C. EXAMEN DU RAPPORT D'INFORMATION DE M. CHRISTIAN DE LA MALENE SUR UNE REFORME DU MODE DE SCRUTIN POUR LES ELECTIONS EUROPEENNES

Le mercredi 4 décembre, la délégation a examiné le projet de rapport d'information de M. Christian de La Malène sur une réforme du mode de scrutin pour les élections européennes

M. Christian de La Malène , rappelle tout d'abord qu'après la décision de faire élire les représentants des Etats membres au Parlement européen au suffrage universel, la France a choisi de mettre en oeuvre un scrutin proportionnel dans le cadre d'une circonscription unique. Il observe qu'un choix identique a été fait par une majorité d'Etats membres au sein de l'Union européenne.

Le rapporteur souligne ensuite que le mode de scrutin actuel fait l'objet de critiques fortes. Le choix de la représentation proportionnelle dans une circonscription unique conduit à éloigner considérablement l'élu de ses électeurs et exclut toute possibilité de sanction de l'élu par l'électeur à l'issue du mandat. En outre, ce système ne permet pas une représentation équilibrée des composantes du territoire. En contrepartie, ce mode de scrutin a l'avantage de permettre la représentation de l'ensemble des courants d'opinion et s'adaptera sans difficulté à la diminution éventuelle du nombre de sièges attribués à la France dans le cadre de l'élargissement futur de l'Union européenne. De plus, ce système est celui qui favorise le plus l'existence d'un débat national sur les questions européennes, alors même qu'il est si difficile d'exposer et de confronter des thèses différentes sur ce sujet.

M. Christian de La Malène fait valoir que de nombreuses propositions ont été formulées en vue d'une réforme du mode de scrutin. Il estime que, si une telle réforme doit voir le jour, elle doit être conduite au cours de la session parlementaire 1996-1997, compte tenu du calendrier électoral français.

Le rapporteur indique alors que, dans la perspective d'une réforme, un certain nombre de contraintes et de paramètres doivent être pris en compte. Il rappelle tout d'abord qu'en 1976 le Conseil constitutionnel n'a déclaré la décision de faire élire le Parlement européen au suffrage universel conforme à la Constitution, que pour autant que les modalités d'application de cette décision ne porteraient pas atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Dans ces conditions, il est difficile de prévoir la manière dont pourrait réagir le Conseil constitutionnel s'il devait examiner un mode de scrutin impliquant le découpage de la circonscription nationale.

M. Christian de La Malène souligne ensuite que le Traité sur l'Union européenne prévoyait la mise en oeuvre d'une procédure électorale uniforme et que le Parlement européen a formulé plusieurs propositions pour parvenir à une telle solution. En 1993, en particulier, le Parlement européen a adopté un rapport de M. Karel de Gucht préconisant la représentation proportionnelle, mais autorisant néanmoins la mise en oeuvre d'un scrutin majoritaire pour autant que celui-ci ne concerne pas plus des deux tiers des sièges attribués à un Etat membre. Cette proposition, qui visait à faciliter une décision au sein du Conseil de l'Union européenne, n'a cependant pas pu faire l'objet d'un accord. Dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, l'Allemagne vient de formuler une proposition visant à introduire dans le Traité lui-même un texte très proche de la résolution du Parlement européen. Il semble cependant aujourd'hui que la mise en place d'une procédure électorale uniforme ne soit pas possible avant plusieurs années.

M. Christian de La Malène observe que, dans la réflexion sur le mode de scrutin, il faut également tenir compte de la situation particulière des départements et territoires d'Outre-mer. Les territoires d'Outre-mer n'appartiennent pas à la Communauté européenne, mais leurs populations votent néanmoins aux élections européennes, dans la mesure où elles appartiennent à la République française à laquelle s'appliquent les traités communautaires. Or, la création de circonscriptions n'appartenant pas à la Communauté européenne peut faire l'objet de contestations ; de plus, si l'on créait, pour l'Outre-mer, des circonscriptions ne correspondant à aucune réalité humaine, on verrait probablement la participation des populations des départements et territoires diminuer, alors même qu'elle est déjà très faible. De même, dans la perspective d'une réforme, la situation des Français établis hors de France devra être examinée attentivement, dans la mesure où il sera impossible de créer une circonscription particulière à cet effet.

Le rapporteur évoque enfin le problème du cumul des mandats et des fonctions. Observant que les propositions de réforme du mode de scrutin étaient souvent assorties de demandes d'interdiction absolue de tout cumul de mandats, il estime qu'en l'absence de cumul, les députés européens seraient moins représentatifs et moins légitimes, quel que soit le mode de scrutin retenu. Il souligne que la question du cumul des mandats doit être examinée en prenant en considération la nécessité que le député européen ait une existence politique sur le territoire national.

