B. DEUXIEME AUDITION DE M. MICHEL BARNIER
Le mercredi 18 décembre 1996 la
délégation a entendu M. Michel Barnier, ministre
délégué chargé des affaires européennes, sur
les résultats du Conseil européen de Dublin
M. Michel Barnier
indique que, après un débat sur
l'emploi, le Conseil a adopté une décision positive sur l'action
commune contre la drogue, la France et les Pays-Bas ayant levé de part
et d'autre leurs réserves.
Sur l'Union économique et monétaire (pacte de stabilité et
de croissance, SME-bis, statut juridique de l'euro), la discussion a
été rude ; si les décisions avaient été
reportées, ce report aurait porté atteinte à la poursuite
des négociations sur la réforme des institutions.
Commentant un tableau portant sur les mécanismes institutionnels du
pacte de stabilité et de croissance tel qu'il résulte du
compromis de Dublin, le ministre insiste sur le pouvoir d'appréciation
politique que gardera le Conseil dans la mise en oeuvre des circonstances
exceptionnelles et des sanctions lorsque le déficit public d'un Etat
membre sera supérieur à 3 % de son Produit intérieur
brut (PIB).
Le ministre ajoute cependant que l'accompagnement politique de la monnaie
unique reste une question fondamentale qui n'est pas réglée
à ce jour et à laquelle sont attachés le Président
de la République comme le Premier ministre : lorsque l'euro sera en
place, il faudra que les ministres de l'économie et des finances des
pays participant à l'euro puissent dialoguer avec les dirigeants de la
Banque centrale européenne et que, éventuellement, les chefs
d'Etat et de Gouvernement puissent être saisis. Au cours du Conseil
européen de Dublin, les futurs billets de banque libellés en euro
ont été adoptés ; le concours n'est pas encore
achevé pour les pièces de monnaies, qui, à la
différence des billets, pourront comporter sur une face des marques
distinctives nationales. Le Président de la République a en outre
fait valoir que la nomination de M. Duisenberg en remplacement de
M. Lamfalussy ne préjugeait pas du choix du futur président
de la Banque centrale européenne.
Concernant la Conférence intergouvernementale, M. Michel Barnier estime
que le projet de traité proposé par la présidence
irlandaise est un bon document qui reflète honnêtement
l'état de la négociation ; on ne peut reprocher aux Irlandais le
manque d'ambition politique et institutionnel de leur projet qui traduit
l'état d'esprit actuel de nombre de nos partenaires. Le projet irlandais
doit être apprécié à la lumière de la lettre
qui a été adoptée, à Nuremberg, le 9
décembre, par le chancelier Kohl et le président Chirac, et qui
reflète, elle, une véritable ambition pour l'Europe.
Le ministre ajoute que son objectif, dans la négociation qui va se
poursuivre sous présidence néerlandaise, est que le
résultat final se rapproche le plus possible du contenu de la lettre
franco-allemande. Les questions institutionnelles seront abordées,
dès la première réunion du groupe de négociation,
en janvier 1997. Le choc entre les conceptions des uns et des autres risque
d'être intense, car la ligne de partage n'est pas entre les grands et les
petits pays, mais entre les Etats qui préfèrent le statu quo et
ceux qui souhaitent une vraie réforme des institutions dans la
perpective du prochain élargissement.
M. Michel Caldaguès
constate que c'est une conception de
semi-automaticité dans le fonctionnement du pacte de stabilité
qui l'a emporté au Conseil de Dublin ; faute de marges de
manoeuvres par rapport à l'objectif de déficit budgétaire
de 3 % du PIB, les Etats participant à l'euro vont devoir s'incliner
devant un système mécanique. Les gouvernements vont donc perdre
tout volontarisme dans la dépense publique et les Parlements nationaux
auront un pouvoir budgétaire restreint. M. Michel Caldaguès
se réjouit en revanche des progrès que la lettre franco-allemande
permet d'envisager dans le domaine de la politique extérieure et de
sécurité commune au sujet de la notion de M. ou
Mme PESC, malgré la tentative de neutralisation de celle-ci par
l'intervention de la Commission européenne. Il interroge alors le
ministre sur les réactions des autres Etats membres vis-à-vis de
la lettre commune franco-allemande.
M. Xavier de Villepin
estime que des progrès importants ont
été obtenus sur le pacte de stabilité à Dublin,
mais souhaite cependant que, dans un souci d'efficacité de la politique
monétaire européenne, des précisions soient obtenues, sous
la forme d'un texte écrit, sur le rôle politique du Conseil face
à la Banque centrale européenne. Il s'inquiète
également de connaître l'état d'avancement de la
négociation sur la question des coopérations renforcées.
M. Emmanuel Hamel
regrette l'abandon, par les gouvernements nationaux,
de leurs moyens d'action budgétaire dans le cadre d'un système
automatique et face à des banques centrales indépendantes. Il
craint que, face à des revendications populaires, les gouvernements,
dans l'incapacité de répondre aux attentes de leurs populations,
ne soient un jour confrontés à une explosion sociale et à
des manifestations qui pourraient présenter un risque
révolutionnaire.
M. Robert-Paul Vigouroux
souhaite obtenir des détails sur les
différentes positions exprimées par les Etats membres au regard
de l'élargissement qui peut, selon le cas, être compris, soit
comme un renforcement, soit comme un affaiblissement de l'Europe.
