin
de pouvoir l'identifier.
M. Charles DESCOURS, président - L'Union fédérale des
consommateurs n'est pas responsable devant l'opinion, elle n'a pas
autorité, elle informe. Pensez-vous que cela suffit ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Nous avons d'autres moyens d'action que celui
d'informer, nous participons à certaines instances nationales.
Par exemple, je viens d'être rapporteur sur le dossier filière
bovine au Conseil national de la consommation, j'ai fourni le rapport avec un
étiquetage et une modification de la filière pour la
traçabilité.
Si tout se passe correctement et rapidement, cet avis devrait se transformer en
une réglementation obligatoire pour imposer l'étiquetage et
modifier la filière bovine.
Nous avons un rôle de groupe de pression, nous siégeons dans des
instances qui nous permettent d'agir et nous avons les moyens de nous exprimer
en achetant ou pas, donc en utilisant le boycott.
M. Charles DESCOURS, président - Et si ces moyens ne fonctionnent pas ?
Mme Marie-Josée NICOLI - C'est possible, mais jusqu'à maintenant
on a toujours atteint l'objectif quand on lance un boycott.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous exposez deux points très importants
aux yeux de votre Union : la traçabilité et la
nécessité d'avoir une information transparente. Mais en ce qui
concerne l'appréciation globale que vous, en tant qu'organisme
représentatif, vos portez sur la sécurité des produits en
France...
Mme Marie-Josée NICOLI - Globalement la France est sûrement un des
pays les plus avancés et rigoureux en matière de contrôle.
M. Claude HURIET, rapporteur - Tout confondu ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui.
M. Claude HURIET, rapporteur - Pas seulement au point de vue alimentaire ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Non, sauf qu'on assiste à une
accélération de l'alimentation sous forme d'industrie
agro-alimentaire. Et là, intervient une troisième notion
extrêmement importante, les contrôles, parce qu'il est
préférable de contrôler avant l'accident. Il s'agit de
contrôles sanitaires, mais aussi des process utilisés.
Les scientifiques disent " dans nos laboratoires nous avons fait ce
qu'il
fallait, nous avons expérimenté, les résultats sont
bons ". Seulement, dès qu'une semence sort, elle est
manipulée, elle est utilisée par des non scientifiques, et il
peut se produire des accidents comme celui de l'ESB, accidents de process, dans
un pays où il y a une certaine déréglementation et un
système d'autocontrôle non satisfaisant.
Ceci est valable pour faire évoluer la qualité des produits, mais
ne doit pas se substituer aux contrôles de l'Etat.
Bien souvent on l'oublie et les professionnels pensent qu'en certifiant de plus
en plus et en faisant un autocontrôle, les contrôles de l'Etat
diminueront, voire seront supprimés. Or, ce n'est vraiment pas ce que
nous espérons, parce qu'ils sont indispensables.
M. Charles DESCOURS, président - Il y a donc un rôle pour l'Etat ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui. Il y aura un renforcement avec le projet
de loi présenté par M. Vasseur à l'Assemblée
Nationale en février.
En tant qu'association UFC, nous constatons dans son contenu beaucoup
d'avancées pour la veille sanitaire, il pourra y avoir des saisies
à la ferme, ce n'est pas le cas actuellement. Quand il y a des cas
d'ESB, ils peuvent être déclarés par le
vétérinaire qui les constate ou par l'agriculteur lui-même.
S'il ne fait pas la déclaration, la bête sera malade et personne
ne le saura. Donc il y aura des progrès.
Ce projet de loi sera normalement sous la tutelle du ministère de
l'Agriculture, et cela nous gêne fortement, parce que malgré
toutes les déclarations actuelles de M. Vasseur -et nous n'avons pas
à les mettre en doute- le passé et les traditions sont là.
Le ministère de l'Agriculture est très attaché et
lié au lobby de l'agro-alimentaire. Le soutien de la production agricole
et des industries agro-alimentaires fait partie de ses missions. Nous pensons
que le travail sera accompli sans difficulté, tout à fait en aval
vis-à-vis de la grande distribution, s'il y a des sanctions, des
saisies, etc. Par contre, très en amont, plus on se rapprochera de
l'agriculteur et du monde agricole, plus on aura des problèmes
politiques, quand il faudra saisir, faire fermer une entreprise, etc.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez des idées pour lever
cet obstacle ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Dans les autres pays d'Europe -à part
l'Angleterre, mais il vaut mieux ne pas en parler vu le résultat pour
l'ESB- les contrôles sanitaires de l'alimentation sont souvent
rattachés au ministère de la Santé.
En France la perception du ministère de la Santé n'est pas
très favorable, dans la mesure où il a été
remarquablement absent dans l'affaire de l'ESB, problème de santé
publique. On n'imagine pas actuellement, tel qu'il est conçu et vu ses
moyens, le ministère de la Santé comme le mieux placé pour
avoir la tutelle des contrôles sanitaires en matière alimentaire.
M. Claude HURIET, rapporteur - Vous émettez une réserve en termes
d'expérience récente et d'attribution. Cette dernière
devrait plutôt relever du ministère de la Santé ?
Mme Marie-Josée NICOLI - Non, je fais des réserves aussi bien
vis-à-vis de l'un que de l'autre, mais pas pour les mêmes motifs.