M. Christian de La Malène souligne alors que toute réforme du mode de scrutin doit avoir deux objectifs : améliorer la défense des intérêts de la France au sein du Parlement européen ; donner davantage de légitimité à la construction européenne.

Le rapporteur présente les différents modes de scrutin qui peuvent être envisagés pour les élections européennes. Evoquant le scrutin uninominal majoritaire, il précise que celui-ci ne peut comporter qu'un seul tour, compte tenu des délais dans lesquels la décision de 1976 enferme la procédure électorale. Ce mode de scrutin présente l'avantage considérable de permettre une véritable sanction de l'élu par l'électeur au terme du mandat. En revanche, il ne permet pas la représentation de l'ensemble des forces politiques et implique un nouveau découpage du territoire qui devrait être remis en chantier après chaque élargissement. Ce système existe au Royaume-Uni et il apparaît que les Britanniques ont une influence plus forte que la plupart des autres pays au sein de l'Assemblée, du fait de la loi électorale qui permet au parti vainqueur de disposer à lui seul d'un nombre très important de sièges. De plus, les parlementaires britanniques sont les seuls qui, en fin de semaine, regagnent leur circonscription afin de rendre des comptes à leurs électeurs.

M. Christian de La Malène mentionne ensuite la possibilité de mettre en oeuvre un scrutin proportionnel mixte régional et national, mais il observe qu'un tel système serait totalement étranger aux habitudes françaises, d'une grande complexité, et qu'il pourrait avoir une influence négative sur la participation électorale. Il émet en outre des réserves sur la constitutionnalité d'un mode de scrutin qui conduirait à mettre en place deux types d'élus.

Le rapporteur envisage alors la possibilité de mettre en oeuvre un scrutin proportionnel purement régional. Cependant, un tel système conduirait dans de nombreuses régions à un scrutin majoritaire, compte tenu du faible nombre de sièges à pourvoir. En outre, il existerait un risque fort que les parlementaires ne soient plus les représentants de la France au Parlement européen, mais les représentants de telle ou telle région. D'ores et déjà, certaines régions ont des délégations à Bruxelles. En outre, dans les plus grandes régions, qui disposeraient d'un nombre important de sièges, les listes seraient simplement composées par les organes régionaux des partis, au lieu de l'être, comme aujourd'hui, par leurs organes nationaux.

M. Christian de La Malène évoque enfin la possibilité de découper le territoire français en un petit nombre de circonscriptions afin de préserver le caractère proportionnel du scrutin. Il observe qu'un tel système ne présenterait en fait aucun avantage, en termes de rapprochement de l'élu et de l'électeur, par rapport au mode de scrutin actuellement en vigueur.

Concluant son propos, M. Christian de La Malène souligne que les modes de scrutin envisageables présentent tous des défauts importants. Il indique que si l'on veut rapprocher le parlementaire de l'électeur, offrir une possibilité de choix, de sanction, il faudrait sans doute proposer le scrutin majoritaire, mais craint qu'une telle proposition ne soit mal reçue, n'allant pas dans le sens des réflexions jusqu'alors entreprises. Il estime qu'en outre il ne faut pas faire porter à la loi électorale la responsabilité intégrale de la légitimité insuffisante du Parlement européen et rappelle qu'il plaide depuis longtemps pour que l'on dote cette Assemblée d'une loi fondamentale, définissant précisément ses compétences. Il constate enfin que cette idée d'une loi fondamentale pour le Parlement européen ne paraît pas préoccuper les participants à la Conférence intergouvernementale.

Au cours du débat, M. Jacques Genton , président, rappelle qu'à l'origine, les membres de l'Assemblée parlementaire européenne avaient pour vocation de représenter l'entité européenne et non chacun des Etats membres et que, pour cette raison, les Etats ont tout fait pour limiter au maximum les compétences de cette Assemblée.

M. Pierre Fauchon évoque tout d'abord le cumul des mandats et des fonctions et fait valoir qu'il paraît impossible aujourd'hui d'exercer deux mandats parlementaires. Il estime en revanche qu'un enracinement local est nécessaire, tant aux parlementaires nationaux qu'aux parlementaires européens, et en conclut que le cumul d'un mandat parlementaire et d'un mandat ou d'une fonction locale doit être autorisé. A propos du mode de scrutin, M. Pierre Fauchon se déclare en accord avec le rapporteur pour constater que les possibilités envisagées pour modifier le mode de scrutin actuel ne rapprocheraient pas l'élu des électeurs, à moins d'envisager un mode de scrutin uninominal majoritaire. Soulignant qu'il faudrait beaucoup de courage pour aller vers un tel système, il souhaite que le rapport, sans demander la mise en oeuvre d'un tel mode de scrutin, souligne que seule cette réforme aurait une véritable signification. Il estime qu'à défaut d'une telle évolution, le mode de scrutin actuel est probablement le moins mauvais, permettant en particulier la mise en place de listes conduites par des personnalités politiques de premier plan. M. Pierre Fauchon déclare enfin approuver les propos du rapporteur relatifs à la mise en place d'une loi fondamentale. Il fait valoir qu'il est de plus en plus indispensable de mettre en oeuvre une Constitution européenne et que ce problème ne pourra être indéfiniment ignoré.