M. Lucien Lanier
se demande si les dispositions du pacte de
stabilité, qui ont été adoptées dans l'urgence
à Dublin, ne risquent pas, dans la pratique, d'encourager certains
gouvernements, qui accèderaient au pouvoir après une alternance
politique, à négocier une exonération des sanctions qui
résulteraient des politiques menées par les gouvernements
précédents.
M. Pierre Fauchon
estime que l'accord obtenu sur le pacte de
stabilité est une bonne nouvelle et que, à l'évidence,
l'adoption d'une monnaie commune impliquait la mise en oeuvre de disciplines
communes. Soulignant le caractère restreint de l'automaticité des
sanctions, il constate que le chiffre de 3 % de déficit
budgétaire par rapport au Produit intérieur brut (PIB) laissait
une certaine marge de manoeuvre aux Etats puisqu'il représentait
20 % du montant du budget lui-même. Se félicitant que le
Conseil européen ait décidé la création d'un groupe
de haut niveau sur l'intensification de la criminalité, il insiste en
outre sur l'urgence de sortir des palabres qui entourent la réforme du
fonctionnement du troisième pilier du traité relatif aux
questions de sécurité intérieure, dont le résultat
le plus clair est de faire le jeu de la criminalité internationale.
Mme Danièle Pourtaud
s'inquiète de la mise en oeuvre du
pacte de stabilité budgétaire en l'absence d'un contrepoids
politique du Conseil face aux orientations de la Banque centrale
européenne. Elle s'étonne que le Gouvernement ait accepté
le pacte de stabilité sans avoir obtenu le moindre progrès vers
la reconnaissance d'un " gouvernement économique ".
M. Jacques Oudin
souhaite avoir des précisions sur les types de
sanctions applicables aux Etats en droit communautaire ; selon son
opinion, on peut craindre des crispations et des réactions brutales
lorsque ces sanctions seront mises en oeuvre par le Conseil, l'Etat
concerné ne prenant alors pas part au vote.
M. Jacques Genton
, constate que, dans le domaine de la politique
étrangère et de sécurité commune, la lettre
franco-allemande rejoint des préoccupations qui ont, dans le
passé, été exprimées au sein de la
délégation et à la tribune du Sénat.
M. Michel Barnier
répond alors aux différents intervenants.
Sur les questions de politique extérieure et de sécurité
commune, comme d'ailleurs sur les questions ressortissant au troisième
pilier, il confirme à M. Jacques Genton que la lettre
franco-allemande reprend des idées qui ont été
exprimées au sein des assemblées. Un progrès sensible
réside dans l'accord donné par le chancelier Helmut Kohl sur le
rôle politique du représentant de la PESC, dont la France ne peut
accepter qu'il soit un simple fonctionnaire.
Sur le régime juridique des sanctions évoqué par M.
Jacques Oudin, le ministre rappelle que la Cour de Justice a la
possibilité de décider des astreintes à payer par des
Etats membres et souligne que les amendes financières du pacte de
stabilité budgétaire avaient été prévues par
l'article 104 C du traité. En revanche il indique à
Mme Danièle Pourtaud que les négociateurs du traité
n'avaient pas, à l'époque, obtenu, dans le traité, les
moyens d'un gouvernement économique de l'Europe. C'est pourquoi le
gouvernement actuel s'efforce de remédier à cette lacune dans le
sens d'un volontarisme économique qui est nécessaire pour assurer
le dialogue entre la Banque centrale et les Etats ; ce dialogue que
demande la France est maintenant reconnu comme indipensable par l'actuel
président de l'Institut monétaire européen, M. Lamfalussy.
Le ministre déclare qu'il ne partage pas le pessimisme de
M. Emmanuel Hamel, car le chômage n'est pas le résultat de
l'indépendance des banques centrales. Répondant à
M. Pierre Fauchon, il précise que tout progrès dans les
matières du troisième pilier est soumis par la France à
une double condition : le maintien d'un droit d'initiative partagé entre
les Etats et la Commission et l'association collective des parlements nationaux.
Sur les remarques de M. Lucien Lanier, M. Michel Barnier estime que le
pacte de stabilité budgétaire est conçu de telle sorte que
les Etats ne soient pas obligés de le mettre en oeuvre ; c'est une
question de discipline commune pour le bon fonctionnement de la monnaie unique.
M. Michel Barnier indique à M. Robert-Paul Vigouroux que
l'élargissement, qui a été décidé par le
Conseil européen, recouvre certainement beaucoup d'arrières
pensées chez certains et comporte de nombreux sous-entendus, par exemple
dans l'optique de la constitution d'une grande zone de libre-échange en
Europe. Les négociations d'adhésion seront sans doute plus
difficiles que ne le pensent la plupart des pays candidats, car ces pays sont
actuellement soumis à de fortes pressions commerciales de la part de nos
concurrents économiques. Ce constat ne remet cependant pas en cause
l'intérêt moral, historique et économique de
l'élargissement, ne serait-ce que pour limiter les risques de dumping
social ou environnemental et les dangers des délocalisations
industrielles en Europe centrale et orientale. Mais les pays du Sud craignent
une remise en question des fonds structurels et du fonds de cohésion
après l'élargissement.
Répondant à M. Michel Caldaguès, M. Michel Barnier
s'interroge sur l'attente réelle des peuples : ne veulent-ils pas avant
tout la baisse de l'endettement et des déficits ? Au regard de la
lettre franco-allemande, le ministre estime que celle-ci a été
bien reçue par nos partenaires et souligne que le Conseil
européen a donné son accord pour qu'elle soit la base de la
négociation à venir.