A la limite le ministère qui réellement remporterait
l'adhésion de toutes les associations serait un ministère de la
Consommation et de l'Alimentation. Il permettrait pour le consommateur de base
d'être rassuré sur les contrôles de l'alimentation d'un
ministère indépendant, mais il n'existe pas actuellement.
Il a existé en 1984. Mme Lalumière en avait la charge. Il lui a
été rattaché les fraudes en les retirant du
ministère de l'Agriculture. Il a été créé en
1985, je crois, la grande Direction de la concurrence, de la consommation et de
la répression des fraudes.
Nous ne sommes pas obligatoirement pour le ministère de l'Economie et
des Finances, mais si nous n'avons pas la possibilité d'avoir un
ministère de la Consommation et de l'Alimentation -qui pourrait se
justifier au XXIème siècle, et prendre toute sa dimension
économique- nous préférons rester au ministère de
l'Economie et des Finances où il y a une tradition de sanctions.
Le ministère de l'Agriculture, tel que je le perçois, je connais
un peu les DSV, fait des enquêtes, des analyses, etc., mais après
il en tire des statistiques. Il n'a pas les sanctions dans ses traditions.
Les coupables sont très rarement poursuivis au pénal, ce qui a
lieu régulièrement aux fraudes, où ils sont poursuivis. Au
ministère de l'Agriculture je pense qu'on ne poursuivra pas facilement
un agriculteur ou une entreprise de transformation.
M. Claude HURIET, rapporteur - N'y a-t-il pas une certaine contradiction dans
vos propos ? Vous évoquez une autre option faute de mieux, faute d'un
ministère de la Consommation, plutôt les Finances et le Budget que
l'Agriculture.
Mme Marie-Josée NICOLI - Oui, mais ce n'est pas satisfaisant.
M. Claude HURIET, rapporteur - La dimension qui vous amène à
faire des réserves quant à des attributions en termes de
sécurité sanitaire des produits alimentaires par le
ministère de l'Agriculture est économique, qu'elle s'exprime
à travers les lobbies ou au nom de l'intérêt national,
contradiction entre la dimension économique agricole et les
éventuels problèmes de sécurité des produits.
Si vous retenez comme option seconde le ministère de l'Economie et des
Finances, on retrouve le même risque d'avoir des considérations
économiques fortes.
Mme Marie-Josée NICOLI - Il faut que les contrôles, s'ils ne sont
pas satisfaisants, débouchent sur des sanctions. Or je crains que le
ministère de l'Agriculture ne soit pas indépendant du monde
agricole et de celui agro-alimentaire, car il pense se développer
grâce à l'agro-alimentaire.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez dit que le ministère
de la Santé avait été tragiquement absent...
Mme Marie-Josée NICOLI - Je vous laisserai le document sur la partie
thérapeutique et nos propositions.
M. Charles DESCOURS, président - Vous avez dit que le ministère
de la Santé avait été tragiquement absent dans le
problème de l'ESB. C'est vrai, mais il n'y avait pas d'autre
possibilité. Comment pourrait-il intervenir ?
Mme Marie-Josée NICOLI - On ne peut faire qu'un constat. Quand on veut
prouver que quelqu'un est efficace, on regarde ce qu'il a fait avant, sinon on
a des doutes sur l'avenir.
La démarche est là. On veut essayer de rester objectif et ne pas
entrer dans la querelle des administrations et des ministères.
M. Vasseur dit " vous avez tort, parce que je fais partie d'un
gouvernement, c'est à lui de préserver la santé et la
veille sanitaire. Que ce soit le ministère de l'Agriculture ou un autre
qui agisse, il en est de même. "
Non, nous avons des traditions et des usages, une mémoire. A un certain
âge nous sommes obligés de faire un bilan.
Le ministère de l'Agriculture n'a pas une réputation
d'indépendance totale vis-à-vis des syndicats en place et des
agriculteurs. Dès qu'ils commencent à bouger, il frémit.
Il est annoncé qu'il sera partagé en deux Directions. J'ai
assisté à beaucoup de réunions pour essayer de faire
avancer la situation. M. Vasseur déclare qu'il existera une Direction
Production totalement indépendante de celle du Contrôle de la
Qualité, mais ce sera quand même sous l'autorité du
ministère de l'Agriculture.
Il est vrai qu'avec une succession de ministres ayant le profil de
M. Vasseur on pourrait y croire. Néanmoins on ne fait pas un projet
de loi pour une personne, mais pour qu'il ait une certaine
pérennité. On ne connaît pas son successeur. Une loi peut
être utilisée et interprétée différemment.
Les débats, les colloques, les tables rondes sont multiples. A chaque
fois je rencontre M. Vasseur, et son discours pourrait être très
convaincant, si on ne regardait pas en arrière. Mais il faut tenir
compte de ce qui existe déjà.
Ce projet de loi est très important, nous connaissons son contenu. Nous
l'avons analysé, je peux vous transmettre le document.
Nous développons surtout l'indépendance vis-à-vis des
ministères de tutelle.
Nous soulignons les points positifs, ce qui nous permet d'être plus
crédibles dans nos critiques.
M. Charles DESCOURS, président - Merci.