M. Paul Masson rappelle que les signataires des traités fondateurs des Communautés européennes se méfiaient profondément des Parlements et souhaitaient avant tout construire un système efficace, tout en lui donnant une touche démocratique. Il observe que cette manière de faire n'est plus possible aujourd'hui, la construction communautaire souffrant avant tout d'un déficit de légitimité. Approuvant les propos du rapporteur, il observe qu'il n'existe aucun Parlement au monde, en dehors du Parlement européen, ne disposant d'aucune loi fondamentale pour définir l'étendue de ses compétences. Il estime qu'on ne peut attendre aucune amélioration d'une réforme du mode de scrutin et qu'une telle réforme serait très mal perçue par l'opinion à un moment où les difficultés de la France ne font pas de ce problème un sujet prioritaire.

M. Daniel Millaud évoque l'incohérence de la situation dans laquelle se trouvent actuellement les territoires d'Outre-mer au regard du droit communautaire. Les territoires d'Outre-mer n'appartiennent pas à la Communauté européenne en vertu du Traité de Rome, mais leurs populations votent néanmoins aux élections européennes en vertu du principe d'indivisibilité de la République inscrit dans la Constitution. De même, le statut de la Polynésie française confère au territoire la compétence d'autoriser ou non l'entrée des étrangers en Polynésie, mais cette compétence ne s'applique pas aux ressortissants communautaires en vertu du principe de non-discrimination qui sous-tend l'ensemble du droit communautaire. M. Daniel Millaud estime que la situation actuelle n'est plus acceptable, que certains partenaires de la France ont trouvé des solutions originales pour leurs territoires respectifs, et qu'il convient de redéfinir les relations entre la Communauté européenne et les territoires d'Outre-mer dans le respect de l'organisation particulière de ces territoires prévue par l'article 74 de la Constitution.

M. Pierre Lagourgue fait valoir que le mode de scrutin actuel ne permet que très rarement et de manière marginale la représentation des départements d'Outre-mer au Parlement européen. Rappelant que les départements d'Outre-mer comptent presque deux millions d'habitants, il souhaite que, quelle que soit la solution retenue, on réfléchisse au moyen d'améliorer la représentation de ces départements au Parlement européen. Il observe enfin que, dans cette perspective, le mode de scrutin uninominal majoritaire serait probablement le meilleur.

M. Emmanuel Hamel estime que le mode de scrutin actuel est le moins mauvais et qu'il n'est pas souhaitable de le modifier.

En réponse aux orateurs, M. Christian de La Malène , rapporteur, précise tout d'abord qu'il ne plaide pas pour le cumul de mandats parlementaires, mais qu'il estime nécessaire que les parlementaires européens bénéficient d'un enracinement local. A propos du mode de scrutin, il suggère que la délégation, sans proposer un tel mode de scrutin, souligne les avantages du mode de scrutin uninominal majoritaire. Evoquant la question de la loi fondamentale définissant les compétences du Parlement européen, il rappelle qu'il défend cette idée depuis longtemps, mais qu'elle implique un débat difficile entre ceux qui souhaitent que le Parlement européen soit doté de compétences très étendues et ceux qui plaident pour des compétences plus limitées. Il observe que le Parlement européen lui-même s'accommode très bien de la situation actuelle, craignant que ses compétences ne soient figées dès lors qu'elles seraient inscrites dans une loi fondamentale.

M. Christian de La Malène rappelle ensuite que les départements d'Outre-mer, du fait de leur statut de département et de leur ultra-périphicité, bénéficient d'avantages importants, mais subissent également certaines contraintes et que des améliorations sont sans doute possibles. Il estime enfin que les territoires d'Outre-mer bénéficient bel et bien d'une organisation particulière conformément à l'article 74 de la Constitution, même si leurs rapports avec la Communauté européenne peuvent ne pas paraître satisfaisants.

Le rapport d'information ainsi que les conclusions résultant du débat sont adoptées à l'unanimité.

Le rapport de M. Christian de La Malène :

" Une réforme du mode de scrutin pour les élections européennes "

a été publié sous le n° 123 (1996-1997)

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